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Le 17/02/2013 Ă 19h40 Env. 40 message Isere. VoilĂ , je voudrai vous posez quelques questions avant notre rendez vous a la banque, dans l'idĂ©e de pouvoir lancer notre projet de construction, nous OU Lettres recueillies dans une sociĂ©tĂ© et publiĂ©es pour l'instruction de quelques autres. " J'ai vu les mĂ âurs de mon temps et j'ai publiĂ© ces lettres. " J. J. ROUSSEAU. PrĂ©face de La Nouvelle HĂ©loĂÂŻse TABLE DES MATIERES AVERTISSEMENT DE L'EDITEUR Nous croyons devoir prĂ©venir le Public, que, malgrĂ© le titre de cet Ouvrage et ce qu'en dit le RĂ©dacteur dans sa PrĂ©face, nous ne garantissons pas l'authenticitĂ© de ce Recueil, et que nous avons mĂÂȘme de fortes raisons de penser que ce n'est qu'un Roman. Il nous semble de plus que l'Auteur, qui paraĂt pourtant avoir cherchĂ© la vraisemblance, l'a dĂ©truite lui-mĂÂȘme et bien maladroitement, par l'Ă©poque oĂÂč il a placĂ© les Ă©vĂ©nements qu'il publie. En effet, plusieurs des personnages qu'il met en scĂšne ont de si mauvaises mĂ âurs, qu'il est impossible de supposer qu'ils aient vĂ©cu dans notre siĂšcle; dans ce siĂšcle de philosophie, oĂÂč les lumiĂšres, rĂ©pandues de toutes parts, ont rendu, comme chacun sait, tous les hommes si honnĂÂȘtes et toutes les femmes si modestes et si rĂ©servĂ©es. Notre avis est donc que si les aventures rapportĂ©es dans cet Ouvrage ont un fond de vĂ©ritĂ©, elles n'ont pu arriver que dans d'autres lieux ou dans d'autres temps; et nous blĂÂąmons beaucoup l'Auteur, qui, sĂ©duit apparemment par l'espoir d'intĂ©resser davantage en se rapprochant plus de son siĂšcle et de son pays, a osĂ© faire paraĂtre sous notre costume et avec nos usages, des mĂ âurs qui nous sont si Ă©trangĂšres. Pour prĂ©server au moins, autant qu'il est en nous, le Lecteur trop crĂ©dule de toute surprise Ă ce sujet, nous appuierons notre opinion d'un raisonnement que nous lui proposons avec confiance, parce qu'il nous paraĂt victorieux et sans rĂ©plique; c'est que sans doute les mĂÂȘmes causes ne manqueraient pas de produire les mĂÂȘmes effets, et que cependant nous ne voyons point aujourd'hui de Demoiselle, avec soixante mille livres de rente, se faire Religieuse, ni de PrĂ©sidente, jeune et jolie, mourir de chagrin. PREFACE DU REDACTEUR. Cet Ouvrage, ou plutĂÂŽt ce Recueil, que le Public trouvera peut-ĂÂȘtre encore trop volumineux, ne contient pourtant que le plus petit nombre des Lettres qui composaient la totalitĂ© de la correspondance dont il est extrait. ChargĂ© de la mettre en ordre par les personnes Ă qui elle Ă©tait parvenue, et que je savais dans l'intention de la publier, je n'ai demandĂ©, pour prix de mes soins, que la permission d'Ă©laguer tout ce qui me paraĂtrait inutile; et j'ai tĂÂąchĂ© de ne conserver en effet que les Lettres qui m'ont paru nĂ©cessaires, soit Ă l'intelligence des Ă©vĂ©nements, soit au dĂ©veloppement des caractĂšres. Si l'on ajoute Ă ce lĂ©ger travail, celui de replacer par ordre les Lettres que j'ai laissĂ©es subsister, ordre pour lequel j'ai mĂÂȘme presque toujours suivi celui des dates, et enfin quelques notes courtes et rares, et qui, pour la plupart, n'ont d'autre objet que d'indiquer la source de quelques citations, ou de motiver quelques- uns des retranchements que je me suis permis, on saura toute la part que j'ai eue Ă cet Ouvrage. Ma mission ne s'Ă©tendait pas plus loin. [Je dois prĂ©venir aussi que j'ai supprimĂ© ou changĂ© tous les noms des personnes dont il est question dans ces Lettres; et que si dans le nombre de ceux que je leur ai substituĂ©s, il s'en trouvait qui appartinssent Ă quelqu'un, ce serait seulement une erreur de ma part et dont il ne faudrait tirer aucune consĂ©quence.] J'avais proposĂ© des changements plus considĂ©rables, et presque tous relatifs Ă la puretĂ© de diction ou de style, contre laquelle on trouvera beaucoup de fautes. J'aurais dĂ©sirĂ© aussi ĂÂȘtre autorisĂ© Ă couper quelques Lettres trop longues, et dont plusieurs traitent sĂ©parĂ©ment, et presque sans transition, d'objets tout Ă fait Ă©trangers l'un Ă l'autre. Ce travail, qui n'a pas Ă©tĂ© acceptĂ©, n'aurait pas suffi sans doute pour donner du mĂ©rite Ă l'Ouvrage, mais en aurait au moins ĂÂŽtĂ© une partie des dĂ©fauts. On m'a objectĂ© que c'Ă©taient les Lettres mĂÂȘmes qu'on voulait faire connaĂtre, et non pas seulement un Ouvrage fait d'aprĂšs ces Lettres; qu'il serait autant contre la vraisemblance que contre la vĂ©ritĂ©, que de huit Ă dix personnes qui ont concouru Ă cette correspondance, toutes eussent Ă©crit avec une Ă©gale puretĂ©. Et sur ce que j'ai reprĂ©sentĂ© que, loin de lĂ , il n'y en avait au contraire aucune qui n'eĂ»t fait des fautes graves, et qu'on ne manquerait pas de critiquer, on m'a rĂ©pondu que tout Lecteur raisonnable s'attendrait sĂ»rement Ă trouver des fautes dans un Recueil de Lettres de quelques Particuliers, puisque dans tous ceux publiĂ©s jusqu'ici de diffĂ©rents Auteurs estimĂ©s, et mĂÂȘme de quelques AcadĂ©miciens, on n'en trouvait aucun totalement Ă l'abri de ce reproche. Ces raisons ne m'ont pas persuadĂ©, et je les ai trouvĂ©es, comme je les trouve encore, plus faciles Ă donner qu'Ă recevoir; mais je n'Ă©tais pas le maĂtre, et je me suis soumis. Seulement je me suis rĂ©servĂ© de protester contre, et de dĂ©clarer que ce n'Ă©tait pas mon avis; ce que je fais en ce moment. Quant au mĂ©rite que cet Ouvrage peut avoir, peut-ĂÂȘtre ne m'appartient-il pas de m'en expliquer, mon opinion ne devant ni ne pouvant influer sur celle de personne. Cependant ceux qui, avant de commencer une lecture, sont bien aises de savoir Ă peu prĂšs sur quoi compter; ceux-lĂ , dis-je, peuvent continuer les autres feront mieux de passer tout de suite Ă l'Ouvrage mĂÂȘme; ils en savent assez. Ce que je puis dire d'abord, c'est que si mon avis a Ă©tĂ©, comme j'en conviens, de faire paraĂtre ces Lettres, je suis pourtant bien loin d'en espĂ©rer le succĂšs et qu'on ne prenne pas cette sincĂ©ritĂ© de ma part pour la modestie jouĂ©e d'un Auteur; car je dĂ©clare avec la mĂÂȘme franchise, que si ce Recueil ne m'avait pas paru digne d'ĂÂȘtre offert au Public, je ne m'en serais pas occupĂ©. TĂÂąchons de concilier cette apparente contradiction. Le mĂ©rite d'un Ouvrage se compose de son utilitĂ© ou de son agrĂ©ment, et mĂÂȘme de tous deux, quand il en est susceptible mais le succĂšs, qui ne prouve pas toujours le mĂ©rite, tient souvent davantage au choix du sujet qu'Ă son exĂ©cution, Ă l'ensemble des objets qu'il prĂ©sente, qu'Ă la maniĂšre dont ils sont traitĂ©s. Or ce Recueil contenant, comme son titre l'annonce, les Lettres de toute une sociĂ©tĂ©, il y rĂšgne une diversitĂ© d'intĂ©rĂÂȘt qui affaiblit celui du Lecteur. De plus, presque tous les sentiments qu'on y exprime, Ă©tant feints ou dissimulĂ©s, ne peuvent mĂÂȘme exciter qu'un intĂ©rĂÂȘt de curiositĂ© toujours bien au-dessous de celui de sentiment, qui, surtout, porte moins Ă l'indulgence, et laisse d'autant plus apercevoir les fautes qui s'y trouvent dans les dĂ©tails, que ceux-ci s'opposent sans cesse au seul dĂ©sir qu'on veuille satisfaire. Ces dĂ©fauts sont peut-ĂÂȘtre rachetĂ©s, en partie, par une qualitĂ© qui tient de mĂÂȘme Ă la nature de l'Ouvrage c'est la variĂ©tĂ© des styles; mĂ©rite qu'un Auteur atteint difficilement, mais qui se prĂ©sentait ici de lui-mĂÂȘme, et qui sauve au moins l'ennui de l'uniformitĂ©. Plusieurs personnes pourront compter encore pour quelque chose un assez grand nombre d'observations, ou nouvelles, ou peu connues, et qui se trouvent Ă©parses dans ces Lettres. C'est aussi lĂ , je crois, tout ce qu'on y peut espĂ©rer d'agrĂ©ments, en les jugeant mĂÂȘme avec la plus grande faveur. L'utilitĂ© de l'Ouvrage, qui peut-ĂÂȘtre sera encore plus contestĂ©e, me paraĂt pourtant plus facile Ă Ă©tablir. Il me semble au moins que c'est rendre un service aux mĂ âurs, que de dĂ©voiler les moyens qu'emploient ceux qui en ont de mauvaises pour corrompre ceux qui en ont de bonnes, et je crois que ces Lettres pourront concourir efficacement Ă ce but. On y trouvera aussi la preuve et l'exemple de deux vĂ©ritĂ©s importantes qu'on pourrait croire mĂ©connues, en voyant combien peu elles sont pratiquĂ©es l'une, que toute femme qui consent Ă recevoir dans sa sociĂ©tĂ© un homme sans mĂ âurs, finit par en devenir la victime; l'autre, que toute mĂšre est au moins imprudente, qui souffre qu'un autre qu'elle ait la confiance de sa fille. Les jeunes gens de l'un et de l'autre sexe pourraient encore y apprendre que l'amitiĂ© que les personnes de mauvaises mĂ âurs paraissent leur accorder si facilement n'est jamais qu'un piĂšge dangereux, et aussi fatal Ă leur bonheur qu'Ă leur vertu. Cependant l'abus, toujours si prĂšs du bien, me paraĂt ici trop Ă craindre; et, loin de conseiller cette lecture Ă la jeunesse, il me paraĂt trĂšs important d'Ă©loigner d'elle toutes celles de ce genre. L'Ă©poque oĂÂč celle-ci peut cesser d'ĂÂȘtre dangereuse et devenir utile me paraĂt avoir Ă©tĂ© trĂšs bien saisie, pour son sexe, par une bonne mĂšre qui non seulement a de l'esprit, mais qui a du bon esprit. " Je croirais " , me disait-elle, aprĂšs avoir lu le manuscrit de cette Correspondance, " rendre un vrai service Ă ma fille, en lui donnant ce Livre le jour de son mariage. " Si toutes les mĂšres de famille en pensent ainsi, je me fĂ©liciterai Ă©ternellement de l'avoir publiĂ©. Mais, en partant encore de cette supposition favorable, il me semble toujours que ce Recueil doit plaire Ă peu de monde. Les hommes et les femmes dĂ©pravĂ©s auront intĂ©rĂÂȘt Ă dĂ©crier un Ouvrage qui peut leur nuire; et comme ils ne manquent pas d'adresse, peut-ĂÂȘtre auront-ils celle de mettre dans leur parti les Rigoristes, alarmĂ©s par le tableau des mauvaises mĂ âurs qu'on n'a pas craint de prĂ©senter. Les prĂ©tendus esprits forts ne s'intĂ©resseront point Ă une femme dĂ©vote, que par cela mĂÂȘme ils regarderont comme une femmelette, tandis que les dĂ©vots se fĂÂącheront de voir succomber la vertu, et se plaindront que la Religion se montre avec trop peu de puissance. D'un autre cĂÂŽtĂ©, les personnes d'un goĂ»t dĂ©licat seront dĂ©goĂ»tĂ©es par le style trop simple et trop fautif de plusieurs de ces Lettres, tandis que le commun des Lecteurs, sĂ©duit par l'idĂ©e que tout ce qui est imprimĂ© est le fruit d'un travail, croira voir dans quelques autres la maniĂšre peinĂ©e d'un Auteur qui se montre derriĂšre le personnage qu'il fait parler. Enfin, on dira peut-ĂÂȘtre assez gĂ©nĂ©ralement, que chaque chose ne vaut qu'Ă sa place; et que si d'ordinaire le style trop chĂÂątiĂ© des Auteurs ĂÂŽte en effet de la grĂÂące aux Lettres de sociĂ©tĂ©, les nĂ©gligences de celles-ci deviennent de vĂ©ritables fautes, et les rendent insupportables, quand on les livre Ă l'impression. J'avoue avec sincĂ©ritĂ© que tous ces reproches peuvent ĂÂȘtre fondĂ©s je crois aussi qu'il me serait possible d'y rĂ©pondre, et mĂÂȘme sans excĂ©der la longueur d'une PrĂ©face. Mais on doit sentir que pour qu'il fĂ»t nĂ©cessaire de rĂ©pondre Ă tout, il faudrait que l'Ouvrage ne pĂ»t rĂ©pondre Ă rien; et que si j'en avais jugĂ© ainsi, j'aurais supprimĂ© Ă la fois la PrĂ©face et le Livre. PREMIERE PARTIE LETTRE PREMIERE CECILE VOLANGES A SOPHIE CARNAY. AUX URSULINES DE ... Tu vois, ma bonne amie, que je tiens parole, et que les bonnets et les pompons ne prennent pas tout mon temps; il m'en restera toujours pour toi. J'ai pourtant vu plus de parures dans cette seule journĂ©e que dans les quatre ans que nous avons passĂ©s ensemble; et je crois que la superbe Tanville [Pensionnaire du mĂÂȘme Couvent] aura plus de chagrin Ă ma premiĂšre visite, oĂÂč je compte bien la demander, qu'elle n'a cru nous en faire toutes les fois qu'elle est venue nous voir in fiocchi . Maman m'a consultĂ©e sur tout; elle me traite beaucoup moins en pensionnaire que par le passĂ©. J'ai une Femme de chambre Ă moi; j'ai une chambre et un cabinet dont je dispose, et je t'Ă©cris Ă un SecrĂ©taire trĂšs joli, dont on m'a remis la clef, et oĂÂč je peux renfermer tout ce que je veux. Maman m'a dit que je la verrais tous les jours Ă son lever; qu'il suffisait que je fusse coiffĂ©e pour dĂner, parce que nous serions toujours seules, et qu'alors elle me dirait chaque jour l'heure oĂÂč je devrais l'aller joindre l'aprĂšs-midi. Le reste du temps est Ă ma disposition, et j'ai ma harpe, mon dessin et des livres comme au Couvent; si ce n'est que la MĂšre PerpĂ©tue n'est pas lĂ pour me gronder, et qu'il ne tiendrait qu'Ă moi d'ĂÂȘtre toujours Ă rien faire mais comme je n'ai pas ma Sophie pour causer et pour rire, j'aime autant m'occuper. Il n'est pas encore cinq heures; je ne dois aller retrouver Maman qu'Ă sept voilĂ bien du temps, si j'avais quelque chose Ă te dire! Mais on ne m'a encore parlĂ© de rien; et sans les apprĂÂȘts que je vois faire, et la quantitĂ© d'OuvriĂšres qui viennent toutes pour moi, je croirais qu'on ne songe pas Ă me marier, et que c'est un radotage de plus de la bonne JosĂ©phine [TouriĂšre du Couvent]. Cependant Maman m'a dit si souvent qu'une Demoiselle devait rester au Couvent jusqu'Ă ce qu'elle se mariĂÂąt, que puisqu'elle m'en fait sortir, il faut bien que JosĂ©phine ait raison. Il vient d'arrĂÂȘter un carrosse Ă la porte, et Maman me fait dire de passer chez elle tout de suite. Si c'Ă©tait le Monsieur? Je ne suis pas habillĂ©e, la main me tremble et le cĂ âur me bat. J'ai demandĂ© Ă la Femme de chambre, si elle savait qui Ă©tait chez ma mĂšre " Vraiment, m'a-t-elle dit, c'est M. C**. " Et elle riait. Oh! je crois que c'est lui. Je reviendrai sĂ»rement te raconter ce qui se sera passĂ©. VoilĂ toujours son nom. Il ne faut pas se faire attendre. Adieu, jusqu'Ă un petit moment. Comme tu vas te moquer de la pauvre CĂ©cile! Oh! j'ai Ă©tĂ© bien honteuse! Mais tu y aurais Ă©tĂ© attrapĂ©e comme moi. En entrant chez Maman, j'ai vu un Monsieur en noir, debout auprĂšs d'elle. Je l'ai saluĂ© du mieux que j'ai pu, et suis restĂ©e sans pouvoir bouger de ma place. Tu juges combien je l'examinais! " Madame " , a-t-il dit Ă ma mĂšre, en me saluant, " voilĂ une charmante Demoiselle, et je sens mieux que jamais le prix de vos bontĂ©s. " A ce propos si positif, il m'a pris un tremblement tel, que je ne pouvais me soutenir; j'ai trouvĂ© un fauteuil, et je m'y suis assise, bien rouge et bien dĂ©concertĂ©e. J'y Ă©tais Ă peine, que voilĂ cet homme Ă mes genoux. Ta pauvre CĂ©cile alors a perdu la tĂÂȘte; j'Ă©tais, comme a dit Maman, tout effarouchĂ©e. Je me suis levĂ©e en jetant un cri perçant, ... tiens, comme ce jour du tonnerre. Maman est partie d'un Ă©clat de rire, en me disant " Eh bien! qu'avez-vous? Asseyez-vous et donnez votre pied Ă Monsieur. " En effet, ma chĂšre amie, le Monsieur Ă©tait un Cordonnier. Je ne peux te rendre combien j'ai Ă©tĂ© honteuse par bonheur il n'y avait que Maman. Je crois que, quand je serai mariĂ©e, je ne me servirai plus de ce Cordonnier-lĂ . Conviens que nous voilĂ bien savantes! Adieu. Il est prĂšs de six heures, et ma Femme de chambre dit qu'il faut que je m'habille. Adieu, ma chĂšre Sophie; je t'aime comme si j'Ă©tais encore au Couvent. Je ne sais par qui envoyer ma Lettre ainsi j'attendrai que JosĂ©phine vienne. Paris, ce 3 aoĂ»t 17** LETTRE II LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT AU CHATEAU DE ... Revenez, mon cher Vicomte, revenez que faites-vous, que pouvez-vous faire chez une vieille tante dont tous les biens vous sont substituĂ©s? Partez sur-le- champ; j'ai besoin de vous. Il m'est venu une excellente idĂ©e, et je veux bien vous en confier l'exĂ©cution. Ce peu de mots devrait suffire; et, trop honorĂ© de mon choix, vous devriez venir, avec empressement, prendre mes ordres Ă genoux mais vous abusez de mes bontĂ©s, mĂÂȘme depuis que vous n'en usez plus; et dans l'alternative d'une haine Ă©ternelle ou d'une excessive indulgence, votre bonheur veut que ma bontĂ© l'emporte. Je veux donc bien vous instruire de mes projets mais jurez-moi qu'en fidĂšle Chevalier vous ne courrez aucune aventure que vous n'ayez mis celle-ci Ă fin. Elle est digne d'un HĂ©ros vous servirez l'Amour et la vengeance; ce sera enfin une rouerie [Ces mots rouĂ© et rouerie , dont heureusement la bonne compagnie commence Ă se dĂ©faire, Ă©taient fort en usage Ă l'Ă©poque oĂÂč ces Lettres ont Ă©tĂ© Ă©crites] de plus Ă mettre dans vos MĂ©moires oui, dans vos MĂ©moires, car je veux qu'ils soient imprimĂ©s un jour, et je me charge de les Ă©crire. Mais laissons cela, et revenons Ă ce qui m'occupe. Madame de Volanges marie sa fille c'est encore un secret; mais elle m'en a fait part hier. Et qui croyez-vous qu'elle ait choisi pour gendre? Le Comte de Gercourt. Qui m'aurait dit que je deviendrais la cousine de Gercourt? J'en suis dans une fureur! Eh bien! vous ne devinez pas encore? oh! l'esprit lourd! Lui avez-vous donc pardonnĂ© l'aventure de l'Intendante? Et moi, n'ai-je pas encore plus Ă me plaindre de lui, monstre que vous ĂÂȘtes? [Pour entendre ce passage, il faut savoir que le Comte de Gercourt avait quittĂ© la Marquise de Merteuil pour l'Intendante de ***, qui lui avait sacrifiĂ© le Vicomte de Valmont, et que c'est alors que la Marquise et le Vicomte s'attachĂšrent l'un Ă l'autre. Comme cette aventure est fort antĂ©rieure aux Ă©vĂ©nements dont il est question dans ces Lettres, on a cru devoir en supprimer toute la Correspondance.] Mais je m'apaise, et l'espoir de me venger rassĂ©rĂšne mon ĂÂąme. Vous avez Ă©tĂ© ennuyĂ© cent fois, ainsi que moi, de l'importance que met Gercourt Ă la femme qu'il aura, et de la sotte prĂ©somption qui lui fait croire qu'il Ă©vitera le sort inĂ©vitable. Vous connaissez sa ridicule prĂ©vention pour les Ă©ducations cloĂtrĂ©es, et son prĂ©jugĂ©, plus ridicule encore, en faveur de la retenue des blondes. En effet, je gagerais que, malgrĂ© les soixante mille livres de rente de la petite Volanges, il n'aurait jamais fait ce mariage, si elle eĂ»t Ă©tĂ© brune, ou si elle n'eĂ»t pas Ă©tĂ© au Couvent. Prouvons-lui donc qu'il n'est qu'un sot il le sera sans doute un jour; ce n'est pas lĂ ce qui m'embarrasse mais le plaisant serait qu'il dĂ©butĂÂąt par lĂ . Comme nous nous amuserions le lendemain en l'entendant se vanter! car il se vantera; et puis, si une fois vous formez cette petite fille, il y aura bien du malheur si le Gercourt ne devient pas, comme un autre, la fable de Paris. Au reste, l'HĂ©roĂÂŻne de ce nouveau Roman mĂ©rite tous vos soins elle est vraiment jolie; cela n'a que quinze ans, c'est le bouton de rose; gauche, Ă la vĂ©ritĂ©, comme on ne l'est point, et nullement maniĂ©rĂ©e mais, vous autres hommes, vous ne craignez pas cela; de plus, un certain regard langoureux qui promet beaucoup en vĂ©ritĂ© ajoutez-y que je vous la recommande; vous n'avez plus qu'Ă me remercier et m'obĂ©ir. Vous recevrez cette Lettre demain matin. J'exige que demain Ă sept heures du soir, vous soyez chez moi. Je ne recevrai personne qu'Ă huit, pas mĂÂȘme le rĂ©gnant Chevalier; il n'a pas assez de tĂÂȘte pour une aussi grande affaire. Vous voyez que l'Amour ne m'aveugle pas. A huit heures je vous rendrai votre libertĂ©, et vous reviendrez Ă dix souper avec le bel objet; car la mĂšre et la fille souperont chez moi. Adieu, il est midi passĂ© bientĂÂŽt je ne m'occuperai plus de vous. Paris, ce 4 aoĂ»t 17** LETTRE III CECILE VOLANGES A SOPHIE CARNAY Je ne sais encore rien, ma bonne amie. Maman avait hier beaucoup de monde Ă souper. MalgrĂ© l'intĂ©rĂÂȘt que j'avais Ă examiner, les hommes surtout, je me suis fort ennuyĂ©e. Hommes et femmes, tout le monde m'a beaucoup regardĂ©e, et puis on se parlait Ă l'oreille; et je voyais bien qu'on parlait de moi cela me faisait rougir; je ne pouvais m'en empĂÂȘcher. Je l'aurais bien voulu, car j'ai remarquĂ© que quand on regardait les autres femmes, elles ne rougissaient pas; ou bien c'est le rouge qu'elles mettent, qui empĂÂȘche de voir celui que l'embarras leur cause; car il doit ĂÂȘtre bien difficile de ne pas rougir quand un homme vous regarde fixement. Ce qui m'inquiĂ©tait le plus Ă©tait de ne pas savoir ce qu'on pensait sur mon compte. Je crois avoir entendu pourtant deux ou trois fois le mot de jolie mais j'ai entendu bien distinctement celui de gauche ; et il faut que cela soit bien vrai, car la femme qui le disait est parente et amie de ma mĂšre; elle paraĂt mĂÂȘme avoir pris tout de suite de l'amitiĂ© pour moi. C'est la seule personne qui m'ait un peu parlĂ© dans la soirĂ©e. Nous souperons demain chez elle. J'ai encore entendu, aprĂšs souper, un homme que je suis sĂ»re qui parlait de moi, et qui disait Ă un autre " Il faut laisser mĂ»rir cela, nous verrons cet hiver. " C'est peut-ĂÂȘtre celui-lĂ qui doit m'Ă©pouser; mais alors ce ne serait donc que dans quatre mois! Je voudrais bien savoir ce qui en est. VoilĂ JosĂ©phine, et elle me dit qu'elle est pressĂ©e. Je veux pourtant te raconter encore une de mes gaucheries . Oh! je crois que cette dame a raison! AprĂšs le souper on s'est mis Ă jouer. Je me suis placĂ©e auprĂšs de Maman; je ne sais pas comment cela s'est fait, mais je me suis endormie presque tout de suite. Un grand Ă©clat de rire m'a rĂ©veillĂ©e. Je ne sais si l'on riait de moi, mais je le crois. Maman m'a permis de me retirer et elle m'a fait grand plaisir. Figure- toi qu'il Ă©tait onze heures passĂ©es. Adieu, ma chĂšre Sophie; aime toujours bien ta CĂ©cile. Je t'assure que le monde n'est pas aussi amusant que nous l'imaginions. Paris, ce 4 aoĂ»t l7**. LETTRE IV LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL A PARIS Vos ordres sont charmants; votre façon de les donner est plus aimable encore; vous feriez chĂ©rir le despotisme. Ce n'est pas la premiĂšre fois, comme vous savez, que je regrette de ne plus ĂÂȘtre votre esclave; et tout monstre que vous dites que je suis, je ne me rappelle jamais sans plaisir le temps oĂÂč vous m'honoriez de noms plus doux. Souvent mĂÂȘme je dĂ©sire de les mĂ©riter de nouveau, et de finir par donner, avec vous, un exemple de constance au monde. Mais de plus grands intĂ©rĂÂȘts nous appellent; conquĂ©rir est notre destin; il faut le suivre peut-ĂÂȘtre au bout de la carriĂšre nous rencontrerons- nous encore; car, soit dit sans vous fĂÂącher, ma trĂšs belle Marquise, vous me suivez au moins d'un pas Ă©gal; et depuis que, nous sĂ©parant pour le bonheur du monde, nous prĂÂȘchons la foi chacun de notre cĂÂŽtĂ©, il me semble que dans cette mission d'amour, vous avez fait plus de prosĂ©lytes que moi. Je connais votre zĂšle, votre ardente ferveur; et si ce Dieu-lĂ nous jugeait sur nos Ă âuvres, vous seriez un jour la Patronne de quelque grande ville, tandis que votre ami serait au plus un Saint de village. Ce langage vous Ă©tonne, n'est-il pas vrai? Mais depuis huit jours, je n'en entends, je n'en parle pas d'autre; et c'est pour m'y perfectionner, que je me vois forcĂ© de vous dĂ©sobĂ©ir. Ne vous fĂÂąchez pas et Ă©coutez-moi. DĂ©positaire de tous les secrets de mon cĂ âur, je vais vous confier le plus grand projet que j'aie jamais formĂ©. Que me proposez-vous? de sĂ©duire une jeune fille qui n'a rien vu, ne connaĂt rien; qui, pour ainsi dire, me serait livrĂ©e sans dĂ©fense; qu'un premier hommage ne manquera pas d'enivrer et que la curiositĂ© mĂšnera peut-ĂÂȘtre plus vite que l'Amour. Vingt autres peuvent y rĂ©ussir comme moi. Il n'en est pas ainsi de l'entreprise qui m'occupe; son succĂšs m'assure autant de gloire que de plaisir l'Amour qui prĂ©pare ma couronne hĂ©site lui-mĂÂȘme entre le myrte et le laurier, ou plutĂÂŽt il les rĂ©unira pour honorer mon triomphe. Vous-mĂÂȘme, ma belle amie, vous serez saisie d'un saint respect, et vous direz avec enthousiasme " VoilĂ l'homme selon mon cĂ âur. " Vous connaissez la PrĂ©sidente Tourvel, sa dĂ©votion, son amour conjugal, ses principes austĂšres. VoilĂ ce que j'attaque; voilĂ l'ennemi digne de moi; voilĂ le but oĂÂč je prĂ©tends atteindre Et si de l'obtenir je n'emporte le prix, J'aurai du moins l'honneur de l'avoir entrepris. On peut citer de mauvais vers, quand ils sont d'un grand PoĂšte [La Fontaine]. Vous saurez donc que le PrĂ©sident est en Bourgogne, Ă la suite d'un grand procĂšs j'espĂšre lui en faire perdre un plus important. Son inconsolable moitiĂ© doit passer ici tout le temps de cet affligeant veuvage. Une messe chaque jour, quelques visites aux Pauvres du canton, des priĂšres du matin et du soir, des promenades solitaires, de pieux entretiens avec ma vieille tante, et quelquefois un triste Wisk, devaient ĂÂȘtre ses seules distractions. Je lui en prĂ©pare de plus efficaces. Mon bon Ange m'a conduit ici, pour son bonheur et pour le mien. InsensĂ©! je regrettais vingt-quatre heures que je sacrifiais Ă des Ă©gards d'usage. Combien on me punirait, en me forçant de retourner Ă Paris! Heureusement il faut ĂÂȘtre quatre pour jouer au Wisk; et comme il n'y a ici que le CurĂ© du lieu, mon Ă©ternelle tante m'a beaucoup pressĂ© de lui sacrifier quelques jours. Vous devinez que j'ai consenti. Vous n'imaginez pas combien elle me cajole depuis ce moment, combien surtout elle est Ă©difiĂ©e de me voir rĂ©guliĂšrement Ă ses priĂšres et Ă sa Messe. Elle ne se doute pas de la DivinitĂ© que j'y adore. Me voilĂ donc, depuis quatre jours, livrĂ© Ă une passion forte. Vous savez si je dĂ©sire vivement, si je dĂ©vore les obstacles mais ce que vous ignorez, c'est combien la solitude ajoute Ă l'ardeur du dĂ©sir. Je n'ai plus qu'une idĂ©e; j'y pense le jour, et j'y rĂÂȘve la nuit. J'ai bien besoin d'avoir cette femme, pour me sauver du ridicule d'en ĂÂȘtre amoureux car oĂÂč ne mĂšne pas un dĂ©sir contrariĂ©? Ăâ dĂ©licieuse jouissance! Je t'implore pour mon bonheur et surtout pour mon repos. Que nous sommes heureux que les femmes se dĂ©fendent si mal! nous ne serions auprĂšs d'elles que de timides esclaves. J'ai dans ce moment un sentiment de reconnaissance pour les femmes faciles, qui m'amĂšne naturellement Ă vos pieds. Je m'y prosterne pour obtenir mon pardon, et j'y finis cette trop longue Lettre. Adieu, ma trĂšs belle amie sans rancune. Du ChĂÂąteau de ..., 5 aoĂ»t 17** LETTRE V LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT Savez-vous, Vicomte, que votre Lettre est d'une insolence rare, et qu'il ne tiendrait qu'Ă moi de m'en fĂÂącher? mais elle m'a prouvĂ© clairement que vous aviez perdu la tĂÂȘte, et cela seul vous a sauvĂ© de mon indignation. Amie gĂ©nĂ©reuse et sensible, j'oublie mon injure pour ne m'occuper que de votre danger; et quelque ennuyeux qu'il soit de raisonner, je cĂšde au besoin que vous en avez dans ce moment. Vous, avoir la PrĂ©sidente de Tourvel! mais quel ridicule caprice! Je reconnais bien lĂ votre mauvaise tĂÂȘte qui ne sait dĂ©sirer que ce qu'elle croit ne pas pouvoir obtenir. Qu'est-ce donc que cette femme? des traits rĂ©guliers si vous voulez, mais nulle expression passablement faite, mais sans grĂÂąces toujours mise Ă faire rire! avec ses paquets de fichus sur la gorge, et son corps qui remonte au menton! Je vous le dis en amie, il ne vous faudrait pas deux femmes comme celle-lĂ , pour vous faire perdre toute votre considĂ©ration. Rappelez-vous donc ce jour oĂÂč elle quĂÂȘtait Ă Saint-Roch, et oĂÂč vous me remerciĂÂątes tant de vous avoir procurĂ© ce spectacle. Je crois la voir encore, donnant la main Ă ce grand Ă©chalas en cheveux longs, prĂÂȘte Ă tomber Ă chaque pas, ayant toujours son panier de quatre aunes sur la tĂÂȘte de quelqu'un, et rougissant Ă chaque rĂ©vĂ©rence. Qui vous eĂ»t dit alors vous dĂ©sirerez cette femme? Allons, Vicomte, rougissez vous-mĂÂȘme, et revenez Ă vous. Je vous promets le secret. Et puis, voyez donc les dĂ©sagrĂ©ments qui vous attendent! quel rival avez-vous Ă combattre? un mari! Ne vous sentez-vous pas humiliĂ© Ă ce seul mot? Quelle honte si vous Ă©chouez! et mĂÂȘme combien peu de gloire dans le succĂšs! Je dis plus; n'en espĂ©rez aucun plaisir. En est-il avec les prudes? j'entends celles de bonne foi rĂ©servĂ©es au sein mĂÂȘme du plaisir, elles ne vous offrent que des demi-jouissances. Cet entier abandon de soi-mĂÂȘme, ce dĂ©lire de la voluptĂ© oĂÂč le plaisir s'Ă©pure par son excĂšs, ces biens de l'Amour, ne sont pas connus d'elles. Je vous le prĂ©dis; dans la plus heureuse supposition, votre PrĂ©sidente croira avoir tout fait pour vous en vous traitant comme son mari, et dans le tĂÂȘte-Ă -tĂÂȘte conjugal le plus tendre, on reste toujours deux. Ici c'est bien pis encore; votre prude est dĂ©vote et de cette dĂ©votion de bonne femme qui condamne Ă une Ă©ternelle enfance. Peut-ĂÂȘtre surmonterez-vous cet obstacle, mais ne vous flattez pas de le dĂ©truire vainqueur de l'Amour de Dieu, vous ne le serez pas de la peur du Diable; et quand, tenant votre MaĂtresse dans vos bras, vous sentirez palpiter son cĂ âur, ce sera de crainte et non d'amour. Peut- ĂÂȘtre, si vous eussiez connu cette femme plus tĂÂŽt, en eussiez-vous pu faire quelque chose; mais cela a vingt-deux ans, et il y en a prĂšs de deux qu'elle est mariĂ©e. Croyez-moi, Vicomte, quand une femme s'est encroĂ»tĂ©e Ă ce point, il faut l'abandonner Ă son sort; ce ne sera jamais qu'une espĂšce . C'est pourtant pour ce bel objet que vous refusez de m'obĂ©ir, que vous vous enterrez dans le tombeau de votre tante, et que vous renoncez Ă l'aventure la plus dĂ©licieuse et la plus faite pour vous faire honneur. Par quelle fatalitĂ© faut- il donc que Gercourt garde toujours quelque avantage sur vous? Tenez, je vous en parle sans humeur mais, dans ce moment, je suis tentĂ©e de croire que vous ne mĂ©ritez pas votre rĂ©putation; je suis tentĂ©e surtout de vous retirer ma confiance. Je ne m'accoutumerai jamais Ă dire mes secrets Ă l'amant de Madame de Tourvel. Sachez pourtant que la petite Volanges a dĂ©jĂ fait tourner une tĂÂȘte. Le jeune Danceny en raffole. Il a chantĂ© avec elle; et en effet elle chante mieux qu'Ă une Pensionnaire n'appartient. Ils doivent rĂ©pĂ©ter beaucoup de Duos, et je crois qu'elle se mettrait volontiers Ă l'unisson mais ce Danceny est un enfant qui perdra son temps Ă faire l'Amour, et ne finira rien. La petite personne de son cĂÂŽtĂ© est assez farouche; et, Ă tout Ă©vĂ©nement, cela sera toujours beaucoup moins plaisant que vous n'auriez pu le rendre aussi j'ai de l'humeur, et sĂ»rement je querellerai le Chevalier Ă son arrivĂ©e. Je lui conseille d'ĂÂȘtre doux; car, dans ce moment, il ne m'en coĂ»terait rien de rompre avec lui. Je suis sĂ»re que si j'avais le bon esprit de le quitter Ă prĂ©sent, il en serait au dĂ©sespoir; et rien ne m'amuse comme un dĂ©sespoir amoureux. Il m'appellerait perfide, et ce mot de perfide m'a toujours fait plaisir; c'est, aprĂšs celui de cruelle, le plus doux Ă l'oreille d'une femme, et il est moins pĂ©nible Ă mĂ©riter. SĂ©rieusement, je vais m'occuper de cette rupture. VoilĂ pourtant de quoi vous ĂÂȘtes cause! aussi je le mets sur votre conscience. Adieu. Recommandez-moi aux priĂšres de votre PrĂ©sidente. Paris, ce 7 aoĂ»t 17** LETTRE VI LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Il n'est donc point de femme qui n'abuse de l'empire qu'elle a su prendre! Et vous-mĂÂȘme, vous que je nommai si souvent mon indulgente amie, vous cessez enfin de l'ĂÂȘtre, et vous ne craignez pas de m'attaquer dans l'objet de mes affections! De quels traits vous osez peindre Madame de Tourvel! quel homme n'eĂ»t point payĂ© de sa vie cette insolente audace? Ă quelle autre femme qu'Ă vous n'eĂ»t-elle valu au moins une noirceur? De grĂÂące, ne me mettez plus Ă d'aussi rudes Ă©preuves; je ne rĂ©pondrais pas de les soutenir. Au nom de l'amitiĂ©, attendez que j'aie eu cette femme, si vous voulez en mĂ©dire. Ne savez-vous pas que la seule voluptĂ© a le droit de dĂ©tacher le bandeau de l'Amour? Mais que dis-je? Madame de Tourvel a-t-elle besoin d'illusion? non; pour ĂÂȘtre adorable il lui suffit d'ĂÂȘtre elle-mĂÂȘme. Vous lui reprochez de se mettre mal; je le crois bien; toute parure lui nuit; tout ce qui la cache la dĂ©pare c'est dans l'abandon du nĂ©gligĂ© qu'elle est vraiment ravissante. GrĂÂące aux chaleurs accablantes que nous Ă©prouvons, un dĂ©shabillĂ© de simple toile me laisse voir sa taille ronde et souple. Une seule mousseline couvre sa gorge, et mes regards furtifs, mais pĂ©nĂ©trants, en ont dĂ©jĂ saisi les formes enchanteresses. Sa figure, dites-vous, n'a nulle expression. Et qu'exprimerait-elle, dans les moments oĂÂč rien ne parle Ă son cĂ âur? Non, sans doute, elle n'a point, comme nos femmes coquettes, ce regard menteur qui sĂ©duit quelquefois et nous trompe toujours. Elle ne sait pas couvrir le vide d'une phrase par un sourire Ă©tudiĂ©; et quoiqu'elle ait les plus belles dents du monde, elle ne rit que de ce qui l'amuse. Mais il faut voir comme, dans les folĂÂątres jeux, elle offre l'image d'une gaietĂ© naĂÂŻve et franche! comme, auprĂšs d'un malheureux qu'elle s'empresse de secourir, son regard annonce la joie pure et la bontĂ© compatissante! Il faut voir, surtout au moindre mot d'Ă©loge ou de cajolerie, se peindre, sur sa figure cĂ©leste, ce touchant embarras d'une modestie qui n'est point jouĂ©e! Elle est prude et dĂ©vote, et de lĂ vous la jugez froide et inanimĂ©e? Je pense bien diffĂ©remment. Quelle Ă©tonnante sensibilitĂ© ne faut-il pas avoir pour la rĂ©pandre jusque sur son mari, et pour aimer toujours un ĂÂȘtre toujours absent? Quelle preuve plus forte pourriez-vous dĂ©sirer? J'ai su pourtant m'en procurer une autre. J'ai dirigĂ© sa promenade de maniĂšre qu'il s'est trouvĂ© un fossĂ© Ă franchir; et, quoique fort leste, elle est encore plus timide vous jugez bien qu'une prude craint de sauter le fossĂ© [On reconnaĂt ici le mauvais goĂ»t des calembours, qui commençait Ă prendre, et qui depuis a fait tant de progrĂšs]. Il a fallu se confier Ă moi. J'ai tenu dans mes bras cette femme modeste. Nos prĂ©paratifs et le passage de ma vieille tante avaient fait rire aux Ă©clats la folĂÂątre DĂ©vote mais, dĂšs que je me fus emparĂ© d'elle, par une adroite gaucherie, nos bras s'enlacĂšrent mutuellement. Je pressai son sein contre le mien; et, dans ce court intervalle, je sentis son cĂ âur battre plus vite. L'aimable rougeur vint colorer son visage, et son modeste embarras m'apprit assez que son cĂ âur avait palpitĂ© d'amour et non de crainte . Ma tante cependant s'y trompa comme vous, et se mit Ă dire " L'enfant a eu peur " ; mais la charmante candeur de l'enfant ne lui permit pas le mensonge, et elle rĂ©pondit naĂÂŻvement " Oh non, mais!... " Ce seul mot m'a Ă©clairĂ©. DĂšs ce moment, le doux espoir a remplacĂ© la cruelle inquiĂ©tude. J'aurai cette femme; je l'enlĂšverai au mari qui la profane j'oserai la ravir au Dieu mĂÂȘme qu'elle adore. Quel dĂ©lice d'ĂÂȘtre tour Ă tour l'objet et le vainqueur de ses remords! Loin de moi l'idĂ©e de dĂ©truire les prĂ©jugĂ©s qui l'assiĂšgent! ils ajouteront Ă mon bonheur et Ă ma gloire. Qu'elle croie Ă la vertu, mais qu'elle me la sacrifie; que ses fautes l'Ă©pouvantent sans pouvoir l'arrĂÂȘter; et qu'agitĂ©e de mille terreurs, elle ne puisse les oublier, les vaincre que dans mes bras. Qu'alors, j'y consens, elle me dise " Je t'adore " , elle seule, entre toutes les femmes, sera digne de prononcer ce mot. Je serai vraiment le Dieu qu'elle aura prĂ©fĂ©rĂ©. Soyons de bonne foi; dans nos arrangements, aussi froids que faciles, ce que nous appelons bonheur est Ă peine un plaisir. Vous le dirai-je? je croyais mon cĂ âur flĂ©tri, et ne me trouvant plus que des sens, je me plaignais d'une vieillesse prĂ©maturĂ©e. Madame de Tourvel m'a rendu les charmantes illusions de la jeunesse. AuprĂšs d'elle, je n'ai pas besoin de jouir pour ĂÂȘtre heureux. La seule chose qui m'effraie, est le temps que va me prendre cette aventure; car je n'ose rien donner au hasard. J'ai beau me rappeler mes heureuses tĂ©mĂ©ritĂ©s, je ne puis me rĂ©soudre Ă les mettre en usage. Pour que je sois vraiment heureux, il faut qu'elle se donne; et ce n'est pas une petite affaire. Je suis sĂ»r que vous admireriez ma prudence. Je n'ai pas encore prononcĂ© le mot d'amour; mais dĂ©jĂ nous en sommes Ă ceux de confiance et d'intĂ©rĂÂȘt. Pour la tromper le moins possible, et surtout pour prĂ©venir l'effet des propos qui pourraient lui revenir, je lui ai racontĂ© moi-mĂÂȘme, et comme en m'accusant, quelques-uns de mes traits les plus connus. Vous ririez de voir avec quelle candeur elle me prĂÂȘche. Elle veut, dit-elle, me convertir. Elle ne se doute pas encore de ce qu'il lui en coĂ»tera pour le tenter. Elle est loin de penser qu'en plaidant , pour parler comme elle, pour les infortunĂ©es que j'ai perdues , elle parle d'avance dans sa propre cause. Cette idĂ©e me vint hier au milieu d'un de ses sermons, et je ne pus me refuser au plaisir de l'interrompre, pour l'assurer qu'elle parlait comme un prophĂšte. Adieu, ma trĂšs belle amie. Vous voyez que je ne suis pas perdu sans ressources. A propos, ce pauvre Chevalier, s'est-il tuĂ© de dĂ©sespoir? En vĂ©ritĂ©, vous ĂÂȘtes cent fois plus mauvais sujet que moi, et vous m'humilieriez si j'avais de l'amour-propre. Du ChĂÂąteau de ..., ce 9 aoĂ»t 17** LETTRE VII CECILE VOLANGES A SOPHIE CARNAY [Pour ne pas abuser de la patience du Lecteur, on supprime beaucoup de Lettres de cette Correspondance journaliĂšre; on ne donne que celles qui ont paru nĂ©cessaires Ă l'intelligence des Ă©vĂ©nements de cette sociĂ©tĂ©. C'est par le mĂÂȘme motif qu'on supprime aussi toutes les Lettres de Sophie Carnay et plusieurs de celles des autres Acteurs de ces aventures.] Si je ne t'ai rien dit de mon mariage, c'est que je ne suis pas plus instruite que le premier jour. Je m'accoutume Ă n'y plus penser et je me trouve assez bien de mon genre de vie. J'Ă©tudie beaucoup mon chant et ma harpe; il me semble que je les aime mieux depuis que je n'ai plus de MaĂtres, ou plutĂÂŽt c'est que j'en ai un meilleur. M. le Chevalier Danceny, ce Monsieur dont je t'ai parlĂ©, et avec qui j'ai chantĂ© chez Madame de Merteuil, a la complaisance de venir ici tous les jours, et de chanter avec moi des heures entiĂšres. Il est extrĂÂȘmement aimable. Il chante comme un Ange, et compose de trĂšs jolis airs dont il fait aussi les paroles. C'est bien dommage qu'il soit Chevalier de Malte! Il me semble que s'il se mariait, sa femme serait bien heureuse. Il a une douceur charmante. Il n'a jamais l'air de faire un compliment, et pourtant tout ce qu'il dit flatte. Il me reprend sans cesse, tant sur la musique que sur autre chose mais il mĂÂȘle Ă ses critiques tant d'intĂ©rĂÂȘt et de gaietĂ©, qu'il est impossible de ne pas lui en savoir grĂ©. Seulement quand il vous regarde, il a l'air de vous dire quelque chose d'obligeant. Il joint Ă tout cela d'ĂÂȘtre trĂšs complaisant. Par exemple, hier, il Ă©tait priĂ© d'un grand concert; il a prĂ©fĂ©rĂ© de rester toute la soirĂ©e chez Maman. Cela m'a fait bien plaisir; car quand il n'y est pas, personne ne me parle, et je m'ennuie au lieu que quand il y est, nous chantons et nous causons ensemble. Il a toujours quelque chose Ă me dire. Lui et Madame de Merteuil sont les deux seules personnes que je trouve aimables. Mais adieu, ma chĂšre amie j'ai promis que je saurais pour aujourd'hui une ariette dont l'accompagnement est trĂšs difficile, et je ne veux pas manquer de parole. Je vais me remettre Ă l'Ă©tude jusqu'Ă ce qu'il vienne. De ..., ce 7 aoĂ»t 17** LETTRE VIII LA PRESIDENTE DE TOURVEL A MADAME DE VOLANGES On ne peut ĂÂȘtre plus sensible que je le suis, Madame, Ă la confiance que vous me tĂ©moignez, ni prendre plus d'intĂ©rĂÂȘt que moi Ă l'Ă©tablissement de Mademoiselle de Volanges. C'est bien de toute mon ĂÂąme que je lui souhaite une fĂ©licitĂ© dont je ne doute pas qu'elle ne soit digne, et sur laquelle je m'en rapporte bien Ă votre prudence. Je ne connais point M. le Comte de Gercourt; mais, honorĂ© de votre choix, je ne puis prendre de lui qu'une idĂ©e trĂšs avantageuse. Je me borne, Madame, Ă souhaiter Ă ce mariage un succĂšs aussi heureux qu'au mien, qui est pareillement votre ouvrage, et pour lequel chaque jour ajoute Ă ma reconnaissance. Que le bonheur de Mademoiselle votre fille soit la rĂ©compense de celui que vous m'avez procurĂ©; et puisse la meilleure des amies ĂÂȘtre aussi la plus heureuse des mĂšres! Je suis vraiment peinĂ©e de ne pouvoir vous offrir de vive voix l'hommage de ce vĂ âu sincĂšre, et faire, aussi tĂÂŽt que je le dĂ©sirerais, connaissance avec Mademoiselle de Volanges. AprĂšs avoir Ă©prouvĂ© vos bontĂ©s vraiment maternelles, j'ai droit d'espĂ©rer d'elle l'amitiĂ© tendre d'une sĂ âur. Je vous prie, Madame, de vouloir bien la lui demander de ma part, en attendant que je me trouve Ă portĂ©e de la mĂ©riter. Je compte rester Ă la campagne tout le temps de l'absence de M. de Tourvel. J'ai pris ce temps pour jouir et profiter de la sociĂ©tĂ© de la respectable Madame de Rosemonde. Cette femme est toujours charmante son grand ĂÂąge ne lui fait rien perdre; elle conserve toute sa mĂ©moire et sa gaietĂ©. Son corps seul a quatre-vingt-quatre ans; son esprit n'en a que vingt. Notre retraite est Ă©gayĂ©e par son neveu le Vicomte de Valmont, qui a bien voulu nous sacrifier quelques jours. Je ne le connaissais que de rĂ©putation, et elle me faisait peu dĂ©sirer de le connaĂtre davantage mais il me semble qu'il vaut mieux qu'elle. Ici, oĂÂč le tourbillon du monde ne le gĂÂąte pas, il parle raison avec une facilitĂ© Ă©tonnante, et il s'accuse de ses torts avec une candeur rare. Il me parle avec beaucoup de confiance, et je le prĂÂȘche avec beaucoup de sĂ©vĂ©ritĂ©. Vous qui le connaissez, vous conviendrez que ce serait une belle conversion Ă faire mais je ne doute pas, malgrĂ© ses promesses, que huit jours de Paris ne lui fassent oublier tous mes sermons. Le sĂ©jour qu'il fera ici sera au moins autant de retranchĂ© sur sa conduite ordinaire et je crois que, d'aprĂšs sa façon de vivre, ce qu'il peut faire de mieux est de ne rien faire du tout. Il sait que je suis occupĂ©e Ă vous Ă©crire, et il m'a chargĂ©e de vous prĂ©senter ses respectueux hommages. Recevez aussi le mien avec la bontĂ© que je vous connais, et ne doutez jamais des sentiments sincĂšres avec lesquels j'ai l'honneur d'ĂÂȘtre, etc. Du ChĂÂąteau de ..., ce 9 aoĂ»t 17** LETTRE IX MADAME DE VOLANGES A LA PRESIDENTE DE TOURVEL Je n'ai jamais doutĂ©, ma jeune et belle amie, ni de l'amitiĂ© que vous avez pour moi, ni de l'intĂ©rĂÂȘt sincĂšre que vous prenez Ă tout ce qui me regarde. Ce n'est pas pour Ă©claircir ce point, que j'espĂšre convenu Ă jamais entre nous, que je rĂ©ponds Ă votre RĂ©ponse mais je ne crois pas pouvoir me dispenser de causer avec vous au sujet du Vicomte de Valmont. Je ne m'attendais pas, je l'avoue, Ă trouver jamais ce nom-lĂ dans vos Lettres. En effet, que peut-il y avoir de commun entre vous et lui? Vous ne connaissez pas cet homme; oĂÂč auriez-vous pris l'idĂ©e de l'ĂÂąme d'un libertin? Vous me parlez de sa rare candeur oh! oui; la candeur de Valmont doit ĂÂȘtre en effet trĂšs rare. Encore plus faux et dangereux qu'il n'est aimable et sĂ©duisant, jamais depuis sa plus grande jeunesse, il n'a fait un pas ou dit une parole sans avoir un projet, et jamais il n'eut un projet qui ne fĂ»t malhonnĂÂȘte ou criminel. Mon amie, vous me connaissez; vous savez si, des vertus que je tĂÂąche d'acquĂ©rir, l'indulgence n'est pas celle que je chĂ©ris le plus. Aussi, si Valmont Ă©tait entraĂnĂ© par des passions fougueuses; si, comme mille autres, il Ă©tait sĂ©duit par les erreurs de son ĂÂąge, blĂÂąmant sa conduite je plaindrais sa personne, et j'attendrais, en silence, le temps oĂÂč un retour heureux lui rendrait l'estime des gens honnĂÂȘtes. Mais Valmont n'est pas cela sa conduite est le rĂ©sultat de ses principes. Il sait calculer tout ce qu'un homme peut se permettre d'horreurs, sans se compromettre; et pour ĂÂȘtre cruel et mĂ©chant sans danger, il a choisi les femmes pour victimes. Je ne m'arrĂÂȘte pas Ă compter celles qu'il a sĂ©duites mais combien n'en a-t-il pas perdues? Dans la vie sage et retirĂ©e que vous menez, ces scandaleuses aventures ne parviennent pas jusqu'Ă vous. Je pourrais vous en raconter qui vous feraient frĂ©mir; mais vos regards, purs comme votre ĂÂąme, seraient souillĂ©s par de semblables tableaux sĂ»re que Valmont ne sera jamais dangereux pour vous, vous n'avez pas besoin de pareilles armes pour vous dĂ©fendre. La seule chose que j'ai Ă vous dire, c'est que, de toutes les femmes auxquelles il a rendu des soins, succĂšs ou non, il n'en est point qui n'aient eu Ă s'en plaindre. La seule Marquise de Merteuil fait l'exception Ă cette rĂšgle gĂ©nĂ©rale; seule, elle a su lui rĂ©sister et enchaĂner sa mĂ©chancetĂ©. J'avoue que ce trait de sa vie est celui qui lui fait le plus d'honneur Ă mes yeux aussi a-t-il suffi pour la justifier pleinement aux yeux de tous, de quelques inconsĂ©quences qu'on avait Ă lui reprocher dans le dĂ©but de son veuvage. [L'erreur oĂÂč est Madame de Volanges nous fait voir qu'ainsi que les autres scĂ©lĂ©rats Valmont ne dĂ©celait pas ses complices.] Quoi qu'il en soit, ma belle amie, ce que l'ĂÂąge, l'expĂ©rience et surtout l'amitiĂ©, m'autorisent Ă vous reprĂ©senter, c'est qu'on commence Ă s'apercevoir dans le monde de l'absence de Valmont; et que si on sait qu'il soit restĂ© quelque temps en tiers entre sa tante et vous, votre rĂ©putation sera entre ses mains; malheur le plus grand qui puisse arriver Ă une femme. Je vous conseille donc d'engager sa tante Ă ne pas le retenir davantage; et s'il s'obstine Ă rester, je crois que vous ne devez pas hĂ©siter Ă lui cĂ©der la place. Mais pourquoi resterait-il? que fait-il donc Ă cette campagne? Si vous faisiez Ă©pier ses dĂ©marches, je suis sĂ»re que vous dĂ©couvririez qu'il n'a fait que prendre un asile plus commode, pour quelques noirceurs qu'il mĂ©dite dans les environs. Mais, dans l'impossibilitĂ© de remĂ©dier au mal, contentons-nous de nous en garantir. Adieu, ma belle amie; voilĂ le mariage de ma fille un peu retardĂ©. Le Comte de Gercourt, que nous attendions d'un jour Ă l'autre, me mande que son RĂ©giment passe en Corse; et comme il y a encore des mouvements de guerre, il lui sera impossible de s'absenter avant l'hiver. Cela me contrarie; mais cela me fait espĂ©rer que nous aurons le plaisir de vous voir Ă la noce, et j'Ă©tais fĂÂąchĂ©e qu'elle se fĂt sans vous. Adieu; je suis, sans compliment comme sans rĂ©serve, entiĂšrement Ă vous. Rappelez-moi au souvenir de Madame de Rosemonde, que j'aime toujours autant qu'elle le mĂ©rite. De ..., ce 11 aoĂ»t 17** LETTRE X LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT Me boudez-vous, Vicomte? ou bien ĂÂȘtes-vous mort? ou, ce qui y ressemblerait beaucoup, ne vivez-vous plus que pour votre PrĂ©sidente? Cette femme, qui vous a rendu les illusions de la jeunesse , vous en rendra bientĂÂŽt aussi les ridicules prĂ©jugĂ©s. DĂ©jĂ vous voilĂ timide et esclave; autant vaudrait ĂÂȘtre amoureux. Vous renoncez Ă vos heureuses tĂ©mĂ©ritĂ©s . Vous voilĂ donc vous conduisant sans principes, et donnant tout au hasard, ou plutĂÂŽt au caprice. Ne vous souvient-il plus que l'Amour est, comme la mĂ©decine, seulement l'art d'aider la Nature ? Vous voyez que je vous bats avec vos armes mais je n'en prendrai pas d'orgueil; car c'est bien battre un homme Ă terre. Il faut qu'elle se donne , me dites-vous eh! sans doute, il le faut; aussi se donnera-t-elle comme les autres, avec cette diffĂ©rence que ce sera de mauvaise grĂÂące. Mais, pour qu'elle finisse par se donner, le vrai moyen est de commencer par la prendre. Que cette ridicule distinction est bien un vrai dĂ©raisonnement de l'Amour! Je dis l'Amour; car vous ĂÂȘtes amoureux. Vous parler autrement, ce serait vous trahir; ce serait vous cacher votre mal. Dites-moi donc, amant langoureux, ces femmes que vous avez eues, croyez- vous les avoir violĂ©es? Mais, quelque envie qu'on ait de se donner, quelque pressĂ©e que l'on en soit, encore faut-il un prĂ©texte; et y en a-t-il de plus commode pour nous, que celui qui nous donne l'air de cĂ©der Ă la force? Pour moi, je l'avoue, une des choses qui me flattent le plus, est une attaque vive et bien faite, oĂÂč tout se succĂšde avec ordre quoique avec rapiditĂ©; qui ne nous met jamais dans ce pĂ©nible embarras de rĂ©parer nous-mĂÂȘmes une gaucherie dont au contraire nous aurions dĂ» profiter; qui sait garder l'air de la violence jusque dans les choses que nous accordons, et flatter avec adresse nos deux passions favorites, la gloire de la dĂ©fense et le plaisir de la dĂ©faite. Je conviens que ce talent, plus rare que l'on ne croit, m'a toujours fait plaisir, mĂÂȘme alors qu'il ne m'a pas sĂ©duite, et que quelquefois il m'est arrivĂ© de me rendre, uniquement comme rĂ©compense. Telle dans nos anciens Tournois, la BeautĂ© donnait le prix de la valeur et de l'adresse. Mais vous, vous qui n'ĂÂȘtes plus vous, vous vous conduisez comme si vous aviez peur de rĂ©ussir. Eh! depuis quand voyagez-vous Ă petites journĂ©es et par des chemins de traverse? Mon ami, quand on veut arriver, des chevaux de poste et la grande route! Mais laissons ce sujet, qui me donne d'autant plus d'humeur, qu'il me prive du plaisir de vous voir. Au moins Ă©crivez-moi plus souvent que vous ne faites, et mettez-moi au courant de vos progrĂšs. Savez- vous que voilĂ plus de quinze jours que cette ridicule aventure vous occupe, et que vous nĂ©gligez tout le monde? A propos de nĂ©gligence, vous ressemblez aux gens qui envoient rĂ©guliĂšrement savoir des nouvelles de leurs amis malades, mais qui ne se font jamais rendre la rĂ©ponse. Vous finissez votre derniĂšre Lettre par me demander si le Chevalier est mort. Je ne rĂ©ponds pas, et vous ne vous en inquiĂ©tez pas davantage. Ne savez-vous plus que mon amant est votre ami-nĂ©? Mais rassurez-vous, il n'est point mort; ou s'il l'Ă©tait, ce serait de l'excĂšs de sa joie. Ce pauvre Chevalier, comme il est tendre! comme il est fait pour l'Amour! comme il sait sentir vivement! la tĂÂȘte m'en tourne. SĂ©rieusement, le bonheur parfait qu'il trouve Ă ĂÂȘtre aimĂ© de moi m'attache vĂ©ritablement Ă lui. Ce mĂÂȘme jour, oĂÂč je vous Ă©crivais que j'allais travailler Ă notre rupture, combien je le rendis heureux! Je m'occupais pourtant tout de bon des moyens de le dĂ©sespĂ©rer, quand on me l'annonça. Soit caprice ou raison, jamais il ne me parut si bien. Je le reçus cependant avec humeur. Il espĂ©rait passer deux heures avec moi, avant celle oĂÂč ma porte serait ouverte Ă tout le monde. Je lui dis que j'allais sortir il me demanda oĂÂč j'allais; je refusai de le lui apprendre. Il insista; oĂÂč vous ne serez pas , repris-je, avec aigreur. Heureusement pour lui, il resta pĂ©trifiĂ© de cette rĂ©ponse; car, s'il eĂ»t dit un mot, il s'ensuivait immanquablement une scĂšne qui eĂ»t amenĂ© la rupture que j'avais projetĂ©e. EtonnĂ©e de son silence, je jetai les yeux sur lui sans autre projet, je vous jure, que de voir la mine qu'il faisait. Je retrouvai sur cette charmante figure, cette tristesse, Ă la fois profonde et tendre, Ă laquelle vous-mĂÂȘme ĂÂȘtes convenu qu'il Ă©tait si difficile de rĂ©sister. La mĂÂȘme cause produisit le mĂÂȘme effet; je fus vaincue une seconde fois. DĂšs ce moment, je ne m'occupai plus que des moyens d'Ă©viter qu'il pĂ»t me trouver un tort. " Je sors pour affaire, lui dis-je avec un air un peu plus doux, et mĂÂȘme cette affaire vous regarde; mais ne m'interrogez pas. Je souperai chez moi; revenez, et vous serez instruit. " Alors il retrouva la parole; mais je ne lui permis pas d'en faire usage. " Je suis trĂšs pressĂ©e, continuai-je. Laissez-moi; Ă ce soir. " Il baisa ma main et sortit. AussitĂÂŽt, pour le dĂ©dommager, peut-ĂÂȘtre pour me dĂ©dommager moi-mĂÂȘme, je me dĂ©cide Ă lui faire connaĂtre ma petite maison dont il ne se doutait pas. J'appelle ma fidĂšle Victoire . J'ai ma migraine; je me couche pour tous mes gens; et, restĂ©e enfin seule avec la vĂ©ritable , tandis qu'elle se travestit en Laquais, je fais une toilette de Femme de chambre. Elle fait ensuite venir un fiacre Ă la porte de mon jardin, et nous voilĂ parties. ArrivĂ©e dans ce temple de l'Amour, je choisis le dĂ©shabillĂ© le plus galant. Celui-ci est dĂ©licieux; il est de mon invention il ne laisse rien voir, et pourtant fait tout deviner. Je vous en promets un modĂšle pour votre PrĂ©sidente, quand vous l'aurez rendue digne de le porter. AprĂšs ces prĂ©paratifs, pendant que Victoire s'occupe des autres dĂ©tails, je lis un chapitre du Sopha , une Lettre d' HĂ©loĂÂŻse et deux Contes de La Fontaine, pour recorder les diffĂ©rents tons que je voulais prendre. Cependant mon Chevalier arrive Ă ma porte, avec l'empressement qu'il a toujours. Mon Suisse la lui refuse, et lui apprend que je suis malade premier incident. Il lui remet en mĂÂȘme temps un billet de moi, mais non de mon Ă©criture, suivant ma prudente rĂšgle. Il l'ouvre, et y trouve de la main de Victoire " A neuf heures prĂ©cises, au Boulevard, devant les CafĂ©s. " Il s'y rend; et lĂ , un petit Laquais qu'il ne connaĂt pas, qu'il croit au moins ne pas connaĂtre, car c'Ă©tait toujours Victoire, vient lui annoncer qu'il faut renvoyer sa voiture et le suivre. Toute cette marche romanesque lui Ă©chauffait la tĂÂȘte d'autant, et la tĂÂȘte Ă©chauffĂ©e ne nuit Ă rien. Il arrive enfin, et la surprise et l'Amour causaient en lui un vĂ©ritable enchantement. Pour lui donner le temps de se remettre, nous nous promenons un moment dans le bosquet; puis je le ramĂšne vers la maison. Il voit d'abord deux couverts mis ensuite un lit fait. Nous passons jusqu'au boudoir, qui Ă©tait dans toute sa parure. LĂ , moitiĂ© rĂ©flexion, moitiĂ© sentiment, je passai mes bras autour de lui et me laissai tomber Ă ses genoux. " O mon ami, lui dis-je, pour vouloir te mĂ©nager la surprise de ce moment, je me reproche de t'avoir affligĂ© par l'apparence de l'humeur, d'avoir pu un instant voiler mon cĂ âur Ă tes regards. Pardonne-moi mes torts je veux les expier Ă force d'amour. " Vous jugez de l'effet de ce discours sentimental. L'heureux Chevalier me releva et mon pardon fut scellĂ© sur cette mĂÂȘme ottomane oĂÂč vous et moi scellĂÂąmes si gaiement et de la mĂÂȘme maniĂšre notre Ă©ternelle rupture. Comme nous avions six heures Ă passer ensemble, et que j'avais rĂ©solu que tout ce temps fĂ»t pour lui Ă©galement dĂ©licieux, je modĂ©rai ses transports, et l'aimable coquetterie vint remplacer la tendresse. Je ne crois pas avoir jamais mis tant de soin Ă plaire, ni avoir Ă©tĂ© jamais aussi contente de moi. AprĂšs le souper, tour Ă tour enfant et raisonnable, folĂÂątre et sensible, quelquefois mĂÂȘme libertine, je me plaisais Ă le considĂ©rer comme un Sultan au milieu de son SĂ©rail, dont j'Ă©tais tour Ă tour les Favorites diffĂ©rentes. En effet, ses hommages rĂ©itĂ©rĂ©s, quoique toujours reçus par la mĂÂȘme femme, le furent toujours par une MaĂtresse nouvelle. Enfin au point du jour il fallut se sĂ©parer; et, quoi qu'il dĂt, quoi qu'il fĂt mĂÂȘme pour me prouver le contraire, il en avait autant de besoin que peu d'envie. Au moment oĂÂč nous sortĂmes et pour dernier adieu, je pris la clef de cet heureux sĂ©jour, et la lui remettant entre les mains " Je ne l'ai eue que pour vous, lui dis-je; il est juste que vous en soyez maĂtre c'est au Sacrificateur Ă disposer du Temple. " C'est par cette adresse que j'ai prĂ©venu les rĂ©flexions qu'aurait pu lui faire naĂtre la propriĂ©tĂ©, toujours suspecte, d'une petite maison. Je le connais assez, pour ĂÂȘtre sĂ»re qu'il ne s'en servira que pour moi; et si la fantaisie me prenait d'y aller sans lui, il me reste bien une double clef. Il voulait Ă toute force prendre jour pour y revenir; mais je l'aime trop encore, pour vouloir l'user si vite. Il ne faut se permettre d'excĂšs qu'avec les gens qu'on veut quitter bientĂÂŽt. Il ne sait pas cela, lui; mais, pour son bonheur, je le sais pour deux. Je m'aperçois qu'il est trois heures du matin, et que j'ai Ă©crit un volume, ayant le projet de n'Ă©crire qu'un mot. Tel est le charme de la confiante amitiĂ© c'est elle qui fait que vous ĂÂȘtes toujours ce que j'aime le mieux, mais, en vĂ©ritĂ©, le Chevalier est ce qui me plaĂt davantage. De ..., ce 12 aoĂ»t 17** LETTRE XI LA PRESIDENTE DE TOURVEL A MADAME DE VOLANGES Votre Lettre sĂ©vĂšre m'aurait effrayĂ©e, Madame, si, par bonheur, je n'avais trouvĂ© ici plus de motifs de sĂ©curitĂ© que vous ne m'en donnez de crainte. Ce redoutable M. de Valmont, qui doit ĂÂȘtre la terreur de toutes les femmes, paraĂt avoir dĂ©posĂ© ses armes meurtriĂšres, avant d'entrer dans ce ChĂÂąteau. Loin d'y former des projets, il n'y a pas mĂÂȘme portĂ© de prĂ©tentions; et la qualitĂ© d'homme aimable que ses ennemis mĂÂȘmes lui accordent, disparaĂt presque ici, pour ne lui laisser que celle de bon enfant. C'est apparemment l'air de la campagne qui a produit ce miracle. Ce que je vous puis assurer, c'est qu'Ă©tant sans cesse avec moi, paraissant mĂÂȘme s'y plaire, il ne lui est pas Ă©chappĂ© un mot qui ressemble Ă l'Amour, pas une de ces phrases que tous les hommes se permettent, sans avoir, comme lui, ce qu'il faut pour les justifier. Jamais il n'oblige Ă cette rĂ©serve, dans laquelle toute femme qui se respecte est forcĂ©e de se tenir aujourd'hui, pour contenir les hommes qui l'entourent. Il sait ne point abuser de la gaietĂ© qu'il inspire. Il est peut-ĂÂȘtre un peu louangeur; mais c'est avec tant de dĂ©licatesse qu'il accoutumerait la modestie mĂÂȘme Ă l'Ă©loge. Enfin, si j'avais un frĂšre, je dĂ©sirerais qu'il fĂ»t tel que M. de Valmont se montre ici. Peut-ĂÂȘtre beaucoup de femmes lui dĂ©sireraient une galanterie plus marquĂ©e; et j'avoue que je lui sais un grĂ© infini d'avoir su me juger assez bien pour ne pas me confondre avec elles. Ce portrait diffĂšre beaucoup sans doute de celui que vous me faites; et, malgrĂ© cela, tous deux peuvent ĂÂȘtre ressemblants en fixant les Ă©poques. Lui- mĂÂȘme convient d'avoir eu beaucoup de torts, et on lui en aura bien aussi prĂÂȘtĂ© quelques-uns. Mais j'ai rencontrĂ© peu d'hommes qui parlassent des femmes honnĂÂȘtes avec plus de respect, je dirais presque d'enthousiasme. Vous m'apprenez qu'au moins sur cet objet il ne trompe pas. Sa conduite avec Madame de Merteuil en est une preuve. Il nous en parle beaucoup; et c'est toujours avec tant d'Ă©loges et l'air d'un attachement si vrai, que j'ai cru, jusqu'Ă la rĂ©ception de votre Lettre, que ce qu'il appelait amitiĂ© entre eux deux Ă©tait bien rĂ©ellement de l'Amour. Je m'accuse de ce jugement tĂ©mĂ©raire, dans lequel j'ai eu d'autant plus de tort, que lui-mĂÂȘme a pris souvent le soin de la justifier. J'avoue que je ne regardais que comme finesse, ce qui Ă©tait de sa part une honnĂÂȘte sincĂ©ritĂ©. Je ne sais; mais il me semble que celui qui est capable d'une amitiĂ© aussi suivie pour une femme aussi estimable, n'est pas un libertin sans retour. J'ignore au reste si nous devons la conduite sage qu'il tient ici Ă quelques projets dans les environs, comme vous le supposez. Il y a bien quelques femmes aimables Ă la ronde; mais il sort peu, exceptĂ© le matin, et alors il dit qu'il va Ă la chasse. Il est vrai qu'il rapporte rarement du gibier; mais il assure qu'il est maladroit Ă cet exercice. D'ailleurs, ce qu'il peut faire au- dehors m'inquiĂšte peu; et si je dĂ©sirais le savoir, ce ne serait que pour avoir une raison de plus de me rapprocher de votre avis ou de vous ramener au mien. Sur ce que vous me proposez de travailler Ă abrĂ©ger le sĂ©jour que M. de Valmont compte faire ici, il me paraĂt bien difficile d'oser demander Ă sa tante de ne pas avoir son neveu chez elle, d'autant qu'elle l'aime beaucoup. Je vous promets pourtant, mais seulement par dĂ©fĂ©rence et non par besoin, de saisir l'occasion de faire cette demande, soit Ă elle, soit Ă lui-mĂÂȘme. Quant Ă moi, M. de Tourvel est instruit de mon projet de rester ici jusqu'Ă son retour, et il s'Ă©tonnerait, avec raison, de la lĂ©gĂšretĂ© qui m'en ferait changer. VoilĂ , Madame, de bien longs Ă©claircissements mais j'ai cru devoir Ă la vĂ©ritĂ© un tĂ©moignage avantageux Ă M. de Valmont, et dont il me paraĂt avoir grand besoin auprĂšs de vous. Je n'en suis pas moins sensible Ă l'amitiĂ© qui a dictĂ© vos conseils. C'est Ă elle que je dois aussi ce que vous me dites d'obligeant Ă l'occasion du retard du mariage de Mademoiselle votre fille. Je vous en remercie bien sincĂšrement mais, quelque plaisir que je me promette Ă passer ces moments avec vous, je les sacrifierais de bien bon cĂ âur au dĂ©sir de savoir Mademoiselle de Volanges plus tĂÂŽt heureuse, si pourtant elle peut jamais l'ĂÂȘtre plus qu'auprĂšs d'une mĂšre aussi digne de toute sa tendresse et de son respect. Je partage avec elle ces deux sentiments qui m'attachent Ă vous, et je vous prie d'en recevoir l'assurance avec bontĂ©. J'ai l'honneur d'ĂÂȘtre, etc. De ..., ce 13 aoĂ»t 17** LETTRE XII CECILE VOLANGES A LA MARQUISE DE MERTEUIL Maman est incommodĂ©e, Madame; elle ne sortira point, et il faut que je lui tienne compagnie ainsi je n'aurai pas l'honneur de vous accompagner Ă l'OpĂ©ra. Je vous assure que je regrette bien plus de ne pas ĂÂȘtre avec vous que le Spectacle. Je vous prie d'en ĂÂȘtre persuadĂ©e. Je vous aime tant! Voudriez- vous bien dire Ă M. le Chevalier Danceny que je n'ai point le Recueil dont il m'a parlĂ©, et que s'il peut me l'apporter demain, il me fera grand plaisir. S'il vient aujourd'hui, on lui dira que nous n'y sommes pas; mais c'est que Maman ne veut recevoir personne. J'espĂšre qu'elle se portera mieux demain. J'ai l'honneur d'ĂÂȘtre, etc. De ..., ce 13 aoĂ»t 17** LETTRE XIII LA MARQUISE DE MERTEUIL A CECILE VOLANGES Je suis trĂšs fĂÂąchĂ©e, ma belle, et d'ĂÂȘtre privĂ©e du plaisir de vous voir, et de la cause de cette privation. J'espĂšre que cette occasion se retrouvera. Je m'acquitterai de votre commission auprĂšs du Chevalier Danceny, qui sera sĂ»rement trĂšs fĂÂąchĂ© de savoir votre Maman malade. Si elle veut me recevoir demain, j'irai lui tenir compagnie. Nous attaquerons, elle et moi, le Chevalier de Belleroche. [C'est le mĂÂȘme dont il est question dans les lettres de Madame de Merteuil] au piquet; et, en lui gagnant son argent, nous aurons, pour surcroĂt de plaisir, celui de vous entendre chanter avec votre aimable MaĂtre, Ă qui je le proposerai. Si cela convient Ă votre Maman et Ă vous, je rĂ©ponds de moi et de mes deux Chevaliers. Adieu, ma belle; mes compliments Ă ma chĂšre Madame de Volanges. Je vous embrasse bien tendrement. De ..., ce 13 aoĂ»t 17** LETTRE XIV CECILE VOLANGES A SOPHIE CARNAY Je ne t'ai pas Ă©crit hier, ma chĂšre Sophie mais ce n'est pas le plaisir qui en est cause; je t'en assure bien. Maman Ă©tait malade, et je ne l'ai pas quittĂ©e de la journĂ©e. Le soir, quand je me suis retirĂ©e, je n'avais cĂ âur Ă rien du tout; et je me suis couchĂ©e bien vite, pour m'assurer que la journĂ©e Ă©tait finie; jamais je n'en avais passĂ© de si longue. Ce n'est pas que je n'aime bien Maman; mais je ne sais pas ce que c'Ă©tait. Je devais aller Ă l'OpĂ©ra avec Madame de Merteuil; le Chevalier Danceny devait y ĂÂȘtre. Tu sais bien que ce sont les deux personnes que j'aime le mieux. Quand l'heure oĂÂč j'aurais dĂ» y ĂÂȘtre aussi est arrivĂ©e, mon cĂ âur s'est serrĂ© malgrĂ© moi. Je me dĂ©plaisais Ă tout, et j'ai pleurĂ©, pleurĂ©, sans pouvoir m'en empĂÂȘcher. Heureusement Maman Ă©tait couchĂ©e, et ne pouvait pas me voir. Je suis bien sĂ»re que le Chevalier Danceny aura Ă©tĂ© fĂÂąchĂ© aussi; mais il aura Ă©tĂ© distrait par le Spectacle et par tout le monde c'est bien diffĂ©rent. Par bonheur, Maman va mieux aujourd'hui, et Madame de Merteuil viendra avec une autre personne et le Chevalier Danceny mais elle arrive toujours bien tard, Madame de Merteuil; et quand on est si longtemps toute seule, c'est bien ennuyeux. Il n'est encore qu'onze heures. Il est vrai qu'il faut que je joue de la harpe; et puis ma toilette me prendra un peu de temps, car je veux ĂÂȘtre bien coiffĂ©e aujourd'hui. Je crois que la MĂšre PerpĂ©tue a raison, et qu'on devient coquette dĂšs qu'on est dans le monde. Je n'ai jamais eu tant d'envie d'ĂÂȘtre jolie que depuis quelques jours, et je trouve que je ne le suis pas autant que je le croyais; et puis, auprĂšs des femmes qui ont du rouge, on perd beaucoup. Madame de Merteuil, par exemple, je vois bien que tous les hommes la trouvent plus jolie que moi cela ne me fĂÂąche pas beaucoup, parce qu'elle m'aime bien; et puis elle assure que le Chevalier Danceny me trouve plus jolie qu'elle. C'est bien honnĂÂȘte Ă elle de me l'avoir dit! elle avait mĂÂȘme l'air d'en ĂÂȘtre bien aise. Par exemple, je ne conçois pas ça. C'est qu'elle m'aime tant! et lui!... oh! ça m'a fait bien plaisir! aussi, c'est qu'il me semble que rien que le regarder suffit pour embellir. Je le regarderais toujours, si je ne craignais de rencontrer ses yeux car, toutes les fois que cela m'arrive, cela me dĂ©contenance, et me fait comme de la peine; mais ça ne fait rien. Adieu, ma chĂšre amie; je vais me mettre Ă ma toilette. Je t'aime toujours comme de coutume. Paris, ce 14 aoĂ»t 17** LETTRE XV LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Il est bien honnĂÂȘte Ă vous de ne pas m'abandonner Ă mon triste sort. La vie que je mĂšne ici est rĂ©ellement fatigante, par l'excĂšs de son repos et son insipide uniformitĂ©. En lisant votre Lettre et le dĂ©tail de votre charmante journĂ©e, j'ai Ă©tĂ© tentĂ© vingt fois de prĂ©texter une affaire, de voler Ă vos pieds, et de vous y demander, en ma faveur, une infidĂ©litĂ© Ă votre Chevalier, qui, aprĂšs tout, ne mĂ©rite pas son bonheur. Savez-vous que vous m'avez rendu jaloux de lui? Que me parlez-vous d'Ă©ternelle rupture? J'abjure ce serment, prononcĂ© dans le dĂ©lire nous n'aurions pas Ă©tĂ© dignes de le faire, si nous eussions dĂ» le garder. Ah! que je puisse un jour me venger dans vos bras, du dĂ©pit involontaire que m'a causĂ© le bonheur du Chevalier! Je suis indignĂ©, je l'avoue, quand je songe que cet homme, sans raisonner, sans se donner la moindre peine, en suivant tout bĂÂȘtement l'instinct de son cĂ âur, trouve une fĂ©licitĂ© Ă laquelle je ne puis atteindre. Oh! je la troublerai... Promettez-moi que je la troublerai. Vous-mĂÂȘme n'ĂÂȘtes-vous pas humiliĂ©e? Vous vous donnez la peine de le tromper, et il est plus heureux que vous. Vous le croyez dans vos chaĂnes! C'est bien vous qui ĂÂȘtes dans les siennes. Il dort tranquillement, tandis que vous veillez pour ses plaisirs. Que ferait de plus son esclave? Tenez, ma belle amie, tant que vous vous partagez entre plusieurs, je n'ai pas la moindre jalousie je ne vois alors dans vos Amants que les successeurs d'Alexandre, incapables de conserver entre eux tous cet empire oĂÂč je rĂ©gnais seul. Mais que vous vous donniez entiĂšrement Ă un d'eux! qu'il existe un autre homme aussi heureux que moi! je ne le souffrirai pas; n'espĂ©rez pas que je le souffre. Ou reprenez-moi, ou au moins prenez-en un autre; et ne trahissez pas, par un caprice exclusif, l'amitiĂ© inviolable que nous nous sommes jurĂ©e. C'est bien assez, sans doute, que j'aie Ă me plaindre de l'Amour. Vous voyez que je me prĂÂȘte Ă vos idĂ©es, et que j'avoue mes torts. En effet, si c'est ĂÂȘtre amoureux que de ne pouvoir vivre sans possĂ©der ce qu'on dĂ©sire, d'y sacrifier son temps, ses plaisirs, sa vie, je suis bien rĂ©ellement amoureux. Je n'en suis guĂšre plus avancĂ©. Je n'aurais mĂÂȘme rien du tout Ă vous apprendre Ă ce sujet, sans un Ă©vĂ©nement qui me donne beaucoup Ă rĂ©flĂ©chir, et dont je ne sais encore si je dois craindre ou espĂ©rer. Vous connaissez mon Chasseur, trĂ©sor d'intrigue, et vrai valet de ComĂ©die; vous jugez bien que ses instructions portaient d'ĂÂȘtre amoureux de la Femme de chambre, et d'enivrer les gens. Le coquin est plus heureux que moi; il a dĂ©jĂ rĂ©ussi. Il vient de dĂ©couvrir que Madame de Tourvel a chargĂ© un de ses gens de prendre des informations sur ma conduite, et mĂÂȘme de me suivre dans mes courses du matin, autant qu'il le pourrait, sans ĂÂȘtre aperçu. Que prĂ©tend cette femme? Ainsi donc la plus modeste de toutes ose encore risquer des choses qu'Ă peine nous oserions nous permettre! Je jure bien. Mais, avant de songer Ă me venger de cette ruse fĂ©minine, occupons-nous des moyens de la tourner Ă notre avantage. Jusqu'ici ces courses qu'on suspecte n'avaient aucun objet; il faut leur en donner un. Cela mĂ©rite toute mon attention, et je vous quitte pour y rĂ©flĂ©chir. Adieu, ma belle amie. Toujours du ChĂÂąteau de ..., ce 15 aoĂ»t 17** LETTRE XVI CECILE VOLANGES A SOPHIE CARNAY Ah! ma Sophie, voici bien des nouvelles! je ne devrais peut-ĂÂȘtre pas te les dire mais il faut bien que j'en parle Ă quelqu'un; c'est plus fort que moi. Ce Chevalier Danceny... Je suis dans un trouble que je ne peux pas Ă©crire je ne sais par oĂÂč commencer. Depuis que je t'avais racontĂ© la jolie soirĂ©e [La Lettre oĂÂč il est parlĂ© de cette soirĂ©e ne s'est pas retrouvĂ©e. Il y a lieu de croire que c'est celle proposĂ©e dans le billet de Madame de Merteuil, et dont il est aussi question dans la prĂ©cĂ©dente Lettre de CĂ©cile Volanges.] que j'avais passĂ©e chez Maman avec lui et Madame de Merteuil, je ne t'en parlais plus c'est que je ne voulais plus en parler Ă personne; mais j'y pensais pourtant toujours. Depuis il Ă©tait devenu si triste, mais si triste, si triste, que ça me faisait de la peine; et quand je lui demandais pourquoi, il me disait que non mais je voyais bien que si. Enfin hier il l'Ă©tait encore plus que de coutume. ĂâĄa n'a pas empĂÂȘchĂ© qu'il n'ait eu la complaisance de chanter avec moi comme Ă l'ordinaire; mais, toutes les fois qu'il me regardait, cela me serrait le cĂ âur. AprĂšs que nous eĂ»mes fini de chanter, il alla renfermer ma harpe dans son Ă©tui; et, en m'en rapportant la clef, il me pria d'en jouer encore le soir, aussitĂÂŽt que je serais seule. Je ne me dĂ©fiais de rien du tout; je ne voulais mĂÂȘme pas mais il m'en pria tant, que je lui dis qu'oui. Il avait bien ses raisons. Effectivement, quand je fus retirĂ©e chez moi et que ma Femme de chambre fut sortie, j'allais pour prendre ma harpe. Je trouvais dans les cordes une Lettre, pliĂ©e seulement, et point cachetĂ©e, et qui Ă©tait de lui. Ah! si tu savais tout ce qu'il me mande! Depuis que j'ai lu sa Lettre, j'ai tant de plaisir, que je ne peux plus songer Ă autre chose. Je l'ai relue quatre fois tout de suite, et puis je l'ai serrĂ©e dans mon secrĂ©taire. Je la savais par cĂ âur; et, quand j'ai Ă©tĂ© couchĂ©e, je l'ai tant rĂ©pĂ©tĂ©e, que je ne songeais pas Ă dormir. DĂšs que je fermais les yeux, je le voyais lĂ , qui me disait lui-mĂÂȘme tout ce que je venais de lire. Je ne me suis endormie que bien tard; et aussitĂÂŽt que je me suis rĂ©veillĂ©e il Ă©tait encore de bien bonne heure, j'ai Ă©tĂ© reprendre sa Lettre pour la relire Ă mon aise. Je l'ai emportĂ©e dans mon lit, et puis je l'ai baisĂ©e comme si... C'est peut-ĂÂȘtre mal fait de baiser une Lettre comme ça, mais je n'ai pas pu m'en empĂÂȘcher. A prĂ©sent, ma chĂšre amie, si je suis bien aise, je suis aussi bien embarrassĂ©e; car sĂ»rement il ne faut pas que je rĂ©ponde Ă cette Lettre-lĂ . Je sais bien que ça ne se doit pas, et pourtant il me le demande; et, si je ne rĂ©ponds pas, je suis sĂ»re qu'il va encore ĂÂȘtre triste. C'est pourtant bien malheureux pour lui! Qu'est-ce que tu me conseilles? mais tu n'en sais pas plus que moi. J'ai bien envie d'en parler Ă Madame de Merteuil qui m'aime bien. Je voudrais bien le consoler; mais je ne voudrais rien faire qui fĂ»t mal. On nous recommande tant d'avoir bon cĂ âur! et puis on nous dĂ©fend de suivre ce qu'il inspire, quand c'est pour un homme! ĂâĄa n'est pas juste non plus. Est-ce qu'un homme n'est pas notre prochain comme une femme, et plus encore? car enfin n'a-t-on pas son pĂšre comme sa mĂšre, son frĂšre comme sa sĂ âur? il reste toujours le mari de plus. Cependant si j'allais faire quelque chose qui ne fĂ»t pas bien, peut-ĂÂȘtre que M. Danceny lui-mĂÂȘme n'aurait plus bonne idĂ©e de moi! Oh! ça, par exemple, j'aime encore mieux qu'il soit triste. Et puis, enfin, je serai toujours Ă temps. Parce qu'il a Ă©crit hier, je ne suis pas obligĂ©e d'Ă©crire aujourd'hui aussi bien je verrai Madame de Merteuil ce soir, et si j'en ai le courage, je lui conterai tout. En ne faisant que ce qu'elle me dira, je n'aurai rien Ă me reprocher. Et puis peut-ĂÂȘtre me dira-t-elle que je peux lui rĂ©pondre un peu, pour qu'il ne soit pas si triste! Oh! je suis bien en peine. Adieu, ma bonne amie. Dis-moi toujours ce que tu penses. De ..., ce 19 aoĂ»t 17** LETTRE XVII LE CHEVALIER DANCENY A CECILE VOLANGES Avant de me livrer, Mademoiselle, dirai-je au plaisir ou au besoin de vous Ă©crire, je commence par vous supplier de m'entendre. Je sens que pour oser vous dĂ©clarer mes sentiments, j'ai besoin d'indulgence; si je ne voulais que les justifier, elle me serait inutile. Que vais-je faire aprĂšs tout que vous montrer mon ouvrage? Et qu'ai-je Ă vous dire, que mes regards, mon embarras, ma conduite et mĂÂȘme mon silence ne vous aient dit avant moi? Eh! pourquoi vous fĂÂącheriez-vous d'un sentiment que vous avez fait naĂtre? EmanĂ© de vous, sans doute il est digne de vous ĂÂȘtre offert; s'il est brĂ»lant comme mon ĂÂąme, il est pur comme la vĂÂŽtre. Serait-ce un crime d'avoir su apprĂ©cier votre charmante figure, vos talents sĂ©ducteurs, vos grĂÂąces enchanteresses, et cette touchante candeur qui ajoute un prix inestimable Ă des qualitĂ©s dĂ©jĂ si prĂ©cieuses? non, sans doute; mais, sans ĂÂȘtre coupable, on peut ĂÂȘtre malheureux; et c'est le sort qui m'attend, si vous refusez d'agrĂ©er mon hommage. C'est le premier que mon cĂ âur ait offert. Sans vous je serais encore, non pas heureux, mais tranquille. Je vous ai vue; le repos a fui loin de moi, et mon bonheur est incertain. Cependant vous vous Ă©tonnez de ma tristesse; vous m'en demandez la cause quelquefois mĂÂȘme j'ai cru voir qu'elle vous affligeait. Ah! dites un mot, et ma fĂ©licitĂ© sera votre ouvrage. Mais, avant de prononcer, songez qu'un mot peut aussi combler mon malheur. Soyez donc l'arbitre de ma destinĂ©e. Par vous je vais ĂÂȘtre Ă©ternellement heureux ou malheureux. En quelles mains plus chĂšres puis-je remettre un intĂ©rĂÂȘt plus grand? Je finirai, comme j'ai commencĂ©, par implorer votre indulgence. Je vous ai demandĂ© de m'entendre; j'oserai plus; je vous prierai de me rĂ©pondre. Le refuser, serait me laisser croire que vous vous trouvez offensĂ©e, et mon cĂ âur m'est garant que mon respect Ă©gale mon amour. P-S. Vous pouvez vous servir, pour me rĂ©pondre, du mĂÂȘme moyen dont je me sers pour vous faire parvenir cette Lettre; il me paraĂt Ă©galement sĂ»r et commode. De ..., ce 18 aoĂ»t 17** LETTRE XVIII CECILE VOLANGES A SOPHIE CARNAY Quoi! Sophie, tu blĂÂąmes d'avance ce que je vais faire! J'avais dĂ©jĂ bien assez d'inquiĂ©tudes; voilĂ que tu les augmentes encore. Il est clair, dis-tu, que je ne dois pas rĂ©pondre. Tu en parles bien Ă ton aise; et d'ailleurs, tu ne sais pas au juste ce qui en est tu n'es pas lĂ pour voir. Je suis sĂ»re que si tu Ă©tais Ă ma place, tu ferais comme moi. SĂ»rement, en gĂ©nĂ©ral, on ne doit pas rĂ©pondre; et tu as bien vu, par ma Lettre d'hier, que je ne le voulais pas non plus mais c'est que je ne crois pas que personne se soit jamais trouvĂ© dans le cas oĂÂč je suis. Et encore ĂÂȘtre obligĂ©e de me dĂ©cider toute seule! Madame de Merteuil, que je comptais voir hier au soir, n'est pas venue. Tout s'arrange contre moi c'est elle qui est cause que je le connais. C'est presque toujours avec elle que je l'ai vu que je lui ai parlĂ©. Ce n'est pas que je lui en veuille du mal mais elle me laisse lĂ au moment de l'embarras. Oh! je suis bien Ă plaindre! Figure-toi qu'il est venu hier comme Ă l'ordinaire. J'Ă©tais si troublĂ©e que je n'osais le regarder. Il ne pouvait pas me parler, parce que Maman Ă©tait lĂ . Je me doutais bien qu'il serait fĂÂąchĂ©, quand il verrait que je ne lui avais pas Ă©crit. Je ne savais quelle contenance faire. Un instant aprĂšs il me demanda si je voulais qu'il allĂÂąt chercher ma harpe. Le cĂ âur me battait si fort, que ce fut tout ce que je pus faire que de rĂ©pondre qu'oui. Quand il revint, c'Ă©tait bien pis. Je ne le regardai qu'un petit moment. Il ne me regardait pas, lui; mais il avait un air qu'on aurait dit qu'il Ă©tait malade. ĂâĄa me faisait bien de la peine. Il se mit Ă accorder ma harpe, et aprĂšs, en me l'apportant, il me dit " Ah! Mademoiselle! " Il ne me dit que ces deux mots-lĂ ; mais c'Ă©tait d'un ton que j'en fus toute bouleversĂ©e. Je prĂ©ludais sur ma harpe, sans savoir ce que je faisais. Maman demanda si nous ne chanterions pas. Lui s'excusa, en disant qu'il Ă©tait un peu malade; et moi, qui n'avais pas d'excuse, il me fallut chanter. J'aurais voulu n'avoir jamais eu de voix. Je choisis exprĂšs un air que je ne savais pas; car j'Ă©tais bien sĂ»re que je ne pourrais en chanter aucun, et on se serait aperçu de quelque chose. Heureusement il vint une visite; et, dĂšs que j'entendis entrer un carrosse, je cessai, et le priai de reporter ma harpe. J'avais bien peur qu'il ne s'en allĂÂąt en mĂÂȘme temps; mais il revint. Pendant que Maman et cette Dame qui Ă©tait venue causaient ensemble, je voulus le regarder encore un petit moment. Je rencontrai ses yeux, et il me fut impossible de dĂ©tourner les miens. Un moment aprĂšs je vis ses larmes couler, et il fut obligĂ© de se retourner pour n'ĂÂȘtre pas vu. Pour le coup, je ne pus y tenir; je sentis que j'allais pleurer aussi. Je sortis, et tout de suite j'Ă©crivis avec un crayon, sur un chiffon de papier " Ne soyez donc pas si triste, je vous en prie; je promets de vous rĂ©pondre. " SĂ»rement, tu ne peux pas dire qu'il y ait du mal Ă cela; et puis c'Ă©tait plus fort que moi. Je mis mon papier aux cordes de ma harpe, comme sa Lettre Ă©tait, et je revins dans le salon. Je me sentais plus tranquille. Il me tardait bien que cette Dame s'en fĂ»t. Heureusement, elle Ă©tait en visite; elle s'en alla bientĂÂŽt aprĂšs. AussitĂÂŽt qu'elle fut sortie, je dis que je voulais reprendre ma harpe, et je le priai de l'aller chercher. Je vis bien, Ă son air, qu'il ne se doutait de rien. Mais au retour, oh! comme il Ă©tait content! En posant ma harpe vis-Ă -vis de moi, il se plaça de façon que Maman ne pouvait voir, et il prit ma main qu'il serra, mais d'une façon! ce ne fut qu'un moment mais je ne saurais te dire le plaisir que ça m'a fait. Je la retirai pourtant; ainsi je n'ai rien Ă me reprocher. A prĂ©sent, ma bonne amie, tu vois bien que je ne peux pas me dispenser de lui Ă©crire, puisque je le lui ai promis; et puis, je n'irai pas lui refaire du chagrin; car j'en souffre plus que lui. Si c'Ă©tait pour quelque chose de mal, sĂ»rement je ne le ferais pas. Mais quel mal peut-il y avoir Ă Ă©crire, surtout quand c'est pour empĂÂȘcher quelqu'un d'ĂÂȘtre malheureux? Ce qui m'embarrasse, c'est que je ne saurai pas bien faire ma Lettre mais il sentira bien que ce n'est pas ma faute; et puis je suis sĂ»re que rien que de ce qu'elle sera de moi, elle lui fera toujours plaisir. Adieu, ma chĂšre amie. Si tu trouves que j'ai tort, dis-le-moi; mais je ne crois pas. A mesure que le moment de lui Ă©crire approche, mon cĂ âur bat que ça ne se conçoit pas. Il le faut pourtant bien, puisque je l'ai promis. Adieu. De ..., ce 20 aoĂ»t 17** LETTRE XIX CECILE VOLANGES AU CHEVALIER DANCENY Vous Ă©tiez si triste, hier, Monsieur, et cela me faisait tant de peine, que je me suis laissĂ©e aller Ă vous promettre de rĂ©pondre Ă la Lettre que vous m'avez Ă©crite. Je n'en sens pas moins aujourd'hui que je ne le dois pas pourtant, comme je l'ai promis, je ne veux pas manquer Ă ma parole, et cela doit bien vous prouver l'amitiĂ© que j'ai pour vous. A prĂ©sent que vous le savez, j'espĂšre que vous ne me demanderez pas de vous Ă©crire davantage. J'espĂšre aussi que vous ne direz Ă personne que je vous ai Ă©crit; parce que sĂ»rement on m'en blĂÂąmerait, et que cela pourrait me causer bien du chagrin. J'espĂšre surtout que vous-mĂÂȘme n'en prendrez pas mauvaise idĂ©e de moi, ce qui me ferait plus de peine que tout. Je peux bien vous assurer que je n'aurais pas eu cette complaisance-lĂ pour tout autre que vous. Je voudrais bien que vous eussiez celle de ne plus ĂÂȘtre triste comme vous Ă©tiez; ce qui m'ĂÂŽte tout le plaisir que j'ai Ă vous voir. Vous voyez, Monsieur, que je vous parle bien sincĂšrement. Je ne demande pas mieux que notre amitiĂ© dure toujours; mais, je vous en prie, ne m'Ă©crivez plus. J'ai l'honneur d'ĂÂȘtre, CĂ©cile Volanges De ..., ce 20 aoĂ»t 17** LETTRE XX LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT Ah! fripon, vous me cajolez, de peur que je ne me moque de vous! Allons, je vous fais grĂÂące vous m'Ă©crivez tant de folies, qu'il faut bien que je vous pardonne la sagesse oĂÂč vous tient votre PrĂ©sidente. Je ne crois pas que mon Chevalier eĂ»t autant d'indulgence que moi; il serait homme Ă ne pas approuver notre renouvellement de bail, et Ă ne rien trouver de plaisant dans votre folle idĂ©e. J'en ai pourtant bien ri, et j'Ă©tais vraiment fĂÂąchĂ©e d'ĂÂȘtre obligĂ©e d'en rire toute seule. Si vous eussiez Ă©tĂ© lĂ , je ne sais oĂÂč m'aurait menĂ©e cette gaietĂ© mais j'ai eu le temps de la rĂ©flexion et je me suis armĂ©e de sĂ©vĂ©ritĂ©. Ce n'est pas que je refuse pour toujours; mais je diffĂšre, et j'ai raison. J'y mettrais peut-ĂÂȘtre de la vanitĂ©, et, une fois piquĂ©e au jeu, on ne sait plus oĂÂč l'on s'arrĂÂȘte. Je serais femme Ă vous enchaĂner de nouveau, Ă vous faire oublier votre PrĂ©sidente; et si j'allais, moi indigne, vous dĂ©goĂ»ter de la vertu, voyez quel scandale! Pour Ă©viter ce danger, voici mes conditions. AussitĂÂŽt que vous aurez eu votre belle DĂ©vote, que vous pourrez m'en fournir une preuve, venez, et je suis Ă vous. Mais vous n'ignorez pas que dans les affaires importantes, on ne reçoit de preuves que par Ă©crit. Par cet arrangement, d'une part, je deviendrai une rĂ©compense au lieu d'ĂÂȘtre une consolation; et cette idĂ©e me plaĂt davantage de l'autre votre succĂšs en sera plus piquant, en devenant lui-mĂÂȘme un moyen d'infidĂ©litĂ©. Venez donc, venez au plus tĂÂŽt m'apporter le gage de votre triomphe semblable Ă nos preux Chevaliers qui venaient dĂ©poser aux pieds de leur Dame les fruits brillants de leur victoire. SĂ©rieusement, je suis curieuse de savoir ce que peut Ă©crire une Prude aprĂšs un tel moment, et quel voile elle met sur ses discours, aprĂšs n'en avoir plus laissĂ© sur sa personne. C'est Ă vous de voir si je me mets Ă un prix trop haut; mais je vous prĂ©viens qu'il n'y a rien Ă rabattre. Jusque-lĂ , mon cher Vicomte, vous trouverez bon que je reste fidĂšle Ă mon Chevalier, et que je m'amuse Ă le rendre heureux, malgrĂ© le petit chagrin que cela vous cause. Cependant si j'avais moins de mĂ âurs, je crois qu'il aurait, dans ce moment, un rival dangereux; c'est la petite Volanges. Je raffole de cet enfant c'est une vraie passion. Ou je me trompe, ou elle deviendra une de nos femmes les plus Ă la mode. Je vois son petit cĂ âur se dĂ©velopper, et c'est un spectacle ravissant. Elle aime dĂ©jĂ son Danceny avec fureur; mais elle n'en sait encore rien. Lui- mĂÂȘme, quoique trĂšs amoureux, a encore la timiditĂ© de son ĂÂąge, et n'ose pas trop le lui apprendre. Tous deux sont en adoration vis-Ă -vis de moi. La petite surtout a grande envie de me dire son secret; particuliĂšrement depuis quelques jours je l'en vois vraiment oppressĂ©e et je lui aurais rendu un grand service de l'aider un peu mais je n'oublie pas que c'est un enfant, et je ne veux pas me compromettre. Danceny m'a parlĂ© un peu plus clairement; mais, pour lui, mon parti est pris, je ne veux pas l'entendre. Quant Ă la petite, je suis souvent tentĂ©e d'en faire mon Ă©lĂšve; c'est un service que j'ai envie de rendre Ă Gercourt. Il me laisse du temps, puisque le voilĂ en Corse jusqu'au mois d'Octobre. J'ai dans l'idĂ©e que j'emploierai ce temps-lĂ , et que nous lui donnerons une femme toute formĂ©e, au lieu de son innocente Pensionnaire. Quelle est donc en effet l'insolente sĂ©curitĂ© de cet homme, qui ose dormir tranquille, tandis qu'une femme, qui a Ă se plaindre de lui, ne s'est pas encore vengĂ©e? Tenez, si la petite Ă©tait ici dans ce moment, je ne sais ce que je ne lui dirais pas. Adieu, Vicomte; bonsoir et bon succĂšs mais, pour Dieu, avancez donc. Songez que si vous n'avez pas cette femme, les autres rougiront de vous avoir eu. De ..., ce 20 aoĂ»t 17** LETTRE XXI LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Enfin, ma belle amie, j'ai fait un pas en avant, mais un grand pas; et qui, s'il ne m'a pas conduit jusqu'au but, m'a fait connaĂtre au moins que je suis dans la route, et a dissipĂ© la crainte oĂÂč j'Ă©tais de m'ĂÂȘtre Ă©garĂ©. J'ai enfin dĂ©clarĂ© mon amour; et quoiqu'on ait gardĂ© le silence le plus obstinĂ©, j'ai obtenu la rĂ©ponse peut-ĂÂȘtre la moins Ă©quivoque et la plus flatteuse mais n'anticipons pas sur les Ă©vĂ©nements, et reprenons plus haut. Vous vous souvenez qu'on faisait Ă©pier mes dĂ©marches. Eh bien! j'ai voulu que ce moyen scandaleux tournĂÂąt Ă l'Ă©dification publique, et voici ce que j'ai fait. J'ai chargĂ© mon confident de me trouver, dans les environs, quelque malheureux qui eĂ»t besoin de secours. Cette commission n'Ă©tait pas difficile Ă remplir. Hier aprĂšs-midi, il me rendit compte qu'on devait saisir aujourd'hui, dans la matinĂ©e, les meubles d'une famille entiĂšre qui ne pouvait payer la taille. Je m'assurai qu'il n'y eĂ»t dans cette maison aucune fille ou femme dont l'ĂÂąge ou la figure pussent rendre mon action suspecte; et, quand je fus bien informĂ©, je dĂ©clarai Ă souper mon projet d'aller Ă la chasse le lendemain. Ici je dois rendre justice Ă ma PrĂ©sidente sans doute elle eut quelques remords des ordres qu'elle avait donnĂ©s; et, n'ayant pas la force de vaincre sa curiositĂ©, elle eut au moins celle de contrarier mon dĂ©sir. Il devait faire une chaleur excessive; je risquais de me rendre malade; je ne tuerais rien et me fatiguerais en vain; et, pendant ce dialogue, ses yeux, qui parlaient peut-ĂÂȘtre mieux qu'elle ne voulait, me faisaient assez connaĂtre qu'elle dĂ©sirait que je prisse pour bonnes ces mauvaises raisons. Je n'avais garde de m'y rendre, comme vous pouvez croire, et je rĂ©sistai de mĂÂȘme Ă une petite diatribe contre la chasse et les Chasseurs, et Ă un petit nuage d'humeur qui obscurcit, toute la soirĂ©e, cette figure cĂ©leste. Je craignis un moment que ses ordres ne fussent rĂ©voquĂ©s, et que sa dĂ©licatesse ne me nuisĂt. Je ne calculais pas la curiositĂ© d'une femme; aussi me trompais- je. Mon Chasseur me rassura dĂšs le soir mĂÂȘme, et je me couchai satisfait. Au point du jour je me lĂšve et je pars. A peine Ă cinquante pas du ChĂÂąteau, j'aperçois mon espion qui me suit. J'entre en chasse, et marche Ă travers champs vers le Village oĂÂč je voulais me rendre; sans autre plaisir, dans ma route, que de faire courir le drĂÂŽle qui me suivait, et qui, n'osant pas quitter les chemins, parcourait souvent, Ă toute course, un espace triple du mien. A force de l'exercer, j'ai eu moi-mĂÂȘme une extrĂÂȘme chaleur, et je me suis assis au pied d'un arbre. N'a-t-il pas eu l'insolence de se couler derriĂšre un buisson qui n'Ă©tait pas Ă vingt pas de moi, et de s'y asseoir aussi? J'ai Ă©tĂ© tentĂ© un moment de lui envoyer mon coup de fusil, qui, quoique de petit plomb seulement, lui aurait donnĂ© une leçon suffisante sur les dangers de la curiositĂ© heureusement pour lui, je me suis ressouvenu qu'il Ă©tait utile et mĂÂȘme nĂ©cessaire Ă mes projets; cette rĂ©flexion l'a sauvĂ©. Cependant j'arrive au Village; je vois de la rumeur; je m'avance j'interroge; on me raconte le fait. Je fais venir le Collecteur; et, cĂ©dant Ă ma gĂ©nĂ©reuse compassion, je paie noblement cinquante-six livres, pour lesquelles on rĂ©duisait cinq personnes Ă la paille et au dĂ©sespoir. AprĂšs cette action si simple, vous n'imaginez pas quel chĂ âur de bĂ©nĂ©dictions retentit autour de moi de la part des assistants! Quelles larmes de reconnaissance coulaient des yeux du vieux chef de cette famille, et embellissaient cette figure de Patriarche, qu'un moment auparavant l'empreinte farouche du dĂ©sespoir rendait vraiment hideuse! J'examinais ce spectacle, lorsqu'un autre paysan, plus jeune, conduisant par la main une femme et deux enfants, et s'avançant vers moi Ă pas prĂ©cipitĂ©s, leur dit " Tombons tous aux pieds de cette image de Dieu " , et dans le mĂÂȘme instant, j'ai Ă©tĂ© entourĂ© de cette famille, prosternĂ©e Ă mes genoux. J'avouerai ma faiblesse; mes yeux se sont mouillĂ©s de larmes, et j'ai senti en moi un mouvement involontaire, mais dĂ©licieux. J'ai Ă©tĂ© Ă©tonnĂ© du plaisir qu'on Ă©prouve en faisant le bien; et je serais tentĂ© de croire que ce que nous appelons les gens vertueux n'ont pas tant de mĂ©rite qu'on se plaĂt Ă nous le dire. Quoi qu'il en soit, j'ai trouvĂ© juste de payer Ă ces pauvres gens le plaisir qu'ils venaient de me faire. J'avais pris dix louis sur moi; je les leur ai donnĂ©s. Ici ont recommencĂ© les remerciements, mais ils n'avaient plus ce mĂÂȘme degrĂ© de pathĂ©tique le nĂ©cessaire avait produit le grand, le vĂ©ritable effet; le reste n'Ă©tait qu'une simple expression de reconnaissance et d'Ă©tonnement pour des dons superflus. Cependant, au milieu des bĂ©nĂ©dictions bavardes de cette famille, je ne ressemblais pas mal au HĂ©ros d'un Drame, dans la scĂšne du dĂ©nouement. Vous remarquerez que dans cette foule Ă©tait surtout le fidĂšle espion. Mon but Ă©tait rempli je me dĂ©gageai d'eux tous, et regagnai le ChĂÂąteau. Tout calculĂ©, je me fĂ©licite de mon invention. Cette femme vaut bien sans doute que je me donne tant de soins; ils seront un jour mes titres auprĂšs d'elle; et l'ayant, en quelque sorte, ainsi payĂ©e d'avance, j'aurai le droit d'en disposer Ă ma fantaisie, sans avoir de reproche Ă me faire. J'oubliais de vous dire que pour mettre tout Ă profit, j'ai demandĂ© Ă ces bonnes gens de prier Dieu pour le succĂšs de mes projets. Vous allez voir si dĂ©jĂ leurs priĂšres n'ont pas Ă©tĂ© en partie exaucĂ©es... Mais on m'avertit que le souper est servi, et il serait trop tard pour que cette Lettre partĂt si je ne la fermais qu'en me retirant. Ainsi, le reste Ă l'ordinaire prochain . J'en suis fĂÂąchĂ©, car le reste est le meilleur. Adieu, ma belle amie. Vous me volez un moment du plaisir de la voir. De ..., ce 20 aoĂ»t 17** LETTRE XXII LA PRESIDENTE DE TOURVEL A MADAME DE VOLANGES Vous serez sans doute bien aise, Madame, de connaĂtre un trait de M. de Valmont, qui contraste beaucoup, ce me semble, avec tous ceux sous lesquels on vous l'a reprĂ©sentĂ©. Il est si pĂ©nible de penser dĂ©savantageusement de qui que ce soit, si fĂÂącheux de ne trouver que des vices chez ceux qui auraient toutes les qualitĂ©s nĂ©cessaires pour faire aimer la vertu! Enfin vous aimez tant Ă user d'indulgence, que c'est vous obliger que de vous donner des motifs de revenir sur un jugement trop rigoureux. M. de Valmont me paraĂt fondĂ© Ă espĂ©rer cette faveur, je dirais presque cette justice; et voici sur quoi je le pense. Il a fait ce matin une de ces courses qui pouvaient faire supposer quelque projet de sa part dans les environs, comme l'idĂ©e vous en Ă©tait venue; idĂ©e que je m'accuse d'avoir saisie peut-ĂÂȘtre avec trop de vivacitĂ©. Heureusement pour lui, et surtout heureusement pour nous, puisque cela nous sauve d'ĂÂȘtre injustes, un de mes gens devait aller du mĂÂȘme cĂÂŽtĂ© que lui [Madame de Tourvel n'ose donc pas dire que c'Ă©tait par son ordre?]; et c'est par lĂ que ma curiositĂ© rĂ©prĂ©hensible, mais heureuse, a Ă©tĂ© satisfaite. Il nous a rapportĂ© que M. de Valmont, ayant trouvĂ© au Village de ... une malheureuse famille dont on vendait les meubles, faute d'avoir pu payer les impositions, non seulement s'Ă©tait empressĂ© d'acquitter la dette de ces pauvres gens, mais mĂÂȘme leur avait donnĂ© une somme d'argent assez considĂ©rable. Mon Domestique a Ă©tĂ© tĂ©moin de cette vertueuse action; et il m'a rapportĂ© de plus que les paysans, causant entre eux et avec lui, avaient dit qu'un Domestique, qu'ils ont dĂ©signĂ©, et que le mien croit ĂÂȘtre celui de M. de Valmont, avait pris hier des informations sur ceux des habitants du Village qui pouvaient avoir besoin de secours. Si cela est ainsi, ce n'est mĂÂȘme plus seulement une compassion passagĂšre, et que l'occasion dĂ©termine c'est le projet formĂ© de faire du bien; c'est la sollicitude de la bienfaisance; c'est la plus belle vertu des plus belles ĂÂąmes; mais, soit hasard ou projet, c'est toujours une action honnĂÂȘte et louable, et dont le seul rĂ©cit m'a attendrie jusqu'aux larmes. J'ajouterai de plus, et toujours par justice, que quand je lui ai parlĂ© de cette action, de laquelle il ne disait mot, il a commencĂ© par s'en dĂ©fendre, et a eu l'air d'y mettre si peu de valeur lorsqu'il en est convenu, que sa modestie en doublait le mĂ©rite. A prĂ©sent, dites-moi, ma respectable amie, si M. de Valmont est en effet un libertin sans retour? S'il n'est que cela et se conduit ainsi, que restera-t-il aux gens honnĂÂȘtes? Quoi! les mĂ©chants partageraient-ils avec les bons le plaisir sacrĂ© de la bienfaisance? Dieu permettrait-il qu'une famille vertueuse reçût, de la main d'un scĂ©lĂ©rat, des secours dont elle rendrait grĂÂące Ă sa divine Providence? et pourrait-il se plaire Ă entendre des bouches pures rĂ©pandre leurs bĂ©nĂ©dictions sur un rĂ©prouvĂ©? Non. J'aime mieux croire que des erreurs, pour ĂÂȘtre longues, ne sont pas Ă©ternelles; et je ne puis penser que celui qui fait du bien soit l'ennemi de la vertu. M. de Valmont n'est peut-ĂÂȘtre qu'un exemple de plus du danger des liaisons. Je m'arrĂÂȘte Ă cette idĂ©e qui me plaĂt. Si, d'une part, elle peut servir Ă le justifier dans votre esprit, de l'autre, elle me rend de plus en plus prĂ©cieuse l'amitiĂ© tendre qui m'unit Ă vous pour la vie. J'ai l'honneur d'ĂÂȘtre, etc. Madame de Rosemonde et moi nous allons, dans l'instant, voir aussi l'honnĂÂȘte et malheureuse famille, et joindre nos secours tardifs Ă ceux de M. de Valmont. Nous le mĂšnerons avec nous. Nous donnerons au moins Ă ces bonnes gens le plaisir de revoir leur bienfaiteur; c'est, je crois, tout ce qu'il nous a laissĂ© Ă faire. De ..., ce 20 aoĂ»t 17** LETTRE XXIII LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Nous en sommes restĂ©s Ă mon retour au ChĂÂąteau je reprends mon rĂ©cit. Je n'eus que le temps de faire une courte toilette, et je me rendis au salon, oĂÂč ma Belle faisait de la tapisserie, tandis que le CurĂ© du lieu lisait la Gazette Ă ma vieille tante. J'allai m'asseoir auprĂšs du mĂ©tier. Des regards, plus doux encore que de coutume, et presque caressants, me firent bientĂÂŽt deviner que le Domestique avait dĂ©jĂ rendu compte de sa mission. En effet, mon aimable Curieuse ne put garder plus longtemps le secret qu'elle m'avait dĂ©robĂ©; et, sans crainte d'interrompre un vĂ©nĂ©rable Pasteur dont le dĂ©bit ressemblait pourtant Ă celui d'un prĂÂŽne " J'ai bien aussi ma nouvelle Ă dĂ©biter " , dit-elle; et tout de suite elle raconta mon aventure avec une exactitude qui faisait honneur Ă l'intelligence de son Historien. Vous jugez comme je dĂ©ployai toute ma modestie mais qui pourrait arrĂÂȘter une femme qui fait, sans s'en douter, l'Ă©loge de ce qu'elle aime? Je pris donc le parti de la laisser aller. On eĂ»t dit qu'elle prĂÂȘchait le panĂ©gyrique d'un Saint. Pendant ce temps, j'observais, non sans espoir, tout ce que promettaient Ă l'Amour son regard animĂ©, son geste devenu plus libre, et surtout ce son de voix qui, par son altĂ©ration dĂ©jĂ sensible, trahissait l'Ă©motion de son ĂÂąme. A peine elle finissait de parler " Venez, mon neveu, me dit Madame de Rosemonde; venez, que je vous embrasse. " Je sentis aussitĂÂŽt que la jolie PrĂÂȘcheuse ne pourrait se dĂ©fendre d'ĂÂȘtre embrassĂ©e Ă son tour. Cependant elle voulut fuir; mais elle fut bientĂÂŽt dans mes bras; et, loin d'avoir la force de rĂ©sister, Ă peine lui restait-il celle de se soutenir. Plus j'observe cette femme, et plus elle me paraĂt dĂ©sirable. Elle s'empressa de retourner Ă son mĂ©tier, et eut l'air, pour tout le monde, de recommencer sa tapisserie; mais moi, je m'aperçus bien que sa main tremblante ne lui permettait pas de continuer son ouvrage. AprĂšs le dĂner, les Dames voulurent aller voir les infortunĂ©s que j'avais si pieusement secourus; je les accompagnai. Je vous sauve l'ennui de cette seconde scĂšne de reconnaissance et d'Ă©loges. Mon cĂ âur, pressĂ© d'un souvenir dĂ©licieux, hĂÂąte le moment du retour au ChĂÂąteau. Pendant la route, ma belle PrĂ©sidente, plus rĂÂȘveuse qu'Ă l'ordinaire, ne disait pas un mot. Tout occupĂ© de trouver les moyens de profiter de l'effet qu'avait produit l'Ă©vĂ©nement du jour, je gardais le mĂÂȘme silence. Madame de Rosemonde seule parlait et n'obtenait de nous que des rĂ©ponses courtes et rares. Nous dĂ»mes l'ennuyer; j'en avais le projet, et il rĂ©ussit. Aussi, en descendant de voiture, elle passa dans son appartement, et nous laissa tĂÂȘte Ă tĂÂȘte ma Belle et moi, dans un salon mal Ă©clairĂ©; obscuritĂ© douce, qui enhardit l'Amour timide. Je n'eus pas la peine de diriger la conversation oĂÂč je voulais la conduire. La ferveur de l'aimable PrĂÂȘcheuse me servit mieux que n'aurait pu faire mon adresse, " Quand on est si digne de faire le bien, me dit-elle, en arrĂÂȘtant sur moi son doux regard comment passe-t-on sa vie Ă mal faire? - Je ne mĂ©rite, lui rĂ©pondis-je, ni cet Ă©loge, ni cette censure; et je ne conçois pas qu'avec autant d'esprit que vous en avez, vous ne m'ayez pas encore devinĂ©. DĂ»t ma confiance me nuire auprĂšs de vous, vous en ĂÂȘtes trop digne, pour qu'il me soit possible de vous la refuser. Vous trouverez la clef de ma conduite dans un caractĂšre malheureusement trop facile. EntourĂ© de gens sans mĂ âurs, j'ai imitĂ© leurs vices; j'ai peut-ĂÂȘtre mis de l'Amour propre Ă les surpasser. SĂ©duit de mĂÂȘme ici par l'exemple des vertus, sans espĂ©rer de vous atteindre, j'ai au moins essayĂ© de vous suivre. Eh! peut-ĂÂȘtre l'action dont vous me louez aujourd'hui perdrait- elle tout son prix Ă vos yeux, si vous en connaissiez le vĂ©ritable motif! Vous voyez, ma belle amie, combien j'Ă©tais prĂšs de la vĂ©ritĂ©. Ce n'est pas Ă moi, continuai-je, que ces malheureux ont dĂ» mes secours. OĂÂč vous croyez voir une action louable, je ne cherchais qu'un moyen de plaire. Je n'Ă©tais, puisqu'il faut le dire, que le faible agent de la DivinitĂ© que j'adore. Ici elle voulut m'interrompre; mais je ne lui en donnai pas le temps. Dans ce moment mĂÂȘme, ajoutai-je, mon secret ne m'Ă©chappe que par faiblesse. Je m'Ă©tais promis de vous le taire; je me faisais un bonheur de rendre Ă vos vertus comme Ă vos appas un hommage pur que vous ignoreriez toujours; mais, incapable de tromper, quand j'ai sous les yeux l'exemple de la candeur, je n'aurai point Ă me reprocher avec vous une dissimulation coupable. Ne croyez pas que je vous outrage par une criminelle espĂ©rance. Je serai malheureux, je le sais; mais mes souffrances me seront chĂšres; elles me prouveront l'excĂšs de mon amour; c'est Ă vos pieds, c'est dans votre sein que je dĂ©poserai mes peines. J'y puiserai des forces pour souffrir de nouveau; j'y trouverai la bontĂ© compatissante, et je me croirai consolĂ©, parce que vous m'aurez plaint. Ăâ vous que j'adore! Ă©coutez-moi, plaignez-moi, secourez-moi! " Cependant j'Ă©tais Ă ses genoux, et je serrais ses mains dans les miennes mais elle, les dĂ©gageant tout Ă coup, et les croisant sur ses yeux avec l'expression du dĂ©sespoir " Ah! malheureuse! " s'Ă©cria-t-elle; puis elle fondit en larmes. Par bonheur je m'Ă©tais livrĂ© Ă tel point, que je pleurais aussi; et, reprenant ses mains, je les baignais de pleurs. Cette prĂ©caution Ă©tait bien nĂ©cessaire; car elle Ă©tait si occupĂ©e de sa douleur, qu'elle ne se serait pas aperçue de la mienne, si je n'avais pas trouvĂ© ce moyen de l'en avertir. J'y gagnai de plus de considĂ©rer Ă loisir cette charmante figure, embellie encore par l'attrait puissant des larmes. Ma tĂÂȘte s'Ă©chauffait, et j'Ă©tais si peu maĂtre de moi, que je fus tentĂ© de profiter de ce moment. Quelle est donc notre faiblesse? quel est l'empire des circonstances, si moi- mĂÂȘme, oubliant mes projets, j'ai risquĂ© de perdre, par un triomphe prĂ©maturĂ©, le charme des longs combats et les dĂ©tails d'une pĂ©nible dĂ©faite; si, sĂ©duit par un dĂ©sir de jeune homme, j'ai pensĂ© exposer le vainqueur de Madame de Tourvel Ă ne recueillir, pour fruit de ses travaux, que l'insipide avantage d'avoir eu une femme de plus! Ah! qu'elle se rende, mais qu'elle combatte; que, sans avoir la force de vaincre, elle ait celle de rĂ©sister; qu'elle savoure Ă loisir le sentiment de sa faiblesse, et soit contrainte d'avouer sa dĂ©faite. Laissons le Braconnier obscur tuer Ă l'affĂ»t le cerf qu'il a surpris; le vrai Chasseur doit le forcer. Ce projet est sublime, n'est-ce pas? mais peut-ĂÂȘtre serai-je Ă prĂ©sent au regret de ne l'avoir pas suivi, si le hasard ne fĂ»t venu au secours de ma prudence. Nous entendĂmes du bruit. On venait au salon. Madame de Tourvel, effrayĂ©e, se leva prĂ©cipitamment, se saisit d'un des flambeaux, et sortit. Il fallut bien la laisser faire. Ce n'Ă©tait qu'un Domestique. AussitĂÂŽt que j'en fus assurĂ©, je la suivis. A peine eus-je fait quelques pas, que, soit qu'elle me reconnĂ»t, soit un sentiment vague d'effroi, je l'entendis prĂ©cipiter sa marche, et se jeter plutĂÂŽt qu'entrer dans son appartement dont elle ferma la porte sur elle. J'y allai; mais la clef Ă©tait en dedans. Je me gardai bien de frapper; c'eĂ»t Ă©tĂ© lui fournir l'occasion d'une rĂ©sistance trop facile. J'eus l'heureuse et simple idĂ©e de tenter de voir Ă travers la serrure, et je vis en effet cette femme adorable Ă genoux, baignĂ©e de larmes, et priant avec ferveur. Quel Dieu osait-elle invoquer? en est-il d'assez puissant contre l'Amour? En vain cherche-t-elle Ă prĂ©sent des secours Ă©trangers c'est moi qui rĂ©glerai son sort. Croyant en avoir assez fait pour un jour, je me retirai aussi dans mon appartement et me mis Ă vous Ă©crire. J'espĂ©rais la revoir au souper; mais elle fit dire qu'elle s'Ă©tait trouvĂ©e indisposĂ©e et s'Ă©tait mise au lit. Madame de Rosemonde voulut monter chez elle, mais la malicieuse malade prĂ©texta un mal de tĂÂȘte qui ne lui permettait de voir personne. Vous jugez qu'aprĂšs le souper la veillĂ©e fut courte, et que j'eus aussi mon mal de tĂÂȘte. RetirĂ© chez moi, j'Ă©crivis une longue Lettre pour me plaindre de cette rigueur, et je me couchai, avec le projet de la remettre ce matin. J'ai mal dormi, comme vous pouvez voir par la date de cette Lettre. Je me suis levĂ©, et j'ai relu mon EpĂtre. Je me suis aperçu que je ne m'y Ă©tais pas assez observĂ©, que j'y montrais plus d'ardeur que d'amour, et plus d'humeur que de tristesse. Il faudra la refaire; mais il faudrait ĂÂȘtre plus calme. J'aperçois le point du jour, et j'espĂšre que la fraĂcheur qui l'accompagne m'amĂšnera le sommeil. Je vais me remettre au lit; et, quel que soit l'empire de cette femme, je vous promets de ne pas m'occuper tellement d'elle, qu'il ne me reste le temps de songer beaucoup Ă vous. Adieu, ma belle amie. J'ai l'honneur d'ĂÂȘtre, etc., De ..., ce 21 aoĂ»t 17**, 4 heures du matin. LETTRE XXIV LE VICOMTE DE VALMONT A LA PRESIDENTE DE TOURVEL Ah! par pitiĂ©, Madame, daignez calmer le trouble de mon ĂÂąme; daignez m'apprendre ce que je dois espĂ©rer ou craindre. PlacĂ© entre l'excĂšs du bonheur et celui de l'infortune, l'incertitude est un tourment cruel. Pourquoi vous ai-je parlĂ©? que n'ai-je pu rĂ©sister au charme impĂ©rieux qui vous livrait mes pensĂ©es? Content de vous adorer en silence, je jouissais au moins de mon amour; et ce sentiment pur, que ne troublait point alors l'image de votre douleur, suffisait Ă ma fĂ©licitĂ© mais cette source de bonheur en est devenue une de dĂ©sespoir, depuis que j'ai vu couler vos larmes; depuis que j'ai entendu ce cruel Ah! malheureuse! Madame, ces deux mots retentiront longtemps dans mon cĂ âur. Par quelle fatalitĂ©, le plus doux des sentiments ne peut-il vous inspirer que l'effroi? quelle est donc cette crainte? Ah! ce n'est pas celle de le partager votre cĂ âur, que j'ai mal connu, n'est pas fait pour l'Amour; le mien, que vous calomniez sans cesse, est le seul qui soit sensible; le vĂÂŽtre est mĂÂȘme sans pitiĂ©. S'il n'en Ă©tait pas ainsi, vous n'auriez pas refusĂ© un mot de consolation au malheureux qui vous racontait ses souffrances; vous ne vous seriez pas soustraite Ă ses regards, quand il n'a d'autre plaisir que celui de vous voir; vous ne vous seriez pas fait un jeu cruel de son inquiĂ©tude, en lui faisant annoncer que vous Ă©tiez malade sans lui permettre d'aller s'informer de votre Ă©tat; vous auriez senti que cette mĂÂȘme nuit, qui n'Ă©tait pour vous que douze heures de repos, allait ĂÂȘtre pour lui un siĂšcle de douleurs. Par oĂÂč, dites-moi, ai-je mĂ©ritĂ© cette rigueur dĂ©solante? Je ne crains pas de vous prendre pour juge qu'ai-je donc fait? que cĂ©der Ă un sentiment involontaire, inspirĂ© par la beautĂ© et justifiĂ© par la vertu; toujours contenu par le respect, et dont l'innocent aveu fut l'effet de la confiance et non de l'espoir la trahirez-vous cette confiance que vous-mĂÂȘme avez semblĂ© me permettre, et Ă laquelle je me suis livrĂ© sans rĂ©serve? Non, je ne puis le croire; ce serait vous supposer un tort, et mon cĂ âur se rĂ©volte Ă la seule idĂ©e de vous en trouver un je dĂ©savoue mes reproches; j'ai pu les Ă©crire, mais non pas les penser. Ah! laissez-moi vous croire parfaite, c'est le seul plaisir qui me reste. Prouvez-moi que vous l'ĂÂȘtes en m'accordant vos soins gĂ©nĂ©reux. Quel malheureux avez- vous secouru, qui en eĂ»t autant de besoin que moi? ne m'abandonnez pas dans le dĂ©lire oĂÂč vous m'avez plongĂ© prĂÂȘtez-moi votre raison, puisque vous avez ravi la mienne; aprĂšs m'avoir corrigĂ©, Ă©clairez-moi pour finir votre ouvrage. Je ne veux pas vous tromper, vous ne parviendrez point Ă vaincre mon amour; mais vous m'apprendrez Ă le rĂ©gler en guidant mes dĂ©marches, en dictant mes discours, vous me sauverez au moins du malheur affreux de vous dĂ©plaire. Dissipez surtout cette crainte dĂ©sespĂ©rante; dites-moi que vous me pardonnez, que vous me plaignez; assurez-moi de votre indulgence. Vous n'aurez jamais toute celle que je vous dĂ©sirerais; mais je rĂ©clame celle dont j'ai besoin me la refuserez-vous? Adieu, Madame, recevez avec bontĂ© l'hommage de mes sentiments; il ne nuit point Ă celui de mon respect. De ..., ce 20 aoĂ»t 17** LETTRE XXV LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Voici le bulletin d'hier. A onze heures j'entrai chez Madame de Rosemonde et, sous ses auspices, je fus introduit chez la feinte malade, qui Ă©tait encore couchĂ©e. Elle avait les yeux trĂšs battus; j'espĂšre qu'elle avait aussi mal dormi que moi. Je saisis un moment, oĂÂč Madame de Rosemonde s'Ă©tait Ă©loignĂ©e, pour remettre ma Lettre on refusa de la prendre; mais je la laissai sur le lit, et allai bien honnĂÂȘtement approcher le fauteuil de ma vieille tante, qui voulait ĂÂȘtre auprĂšs de son cher enfant il fallut bien serrer la Lettre pour Ă©viter le scandale. La malade dit maladroitement qu'elle croyait avoir un peu de fiĂšvre. Madame de Rosemonde m'engagea Ă lui tĂÂąter le pouls, en vantant beaucoup mes connaissances en mĂ©decine. Ma Belle eut donc le double chagrin d'ĂÂȘtre obligĂ©e de me livrer son bras, et de sentir que son petit mensonge allait ĂÂȘtre dĂ©couvert. En effet, je pris sa main que je serrai dans une des miennes, pendant que de l'autre, je parcourais son bras frais et potelĂ©; la malicieuse personne ne rĂ©pondit Ă rien, ce qui me fit dire en me retirant " Il n'y a pas mĂÂȘme la plus lĂ©gĂšre Ă©motion. " Je me doutai que ses regards devaient ĂÂȘtre sĂ©vĂšres, et, pour la punir, je ne les cherchai pas un moment aprĂšs, elle dit qu'elle voulait se lever, et nous la laissĂÂąmes seule. Elle parut au dĂner qui fut triste; elle annonça qu'elle n'irait pas se promener, ce qui Ă©tait me dire que je n'aurais pas l'occasion de lui parler. Je sentis bien qu'il fallait placer lĂ un soupir et un regard douloureux sans doute elle s'y attendait, car ce fut le seul moment de la journĂ©e oĂÂč je parvins Ă rencontrer ses yeux. Toute sage qu'elle est, elle a ses petites ruses comme une autre. Je trouvai le moment de lui demander si elle avait eu la bontĂ© de m'instruire de mon sort , et je fus un peu Ă©tonnĂ© de l'entendre me rĂ©pondre Oui, Monsieur, je vous ai Ă©crit . J'Ă©tais fort empressĂ© d'avoir cette Lettre; mais soit ruse encore, ou maladresse, ou timiditĂ©, elle ne me la remit que le soir, au moment de se retirer chez elle. Je vous l'envoie ainsi que le brouillon de la mienne; lisez et jugez voyez avec quelle insigne faussetĂ© elle affirme qu'elle n'a point d'amour, quand je suis sĂ»r du contraire; et puis elle se plaindra si je la trompe aprĂšs, quand elle ne craint pas de me tromper avant! Ma belle amie, l'homme le plus adroit ne peut encore que se tenir au niveau de la femme la plus vraie. Il faudra pourtant feindre de croire Ă tout ce radotage, et se fatiguer de dĂ©sespoir, parce qu'il plaĂt Ă Madame de jouer la rigueur! Le moyen de ne pas se venger de ces noirceurs-lĂ ... ah! patience... mais adieu. J'ai encore beaucoup Ă Ă©crire. A propos, vous me renverrez la Lettre de l'inhumaine; il se pourrait faire que par la suite elle voulĂ»t qu'on mĂt du prix Ă ces misĂšres-lĂ , et il faut ĂÂȘtre en rĂšgle. Je ne vous parle pas de la petite Volanges; nous en causerons au premier jour. Du ChĂÂąteau, ce 22 aoĂ»t 17** LETTRE XXVI LA PRESIDENTE DE TOURVEL AU VICOMTE DE VALMONT SĂ»rement, Monsieur, vous n'auriez eu aucune Lettre de moi, si ma sotte conduite d'hier au soir ne me forçait d'entrer aujourd'hui en explication avec vous. Oui, j'ai pleurĂ©, je l'avoue peut-ĂÂȘtre aussi les deux mots que vous me citez avec tant de soin me sont-ils Ă©chappĂ©s; larmes et paroles, vous avez tout remarquĂ©; il faut donc vous expliquer tout. AccoutumĂ©e Ă n'inspirer que des sentiments honnĂÂȘtes, Ă n'entendre que des discours que je puis Ă©couter sans rougir, Ă jouir par consĂ©quent d'une sĂ©curitĂ© que j'ose dire que je mĂ©rite; je ne sais ni dissimuler ni combattre les impressions que j'Ă©prouve. L'Ă©tonnement et l'embarras oĂÂč m'a jetĂ©e votre procĂ©dĂ©; je ne sais quelle crainte, inspirĂ©e par une situation qui n'eĂ»t jamais dĂ» ĂÂȘtre faite pour moi, peut-ĂÂȘtre l'idĂ©e rĂ©voltante de me voir confondue avec les femmes que vous mĂ©prisez, et traitĂ©e aussi lĂ©gĂšrement qu'elles; toutes ces causes rĂ©unies ont provoquĂ© mes larmes, et ont pu me faire dire, avec raison je crois, que j'Ă©tais malheureuse. Cette expression, que vous trouvez si forte, serait sĂ»rement beaucoup trop faible encore, si mes pleurs et mes discours avaient eu un autre motif; si au lieu de dĂ©sapprouver des sentiments qui doivent m'offenser, j'avais pu craindre de les partager. Non, Monsieur, je n'ai pas cette crainte; si je l'avais, je fuirais Ă cent lieues de vous; j'irais pleurer dans un dĂ©sert le malheur de vous avoir connu. Peut-ĂÂȘtre mĂÂȘme, malgrĂ© la certitude oĂÂč je suis de ne point vous aimer jamais, peut-ĂÂȘtre aurais-je mieux fait de suivre les conseils de mes amis; de ne pas vous laisser approcher de moi. J'ai cru, et c'est lĂ mon seul tort, j'ai cru que vous respecteriez une femme honnĂÂȘte, qui ne demandait pas mieux que de vous trouver tel et de vous rendre justice; qui dĂ©jĂ vous dĂ©fendait, tandis que vous l'outragiez par vos vĂ âux criminels. Vous ne me connaissez pas; non, Monsieur, vous ne me connaissez pas. Sans cela, vous n'auriez pas cru vous faire un droit de vos torts parce que vous m'avez tenu des discours que je ne devais pas entendre, vous ne vous seriez pas cru autorisĂ© Ă m'Ă©crire une Lettre que je ne devais pas lire, et vous me demandez de guider vos dĂ©marches, de dicter vos discours ! HĂ© bien, Monsieur, le silence et l'oubli, voilĂ les conseils qu'il me convient de vous donner, comme Ă vous de les suivre; alors, vous aurez, en effet, des droits Ă mon indulgence il ne tiendrait qu'Ă vous d'en obtenir mĂÂȘme Ă ma reconnaissance... Mais non, je ne ferai point une demande Ă celui qui ne m'a point respectĂ©e; je ne donnerai point une marque de confiance Ă celui qui a abusĂ© de ma sĂ©curitĂ©. Vous me forcez Ă vous craindre, peut-ĂÂȘtre Ă vous haĂÂŻr je ne le voulais pas; je ne voulais voir en vous que le neveu de ma plus respectable amie; j'opposais la voix de l'amitiĂ© Ă la voix publique qui vous accusait. Vous avez tout dĂ©truit; et, je le prĂ©vois, vous ne voudrez rien rĂ©parer. Je m'en tiens, Monsieur, Ă vous dĂ©clarer que vos sentiments m'offensent, que leur aveu m'outrage, et surtout que, loin d'en venir un jour Ă les partager, vous me forceriez Ă ne vous revoir jamais, si vous ne vous imposiez sur cet objet un silence qu'il me semble avoir droit d'attendre, et mĂÂȘme d'exiger de vous. Je joins Ă cette Lettre celle que vous m'avez Ă©crite, et j'espĂšre que vous voudrez bien de mĂÂȘme me remettre celle-ci; je serais vraiment peinĂ©e qu'il restĂÂąt aucune trace d'un Ă©vĂ©nement qui n'eĂ»t jamais dĂ» exister. J'ai l'honneur d'ĂÂȘtre, etc. De ..., ce 21 aoĂ»t 17** LETTRE XXVII CECILE VOLANGES A LA MARQUISE DE MERTEUIL Mon Dieu, que vous ĂÂȘtes bonne, Madame! comme vous avez bien senti qu'il me serait plus facile de vous Ă©crire que de vous parler! Aussi, c'est que ce que j'ai Ă vous dire est bien difficile; mais vous ĂÂȘtes mon amie, n'est-il pas vrai? Oh! oui, ma bien bonne amie! Je vais tĂÂącher de n'avoir pas peur; et puis, j'ai tant besoin de vous, de vos conseils! J'ai bien du chagrin, il me semble que tout le monde devine ce que je pense; et surtout quand il est lĂ , je rougis dĂšs qu'on me regarde. Hier, quand vous m'avez vue pleurer, c'est que je voulais vous parler, et puis, je ne sais quoi m'en empĂÂȘchait; et quand vous m'avez demandĂ© ce que j'avais, mes larmes sont venues malgrĂ© moi. Je n'aurais pas pu dire une parole. Sans vous, Maman allait s'en apercevoir, et qu'est-ce que je serais devenue? VoilĂ pourtant comme je passe ma vie, surtout depuis quatre jours! C'est ce jour-lĂ , Madame, oui je vais vous le dire, c'est ce jour-lĂ que M. le Chevalier Danceny m'a Ă©crit oh! je vous assure que quand j'ai trouvĂ© sa Lettre, je ne savais pas du tout ce que c'Ă©tait; mais, pour ne pas mentir, je ne peux pas dire que je n'aie eu bien du plaisir en la lisant; voyez- vous, j'aimerais mieux avoir du chagrin toute ma vie, que s'il ne me l'eĂ»t pas Ă©crite. Mais je savais bien que je ne devais pas le lui dire, et je peux bien vous assurer mĂÂȘme que je lui ai dit que j'en Ă©tais fĂÂąchĂ©e; mais il dit que c'Ă©tait plus fort que lui, et je le crois bien; car j'avais rĂ©solu de ne lui pas rĂ©pondre, et pourtant je n'ai pas pu m'en empĂÂȘcher. Oh! je ne lui ai Ă©crit qu'une fois, et mĂÂȘme c'Ă©tait, en partie, pour lui dire de ne plus m'Ă©crire mais malgrĂ© cela il m'Ă©crit toujours; et comme je ne lui rĂ©ponds pas, je vois bien qu'il est triste, et ça m'afflige encore davantage si bien que je ne sais plus que faire, ni que devenir, et que je suis bien Ă plaindre. Dites-moi, je vous en prie, Madame, est-ce que ce serait bien mal de lui rĂ©pondre de temps en temps? seulement jusqu'Ă ce qu'il ait pu prendre sur lui de ne plus m'Ă©crire lui-mĂÂȘme, et de rester comme nous Ă©tions avant car, pour moi, si cela continue, je ne sais pas ce que je deviendrai. Tenez, en lisant sa derniĂšre Lettre, j'ai pleurĂ© que ça ne finissait pas; et je suis bien sĂ»re que si je ne lui rĂ©ponds pas encore, ça nous fera bien de la peine. Je vais vous envoyer sa Lettre aussi, ou bien une copie, et vous jugerez; vous verrez bien que ce n'est rien de mal qu'il demande. Cependant si vous trouvez que ça ne se doit pas, je vous promets de m'en empĂÂȘcher; mais je crois que vous penserez comme moi, que ce n'est pas lĂ du mal. Pendant que j'y suis, Madame, permettez-moi de vous faire encore une question on m'a bien dit que c'Ă©tait mal d'aimer quelqu'un; mais pourquoi cela? Ce qui me fait vous le demander, c'est que M. le Chevalier Danceny prĂ©tend que ce n'est pas mal du tout, et que presque tout le monde aime; si cela Ă©tait, je ne vois pas pourquoi je serais la seule Ă m'en empĂÂȘcher; ou bien est-ce que ce n'est un mal que pour les demoiselles? car j'ai entendu Maman elle-mĂÂȘme dire que Madame D... aimait M. M... et elle n'en parlait pas comme d'une chose qui serait si mal; et pourtant je suis sĂ»re qu'elle se fĂÂącherait contre moi, si elle se doutait seulement de mon amitiĂ© pour M. Danceny. Elle me traite toujours comme un enfant, Maman; et elle ne me dit rien du tout. Je croyais, quand elle m'a fait sortir du Couvent, que c'Ă©tait pour me marier; mais Ă prĂ©sent il me semble que non ce n'est pas que je m'en soucie, je vous assure; mais vous, qui ĂÂȘtes si amie avec elle, vous savez peut-ĂÂȘtre ce qui en est, et si vous le savez, j'espĂšre que vous me le direz. VoilĂ une bien longue Lettre, Madame, mais puisque vous m'avez permis de vous Ă©crire, j'en ai profitĂ© pour vous dire tout, et je compte sur votre amitiĂ©. J'ai l'honneur d'ĂÂȘtre, etc. Paris, ce 23 aoĂ»t 17** LETTRE XXVIII LE CHEVALIER DANCENY A CECILE VOLANGES Eh! quoi, Mademoiselle, vous refusez toujours de me rĂ©pondre! rien ne peut vous flĂ©chir; et chaque jour emporte avec lui l'espoir qu'il avait amenĂ©! Quelle est donc cette amitiĂ© que vous consentez qui subsiste entre nous, si elle n'est pas mĂÂȘme assez puissante pour vous rendre sensible Ă ma peine; si elle vous laisse froide et tranquille, tandis que j'Ă©prouve les tourments d'un feu que je ne puis Ă©teindre; si, loin de vous inspirer de la confiance, elle ne suffit pas mĂÂȘme Ă faire naĂtre votre pitiĂ©? Quoi! votre ami souffre et vous ne faites rien pour le secourir! Il ne vous demande qu'un mot, et vous le lui refusez! et vous voulez qu'il se contente d'un sentiment si faible, dont vous craignez encore de lui rĂ©itĂ©rer les assurances! Vous ne voudriez pas ĂÂȘtre ingrate, disiez-vous hier ah! croyez-moi, Mademoiselle, vouloir payer de l'Amour avec de l'amitiĂ©, ce n'est pas craindre l'ingratitude, c'est redouter seulement d'en avoir l'air. Cependant je n'ose plus vous entretenir d'un sentiment qui ne peut que vous ĂÂȘtre Ă charge, s'il ne vous intĂ©resse pas; il faut au moins le renfermer en moi-mĂÂȘme, en attendant que j'apprenne Ă le vaincre. Je sens combien ce travail sera pĂ©nible; je ne me dissimule pas que j'aurai besoin de toutes mes forces; je tenterai tous les moyens il en est un qui coĂ»tera le plus Ă mon cĂ âur, ce sera celui de me rĂ©pĂ©ter souvent que le vĂÂŽtre est insensible. J'essaierai mĂÂȘme de vous voir moins, et dĂ©jĂ je m'occupe d'en trouver un prĂ©texte plausible. Quoi! je perdrais la douce habitude de vous voir chaque jour! Ah! du moins je ne cesserai jamais de la regretter. Un malheur Ă©ternel sera le prix de l'Amour le plus tendre; et vous l'aurez voulu, et ce sera votre ouvrage! Jamais, je le sens, je ne retrouverai le bonheur que je perds aujourd'hui; vous seule Ă©tiez faite pour mon cĂ âur; avec quel plaisir je ferais le serment de ne vivre que pour vous. Mais vous ne voulez pas le recevoir; votre silence m'apprend assez que votre cĂ âur ne vous dit rien pour moi; il est Ă la fois la preuve la plus sĂ»re de votre indiffĂ©rence, et la maniĂšre la plus cruelle de me l'annoncer. Adieu, Mademoiselle. Je n'ose plus me flatter d'une rĂ©ponse; l'Amour l'eĂ»t Ă©crite avec empressement, l'amitiĂ© avec plaisir, la pitiĂ© mĂÂȘme avec complaisance mais la pitiĂ©, l'amitiĂ© et l'Amour sont Ă©galement Ă©trangers Ă votre cĂ âur. Paris, ce 23 aoĂ»t 17** LETTRE XXIX CECILE VOLANGES A SOPHIE CARNAY Je te le disais bien, Sophie, qu'il y avait des cas oĂÂč on pouvait Ă©crire; et je t'assure que je me reproche bien d'avoir suivi ton avis, qui nous a tant fait de peine, au Chevalier Danceny et Ă moi. La preuve que j'avais raison, c'est que Madame de Merteuil, qui est une femme qui sĂ»rement le sait bien, a fini par penser comme moi. Je lui ai tout avouĂ©. Elle m'a bien dit d'abord comme toi mais quand je lui ai eu tout expliquĂ©, elle est convenue que c'Ă©tait bien diffĂ©rent; elle exige seulement que je lui fasse voir toutes mes Lettres et toutes celles du Chevalier Danceny, afin d'ĂÂȘtre sĂ»re que je ne dirai que ce qu'il faudra; ainsi, Ă prĂ©sent, me voilĂ tranquille. Mon Dieu, que je l'aime Madame de Merteuil! elle est si bonne! et c'est une femme bien respectable. Ainsi il n'y a rien Ă dire. Comme je m'en vais Ă©crire Ă M. Danceny, et comme il va ĂÂȘtre content! il le sera encore plus qu'il ne croit; car jusqu'ici je ne lui parlais que de mon amitiĂ©, et lui voulait toujours que je dise mon amour. Je crois que c'Ă©tait bien la mĂÂȘme chose; mais enfin je n'osais pas, et il tenait Ă cela. Je l'ai dit Ă Madame de Merteuil; elle m'a dit que j'avais eu raison, et qu'il ne fallait convenir d'avoir de l'Amour, que quand on ne pouvait plus s'en empĂÂȘcher or je suis bien sĂ»re que je ne pourrai pas m'en empĂÂȘcher plus longtemps; aprĂšs tout c'est la mĂÂȘme chose, et cela lui plaira davantage. Madame de Merteuil m'a dit aussi qu'elle me prĂÂȘterait des Livres qui parlaient de tout cela, et qui m'apprendraient bien Ă me conduire, et aussi Ă mieux Ă©crire que je ne fais car, vois-tu, elle me dit tous mes dĂ©fauts, ce qui est une preuve qu'elle m'aime bien; elle m'a recommandĂ© seulement de ne rien dire Ă Maman de ces Livres-lĂ parce que ça aurait l'air de trouver qu'elle a trop nĂ©gligĂ© mon Ă©ducation, et ça pourrait la fĂÂącher. Oh! je ne lui en dirai rien. C'est pourtant bien extraordinaire qu'une femme qui ne m'est presque pas parente prenne plus de soin de moi que ma mĂšre! c'est bien heureux pour moi de l'avoir connue! Elle a demandĂ© aussi Ă Maman de me mener aprĂšs-demain Ă l'OpĂ©ra, dans sa loge; elle m'a dit que nous y serions toutes seules, et nous causerons tout le temps, sans craindre qu'on nous entende j'aime bien mieux cela que l'OpĂ©ra. Nous causerons aussi de mon mariage car elle m'a dit que c'Ă©tait bien vrai que j'allais me marier; mais nous n'avons pas pu en dire davantage. Par exemple, n'est-ce pas encore bien Ă©tonnant que Maman ne m'en dise rien du tout? Adieu, ma Sophie, je m'en vas Ă©crire au Chevalier Danceny. Oh! je suis bien contente. De ..., ce 24 aoĂ»t 17** LETTRE XXX CECILE VOLANGES AU CHEVALIER DANCENY Enfin, Monsieur, je consens Ă vous Ă©crire, Ă vous assurer de mon amitiĂ©, de mon amour , puisque, sans cela, vous seriez malheureux. Vous dites que je n'ai pas bon cĂ âur; je vous assure bien que vous vous trompez, et j'espĂšre qu'Ă prĂ©sent vous n'en doutez plus. Si vous avez du chagrin de ce que je ne vous Ă©crivais pas, croyez-vous que ça ne me faisait pas de la peine aussi? Mais c'est que, pour toute chose au monde, je ne voudrais pas faire quelque chose qui fĂ»t mal; et mĂÂȘme je ne serais sĂ»rement pas convenue de mon amour, si j'avais pu m'en empĂÂȘcher mais votre tristesse me faisait trop de peine. J'espĂšre qu'Ă prĂ©sent vous n'en aurez plus, et que nous allons ĂÂȘtre bien heureux. Je compte avoir le plaisir de vous voir ce soir, et que vous viendrez de bonne heure; ce ne sera jamais aussi tĂÂŽt que je le dĂ©sire. Maman soupe chez elle, et je crois qu'elle vous proposera d'y rester j'espĂšre que vous ne serez pas engagĂ© comme avant-hier. C'Ă©tait donc bien agrĂ©able, le souper oĂÂč vous alliez? car vous y avez Ă©tĂ© de bien bonne heure. Mais enfin ne parlons pas de ça Ă prĂ©sent que vous savez que je vous aime, j'espĂšre que vous resterez avec moi le plus que vous pourrez; car je ne suis contente que lorsque je suis avec vous, et je voudrais bien que vous fussiez tout de mĂÂȘme. Je suis bien fĂÂąchĂ©e que vous ĂÂȘtes encore triste Ă prĂ©sent, mais ce n'est pas ma faute. Je demanderai Ă jouer de la harpe aussitĂÂŽt que vous serez arrivĂ©, afin que vous ayez ma lettre tout de suite. Je ne peux mieux faire... Adieu, Monsieur. Je vous aime bien, de tout mon cĂ âur; plus je vous le dis, plus je suis contente; j'espĂšre que vous le serez aussi. De ..., ce 24 aoĂ»t 17** LETTRE XXXI LE CHEVALIER DANCENY A CECILE VOLANGES Oui, sans doute, nous serons heureux. Mon bonheur est bien sĂ»r, puisque je suis aimĂ© de vous; le vĂÂŽtre ne finira jamais, s'il doit durer autant que l'Amour que vous m'avez inspirĂ©. Quoi! vous m'aimez, vous ne craignez plus de m'assurer de votre amour! Plus vous me le dites, et plus vous ĂÂȘtes contente! AprĂšs avoir lu ce charmant je vous aime , Ă©crit de votre main, j'ai entendu votre belle bouche m'en rĂ©pĂ©ter l'aveu. J'ai vu se fixer sur moi ces yeux charmants qu'embellissait encore l'expression de la tendresse. J'ai reçu vos serments de vivre toujours pour moi. Ah! recevez le mien de consacrer ma vie entiĂšre Ă votre bonheur; recevez-le, et soyez sĂ»re que je ne le trahirai pas. Quelle heureuse journĂ©e nous avons passĂ©e hier! Ah! pourquoi Madame de Merteuil n'a-t-elle pas tous les jours des secrets Ă dire Ă votre Maman? pourquoi faut-il que l'idĂ©e de la contrainte qui nous attend vienne se mĂÂȘler au souvenir dĂ©licieux qui m'occupe? pourquoi ne puis-je sans cesse tenir cette jolie main qui m'a Ă©crit je vous aime! la couvrir de baisers, et me venger ainsi du refus que vous m'avez fait d'une faveur plus grande! Dites-moi, ma CĂ©cile, quand votre Maman a Ă©tĂ© rentrĂ©e; quand nous avons Ă©tĂ© forcĂ©s, par sa prĂ©sence, de n'avoir plus l'un pour l'autre que des regards indiffĂ©rents; quand vous ne pouviez plus me consoler, par l'assurance de votre amour, du refus que vous faisiez de m'en donner des preuves, n'avez-vous donc senti aucun regret? ne vous ĂÂȘtes-vous pas dit Un baiser l'eĂ»t rendu plus heureux, et c'est moi qui lui ai ravi ce bonheur? Promettez-moi, mon aimable amie, qu'Ă la premiĂšre occasion vous serez moins sĂ©vĂšre. A l'aide de cette promesse, je trouverai du courage pour supporter les contrariĂ©tĂ©s que les circonstances nous prĂ©parent; et les privations cruelles seront au moins adoucies par la certitude que vous en partagez le secret. Adieu, ma charmante CĂ©cile voici l'heure oĂÂč je dois me rendre chez vous. Il me serait impossible de vous quitter, si ce n'Ă©tait pour aller vous revoir. Adieu, vous que j'aime tant! vous, que j'aimerai toujours davantage! De ..., ce 25 aoĂ»t 17** LETTRE XXXII MADAME DE VOLANGES A LA PRESIDENTE DE TOURVEL Vous voulez donc, Madame, que je croie Ă la vertu de M. de Valmont? J'avoue que je ne puis m'y rĂ©soudre, et que j'aurais autant de peine Ă le juger honnĂÂȘte, d'aprĂšs le seul fait que vous me racontez, qu'Ă croire vicieux un homme de bien reconnu, dont j'apprendrais une faute. L'humanitĂ© n'est parfaite dans aucun genre, pas plus dans le mal que dans le bien. Le scĂ©lĂ©rat a ses vertus, comme l'honnĂÂȘte homme a ses faiblesses. Cette vĂ©ritĂ© me paraĂt d'autant plus nĂ©cessaire Ă croire, que c'est d'elle que dĂ©rive la nĂ©cessitĂ© de l'indulgence pour les mĂ©chants comme pour les bons; et qu'elle prĂ©serve ceux-ci de l'orgueil, et sauve les autres du dĂ©couragement. Vous trouverez sans doute que je pratique bien mal dans ce moment cette indulgence que je prĂÂȘche; mais je ne vois plus en elle qu'une faiblesse dangereuse, quand elle nous mĂšne Ă traiter de mĂÂȘme le vicieux et l'homme de bien. Je ne me permettrai point de scruter les motifs de l'action de M. de Valmont; je veux croire qu'ils sont louables comme elle mais en a-t-il moins passĂ© sa vie Ă porter dans les familles le trouble, le dĂ©shonneur et le scandale? Ecoutez, si vous voulez, la voix du malheureux qu'il a secouru; mais qu'elle ne vous empĂÂȘche pas d'entendre les cris de cent victimes qu'il a immolĂ©es. Quand il ne serait, comme vous le dites, qu'un exemple du danger des liaisons, en serait-il moins lui-mĂÂȘme une liaison dangereuse? Vous le supposez susceptible d'un retour heureux? allons plus loin; supposons ce miracle arrivĂ©. Ne resterait-il pas contre lui l'opinion publique, et ne suffit-elle pas pour rĂ©gler votre conduite? Dieu seul peut absoudre au moment du repentir; il lit dans les cĂ âurs mais les hommes ne peuvent juger les pensĂ©es que par les actions; et nul d'entre eux, aprĂšs avoir perdu l'estime des autres, n'a droit de se plaindre de la mĂ©fiance nĂ©cessaire, qui rend cette perte si difficile Ă rĂ©parer. Songez surtout, ma jeune amie, que quelquefois il suffit, pour perdre cette estime, d'avoir l'air d'y attacher trop peu de prix; et ne taxez pas cette sĂ©vĂ©ritĂ© d'injustice car, outre qu'on est fondĂ© Ă croire qu'on ne renonce pas Ă ce bien prĂ©cieux quand on a droit d'y prĂ©tendre, celui-lĂ est en effet plus prĂšs de mal faire, qui n'est plus contenu par ce frein puissant. Tel serait cependant l'aspect sous lequel vous montrerait une liaison intime avec M. de Valmont, quelque innocente qu'elle pĂ»t ĂÂȘtre. EffrayĂ©e de la chaleur avec laquelle vous le dĂ©fendez, je me hĂÂąte de prĂ©venir les objections que je prĂ©vois. Vous me citerez Madame de Merteuil, Ă qui on a pardonnĂ© cette liaison; vous me demanderez pourquoi je le reçois chez moi; vous me direz que loin d'ĂÂȘtre rejetĂ© par les gens honnĂÂȘtes, il est admis, recherchĂ© mĂÂȘme dans ce qu'on appelle la bonne compagnie. Je peux, je crois, rĂ©pondre Ă tout. D'abord Madame de Merteuil, en effet trĂšs estimable, n'a peut-ĂÂȘtre d'autre dĂ©faut que trop de confiance en ses forces; c'est un guide adroit qui se plaĂt Ă conduire un char entre les rochers et les prĂ©cipices, et que le succĂšs seul justifie il est juste de la louer, il serait imprudent de la suivre; elle-mĂÂȘme en convient et s'en accuse. A mesure qu'elle a vu davantage, ses principes sont devenus plus sĂ©vĂšres; et je ne crains pas de vous assurer qu'elle penserait comme moi. Quant Ă ce qui me regarde, je ne me justifierai pas plus que les autres. Sans doute, je reçois M. de Valmont, et il est reçu partout; c'est une inconsĂ©quence de plus Ă ajouter Ă mille autres qui gouvernent la sociĂ©tĂ©. Vous savez, comme moi, qu'on passe sa vie Ă les remarquer, Ă s'en plaindre et Ă s'y livrer. M. de Valmont, avec un beau nom, une grande fortune, beaucoup de qualitĂ©s aimables, a reconnu de bonne heure que pour avoir l'empire dans la sociĂ©tĂ©, il suffisait de manier, avec une Ă©gale adresse, la louange et le ridicule. Nul ne possĂšde comme lui ce double talent il sĂ©duit avec l'un, et se fait craindre avec l'autre. On ne l'estime pas; mais on le flatte. Telle est son existence au milieu d'un monde qui, plus prudent que courageux, aime mieux le mĂ©nager que le combattre. Mais ni Madame de Merteuil elle-mĂÂȘme, ni aucune autre femme, n'oserait sans doute aller s'enfermer Ă la campagne, presque en tĂÂȘte-Ă -tĂÂȘte avec un tel homme. Il Ă©tait rĂ©servĂ© Ă la plus sage, Ă la plus modeste d'entre elles, de donner l'exemple de cette inconsĂ©quence; pardonnez-moi ce mot, il Ă©chappe Ă l'amitiĂ©. Ma belle amie, votre honnĂÂȘtetĂ© mĂÂȘme vous trahit, par la sĂ©curitĂ© qu'elle vous inspire. Songez donc que vous aurez pour juges, d'une part, des gens frivoles, qui ne croiront pas Ă une vertu dont ils ne trouvent pas le modĂšle chez eux; et de l'autre, des mĂ©chants qui feindront de n'y pas croire, pour vous punir de l'avoir eue. ConsidĂ©rez que vous faites, dans ce moment, ce que quelques hommes n'oseraient pas risquer. En effet, parmi les jeunes gens, dont M. de Valmont ne s'est que trop rendu l'oracle, je vois les plus sages craindre de paraĂtre liĂ©s trop intimement avec lui; et vous, vous ne le craignez pas! Ah! revenez, revenez, je vous en conjure... Si mes raisons ne suffisent pas pour vous persuader, cĂ©dez Ă mon amitiĂ©; c'est elle qui me fait renouveler mes instances, c'est Ă elle Ă les justifier. Vous la trouvez sĂ©vĂšre, et je dĂ©sire qu'elle soit inutile; mais j'aime mieux que vous ayez Ă vous plaindre de sa sollicitude que de sa nĂ©gligence. De ..., ce 24 aoĂ»t 17** LETTRE XXXIII LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT DĂšs que vous craignez de rĂ©ussir, mon cher Vicomte, dĂšs que votre projet est de fournir des armes contre vous, et que vous dĂ©sirez moins de vaincre que de combattre, je n'ai plus rien Ă dire. Votre conduite est un chef-d'Ă âuvre de prudence. Elle en serait un de sottise dans la supposition contraire; et pour vous parler vrai, je crains que vous ne vous fassiez illusion. Ce que je vous reproche n'est pas de n'avoir point profitĂ© du moment. D'une part, je ne vois pas clairement qu'il fĂ»t venu de l'autre, je sais assez, quoi qu'on en dise, qu'une occasion manquĂ©e se retrouve, tandis qu'on ne revient jamais d'une dĂ©marche prĂ©cipitĂ©e. Mais la vĂ©ritable Ă©cole est de vous ĂÂȘtre laissĂ© aller Ă Ă©crire. Je vous dĂ©fie Ă prĂ©sent de prĂ©voir oĂÂč ceci peut vous mener. Par hasard, espĂ©rez-vous prouver Ă cette femme qu'elle doit se rendre? Il me semble que ce ne peut ĂÂȘtre lĂ qu'une vĂ©ritĂ© de sentiment, et non de dĂ©monstration; et que pour la faire recevoir, il s'agit d'attendrir et non de raisonner; mais Ă quoi vous servirait d'attendrir par Lettres, puisque vous ne seriez pas lĂ pour en profiter? Quand vos belles phrases produiraient l'ivresse de l'Amour, vous flattez-vous qu'elle soit assez longue pour que la rĂ©flexion n'ait pas le temps d'en empĂÂȘcher l'aveu? Songez donc Ă celui qu'il faut pour Ă©crire une Lettre, Ă celui qui se passe avant qu'on la remette; et voyez si surtout une femme Ă principes comme votre DĂ©vote peut vouloir si longtemps ce qu'elle tĂÂąche de ne vouloir jamais. Cette marche peut rĂ©ussir avec les enfants, qui, quand ils Ă©crivent " je vous aime " , ne savent pas qu'ils disent " je me rends " . Mais la vertu raisonneuse de Madame de Tourvel me paraĂt fort bien connaĂtre la valeur des termes. Aussi, malgrĂ© l'avantage que vous aviez pris sur elle dans votre conversation, elle vous bat dans sa Lettre. Et puis, savez-vous ce qui arrive? par cela seul qu'on dispute, on ne veut pas cĂ©der. A force de chercher de bonnes raisons, on en trouve; on les dit; et aprĂšs on y tient, non pas tant parce qu'elles sont bonnes que pour ne pas se dĂ©mentir. De plus, une remarque que je m'Ă©tonne que vous n'ayez pas faite, c'est qu'il n'y a rien de si difficile en amour que d'Ă©crire ce qu'on ne sent pas. Je dis Ă©crire d'une façon vraisemblable ce n'est pas qu'on ne se serve des mĂÂȘmes mots; mais on ne les arrange pas de mĂÂȘme, ou plutĂÂŽt on les arrange, et cela suffit. Relisez votre Lettre il y rĂšgne un ordre qui vous dĂ©cĂšle Ă chaque phrase. Je veux croire que votre PrĂ©sidente est assez peu formĂ©e pour ne s'en pas apercevoir mais qu'importe? l'effet n'en est pas moins manquĂ©. C'est le dĂ©faut des Romans; l'Auteur se bat les flancs pour s'Ă©chauffer, et le Lecteur reste froid. HĂ©loĂÂŻse est le seul qu'on en puisse excepter; et malgrĂ© le talent de l'Auteur, cette observation m'a toujours fait croire que le fond en Ă©tait vrai. Il n'en est pas de mĂÂȘme en parlant. L'habitude de travailler son organe y donne de la sensibilitĂ©; la facilitĂ© des larmes y ajoute encore l'expression du dĂ©sir se confond dans les yeux avec celle de la tendresse; enfin le discours moins suivi amĂšne plus aisĂ©ment cet air de trouble et de dĂ©sordre, qui est la vĂ©ritable Ă©loquence de l'Amour; et surtout la prĂ©sence de l'objet aimĂ© empĂÂȘche la rĂ©flexion et nous fait dĂ©sirer d'ĂÂȘtre vaincues. Croyez-moi, Vicomte on vous demande de ne plus Ă©crire profitez-en pour rĂ©parer votre faute et attendez l'occasion de parler. Savez-vous que cette femme a plus de force que je ne croyais? Sa dĂ©fense est bonne; et sans la longueur de sa Lettre, et le prĂ©texte qu'elle vous donne pour rentrer en matiĂšre dans sa phrase de reconnaissance, elle ne se serait pas du tout trahie. Ce qui me paraĂt encore devoir vous rassurer sur le succĂšs, c'est qu'elle use trop de forces Ă la fois; je prĂ©vois qu'elle les Ă©puisera pour la dĂ©fense du mot, et qu'il ne lui en restera plus pour celle de la chose. Je vous renvoie vos deux Lettres, et si vous ĂÂȘtes prudent, ce seront les derniĂšres jusqu'aprĂšs l'heureux moment. S'il Ă©tait moins tard, je vous parlerais de la petite Volanges qui avance assez vite et dont je suis fort contente. Je crois que j'aurai fini avant vous, et vous devez en ĂÂȘtre bien heureux. Adieu pour aujourd'hui. De ..., ce 24 aoĂ»t 17** LETTRE XXXIV LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Vous parlez Ă merveille, ma belle amie mais pourquoi vous tant fatiguer Ă prouver ce que personne n'ignore? Pour aller vite en amour, il vaut mieux parler qu'Ă©crire; voilĂ , je crois, toute votre Lettre. Eh mais! ce sont les plus simples Ă©lĂ©ments de l'art de sĂ©duire. Je remarquerai seulement que vous ne faites qu'une exception Ă ce principe, et qu'il y en a deux. Aux enfants qui suivent cette marche par timiditĂ© et se livrent par ignorance, il faut joindre les femmes Beaux-Esprits, qui s'y laissent engager par amour-propre, et que la vanitĂ© conduit dans le piĂšge. Par exemple, je suis bien sĂ»r que la Comtesse de B... qui rĂ©pondit sans difficultĂ© Ă ma premiĂšre Lettre, n'avait pas alors plus d'amour pour moi que moi pour elle; et qu'elle ne vit que l'occasion de traiter un sujet qui devait lui faire honneur. Quoi qu'il en soit, un Avocat vous dirait que le principe ne s'applique pas Ă la question. En effet, vous supposez que j'ai le choix entre Ă©crire et parler, ce qui n'est pas. Depuis l'affaire du 19, mon inhumaine, qui se tient sur la dĂ©fensive, a mis Ă Ă©viter les rencontres une adresse qui a dĂ©concertĂ© la mienne. C'est au point que si cela continue, elle me forcera Ă m'occuper sĂ©rieusement des moyens de reprendre cet avantage; car assurĂ©ment je ne veux ĂÂȘtre vaincu par elle en aucun genre. Mes Lettres mĂÂȘmes sont le sujet d'une petite guerre non contente de n'y pas rĂ©pondre, elle refuse de les recevoir. Il faut pour chacune une ruse nouvelle, et qui ne rĂ©ussit pas toujours. Vous vous rappelez par quel moyen simple j'avais remis la premiĂšre; la seconde n'offrit pas plus de difficultĂ©. Elle m'avait demandĂ© de lui rendre sa Lettre je lui donnai la mienne en place, sans qu'elle eĂ»t le moindre soupçon. Mais soit dĂ©pit d'avoir Ă©tĂ© attrapĂ©e, soit caprice, ou enfin soit vertu, car elle me forcera d'y croire, elle refusa obstinĂ©ment la troisiĂšme. J'espĂšre pourtant que l'embarras oĂÂč a pensĂ© la mettre la suite de ce refus, la corrigera pour l'avenir. Je ne fus pas trĂšs Ă©tonnĂ© qu'elle ne voulĂ»t pas recevoir cette Lettre que je lui offrais tout simplement; c'eĂ»t Ă©tĂ© dĂ©jĂ accorder quelque chose, et je m'attends Ă une plus longue dĂ©fense. AprĂšs cette tentative, qui n'Ă©tait qu'un essai fait en passant, je mis une enveloppe Ă ma Lettre; et prenant le moment de la toilette, oĂÂč Madame de Rosemonde et la Femme de chambre Ă©taient prĂ©sentes, je la lui envoyai par mon Chasseur, avec ordre de lui dire que c'Ă©tait le papier qu'elle m'avait demandĂ©. J'avais bien devinĂ© qu'elle craindrait l'explication scandaleuse que nĂ©cessiterait un refus en effet elle prit la Lettre; et mon Ambassadeur, qui avait ordre d'observer sa figure, et qui ne voit pas mal, n'aperçut qu'une lĂ©gĂšre rougeur et plus d'embarras que de colĂšre. Je me fĂ©licitais donc, bien sĂ»r, ou qu'elle garderait cette Lettre, ou que si elle voulait me la rendre, il faudrait qu'elle se trouvĂÂąt seule avec moi; ce qui me donnerait une occasion de lui parler. Environ une heure aprĂšs, un de ses gens entre dans ma chambre et me remet, de la part de sa MaĂtresse, un paquet d'une autre forme que le mien, et sur l'enveloppe duquel je reconnais l'Ă©criture tant dĂ©sirĂ©e. J'ouvre avec prĂ©cipitation... C'Ă©tait ma Lettre elle-mĂÂȘme, non dĂ©cachetĂ©e et pliĂ©e seulement en deux. Je soupçonne que la crainte que je ne fusse moins scrupuleux qu'elle sur le scandale lui a fait employer cette ruse diabolique. Vous me connaissez; je n'ai pas besoin de vous peindre ma fureur. Il fallut pourtant reprendre son sang-froid, et chercher de nouveaux moyens. Voici le seul que je trouvai. On va d'ici, tous les matins, chercher les Lettres Ă la Poste, qui est Ă environ trois quarts de lieue on se sert, pour cet objet, d'une boĂte couverte Ă peu prĂšs comme un tronc, dont le MaĂtre de la Poste a une clef et Madame de Rosemonde l'autre. Chacun y met ses Lettres dans la journĂ©e, quand bon lui semble; on les porte le soir Ă la Poste, et le matin on va chercher celles qui sont arrivĂ©es. Tous les gens, Ă©trangers ou autres, font ce service Ă©galement. Ce n'Ă©tait pas le tour de mon domestique; mais il se chargea d'y aller, sous le prĂ©texte qu'il avait affaire de ce cĂÂŽtĂ©. Cependant j'Ă©crivis ma Lettre. Je dĂ©guisai mon Ă©criture pour l'adresse, et je contrefis assez bien, sur l'enveloppe, le timbre de Dijon . Je choisis cette Ville, parce que je trouvai plus gai, puisque je demandais les mĂÂȘmes droits que le mari, d'Ă©crire aussi du mĂÂȘme lieu, et aussi parce que ma Belle avait parlĂ© toute la journĂ©e du dĂ©sir qu'elle avait de recevoir des Lettres de Dijon. Il me parut juste de lui procurer ce plaisir. Ces prĂ©cautions une fois prises, il Ă©tait facile de faire joindre cette Lettre aux autres. Je gagnais encore Ă cet expĂ©dient d'ĂÂȘtre tĂ©moin de la rĂ©ception car l'usage est ici de se rassembler pour dĂ©jeuner et d'attendre l'arrivĂ©e des Lettres avant de se sĂ©parer. Enfin elles arrivĂšrent. Madame de Rosemonde ouvrit la boĂte. " De Dijon " , dit-elle, en donnant la Lettre Ă Madame de Tourvel. " Ce n'est pas l'Ă©criture de mon mari " , reprit celle-ci d'une voix inquiĂšte, en rompant le cachet avec vivacitĂ© le premier coup d'oeil l'instruisit; et il se fit une telle rĂ©volution sur sa figure que Madame de Rosemonde s'en aperçut, et lui dit " Qu'avez-vous? " Je m'approchai aussi, en disant " Cette Lettre est donc bien terrible? " La timide DĂ©vote n'osait lever les yeux, ne disait mot, et, pour sauver son embarras, feignait de parcourir l'EpĂtre, qu'elle n'Ă©tait guĂšre en Ă©tat de lire. Je jouissais de son trouble, et n'Ă©tais pas fĂÂąchĂ© de la pousser un peu " Votre air plus tranquille, ajoutai-je, fait espĂ©rer que cette Lettre vous a causĂ© plus d'Ă©tonnement que de douleur. " La colĂšre alors l'inspira mieux que n'eĂ»t pu faire la prudence. " Elle contient, rĂ©pondit-elle, des choses qui m'offensent, et que je suis Ă©tonnĂ©e qu'on ait osĂ© m'Ă©crire. " - " Et qui donc? " interrompit Madame de Rosemonde. " Elle n'est pas signĂ©e " , rĂ©pondit la belle courroucĂ©e " mais la Lettre et son Auteur m'inspirent un Ă©gal mĂ©pris. On m'obligera de ne m'en plus parler. " En disant ces mots, elle dĂ©chira l'audacieuse missive, en mit les morceaux dans sa poche, se leva, et sortit. MalgrĂ© cette colĂšre, elle n'en a pas moins eu ma Lettre; et je m'en remets bien Ă sa curiositĂ©, du soin de l'avoir lue en entier. Le dĂ©tail de la journĂ©e me mĂšnerait trop loin. Je joins Ă ce rĂ©cit le brouillon de mes deux Lettres vous serez aussi instruite que moi. Si vous voulez ĂÂȘtre au courant de ma correspondance, il faut vous accoutumer Ă dĂ©chiffrer mes minutes car pour rien au monde, je ne dĂ©vorerais l'ennui de les recopier. Adieu, ma belle amie. De ..., ce 25 aoĂ»t 17** LETTRE XXXV LE VICOMTE DE VALMONT A LA PRESIDENTE DE TOURVEL Il faut vous obĂ©ir, Madame, il faut vous prouver qu'au milieu des torts que vous vous plaisez Ă me croire, il me reste au moins assez de dĂ©licatesse pour ne pas me permettre un reproche, et assez de courage pour m'imposer les plus douloureux sacrifices. Vous m'ordonnez le silence et l'oubli! eh bien! je forcerai mon amour Ă se taire; et j'oublierai, s'il est possible, la façon cruelle dont vous l'avez accueilli. Sans doute le dĂ©sir de vous plaire n'en donnait pas le droit, et j'avoue encore que le besoin que j'avais de votre indulgence n'Ă©tait pas un titre pour l'obtenir mais vous regardez mon amour comme un outrage; vous oubliez que si ce pouvait ĂÂȘtre un tort, vous en seriez Ă la fois, et la cause et l'excuse. Vous oubliez aussi qu'accoutumĂ© Ă vous ouvrir mon ĂÂąme, lors mĂÂȘme que cette confiance pouvait me nuire, il ne m'Ă©tait plus possible de vous cacher les sentiments dont je suis pĂ©nĂ©trĂ©; et ce qui fut l'ouvrage de ma bonne foi, vous le regardez comme le fruit de l'audace. Pour prix de l'Amour le plus tendre, le plus respectueux, le plus vrai, vous me rejetez loin de vous. Vous me parlez enfin de votre haine... Quel autre ne se plaindrait pas d'ĂÂȘtre traitĂ© ainsi? Moi seul, je me soumets; je souffre tout et ne murmure point; vous frappez et j'adore. L'inconcevable empire que vous avez sur moi vous rend maĂtresse absolue de mes sentiments; et si mon amour seul vous rĂ©siste, si vous ne pouvez le dĂ©truire, c'est qu'il est votre ouvrage et non le mien. Je ne demande point un retour dont jamais je ne me suis flattĂ©. Je n'attends pas mĂÂȘme cette pitiĂ©, que l'intĂ©rĂÂȘt que vous m'aviez tĂ©moignĂ© quelquefois pouvait me faire espĂ©rer. Mais je crois, je l'avoue, pouvoir rĂ©clamer votre justice. Vous m'apprenez, Madame, qu'on a cherchĂ© Ă me nuire dans votre esprit. Si vous en eussiez cru les conseils de vos amis, vous ne m'eussiez pas mĂÂȘme laissĂ© approcher de vous ce sont vos termes. Quels sont donc ces amis officieux? Sans doute ces gens si sĂ©vĂšres, et d'une vertu si rigide, consentent Ă ĂÂȘtre nommĂ©s; sans doute ils ne voudraient pas se couvrir d'une obscuritĂ© qui les confondrait avec de vils calomniateurs; et je n'ignorerai ni leur nom, ni leurs reproches. Songez, Madame, que j'ai le droit de savoir l'un et l'autre, puisque vous me jugez d'aprĂšs eux. On ne condamne point un coupable sans lui dire son crime, sans lui nommer ses accusateurs. Je ne demande point d'autre grĂÂące, et je m'engage d'avance Ă me justifier, Ă les forcer de se dĂ©dire. Si j'ai trop mĂ©prisĂ©, peut-ĂÂȘtre, les vaines clameurs d'un Public dont je fais peu de cas, il n'en est pas ainsi de votre estime; et quand je consacre ma vie Ă la mĂ©riter, je ne me la laisserai pas ravir impunĂ©ment. Elle me devient d'autant plus prĂ©cieuse, que je lui devrai sans doute cette demande que vous craignez de me faire, et qui me donnerait, dites-vous, des droits Ă votre reconnaissance . Ah! loin d'en exiger, je croirai vous en devoir, si vous me procurez l'occasion de vous ĂÂȘtre agrĂ©able. Commencez donc Ă me rendre plus de justice, en ne me laissant plus ignorer ce que vous dĂ©sirez de moi. Si je pouvais le deviner, je vous Ă©viterais la peine de le dire. Au plaisir de vous voir, ajoutez le bonheur de vous servir, et je me louerai de votre indulgence. Qui peut donc vous arrĂÂȘter? ce n'est pas, je l'espĂšre, la crainte d'un refus? je sens que je ne pourrais vous la pardonner. Ce n'en est pas un que de ne pas vous rendre votre Lettre. Je dĂ©sire plus que vous, qu'elle ne me soit plus nĂ©cessaire mais accoutumĂ© Ă vous croire une ĂÂąme si douce, ce n'est que dans cette Lettre que je puis vous trouver telle que vous voulez paraĂtre. Quand je forme le vĂ âu de vous rendre sensible, j'y vois que plutĂÂŽt que d'y consentir, vous fuiriez Ă cent lieues de moi; quand tout en vous augmente et justifie mon amour, c'est encore elle qui me rĂ©pĂšte que mon amour vous outrage; et lorsqu'en vous voyant, cet amour me semble le bien suprĂÂȘme, j'ai besoin de vous lire, pour sentir que ce n'est qu'un affreux tourment. Vous concevez Ă prĂ©sent que mon plus grand bonheur serait de pouvoir vous rendre cette Lettre fatale me la demander encore serait m'autoriser Ă ne plus croire ce qu'elle contient; vous ne doutez pas, j'espĂšre, de mon empressement Ă vous la remettre. De ..., ce 21 aoĂ»t 17** LETTRE XXXVI LE VICOMTE DE VALMONT A LA PRESIDENTE DE TOURVEL TIMBREE DE DIJON. Votre sĂ©vĂ©ritĂ© augmente chaque jour, Madame, et si je l'ose dire, vous semblez craindre moins d'ĂÂȘtre injuste que d'ĂÂȘtre indulgente. AprĂšs m'avoir condamnĂ© sans m'entendre, vous avez dĂ» sentir, en effet, qu'il vous serait plus facile de ne pas lire mes raisons que d'y rĂ©pondre. Vous refusez mes Lettres avec obstination; vous me les renvoyez avec mĂ©pris. Vous me forcez enfin de recourir Ă la ruse, dans le moment mĂÂȘme oĂÂč mon unique but est de vous convaincre de ma bonne foi. La nĂ©cessitĂ© oĂÂč vous m'avez mis de me dĂ©fendre suffira sans doute pour en excuser les moyens. Convaincu d'ailleurs par la sincĂ©ritĂ© de mes sentiments que pour les justifier Ă vos yeux il me suffit de vous les faire bien connaĂtre, j'ai cru pouvoir me permettre ce lĂ©ger dĂ©tour. J'ose croire aussi que vous me le pardonnerez; et que vous serez peu surprise que l'Amour soit plus ingĂ©nieux Ă se produire, que l'indiffĂ©rence Ă l'Ă©carter. Permettez donc, Madame, que mon cĂ âur se dĂ©voile entiĂšrement Ă vous. Il vous appartient, il est juste que vous le connaissiez. J'Ă©tais bien Ă©loignĂ©, en arrivant chez Madame de Rosemonde, de prĂ©voir le sort qui m'y attendait. J'ignorais que vous y fussiez; et j'ajouterai, avec la sincĂ©ritĂ© qui me caractĂ©rise, que quand je l'aurais su ma sĂ©curitĂ© n'en eĂ»t point Ă©tĂ© troublĂ©e non que je ne rendisse Ă votre beautĂ© la justice qu'on ne peut lui refuser; mais accoutumĂ© Ă n'Ă©prouver que des dĂ©sirs, Ă ne me livrer qu'Ă ceux que l'espoir encourageait, je ne connaissais pas les tourments de l'Amour. Vous fĂ»tes tĂ©moin des instances que me fit Madame de Rosemonde pour m'arrĂÂȘter quelque temps. J'avais dĂ©jĂ passĂ© une journĂ©e avec vous cependant je ne me rendis, ou au moins je ne crus me rendre qu'au plaisir, si naturel et si lĂ©gitime, de tĂ©moigner des Ă©gards Ă une parente respectable. Le genre de vie qu'on menait ici diffĂ©rait beaucoup sans doute de celui auquel j'Ă©tais accoutumĂ©; il ne m'en coĂ»ta rien de m'y conformer; et, sans chercher Ă pĂ©nĂ©trer la cause du changement qui s'opĂ©rait en moi, je l'attribuais uniquement encore Ă cette facilitĂ© de caractĂšre, dont je crois vous avoir dĂ©jĂ parlĂ©. Malheureusement et pourquoi faut-il que ce soit un malheur?, en vous connaissant mieux je reconnus bientĂÂŽt que cette figure enchanteresse, qui seule m'avait frappĂ©, Ă©tait le moindre de vos avantages; votre ĂÂąme cĂ©leste Ă©tonna, sĂ©duisit la mienne. J'admirais la beautĂ©, j'adorai la vertu. Sans prĂ©tendre Ă vous obtenir, je m'occupai de vous mĂ©riter. En rĂ©clamant votre indulgence pour le passĂ©, j'ambitionnai votre suffrage pour l'avenir. Je le cherchais dans vos discours, je l'Ă©piais dans vos regards; dans ces regards d'oĂÂč partait un poison d'autant plus dangereux, qu'il Ă©tait rĂ©pandu sans dessein et reçu sans mĂ©fiance. Alors je connus l'Amour. Mais que j'Ă©tais loin de m'en plaindre! rĂ©solu de l'ensevelir dans un Ă©ternel silence, je me livrais sans crainte comme sans rĂ©serve Ă ce sentiment dĂ©licieux. Chaque jour augmentait son empire. BientĂÂŽt le plaisir de vous voir se changea en besoin. Vous absentiez-vous un moment? mon cĂ âur se serrait de tristesse; au bruit qui m'annonçait votre retour, il palpitait de joie. Je n'existais plus que par vous, et pour vous. Cependant, c'est vous-mĂÂȘme que j'adjure jamais dans la gaietĂ© des folĂÂątres jeux, ou dans l'intĂ©rĂÂȘt d'une conversation sĂ©rieuse, m'Ă©chappa-t-il un mot qui pĂ»t trahir le secret de mon cĂ âur? Enfin un jour arriva oĂÂč devait commencer mon infortune; et par une inconcevable fatalitĂ©, une action honnĂÂȘte en devint le signal. Oui, Madame, c'est au milieu des malheureux que j'avais secourus, que, vous livrant Ă cette sensibilitĂ© prĂ©cieuse qui embellit la beautĂ© mĂÂȘme et ajoute du prix Ă la vertu, vous achevĂÂątes d'Ă©garer un cĂ âur que dĂ©jĂ trop d'amour enivrait. Vous vous rappelez, peut-ĂÂȘtre, quelle prĂ©occupation s'empara de moi au retour! HĂ©las! je cherchais Ă combattre un penchant que je sentais devenir plus fort que moi. C'est aprĂšs avoir Ă©puisĂ© mes forces dans ce combat inĂ©gal, qu'un hasard, que je n'avais pu prĂ©voir, me fit trouver seul avec vous. LĂ , je succombai, je l'avoue. Mon cĂ âur trop plein ne put retenir ses discours ni ses larmes. Mais est-ce donc un crime? et si c'en est un, n'est-il pas assez puni par les tourments affreux auxquels je suis livrĂ©? DĂ©vorĂ© par un amour sans espoir, j'implore votre pitiĂ© et ne trouve que votre haine sans autre bonheur que celui de vous voir, mes yeux vous cherchent malgrĂ© moi, et je tremble de rencontrer vos regards. Dans l'Ă©tat cruel oĂÂč vous m'avez rĂ©duit, je passe les jours Ă dĂ©guiser mes peines et les nuits Ă m'y livrer; tandis que vous, tranquille et paisible, vous ne connaissez ces tourments que pour les causer et vous en applaudir. Cependant, c'est vous qui vous plaignez, et c'est moi qui m'excuse. VoilĂ pourtant, Madame, voilĂ le rĂ©cit fidĂšle de ce que vous nommez mes torts, et que peut-ĂÂȘtre il serait plus juste d'appeler mes malheurs. Un amour pur et sincĂšre, un respect qui ne s'est jamais dĂ©menti, une soumission parfaite, tels sont les sentiments que vous m'avez inspirĂ©s. Je n'eusse pas craint d'en prĂ©senter l'hommage Ă la DivinitĂ© mĂÂȘme. Ăâ vous, qui ĂÂȘtes son plus bel ouvrage, imitez-la dans son indulgence! Songez Ă mes peines cruelles; songez surtout, que, placĂ© par vous entre le dĂ©sespoir et la fĂ©licitĂ© suprĂÂȘme, le premier mot que vous prononcerez dĂ©cidera pour jamais de mon sort. De ..., ce 23 aoĂ»t 17** LETTRE XXXVII LA PRESIDENTE DE TOURVEL A MADAME DE VOLANGES Je me soumets, Madame, aux conseils que votre amitiĂ© me donne. AccoutumĂ©e Ă dĂ©fĂ©rer en tout Ă vos avis, je le suis Ă croire qu'ils sont toujours fondĂ©s en raison. J'avouerai mĂÂȘme que M. de Valmont doit ĂÂȘtre, en effet, infiniment dangereux, s'il peut Ă la fois feindre d'ĂÂȘtre ce qu'il paraĂt ici, et rester tel que vous le dĂ©peignez. Quoi qu'il en soit, puisque vous l'exigez, je l'Ă©loignerai de moi; au moins j'y ferai mon possible car souvent les choses, qui dans le fond devraient ĂÂȘtre les plus simples, deviennent embarrassantes par la forme. Il me paraĂt toujours impraticable de faire cette demande Ă sa tante; elle deviendrait Ă©galement dĂ©sobligeante, et pour elle, et pour lui. Je ne prendrais pas non plus, sans quelque rĂ©pugnance, le parti de m'Ă©loigner moi-mĂÂȘme car outre les raisons que je vous ai dĂ©jĂ mandĂ©es relatives Ă M. de Tourvel, si mon dĂ©part contrariait M. de Valmont, comme il est possible, n'aurait-il pas la facilitĂ© de me suivre Ă Paris? et son retour, dont je serais, dont au moins je paraĂtrais ĂÂȘtre l'objet, ne semblerait-il pas plus Ă©trange qu'une rencontre Ă la campagne, chez une personne qu'on sait ĂÂȘtre sa parente et mon amie? Il ne me reste donc d'autre ressource que d'obtenir de lui-mĂÂȘme qu'il veuille bien s'Ă©loigner. Je sens que cette proposition est difficile Ă faire; cependant, comme il me paraĂt avoir Ă cĂ âur de me prouver qu'il a en effet plus d'honnĂÂȘtetĂ© qu'on ne lui en suppose, je ne dĂ©sespĂšre pas de rĂ©ussir. Je ne serai pas mĂÂȘme fĂÂąchĂ©e de le tenter; et d'avoir une occasion de juger si, comme il le dit souvent, les femmes vraiment honnĂÂȘtes n'ont jamais eu, n'auront jamais Ă se plaindre de ses procĂ©dĂ©s. S'il part comme je le dĂ©sire, ce sera en effet par Ă©gard pour moi car je ne peux pas douter qu'il n'ait le projet de passer ici une grande partie de l'automne. S'il refuse ma demande et s'obstine Ă rester, je serai toujours Ă temps de partir moi-mĂÂȘme, et je vous le promets. VoilĂ , je crois, Madame, tout ce que votre amitiĂ© exigeait de moi je m'empresse d'y satisfaire, et de vous prouver que malgrĂ© la chaleur que j'ai pu mettre Ă dĂ©fendre M. de Valmont, je n'en suis pas moins disposĂ©e, non seulement Ă Ă©couter, mais mĂÂȘme Ă suivre les conseils de mes amis. J'ai l'honneur d'ĂÂȘtre, etc. De ..., ce 25 aoĂ»t 17** LETTRE XXXVIII LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT Votre Ă©norme paquet m'arrive Ă l'instant, mon cher Vicomte. Si la date en est exacte, j'aurais dĂ» le recevoir vingt-quatre heures plus tĂÂŽt; quoi qu'il en soit, si je prenais le temps de le lire, je n'aurais plus celui d'y rĂ©pondre. Je prĂ©fĂšre donc de vous en accuser seulement la rĂ©ception, et nous causerons d'autre chose. Ce n'est pas que j'aie rien Ă vous dire pour mon compte; l'automne ne laisse Ă Paris presque point d'hommes qui aient figure humaine aussi je suis, depuis un mois, d'une sagesse Ă pĂ©rir; et tout autre que mon Chevalier serait fatiguĂ© des preuves de ma constance. Ne pouvant m'occuper, je me distrais avec la petite Volanges; et c'est d'elle que je veux vous parler. Savez-vous que vous avez perdu plus que vous ne croyez Ă ne pas vous charger de cet enfant? elle est vraiment dĂ©licieuse! cela n'a ni caractĂšre ni principes; jugez combien sa sociĂ©tĂ© sera douce et facile. Je ne crois pas qu'elle brille jamais par le sentiment; mais tout annonce en elle les sensations les plus vives. Sans esprit et sans finesse, elle a pourtant une certaine faussetĂ© naturelle, si l'on peut parler ainsi, qui quelquefois m'Ă©tonne moi-mĂÂȘme, et qui rĂ©ussira d'autant mieux, que sa figure offre l'image de la candeur et de l'ingĂ©nuitĂ©. Elle est naturellement trĂšs caressante, et je m'en amuse quelquefois sa petite tĂÂȘte se monte avec une facilitĂ© incroyable; et elle est alors d'autant plus plaisante, qu'elle ne sait rien, absolument rien, de ce qu'elle dĂ©sire tant de savoir. Il lui en prend des impatiences tout Ă fait drĂÂŽles; elle rit, elle se dĂ©pite, elle pleure, et puis elle me prie de l'instruire, avec une bonne foi rĂ©ellement sĂ©duisante. En vĂ©ritĂ©, je suis presque jalouse de celui Ă qui ce plaisir est rĂ©servĂ©. Je ne sais si je vous ai mandĂ© que depuis quatre ou cinq jours j'ai l'honneur d'ĂÂȘtre sa confidente. Vous devinez bien que d'abord j'ai fait la sĂ©vĂšre mais aussitĂÂŽt que je me suis aperçue qu'elle croyait m'avoir convaincue par ses mauvaises raisons, j'ai eu l'air de les prendre pour bonnes; et elle est intimement persuadĂ©e qu'elle doit ce succĂšs Ă son Ă©loquence; il fallait cette prĂ©caution pour ne pas me compromettre. Je lui ai permis d'Ă©crire et de dire j'aime ; et le jour mĂÂȘme, sans qu'elle s'en doutĂÂąt, je lui ai mĂ©nagĂ© un tĂÂȘte-Ă - tĂÂȘte avec son Danceny. Mais figurez-vous qu'il est si sot encore, qu'il n'en a seulement pas obtenu un baiser. Ce garçon-lĂ fait pourtant de fort jolis vers! Mon Dieu! que ces gens d'esprit sont bĂÂȘtes! celui-ci l'est au point qu'il m'en embarrasse; car enfin, pour lui, je ne peux pas le conduire! C'est Ă prĂ©sent que vous me seriez bien utile. Vous ĂÂȘtes assez liĂ© avec Danceny pour avoir sa confidence, et s'il vous la donnait une fois, nous irions grand train. DĂ©pĂÂȘchez donc votre PrĂ©sidente, car enfin je ne veux pas que Gercourt s'en sauve au reste, j'ai parlĂ© de lui hier Ă la petite personne, et le lui ai si bien peint, que quand elle serait sa femme depuis dix ans, elle ne le haĂÂŻrait pas davantage. Je l'ai pourtant beaucoup prĂÂȘchĂ©e sur la fidĂ©litĂ© conjugale; rien n'Ă©gale ma sĂ©vĂ©ritĂ© sur ce point. Par lĂ , d'une part, je rĂ©tablis auprĂšs d'elle ma rĂ©putation de vertu, que trop de condescendance pourrait dĂ©truire; de l'autre, j'augmente en elle la haine dont je veux gratifier son mari. Et enfin, j'espĂšre qu'en lui faisant accroire qu'il ne lui est permis de se livrer Ă l'Amour que pendant le peu de temps qu'elle a Ă rester fille, elle se dĂ©cidera plus vite Ă n'en rien perdre. Adieu, Vicomte; je vais me mettre Ă ma toilette oĂÂč je lirai votre volume. De ..., ce 27 aoĂ»t 17** LETTRE XXXIX CECILE VOLANGES A SOPHIE CARNAY Je suis triste et inquiĂšte, ma chĂšre Sophie. J'ai pleurĂ© presque toute la nuit. Ce n'est pas que pour le moment je ne sois bien heureuse; mais je prĂ©vois que cela ne durera pas. J'ai Ă©tĂ© hier Ă l'OpĂ©ra avec Madame de Merteuil; nous y avons beaucoup parlĂ© de mon mariage, et je n'en ai rien appris de bon. C'est M. le Comte de Gercourt que je dois Ă©pouser, et ce doit ĂÂȘtre au mois d'Octobre. Il est riche, il est homme de qualitĂ©, il est Colonel du rĂ©giment de... . Jusque-lĂ tout va fort bien. Mais d'abord il est vieux figure-toi qu'il a au moins trente-six ans! et puis, Madame de Merteuil dit qu'il est triste et sĂ©vĂšre, et qu'elle craint que je ne sois pas heureuse avec lui. J'ai mĂÂȘme bien vu qu'elle en Ă©tait sĂ»re, et qu'elle ne voulait pas me le dire, pour ne pas m'affliger. Elle ne m'a presque entretenue toute la soirĂ©e que des devoirs des femmes envers leurs maris. Elle convient que M. de Gercourt n'est pas aimable du tout, et elle dit pourtant qu'il faudra que je l'aime. Ne m'a-t-elle pas dit aussi qu'une fois mariĂ©e, je ne devais plus aimer le Chevalier Danceny? comme si c'Ă©tait possible! Oh! je t'assure bien que je l'aimerai toujours. Vois-tu, j'aimerais mieux, plutĂÂŽt, ne pas me marier. Que ce M. de Gercourt s'arrange, je ne l'ai pas Ă©tĂ© chercher. Il est en Corse Ă prĂ©sent, bien loin d'ici; je voudrais qu'il y restĂÂąt dix ans. Si je n'avais pas peur de rentrer au Couvent, je dirais bien Ă Maman que je ne veux pas de ce mari-lĂ ; mais ce serait encore pis. Je suis bien embarrassĂ©e. Je sens que je n'ai jamais tant aimĂ© M. Danceny qu'Ă prĂ©sent; et quand je songe qu'il ne me reste plus qu'un mois Ă ĂÂȘtre comme je suis, les larmes me viennent aux yeux tout de suite; je n'ai de consolation que dans l'amitiĂ© de Madame de Merteuil; elle a si bon cĂ âur! elle partage tous mes chagrins comme moi-mĂÂȘme; et puis elle est si aimable que, quand je suis avec elle, je n'y songe presque plus. D'ailleurs elle m'est bien utile; car le peu que je sais, c'est elle qui me l'a appris et elle est si bonne, que je lui dis tout ce que je pense, sans ĂÂȘtre honteuse du tout. Quand elle trouve que ce n'est pas bien, elle me gronde quelquefois; mais c'est tout doucement, et puis je l'embrasse de tout mon cĂ âur, jusqu'Ă ce qu'elle ne soit plus fĂÂąchĂ©e. Au moins celle-lĂ , je peux bien l'aimer tant que je voudrai, sans qu'il y ait du mal, et ça me fait bien du plaisir. Nous sommes pourtant convenues que je n'aurais pas l'air de l'aimer tant devant le monde, et surtout devant Maman, afin qu'elle ne se mĂ©fie de rien au sujet du Chevalier Danceny. Je t'assure que si je pouvais toujours vivre comme je fais Ă prĂ©sent, je crois que je serais bien heureuse. Il n'y a que ce vilain M. de Gercourt!... Mais je ne veux pas t'en parler davantage car je redeviendrais triste. Au lieu de cela, je vas Ă©crire au Chevalier Danceny; je ne lui parlerai que de mon amour et non de mes chagrins, car je ne veux pas l'affliger. Adieu, ma bonne amie. Tu vois bien que tu aurais tort de te plaindre, et que j'ai beau ĂÂȘtre occupĂ©e , comme tu dis, qu'il ne m'en reste pas moins le temps de t'aimer et de t'Ă©crire [On continue Ă supprimer les Lettres de CĂ©cile Volanges et du Chevalier Danceny, qui sont peu intĂ©ressantes et n'annoncent aucun Ă©vĂ©nement] De ..., ce 27 aoĂ»t 17** LETTRE XL LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL C'est peu pour mon inhumaine de ne pas rĂ©pondre Ă mes Lettres, de refuser de les recevoir; elle veut me priver de sa vue, elle exige que je m'Ă©loigne. Ce qui vous surprendra davantage, c'est que je me soumette Ă tant de rigueur. Vous allez me blĂÂąmer. Cependant je n'ai pas cru devoir perdre l'occasion de me laisser donner un ordre persuadĂ©, d'une part, que qui commande s'engage; et de l'autre, que l'autoritĂ© illusoire que nous avons l'air de laisser prendre aux femmes est un des piĂšges qu'elles Ă©vitent le plus difficilement. De plus, l'adresse que celle-ci a su mettre Ă Ă©viter de se trouver seule avec moi me plaçait dans une situation dangereuse, dont j'ai cru devoir sortir Ă quelque prix que ce fĂ»t car Ă©tant sans cesse avec elle, sans pouvoir l'occuper de mon amour, il y avait lieu de craindre qu'elle ne s'accoutumĂÂąt enfin Ă me voir sans trouble; disposition dont vous savez assez combien il est difficile de revenir. Au reste, vous devinez que je ne me suis pas soumis sans condition. J'ai mĂÂȘme eu le soin d'en mettre une impossible Ă accorder; tant pour rester toujours maĂtre de tenir ma parole, ou d'y manquer, que pour engager une discussion, soit de bouche, ou par Ă©crit, dans un moment oĂÂč ma Belle est plus contente de moi, oĂÂč elle a besoin que je le sois d'elle sans compter que je serais bien maladroit, si je ne trouvais moyen d'obtenir quelque dĂ©dommagement de mon dĂ©sistement Ă cette prĂ©tention, tout insoutenable qu'elle est. AprĂšs vous avoir exposĂ© mes raisons dans ce long prĂ©ambule, je commence l'historique de ces deux derniers jours. J'y joindrai comme piĂšces justificatives la Lettre de ma Belle et ma RĂ©ponse. Vous conviendrez qu'il y a peu d'Historiens aussi exacts que moi. Vous vous rappelez l'effet que fit avant-hier matin ma Lettre de Dijon ; le reste de la journĂ©e fut trĂšs orageux. La jolie Prude arriva seulement au moment du dĂner, et annonça une forte migraine; prĂ©texte dont elle voulut couvrir un des plus violents accĂšs d'humeur que femme puisse avoir. Sa figure en Ă©tait vraiment altĂ©rĂ©e; l'expression de douceur que vous lui connaissez s'Ă©tait changĂ©e en un air mutin qui en faisait une beautĂ© nouvelle. Je me promets bien de faire usage de cette dĂ©couverte par la suite; et de remplacer quelquefois la MaĂtresse tendre, par la MaĂtresse mutine. Je prĂ©vis que l'aprĂšs-dĂner serait triste; et pour m'en sauver l'ennui, je prĂ©textai des Lettres Ă Ă©crire, et me retirai chez moi. Je revins au salon sur les six heures; Madame de Rosemonde proposa la promenade, qui fut acceptĂ©e. Mais au moment de monter en voiture, la prĂ©tendue malade, par une malice infernale, prĂ©texta Ă son tour, et peut-ĂÂȘtre pour se venger de mon absence, un redoublement de douleurs, et me fit subir sans pitiĂ© le tĂÂȘte-Ă -tĂÂȘte de ma vieille tante. Je ne sais si les imprĂ©cations que je fis contre ce dĂ©mon femelle furent exaucĂ©es, mais nous la trouvĂÂąmes couchĂ©e au retour. Le lendemain au dĂ©jeuner, ce n'Ă©tait plus la mĂÂȘme femme. La douceur naturelle Ă©tait revenue, et j'eus lieu de me croire pardonnĂ©. Le dĂ©jeuner Ă©tait Ă peine fini, que la douce personne se leva d'un air dolent, et entra dans le parc; je la suivis, comme vous pouvez croire. " D'oĂÂč peut naĂtre ce dĂ©sir de promenade? " lui dis-je en l'abordant. " J'ai beaucoup Ă©crit ce matin " , me rĂ©pondit-elle, " et ma tĂÂȘte est un peu fatiguĂ©e. " - " Je ne suis pas assez heureux, repris-je, pour avoir Ă me reprocher cette fatigue-lĂ ? " - " Je vous ai bien Ă©crit " , rĂ©pondit-elle encore, " mais j'hĂ©site Ă vous donner ma Lettre. Elle contient une demande, et vous ne m'avez pas accoutumĂ©e Ă en espĂ©rer le succĂšs. " - " Ah! je jure que s'il m'est possible... " - " Rien n'est plus facile " , interrompit-elle; " et quoique vous dussiez peut-ĂÂȘtre l'accorder comme justice, je consens Ă l'obtenir comme grĂÂące. " En disant ces mots, elle me prĂ©senta sa Lettre; en la prenant, je pris aussi sa main, qu'elle retira, mais sans colĂšre et avec plus d'embarras que de vivacitĂ©. " La chaleur est plus vive que je ne croyais " , dit-elle; " il faut rentrer. " Et elle reprit la route du ChĂÂąteau. Je fis de vains efforts pour lui persuader de continuer sa promenade, et j'eus besoin de me rappeler que nous pouvions ĂÂȘtre vus, pour n'y employer que de l'Ă©loquence. Elle rentra sans profĂ©rer une parole, et je vis clairement que cette feinte promenade n'avait eu d'autre but que de me remettre sa Lettre. Elle monta chez elle en rentrant, et je me retirai chez moi pour lire l'EpĂtre, que vous ferez bien de lire aussi, ainsi que ma RĂ©ponse, avant d'aller plus loin... LETTRE XLI LA PRESIDENTE DE TOURVEL AU VICOMTE DE VALMONT Il semble, Monsieur, par votre conduite avec moi, que vous ne cherchiez qu'Ă augmenter, chaque jour, les sujets de plainte que j'avais contre vous. Votre obstination Ă vouloir m'entretenir, sans cesse, d'un sentiment que je ne veux ni ne dois Ă©couter, l'abus que vous n'avez pas craint de faire de ma bonne foi, ou de ma timiditĂ©, pour me remettre vos Lettres; le moyen surtout, j'ose dire peu dĂ©licat, dont vous vous ĂÂȘtes servi pour me faire parvenir la derniĂšre, sans craindre au moins l'effet d'une surprise qui pouvait me compromettre; tout devrait donner lieu de ma part Ă des reproches aussi vifs que justement mĂ©ritĂ©s. Cependant, au lieu de revenir sur ces griefs, je m'en tiens Ă vous faire une demande aussi simple que juste; et si je l'obtiens de vous, je consens que tout soit oubliĂ©. Vous-mĂÂȘme m'avez dit, Monsieur, que je ne devais pas craindre un refus; et quoique, par une inconsĂ©quence qui vous est particuliĂšre, cette phrase mĂÂȘme soit suivie du seul refus que vous pouviez me faire [Voyez Lettre V], je veux croire que vous n'en tiendrez pas moins aujourd'hui cette parole formellement donnĂ©e il y a si peu de jours. Je dĂ©sire donc que vous ayez la complaisance de vous Ă©loigner de moi; de quitter ce ChĂÂąteau, oĂÂč un plus long sĂ©jour de votre part ne pourrait que m'exposer davantage au jugement d'un public toujours prompt Ă mal penser d'autrui, et que vous n'avez que trop accoutumĂ© Ă fixer les yeux sur les femmes qui vous admettent dans leur sociĂ©tĂ©. Avertie dĂ©jĂ , depuis longtemps, de ce danger par mes amis, j'ai nĂ©gligĂ©, j'ai mĂÂȘme combattu leur avis tant que votre conduite Ă mon Ă©gard avait pu me faire croire que vous aviez bien voulu ne pas me confondre avec cette foule de femmes qui toutes ont eu Ă se plaindre de vous. Aujourd'hui que vous me traitez comme elles, que je ne peux plus l'ignorer, je dois au public, Ă mes amis, Ă moi-mĂÂȘme, de suivre ce parti nĂ©cessaire. Je pourrais ajouter ici que vous ne gagneriez rien Ă refuser ma demande, dĂ©cidĂ©e que je suis Ă partir moi- mĂÂȘme, si vous vous obstiniez Ă rester mais je ne cherche point Ă diminuer l'obligation que je vous aurai de cette complaisance, et je veux bien que vous sachiez qu'en nĂ©cessitant mon dĂ©part d'ici vous contrarieriez mes arrangements. Prouvez-moi donc, Monsieur, que, comme vous me l'avez dit tant de fois, les femmes honnĂÂȘtes n'auront jamais Ă se plaindre de vous; prouvez-moi, au moins, que quand vous avez des torts avec elles, vous savez les rĂ©parer. Si je croyais avoir besoin de justifier ma demande vis-Ă -vis de vous, il me suffirait de vous dire que vous avez passĂ© votre vie Ă la rendre nĂ©cessaire, et que pourtant il n'a pas tenu Ă moi de ne la jamais former. Mais ne rappelons pas des Ă©vĂ©nements que je veux oublier, et qui m'obligeraient Ă vous juger avec rigueur, dans un moment oĂÂč je vous offre l'occasion de mĂ©riter toute ma reconnaissance. Adieu, Monsieur; votre conduite va m'apprendre avec quels sentiments je dois ĂÂȘtre, pour la vie, votre trĂšs humble, etc. De ..., ce 26 aoĂ»t 17** LETTRE XLII LE VICOMTE DE VALMONT A LA PRESIDENTE DE TOURVEL Quelque dures que soient, Madame, les conditions que vous m'imposez, je ne refuse pas de les remplir. Je sens qu'il me serait impossible de contrarier aucun de vos dĂ©sirs. Une fois d'accord sur ce point, j'ose me flatter qu'Ă mon tour, vous me permettrez de vous faire quelques demandes, bien plus faciles Ă accorder que les vĂÂŽtres, et que pourtant je ne veux obtenir que de ma soumission parfaite Ă votre volontĂ©. L'une, que j'espĂšre qui sera sollicitĂ©e par votre justice, est de vouloir bien me nommer mes accusateurs auprĂšs de vous; ils me font, ce me semble, assez de mal pour que j'aie le droit de les connaĂtre; l'autre, que j'attends de votre indulgence, est de vouloir bien me permettre de vous renouveler quelquefois l'hommage d'un amour qui va plus que jamais mĂ©riter votre pitiĂ©. Songez, Madame, que je m'empresse de vous obĂ©ir, lors mĂÂȘme que je ne peux le faire qu'aux dĂ©pens de mon bonheur; je dirai plus, malgrĂ© la persuasion oĂÂč je suis que vous ne dĂ©sirez mon dĂ©part que pour vous sauver le spectacle, toujours pĂ©nible, de l'objet de votre injustice. Convenez-en, Madame, vous craignez moins un public trop accoutumĂ© Ă vous respecter pour oser porter de vous un jugement dĂ©savantageux, que vous n'ĂÂȘtes gĂÂȘnĂ©e par la prĂ©sence d'un homme qu'il vous est plus facile de punir que de blĂÂąmer. Vous m'Ă©loignez de vous comme on dĂ©tourne ses regards d'un malheureux qu'on ne veut pas secourir. Mais tandis que l'absence va redoubler mes tourments, Ă quelle autre qu'Ă vous puis-je adresser mes plaintes? de quelle autre puis-je attendre des consolations qui vont me si devenir nĂ©cessaires? Me les refuserez-vous, quand vous seule causez mes peines? Sans doute vous ne serez pas Ă©tonnĂ©e non plus, qu'avant de partir j'aie Ă cĂ âur de justifier auprĂšs de vous les sentiments que vous m'avez inspirĂ©s; comme aussi que je ne trouve le courage de m'Ă©loigner qu'en en recevant l'ordre de votre bouche. Cette double raison me fait vous demander un moment d'entretien. Inutilement voudrions-nous y supplĂ©er par Lettres on Ă©crit des volumes et l'on explique mal ce qu'un quart d'heure de conversation suffit pour faire bien entendre. Vous trouverez facilement le temps de me l'accorder car quelque empressĂ© que je sois de vous obĂ©ir, vous savez que Madame de Rosemonde est instruite de mon projet de passer chez elle une partie de l'automne, et il faudra au moins que j'attende une Lettre pour pouvoir prĂ©texter une affaire qui me force Ă partir. Adieu, Madame; jamais ce mot ne m'a tant coĂ»tĂ© Ă Ă©crire que dans ce moment oĂÂč il me ramĂšne Ă l'idĂ©e de notre sĂ©paration. Si vous pouviez imaginer ce qu'elle me fait souffrir, j'ose croire que vous me sauriez quelque grĂ© de ma docilitĂ©. Recevez, au moins, avec plus d'indulgence l'assurance et l'hommage de l'Amour le plus tendre et le plus respectueux. De ..., ce 26 aoĂ»t 17** SUITE DE LA LETTRE XL DU VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL A prĂ©sent, raisonnons, ma belle amie. Vous sentez comme moi que la scrupuleuse, l'honnĂÂȘte Madame de Tourvel ne peut pas m'accorder la premiĂšre de mes demandes, et trahir la confiance de ses amies, en me nommant mes accusateurs; ainsi en promettant tout Ă cette condition, je ne m'engage Ă rien. Mais vous sentez aussi que ce refus qu'elle me fera deviendra un titre pour obtenir tout le reste; et qu'alors je gagne, en m'Ă©loignant, d'entrer avec elle, et de son aveu, en correspondance rĂ©glĂ©e car je compte pour peu le rendez-vous que je lui demande, et qui n'a presque d'autre objet que de l'accoutumer d'avance Ă n'en pas refuser d'autres quand ils me seront vraiment nĂ©cessaires. La seule chose qui me reste Ă faire avant mon dĂ©part est de savoir quels sont les gens qui s'occupent Ă me nuire auprĂšs d'elle. Je prĂ©sume que c'est son pĂ©dant de mari; je le voudrais outre qu'une dĂ©fense conjugale est un aiguillon au dĂ©sir, je serais sĂ»r que du moment que ma belle aura consenti Ă m'Ă©crire, je n'aurais plus rien Ă craindre de son mari, puisqu'elle se trouverait dĂ©jĂ dans la nĂ©cessitĂ© de le tromper. Mais si elle a une amie assez intime pour avoir sa confidence, et que cette amie-lĂ soit contre moi, il me paraĂt nĂ©cessaire de les brouiller, et je compte y rĂ©ussir mais avant tout il faut ĂÂȘtre instruit. J'ai bien cru que j'allais l'ĂÂȘtre hier; mais cette femme ne fait rien comme une autre. Nous Ă©tions chez elle, au moment oĂÂč l'on vint avertir que le dĂner Ă©tait servi. Sa toilette se finissait seulement, et tout en se pressant, et en faisant des excuses, je m'aperçus qu'elle laissait la clef Ă son secrĂ©taire; et je connais son usage de ne pas ĂÂŽter celle de son appartement. J'y rĂÂȘvais pendant le dĂner, lorsque j'entendis descendre sa femme de chambre je pris mon parti aussitĂÂŽt je feignis un saignement de nez, et sortis. Je volai au secrĂ©taire; mais je trouvai tous les tiroirs ouverts, et pas un papier Ă©crit. Cependant on n'a pas d'occasion de les brĂ»ler dans cette saison. Que fait elle des lettres qu'elle reçoit? et elle en reçoit souvent. Je n'ai rien nĂ©gligĂ©; tout Ă©tait ouvert, et j'ai cherchĂ© partout mais je n'y ai rien gagnĂ©, que de me convaincre que ce dĂ©pĂÂŽt prĂ©cieux reste dans ses poches. Comment l'en tirer? Depuis hier je m'occupe inutilement d'en trouver les moyens cependant je ne peux en vaincre le dĂ©sir. Je regrette de n'avoir pas le talent des filous. Ne devrait-il pas, en effet, entrer dans l'Ă©ducation d'un homme qui se mĂÂȘle d'intrigues? ne serait-il pas plaisant de dĂ©rober la lettre ou le portrait d'un rival, ou de tirer des poches d'une prude de quoi la dĂ©masquer? Mais nos parents ne songent Ă rien; et, moi j'ai beau songer Ă tout, je ne fais que m'apercevoir que je suis gauche, sans pouvoir y remĂ©dier. Quoi qu'il en soit, je revins me mettre Ă table, fort mĂ©content. Ma Belle calma pourtant un peu mon humeur, par l'air d'intĂ©rĂÂȘt que lui donna ma feinte indisposition; et je ne manquai pas de l'assurer que j'avais, depuis quelque temps, de violentes agitations qui altĂ©raient ma santĂ©. PersuadĂ©e comme elle est que c'est elle qui les cause, ne devait-elle pas en conscience travailler Ă les calmer? Mais, quoique dĂ©vote, elle est peu charitable; elle refuse toute aumĂÂŽne amoureuse, et ce refus suffit bien, ce me semble, pour en autoriser le vol. Mais adieu; car tout en causant avec vous, je ne songe qu'Ă ces maudites Lettres. De ..., ce 27 aoĂ»t 17** LETTRE XLIII LA PRESIDENTE DE TOURVEL AU VICOMTE DE VALMONT Pourquoi chercher, Monsieur, Ă diminuer ma reconnaissance? Pourquoi ne vouloir m'obĂ©ir qu'Ă demi, et marchander en quelque sorte un procĂ©dĂ© honnĂÂȘte? Il ne vous suffit donc pas que j'en sente le prix? Non seulement vous demandez beaucoup; mais vous demandez des choses impossibles. Si en effet mes amis m'ont parlĂ© de vous, ils ne l'ont pu faire que par intĂ©rĂÂȘt pour moi quand mĂÂȘme ils se seraient trompĂ©s, leur intention n'en Ă©tait pas moins bonne; et vous me proposez de reconnaĂtre cette marque d'attachement de leur part, en vous livrant leur secret! J'ai dĂ©jĂ eu tort de vous en parler, et vous me le faites assez sentir en ce moment. Ce qui n'eĂ»t Ă©tĂ© que de la candeur avec tout autre, devient une Ă©tourderie avec vous, et me mĂšnerait Ă une noirceur, si je cĂ©dais Ă votre demande. J'en appelle Ă vous-mĂÂȘme, Ă votre honnĂÂȘtetĂ©; m'avez-vous crue capable de ce procĂ©dĂ©? avez-vous dĂ» me le proposer? non sans doute; et je suis sĂ»re qu'en y rĂ©flĂ©chissant mieux vous ne reviendrez plus sur cette demande. Celle que vous me faites de m'Ă©crire n'est guĂšre plus facile Ă accorder; et si vous voulez ĂÂȘtre juste, ce n'est pas Ă moi que vous vous en prendrez. Je ne veux point vous offenser; mais avec la rĂ©putation que vous vous ĂÂȘtes acquise, et que, de votre aveu mĂÂȘme, vous mĂ©ritez au moins en partie, quelle femme pourrait avouer ĂÂȘtre en correspondance avec vous? et quelle femme honnĂÂȘte peut se dĂ©terminer Ă faire ce qu'elle sent qu'elle serait obligĂ©e de cacher? Encore si j'Ă©tais assurĂ©e que vos Lettres fussent telles que je n'eusse jamais Ă m'en plaindre, que je pusse toujours me justifier Ă mes yeux de les avoir reçues! peut-ĂÂȘtre alors le dĂ©sir de vous prouver que c'est la raison et non la haine qui me guide me ferait passer par-dessus ces considĂ©rations puissantes, et faire beaucoup plus que je ne devrais, en vous permettant de m'Ă©crire quelquefois. Si en effet vous le dĂ©sirez autant que vous me le dites, vous vous soumettrez volontiers Ă la seule condition qui puisse m'y faire consentir; et si vous avez quelque reconnaissance de ce que je fais pour vous en ce moment, vous ne diffĂ©rerez plus de partir. Permettez-moi de vous observer Ă ce sujet, que vous avez reçu une Lettre ce matin et que vous n'en avez pas profitĂ© pour annoncer votre dĂ©part Ă Madame de Rosemonde, comme vous me l'aviez promis. J'espĂšre qu'Ă prĂ©sent rien ne pourra vous empĂÂȘcher de tenir votre parole. Je compte surtout que vous n'attendrez pas, pour cela, l'entretien que vous me demandez, auquel je ne veux absolument pas me prĂÂȘter; et qu'au lieu de l'ordre que vous prĂ©tendez vous ĂÂȘtre nĂ©cessaire, vous vous contenterez de la priĂšre que je vous renouvelle. Adieu, Monsieur. De ..., ce 27 aoĂ»t 17** LETTRE XLIV LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Partagez ma joie, ma belle amie; je suis aimĂ©; j'ai triomphĂ© de ce cĂ âur rebelle. C'est en vain qu'il dissimule encore; mon heureuse adresse a surpris son secret. GrĂÂące Ă mes soins actifs, je sais tout ce qui m'intĂ©resse depuis la nuit, l'heureuse nuit d'hier, je me retrouve dans mon Ă©lĂ©ment; j'ai repris toute mon existence; j'ai dĂ©voilĂ© un double mystĂšre d'amour et d'iniquitĂ© je jouirai de l'un, je me vengerai de l'autre; je volerai de plaisirs en plaisirs. La seule idĂ©e que je m'en fais me transporte au point que j'ai quelque peine Ă rappeler ma prudence; que j'en aurai peut-ĂÂȘtre Ă mettre de l'ordre dans le rĂ©cit que j'ai Ă vous faire. Essayons cependant. Hier mĂÂȘme, aprĂšs vous avoir Ă©crit ma Lettre, j'en reçus une de la cĂ©leste dĂ©vote. Je vous l'envoie; vous y verrez qu'elle me donne, le moins maladroitement qu'elle peut, la permission de lui Ă©crire mais elle y presse mon dĂ©part, et je sentais bien que je ne pouvais le diffĂ©rer trop longtemps sans me nuire. TourmentĂ© cependant du dĂ©sir de savoir qui pouvait avoir Ă©crit contre moi, j'Ă©tais encore incertain du parti que je prendrais. Je tentai de gagner la Femme de chambre, et je voulus obtenir d'elle de me livrer les poches de sa MaĂtresse, dont elle pouvait s'emparer aisĂ©ment le soir, et qu'il lui Ă©tait facile de replacer le matin, sans donner le moindre soupçon. J'offris dix louis pour ce lĂ©ger service mais je ne trouvai qu'une bĂ©gueule, scrupuleuse ou timide, que mon Ă©loquence ni mon argent ne purent vaincre. Je la prĂÂȘchais encore, quand le souper sonna. Il fallut la laisser trop heureux qu'elle voulĂ»t bien me promettre le secret, sur lequel mĂÂȘme vous jugez que je ne comptais guĂšre. Jamais je n'eus plus d'humeur. Je me sentais compromis; et je me reprochais, toute la soirĂ©e, ma dĂ©marche imprudente. RetirĂ© chez moi, non sans inquiĂ©tude, je parlai Ă mon Chasseur qui, en sa qualitĂ© d'Amant heureux, devait avoir quelque crĂ©dit. Je voulais, ou qu'il obtĂnt de cette fille de faire ce que je lui avais demandĂ©, ou au moins qu'il s'assurĂÂąt de sa discrĂ©tion mais lui, qui d'ordinaire ne doute de rien, parut douter du succĂšs de cette nĂ©gociation, et me fit Ă ce sujet une rĂ©flexion qui m'Ă©tonna par sa profondeur. " Monsieur sait sĂ»rement mieux que moi " , me dit-il, " que coucher avec une fille, ce n'est que lui faire faire ce qui lui plaĂt de lĂ Ă lui faire faire ce que nous voulons, il y a souvent bien loin. " Le bon sens du Maraud quelquefois m'Ă©pouvante . [PIRON, MĂ©tromanie] " Je rĂ©ponds d'autant moins de celle-ci " , ajouta-t-il, " que j'ai lieu de croire qu'elle a un Amant, et que je ne la dois qu'au dĂ©sĂ âuvrement de la campagne. Aussi, sans mon zĂšle pour le service de Monsieur, je n'aurais eu cela qu'une fois. " C'est un vrai trĂ©sor que ce garçon! " Quant au secret " , ajouta-t-il encore, " Ă quoi servira-t-il de lui faire promettre, puisqu'elle ne risquera rien Ă nous tromper? lui en reparler ne ferait que lui mieux apprendre qu'il est important, et par lĂ lui donner plus d'envie d'en faire sa cour Ă sa MaĂtresse. " Plus ces rĂ©flexions Ă©taient justes, plus mon embarras augmentait. Heureusement le drĂÂŽle Ă©tait en train de jaser; et comme j'avais besoin de lui, je le laissais faire. Tout en me racontant son histoire avec cette fille, il m'apprit que comme la chambre qu'elle occupe n'est sĂ©parĂ©e de celle de sa MaĂtresse que par une simple cloison, qui pouvait laisser entendre un bruit suspect, c'Ă©tait dans la sienne qu'ils se rassemblaient chaque nuit. AussitĂÂŽt je formai mon plan, je le lui communiquai, et nous l'exĂ©cutĂÂąmes avec succĂšs. J'attendis deux heures du matin; et alors je me rendis, comme nous en Ă©tions convenus, Ă la chambre du rendez-vous, portant de la lumiĂšre avec moi, et sous prĂ©texte d'avoir sonnĂ© plusieurs fois inutilement. Mon confident, qui joue ses rĂÂŽles Ă merveille, donna une petite scĂšne de surprise, de dĂ©sespoir et d'excuse, que je terminai en l'envoyant me faire chauffer de l'eau, dont je feignis avoir besoin; tandis que la scrupuleuse ChambriĂšre Ă©tait d'autant plus honteuse, que le drĂÂŽle qui avait voulu renchĂ©rir sur mes projets l'avait dĂ©terminĂ©e Ă une toilette que la saison comportait, mais qu'elle n'excusait pas. Comme je sentais que plus cette fille serait humiliĂ©e, plus j'en disposerais facilement, je ne lui permis de changer ni de situation ni de parure; et aprĂšs avoir ordonnĂ© Ă mon Valet de m'attendre chez moi, je m'assis Ă cĂÂŽtĂ© d'elle sur le lit qui Ă©tait fort en dĂ©sordre, et je commençai ma conversation. J'avais besoin de garder l'empire que la circonstance me donnait sur elle aussi conservai-je un sang-froid qui eĂ»t fait honneur Ă la continence de Scipion; et sans prendre la plus petite libertĂ© avec elle, ce que pourtant sa fraĂcheur et l'occasion semblaient lui donner le droit d'espĂ©rer, je lui parlai d'affaires aussi tranquillement que j'aurais pu faire avec un Procureur. Mes conditions furent que je garderais fidĂšlement le secret, pourvu que le lendemain, Ă pareille heure Ă peu prĂšs, elle me livrĂÂąt les poches de sa MaĂtresse. " Au reste " , ajoutai-je, " je vous avais offert dix louis hier; je vous les promets encore aujourd'hui. Je ne veux pas abuser de votre situation. " Tout fut accordĂ©, comme vous pouvez croire; alors je me retirai, et permis Ă l'heureux couple de rĂ©parer le temps perdu. J'employai le mien Ă dormir; et Ă mon rĂ©veil, voulant avoir un prĂ©texte pour ne pas rĂ©pondre Ă la Lettre de ma Belle avant d'avoir visitĂ© ses papiers, ce que je ne pouvais faire que la nuit suivante, je me dĂ©cidai Ă aller Ă la chasse, oĂÂč je restai presque tout le jour. A mon retour, je fus reçu assez froidement. J'ai lieu de croire qu'on fut un peu piquĂ© du peu d'empressement que je mettais Ă profiter du temps qui me restait; surtout aprĂšs la Lettre plus douce que l'on m'avait Ă©crite. J'en juge ainsi, sur ce que Madame de Rosemonde m'ayant fait quelques reproches sur cette longue absence, ma Belle reprit avec un peu d'aigreur " Ah! ne reprochons pas Ă M. de Valmont de se livrer au seul plaisir qu'il peut trouver ici. " Je me plaignis de cette injustice, et j'en profitai pour assurer que je me plaisais tant avec ces Dames, que j'y sacrifiais une Lettre trĂšs intĂ©ressante que j'avais Ă Ă©crire. J'ajoutai que, ne pouvant trouver le sommeil depuis plusieurs nuits, j'avais voulu essayer si la fatigue me le rendrait; et mes regards expliquaient assez et le sujet de ma Lettre, et la cause de mon insomnie. J'eus soin d'avoir toute la soirĂ©e une douceur mĂ©lancolique qui me parut rĂ©ussir assez bien, et sous laquelle je masquai l'impatience oĂÂč j'Ă©tais de voir arriver l'heure qui devait me livrer le secret qu'on s'obstinait Ă me cacher. Enfin nous nous sĂ©parĂÂąmes, et quelque temps aprĂšs, la fidĂšle Femme de chambre vint m'apporter le prix convenu de ma discrĂ©tion. Une fois maĂtre de ce trĂ©sor, je procĂ©dai Ă l'inventaire avec la prudence que vous me connaissez car il Ă©tait important de remettre tout en place. Je tombai d'abord sur deux Lettres du mari, mĂ©lange indigeste de dĂ©tails de procĂšs et de tirades d'amour conjugal, que j'eus la patience de lire en entier, et oĂÂč je ne trouvai pas un mot qui eĂ»t rapport Ă moi. Je les replaçai avec humeur mais elle s'adoucit, en trouvant sous ma main les morceaux de ma fameuse Lettre de Dijon, soigneusement rassemblĂ©s. Heureusement il me prit fantaisie de la parcourir. Jugez de ma joie, en y apercevant les traces bien distinctes des larmes de mon adorable DĂ©vote. Je l'avoue, je cĂ©dai Ă un mouvement de jeune homme, et baisai cette Lettre avec un transport dont je ne me croyais plus susceptible. Je continuai l'heureux examen; je retrouvai toutes mes Lettres de suite, et par ordre de dates; et ce qui me surprit plus agrĂ©ablement encore, fut de retrouver la premiĂšre de toutes, celle que je croyais m'avoir Ă©tĂ© rendue par une ingrate, fidĂšlement copiĂ©e de sa main; et d'une Ă©criture altĂ©rĂ©e et tremblante, qui tĂ©moignait assez la douce agitation de son cĂ âur pendant cette occupation. Jusque-lĂ j'Ă©tais tout entier Ă l'Amour; bientĂÂŽt il fit place Ă la fureur. Qui croyez-vous qui veuille me perdre auprĂšs de cette femme que j'adore? quelle Furie supposez-vous assez mĂ©chante pour tramer une pareille noirceur? Vous la connaissez c'est votre amie, votre parente; c'est Madame de Volanges. Vous n'imaginez pas quel tissu d'horreurs l'infernale MĂ©gĂšre lui a Ă©crit sur mon compte. C'est elle, elle seule, qui a troublĂ© la sĂ©curitĂ© de cette femme angĂ©lique; c'est par ses conseils, par ses avis pernicieux, que je me vois forcĂ© de m'Ă©loigner; c'est Ă elle enfin que l'on me sacrifie. Ah! sans doute il faut sĂ©duire sa fille mais ce n'est pas assez, il faut la perdre; et puisque l'ĂÂąge de cette maudite femme la met Ă l'abri de mes coups, il faut la frapper dans l'objet de ses affections. Elle veut donc que je revienne Ă Paris! elle m'y force! soit, j'y retournerai, mais elle gĂ©mira de mon retour. Je suis fĂÂąchĂ© que Danceny soit le hĂ©ros de cette aventure, il a un fond d'honnĂÂȘtetĂ© qui nous gĂÂȘnera cependant il est amoureux, et je le vois souvent; on pourra peut-ĂÂȘtre en tirer parti. Je m'oublie dans ma colĂšre, et je ne songe pas que je vous dois le rĂ©cit de ce qui s'est passĂ© aujourd'hui. Revenons. Ce matin j'ai revu ma sensible Prude. Jamais je ne l'avais trouvĂ©e si belle. Cela devait ĂÂȘtre ainsi le plus beau moment d'une femme, le seul oĂÂč elle puisse produire cette ivresse de l'ĂÂąme, dont on parle toujours, et qu'on Ă©prouve si rarement, est celui oĂÂč, assurĂ©s de son amour, nous ne le sommes pas de ses faveurs; et c'est prĂ©cisĂ©ment le cas oĂÂč je me trouvais. Peut-ĂÂȘtre aussi l'idĂ©e que j'allais ĂÂȘtre privĂ© du plaisir de la voir servait-elle Ă l'embellir. Enfin, Ă l'arrivĂ©e du Courrier, on m'a remis votre Lettre du 27; et pendant que je la lisais, j'hĂ©sitais encore pour savoir si je tiendrais ma parole mais j'ai rencontrĂ© les yeux de ma Belle, et il m'aurait Ă©tĂ© impossible de lui rien refuser. J'ai donc annoncĂ© mon dĂ©part. Un moment aprĂšs, Madame de Rosemonde nous a laissĂ©s seuls mais j'Ă©tais encore Ă quatre pas de la farouche personne, que se levant avec l'air de l'effroi " Laissez-moi, laissez-moi, Monsieur " , m'a- t-elle dit; " au nom de Dieu, laissez-moi. " Cette priĂšre fervente, qui dĂ©celait son Ă©motion, ne pouvait que m'animer davantage. DĂ©jĂ j'Ă©tais auprĂšs d'elle, et je tenais ses mains qu'elle avait jointes avec une expression tout Ă fait touchante; lĂ , je commençais de tendres plaintes, quand un dĂ©mon ennemi ramena Madame de Rosemonde. La timide DĂ©vote, qui a en effet quelques raisons de craindre, en a profitĂ© pour se retirer. Je lui ai pourtant offert la main qu'elle a acceptĂ©e; et augurant bien de cette douceur, qu'elle n'avait pas eue depuis longtemps, tout en recommençant mes plaintes j'ai essayĂ© de serrer la sienne. Elle a d'abord voulu la retirer; mais sur une instance plus vive, elle s'est livrĂ©e d'assez bonne grĂÂące, quoique sans rĂ©pondre ni Ă ce geste, ni Ă mes discours. ArrivĂ©s Ă la porte de son appartement, j'ai voulu baiser cette main, avant de la quitter. La dĂ©fense a commencĂ© par ĂÂȘtre franche; mais un songez donc que je pars , prononcĂ© bien tendrement, l'a rendue gauche et insuffisante. A peine le baiser a-t-il Ă©tĂ© donnĂ©, que la main a retrouvĂ© sa force pour Ă©chapper, et que la Belle est entrĂ©e dans son appartement oĂÂč Ă©tait sa Femme de chambre. Ici finit mon histoire. Comme je prĂ©sume que vous serez demain chez la MarĂ©chale de ... , oĂÂč sĂ»rement je n'irai pas vous trouver; comme je me doute bien aussi qu'Ă notre premiĂšre entrevue nous aurons plus d'une affaire Ă traiter, et notamment celle de la petite Volanges, que je ne perds pas de vue, j'ai pris le parti de me faire prĂ©cĂ©der par cette Lettre; et toute longue qu'elle est, je ne la fermerai qu'au moment de l'envoyer Ă la Poste, car au terme oĂÂč j'en suis, tout peut dĂ©pendre d'une occasion; et je vous quitte pour aller l'Ă©pier. Ă huit heures du soir. Rien de nouveau; pas le plus petit moment de libertĂ© du soin mĂÂȘme pour l'Ă©viter. Cependant, autant de tristesse que la dĂ©cence en permettait, pour le moins. Un autre Ă©vĂ©nement qui peut ne pas ĂÂȘtre indiffĂ©rent, c'est que je suis chargĂ© d'une invitation de Madame de Rosemonde Ă Madame de Volanges, pour venir passer quelque temps chez elle Ă la campagne. Adieu, ma belle amie; Ă demain ou aprĂšs-demain au plus tard. De ..., ce 28 aoĂ»t 17** LETTRE XLV LA PRESIDENTE DE TOURVEL A MADAME DE VOLANGES M. de Valmont est parti ce matin, Madame; vous m'avez paru tant dĂ©sirer ce dĂ©part, que j'ai cru devoir vous en instruire. Madame de Rosemonde regrette beaucoup son neveu, dont il faut convenir qu'en effet la sociĂ©tĂ© est agrĂ©able elle a passĂ© toute la matinĂ©e Ă m'en parler avec la sensibilitĂ© que vous lui connaissez; elle ne tarissait pas sur son Ă©loge. J'ai cru lui devoir la complaisance de l'Ă©couter sans la contredire, d'autant qu'il faut avouer qu'elle avait raison sur beaucoup de points. Je sentais de plus que j'avais Ă me reprocher d'ĂÂȘtre la cause de cette sĂ©paration, et je n'espĂšre pas pouvoir la dĂ©dommager du plaisir dont je l'ai privĂ©e. Vous savez que j'ai naturellement peu de gaietĂ©, et le genre de vie que nous allons mener ici n'est pas fait pour l'augmenter. Si je ne m'Ă©tais pas conduite d'aprĂšs vos avis, je craindrais d'avoir agi un peu lĂ©gĂšrement car j'ai Ă©tĂ© vraiment peinĂ©e de la douleur de ma respectable amie; elle m'a touchĂ©e au point que j'aurais volontiers mĂÂȘlĂ© mes larmes aux siennes. Nous vivons Ă prĂ©sent dans l'espoir que vous accepterez l'invitation que M. de Valmont doit vous faire, de la part de Madame de Rosemonde, de venir passer quelque temps chez elle. J'espĂšre que vous ne doutez pas du plaisir que j'aurai Ă vous y voir; et en vĂ©ritĂ© vous nous devez ce dĂ©dommagement. Je serai fort aise de trouver cette occasion de faire une connaissance plus prompte avec Mademoiselle de Volanges, et d'ĂÂȘtre Ă portĂ©e de vous convaincre de plus en plus des sentiments respectueux, etc. De ..., ce 29 aoĂ»t 17** LETTRE XLVI LE CHEVALIER DANCENY A CECILE VOLANGES Que vous est-il donc arrivĂ©, mon adorable CĂ©cile? qui a pu causer en vous un changement si prompt et si cruel? que sont devenus vos serments de ne jamais changer? Hier encore, vous les rĂ©itĂ©riez avec tant de plaisir! qui peut aujourd'hui vous les faire oublier? J'ai beau m'examiner, je ne puis en trouver la cause en moi, et il m'est affreux d'avoir Ă la chercher en vous. Ah! sans doute vous n'ĂÂȘtes ni lĂ©gĂšre, ni trompeuse; et mĂÂȘme dans ce moment de dĂ©sespoir, un soupçon outrageant ne flĂ©trira point mon ĂÂąme. Cependant, par quelle fatalitĂ© n'ĂÂȘtes-vous plus la mĂÂȘme? Non, cruelle, vous ne l'ĂÂȘtes plus! La tendre CĂ©cile, la CĂ©cile que j'adore, et dont j'ai reçu les serments, n'aurait point Ă©vitĂ© mes regards, n'aurait point contrariĂ© le hasard heureux qui me plaçait auprĂšs d'elle; ou si quelque raison que je ne peux concevoir l'avait forcĂ©e Ă me traiter avec tant de rigueur, elle n'eĂ»t pas au moins dĂ©daignĂ© de m'en instruire. Ah! vous ne savez pas, vous ne saurez jamais, ma CĂ©cile, ce que vous m'avez fait souffrir aujourd'hui, ce que je souffre encore en ce moment. Croyez-vous donc que je puisse vivre et ne plus ĂÂȘtre aimĂ© de vous? Cependant, quand je vous ai demandĂ© un mot, un seul mot, pour dissiper mes craintes, au lieu de me rĂ©pondre, vous avez feint de craindre d'ĂÂȘtre entendue; et cet obstacle qui n'existait pas alors vous l'avez fait naĂtre aussitĂÂŽt, par la place que vous avez choisie dans le cercle. Quand, forcĂ© de vous quitter, je vous ai demandĂ© l'heure Ă laquelle je pourrais vous revoir demain, vous avez feint de l'ignorer, et il a fallu que ce fĂ»t Madame de Volanges qui m'en instruisĂt. Ainsi ce moment toujours si dĂ©sirĂ© qui doit me rapprocher de vous, demain ne fera naĂtre en moi que de l'inquiĂ©tude; et le plaisir de vous voir, jusqu'alors si cher Ă mon cĂ âur, sera remplacĂ© par la crainte de vous ĂÂȘtre importun. DĂ©jĂ , je le sens, cette crainte m'arrĂÂȘte, et je n'ose vous parler de mon amour. Ce je vous aime , que j'aimais tant Ă rĂ©pĂ©ter quand je pouvais l'entendre Ă mon tour, ce mot si doux, qui suffisait Ă ma fĂ©licitĂ©, ne m'offre plus, si vous ĂÂȘtes changĂ©e, que l'image d'un dĂ©sespoir Ă©ternel. Je ne puis croire pourtant que ce talisman de l'Amour ait perdu toute sa puissance, et j'essaie de m'en servir encore [Ceux qui n'ont pas eu l'occasion de sentir quelquefois le prix d'un mot d'une expression, consacrĂ©s par l'Amour, ne trouveront aucun sens dans cette phrase]. Oui, ma CĂ©cile, je vous aime. RĂ©pĂ©tez donc avec moi cette expression de mon bonheur. Songez que vous m'avez accoutumĂ© Ă l'entendre, et que m'en priver, c'est me condamner Ă un tourment qui, de mĂÂȘme que mon amour, ne finira qu'avec ma vie. De ..., ce 29 aoĂ»t 17** LETTRE XLVII LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Je ne vous verrai pas encore aujourd'hui, ma belle amie, et voici mes raisons, que je vous prie de recevoir avec indulgence. Au lieu de revenir hier directement, je me suis arrĂÂȘtĂ© chez la Comtesse de ***, dont le chĂÂąteau se trouvait presque sur ma route, et Ă qui j'ai demandĂ© Ă dĂner. Je ne suis arrivĂ© Ă Paris que vers les sept heures, et je suis descendu Ă l'OpĂ©ra, oĂÂč j'espĂ©rais que vous pouviez ĂÂȘtre. L'OpĂ©ra fini, j'ai Ă©tĂ© revoir mes amies du foyer; j'y ai retrouvĂ© mon ancienne Emilie, entourĂ©e d'une cour nombreuse, tant en femmes qu'en hommes, Ă qui elle donnait le soir mĂÂȘme Ă souper Ă P... Je ne fus pas plus tĂÂŽt entrĂ© dans ce cercle, que je fus priĂ© du souper, par acclamation. Je le fus aussi par une petite figure grosse et courte qui me baragouina une invitation en français de Hollande, et que je reconnus pour le vĂ©ritable hĂ©ros de la fĂÂȘte. J'acceptai. J'appris, dans ma route, que la maison oĂÂč nous allions Ă©tait le prix convenu des bontĂ©s d'Emilie pour cette figure grotesque, et que ce souper Ă©tait un vĂ©ritable repas de noces. Le petit homme ne se possĂ©dait pas de joie, dans l'attente du bonheur dont il allait jouir; il m'en parut si satisfait, qu'il me donna envie de le troubler; ce que je fis en effet. La seule difficultĂ© que j'Ă©prouvai fut de dĂ©cider Emilie que la richesse du Bourgmestre rendait un peu scrupuleuse. Elle se prĂÂȘta pourtant, aprĂšs quelques façons, au projet que je donnai, de remplir de vin ce petit tonneau Ă biĂšre, et de le mettre ainsi hors de combat pour toute la nuit. L'idĂ©e sublime que nous nous Ă©tions formĂ©e d'un buveur Hollandais nous fit employer tous les moyens connus. Nous rĂ©ussĂmes si bien, qu'au dessert il n'avait dĂ©jĂ plus la force de tenir son verre mais la secourable Emilie et moi l'entonnions Ă qui mieux mieux. Enfin, il tomba sous la table, dans une ivresse telle, qu'elle doit au moins durer huit jours. Nous nous dĂ©cidĂÂąmes alors Ă le renvoyer Ă Paris; et comme il n'avait pas gardĂ© sa voiture, je le fis charger dans la mienne, et je restai Ă sa place. Je reçus ensuite les compliments de l'assemblĂ©e, qui se retira bientĂÂŽt aprĂšs, et me laissa maĂtre du champ de bataille. Cette gaietĂ©, et peut-ĂÂȘtre ma longue retraite, m'ont fait trouver Emilie si dĂ©sirable, que je lui ai promis de rester avec elle jusqu'Ă la rĂ©surrection du Hollandais. Cette complaisance de ma part est le prix de celle qu'elle vient d'avoir, de me servir de pupitre pour Ă©crire Ă ma belle DĂ©vote, Ă qui j'ai trouvĂ© plaisant d'envoyer une Lettre Ă©crite du lit et presque d'entre les bras d'une fille, interrompue mĂÂȘme pour une infidĂ©litĂ© complĂšte, et dans laquelle je lui rends un compte exact de ma situation et de ma conduite. Emilie, qui a lu l'EpĂtre, en a ri comme une folle, et j'espĂšre que vous en rirez aussi. Comme il faut que ma Lettre soit timbrĂ©e de Paris, je vous l'envoie; je la laisse ouverte. Vous voudrez bien la lire, la cacheter, et la faire mettre Ă la Poste. Surtout n'allez pas vous servir de votre cachet, ni mĂÂȘme d'aucun emblĂšme amoureux; une tĂÂȘte seulement. Adieu, ma belle amie. Je rouvre ma Lettre; j'ai dĂ©cidĂ© Emilie Ă aller aux Italiens. Je profiterai de ce temps pour aller vous voir. Je serai chez vous Ă six heures au plus tard; et si cela vous convient, nous irons ensemble sur les sept heures chez Madame de Volanges. Il sera dĂ©cent que je ne diffĂšre pas l'invitation que j'ai Ă lui faire de la part de Madame de Rosemonde; de plus, je serai bien aise de voir la petite Volanges. Adieu, la trĂšs belle dame. Je veux avoir tant de plaisir Ă vous embrasser que le Chevalier puisse en ĂÂȘtre jaloux. De P. . , ce 30 aoĂ»t 17** LETTRE XLVIII LE VICOMTE DE VALMONT A LA PRESIDENTE DE TOURVEL TIMBREE DE PARIS. C'est aprĂšs une nuit orageuse, et pendant laquelle je n'ai pas fermĂ© l'oeil; c'est aprĂšs avoir Ă©tĂ© sans cesse ou dans l'agitation d'une ardeur dĂ©vorante, ou dans l'entier anĂ©antissement de toutes les facultĂ©s de mon ĂÂąme, que je viens chercher auprĂšs de vous, Madame, un calme dont j'ai besoin, et dont pourtant je n'espĂšre pas jouir encore. En effet, la situation oĂÂč je suis en vous Ă©crivant me fait connaĂtre plus que jamais la puissance irrĂ©sistible de l'Amour; j'ai peine Ă conserver assez d'empire sur moi pour mettre quelque ordre dans mes idĂ©es; et dĂ©jĂ je prĂ©vois que je ne finirai pas cette Lettre sans ĂÂȘtre obligĂ© de l'interrompre. Quoi! ne puis-je donc espĂ©rer que vous partagerez quelque jour le trouble que j'Ă©prouve en ce moment? J'ose croire cependant que, si vous le connaissiez bien, vous n'y seriez pas entiĂšrement insensible. Croyez-moi, Madame, la froide tranquillitĂ©, le sommeil de l'ĂÂąme, image de la mort, ne mĂšnent point au bonheur; les passions actives peuvent seules y conduire; et malgrĂ© les tourments que vous me faites Ă©prouver, je crois pouvoir assurer sans crainte, que, dans ce moment, je suis plus heureux que vous. En vain m'accablez-vous de vos rigueurs dĂ©solantes, elles ne m'empĂÂȘchent point de m'abandonner entiĂšrement Ă l'Amour et d'oublier, dans le dĂ©lire qu'il me cause, le dĂ©sespoir auquel vous me livrez. C'est ainsi que je veux me venger de l'exil auquel vous me condamnez. Jamais je n'eus tant de plaisir en vous Ă©crivant; jamais je ne ressentis, dans cette occupation, une Ă©motion si douce et cependant si vive. Tout semble augmenter mes transports l'air que je respire est plein de voluptĂ©; la table mĂÂȘme sur laquelle je vous Ă©cris, consacrĂ©e pour la premiĂšre fois Ă cet usage, devient pour moi l'autel sacrĂ© de l'Amour; combien elle va s'embellir Ă mes yeux! j'aurai tracĂ© sur elle le serment de vous aimer toujours! Pardonnez, je vous en supplie, au dĂ©sordre de mes sens. Je devrais peut-ĂÂȘtre m'abandonner moins Ă des transports que vous ne partagez pas il faut vous quitter un moment pour dissiper une ivresse qui s'augmente Ă chaque instant, et qui devient plus forte que moi. Je reviens Ă vous, Madame, et sans doute j'y reviens toujours avec le mĂÂȘme empressement. Cependant le sentiment du bonheur a fui loin de moi; il a fait place Ă celui des privations cruelles. A quoi me sert-il de vous parler de mes sentiments, si je cherche en vain les moyens de vous convaincre? aprĂšs tant d'efforts rĂ©itĂ©rĂ©s, la confiance et la force m'abandonnent Ă la fois. Si je me retrace encore les plaisirs de l'Amour, c'est pour sentir plus vivement le regret d'en ĂÂȘtre privĂ©. Je ne me vois de ressource que dans votre indulgence, et je sens trop, dans ce moment, combien j'en ai besoin pour espĂ©rer de l'obtenir. Cependant, jamais mon amour ne fut plus respectueux, jamais il ne dut moins vous offenser; il est tel, j'ose le dire, que la vertu la plus sĂ©vĂšre ne devrait pas le craindre mais je crains moi-mĂÂȘme de vous entretenir plus longtemps de la peine que j'Ă©prouve. AssurĂ© que l'objet qui la cause ne la partage pas, il ne faut pas au moins abuser de ses bontĂ©s; et ce serait le faire, que d'employer plus de temps Ă vous retracer cette douloureuse image. Je ne prends plus que celui de vous supplier de me rĂ©pondre, et de ne jamais douter de la vĂ©ritĂ© de mes sentiments. Ecrite de P ..., datĂ©e de Paris, ce 30 aoĂ»t l7**. LETTRE XLIX CECILE VOLANGES AU CHEVALIER DANCENY Sans ĂÂȘtre ni lĂ©gĂšre, ni trompeuse, il me suffit, Monsieur, d'ĂÂȘtre Ă©clairĂ©e sur ma conduite, pour sentir la nĂ©cessitĂ© d'en changer; j'en ai promis le sacrifice Ă Dieu, jusqu'Ă ce que je puisse lui offrir aussi celui de mes sentiments pour vous, que l'Ă©tat Religieux dans lequel vous ĂÂȘtes rend plus criminels encore. Je sens bien que cela me fera de la peine, et je ne vous cacherai mĂÂȘme pas que depuis avant-hier j'ai pleurĂ© toutes les fois que j'ai songĂ© Ă vous. Mais j'espĂšre que Dieu me fera la grĂÂące de me donner la force nĂ©cessaire pour vous oublier, comme je la lui demande soir et matin. J'attends mĂÂȘme de votre amitiĂ©, et de votre honnĂÂȘtetĂ©, que vous ne chercherez pas Ă me troubler dans la bonne rĂ©solution qu'on m'a inspirĂ©e, et dans laquelle je tĂÂąche de me maintenir. En consĂ©quence, je vous demande d'avoir la complaisance de ne me plus Ă©crire, d'autant que je vous prĂ©viens que je ne vous rĂ©pondrais plus, et que vous me forceriez d'avertir Maman de tout ce qui se passe ce qui me priverait tout Ă fait du plaisir de vous voir. Je n'en conserverai pas moins pour vous tout l'attachement qu'on puisse avoir sans qu'il y ait du mal; et c'est bien de toute mon ĂÂąme que je vous souhaite toute sorte de bonheur. Je sens bien que vous allez ne plus m'aimer autant, et que peut-ĂÂȘtre vous en aimerez bientĂÂŽt une autre mieux que moi. Mais ce sera une pĂ©nitence de plus, de la faute que j'ai commise en vous donnant mon cĂ âur, que je ne devais donner qu'Ă Dieu, et Ă mon mari quand j'en aurai un. J'espĂšre que la misĂ©ricorde divine aura pitiĂ© de ma faiblesse, et qu'elle ne me donnera de peine que ce que j'en pourrai supporter. Adieu, Monsieur; je peux bien vous assurer que s'il m'Ă©tait permis d'aimer quelqu'un, ce ne serait jamais que vous que j'aimerais. Mais voilĂ tout ce que je peux vous dire, et c'est peut-ĂÂȘtre mĂÂȘme plus que je ne devrais. De ..., ce 31 aoĂ»t 17** LETTRE L LA PRESIDENTE DE TOURVEL AU VICOMTE DE VALMONT Est-ce donc ainsi, Monsieur, que vous remplissez les conditions auxquelles j'ai consenti Ă recevoir quelquefois de vos Lettres? Et puis-je ne pas avoir Ă m'en plaindre , quand vous ne m'y parlez que d'un sentiment auquel je craindrais encore de me livrer, quand mĂÂȘme je le pourrais sans blesser tous mes devoirs? Au reste, si j'avais besoin de nouvelles raisons pour conserver cette crainte salutaire, il me semble que je pourrais les trouver dans votre derniĂšre Lettre. En effet, dans le moment mĂÂȘme oĂÂč vous croyez faire l'apologie de l'Amour, que faites-vous au contraire que m'en montrer les orages redoutables? qui peut vouloir d'un bonheur achetĂ© au prix de la raison, et dont les plaisirs peu durables sont au moins suivis des regrets, quand ils ne le sont pas des remords? Vous-mĂÂȘme, chez qui l'habitude de ce dĂ©lire dangereux doit en diminuer l'effet, n'ĂÂȘtes-vous pas cependant obligĂ© de convenir qu'il devient souvent plus fort que vous, et n'ĂÂȘtes-vous pas le premier Ă vous plaindre du trouble involontaire qu'il vous cause? Quel ravage effrayant ne ferait-il donc pas sur un cĂ âur neuf et sensible, qui ajouterait encore Ă son empire par la grandeur des sacrifices qu'il serait obligĂ© de lui faire? Vous croyez, Monsieur, ou vous feignez de croire que l'Amour mĂšne au bonheur; et moi, je suis si persuadĂ©e qu'il me rendrait malheureuse, que je voudrais n'entendre jamais prononcer son nom. Il me semble que d'en parler seulement altĂšre la tranquillitĂ©; et c'est autant par goĂ»t que par devoir, que je vous prie de vouloir bien garder le silence sur ce point. AprĂšs tout, cette demande doit vous ĂÂȘtre bien facile Ă m'accorder Ă prĂ©sent. De retour Ă Paris, vous y trouverez assez d'occasions d'oublier un sentiment qui peut-ĂÂȘtre n'a dĂ» sa naissance qu'Ă l'habitude oĂÂč vous ĂÂȘtes de vous occuper de semblables objets, et sa force qu'au dĂ©sĂ âuvrement de la campagne. N'ĂÂȘtes- vous donc pas dans ce mĂÂȘme lieu, oĂÂč vous m'aviez vue avec tant d'indiffĂ©rence? Y pouvez-vous faire un pas sans y rencontrer un exemple de votre facilitĂ© Ă changer et n'y ĂÂȘtes-vous pas entourĂ© de femmes, qui toutes, plus aimables que moi, ont plus de droits Ă vos hommages? Je n'ai pas la vanitĂ© qu'on reproche Ă mon sexe; j'ai encore moins cette fausse modestie qui n'est qu'un raffinement de l'orgueil; et c'est de bien bonne foi que je vous dis ici que je me connais bien peu de moyens de plaire je les aurais tous, que je ne les croirais pas suffisants pour vous fixer. Vous demander de ne plus vous occuper de moi, ce n'est donc que vous prier de faire aujourd'hui ce que dĂ©jĂ vous aviez fait, et ce qu'Ă coup sĂ»r vous feriez encore dans peu de temps, quand mĂÂȘme je vous demanderais le contraire. Cette vĂ©ritĂ©, que je ne perds pas de vue, serait, Ă elle seule, une raison assez forte pour ne pas vouloir vous entendre. J'en ai mille autres encore mais sans entrer dans cette longue discussion, je m'en tiens Ă vous prier, comme je l'ai dĂ©jĂ fait, de ne plus m'entretenir d'un sentiment que je ne dois pas Ă©couter, et auquel je dois encore moins rĂ©pondre. De ..., ce 1er septembre 17** SECONDE PARTIE LETTRE LI LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT En vĂ©ritĂ©, Vicomte, vous ĂÂȘtes insupportable. Vous me traitez avec autant de lĂ©gĂšretĂ© que si j'Ă©tais votre MaĂtresse. Savez-vous que je me fĂÂącherai, et que j'ai dans ce moment une humeur effroyable? Comment! vous devez voir Danceny demain matin; vous savez combien il est important que je vous parle avant cette entrevue; et sans vous inquiĂ©ter davantage, vous me laissez vous attendre toute la journĂ©e, pour aller courir je ne sais oĂÂč? Vous ĂÂȘtes cause que je suis arrivĂ©e indĂ©cemment tard chez Madame de Volanges, et que toutes les vieilles femmes m'ont trouvĂ©e merveilleuse. Il m'a fallu leur faire des cajoleries toute la soirĂ©e pour les apaiser car il ne faut pas fĂÂącher les vieilles femmes; ce sont elles qui font la rĂ©putation des jeunes. A prĂ©sent il est une heure du matin, et au lieu de me coucher, comme j'en meurs d'envie, il faut que je vous Ă©crive une longue Lettre, qui va redoubler mon sommeil par l'ennui qu'elle me causera. Vous ĂÂȘtes bien heureux que je n'aie pas le temps de vous gronder davantage. N'allez pas croire pour cela que je vous pardonne; c'est seulement que je suis pressĂ©e. Ecoutez-moi donc, je me dĂ©pĂÂȘche. Pour peu que vous soyez adroit, vous devez avoir demain la confidence de Danceny. Le moment est favorable pour la confiance c'est celui du malheur. La petite fille a Ă©tĂ© Ă confesse; elle a tout dit, comme un enfant; et depuis, elle est tourmentĂ©e Ă un tel point de la peur du diable, qu'elle veut rompre absolument. Elle m'a racontĂ© tous ses petits scrupules, avec une vivacitĂ© qui m'apprenait assez combien sa tĂÂȘte Ă©tait montĂ©e. Elle m'a montrĂ© sa Lettre de rupture, qui est une vraie capucinade. Elle a babillĂ© une heure avec moi, sans me dire un mot qui ait le sens commun. Mais elle ne m'en a pas moins embarrassĂ©e; car vous jugez que je ne pouvais risquer de m'ouvrir vis-Ă -vis d'une aussi mauvaise tĂÂȘte. J'ai vu pourtant au milieu de tout ce bavardage qu'elle n'en aime pas moins son Danceny; j'ai remarquĂ© mĂÂȘme une de ces ressources qui ne manquent jamais Ă l'Amour, et dont la petite fille est assez plaisamment la dupe. TourmentĂ©e par le dĂ©sir de s'occuper de son Amant, et par la crainte de se damner en s'en occupant, elle a imaginĂ© de prier Dieu de le lui faire oublier; et comme elle renouvelle cette priĂšre Ă chaque instant du jour, elle trouve le moyen d'y penser sans cesse. Avec quelqu'un de plus usagĂ© que Danceny, ce petit Ă©vĂ©nement serait peut-ĂÂȘtre plus favorable que contraire, mais le jeune homme est si CĂ©ladon, que, si nous ne l'aidons pas, il lui faudra tant de temps pour vaincre les plus lĂ©gers obstacles qu'il ne nous laissera pas celui d'effectuer notre projet. Vous avez bien raison; c'est dommage, et je suis aussi fĂÂąchĂ©e que vous qu'il soit le hĂ©ros de cette aventure mais que voulez-vous? ce qui est fait est fait; et c'est votre faute. J'ai demandĂ© Ă voir sa RĂ©ponse [Cette Lettre ne s'est pas retrouvĂ©e]; elle m'a fait pitiĂ©. Il lui fait des raisonnements Ă perte d'haleine, pour lui prouver qu'un sentiment involontaire ne peut pas ĂÂȘtre un crime comme s'il ne cessait pas d'ĂÂȘtre involontaire, du moment qu'on cesse de le combattre! Cette idĂ©e est si simple, qu'elle est venue mĂÂȘme Ă la petite fille. Il se plaint de son malheur d'une maniĂšre assez touchante mais sa douleur est si douce et paraĂt si forte et si sincĂšre, qu'il me semble impossible qu'une femme qui trouve l'occasion de dĂ©sespĂ©rer un homme Ă ce point, et avec aussi peu de danger, ne soit pas tentĂ©e de s'en passer la fantaisie. Il lui explique enfin qu'il n'est pas Moine comme la petite le croyait; et c'est, sans contredit, ce qu'il fait de mieux car, pour faire tant que de se livrer Ă l'Amour Monastique, assurĂ©ment MM. les Chevaliers de Malte ne mĂ©riteraient pas la prĂ©fĂ©rence. Quoi qu'il en soit, au lieu de perdre mon temps en raisonnements qui m'auraient compromise, et peut-ĂÂȘtre sans persuader, j'ai approuvĂ© le projet de rupture mais j'ai dit qu'il Ă©tait plus honnĂÂȘte, en pareil cas, de dire ses raisons que de les Ă©crire; qu'il Ă©tait d'usage aussi de rendre les Lettres et les autres bagatelles qu'on pouvait avoir reçues; et paraissant entrer ainsi dans les vues de la petite personne, je l'ai dĂ©cidĂ©e Ă donner un rendez-vous Ă Danceny. Nous en avons sur-le-champ concertĂ© les moyens, et je me suis chargĂ©e de dĂ©cider la mĂšre Ă sortir sans sa fille; c'est demain aprĂšs-midi que sera cet instant dĂ©cisif. Danceny en est dĂ©jĂ instruit; mais, pour Dieu, si vous en trouvez l'occasion, dĂ©cidez donc ce beau Berger Ă ĂÂȘtre moins langoureux; et apprenez-lui, puisqu'il faut lui tout dire, que la vraie façon de vaincre les scrupules est de ne laisser rien Ă perdre Ă ceux qui en ont. Au reste, pour que cette ridicule scĂšne ne se renouvelĂÂąt pas, je n'ai pas manquĂ© d'Ă©lever quelques doutes dans l'esprit de la petite fille sur la discrĂ©tion des Confesseurs; et je vous assure qu'elle paie Ă prĂ©sent la peur qu'elle m'a faite, par celle qu'elle a que le sien n'aille tout dire Ă sa mĂšre. J'espĂšre qu'aprĂšs que j'en aurai causĂ© encore une fois ou deux avec elle, elle n'ira plus raconter ainsi ses sottises au premier venu [Le lecteur a dĂ» deviner depuis longtemps, par les mĂ âurs de Madame de Merteuil, combien peu elle respectait la Religion. On aurait supprimĂ© tout cet alinĂ©a, mais on a cru qu'en montrant les effets, on ne devait pas nĂ©gliger d'en faire connaĂtre les causes.]. Adieu, Vicomte; emparez-vous de Danceny, et conduisez-le. Il serait honteux que nous ne fissions pas ce que nous voulons de deux enfants. Si nous y trouvons plus de peine que nous ne l'avions cru d'abord, songeons, pour animer notre zĂšle, vous, qu'il s'agit de la fille de Madame de Volanges, et moi, qu'elle doit devenir la femme de Gercourt. Adieu. De ..., ce 2 septembre l7**. LETTRE LII LE VICOMTE DE VALMONT A LA PRESIDENTE DE TOURVEL Vous me dĂ©fendez, Madame, de vous parler de mon amour; mais oĂÂč trouver le courage nĂ©cessaire pour vous obĂ©ir? Uniquement occupĂ© d'un sentiment qui devrait ĂÂȘtre si doux, et que vous rendez si cruel; languissant dans l'exil oĂÂč vous m'avez condamnĂ©; ne vivant que de privations et de regrets; en proie Ă des tourments d'autant plus douloureux, qu'ils me rappellent sans cesse votre indiffĂ©rence; me faudra-t-il encore perdre la seule consolation qui me reste? et puis-je en avoir d'autre, que de vous ouvrir quelquefois une ĂÂąme que vous remplissez de trouble et d'amertume? DĂ©tournerez-vous vos regards, pour ne pas voir les pleurs que vous faites rĂ©pandre? Refuserez-vous jusqu'Ă l'hommage des sacrifices que vous exigez? Ne serait-il donc pas plus digne de vous, de votre ĂÂąme honnĂÂȘte et douce, de plaindre un malheureux, qui ne l'est que par vous, que de vouloir encore aggraver ses peines, par une dĂ©fense Ă la fois injuste et rigoureuse. Vous feignez de craindre l'Amour, et vous ne voulez pas voir que vous seule causez les maux que vous lui reprochez. Ah! sans doute, ce sentiment est pĂ©nible, quand l'objet qui l'inspire ne le partage point; mais oĂÂč trouver le bonheur, si un amour rĂ©ciproque ne le procure pas? L'amitiĂ© tendre, la douce confiance et la seule qui soit sans rĂ©serve, les peines adoucies, les plaisirs augmentĂ©s, l'espoir enchanteur, les souvenirs dĂ©licieux, oĂÂč les trouver ailleurs que dans l'Amour? Vous le calomniez, vous qui, pour jouir de tous les biens qu'il vous offre, n'avez qu'Ă ne plus vous y refuser; et moi j'oublie les peines que j'Ă©prouve, pour m'occuper Ă le dĂ©fendre. Vous me forcez aussi Ă me dĂ©fendre moi-mĂÂȘme; car tandis que je consacre ma vie Ă vous adorer, vous passez la vĂÂŽtre Ă me chercher des torts dĂ©jĂ vous me supposez lĂ©ger et trompeur; et abusant, contre moi, de quelques erreurs, dont moi-mĂÂȘme je vous ai fait l'aveu, vous vous plaisez Ă confondre ce que j'Ă©tais alors, avec ce que je suis Ă prĂ©sent. Non contente de m'avoir livrĂ© au tourment de vivre loin de vous, vous y joignez un persiflage cruel, sur des plaisirs auxquels vous savez assez combien vous m'avez rendu insensible. Vous ne croyez ni Ă mes promesses, ni Ă mes serments eh bien! il me reste un garant Ă vous offrir, qu'au moins vous ne suspecterez pas; c'est vous- mĂÂȘme. Je ne vous demande que de vous interroger de bonne foi; si vous ne croyez pas Ă mon amour, si vous doutez un moment de rĂ©gner seule sur mon ĂÂąme, si vous n'ĂÂȘtes pas assurĂ©e d'avoir fixĂ© ce cĂ âur, en effet, jusqu'ici trop volage, je consens Ă porter la peine de cette erreur; j'en gĂ©mirai, mais n'en appellerai point mais si au contraire, nous rendant justice Ă tous deux, vous ĂÂȘtes forcĂ©e de convenir avec vous-mĂÂȘme que vous n'avez, que vous n'aurez jamais de rivale, ne m'obligez plus, je vous supplie, Ă combattre des chimĂšres, et laissez-moi au moins cette consolation de vous voir ne plus douter d'un sentiment qui, en effet, ne finira, ne peut finir qu'avec ma vie. Permettez-moi, Madame, de vous prier de rĂ©pondre positivement Ă cet article de ma Lettre. Si j'abandonne cependant cette Ă©poque de ma vie, qui paraĂt me nuire si cruellement auprĂšs de vous, ce n'est pas qu'au besoin les raisons me manquassent pour la dĂ©fendre. Qu'ai-je fait, aprĂšs tout, que ne pas rĂ©sister au tourbillon dans lequel j'avais Ă©tĂ© jetĂ©? EntrĂ© dans le monde, jeune et sans expĂ©rience; passĂ©, pour ainsi dire, de mains en mains, par une foule de femmes, qui toutes se hĂÂątent de prĂ©venir par leur facilitĂ© une rĂ©flexion qu'elles sentent devoir leur ĂÂȘtre dĂ©favorable; Ă©tait-ce donc Ă moi de donner l'exemple d'une rĂ©sistance qu'on ne m'opposait point? ou devais-je me punir d'un moment d'erreur, et que souvent on avait provoquĂ© par une constance Ă coup sĂ»r inutile, et dans laquelle on n'aurait vu qu'un ridicule? Eh! quel autre moyen qu'une prompte rupture peut justifier d'un choix honteux! Mais, je puis le dire, cette ivresse des sens, peut-ĂÂȘtre mĂÂȘme ce dĂ©lire de la vanitĂ©, n'a point passĂ© jusqu'Ă mon cĂ âur. NĂ© pour l'Amour, l'intrigue pouvait le distraire, et ne suffisait pas pour l'occuper; entourĂ© d'objets sĂ©duisants, mais mĂ©prisables, aucun n'allait jusqu'Ă mon ĂÂąme on m'offrait des plaisirs, je cherchais des vertus; et moi-mĂÂȘme enfin je me crus inconstant, parce que j'Ă©tais dĂ©licat et sensible. C'est en vous voyant que je me suis Ă©clairĂ© bientĂÂŽt j'ai reconnu que le charme de l'Amour tenait aux qualitĂ©s de l'ĂÂąme; qu'elles seules pouvaient en causer l'excĂšs, et le justifier. Je sentis enfin qu'il m'Ă©tait Ă©galement impossible et de ne pas vous aimer, et d'en aimer une autre que vous. VoilĂ , Madame, quel est ce cĂ âur auquel vous craignez de vous livrer, et sur le sort de qui vous avez Ă prononcer mais quel que soit le destin que vous lui rĂ©servez, vous ne changerez rien aux sentiments qui l'attachent Ă vous; ils sont inaltĂ©rables comme les vertus qui les ont fait naĂtre. De ..., ce 3 septembre 17** LETTRE LIII LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL J'ai vu Danceny, mais je n'en ai obtenu qu'une demi-confidence; il s'est obstinĂ©, surtout, Ă me taire le nom de la petite Volanges, dont il ne m'a parlĂ© que comme d'une femme trĂšs sage, et mĂÂȘme un peu dĂ©vote Ă cela prĂšs, il m'a racontĂ© avec assez de vĂ©ritĂ© son aventure, et surtout le dernier Ă©vĂ©nement. Je l'ai Ă©chauffĂ© autant que j'ai pu, et l'ai beaucoup plaisantĂ© sur sa dĂ©licatesse et ses scrupules; mais il paraĂt qu'il y tient, et je ne puis pas rĂ©pondre de lui au reste, je pourrai vous en dire davantage aprĂšs-demain. Je le mĂšne demain Ă Versailles, et je m'occuperai Ă le scruter pendant la route. Le rendez-vous qui doit avoir eu lieu aujourd'hui me donne aussi quelque espĂ©rance il se pourrait que tout s'y fĂ»t passĂ© Ă notre satisfaction; et peut-ĂÂȘtre ne nous reste-t-il Ă prĂ©sent qu'Ă en arracher l'aveu, et Ă en recueillir les preuves. Cette besogne vous sera plus facile qu'Ă moi car la petite personne est plus confiante, ou, ce qui revient au mĂÂȘme, plus bavarde, que son discret Amoureux. Cependant j'y ferai mon possible. Adieu, ma belle amie, je suis fort pressĂ©; je ne vous verrai ni ce soir, ni demain si de votre cĂÂŽtĂ© vous avez su quelque chose, Ă©crivez-moi un mot pour mon retour. Je reviendrai sĂ»rement coucher Ă Paris. De ..., ce 3 septembre 17**, au soir. LETTRE LIV LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT Oh! oui! c'est bien avec Danceny qu'il y a quelque chose Ă savoir! S'il vous l'a dit, il s'est vantĂ©. Je ne connais personne si bĂÂȘte en amour, et je me reproche de plus en plus les bontĂ©s que nous avons pour lui. Savez-vous que j'ai pensĂ© ĂÂȘtre compromise par rapport Ă lui! et que ce soit en pure perte! Oh! je m'en vengerai, je le promets. Quand j'arrivai hier pour prendre Madame de Volanges, elle ne voulait plus sortir; elle se sentait incommodĂ©e; il me fallut toute mon Ă©loquence pour la dĂ©cider, et je vis le moment que Danceny serait arrivĂ© avant notre dĂ©part; ce qui eĂ»t Ă©tĂ© d'autant plus gauche que Madame de Volanges lui avait dit la veille qu'elle ne serait pas chez elle. Sa fille et moi, nous Ă©tions sur les Ă©pines. Nous sortĂmes enfin; et la petite me serra la main si affectueusement en me disant adieu, que malgrĂ© son projet de rupture, dont elle croyait de bonne foi s'occuper encore, j'augurai des merveilles de la soirĂ©e. Je n'Ă©tais pas au bout de mes inquiĂ©tudes. Il y avait Ă peine une demi-heure que nous Ă©tions chez Madame de *** que Madame de Volanges se trouva mal en effet, mais sĂ©rieusement mal; et comme de raison, elle voulait rentrer chez elle moi, je le voulais d'autant moins que j'avais peur, si nous surprenions les jeunes gens, comme il y avait tout Ă parier, que mes instances auprĂšs de la mĂšre, pour la faire sortir, ne lui devinssent suspectes. Je pris le parti de l'effrayer sur sa santĂ©, ce qui heureusement n'est pas difficile; et je la tins une heure et demie, sans consentir Ă la ramener chez elle, dans la crainte que je feignis d'avoir du mouvement dangereux de la voiture. Nous ne rentrĂÂąmes enfin qu'Ă l'heure convenue. A l'air honteux que je remarquai en arrivant, j'avoue que j'espĂ©rai qu'au moins mes peines n'auraient pas Ă©tĂ© perdues. Le dĂ©sir que j'avais d'ĂÂȘtre instruite me fit rester auprĂšs de Madame de Volanges, qui se coucha aussitĂÂŽt, et aprĂšs avoir soupĂ© auprĂšs de son lit, nous la laissĂÂąmes de trĂšs bonne heure, sous le prĂ©texte qu'elle avait besoin de repos; et nous passĂÂąmes dans l'appartement de sa fille. Celle-ci a fait de son cĂÂŽtĂ© tout ce que j'attendais d'elle; scrupules Ă©vanouis, nouveaux serments d'aimer toujours, etc., elle s'est enfin exĂ©cutĂ©e de bonne grĂÂące mais le sot Danceny n'a pas passĂ© d'une ligne le point oĂÂč il Ă©tait auparavant. Oh! l'on peut se brouiller avec celui-lĂ ; les raccommodements ne sont pas dangereux. La petite assure pourtant qu'il voulait davantage, mais qu'elle a su se dĂ©fendre. Je parierais bien qu'elle se vante, ou qu'elle l'excuse; je m'en suis mĂÂȘme presque assurĂ©e. En effet, il m'a pris fantaisie de savoir Ă quoi m'en tenir sur la dĂ©fense dont elle Ă©tait capable; et moi, simple femme, de propos en propos, j'ai montĂ© sa tĂÂȘte au point... Enfin vous pouvez m'en croire, jamais personne ne fut plus susceptible d'une surprise des sens. Elle est vraiment aimable, cette chĂšre petite! Elle mĂ©ritait un autre Amant; elle aura au moins une bonne amie, car je m'attache sincĂšrement Ă elle. Je lui ai promis de la former et je crois que je lui tiendrai parole. Je me suis souvent aperçue du besoin d'avoir une femme dans ma confidence, et j'aimerais mieux celle-lĂ qu'une autre; mais je ne puis en rien faire, tant qu'elle ne sera pas ce qu'il faut qu'elle soit; et c'est une raison de plus d'en vouloir Ă Danceny. Adieu, Vicomte; ne venez pas chez moi demain, Ă moins que ce ne soit le matin. J'ai cĂ©dĂ© aux instances du Chevalier, pour une soirĂ©e de petite Maison. De ..., ce 4 septembre 17** LETTRE LV CECILE VOLANGES A SOPHIE CARNAY Tu avais raison, ma chĂšre Sophie; tes prophĂ©ties rĂ©ussissent mieux que tes conseils. Danceny, comme tu l'avais prĂ©dit, a Ă©tĂ© plus fort que le Confesseur, que toi, que moi-mĂÂȘme; et nous voilĂ revenus exactement oĂÂč nous en Ă©tions. Ah! je ne m'en repens pas; et toi, si tu m'en grondes ce sera faute de savoir le plaisir qu'il y a Ă aimer Danceny. Il t'est bien aisĂ© de dire comme il faut faire, rien ne t'en empĂÂȘche; mais si tu avais Ă©prouvĂ© combien le chagrin de quelqu'un qu'on aime nous fait mal, comment sa joie devient la nĂÂŽtre, et comment il est difficile de dire non, quand c'est oui que l'on veut dire, tu ne t'Ă©tonnerais plus de rien moi-mĂÂȘme qui l'ai senti, bien vivement senti, je ne le comprends pas encore. Crois-tu, par exemple, que je puisse voir pleurer Danceny sans pleurer moi-mĂÂȘme? Je t'assure bien que cela m'est impossible; et quand il est content, je suis heureuse comme lui. Tu auras beau dire; ce qu'on dit ne change pas ce qui est, et je suis bien sĂ»re que c'est comme ça. Je voudrais te voir Ă ma place... Non, ce n'est pas lĂ ce que je veux dire, car sĂ»rement je ne voudrais cĂ©der ma place Ă personne mais je voudrais que tu aimasses aussi quelqu'un; ce ne serait pas seulement pour que tu m'entendisses mieux, et que tu me grondasses moins; car c'est qu'aussi tu serais plus heureuse, ou, pour mieux dire, tu commencerais seulement alors Ă le devenir. Nos amusements, nos rires, tout cela, vois-tu, ce ne sont que des jeux d'enfants; il n'en reste rien aprĂšs qu'ils sont passĂ©s. Mais l'Amour, ah! l'Amour!... un mot, un regard, seulement de le savoir lĂ , eh bien! c'est le bonheur. Quand je vois Danceny, je ne dĂ©sire plus rien; quand je ne le vois pas, je ne dĂ©sire que lui. Je ne sais comment cela se fait mais on dirait que tout ce qui me plaĂt lui ressemble. Quand il n'est pas avec moi, j'y songe; et quand je peux y songer tout Ă fait, sans distraction, quand je suis toute seule, par exemple, je suis encore heureuse; je ferme les yeux, et tout de suite je crois le voir; je me rappelle ses discours, et je crois l'entendre; cela me fait soupirer; et puis je sens un feu, une agitation... Je ne saurais tenir en place. C'est comme un tourment, et ce tourment-lĂ fait un plaisir inexprimable. Je crois mĂÂȘme que quand une fois on a de l'Amour, cela se rĂ©pand jusque sur l'amitiĂ©. Celle que j'ai pour toi n'a pourtant pas changĂ©; c'est toujours comme au Couvent mais ce que je te dis, je l'Ă©prouve avec Madame de Merteuil. Il me semble que je l'aime plus comme Danceny que comme toi, et quelquefois je voudrais qu'elle fĂ»t lui. Cela vient peut-ĂÂȘtre de ce que ce n'est pas une amitiĂ© d'enfant comme la nĂÂŽtre; ou bien de ce que je les vois si souvent ensemble, ce qui fait que je me trompe. Enfin, ce qu'il y a de vrai, c'est qu'Ă eux deux, ils me rendent bien heureuse; et aprĂšs tout, je ne crois pas qu'il y ait grand mal Ă ce que je fais. Aussi je ne demanderais qu'Ă rester comme je suis; et il n'y a que l'idĂ©e de mon mariage qui me fasse de la peine car si M. de Gercourt est comme on me l'a dit, et je n'en doute pas, je ne sais pas ce que je deviendrai. Adieu, ma Sophie; je t'aime toujours bien tendrement. De ..., ce 4 septembre 17** LETTRE LVI LA PRESIDENTE DE TOURVEL AU VICOMTE DE VALMONT A quoi vous servirait, Monsieur, la rĂ©ponse que vous me demandez? Croire Ă vos sentiments, ne serait-ce pas une raison de plus pour les craindre? et sans attaquer ni dĂ©fendre leur sincĂ©ritĂ©, ne me suffit-il pas, ne doit-il pas vous suffire Ă vous-mĂÂȘme, de savoir que je ne veux ni ne dois y rĂ©pondre? SupposĂ© que vous m'aimiez vĂ©ritablement et c'est seulement pour ne plus revenir sur cet objet que je consens Ă cette supposition, les obstacles qui nous sĂ©parent en seraient-ils moins insurmontables? et aurais-je autre chose Ă faire qu'Ă souhaiter que vous puissiez bientĂÂŽt vaincre cet amour, et surtout Ă vous y aider de tout mon pouvoir, en me hĂÂątant de vous ĂÂŽter toute espĂ©rance? Vous convenez vous-mĂÂȘme que ce sentiment est pĂ©nible quand l'objet qui l'inspire ne le partage point . Or, vous savez assez qu'il m'est impossible de le partager, et quand mĂÂȘme ce malheur m'arriverait, j'en serais plus Ă plaindre, sans que vous en fussiez plus heureux. J'espĂšre que vous m'estimez assez pour n'en pas douter un instant. Cessez donc, je vous en conjure, cessez de vouloir troubler un cĂ âur Ă qui la tranquillitĂ© est si nĂ©cessaire; ne me forcez pas Ă regretter de vous avoir connu. ChĂ©rie et estimĂ©e d'un mari que j'aime et respecte, mes devoirs et mes plaisirs se rassemblent dans le mĂÂȘme objet. Je suis heureuse, je dois l'ĂÂȘtre. S'il existe des plaisirs plus vifs, je ne les dĂ©sire pas; je ne veux point les connaĂtre. En est-il de plus doux que d'ĂÂȘtre en paix avec soi-mĂÂȘme, de n'avoir que des jours sereins, de s'endormir sans trouble, et de s'Ă©veiller sans remords? Ce que vous appelez le bonheur n'est qu'un tumulte des sens, un orage des passions dont le spectacle est effrayant, mĂÂȘme Ă le regarder du rivage. Eh! comment affronter ces tempĂÂȘtes? comment oser s'embarquer sur une mer couverte des dĂ©bris de mille et mille naufrages? Et avec qui? Non, Monsieur, je reste Ă terre; je chĂ©ris les liens qui m'y attachent. Je pourrais les rompre, que je ne le voudrais pas; si je ne les avais, je me hĂÂąterais de les prendre. Pourquoi vous attacher Ă mes pas? pourquoi vous obstiner Ă me suivre? Vos Lettres, qui devaient ĂÂȘtre rares, se succĂšdent avec rapiditĂ©. Elles devaient ĂÂȘtre sages, et vous ne m'y parlez que de votre fol amour. Vous m'entourez de votre idĂ©e, plus que vous ne le faisiez de votre personne. EcartĂ© sous une forme, vous vous reproduisez sous une autre. Les choses qu'on vous demande de ne plus dire, vous les redites seulement d'une autre maniĂšre. Vous vous plaisez Ă m'embarrasser par des raisonnements captieux; vous Ă©chappez aux miens. Je ne veux plus vous rĂ©pondre, je ne vous rĂ©pondrai plus... Comme vous traitez les femmes que vous avez sĂ©duites! avec quel mĂ©pris vous en parlez! Je veux croire que quelques-unes le mĂ©ritent mais toutes sont-elles donc si mĂ©prisables? Ah! sans doute, puisqu'elles ont trahi leurs devoirs pour se livrer Ă un amour criminel. De ce moment, elles ont tout perdu, jusqu'Ă l'estime de celui Ă qui elles ont tout sacrifiĂ©. Ce supplice est juste, mais l'idĂ©e seule en fait frĂ©mir. Que m'importe, aprĂšs tout? pourquoi m'occuperais-je d'elles ou de vous? de quel droit venez-vous troubler ma tranquillitĂ©? Laissez-moi, ne me voyez plus; ne m'Ă©crivez plus, je vous en prie; je l'exige. Cette Lettre est la derniĂšre que vous recevrez de moi. De ..., ce 5 septembre 17** LETTRE LVII LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL J'ai trouvĂ© votre Lettre hier Ă mon arrivĂ©e. Votre colĂšre m'a tout Ă fait rĂ©joui. Vous ne sentiriez pas plus vivement les torts de Danceny, quand il les aurait eus vis-Ă -vis de vous. C'est sans doute par vengeance, que vous accoutumez sa MaĂtresse Ă lui faire de petites infidĂ©litĂ©s; vous ĂÂȘtes un bien mauvais sujet! Oui, vous ĂÂȘtes charmante, et je ne m'Ă©tonne pas qu'on vous rĂ©siste moins qu'Ă Danceny. Enfin je le sais par cĂ âur, ce beau hĂ©ros de Roman! il n'a plus de secret pour moi. Je lui ai tant dit que l'Amour honnĂÂȘte Ă©tait le bien suprĂÂȘme, qu'un sentiment valait mieux que dix intrigues, que j'Ă©tais moi-mĂÂȘme, dans ce moment, amoureux et timide; il m'a trouvĂ© enfin une façon de penser si conforme Ă la sienne, que dans l'enchantement oĂÂč il Ă©tait de ma candeur, il m'a tout dit, et m'a jurĂ© une amitiĂ© sans rĂ©serve. Nous n'en sommes guĂšre plus avancĂ©s pour notre projet. D'abord, il m'a paru que son systĂšme Ă©tait qu'une demoiselle mĂ©rite beaucoup plus de mĂ©nagements qu'une femme, comme ayant plus Ă perdre. Il trouve, surtout, que rien ne peut justifier un homme de mettre une fille dans la nĂ©cessitĂ© de l'Ă©pouser ou de vivre dĂ©shonorĂ©e, quand la fille est infiniment plus riche que l'homme, comme dans le cas oĂÂč il se trouve. La sĂ©curitĂ© de la mĂšre, la candeur de la fille, tout l'intimide et l'arrĂÂȘte. L'embarras ne serait point de combattre ses raisonnements, quelque vrais qu'ils soient. Avec un peu d'adresse et aidĂ© par la passion, on les aurait bientĂÂŽt dĂ©truits; d'autant qu'ils prĂÂȘtent au ridicule, et qu'on aurait pour soi l'autoritĂ© de l'usage. Mais ce qui empĂÂȘche qu'il n'y ait de prise sur lui, c'est qu'il se trouve heureux comme il est. En effet, si les premiers amours paraissent, en gĂ©nĂ©ral, plus honnĂÂȘtes, et comme on dit plus purs; s'ils sont au moins plus lents dans leur marche, ce n'est pas, comme on le pense, dĂ©licatesse ou timiditĂ©, c'est que le cĂ âur, Ă©tonnĂ© par un sentiment inconnu, s'arrĂÂȘte pour ainsi dire Ă chaque pas, pour jouir du charme qu'il Ă©prouve, et que ce charme est si puissant sur un cĂ âur neuf, qu'il l'occupe au point de lui faire oublier tout autre plaisir. Cela est si vrai, qu'un libertin amoureux, si un libertin peut l'ĂÂȘtre, devient de ce moment mĂÂȘme moins pressĂ© de jouir; et qu'enfin, entre la conduite de Danceny avec la petite Volanges, et la mienne avec la prude Madame de Tourvel, il n'y a que la diffĂ©rence du plus au moins. Il aurait fallu, pour Ă©chauffer notre jeune homme, plus d'obstacles qu'il n'en a rencontrĂ©s; surtout qu'il eĂ»t eu besoin de plus de mystĂšre, car le mystĂšre mĂšne Ă l'audace. Je ne suis pas Ă©loignĂ© de croire que vous nous avez nui en le servant si bien; votre conduite eĂ»t Ă©tĂ© excellente avec un homme usagĂ© , qui n'eĂ»t eu que des dĂ©sirs mais vous auriez pu prĂ©voir que pour un homme jeune, honnĂÂȘte et amoureux, le plus grand prix des faveurs est d'ĂÂȘtre la preuve de l'Amour; et que par consĂ©quent, plus il serait sĂ»r d'ĂÂȘtre aimĂ©, moins il serait entreprenant. Que faire Ă prĂ©sent? Je n'en sais rien; mais je n'espĂšre pas que la petite soit prise avant le mariage, et nous en serons pour nos frais; j'en suis fĂÂąchĂ©, mais je n'y vois pas de remĂšde. Pendant que je disserte ici, vous faites mieux avec votre Chevalier. Cela me fait songer que vous m'avez promis une infidĂ©litĂ© en ma faveur, j'en ai votre promesse par Ă©crit et je ne veux pas en faire un billet de la ChĂÂątre. Je conviens que l'Ă©chĂ©ance n'est pas encore arrivĂ©e mais il serait gĂ©nĂ©reux Ă vous de ne pas l'attendre; et de mon cĂÂŽtĂ©, je vous tiendrais compte des intĂ©rĂÂȘts. Qu'en dites-vous, ma belle amie? est-ce que vous n'ĂÂȘtes pas fatiguĂ©e de votre constance? Ce Chevalier est donc bien merveilleux? Oh! laissez-moi faire; je veux vous forcer de convenir que si vous lui avez trouvĂ© quelque mĂ©rite, c'est que vous m'aviez oubliĂ©. Adieu, ma belle amie; je vous embrasse comme je vous dĂ©sire; je dĂ©fie tous les baisers du Chevalier d'avoir autant d'ardeur. De ..., ce 5 septembre 17** LETTRE LVIII LE VICOMTE DE VALMONT A LA PRESIDENTE DE TOURVEL Par oĂÂč ai-je donc mĂ©ritĂ©, Madame, et les reproches que vous me faites, et la colĂšre que vous me tĂ©moignez? L'attachement le plus vif et pourtant le plus respectueux, la soumission la plus entiĂšre Ă vos moindres volontĂ©s; voilĂ en deux mots l'histoire de mes sentiments et de ma conduite. AccablĂ© par les peines d'un amour malheureux, je n'avais d'autre consolation que celle de vous voir vous m'avez ordonnĂ© de m'en priver; j'ai obĂ©i sans me permettre un murmure. Pour prix de ce sacrifice, vous m'avez permis de vous Ă©crire, et aujourd'hui vous voulez m'ĂÂŽter cet unique plaisir. Me le laisserai-je ravir, sans essayer de le dĂ©fendre? Non, sans doute eh! comment ne serait-il pas cher Ă mon cĂ âur? c'est le seul qui me reste, et je le tiens de vous. Mes Lettres, dites-vous, sont trop frĂ©quentes! Songez donc, je vous prie, que depuis dix jours que dure mon exil, je n'ai passĂ© aucun moment sans m'occuper de vous, et que cependant vous n'avez reçu que deux Lettres de moi. Je ne vous y parle que de mon amour ! eh! que puis-je dire, que ce que je pense? tout ce que j'ai pu faire a Ă©tĂ© d'en affaiblir l'expression; et vous pouvez m'en croire, je ne vous en ai laissĂ© voir que ce qu'il m'a Ă©tĂ© impossible d'en cacher. Vous me menacez enfin de ne plus me rĂ©pondre. Ainsi l'homme qui vous prĂ©fĂšre Ă tout et qui vous respecte encore plus qu'il ne vous aime, non contente de le traiter avec rigueur, vous voulez y joindre le mĂ©pris! Et pourquoi ces menaces et ce courroux? qu'en avez-vous besoin? n'ĂÂȘtes-vous pas sĂ»re d'ĂÂȘtre obĂ©ie, mĂÂȘme dans vos ordres injustes? m'est-il donc possible de contrarier aucun de vos dĂ©sirs, et ne l'ai-je pas dĂ©jĂ prouvĂ©? Mais abuserez- vous de cet empire que vous avez sur moi? AprĂšs m'avoir rendu malheureux, aprĂšs ĂÂȘtre devenue injuste, vous sera-t-il donc bien facile de jouir de cette tranquillitĂ© que vous assurez vous ĂÂȘtre si nĂ©cessaire? ne vous direz-vous jamais Il m'a laissĂ©e maĂtresse de son sort, et j'ai fait son malheur? il implorait mes secours, et je l'ai regardĂ© sans pitiĂ©? Savez-vous jusqu'oĂÂč peut aller mon dĂ©sespoir? non. Pour calculer mes maux, il faudrait savoir Ă quel point je vous aime, et vous ne connaissez pas mon cĂ âur. A quoi me sacrifiez-vous? Ă des craintes chimĂ©riques. Et qui vous les inspire? un homme qui vous adore; un homme sur qui vous ne cesserez jamais d'avoir un empire absolu. Que craignez-vous, que pouvez-vous craindre d'un sentiment que vous serez toujours maĂtresse de diriger Ă votre grĂ©? Mais votre imagination se crĂ©e des monstres, et l'effroi qu'ils vous causent, vous l'attribuez Ă l'Amour. Un peu de confiance, et ces fantĂÂŽmes disparaĂtront. Un Sage a dit que pour dissiper ses craintes il suffisait presque toujours d'en approfondir la cause [On croit que c'est Rousseau dans Emile, mais la citation n'est pas exacte, et l'application qu'en fait Valmont est bien fausse; et puis, Madame de Tourvel avait-elle lu Emile?]. C'est surtout en amour que cette vĂ©ritĂ© trouve son application. Aimez, et vos craintes s'Ă©vanouiront. A la place des objets qui vous effrayent, vous trouverez un sentiment dĂ©licieux, un Amant tendre et soumis; et tous vos jours, marquĂ©s par le bonheur, ne vous laisseront d'autre regret que d'en avoir perdu quelques-uns dans l'indiffĂ©rence. Moi-mĂÂȘme, depuis que, revenu de mes erreurs, je n'existe plus que pour l'Amour, je regrette un temps que je croyais avoir passĂ© dans les plaisirs; et je sens que c'est Ă vous seule qu'il appartient de me rendre heureux. Mais, je vous en supplie, que le plaisir que je trouve Ă vous Ă©crire ne soit plus troublĂ© par la crainte de vous dĂ©plaire. Je ne veux pas vous dĂ©sobĂ©ir; mais je suis Ă vos genoux, j'y rĂ©clame le bonheur que vous voulez me ravir, le seul que vous m'avez laissĂ©; je vous crie Ă©coutez mes priĂšres, et voyez mes larmes; ah! Madame, me refuserez-vous? De ..., ce 7 septembre 17** LETTRE LIX LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Apprenez-moi, si vous savez, ce que signifie ce radotage de Danceny. Qu'est- il donc arrivĂ©, et qu'est-ce qu'il a perdu? Sa Belle s'est peut-ĂÂȘtre fĂÂąchĂ©e de son respect Ă©ternel? Il faut ĂÂȘtre juste, on se fĂÂącherait Ă moins. Que lui dirai-je ce soir, au rendez-vous qu'il me demande, et que je lui ai donnĂ© Ă tout hasard? AssurĂ©ment je ne perdrai pas mon temps Ă Ă©couter ses dolĂ©ances, si cela ne doit nous mener Ă rien. Les complaintes amoureuses ne sont bonnes Ă entendre qu'en rĂ©citatifs obligĂ©s, ou en grandes ariettes. Instruisez-moi donc de ce qui est et de ce que je dois faire; ou bien je dĂ©serte, pour Ă©viter l'ennui que je prĂ©vois. Pourrai-je causer avec vous ce matin? Si vous ĂÂȘtes occupĂ©e , au moins Ă©crivez-moi un mot, et donnez-moi les rĂ©clames de mon rĂÂŽle. OĂÂč Ă©tiez-vous donc hier? Je ne parviens plus Ă vous voir. En vĂ©ritĂ©, ce n'Ă©tait pas la peine de me retenir Ă Paris au mois de Septembre. DĂ©cidez-vous pourtant, car je viens de recevoir une invitation fort pressante de la Comtesse de B**, pour aller la voir Ă la campagne; et, comme elle me le mande assez plaisamment, " son mari a le plus beau bois du monde, qu'il conserve soigneusement pour les plaisirs de ses amis " . Or, vous savez que j'ai bien quelques droits, sur ce bois-lĂ ; et j'irai le revoir si je ne vous suis pas utile. Adieu, songez que Danceny sera chez moi sur les quatre heures. De ..., ce 8 septembre 17** LETTRE LX LE CHEVALIER DANCENY AU VICOMTE DE VALMONT INCLUSE DANS LA PRECEDENTE. Ah! Monsieur, je suis dĂ©sespĂ©rĂ©, j'ai tout perdu. Je n'ose confier au papier le secret de mes peines mais j'ai besoin de les rĂ©pandre dans le sein d'un ami fidĂšle et sĂ»r. A quelle heure pourrais-je vous voir, et aller chercher auprĂšs de vous des consolations et des conseils? J'Ă©tais si heureux le jour oĂÂč je vous ouvris mon ĂÂąme! A prĂ©sent, quelle diffĂ©rence! tout est changĂ© pour moi. Ce que je souffre pour mon compte n'est encore que la moindre partie de mes tourments; mon inquiĂ©tude sur un objet bien plus cher, voilĂ ce que je ne puis supporter. Plus heureux que moi, vous pourrez la voir, et j'attends de votre amitiĂ© que vous ne me refuserez pas cette dĂ©marche mais il faut que je vous parle, que je vous instruise. Vous me plaindrez, vous me secourrez; je n'ai d'espoir qu'en vous. Vous ĂÂȘtes sensible, vous connaissez l'Amour, et vous ĂÂȘtes le seul Ă qui je puisse me confier; ne me refusez pas vos secours. Adieu, Monsieur; le seul soulagement que j'Ă©prouve dans ma douleur est de songer qu'il me reste un ami tel que vous. Faites-moi savoir, je vous prie, Ă quelle heure je pourrai vous trouver. Si ce n'est pas ce matin, je dĂ©sirerais que ce fĂ»t de bonne heure dans l'aprĂšs-midi. De ..., ce 8 septembre 17** LETTRE LXI CECILE VOLANGES A SOPHIE CARNAY Ma chĂšre Sophie, plains ta CĂ©cile, ta pauvre CĂ©cile; elle est bien malheureuse! Maman sait tout. Je ne conçois pas comment elle a pu se douter de quelque chose, et pourtant elle a tout dĂ©couvert. Hier au soir, Maman me parut bien avoir un peu d'humeur; mais je n'y fis pas grande attention; et mĂÂȘme en attendant que sa partie fĂ»t finie, je causai trĂšs gaiement avec Madame de Merteuil qui avait soupĂ© ici, et nous parlĂÂąmes beaucoup de Danceny. Je ne crois pourtant pas qu'on ait pu nous entendre. Elle s'en alla, et je me retirai dans mon appartement. Je me dĂ©shabillais, quand Maman entra et fit sortir ma Femme de chambre; elle me demanda la clef de mon secrĂ©taire. Le ton dont elle me fit cette demande me causa un tremblement si fort que je pouvais Ă peine me soutenir. Je faisais semblant de ne la pas trouver, mais enfin il fallut obĂ©ir. Le premier tiroir qu'elle ouvrit fut justement celui oĂÂč Ă©taient les Lettres du Chevalier Danceny. J'Ă©tais si troublĂ©e, que quand elle me demanda ce que c'Ă©tait, je ne sus lui rĂ©pondre autre chose, sinon que ce n'Ă©tait rien; mais quand je la vis commencer Ă lire celle qui se prĂ©sentait la premiĂšre, je n'eus que le temps de gagner un fauteuil, et je me trouvai mal au point que je perdis connaissance. AussitĂÂŽt que je revins Ă moi, ma mĂšre, qui avait appelĂ© ma Femme de chambre, se retira, en me disant de me coucher. Elle a emportĂ© toutes les Lettres de Danceny. Je frĂ©mis toutes les fois que je songe qu'il me faudra reparaĂtre devant elle. Je n'ai fait que pleurer toute la nuit. Je t'Ă©cris au point du jour, dans l'espoir que JosĂ©phine viendra. Si je peux lui parler seule, je la prierai de remettre chez Madame de Merteuil un petit billet que je vas lui Ă©crire; sinon, je le mettrai dans ta Lettre, et tu voudras bien l'envoyer comme de toi. Ce n'est que d'elle que je puis recevoir quelque consolation. Au moins, nous parlerons de lui, car je n'espĂšre plus le voir. Je suis bien malheureuse! Elle aura peut-ĂÂȘtre la bontĂ© de se charger d'une Lettre pour Danceny. Je n'ose pas me confier Ă JosĂ©phine pour cet objet, et encore moins Ă ma Femme de chambre; car c'est peut-ĂÂȘtre elle qui aura dit Ă ma mĂšre que j'avais des Lettres dans mon secrĂ©taire. Je ne t'Ă©crirai pas plus longuement, parce que je veux avoir le temps d'Ă©crire Ă Madame de Merteuil, et aussi Ă Danceny, pour avoir ma Lettre toute prĂÂȘte, si elle veut bien s'en charger. AprĂšs cela, je me recoucherai, pour qu'on me trouve au lit quand on entrera dans ma chambre. Je dirai que je suis malade, pour me dispenser de passer chez Maman. Je ne mentirai pas beaucoup; sĂ»rement je souffre plus que si j'avais la fiĂšvre. Les yeux me brĂ»lent Ă force d'avoir pleurĂ©; et j'ai un poids sur l'estomac, qui m'empĂÂȘche de respirer. Quand je songe que je ne verrai plus Danceny, je voudrais ĂÂȘtre morte. Adieu, ma chĂšre Sophie. Je ne peux t'en dire davantage; les larmes me suffoquent. De ..., ce 7 septembre 17** Nota. On a supprimĂ© la Lettre de CĂ©cile Volanges Ă la Marquise, parce qu'elle ne contenait que les mĂÂȘmes faits de la Lettre prĂ©cĂ©dente, et avec moins de dĂ©tails. Celle au Chevalier Danceny ne s'est point retrouvĂ©e on en verra la raison dans la Lettre LXIII, de Madame de Merteuil au Vicomte. LETTRE LXII MADAME DE VOLANGES AU CHEVALIER DANCENY AprĂšs avoir abusĂ©, Monsieur, de la confiance d'une mĂšre et de l'innocence d'un enfant, vous ne serez pas surpris, sans doute, de ne plus ĂÂȘtre reçu dans une maison oĂÂč vous n'avez rĂ©pondu aux preuves de l'amitiĂ© la plus sincĂšre, que par l'oubli de tous les procĂ©dĂ©s. Je prĂ©fĂšre de vous prier de ne plus venir chez moi, Ă donner des ordres Ă ma porte, qui nous compromettraient tous Ă©galement, par les remarques que les Valets ne manqueraient pas de faire. J'ai droit d'espĂ©rer que vous ne me forcerez pas de recourir Ă ce moyen. Je vous prĂ©viens aussi que si vous faites Ă l'avenir la moindre tentative pour entretenir ma fille dans l'Ă©garement oĂÂč vous l'avez plongĂ©e, une retraite austĂšre et Ă©ternelle la soustraira Ă vos poursuites. C'est Ă vous de voir, Monsieur, si vous craindrez aussi peu de causer son infortune, que vous avez peu craint de tenter son dĂ©shonneur. Quant Ă moi, mon choix est fait, et je l'en ai instruite. Vous trouverez ci-joint le paquet de vos Lettres. Je compte que vous me renverrez en Ă©change toutes celles de ma fille; et que vous vous prĂÂȘterez Ă ne laisser aucune trace d'un Ă©vĂ©nement dont nous ne pourrions garder le souvenir, moi sans indignation, elle sans honte, et vous sans remords. J'ai l'honneur d'ĂÂȘtre, etc. De ..., ce 7 septembre 17** LETTRE LXIII LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT Vraiment, oui, je vous expliquerai le billet de Danceny. L'Ă©vĂ©nement qui le lui a fait Ă©crire est mon ouvrage, et c'est, je crois, mon chef-d'Ă âuvre. Je n'ai pas perdu mon temps depuis votre derniĂšre lettre, et j'ai dit comme l'Architecte AthĂ©nien " Ce qu'il a dit, je le ferai. " Il lui faut donc des obstacles Ă ce beau HĂ©ros de Roman, et il s'endort dans la fĂ©licitĂ©! oh! qu'il s'en rapporte Ă moi, je lui donnerai de la besogne; et je me trompe, ou son sommeil ne sera plus tranquille. Il fallait bien lui apprendre le prix du temps, et je me flatte qu'Ă prĂ©sent il regrette celui qu'il a perdu. Il fallait, dites-vous aussi, qu'il eĂ»t besoin de plus de mystĂšre; eh bien! ce besoin-lĂ ne lui manquera plus. J'ai cela de bon, moi, c'est qu'il ne faut que me faire apercevoir de mes fautes; je ne prends point de repos que je n'aie tout rĂ©parĂ©. Apprenez donc ce que j'ai fait. En rentrant chez moi avant-hier matin, je lus votre Lettre; je la trouvai lumineuse. PersuadĂ©e que vous aviez trĂšs bien indiquĂ© la cause du mal, je ne m'occupai plus qu'Ă trouver le moyen de le guĂ©rir. Je commençai pourtant par me coucher; car l'infatigable Chevalier ne m'avait pas laissĂ©e dormir un moment, et je croyais avoir sommeil mais point du tout; tout entiĂšre Ă Danceny, le dĂ©sir de le tirer de son indolence, ou de l'en punir, ne me permit pas de fermer l'oeil, et ce ne fut qu'aprĂšs avoir bien concertĂ© mon plan, que je pus trouver deux heures de repos. J'allai le soir mĂÂȘme chez Madame de Volanges, et, suivant mon projet, je lui fis confidence que je me croyais sĂ»re qu'il existait entre sa fille et Danceny une liaison dangereuse. Cette femme, si clairvoyante contre vous, Ă©tait aveuglĂ©e au point qu'elle me rĂ©pondit d'abord qu'Ă coup sĂ»r je me trompais; que sa fille Ă©tait un enfant, etc. Je ne pouvais pas lui dire tout ce que j'en savais; mais je citai des regards, des propos, dont ma vertu et mon amitiĂ© s'alarmaient . Je parlai enfin presque aussi bien qu'aurait pu faire une DĂ©vote, et, pour frapper le coup dĂ©cisif, j'allai jusqu'Ă dire que je croyais avoir vu donner et recevoir une Lettre. Cela me rappelle, ajoutai-je, qu'un jour elle ouvrit devant moi un tiroir de son secrĂ©taire, dans lequel je vis beaucoup de papiers, que sans doute elle conserve. Lui connaissez-vous quelque correspondance frĂ©quente? Ici la figure de Madame de Volanges changea, et je vis quelques larmes rouler dans ses yeux. Je vous remercie, ma digne amie, me dit-elle, en me serrant la main, je m'en Ă©claircirai. AprĂšs cette conversation, trop courte pour ĂÂȘtre suspecte, je me rapprochai de la jeune personne. Je la quittai bientĂÂŽt aprĂšs, pour demander Ă la mĂšre de ne pas me compromettre vis-Ă -vis de sa fille, ce qu'elle me promit d'autant plus volontiers, que je lui fis observer combien il serait heureux que cet enfant prĂt assez de confiance en moi pour m'ouvrir son cĂ âur et me mettre Ă portĂ©e de lui donner mes sages conseils. Ce qui m'assure qu'elle tiendra sa promesse, c'est que je ne doute pas qu'elle ne veuille se faire honneur de sa pĂ©nĂ©tration auprĂšs de sa fille. Je me trouvais, par lĂ , autorisĂ©e Ă garder mon ton d'amitiĂ© avec la petite, sans paraĂtre fausse aux yeux de Madame de Volanges; ce que je voulais Ă©viter. J'y gagnais encore d'ĂÂȘtre, par la suite, aussi longtemps et aussi secrĂštement que je voudrais, avec la jeune personne, sans que la mĂšre en prĂt jamais d'ombrage. J'en profitai dĂšs le soir mĂÂȘme; et aprĂšs ma partie finie, je chambrai la petite dans un coin, et la mis sur le chapitre de Danceny, sur lequel elle ne tarit jamais. Je m'amusais Ă lui monter la tĂÂȘte sur le plaisir qu'elle aurait Ă le voir le lendemain; il n'est sorte de folies que je ne lui aie fait dire. Il fallait bien lui rendre en espĂ©rance ce que je lui ĂÂŽtais en rĂ©alitĂ©; et puis, tout cela devait lui rendre le coup plus sensible, et je suis persuadĂ©e que plus elle aura souffert, plus elle sera pressĂ©e de s'en dĂ©dommager Ă la premiĂšre occasion. Il est bon, d'ailleurs, d'accoutumer aux grands Ă©vĂ©nements quelqu'un qu'on destine aux grandes aventures. AprĂšs tout, ne peut-elle pas payer de quelques larmes le plaisir d'avoir son Danceny? elle en raffole! eh bien, je lui promets qu'elle l'aura, et plus tĂÂŽt mĂÂȘme qu'elle ne l'aurait eu sans cet orage. C'est un mauvais rĂÂȘve dont le rĂ©veil sera dĂ©licieux; et, Ă tout prendre, il me semble qu'elle me doit de la reconnaissance au fait, quand j'y aurais mis un peu de malice, il faut bien s'amuser Les sots sont ici-bas pour nos menus plaisirs. [Gresset. Le MĂ©chant, ComĂ©die] Je me retirai enfin, fort contente de moi. Ou Danceny, me disais-je, animĂ© par les obstacles, va redoubler d'amour, et alors je le servirai de tout mon pouvoir; ou si ce n'est qu'un sot comme je suis tentĂ©e quelquefois de le croire, il sera dĂ©sespĂ©rĂ©, et se tiendra pour battu or, dans ce cas, au moins me serai-je vengĂ©e de lui, autant qu'il Ă©tait en moi; chemin faisant j'aurai augmentĂ© pour moi l'estime de la mĂšre, l'amitiĂ© de la fille, et la confiance de toutes deux. Quant Ă Gercourt, premier objet de mes soins, je serais bien malheureuse ou bien maladroite, si, maĂtresse de l'esprit de sa femme, comme je le suis et vas l'ĂÂȘtre plus encore, je ne trouvais pas mille moyens d'en faire ce que je veux qu'il soit. Je me couchai dans ces douces idĂ©es aussi je dormis, et me rĂ©veillai fort tard. A mon rĂ©veil, je trouvai deux billets, un de la mĂšre, et un de la fille; et je ne pus m'empĂÂȘcher de rire, en trouvant dans tous deux littĂ©ralement cette mĂÂȘme phrase C'est de vous seule que j'attends quelque consolation . N'est-il pas plaisant, en effet, de consoler pour et contre, et d'ĂÂȘtre le seul agent de deux intĂ©rĂÂȘts directement contraires? Me voilĂ comme la DivinitĂ©; recevant les vĂ âux opposĂ©s des aveugles mortels, et ne changeant rien Ă mes dĂ©crets immuables. J'ai quittĂ© pourtant ce rĂÂŽle auguste, pour prendre celui d'Ange consolateur; et j'ai Ă©tĂ©, suivant le prĂ©cepte, visiter mes amis dans leur affliction. J'ai commencĂ© par la mĂšre; je l'ai trouvĂ©e d'une tristesse, qui dĂ©jĂ vous venge en partie des contrariĂ©tĂ©s qu'elle vous a fait Ă©prouver de la part de votre belle Prude. Tout a rĂ©ussi Ă merveille ma seule inquiĂ©tude Ă©tait que Madame de Volanges ne profitĂÂąt de ce moment pour gagner la confiance de sa fille; ce qui eĂ»t Ă©tĂ© bien facile, en n'employant, avec elle, que le langage de la douceur et de l'amitiĂ©; et en donnant aux conseils de la raison, l'air et le ton de la tendresse indulgente. Par bonheur, elle s'est armĂ©e de sĂ©vĂ©ritĂ©; elle s'est enfin si mal conduite, que je n'ai eu qu'Ă applaudir. Il est vrai qu'elle a pensĂ© rompre tous nos projets, par le parti qu'elle avait pris de faire rentrer sa fille au Couvent mais j'ai parĂ© ce coup; et je l'ai engagĂ©e Ă en faire seulement la menace, dans le cas oĂÂč Danceny continuerait ses poursuites afin de les forcer tous deux Ă une circonspection que je crois nĂ©cessaire pour le succĂšs. Ensuite j'ai Ă©tĂ© chez la fille. Vous ne sauriez croire combien la douleur l'embellit! Pour peu qu'elle prenne de coquetterie, je vous garantis qu'elle pleurera souvent pour cette fois, elle pleurait sans malice... FrappĂ©e de ce nouvel agrĂ©ment que je ne lui connaissais pas, et que j'Ă©tais bien aise d'observer, je ne lui donnai d'abord que de ces consolations gauches, qui augmentent plus les peines qu'elles ne les soulagent; et, par ce moyen, je l'amenai au point d'ĂÂȘtre vĂ©ritablement suffoquĂ©e. Elle ne pleurait plus, et je craignis un moment les convulsions. Je lui conseillai de se coucher, ce qu'elle accepta; je lui servis de Femme de chambre elle n'avait point fait de toilette, et bientĂÂŽt ses cheveux Ă©pars tombĂšrent sur ses Ă©paules et sur sa gorge entiĂšrement dĂ©couvertes; je l'embrassai; elle se laissa aller dans mes bras, et ses larmes recommencĂšrent Ă couler sans effort. Dieu! qu'elle Ă©tait belle! Ah! si Madeleine Ă©tait ainsi, elle dut ĂÂȘtre bien plus dangereuse pĂ©nitente que pĂ©cheresse. Quand la belle dĂ©solĂ©e fut au lit, je me mis Ă la consoler de bonne foi. Je la rassurai d'abord sur la crainte du Couvent. Je fis naĂtre en elle l'espoir de voir Danceny en secret; et m'asseyant sur le lit " S'il Ă©tait lĂ " , lui dis-je; puis brodant sur ce thĂšme, je la conduisis, de distraction en distraction, Ă ne plus se souvenir du tout qu'elle Ă©tait affligĂ©e. Nous nous serions sĂ©parĂ©es parfaitement contentes l'une et l'autre, si elle n'avait voulu me charger d'une Lettre pour Danceny; ce que j'ai constamment refusĂ©. En voici les raisons, que vous approuverez sans doute. D'abord, celle que c'Ă©tait me compromettre vis-Ă -vis de Danceny; et si c'Ă©tait la seule dont je pus me servir avec la petite, il y en avait beaucoup d'autres de vous Ă moi. Ne serait-ce pas risquer le fruit de mes travaux que de donner sitĂÂŽt Ă nos jeunes gens un moyen si facile d'adoucir leurs peines? Et puis, je ne serais pas fĂÂąchĂ©e de les obliger Ă mĂÂȘler quelques domestiques dans cette aventure; car enfin si elle se conduit Ă bien, comme je l'espĂšre, il faudra qu'elle se sache immĂ©diatement aprĂšs le mariage; et il y a peu de moyens plus sĂ»rs pour la rĂ©pandre; ou, si par miracle ils ne parlaient pas, nous parlerions, nous, et il sera plus commode de mettre l'indiscrĂ©tion sur leur compte. Il faudra donc que vous donniez aujourd'hui cette idĂ©e Ă Danceny; et comme je ne suis pas sĂ»re de la Femme de chambre de la petite Volanges, dont elle- mĂÂȘme paraĂt se dĂ©fier, indiquez-lui la mienne, ma fidĂšle Victoire. J'aurai soin que la dĂ©marche rĂ©ussisse. Cette idĂ©e me plaĂt d'autant plus, que la confidence ne sera utile qu'Ă nous, et point Ă eux car je ne suis pas Ă la fin de mon rĂ©cit. Pendant que je me dĂ©fendais de me charger de la Lettre de la petite, je craignais Ă tout moment qu'elle ne me proposĂÂąt de la mettre Ă la Petite-Poste; ce que je n'aurais guĂšre pu refuser. Heureusement, soit trouble, soit ignorance de sa part, ou encore qu'elle tĂnt moins Ă la Lettre qu'Ă la RĂ©ponse, qu'elle n'aurait pas pu avoir par ce moyen, elle ne m'en a point parlĂ© mais pour Ă©viter que cette idĂ©e ne lui vĂnt, ou au moins qu'elle ne pĂ»t s'en servir, j'ai pris mon parti sur-le-champ; et en rentrant chez la mĂšre, je l'ai dĂ©cidĂ©e Ă Ă©loigner sa fille pour quelque temps, Ă la mener Ă la Campagne... Et oĂÂč? Le cĂ âur ne vous bat pas de joie?... Chez votre tante, chez la vieille Rosemonde. Elle doit l'en prĂ©venir aujourd'hui ainsi vous voilĂ autorisĂ© Ă aller retrouver votre DĂ©vote qui n'aura plus Ă vous objecter le scandale du tĂÂȘte-Ă -tĂÂȘte, et grĂÂące Ă mes soins, Madame de Volanges rĂ©parera elle-mĂÂȘme le tort qu'elle vous a fait. Mais Ă©coutez-moi, et ne vous occupez pas si vivement de vos affaires, que vous perdiez celle-ci de vue; songez qu'elle m'intĂ©resse. Je veux que vous vous rendiez le correspondant et le conseil des deux jeunes gens. Apprenez donc ce voyage Ă Danceny, et offrez-lui vos services. Ne trouvez de difficultĂ© qu'Ă faire parvenir entre les mains de la Belle votre Lettre de crĂ©ance; et levez cet obstacle sur-le-champ, en lui indiquant la voie de ma Femme de chambre. Il n'y a point de doute qu'il n'accepte; et vous aurez pour prix de vos peines la confidence d'un cĂ âur neuf, qui est toujours intĂ©ressante. La pauvre petite! comme elle rougira en vous remettant sa premiĂšre Lettre! Au vrai, ce rĂÂŽle de confident, contre lequel il s'est Ă©tabli des prĂ©jugĂ©s, me paraĂt un trĂšs joli dĂ©lassement, quand on est occupĂ© d'ailleurs; et c'est le cas oĂÂč vous serez. C'est de vos soins que va dĂ©pendre le dĂ©nouement de cette intrigue. Jugez du moment oĂÂč il faudra rĂ©unir les Acteurs. La Campagne offre mille moyens; et Danceny Ă coup sĂ»r, sera prĂÂȘt Ă s'y rendre Ă votre premier signal. Une nuit, un dĂ©guisement, une fenĂÂȘtre... que sais-je, moi? Mais enfin, si la petite fille en revient telle qu'elle y aura Ă©tĂ©, je m'en prendrai Ă vous. Si vous jugez qu'elle ait besoin de quelque encouragement de ma part, mandez-le-moi. Je crois lui avoir donnĂ© une assez bonne leçon sur le danger de garder des Lettres, pour oser lui Ă©crire Ă prĂ©sent; et je suis toujours dans le dessein d'en faire mon Ă©lĂšve. Je crois avoir oubliĂ© de vous dire que ses soupçons au sujet de sa correspondance trahie s'Ă©taient portĂ©s d'abord sur sa Femme de chambre, et que je les ai dĂ©tournĂ©s sur le Confesseur. C'est faire d'une pierre deux coups. Adieu, Vicomte; voilĂ bien longtemps que je suis Ă vous Ă©crire, et mon dĂner en a Ă©tĂ© retardĂ© mais l'amour-propre et l'amitiĂ© dictaient ma Lettre, et tous deux sont bavards. Au reste, elle sera chez vous Ă trois heures, et c'est tout ce qu'il vous faut. Plaignez-vous de moi Ă prĂ©sent, si vous l'osez; et allez revoir, si vous en ĂÂȘtes tentĂ©, le bois du Comte de B***. Vous dites qu'il le garde pour le plaisir de ses amis! Cet homme est donc l'ami de tout le monde? Mais adieu, j'ai faim. De ..., ce 9 septembre 17** LETTRE LXIV LE CHEVALIER DANCENY A MADAME DE VOLANGES MINUTE JOINTE A LA LETTRE LXVI DU VICOMTE A LA MARQUISE. Sans chercher, Madame, Ă justifier ma conduite, et sans me plaindre de la vĂÂŽtre, je ne puis que m'affliger d'un Ă©vĂ©nement qui fait le malheur de trois personnes, toutes trois dignes d'un sort plus heureux. Plus sensible encore au chagrin d'en ĂÂȘtre la cause qu'Ă celui d'en ĂÂȘtre victime, j'ai souvent essayĂ©, depuis hier, d'avoir l'honneur de vous rĂ©pondre sans pouvoir en trouver la force. J'ai cependant tant de choses Ă vous dire qu'il faut bien faire un effort sur soi-mĂÂȘme; et si cette Lettre a peu d'ordre et de suite, vous devez sentir assez combien ma situation est douloureuse, pour m'accorder quelque indulgence. Permettez-moi d'abord de rĂ©clamer contre la premiĂšre phrase de votre Lettre. Je n'ai abusĂ©, j'ose le dire, ni de votre confiance ni de l'innocence de Mademoiselle de Volanges; j'ai respectĂ© l'une et l'autre dans mes actions. Elles seules dĂ©pendaient de moi; et quand vous me rendriez responsable d'un sentiment involontaire, je ne crains pas d'ajouter que celui que m'a inspirĂ© Mademoiselle votre fille est tel qu'il peut vous dĂ©plaire, mais non vous offenser. Sur cet objet qui me touche plus que je ne puis vous dire, je ne veux que vous pour juge, et mes Lettres pour tĂ©moins. Vous me dĂ©fendez de me prĂ©senter chez vous Ă l'avenir, et sans doute je me soumettrai Ă tout ce qu'il vous plaira d'ordonner Ă ce sujet mais cette absence subite et totale ne donnera-t-elle donc pas autant de prise aux remarques que vous voulez Ă©viter, que l'ordre que, par cette raison mĂÂȘme, vous n'avez point voulu donner Ă votre porte? J'insisterai d'autant plus sur ce point, qu'il est bien plus important pour Mademoiselle de Volanges que pour moi. Je vous supplie donc de peser attentivement toutes choses, et de ne pas permettre que votre sĂ©vĂ©ritĂ© altĂšre votre prudence. PersuadĂ© que l'intĂ©rĂÂȘt seul de Mademoiselle votre fille dictera vos rĂ©solutions, j'attendrai de nouveaux ordres de votre part. Cependant, dans le cas oĂÂč vous me permettriez de vous faire ma cour quelquefois, je m'engage, Madame et vous pouvez compter sur ma promesse, Ă ne point abuser de ces occasions pour tenter de parler en particulier Ă Mademoiselle de Volanges, ou de lui faire tenir aucune Lettre. La crainte de ce qui pourrait compromettre sa rĂ©putation m'engage Ă ce sacrifice; et le bonheur de la voir quelquefois m'en dĂ©dommagera. Cet article de ma Lettre est aussi la seule rĂ©ponse que je puisse faire Ă ce que vous me dites sur le sort que vous destinez Ă Mademoiselle de Volanges, et que vous voulez rendre dĂ©pendant de ma conduite. Ce serait vous tromper que de vous promettre davantage. Un vil sĂ©ducteur peut plier ses projets aux circonstances, et calculer avec les Ă©vĂ©nements mais l'Amour qui m'anime ne me permet que deux sentiments le courage et la constance. Qui, moi! consentir Ă ĂÂȘtre oubliĂ© de Mademoiselle de Volanges, Ă l'oublier moi-mĂÂȘme? non, non jamais! Je lui serai fidĂšle; elle en a reçu le serment, et je le renouvelle en ce jour. Pardon, Madame, je m'Ă©gare, il faut revenir. Il me reste un autre objet Ă traiter avec vous, celui des Lettres que vous me demandez. Je suis vraiment peinĂ© d'ajouter un refus aux torts que vous me trouvez dĂ©jĂ mais, je vous en supplie, Ă©coutez mes raisons, et daignez vous souvenir, pour les apprĂ©cier, que la seule consolation au malheur d'avoir perdu votre amitiĂ© est l'espoir de conserver votre estime. Les Lettres de Mademoiselle de Volanges, toujours si prĂ©cieuses pour moi, me le deviennent bien plus dans ce moment. Elles sont l'unique bien qui me reste; elles seules me retracent encore un sentiment qui fait tout le charme de ma vie. Cependant, vous pouvez m'en croire, je ne balancerais pas un instant Ă vous en faire le sacrifice, et le regret d'en ĂÂȘtre privĂ© cĂ©derait au dĂ©sir de vous prouver ma dĂ©fĂ©rence respectueuse; mais des considĂ©rations puissantes me retiennent, et je m'assure que vous-mĂÂȘme ne pourrez les blĂÂąmer. Vous avez, il est vrai, le secret de Mademoiselle de Volanges; mais permettez- moi de le dire, je suis autorisĂ© Ă croire que c'est l'effet de la surprise, et non de la confiance. Je ne prĂ©tends pas blĂÂąmer une dĂ©marche qu'autorise, peut-ĂÂȘtre, la sollicitude maternelle. Je respecte vos droits, mais ils ne vont pas jusqu'Ă me dispenser de mes devoirs. Le plus sacrĂ© de tous est de ne jamais trahir la confiance qu'on nous accorde. Ce serait y manquer, que d'exposer aux yeux d'un autre les secrets d'un cĂ âur qui n'a voulu les dĂ©voiler qu'aux miens. Si Mademoiselle votre fille consent Ă vous les confier, qu'elle parle; ses Lettres vous sont inutiles. Si elle veut, au contraire, renfermer son secret en elle- mĂÂȘme, vous n'attendez pas, sans doute, que ce soit moi qui vous en instruise. Quant au mystĂšre dans lequel vous dĂ©sirez que cet Ă©vĂ©nement reste enseveli, soyez tranquille, Madame; sur tout ce qui intĂ©resse Mademoiselle de Volanges, je peux dĂ©fier le cĂ âur mĂÂȘme d'une mĂšre. Pour achever de vous ĂÂŽter toute inquiĂ©tude, j'ai tout prĂ©vu. Ce dĂ©pĂÂŽt prĂ©cieux, qui portait jusqu'ici pour suscription papiers Ă brĂ»ler porte Ă prĂ©sent papiers appartenant Ă Madame de Volanges . Ce parti que je prends doit vous prouver ainsi que mes refus ne portent pas sur la crainte que vous trouviez dans ces lettres un seul sentiment dont vous ayez personnellement Ă vous plaindre. VoilĂ , Madame, une bien longue Lettre. Elle ne le serait pas encore assez, si elle vous laissait le moindre doute de l'honnĂÂȘtetĂ© de mes sentiments, du regret bien sincĂšre de vous avoir dĂ©plu, et du profond respect avec lequel j'ai l'honneur d'ĂÂȘtre, etc. De ..., ce 9 septembre17** LETTRE LXV LE CHEVALIER DANCENY A CECILE VOLANGES ENVOYEE OUVERTE A LA MARQUISE DE MERTEUIL DANS LA LETTRE LXVI DU VICOMTE. Ăâ ma CĂ©cile, qu'allons-nous devenir? quel Dieu nous sauvera des malheurs qui nous menacent? Que l'Amour nous donne au moins le courage de les supporter! Comment vous peindre mon Ă©tonnement, mon dĂ©sespoir Ă la vue de mes Lettres, Ă la lecture du billet de Madame de Volanges? qui a pu nous trahir? sur qui tombent vos soupçons? auriez-vous commis quelque imprudence? que faites-vous Ă prĂ©sent? que vous a-t-on dit? Je voudrais tout savoir, et j'ignore tout. Peut-ĂÂȘtre vous-mĂÂȘme n'ĂÂȘtes-vous pas plus instruite que moi. Je vous envoie le billet de votre maman, et la copie de ma RĂ©ponse. J'espĂšre que vous approuverez ce que je lui dis. J'ai bien besoin que vous approuviez aussi les dĂ©marches que j'ai faites depuis ce fatal Ă©vĂ©nement, elles ont toutes pour but d'avoir de vos nouvelles, de vous donner des miennes; et, que sait- on? peut-ĂÂȘtre de vous revoir encore, et plus librement que jamais. Concevez-vous, ma CĂ©cile, quel plaisir de nous retrouver ensemble, de pouvoir nous jurer de nouveau un amour Ă©ternel, et de voir dans nos yeux, de sentir dans nos ĂÂąmes que ce serment ne sera pas trompeur? Quelles peines un moment si doux ne ferait-il pas oublier? HĂ© bien! j'ai l'espoir de le voir naĂtre, et je le dois Ă ces mĂÂȘmes dĂ©marches que je vous supplie d'approuver. Que dis-je? je le dois aux soins consolateurs de l'ami le plus tendre; et mon unique demande est que vous permettiez que cet ami soit aussi le vĂÂŽtre. Peut-ĂÂȘtre ne devais-je pas donner votre confiance sans votre aveu? mais j'ai pour excuse le malheur et la nĂ©cessitĂ©. C'est l'amour qui m'a conduit; c'est lui qui rĂ©clame votre indulgence, qui vous demande de pardonner une confidence nĂ©cessaire, et sans laquelle nous restions peut-ĂÂȘtre Ă jamais sĂ©parĂ©s [M. Danceny n'accuse pas vrai. Il avait dĂ©jĂ fait sa confidence Ă M. de Valmont avant cet Ă©vĂ©nement. Voyez la Lettre LVII]. Vous connaissez l'ami dont je vous parle; il est celui de la femme que vous aimez le mieux. C'est le Vicomte de Valmont. Mon projet, en m'adressant Ă lui, Ă©tait d'abord de le prier d'engager Madame de Merteuil Ă se charger d'une Lettre pour vous. Il n'a pas cru que ce moyen pĂ»t rĂ©ussir; mais au dĂ©faut de la MaĂtresse, il rĂ©pond de la Femme de chambre, qui lui a des obligations. Ce sera elle qui vous remettra cette Lettre, et vous pourrez lui donner votre RĂ©ponse. Ce secours ne nous sera guĂšre utile, si, comme le croit M. de Valmont, vous partez incessamment pour la campagne. Mais alors c'est lui-mĂÂȘme qui veut nous servir. La femme chez qui vous allez est sa parente. Il profitera de ce prĂ©texte pour s'y rendre dans le mĂÂȘme temps que vous; et ce sera par lui que passera notre correspondance mutuelle. Il assure mĂÂȘme que, si vous voulez vous laisser conduire, il nous procurera les moyens de nous y voir sans risquer de vous compromettre en rien. A prĂ©sent, ma CĂ©cile, si vous m'aimez, si vous plaignez mon malheur, si, comme je l'espĂšre, vous partagez mes regrets, refuserez-vous votre confiance Ă un homme qui sera notre ange tutĂ©laire? Sans lui, je serais rĂ©duit au dĂ©sespoir de ne pouvoir mĂÂȘme adoucir les chagrins que je vous cause. Ils finiront, je l'espĂšre mais, ma tendre amie, promettez-moi de ne pas trop vous y livrer, de ne point vous en laisser abattre. L'idĂ©e de votre douleur m'est un tourment insupportable. Je donnerais ma vie pour vous rendre heureuse! Vous le savez bien. Puisse la certitude d'ĂÂȘtre adorĂ©e porter quelque consolation dans votre ĂÂąme! La mienne a besoin que vous m'assuriez que vous pardonnez Ă l'amour les maux qu'il vous fait souffrir. Adieu, ma CĂ©cile, adieu, ma tendre amie. De ..., ce 9 septembre 17** LETTRE LXVI LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Vous verrez, ma belle amie, en lisant les deux Lettres ci-jointes, si j'ai bien rempli votre projet. Quoique toutes deux soient datĂ©es d'aujourd'hui, elles ont Ă©tĂ© Ă©crites hier, chez moi, et sous mes yeux celle Ă la petite fille dit tout ce que nous voulions. On ne peut que s'humilier devant la profondeur de vos vues, si on en juge par le succĂšs de vos dĂ©marches. Danceny est tout de feu; et sĂ»rement Ă la premiĂšre occasion, vous n'aurez plus de reproches Ă lui faire. Si sa belle ingĂ©nue veut ĂÂȘtre docile, tout sera terminĂ© peu de temps aprĂšs son arrivĂ©e Ă la campagne; j'ai cent moyens tout prĂÂȘts. GrĂÂące Ă vos soins me voilĂ bien dĂ©cidĂ©ment l'ami de Danceny ; il ne lui manque plus que d'ĂÂȘtre Prince [Expression relative Ă un passage d'un PoĂšme de M. de Voltaire]. Il est encore bien jeune, ce Danceny! croiriez-vous que je n'ai jamais pu obtenir de lui qu'il promĂt Ă la mĂšre de renoncer Ă son amour; comme s'il Ă©tait bien gĂÂȘnant de promettre, quand on est dĂ©cidĂ© Ă ne pas tenir! Ce serait tromper, me rĂ©pĂ©tait-il sans cesse ce scrupule n'est-il pas Ă©difiant, surtout en voulant sĂ©duire la fille? VoilĂ bien les hommes! tous Ă©galement scĂ©lĂ©rats dans leurs projets, ce qu'ils mettent de faiblesse dans l'exĂ©cution, ils l'appellent probitĂ©. C'est votre affaire d'empĂÂȘcher que Madame de Volanges ne s'effarouche des petites Ă©chappĂ©es que notre jeune homme s'est permises dans sa Lettre; prĂ©servez-nous du Couvent; tĂÂąchez aussi de faire abandonner la demande des Lettres de la petite. D'abord il ne les rendra point, il ne le veut pas, et je suis de son avis; ici l'amour et la raison sont d'accord. Je les ai lues ces Lettres, j'en ai dĂ©vorĂ© l'ennui. Elles peuvent devenir utiles. Je m'explique. MalgrĂ© la prudence que nous y mettrons, il peut arriver un Ă©clat; il ferait manquer le mariage, n'est-il pas vrai, et Ă©chouer tous nos projets Gercourt? Mais comme, pour mon compte, j'ai aussi Ă me venger de la mĂšre, je me rĂ©serve en ce cas de dĂ©shonorer la fille. En choisissant bien dans cette correspondance, et n'en produisant qu'une partie, la petite Volanges paraĂtrait avoir fait toutes les premiĂšres dĂ©marches, et s'ĂÂȘtre absolument jetĂ©e Ă la tĂÂȘte. Quelques-unes des Lettres pourraient mĂÂȘme compromettre la mĂšre, et l'entacheraient au moins d'une nĂ©gligence impardonnable. Je sens bien que le scrupuleux Danceny se rĂ©volterait d'abord; mais comme il serait personnellement attaquĂ©, je crois qu'on en viendrait Ă bout. Il y a mille Ă parier contre un que la chance ne tournera pas ainsi; mais il faut tout prĂ©voir. Adieu, ma belle amie; vous seriez bien aimable de venir souper demain chez la MarĂ©chale de ***; je n'ai pas pu refuser. J'imagine que je n'ai pas besoin de vous recommander le secret, vis-Ă -vis de Madame de Volanges, sur mon projet de Campagne; elle aurait bientĂÂŽt celui de rester Ă la Ville au lieu qu'une fois arrivĂ©e, elle ne repartira pas le lendemain; et si elle nous donne seulement huit jours, je rĂ©ponds de tout. De ..., ce 9 septembre 17** LETTRE LXVII LA PRESIDENTE DE TOURVEL AU VICOMTE DE VALMONT Je ne voulais plus vous rĂ©pondre, Monsieur, et peut-ĂÂȘtre l'embarras que j'Ă©prouve en ce moment est-il lui-mĂÂȘme une preuve qu'en effet je ne le devrais pas. Cependant je ne veux vous laisser aucun sujet de plainte contre moi; je veux vous convaincre que j'ai fait pour vous tout ce que je pouvais faire. Je vous ai permis de m'Ă©crire, dites-vous? j'en conviens; mais quand vous me rappelez cette permission, croyez-vous que j'oublie Ă quelles conditions elle vous fut donnĂ©e? Si j'y eusse Ă©tĂ© aussi fidĂšle que vous l'avez Ă©tĂ© peu, auriez- vous reçu une seule rĂ©ponse de moi? VoilĂ pourtant la troisiĂšme; et quand vous faites tout ce qu'il faut pour m'obliger Ă rompre cette correspondance, c'est moi qui m'occupe des moyens de l'entretenir. Il en est un, mais c'est le seul; et si vous refusez de le prendre, ce sera, quoi que vous puissiez dire, me prouver assez combien peu vous y mettez de prix. Quittez donc un langage que je ne puis ni ne veux entendre; renoncez Ă un sentiment qui m'offense et m'effraie, et auquel, peut-ĂÂȘtre, vous devriez ĂÂȘtre moins attachĂ© en songeant qu'il est l'obstacle qui nous sĂ©pare. Ce sentiment est-il donc le seul que vous puissiez connaĂtre, et l'amour aura-t-il ce tort de plus Ă mes yeux, d'exclure l'amitiĂ©? vous-mĂÂȘme, auriez-vous celui de ne pas vouloir pour votre amie celle en qui vous avez dĂ©sirĂ© des sentiments plus tendres? Je ne veux pas le croire cette idĂ©e humiliante me rĂ©volterait, m'Ă©loignerait de vous sans retour. En vous offrant mon amitiĂ©, Monsieur, je vous donne tout ce qui est Ă moi, tout ce dont je puis disposer. Que pouvez-vous dĂ©sirer davantage? Pour me livrer Ă ce sentiment si doux, si bien fait pour mon cĂ âur, je n'attends que votre aveu; et la parole que j'exige de vous, que cette amitiĂ© suffira Ă votre bonheur. J'oublierai tout ce qu'on a pu me dire; je me reposerai sur vous du soin de justifier mon choix. Vous voyez ma franchise, elle doit vous prouver ma confiance; il ne tiendra qu'Ă vous de l'augmenter encore mais je vous prĂ©viens que le premier mot d'amour la dĂ©truit Ă jamais, et me rend toutes mes craintes; que surtout il deviendra pour moi le signal d'un silence Ă©ternel vis-Ă -vis de vous. Si, comme vous le dites, vous ĂÂȘtes revenu de vos erreurs , n'aimerez-vous pas mieux ĂÂȘtre l'objet de l'amitiĂ© d'une femme honnĂÂȘte, que celui des remords d'une femme coupable? Adieu, Monsieur; vous sentez qu'aprĂšs avoir parlĂ© ainsi je ne puis plus rien dire que vous ne m'ayez rĂ©pondu. De ..., ce 9 septembre 17** LETTRE LXVIII LE VICOMTE DE VALMONT A LA PRESIDENTE DE TOURVEL Comment rĂ©pondre, Madame, Ă votre derniĂšre Lettre? Comment oser ĂÂȘtre vrai, quand ma sincĂ©ritĂ© peut me perdre auprĂšs de vous? N'importe, il le faut; j'en aurai le courage. Je me dis, je me rĂ©pĂšte, qu'il vaut mieux vous mĂ©riter que vous obtenir; et dussiez-vous me refuser toujours un bonheur que je dĂ©sirerai sans cesse, il faut vous prouver au moins que mon cĂ âur en est digne. Quel dommage que, comme vous le dites, je sois revenu de mes erreurs ! avec quels transports de joie j'aurais lu cette mĂÂȘme Lettre Ă laquelle je tremble de rĂ©pondre aujourd'hui! Vous m'y parlez avec franchise , vous me tĂ©moignez de la confiance , vous m'offrez enfin votre amitiĂ© que de biens, Madame, et quels regrets de ne pouvoir en profiter! Pourquoi ne suis-je plus le mĂÂȘme? Si je l'Ă©tais en effet; si je n'avais pour vous qu'un goĂ»t ordinaire, que ce goĂ»t lĂ©ger, enfant de la sĂ©duction et du plaisir, qu'aujourd'hui pourtant on nomme amour, je me hĂÂąterais de tirer avantage de tout ce que je pourrais obtenir. Peu dĂ©licat sur les moyens, pourvu qu'ils me procurassent le succĂšs, j'encouragerais votre franchise par le besoin de vous deviner; je dĂ©sirerais votre confiance, dans le dessein de la trahir; j'accepterais votre amitiĂ© dans l'espoir de l'Ă©garer. Quoi! Madame, ce tableau vous effraie? hĂ© bien! il serait pourtant tracĂ© d'aprĂšs moi, si je vous disais que je consens Ă n'ĂÂȘtre que votre ami. Qui, moi! je consentirais Ă partager avec quelqu'un un sentiment Ă©manĂ© de votre ĂÂąme? Si jamais je vous le dis, ne me croyez plus. De ce moment je chercherai Ă vous tromper; je pourrai vous dĂ©sirer encore, mais Ă coup sĂ»r je ne vous aimerai plus. Ce n'est pas que l'aimable franchise, la douce confiance, la sensible amitiĂ©, soient sans prix Ă mes yeux... Mais l'amour! l'amour vĂ©ritable, et tel que vous l'inspirez, en rĂ©unissant tous ces sentiments, en leur donnant plus d'Ă©nergie, ne saurait se prĂÂȘter, comme eux, Ă cette tranquillitĂ©, Ă cette froideur de l'ĂÂąme, qui permet des comparaisons, qui souffre mĂÂȘme des prĂ©fĂ©rences. Non, Madame, je ne serai point votre ami; je vous aimerai de l'amour le plus tendre, et mĂÂȘme le plus ardent, quoique le plus respectueux. Vous pourrez le dĂ©sespĂ©rer, mais non l'anĂ©antir. De quel droit prĂ©tendez-vous disposer d'un cĂ âur dont vous refusez l'hommage? Par quel raffinement de cruautĂ©, m'enviez-vous jusqu'au bonheur de vous aimer? Celui-lĂ est Ă moi, il est indĂ©pendant de vous; je saurai le dĂ©fendre. S'il est la source de mes maux, il en est aussi le remĂšde. Non, encore une fois, non. Persistez dans vos refus cruels; mais laissez-moi mon amour. Vous vous plaisez Ă me rendre malheureux! eh bien! soit; essayez de lasser mon courage, je saurai vous forcer au moins Ă dĂ©cider de mon sort; et peut-ĂÂȘtre, quelque jour, vous me rendrez plus de justice. Ce n'est pas que j'espĂšre vous rendre jamais sensible mais sans ĂÂȘtre persuadĂ©e, vous serez convaincue, vous vous direz Je l'avais mal jugĂ©. Disons mieux, c'est Ă vous que vous faites injustice. Vous connaĂtre sans vous aimer, vous aimer sans ĂÂȘtre constant, sont tous deux Ă©galement impossibles; et malgrĂ© la modestie qui vous pare, il doit vous ĂÂȘtre plus facile de vous plaindre, que de vous Ă©tonner de sentiments que vous faites naĂtre. Pour moi, dont le seul mĂ©rite est d'avoir su vous apprĂ©cier, je ne veux pas le perdre; et loin de consentir Ă vos offres insidieuses, je renouvelle Ă vos pieds le serment de vous aimer toujours. De ..., ce 10 septembre 17** LETTRE LXIX CECILE VOLANGES AU CHEVALIER DANCENY BILLET ECRIT AU CRAYON, ET RECOPIE PAR DANCENY. Vous me demandez ce que je fais; je vous aime, et je pleure. Ma mĂšre ne me parle plus; elle m'a ĂÂŽtĂ© papier, plumes et encre; je me sers d'un crayon, qui par bonheur m'est restĂ©, et je vous Ă©cris sur un morceau de votre Lettre. Il faut bien que j'approuve tout ce que vous avez fait; je vous aime trop pour ne pas prendre tous les moyens d'avoir de vos nouvelles et de vous donner des miennes. Je n'aimais pas M. de Valmont, et je ne le croyais pas tant votre ami; je tĂÂącherai de m'accoutumer Ă lui, et je l'aimerai Ă cause de vous. Je ne sais pas qui est-ce qui nous a trahis; ce ne peut ĂÂȘtre que ma Femme de chambre ou mon Confesseur. Je suis bien malheureuse nous partons demain pour la campagne; j'ignore pour combien de temps. Mon Dieu! ne plus vous voir! Je n'ai plus de place. Adieu; tĂÂąchez de me lire. Ces mots tracĂ©s au crayons effaceront peut-ĂÂȘtre, mais jamais les sentiments gravĂ©s dans mon cĂ âur. De ..., ce 10 septembre 17** LETTRE LXX LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL J'ai un avis important Ă vous donner, ma chĂšre amie. Je soupai hier, comme vous savez, chez la MarĂ©chale de ***, on y parla de vous, et j'en dis, non pas tout le bien que j'en pense, mais tout celui que je n'en pense pas. Tout le monde paraissait ĂÂȘtre de mon avis, et la conversation languissait, comme il arrive toujours, quand on ne dit que du bien de son prochain, lorsqu'il s'Ă©leva un contradicteur c'Ă©tait PrĂ©van. " A Dieu ne plaise, dit-il en se levant, que je doute de la sagesse de Madame de Merteuil! mais j'oserais croire qu'elle la doit plus Ă sa lĂ©gĂšretĂ© qu'Ă ses principes. Il est peut-ĂÂȘtre plus difficile de la suivre que de lui plaire; et comme on ne manque guĂšre, en courant aprĂšs une femme, d'en rencontrer d'autres sur son chemin, comme, Ă tout prendre, ces autres-lĂ peuvent valoir autant et plus qu'elle; les uns sont distraits par un goĂ»t nouveau, les autres s'arrĂÂȘtent de lassitude; et c'est peut-ĂÂȘtre la femme de Paris qui a eu le moins Ă se dĂ©fendre. Pour moi, ajouta-t-il encouragĂ© par le sourire de quelques femmes, je ne croirai Ă la vertu de Madame de Merteuil, qu'aprĂšs avoir crevĂ© six chevaux Ă lui faire ma cour. " Cette mauvaise plaisanterie rĂ©ussit, comme toutes celles qui tiennent Ă la mĂ©disance; et pendant le rire qu'elle excitait, PrĂ©van reprit sa place, et la conversation gĂ©nĂ©rale changea. Mais les deux Comtesses de P. , auprĂšs de qui Ă©tait notre incrĂ©dule, en firent avec lui leur conversation particuliĂšre, qu'heureusement je me trouvais Ă portĂ©e d'entendre. Le dĂ©fi de vous rendre sensible a Ă©tĂ© acceptĂ©; la parole de tout dire a Ă©tĂ© donnĂ©e; et de toutes celles qui se donneraient dans cette aventure, ce serait sĂ»rement la plus religieusement gardĂ©e. Mais vous voilĂ bien avertie, et vous savez le proverbe. Il me reste Ă vous dire que ce PrĂ©van, que vous ne connaissez pas, est infiniment aimable, et encore plus adroit. Que si quelquefois vous m'avez entendu dire le contraire, c'est seulement que je ne l'aime pas, que je me plais Ă contrarier ses succĂšs et que je n'ignore pas de quel poids est mon suffrage auprĂšs d'une trentaine de nos femmes les plus Ă la mode. En effet, je l'ai empĂÂȘchĂ© longtemps, par ce moyen, de paraĂtre sur ce que nous appelons le grand thĂ©ĂÂątre; et il faisait des prodiges, sans en avoir plus de rĂ©putation. Mais l'Ă©clat de sa triple aventure, en fixant les yeux sur lui, lui a donnĂ© cette confiance qui lui manquait jusque-lĂ , et l'a rendu vraiment redoutable. C'est enfin aujourd'hui le seul homme, peut-ĂÂȘtre, que je craindrais de rencontrer sur mon chemin; et votre intĂ©rĂÂȘt Ă part, vous me rendrez un vrai service de lui donner quelque ridicule chemin faisant. Je le laisse en bonnes mains; et j'ai l'espoir qu'Ă mon retour, ce sera un homme noyĂ©. Je vous promets, en revanche, de mener Ă bien l'aventure de votre pupille, et de m'occuper d'elle autant que de ma belle Prude. Celle-ci vient de m'envoyer un projet de capitulation. Toute sa Lettre annonce le dĂ©sir d'ĂÂȘtre trompĂ©e. Il est impossible d'en offrir un moyen plus commode et aussi plus usĂ©. Elle veut que je sois son ami . Mais moi, qui aime les mĂ©thodes nouvelles et difficiles, je ne prĂ©tends pas l'en tenir quitte Ă si bon marchĂ©; et assurĂ©ment je n'aurai pas pris tant de peine auprĂšs d'elle, pour terminer par une sĂ©duction ordinaire. Mon projet, au contraire, est qu'elle sente, qu'elle sente bien la valeur et l'Ă©tendue de chacun des sacrifices qu'elle me fera; de ne pas la conduire si vite que le remords ne puisse la suivre; de faire expirer sa vertu dans une lente agonie; de la fixer sans cesse sur ce dĂ©solant spectacle; et de ne lui accorder le bonheur de m'avoir dans ses bras, qu'aprĂšs l'avoir forcĂ©e Ă n'en plus dissimuler le dĂ©sir. Au fait, je vaux bien peu, si je ne vaux pas la peine d'ĂÂȘtre demandĂ©. Et puis-je me venger moins d'une femme hautaine, qui semble rougir d'avouer qu'elle adore? J'ai donc refusĂ© la prĂ©cieuse amitiĂ©, et m'en suis tenu Ă mon titre d'Amant. Comme je ne me dissimule point que ce titre, qui ne paraĂt d'abord qu'une dispute de mots, est pourtant d'une importance rĂ©elle Ă obtenir, j'ai mis beaucoup de soin Ă ma Lettre, et j'ai tĂÂąchĂ© d'y rĂ©pandre ce dĂ©sordre, qui peut seul peindre le sentiment. J'ai enfin dĂ©raisonnĂ© le plus qu'il m'a Ă©tĂ© possible car sans dĂ©raisonnement, point de tendresse; et c'est, je crois, par cette raison que les femmes nous sont si supĂ©rieures dans les Lettres d'Amour. J'ai fini la mienne par une cajolerie, et c'est encore une suite de mes profondes observations. AprĂšs que le cĂ âur d'une femme a Ă©tĂ© exercĂ© quelque temps, il a besoin de repos; et j'ai remarquĂ© qu'une cajolerie Ă©tait, pour toutes, l'oreiller le plus doux Ă leur offrir. Adieu, ma belle amie. Je pars demain. Si vous avez des ordres Ă me donner pour la Comtesse de ***, je m'arrĂÂȘterai chez elle, au moins pour dĂner. Je suis fĂÂąchĂ© de partir sans vous voir. Faites-moi passer vos sublimes instructions, et aidez-moi de vos sages conseils, dans ce moment dĂ©cisif. Surtout, dĂ©fendez-vous de PrĂ©van; et puissĂ©-je un jour vous dĂ©dommager de ce sacrifice! Adieu. De ..., ce 11 septembre 17** LETTRE LXXI LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Mon Ă©tourdi de Chasseur n'a-t-il pas laissĂ© mon portefeuille Ă Paris! Les lettres de ma Belle, celles de Danceny pour la petite Volanges, tout est restĂ©, et j'ai besoin de tout. Il va partir pour rĂ©parer sa sottise; et tandis qu'il selle son cheval, je vous raconterai mon histoire de cette nuit car je vous prie de croire que je ne perds pas mon temps. L'aventure, par elle-mĂÂȘme, est bien peu de chose; ce n'est qu'un rĂ©chauffĂ© avec la Vicomtesse de M... Mais elle m'a intĂ©ressĂ© par les dĂ©tails. Je suis bien aise d'ailleurs de vous faire voir que si j'ai le talent de perdre les femmes, je n'ai pas moins, quand je veux, celui de les sauver. Le parti le plus difficile, ou le plus gai, est toujours celui que je prends; et je ne me reproche pas une bonne action, pourvu qu'elle m'exerce ou m'amuse. J'ai donc trouvĂ© la Vicomtesse ici, et comme elle joignait ses instances aux persĂ©cutions qu'on me faisait pour passer la nuit au chĂÂąteau " Eh bien! j'y consens, lui dis-je, Ă condition que je la passerai avec vous. " - " Cela m'est impossible, me rĂ©pondit-elle, Vressac est ici. " Jusque-lĂ je n'avais cru que lui dire une honnĂÂȘtetĂ© mais ce mot d'impossible, me rĂ©volta comme de coutume. Je me sentis humiliĂ© d'ĂÂȘtre sacrifiĂ© Ă Vressac, et je rĂ©solus de ne le pas souffrir j'insistai donc. Les circonstances ne m'Ă©taient pas favorables. Ce Vressac a eu la gaucherie de donner de l'ombrage au Vicomte; en sorte que la Vicomtesse ne peut plus le recevoir chez elle et ce voyage chez la bonne Comtesse avait Ă©tĂ© concertĂ© entre eux, pour tĂÂącher d'y dĂ©rober quelques nuits. Le Vicomte avait mĂÂȘme d'abord montrĂ© de l'humeur d'y rencontrer Vressac; mais comme il est encore plus Chasseur que jaloux, il n'en est pas moins restĂ© et la Comtesse, toujours telle que vous la connaissez, aprĂšs avoir logĂ© la femme dans le grand corridor, a mis le mari d'un cĂÂŽtĂ© et l'Amant de l'autre, et les a laissĂ©s s'arranger entre eux. Le mauvais destin de tous deux a voulu que je fusse logĂ© vis-Ă -vis. Ce jour-lĂ mĂÂȘme, c'est-Ă -dire hier, Vressac, qui, comme vous pouvez croire, cajole le Vicomte, chassait avec lui, malgrĂ© son peu de goĂ»t pour la chasse, et comptait bien se consoler la nuit, entre les bras de la femme, de l'ennui que le mari lui causait tout le jour mais moi, je jugeai qu'il aurait besoin de repos, et je m'occupai des moyens de dĂ©cider sa MaĂtresse Ă lui laisser le temps d'en prendre. Je rĂ©ussis, et j'obtins qu'elle lui ferait une querelle de cette mĂÂȘme partie de chasse, Ă laquelle, bien Ă©videmment, il n'avait consenti que pour elle. On ne pouvait prendre un plus mauvais prĂ©texte mais nulle femme n'a mieux que la Vicomtesse ce talent, commun Ă toutes, de mettre l'humeur Ă la place de la raison, et de n'ĂÂȘtre jamais si difficile Ă apaiser que quand elle a tort. Le moment d'ailleurs n'Ă©tait pas commode pour les explications; et ne voulant qu'une nuit, je consentais qu'ils se raccommodassent le lendemain. Vressac fut donc boudĂ© Ă son retour. Il voulut en demander la cause, on le querella. Il essaya de se justifier; le mari qui Ă©tait prĂ©sent, servit de prĂ©texte pour rompre la conversation; il tenta enfin de profiter d'un moment oĂÂč le mari Ă©tait absent, pour demander qu'on voulĂ»t bien l'entendre le soir ce fut alors que la Vicomtesse devint sublime. Elle s'indigna contre l'audace des hommes qui, parce qu'ils ont Ă©prouvĂ© les bontĂ©s d'une femme, croient avoir le droit d'en abuser encore, mĂÂȘme alors qu'elle a Ă se plaindre d'eux; et ayant changĂ© de thĂšse par cette adresse, elle parla si bien dĂ©licatesse et sentiment, que Vressac resta muet et confus; et que moi-mĂÂȘme je fus tentĂ© de croire qu'elle avait raison car vous saurez que comme ami de tous deux, j'Ă©tais en tiers dans cette conversation. Enfin, elle dĂ©clara positivement qu'elle n'ajouterait pas les fatigues de l'amour Ă celles de la chasse, et qu'elle se reprocherait de troubler d'aussi doux plaisirs. Le mari rentra. Le dĂ©solĂ© Vressac, qui n'avait plus la libertĂ© de rĂ©pondre, s'adressa Ă moi; et aprĂšs m'avoir fort longuement contĂ© ses raisons, que je savais aussi bien que lui, il me pria de parler Ă la Vicomtesse, et je le lui promis. Je lui parlai en effet; mais ce fut pour la remercier, et convenir avec elle de l'heure et des moyens de notre rendez-vous. Elle me dit que logĂ©e entre son mari et son Amant elle avait trouvĂ© plus prudent d'aller chez Vressac, que de le recevoir dans son appartement; et que, puisque je logeais vis-Ă -vis d'elle, elle croyait plus sĂ»r aussi de venir chez moi; qu'elle s'y rendrait aussitĂÂŽt que sa Femme de chambre l'aurait laissĂ©e seule; que je n'avais qu'Ă tenir ma porte entrouverte, et l'attendre. Tout s'exĂ©cuta comme nous en Ă©tions convenus; et elle arriva chez moi vers une heure du matin ... dans le simple appareil D'une beautĂ© qu'on vient d'arracher au sommeil [Racine. TragĂ©die de Britannicus]. Comme je n'ai point de vanitĂ©, je ne m'arrĂÂȘte pas aux dĂ©tails de la nuit mais vous me connaissez, et j'ai Ă©tĂ© content de moi. Au point du jour, il a fallu se sĂ©parer. C'est ici que l'intĂ©rĂÂȘt commence. L'Ă©tourdie avait cru laisser sa porte entrouverte, nous la trouvĂÂąmes fermĂ©e, et la clef Ă©tait restĂ©e en dedans vous n'avez pas d'idĂ©e de l'expression de dĂ©sespoir avec laquelle la Vicomtesse me dit aussitĂÂŽt " Ah! je suis perdue. " Il faut convenir qu'il eĂ»t Ă©tĂ© plaisant de la laisser dans cette situation mais pouvais-je souffrir qu'une femme fĂ»t perdue pour moi, sans l'ĂÂȘtre par moi? Et devais-je, comme le commun des hommes, me laisser maĂtriser par les circonstances? Il fallait donc trouver un moyen. Qu'eussiez-vous fait, ma belle amie? Voici ma conduite, et elle a rĂ©ussi. J'eus bientĂÂŽt reconnu que la porte en question pouvait s'enfoncer, en se permettant de faire beaucoup de bruit. J'obtins donc de la Vicomtesse, non sans peine, qu'elle jetterait des cris perçants et d'effroi, comme au voleur, Ă l'assassin, etc. Et nous convĂnmes qu'au premier cri, j'enfoncerais la porte, et qu'elle courrait Ă son lit. Vous ne sauriez croire combien il fallut de temps pour la dĂ©cider, mĂÂȘme aprĂšs qu'elle eut consenti. Il fallut pourtant finir par lĂ , et au premier coup de pied la porte cĂ©da. La Vicomtesse fit bien de ne pas perdre de temps; car au mĂÂȘme instant, le Vicomte et Vressac furent dans le corridor; et la Femme de chambre accourut aussi Ă la chambre de sa MaĂtresse. J'Ă©tais seul de sang-froid, et j'en profitai pour aller Ă©teindre une veilleuse qui brĂ»lait encore et la renverser par terre; car jugez combien il eĂ»t Ă©tĂ© ridicule de feindre cette terreur panique, en ayant de la lumiĂšre dans sa chambre. Je querellai ensuite le mari et l'Amant sur leur sommeil lĂ©thargique, en les assurant que les cris auxquels j'Ă©tais accouru, et mes efforts pour enfoncer la porte, avaient durĂ© au moins cinq minutes. La Vicomtesse qui avait retrouvĂ© son courage dans son lit, me seconda assez bien, et jura ses grands Dieux qu'il y avait un voleur dans son appartement; elle protesta avec plus de sincĂ©ritĂ© que de la vie elle n'avait eu tant de peur. Nous cherchions partout et nous ne trouvions rien, lorsque je fis apercevoir la veilleuse renversĂ©e, et conclus que, sans doute, un rat avait causĂ© le dommage et la frayeur; mon avis passa tout d'une voix, et aprĂšs quelques plaisanteries rebattues sur les rats, le Vicomte s'en alla le premier regagner sa chambre et son lit, en priant sa femme d'avoir Ă l'avenir des rats plus tranquilles. Vressac, restĂ© seul avec nous, s'approcha de la Vicomtesse pour lui dire tendrement que c'Ă©tait une vengeance de l'Amour; Ă quoi elle rĂ©pondit en me regardant " Il Ă©tait donc bien en colĂšre, car il s'est beaucoup vengĂ©, mais, ajouta-t-elle, je suis rendue de fatigue et je veux dormir. " J'Ă©tais dans un moment de bontĂ©; en consĂ©quence, avant de nous sĂ©parer, je plaidai la cause de Vressac, et j'amenai le raccommodement. Les deux Amants s'embrassĂšrent, et je fus, Ă mon tour, embrassĂ© par tous deux. Je ne me souciais plus des baisers de la Vicomtesse mais j'avoue que celui de Vressac me fit plaisir. Nous sortĂmes ensemble; et aprĂšs avoir reçu ses longs remerciements, nous allĂÂąmes chacun nous remettre au lit. Si vous trouvez cette histoire plaisante, je ne vous en demande pas le secret. A prĂ©sent que je m'en suis amusĂ©, il est juste que le Public ait son tour. Pour le moment, je ne parle que de l'histoire, peut-ĂÂȘtre bientĂÂŽt en dirons-nous autant de l'hĂ©roĂÂŻne? Adieu, il y a une heure que mon Chasseur attend; je ne prends plus que le moment de vous embrasser, et de vous recommander surtout de vous garder de PrĂ©van. Du ChĂÂąteau de ..., ce 13 septembre 17** LETTRE LXXII LE CHEVALIER DANCENY A CECILE VOLANGES REMISE SEULEMENT LE 14. Ăâ ma CĂ©cile! que j'envie le sort de Valmont! demain il vous verra. C'est lui qui vous remettra cette Lettre; et moi, languissant loin de vous, je traĂnerai ma pĂ©nible existence entre les regrets et le malheur. Mon amie, ma tendre amie, plaignez-moi de mes maux; surtout plaignez-moi des vĂÂŽtres; c'est contre eux que le courage m'abandonne. Qu'il m'est affreux de causer votre malheur! sans moi, vous seriez heureuse et tranquille. Me pardonnez-vous? dites! ah! dites que vous me pardonnez; dites-moi aussi que vous m'aimez, que vous m'aimerez toujours. J'ai besoin que vous me le rĂ©pĂ©tiez. Ce n'est pas que j'en doute mais il me semble que plus on en est sĂ»r, et plus il est doux de se l'entendre dire. Vous m'aimez, n'est-ce pas? oui, vous m'aimez de toute votre ĂÂąme. Je n'oublie pas que c'est la derniĂšre parole que je vous ai entendue prononcer. Comme je l'ai recueillie dans mon cĂ âur! comme elle s'y est profondĂ©ment gravĂ©e! et avec quels transports le mien y a rĂ©pondu! HĂ©las! dans ce moment de bonheur, j'Ă©tais loin de prĂ©voir le sort affreux qui nous attendait. Occupons-nous, ma CĂ©cile, des moyens de l'adoucir. Si j'en crois mon ami il suffira, pour y parvenir, que vous preniez en lui une confiance qu'il mĂ©rite. J'ai Ă©tĂ© peinĂ©, je l'avoue, de l'idĂ©e dĂ©savantageuse que vous paraissez avoir de lui. J'y ai reconnu les prĂ©ventions de votre Maman c'Ă©tait pour m'y soumettre que j'avais nĂ©gligĂ©, depuis quelque temps, cet homme vraiment aimable, qui aujourd'hui fait tout pour moi; qui enfin travaille Ă nous rĂ©unir, lorsque votre Maman nous a sĂ©parĂ©s. Je vous en conjure, ma chĂšre amie, voyez-le d'un oeil plus favorable. Songez qu'il est mon ami, qu'il veut ĂÂȘtre le vĂÂŽtre, qu'il peut me rendre le bonheur de vous voir. Si ces raisons ne vous ramĂšnent pas, ma CĂ©cile, vous ne m'aimez pas autant que je vous aime, vous ne m'aimez plus autant que vous m'aimiez. Ah! si jamais vous deviez m'aimer moins... Mais non, le cĂ âur de ma CĂ©cile est Ă moi; il y est pour la vie; et si j'ai Ă craindre les peines d'un amour malheureux, sa constance au moins me sauvera des tourments d'un amour trahi. Adieu, ma charmante amie; n'oubliez pas que je souffre, et qu'il ne tient qu'Ă vous de me rendre heureux, parfaitement heureux. Ecoutez le vĂ âu de mon cĂ âur, et recevez les plus tendres baisers de l'amour. Paris, ce 11 septembre 17**. LETTRE LXXIII LE VICOMTE DE VALMONT A CECILE VOLANGES Jointe Ă la prĂ©cĂ©dente. L'ami qui vous sert a su que vous n'aviez rien de ce qu'il vous fallait pour Ă©crire, et il y a dĂ©jĂ pourvu. Vous trouverez dans l'antichambre de l'appartement que vous occupez, sous la grande armoire Ă main gauche, une provision de papier, de plumes et d'encre, qu'il renouvellera quand vous voudrez, et qu'il lui semble que vous pouvez laisser Ă cette mĂÂȘme place si vous n'en trouvez pas de plus sĂ»re. Il vous demande de ne pas vous offenser, s'il a l'air de ne faire aucune attention Ă vous dans le cercle, et de ne vous y regarder que comme un enfant. Cette conduite lui paraĂt nĂ©cessaire pour inspirer la sĂ©curitĂ© dont il a besoin, et pouvoir travailler plus efficacement au bonheur de son ami et au vĂÂŽtre. Il tĂÂąchera de faire naĂtre les occasions de vous parler, quand il aura quelque chose Ă vous apprendre ou Ă vous remettre; et il espĂšre y parvenir, si vous mettez du zĂšle Ă le seconder. Il vous conseille aussi de lui rendre, Ă mesure, les Lettres que vous aurez reçues, afin de risquer moins de vous compromettre. Il finit par vous assurer que si vous voulez lui donner votre confiance, il mettra tous ses soins Ă adoucir la persĂ©cution qu'une mĂšre trop cruelle fait Ă©prouver Ă deux personnes, dont l'une est dĂ©jĂ son meilleur ami et l'autre lui paraĂt mĂ©riter l'intĂ©rĂÂȘt le plus tendre. Du ChĂÂąteau de ..., ce 14 septembre 17** LETTRE LXXIV LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT Eh! depuis quand, mon ami, vous effrayez-vous si facilement? ce PrĂ©van est donc bien redoutable? Mais voyez combien je suis simple et modeste! Je l'ai rencontrĂ© souvent, ce superbe vainqueur; Ă peine l'avais-je regardĂ©! Il ne fallait pas moins que votre Lettre pour m'y faire faire attention. J'ai rĂ©parĂ© mon injustice hier. Il Ă©tait Ă l'OpĂ©ra, presque vis-Ă -vis de moi, et je m'en suis occupĂ©e. Il est joli au moins, mais trĂšs joli; des traits fins et dĂ©licats! il doit gagner Ă ĂÂȘtre vu de prĂšs. Et vous dites qu'il veut m'avoir! assurĂ©ment il me fera honneur et plaisir. SĂ©rieusement, j'en ai fantaisie, et je vous confie ici que j'ai fait les premiĂšres dĂ©marches. Je ne sais pas si elles rĂ©ussiront. VoilĂ le fait. Il Ă©tait Ă deux pas de moi, Ă la sortie de l'OpĂ©ra, et j'ai donnĂ©, trĂšs haut, rendez-vous Ă la Marquise de *** pour souper le Vendredi chez la MarĂ©chale. C'est, je crois, la seule maison oĂÂč je peux le rencontrer. Je ne doute pas qu'il m'ait entendue. Si l'ingrat allait n'y pas venir? Mais, dites-moi donc, croyez- vous qu'il vienne? Savez-vous que, s'il n'y vient pas, j'aurai de l'humeur toute la soirĂ©e? Vous voyez qu'il ne trouvera pas tant de difficultĂ© Ă me suivre; et ce qui vous Ă©tonnera davantage, c'est qu'il en trouvera moins encore Ă me plaire. Il veut, dit-il, crever six chevaux Ă me faire sa cour! Oh! je sauverai la vie Ă ces chevaux-lĂ . Je n'aurai jamais la patience d'attendre si longtemps. Vous savez qu'il n'est pas dans mes principes de faire languir, quand une fois je suis dĂ©cidĂ©e, et je le suis pour lui. Oh! ça, convenez qu'il y a plaisir Ă me parler raison! Votre avis important n'a-t-il pas un grand succĂšs? Mais que voulez-vous? je vĂ©gĂšte depuis si longtemps! il y a plus de six semaines que je ne me suis pas permis une gaietĂ©. Celle-lĂ se prĂ©sente; puis-je me la refuser? le sujet n'en vaut-il pas la peine? en est-il de plus agrĂ©able, dans quelque sens que vous preniez ce mot? Vous-mĂÂȘme, vous ĂÂȘtes forcĂ© de lui rendre justice; vous faites plus que le louer, vous en ĂÂȘtes jaloux. Eh bien! je m'Ă©tablis juge entre vous deux mais d'abord, il faut s'instruire, et c'est ce que je veux faire. Je serai juge intĂšgre, et vous serez pesĂ©s tous deux dans la mĂÂȘme balance. Pour vous, j'ai dĂ©jĂ vos mĂ©moires, et votre affaire est parfaitement instruite. N'est-il pas juste que je m'occupe Ă prĂ©sent de votre adversaire? Allons, exĂ©cutez-vous de bonne grĂÂące; et, pour commencer, apprenez-moi je vous prie, quelle est cette triple aventure dont il est le hĂ©ros. Vous m'en parlez, comme si je ne connaissais autre chose, et je n'en sais pas le premier mot. Apparemment elle se sera passĂ©e pendant mon voyage Ă GenĂšve, et votre jalousie vous aura empĂÂȘchĂ© de me l'Ă©crire. RĂ©parez cette faute au plus tĂÂŽt; songez que rien de ce qui l'intĂ©resse ne m'est Ă©tranger . Il me semble bien qu'on en parlait encore Ă mon retour mais j'Ă©tais occupĂ©e d'autre chose, et j'Ă©coute rarement en ce genre tout ce qui n'est pas du jour ou de la veille. Quand ce que je vous demande vous contrarierait un peu, n'est-ce pas le moindre prix que vous deviez aux soins que je me suis donnĂ©s pour vous? ne sont-ce pas eux qui vous ont rapprochĂ© de votre PrĂ©sidente, quand vos sottises vous en avaient Ă©loignĂ©? n'est-ce pas encore moi qui ai remis entre vos mains de quoi vous venger du zĂšle amer de Madame de Volanges? Vous vous ĂÂȘtes plaint si souvent du temps que vous perdiez Ă aller chercher vos aventures. A prĂ©sent vous les avez sous la main. L'amour, la haine, vous n'avez qu'Ă choisir, tout couche sous le mĂÂȘme toit; et vous pouvez, doublant, votre existence, caresser d'une main et frapper de l'autre. C'est mĂÂȘme encore Ă moi que vous devez l'aventure de la Vicomtesse. J'en suis assez contente mais, comme vous dites, il faut qu'on en parle car si l'occasion a pu vous engager, comme je le conçois, Ă prĂ©fĂ©rer pour le moment le mystĂšre Ă l'Ă©clat, il faut convenir pourtant que cette femme ne mĂ©ritait pas un procĂ©dĂ© si honnĂÂȘte. J'ai d'ailleurs Ă m'en plaindre. Le Chevalier de Belleroche la trouve plus jolie que je ne voudrais; et par beaucoup de raisons, je serai bien aise d'avoir un prĂ©texte pour rompre avec elle or, il n'en est pas de plus commode, que d'avoir Ă dire On ne peut plus voir cette femme-lĂ . Adieu, Vicomte; songez que, placĂ© oĂÂč vous ĂÂȘtes, le temps est prĂ©cieux je vais employer le mien Ă m'occuper du bonheur de PrĂ©van. Paris, ce 15 septembre l7**. LETTRE LXXV Nota Dans cette Lettre, CĂ©cile Volanges rend compte avec le plus grand dĂ©tail de tout ce qui est relatif Ă elle dans les Ă©vĂ©nements que le Lecteur a vus Lettre LIX et suivantes. On a cru devoir supprimer cette rĂ©pĂ©tition. Elle parle enfin du Vicomte de Valmont, et elle exprime ainsi CECILE VOLANGES A SOPHIE CARNAY Je t'assure que c'est un homme bien extraordinaire. Maman en dit beaucoup de mal; mais le Chevalier Danceny en dit beaucoup de bien, et je crois que c'est lui qui a raison. Je n'ai jamais vu d'homme aussi adroit. Quand il m'a rendu la Lettre de Danceny, c'Ă©tait au milieu de tout le monde, et personne n'en a rien vu; il est vrai que j'ai eu bien peur parce que je n'Ă©tais prĂ©venue de rien mais Ă prĂ©sent je m'y attendrai. J'ai dĂ©jĂ fort bien compris comment il voulait que je fisse pour lui remettre ma RĂ©ponse. Il est bien facile de s'entendre avec lui, car il a un regard qui dit tout ce qu'il veut. Je ne sais pas comment il fait il me disait dans le billet dont je t'ai parlĂ© qu'il n'aurait pas l'air de s'occuper de moi devant Maman en effet, on dirait toujours qu'il n'y songe pas; et pourtant toutes les fois que je cherche ses yeux, je suis sĂ»re de les rencontrer tout de suite. Il y a ici une bonne amie de Maman, que je ne connaissais pas, qui a aussi l'air de ne guĂšre aimer M. de Valmont, quoiqu'il ait bien des attentions pour elle. J'ai peur qu'il ne s'ennuie bientĂÂŽt de la vie qu'on mĂšne ici, et qu'il ne s'en retourne Ă Paris; cela serait bien fĂÂącheux. Il faut qu'il ait bien bon cĂ âur d'ĂÂȘtre venu exprĂšs pour rendre service Ă son ami et Ă moi! Je voudrais bien lui en tĂ©moigner ma reconnaissance, mais je ne sais comment faire pour lui parler; et quand j'en trouverais l'occasion, je serais si honteuse, que je ne saurais peut-ĂÂȘtre que lui dire. Il n'y a que Madame de Merteuil avec qui je parle librement, quand je parle de mon amour. Peut-ĂÂȘtre mĂÂȘme qu'avec toi, Ă qui je dis tout, si c'Ă©tait en causant, je serais embarrassĂ©e. Avec Danceny lui-mĂÂȘme, j'ai souvent senti, comme malgrĂ© moi, une certaine crainte qui m'empĂÂȘchait de lui dire tout ce que je pensais. Je me le reproche bien Ă prĂ©sent, et je donnerais tout au monde pour trouver le moment de lui dire une fois, une seule fois, combien je l'aime. M. de Valmont lui a promis que, si je me laissais conduire, il nous procurerait l'occasion de nous revoir. Je ferai bien assez ce qu'il voudra; mais je ne peux pas concevoir que cela soit possible. Adieu, ma bonne amie, je n'ai plus de place [Mademoiselle de Volanges ayant, peu de temps aprĂšs, changĂ© de confidente, comme on le verra par la suite de ces Lettres, on ne trouvera plus dans ce Recueil aucune de celles qu'elle a continuĂ© d'Ă©crire Ă son amie du Couvent, elles n'apprendraient rien au Lecteur]. Du ChĂÂąteau de ..., ce 14 septembre 17** LETTRE LXXVI LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Ou votre Lettre est un persiflage, que je n'ai pas compris; ou vous Ă©tiez, en me l'Ă©crivant, dans un dĂ©lire trĂšs dangereux. Si je vous connaissais moins, ma belle amie, je serais vraiment trĂšs effrayĂ©; et quoi que vous en puissiez dire, je ne m'effraierais pas trop facilement. J'ai beau vous lire et vous relire, je n'en suis pas plus avancĂ©; car, de prendre votre Lettre dans le sens naturel qu'elle prĂ©sente, il n'y a pas moyen. Qu'avez- vous donc voulu dire? Est-ce seulement qu'il Ă©tait inutile de se donner tant de soins contre un ennemi si peu redoutable? mais, dans ce cas, vous pourriez avoir tort. PrĂ©van est rĂ©ellement aimable; il l'est plus que vous ne le croyez; il a surtout le talent trĂšs utile d'occuper beaucoup de son amour, par l'adresse qu'il a d'en parler dans le cercle, et devant tout le monde, en se servant de la premiĂšre conversation qu'il trouve. Il est peu de femmes qui se sauvent alors du piĂšge d'y rĂ©pondre, parce que toutes ayant des prĂ©tentions Ă la finesse, aucune ne veut perdre l'occasion d'en montrer. Or, vous savez assez que femme qui consent Ă parler d'amour, finit bientĂÂŽt par en prendre, ou au moins par se conduire comme si elle en avait. Il gagne encore Ă cette mĂ©thode, qu'il a rĂ©ellement perfectionnĂ©e, d'appeler souvent les femmes elles-mĂÂȘmes en tĂ©moignage de leur dĂ©faite; et cela, je vous en parle pour l'avoir vu. Je n'Ă©tais dans le secret que de la seconde main; car jamais je n'ai Ă©tĂ© liĂ© avec PrĂ©van mais enfin nous y Ă©tions six et la Comtesse de P***, tout en se croyant bien fine, et ayant l'air en effet, pour tout ce qui n'Ă©tait pas instruit, de tenir une conversation gĂ©nĂ©rale, nous raconta dans le plus grand dĂ©tail, et comme quoi elle s'Ă©tait rendue Ă PrĂ©van, et tout ce qui s'Ă©tait passĂ© entre eux. Elle faisait ce rĂ©cit avec une telle sĂ©curitĂ©, qu'elle ne fut pas mĂÂȘme troublĂ©e par un fou rire qui nous prit Ă tous six en mĂÂȘme temps; et je me souviendrai toujours qu'un de nous ayant voulu, pour s'excuser, feindre de douter de ce qu'elle disait, ou plutĂÂŽt de ce qu'elle avait l'air de dire, elle rĂ©pondit gravement qu'Ă coup sĂ»r nous n'Ă©tions aucun aussi bien instruits qu'elle; et elle ne craignit pas mĂÂȘme de s'adresser Ă PrĂ©van, pour lui demander si elle s'Ă©tait trompĂ©e d'un mot. J'ai donc pu croire cet homme dangereux pour tout le monde mais pour vous, Marquise, ne suffisait-il pas qu'il fĂ»t joli, trĂšs joli , comme vous le dites vous-mĂÂȘme? ou qu'il vous fĂt une de ces attaques, que vous vous plaisiez quelquefois Ă rĂ©compenser, sans autre motif que de les trouver bien faites ? ou que vous eussiez trouvĂ© plaisant de vous rendre par une raison quelconque? ou que sais-je? puis-je deviner les mille caprices qui gouvernent la tĂÂȘte d'une femme, et par qui seuls vous tenez encore Ă votre sexe? A prĂ©sent que vous ĂÂȘtes avertie du danger, je ne doute pas que vous ne vous en sauviez facilement mais pourtant fallait-il vous avertir. Je reviens donc Ă mon texte; qu'avez-vous voulu dire? Si ce n'est qu'un persiflage sur PrĂ©van, outre qu'il est bien long, ce n'Ă©tait pas vis-Ă -vis de moi qu'il Ă©tait utile; c'est dans le monde qu'il faut lui donner quelque bon ridicule, et je vous renouvelle ma priĂšre Ă ce sujet. Ah! je crois tenir le mot de l'Ă©nigme! votre Lettre est une prophĂ©tie, non de ce que vous ferez, mais de ce qu'il vous croira prĂÂȘte Ă faire au moment de la chute que vous lui prĂ©parez. J'approuve assez ce projet; il exige pourtant de grands mĂ©nagements. Vous savez comme moi que, pour l'effet public, avoir un homme ou recevoir ses soins, est absolument la mĂÂȘme chose, Ă moins que cet homme ne soit un sot; et PrĂ©van ne l'est pas, Ă beaucoup prĂšs. S'il peut gagner seulement une apparence, il se vantera, et tout sera dit. Les sots y croiront, les mĂ©chants auront l'air d'y croire quelles seront vos ressources? Tenez, j'ai peur. Ce n'est pas que je doute de votre adresse mais ce sont les bons nageurs qui se noient. Je ne me crois pas plus bĂÂȘte qu'un autre; des moyens de dĂ©shonorer une femme, j'en ai trouvĂ© cent, j'en ai trouvĂ© mille mais quand je me suis occupĂ© de chercher comment elle pourrait s'en sauver, je n'en ai jamais vu la possibilitĂ©. Vous-mĂÂȘme, ma belle amie, dont la conduite est un chef-d'Ă âuvre, cent fois j'ai cru vous voir plus de bonheur que de bien jouĂ©. Mais aprĂšs tout, je cherche peut-ĂÂȘtre une raison Ă ce qui n'en a point. J'admire comment, depuis une heure, je traite sĂ©rieusement ce qui n'est, Ă coup sĂ»r, qu'une plaisanterie de votre part. Vous allez vous moquer de moi! HĂ© bien! soit; mais dĂ©pĂÂȘchez-vous, et parlons d'autre chose. D'autre chose! je me trompe, c'est toujours de la mĂÂȘme; toujours des femmes Ă avoir ou Ă perdre, et souvent tous les deux. J'ai ici, comme vous l'avez fort bien remarquĂ©, de quoi m'exercer dans les deux genres, mais non pas avec la mĂÂȘme facilitĂ©. Je prĂ©vois que la vengeance ira plus vite que l'amour. La petite Volanges est rendue, j'en rĂ©ponds; elle ne dĂ©pend plus que de l'occasion, et je me charge de la faire naĂtre. Mais il n'en est pas de mĂÂȘme de Madame de Tourvel cette femme est dĂ©solante, je ne la conçois pas; j'ai cent preuves de son amour, mais j'en ai mille de sa rĂ©sistance; et en vĂ©ritĂ©, je crains qu'elle ne m'Ă©chappe. Le premier effet qu'avait produit mon retour me faisait espĂ©rer davantage. Vous devinez que je voulais en juger par moi-mĂÂȘme; et pour m'assurer de voir les premiers mouvements, je ne m'Ă©tais fait prĂ©cĂ©der par personne, et j'avais calculĂ© ma route pour arriver pendant qu'on serait Ă table. En effet, je tombai des nues, comme une DivinitĂ© d'OpĂ©ra qui vient faire un dĂ©nouement. Ayant fait assez de bruit en entrant pour fixer les regards sur moi, je pus voir du mĂÂȘme coup d'oeil la joie de ma vieille tante, le dĂ©pit de Madame de Volanges, et le plaisir dĂ©contenancĂ© de sa fille. Ma Belle, par la place qu'elle occupait, tournait le dos Ă la porte. OccupĂ©e dans ce moment Ă couper quelque chose, elle ne tourna seulement pas la tĂÂȘte mais j'adressai la parole Ă Madame de Rosemonde; et au premier mot, la sensible DĂ©vote ayant reconnu ma voix, il lui Ă©chappa un cri dans lequel je crus reconnaĂtre plus d'amour que de surprise et d'effroi. Je m'Ă©tais alors assez avancĂ© pour voir sa figure le tumulte de son ĂÂąme, le combat de ses idĂ©es et de ses sentiments, s'y peignirent de vingt façons diffĂ©rentes. Je me mis Ă table Ă cĂÂŽtĂ© d'elle; elle ne savait exactement rien de ce qu'elle faisait ni de ce qu'elle disait. Elle essaya de continuer de manger; il n'y eut pas moyen enfin, moins d'un quart d'heure aprĂšs, son embarras et son plaisir devenant plus forts qu'elle, elle n'imagina rien de mieux que de demander permission de sortir de table, et elle se sauva dans le parc, sous le prĂ©texte d'avoir besoin de prendre l'air. Madame de Volanges voulut l'accompagner; la tendre Prude ne le permit pas trop heureuse, sans doute, de trouver un prĂ©texte pour ĂÂȘtre seule, et se livrer sans contrainte Ă la douce Ă©motion de son cĂ âur. J'abrĂ©geai le dĂner le plus qu'il me fut possible. A peine avait-on servi le dessert, que l'infernale Volanges, pressĂ©e apparemment du besoin de me nuire, se leva de sa place pour aller trouver la charmante malade mais j'avais prĂ©vu ce projet, et je le traversai. Je feignis donc de prendre ce mouvement particulier pour le mouvement gĂ©nĂ©ral; et m'Ă©tant levĂ© en mĂÂȘme temps, la petite Volanges et le CurĂ© du lieu se laissĂšrent entraĂner par ce double exemple; en sorte que Madame de Rosemonde se trouva seule Ă table avec le vieux Commandeur de T. , et tous deux prirent aussi le parti d'en sortir. Nous allĂÂąmes donc tous rejoindre ma Belle, que nous trouvĂÂąmes dans le bosquet prĂšs du ChĂÂąteau; et comme elle avait besoin de solitude et non de promenade, elle aima autant revenir avec nous, que nous faire rester avec elle. DĂšs que je fus assurĂ© que Madame de Volanges n'aurait pas l'occasion de lui parler seule, je songeai Ă exĂ©cuter vos ordres, et je m'occupai des intĂ©rĂÂȘts de votre pupille. AussitĂÂŽt aprĂšs le cafĂ©, je montai chez moi, et j'entrai aussi chez les autres, pour reconnaĂtre le terrain; je fis mes dispositions pour assurer la correspondance de la petite; et aprĂšs ce premier bienfait, j'Ă©crivis un mot pour l'en instruire et lui demander sa confiance; je joignis mon billet Ă la Lettre de Danceny. Je revins au salon. J'y trouvai ma Belle Ă©tablie sur une chaise longue dans un abandon dĂ©licieux. Ce spectacle, en Ă©veillant mes dĂ©sirs, anima mes regards; je sentis qu'ils devaient ĂÂȘtre tendres et pressants, et je me plaçai de maniĂšre Ă pouvoir en faire usage. Leur premier effet fut de faire baisser les grands yeux modestes de la cĂ©leste Prude. Je considĂ©rai quelque temps cette figure angĂ©lique; puis, parcourant toute sa personne je m'amusais Ă deviner les contours et les formes Ă travers un vĂÂȘtement lĂ©ger, mais toujours importun. AprĂšs ĂÂȘtre descendu de la tĂÂȘte aux pieds, je remontais des pieds Ă la tĂÂȘte. Ma belle amie, le doux regard Ă©tait fixĂ© sur moi; sur-le-champ il se baissa de nouveau, mais voulant en favoriser le retour, je dĂ©tournai mes yeux. Alors s'Ă©tablit entre nous cette convention tacite, premier traitĂ© de l'amour timide, qui, pour satisfaire le besoin mutuel de se voir, permet aux regards de se succĂ©der en attendant qu'ils se confondent. PersuadĂ© que ce nouveau plaisir occupait ma Belle tout entiĂšre, je me chargeai de veiller Ă notre commune sĂ»retĂ© mais aprĂšs m'ĂÂȘtre assurĂ© qu'une conversation assez vive nous sauvait des remarques du cercle, je tĂÂąchai d'obtenir de ses yeux qu'ils parlassent franchement leur langage. Pour cela je surpris d'abord quelques regards; mais avec tant de rĂ©serve, que la modestie n'en pouvait ĂÂȘtre alarmĂ©e; et pour mettre la timide personne plus Ă son aise, je paraissais moi-mĂÂȘme aussi embarrassĂ© qu'elle. Peu Ă peu nos yeux, accoutumĂ©s Ă se rencontrer, se fixĂšrent plus longtemps; enfin ils ne se quittĂšrent plus, et j'aperçus dans les siens cette douce langueur, signal heureux de l'amour et du dĂ©sir; mais ce ne fut qu'un moment; et bientĂÂŽt revenue Ă elle-mĂÂȘme, elle changea, non sans quelque honte, son maintien et son regard. Ne voulant pas qu'elle pĂ»t douter que j'eusse remarquĂ© ses divers mouvements, je me levai avec vivacitĂ©, en lui demandant, avec l'air de l'effroi, si elle se trouvait mal. AussitĂÂŽt tout le monde vint l'entourer. Je les laissai tous passer devant moi; et comme la petite Volanges, qui travaillait Ă la tapisserie auprĂšs d'une fenĂÂȘtre, eut besoin de quelque temps pour quitter son mĂ©tier, je saisis ce moment pour lui remettre la Lettre de Danceny. J'Ă©tais un peu loin d'elle; je jetai l'EpĂtre sur ses genoux. Elle ne savait en vĂ©ritĂ© qu'en faire. Vous auriez trop ri de son air de surprise et d'embarras; pourtant, je ne riais point, car je craignais que tant de gaucherie ne nous trahĂt. Mais un coup d'oeil et un geste fortement prononcĂ©s lui firent enfin comprendre qu'il fallait mettre le paquet dans sa poche. Le reste de la journĂ©e n'eut rien d'intĂ©ressant. Ce qui s'est passĂ© depuis amĂšnera peut-ĂÂȘtre des Ă©vĂ©nements dont vous serez contente, au moins pour ce qui regarde votre pupille; mais il vaut mieux employer son temps Ă exĂ©cuter ses projets qu'Ă les raconter. VoilĂ d'ailleurs la huitiĂšme page que j'Ă©cris, et j'en suis fatiguĂ©; ainsi, adieu. Vous vous doutez bien, sans que je vous le dise, que la petite a rĂ©pondu Ă Danceny [Cette Lettre ne s'est pas retrouvĂ©e]. J'ai eu aussi une RĂ©ponse de ma Belle, Ă qui j'avais Ă©crit le lendemain de mon arrivĂ©e. Je vous envoie les deux Lettres. Vous les lirez ou vous ne les lirez pas car ce perpĂ©tuel rabĂÂąchage, qui dĂ©jĂ ne m'amuse pas trop, doit ĂÂȘtre bien insipide, pour toute personne dĂ©sintĂ©ressĂ©e. Encore une fois, adieu. Je vous aime toujours beaucoup; mais je vous en prie, si vous me reparlez de PrĂ©van, faites en sorte que je vous entende. Du ChĂÂąteau de ..., ce 17 septembre 17** LETTRE LXXVII LE VICOMTE DE VALMONT A LA PRESIDENTE DE TOURVEL D'oĂÂč peut venir, Madame, le soin cruel que vous mettez Ă me fuir? comment se peut-il que l'empressement le plus tendre de ma part n'obtienne de la vĂÂŽtre que des procĂ©dĂ©s qu'on se permettrait Ă peine envers l'homme dont on aurait le plus Ă se plaindre? Quoi! l'amour me ramĂšne Ă vos pieds; et quand un heureux hasard me place Ă cĂÂŽtĂ© de vous, vous aimez mieux feindre une indisposition, alarmer vos amis, que de consentir Ă rester prĂšs de moi! Combien de fois hier n'avez-vous pas dĂ©tournĂ© vos yeux pour me priver de la faveur d'un regard? et si un seul instant j'ai pu y voir moins de sĂ©vĂ©ritĂ©, ce moment a Ă©tĂ© si court qu'il semble que vous ayez voulu moins m'en faire jouir que me faire sentir ce que je perdais Ă en ĂÂȘtre privĂ©. Ce n'est lĂ , j'ose le dire, ni le traitement que mĂ©rite l'amour, ni celui que peut se permettre l'amitiĂ©; et toutefois, de ces deux sentiments, vous savez si l'un m'anime, et j'Ă©tais, ce me semble, autorisĂ© Ă croire que vous ne vous refusiez pas Ă l'autre. Cette amitiĂ© prĂ©cieuse, dont sans doute vous m'avez cru digne, puisque vous avez bien voulu me l'offrir, qu'ai-je donc fait pour l'avoir perdue depuis? me serais-je nui par ma confiance, et me puniriez-vous de ma franchise? ne craignez-vous pas au moins d'abuser de l'une et de l'autre? En effet, n'est-ce pas dans le sein de mon amie, que j'ai dĂ©posĂ© le secret de mon cĂ âur? n'est-ce pas vis-Ă -vis d'elle seule, que j'ai pu me croire obligĂ© de refuser des conditions qu'il me suffisait d'accepter, pour me donner la facilitĂ© de ne les pas tenir, et peut-ĂÂȘtre celle d'en abuser utilement? Voudriez-vous enfin, par une rigueur si peu mĂ©ritĂ©e, me forcer Ă croire qu'il n'eĂ»t fallu que vous tromper pour obtenir plus d'indulgence? Je ne me repens point d'une conduite que je vous devais, que je me devais Ă moi-mĂÂȘme; mais par quelle fatalitĂ©, chaque action louable devient-elle pour moi le signal d'un malheur nouveau? C'est aprĂšs avoir donnĂ© lieu au seul Ă©loge que vous ayez encore daignĂ© faire de ma conduite, que j'ai eu, pour la premiĂšre fois, Ă gĂ©mir du malheur de vous avoir dĂ©plu. C'est aprĂšs vous avoir prouvĂ© ma soumission parfaite, en me privant du bonheur de vous voir, uniquement pour rassurer votre dĂ©licatesse, que vous avez voulu rompre toute correspondance avec moi, m'ĂÂŽter ce faible dĂ©dommagement d'un sacrifice que vous aviez exigĂ©, et me ravir jusqu'Ă l'amour qui seul avait pu vous en donner le droit. C'est enfin aprĂšs vous avoir parlĂ© avec une sincĂ©ritĂ© que l'intĂ©rĂÂȘt mĂÂȘme de cet amour n'a pu affaiblir, que vous me fuyez aujourd'hui comme un sĂ©ducteur dangereux, dont vous auriez reconnu la perfidie. Ne vous lasserez-vous donc jamais d'ĂÂȘtre injuste? Apprenez-moi du moins quels nouveaux torts ont pu vous porter Ă tant de sĂ©vĂ©ritĂ©, et ne refusez pas de me dicter les ordres que vous voulez que je suive; quand je m'engage Ă les exĂ©cuter, est-ce trop prĂ©tendre que de demander Ă les connaĂtre? De ..., ce 15 septembre 17** LETTRE LXXVIII LA PRESIDENTE DE TOURVEL AU VICOMTE DE VALMONT Vous paraissez, Monsieur, surpris de ma conduite, et peu s'en faut mĂÂȘme que vous ne m'en demandiez compte, comme ayant le droit de la blĂÂąmer. J'avoue que je me serais crue plus autorisĂ©e que vous Ă m'Ă©tonner et Ă me plaindre; mais depuis le refus contenu dans votre derniĂšre rĂ©ponse, j'ai pris le parti de me renfermer dans une indiffĂ©rence qui ne laisse plus lieu aux remarques ni aux reproches. Cependant, comme vous me demandez des Ă©claircissements, et que, grĂÂąces au Ciel, je ne sens rien en moi qui puisse m'empĂÂȘcher de vous les donner, je veux bien entrer encore une fois en explication avec vous. Qui lirait vos Lettres me croirait injuste ou bizarre. Je crois mĂ©riter que personne n'ait cette idĂ©e de moi; il me semble surtout que vous Ă©tiez moins qu'un autre dans le cas de la prendre. Sans doute, vous avez senti qu'en nĂ©cessitant ma justification vous me forciez Ă rappeler tout ce qui s'est passĂ© entre nous. Apparemment vous avez cru n'avoir qu'Ă gagner Ă cet examen comme, de mon cĂÂŽtĂ©, je ne crois pas avoir Ă y perdre, au moins Ă vos yeux, je ne crains pas de m'y livrer. Peut-ĂÂȘtre est-ce, en effet, le seul moyen de connaĂtre qui de nous deux a le droit de se plaindre de l'autre. A compter, Monsieur, du jour de votre arrivĂ©e dans ce ChĂÂąteau, vous avouerez, je crois, qu'au moins votre rĂ©putation m'autorisait Ă user de quelque rĂ©serve avec vous, et que j'aurais pu, sans craindre d'ĂÂȘtre taxĂ©e d'un excĂšs de pruderie, m'en tenir aux seules expressions de la politesse la plus froide. Vous-mĂÂȘme m'eussiez traitĂ©e avec indulgence, et vous eussiez trouvĂ© simple qu'une femme aussi peu formĂ©e n'eĂ»t pas mĂÂȘme le mĂ©rite nĂ©cessaire pour apprĂ©cier le vĂÂŽtre. C'Ă©tait sĂ»rement lĂ le parti de la prudence; et il m'eĂ»t d'autant moins coĂ»tĂ© Ă suivre, que je ne vous cacherai pas que, quand Madame de Rosemonde vint me faire part de votre arrivĂ©e, j'eus besoin de me rappeler mon amitiĂ© pour elle, et celle qu'elle a pour vous, pour ne pas lui laisser voir combien cette nouvelle me contrariait. Je conviens volontiers que vous vous ĂÂȘtes montrĂ© d'abord sous un aspect plus favorable que je ne l'avais imaginĂ©; mais vous conviendrez Ă votre tour qu'il a bien peu durĂ©, et que vous vous ĂÂȘtes bientĂÂŽt lassĂ© d'une contrainte, dont apparemment vous ne vous ĂÂȘtes pas cru suffisamment dĂ©dommagĂ© par l'idĂ©e avantageuse qu'elle m'avait fait prendre de vous. C'est alors qu'abusant de ma bonne foi, de ma sĂ©curitĂ©, vous n'avez pas craint de m'entretenir d'un sentiment dont vous ne pouviez pas douter que je ne me trouvasse offensĂ©e; et moi, tandis que vous ne vous occupiez qu'Ă aggraver vos torts en les multipliant, je cherchais un motif pour les oublier, en vous offrant l'occasion de les rĂ©parer, au moins en partie. Ma demande Ă©tait si juste que vous-mĂÂȘme ne crĂ»tes pas devoir vous y refuser mais vous faisant un droit de mon indulgence, vous en profitĂÂątes pour me demander une permission, que, sans doute, je n'aurais pas dĂ» accorder, et que pourtant vous avez obtenue. Des conditions qui y furent mises, vous n'en avez tenu aucune; et votre correspondance a Ă©tĂ© telle, que chacune de vos Lettres me faisait un devoir de ne plus vous rĂ©pondre. C'est dans le moment mĂÂȘme oĂÂč votre obstination me forçait Ă vous Ă©loigner de moi que, par une condescendance peut-ĂÂȘtre blĂÂąmable, j'ai tentĂ© le seul moyen qui pouvait me permettre de vous en rapprocher mais de quel prix est Ă vos yeux un sentiment honnĂÂȘte? Vous mĂ©prisez l'amitiĂ©; et dans votre folle ivresse, comptant pour rien les malheurs et la honte, vous ne cherchez que des plaisirs et des victimes. Aussi lĂ©ger dans vos dĂ©marches qu'inconsĂ©quent dans vos reproches, vous oubliez vos promesses, ou plutĂÂŽt vous vous faites un jeu de les violer, et aprĂšs avoir consenti Ă vous Ă©loigner de moi, vous revenez ici sans y ĂÂȘtre rappelĂ©; sans Ă©gard pour mes priĂšres, pour mes raisons, sans avoir mĂÂȘme l'attention de m'en prĂ©venir, vous n'avez pas craint de m'exposer Ă une surprise dont l'effet, quoique bien simple assurĂ©ment, aurait pu ĂÂȘtre interprĂ©tĂ© dĂ©favorablement pour moi, par les personnes qui nous entouraient. Ce moment d'embarras que vous aviez fait naĂtre, loin de chercher Ă en distraire, ou Ă le dissiper, vous avez paru mettre tous vos soins Ă l'augmenter encore. A table, vous choisissez prĂ©cisĂ©ment votre place Ă cĂÂŽtĂ© de la mienne une lĂ©gĂšre indisposition me force d'en sortir avant les autres; et au lieu de respecter ma solitude, vous engagez tout le monde Ă venir la troubler. RentrĂ©e au salon, si je fais un pas, je vous trouve Ă cĂÂŽtĂ© de moi; si je dis une parole, c'est toujours vous qui me rĂ©pondez. Le mot le plus indiffĂ©rent vous sert de prĂ©texte pour ramener une conversation que je ne voulais pas entendre, qui pouvait mĂÂȘme me compromettre car enfin, Monsieur, quelque adresse que vous y mettiez, ce que je comprends, je crois que les autres peuvent aussi le comprendre. ForcĂ©e ainsi par vous Ă l'immobilitĂ© et au silence, vous n'en continuez pas moins de me poursuivre; je ne puis lever les yeux sans rencontrer les vĂÂŽtres. Je suis sans cesse obligĂ©e de dĂ©tourner mes regards; et par une inconsĂ©quence bien incomprĂ©hensible, vous fixez sur moi ceux du cercle, dans un moment oĂÂč j'aurais voulu pouvoir mĂÂȘme me dĂ©rober aux miens. Et vous vous plaignez de mes procĂ©dĂ©s! et vous vous Ă©tonnez de mon empressement Ă vous fuir! Ah! blĂÂąmez-moi plutĂÂŽt de mon indulgence, Ă©tonnez-vous que je ne sois pas partie au moment de votre arrivĂ©e. Je l'aurais dĂ» peut-ĂÂȘtre, et vous me forcerez Ă ce parti violent mais nĂ©cessaire, si vous ne cessez enfin des poursuites offensantes. Non, je n'oublie point, je n'oublierai jamais ce que je me dois, ce que je dois Ă des nĂ âuds que j'ai formĂ©s, que je respecte et que je chĂ©ris; et je vous prie de croire que, si jamais je me trouvais rĂ©duite Ă ce choix malheureux de les sacrifier ou de me sacrifier moi-mĂÂȘme, je ne balancerais pas un instant. Adieu, Monsieur. De ..., ce 16 septembre l7**. LETTRE LXXIX LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Je comptais aller Ă la chasse ce matin mais il fait un temps dĂ©testable. Je n'ai pour toute lecture qu'un Roman nouveau, qui ennuierait mĂÂȘme une Pensionnaire. On dĂ©jeunera au plus tĂÂŽt dans deux heures ainsi malgrĂ© ma longue Lettre d'hier, je vais encore causer avec vous. Je suis bien sĂ»r de ne pas vous ennuyer, car je vous parlerai du trĂšs joli PrĂ©van . Comment n'avez-vous pas su sa fameuse aventure, celle qui a sĂ©parĂ© les insĂ©parables . Je parie que vous vous la rappellerez au premier mot. La voici pourtant, puisque vous la dĂ©sirez. Vous vous souvenez que tout Paris s'Ă©tonnait que trois femmes, toutes trois jolies, ayant toutes trois les mĂÂȘmes talents, et pouvant avoir les mĂÂȘmes prĂ©tentions, restassent intimement liĂ©es entre elles depuis le moment de leur entrĂ©e dans le monde. On crut d'abord en trouver la raison dans leur extrĂÂȘme timiditĂ© mais bientĂÂŽt, entourĂ©es d'une cour nombreuse dont elles partageaient les hommages, et Ă©clairĂ©es sur leur valeur par l'empressement et les soins dont elles Ă©taient l'objet, leur union n'en devint pourtant que plus forte; et l'on eĂ»t dit que le triomphe de l'une Ă©tait toujours celui des deux autres. On espĂ©rait au moins que le moment de l'amour amĂšnerait quelque rivalitĂ©. Nos agrĂ©ables se disputaient l'honneur d'ĂÂȘtre la pomme de discorde; et moi-mĂÂȘme, je me serais mis alors sur les rangs, si la grande faveur oĂÂč la Comtesse de ... s'Ă©leva dans ce mĂÂȘme temps, m'eĂ»t permis de lui ĂÂȘtre infidĂšle avant d'avoir obtenu l'agrĂ©ment que je demandais. Cependant nos trois BeautĂ©s, dans le mĂÂȘme carnaval, firent leur choix comme de concert; et loin qu'il excitĂÂąt les orages qu'on s'en Ă©tait promis, il ne fit que rendre leur amitiĂ© plus intĂ©ressante, par le charme des confidences. La foule des prĂ©tendants malheureux se joignit alors Ă celle des femmes jalouses, et la scandaleuse constance fut soumise Ă la censure publique. Les uns prĂ©tendaient que dans cette sociĂ©tĂ© des insĂ©parables ainsi la nommait-on alors, la loi fondamentale Ă©tait la communautĂ© de biens, et que l'amour mĂÂȘme y Ă©tait soumis; d'autres assuraient que les trois Amants, exempts de rivaux, ne l'Ă©taient pas de rivales on alla mĂÂȘme jusqu'Ă dire qu'ils n'avaient Ă©tĂ© admis que par dĂ©cence, et n'avaient obtenu qu'un titre sans fonction. Ces bruits, vrais ou faux, n'eurent pas l'effet qu'on s'en Ă©tait promis. Les trois couples, au contraire, sentirent qu'ils Ă©taient perdus s'ils se sĂ©paraient dans ce moment; ils prirent le parti de faire tĂÂȘte Ă l'orage. Le public, qui se lasse de tout, se lassa bientĂÂŽt d'une satire infructueuse. EmportĂ© par sa lĂ©gĂšretĂ© naturelle, il s'occupa d'autres objets puis, revenant Ă celui-ci avec son inconsĂ©quence ordinaire, il changea la critique en Ă©loge. Comme ici tout est de mode, l'enthousiasme gagna; il devenait un vrai dĂ©lire, lorsque PrĂ©van entreprit de vĂ©rifier ces prodiges, et de fixer sur eux l'opinion publique et la sienne. Il rechercha donc ces modĂšles de perfection. Admis facilement dans leur sociĂ©tĂ©, il en tira un favorable augure. Il savait assez que les gens heureux ne sont pas d'un accĂšs si facile. Il vit bientĂÂŽt, en effet, que ce bonheur si vantĂ© Ă©tait, comme celui des Rois, plus enviĂ© que dĂ©sirable. Il remarqua que, parmi ces prĂ©tendus insĂ©parables, on commençait Ă rechercher les plaisirs du dehors, qu'on s'y occupait mĂÂȘme de distraction; et il en conclut que les liens d'amour ou d'amitiĂ© Ă©taient dĂ©jĂ relĂÂąchĂ©s ou rompus, et que ceux de l'amour- propre et de l'habitude conservaient seuls quelque force. Cependant les femmes, que le besoin rassemblait, conservaient entre elles l'apparence de la mĂÂȘme intimitĂ© mais les hommes, plus libres dans leurs dĂ©marches, retrouvaient des devoirs Ă remplir ou des affaires Ă suivre; ils s'en plaignaient encore, mais ne s'en dispensaient plus, et rarement les soirĂ©es Ă©taient complĂštes. Cette conduite de leur part fut profitable Ă l'assidu PrĂ©van, qui, placĂ© naturellement auprĂšs de la dĂ©laissĂ©e du jour, trouvait Ă offrir alternativement, et selon les circonstances, le mĂÂȘme hommage aux trois amies. Il sentit facilement que faire un choix entre elles, c'Ă©tait se perdre; que la fausse honte de se trouver la premiĂšre infidĂšle effaroucherait la prĂ©fĂ©rĂ©e; que la vanitĂ© blessĂ©e des deux autres les rendrait ennemies du nouvel Amant, et qu'elles ne manqueraient pas de dĂ©ployer contre lui la sĂ©vĂ©ritĂ© des grands principes; enfin, que la jalousie ramĂšnerait Ă coup sĂ»r les soins d'un rival qui pouvait ĂÂȘtre encore Ă craindre. Tout fĂ»t devenu obstacle; tout devenait facile dans son triple projet; chaque femme Ă©tait indulgente, parce qu'elle y Ă©tait intĂ©ressĂ©e, chaque homme, parce qu'il croyait ne pas l'ĂÂȘtre. PrĂ©van, qui n'avait alors qu'une seule femme Ă sacrifier, fut assez heureux pour qu'elle prĂt de la cĂ©lĂ©britĂ©. Sa qualitĂ© d'Ă©trangĂšre et l'hommage d'un grand Prince assez adroitement, refusĂ© avaient fixĂ© sur elle l'attention de la Cour et de la Ville; son Amant en partageait l'honneur, et en profita auprĂšs de ses nouvelles MaĂtresses. La seule difficultĂ© Ă©tait de mener de front ces trois intrigues, dont la marche devait forcĂ©ment se rĂ©gler sur la plus tardive; en effet, je tiens d'un de ses confidents que sa plus grande peine fut d'en arrĂÂȘter une, qui se trouva prĂÂȘte Ă Ă©clore prĂšs de quinze jours avant les autres. Enfin le grand jour arriva. PrĂ©van, qui avait obtenu les trois aveux, se trouvait dĂ©jĂ maĂtre des dĂ©marches, et les rĂ©gla comme vous allez voir. Des trois maris, l'un Ă©tait absent, l'autre partait le lendemain au point du jour, le troisiĂšme Ă©tait Ă la Ville. Les insĂ©parables amies devaient souper chez la veuve future; mais le nouveau MaĂtre n'avait pas permis que les anciens Serviteurs y fussent invitĂ©s. Le matin mĂÂȘme de ce jour, il fait trois lots des Lettres de sa Belle, il accompagne l'un du portrait qu'il avait reçu d'elle le second d'un chiffre amoureux qu'elle-mĂÂȘme avait peint, le troisiĂšme d'une boucle de ses cheveux; chacune reçut pour complet ce tiers de sacrifice, et consentit, en Ă©change, Ă envoyer Ă l'Amant disgraciĂ© une Lettre Ă©clatante de rupture. C'Ă©tait beaucoup; ce n'Ă©tait pas assez. Celle dont le mari Ă©tait Ă la Ville ne pouvait disposer que de la journĂ©e; il fut convenu qu'une feinte indisposition la dispenserait d'aller souper chez son amie, et que la soirĂ©e serait toute Ă PrĂ©van la nuit fut accordĂ©e par celle dont le mari fut absent et le point du jour, moment du dĂ©part du troisiĂšme Ă©poux, fut marquĂ© par la derniĂšre, pour l'heure du Berger. PrĂ©van qui ne nĂ©glige rien, court ensuite chez la belle Ă©trangĂšre, y porte et y fait naĂtre l'humeur dont il avait besoin, et n'en sort qu'aprĂšs avoir Ă©tabli une querelle qui lui assure vingt-quatre heures de libertĂ©. Ses dispositions ainsi faites, il rentra chez lui, comptant prendre quelque repos; d'autres affaires l'y attendaient. Les Lettres de rupture avaient Ă©tĂ© un coup de lumiĂšre pour les Amants disgraciĂ©s chacun d'eux ne pouvait douter qu'il n'eĂ»t Ă©tĂ© sacrifiĂ© Ă PrĂ©van; et le dĂ©pit d'avoir Ă©tĂ© jouĂ©, se joignant Ă l'humeur que donne presque toujours la petite humiliation d'ĂÂȘtre quittĂ©, tous trois, sans se communiquer, mais comme de concert, avaient rĂ©solu d'en avoir raison, et pris le parti de la demander Ă leur fortunĂ© rival. Celui-ci trouva donc chez lui les trois cartels; il les accepta loyalement mais ne voulant perdre ni les plaisirs, ni l'Ă©clat de cette aventure, il fixa les rendez- vous au lendemain matin, et les assigna tous les trois au mĂÂȘme lieu et Ă la mĂÂȘme heure. Ce fut Ă une des portes du bois de Boulogne. Le soir venu, il courut sa triple carriĂšre avec un succĂšs Ă©gal; au moins s'est-il vantĂ© depuis que chacune de ses nouvelles MaĂtresses avait reçu trois fois le gage et le serment de son amour. Ici, comme vous le jugez bien, les preuves manquent Ă l'histoire; tout ce que peut faire l'Historien impartial, c'est de faire remarquer au Lecteur incrĂ©dule que la vanitĂ© et l'imagination exaltĂ©es peuvent enfanter des prodiges, et de plus, que la matinĂ©e qui devait suivre une si brillante nuit, paraissait devoir dispenser de mĂ©nagement pour l'avenir. Quoi qu'il en soit, les faits suivants ont plus de certitude. PrĂ©van se rendit exactement au rendez-vous qu'il avait indiquĂ©; il y trouva ses trois rivaux, un peu surpris de leur rencontre, et peut-ĂÂȘtre chacun d'eux dĂ©jĂ consolĂ© en partie, en se voyant des compagnons d'infortune. Il les aborda d'un air affable et cavalier, et leur tint ce discours, qu'on m'a rendu fidĂšlement " Messieurs, leur dit-il, en vous trouvant rassemblĂ©s ici, vous avez devinĂ© sans doute que vous aviez tous trois le mĂÂȘme sujet de plainte contre moi. Je suis prĂÂȘt Ă vous rendre raison. Que le sort dĂ©cide, entre vous, qui des trois tentera le premier une vengeance Ă laquelle vous avez tous un droit Ă©gal. Je n'ai amenĂ© ici ni second, ni tĂ©moins. Je n'en ai point pris pour l'offense; je n'en demande point pour la rĂ©paration. " Puis cĂ©dant Ă son caractĂšre joueur " Je sais, ajouta-t-il, qu'on gagne rarement le sept et le va ; mais quel que soit le sort qui m'attend, on a toujours assez vĂ©cu, quand on a eu le temps d'acquĂ©rir l'amour des femmes et l'estime des hommes. " Pendant que ses adversaires Ă©tonnĂ©s se regardaient en silence, et que leur dĂ©licatesse calculait peut-ĂÂȘtre que ce triple combat ne laissait pas la partie Ă©gale, PrĂ©van reprit la parole " Je ne vous cache pas, continua-t-il donc, que la nuit que je viens de passer m'a cruellement fatiguĂ©. Il serait gĂ©nĂ©reux Ă vous de me permettre de rĂ©parer mes forces. J'ai donnĂ© mes ordres pour qu'on tĂnt ici un dĂ©jeuner prĂÂȘt; faites-moi l'honneur de l'accepter. DĂ©jeunons ensemble, et surtout dĂ©jeunons gaiement. On peut se battre pour de semblables bagatelles; mais elles ne doivent pas, je crois, altĂ©rer notre humeur. " Le dĂ©jeuner fut acceptĂ©. Jamais, dit-on, PrĂ©van ne fut plus aimable. Il eut l'adresse de n'humilier aucun de ses rivaux; de leur persuader que tous eussent eu facilement les mĂÂȘmes succĂšs, et surtout de les faire convenir qu'ils n'en eussent pas plus que lui laissĂ© Ă©chapper l'occasion. Ces faits une fois avouĂ©s, tout s'arrangeait de soi-mĂÂȘme. Aussi le dĂ©jeuner n'Ă©tait-il pas fini, qu'on y avait dĂ©jĂ rĂ©pĂ©tĂ© dix fois que de pareilles femmes ne mĂ©ritaient pas que d'honnĂÂȘtes gens se battissent pour elles. Cette idĂ©e amena la cordialitĂ©; le vin la fortifia; si bien que peu de moments aprĂšs, ce ne fut pas assez de n'avoir plus de rancune, on se jura amitiĂ© sans rĂ©serve. PrĂ©van, qui sans doute aimait bien autant ce dĂ©nouement que l'autre, ne voulait pourtant y rien perdre de sa cĂ©lĂ©britĂ©. En consĂ©quence, pliant adroitement ses projets aux circonstances " En effet, dit-il aux trois offensĂ©s, ce n'est pas de moi, mais de vos infidĂšles MaĂtresses que vous avez Ă vous venger. Je vous en offre l'occasion. DĂ©jĂ je ressens, comme vous-mĂÂȘmes, une injure que bien tĂÂŽt je partagerai car si chacun de vous n'a pu parvenir Ă en fixer une seule, puis-je espĂ©rer de les fixer toutes trois? Votre querelle devient la mienne. Acceptez pour ce soir un souper dans ma petite maison, et j'espĂšre ne pas diffĂ©rer plus long temps votre vengeance. " On voulut le faire expliquer mais lui, avec ce ton de supĂ©rioritĂ© que la circonstance l'autorisait Ă prendre " Messieurs, rĂ©pondit-il, je crois vous avoir prouvĂ© que j'avais quelque esprit de conduite; reposez-vous sur moi. " Tous consentirent; et aprĂšs avoir embrassĂ© leur nouvel ami, ils se sĂ©parĂšrent jusqu'au soir, en attendant l'effet de ses promesses. Celui-ci, sans perdre de temps, retourne Ă Paris, et va, suivant l'usage, visiter ses nouvelles conquĂÂȘtes. Il obtint de toutes trois qu'elles viendraient le soir mĂÂȘme souper en tĂÂȘte-Ă -tĂÂȘte Ă sa petite maison. Deux d'entre elles firent bien quelques difficultĂ©s, mais que reste-t-il Ă refuser le lendemain? Il donna le rendez-vous Ă une heure de distance, temps nĂ©cessaire Ă ses projets. AprĂšs ces prĂ©paratifs, il se retira, fit avertir les trois autres conjurĂ©s, et tous quatre allĂšrent gaiement attendre leurs victimes. On entend arriver la premiĂšre. PrĂ©van se prĂ©sente seul, la reçoit avec l'air de l'empressement, la conduit jusque dans le sanctuaire dont elle se croyait la DivinitĂ©; puis, disparaissant sur un lĂ©ger prĂ©texte, il se fait remplacer aussitĂÂŽt par l'Amant outragĂ©. Vous jugez que la confusion d'une femme qui n'a point encore l'usage des aventures rendait, en ce moment, le triomphe bien facile tout reproche qui ne fut pas fait fut comptĂ© pour une grĂÂące; et l'esclave fugitive, livrĂ©e de nouveau Ă son ancien maĂtre, fut trop heureuse de pouvoir espĂ©rer son pardon, en reprenant sa premiĂšre chaĂne. Le traitĂ© de paix se ratifia dans un lieu plus solitaire, et la scĂšne, restĂ©e vide, fut alternativement remplie par les autres Acteurs, Ă peu prĂšs de la mĂÂȘme maniĂšre, et surtout avec le mĂÂȘme dĂ©nouement. Chacune des femmes pourtant se croyait encore seule en jeu. Leur Ă©tonnement et leur embarras augmentĂšrent, quand, au moment du souper, les trois couples se rĂ©unirent; mais la confusion fut au comble, quand PrĂ©van, qui reparut au milieu de tous, eut la cruautĂ© de faire aux trois infidĂšles des excuses, qui, en livrant leur secret, leur apprenaient entiĂšrement jusqu'Ă quel point elles avaient Ă©tĂ© jouĂ©es. Cependant on se mit Ă table, et peu aprĂšs la contenance revint les hommes se livrĂšrent, les femmes se soumirent. Tous avaient la haine dans le cĂ âur; mais les propos n'en Ă©taient pas moins tendres la gaietĂ© Ă©veilla le dĂ©sir, qui, Ă son tour, lui prĂÂȘta de nouveaux charmes. Cette Ă©tonnante orgie dura jusqu'au matin; et quand on se sĂ©para, les femmes durent se croire pardonnĂ©es mais les hommes, qui avaient conservĂ© leur ressentiment, firent dĂšs le lendemain une rupture qui n'eut point de retour; et non contents de quitter leurs lĂ©gĂšres MaĂtresses, ils achevĂšrent leur vengeance, en publiant leur aventure. Depuis ce temps, une d'elles est au Couvent, et les deux autres languissent exilĂ©es dans leurs Terres. VoilĂ l'histoire de PrĂ©van; c'est Ă vous de voir si vous voulez ajouter Ă sa gloire, et vous atteler Ă son char de triomphe. Votre Lettre m'a vraiment donnĂ© de l'inquiĂ©tude, et j'attends avec impatience une rĂ©ponse plus sage et plus claire Ă la derniĂšre que je vous ai Ă©crite. Adieu, ma belle amie, mĂ©fiez-vous des idĂ©es plaisantes ou bizarres qui vous sĂ©duisent toujours trop facilement. Songez que, dans la carriĂšre que vous courez, l'esprit ne suffit pas, qu'une seule imprudence y devient un mal sans remĂšde. Souffrez enfin que la prudente amitiĂ© soit quelquefois le guide de vos plaisirs. Adieu. Je vous aime pourtant comme si vous Ă©tiez raisonnable. De ..., ce 18 septembre 17** LETTRE LXXX LE CHEVALIER DANCENY A CECILE VOLANGES CĂ©cile, ma chĂšre CĂ©cile, quand viendra le temps de nous revoir? qui m'apprendra Ă vivre loin de vous? qui m'en donnera la force et le courage? Jamais, non, jamais, je ne pourrai supporter cette fatale absence. Chaque jour ajoute Ă mon malheur et n'y point voir de terme! Valmont qui m'avait promis des secours, des consolations, Valmont me nĂ©glige, et peut-ĂÂȘtre m'oublie. Il est auprĂšs de ce qu'il aime; il ne sait plus ce qu'on souffre quand on en est Ă©loignĂ©. En me faisant passer votre derniĂšre Lettre, il ne m'a point Ă©crit. C'est lui pourtant qui doit m'apprendre quand je pourrai vous voir et par quel moyen. N'a-t-il donc rien Ă me dire? Vous-mĂÂȘme, vous ne m'en parlez pas, serait-ce que vous n'en partagez plus le dĂ©sir? Ah! CĂ©cile, CĂ©cile, je suis bien malheureux. Je vous aime plus que jamais mais cet amour, qui fait le charme de ma vie, en devient le tourment. Non, je ne peux plus vivre ainsi, il faut que je vous voie, il le faut, ne fĂ»t-ce qu'un moment. Quand je me lĂšve, je me dis; " Je ne la verrai pas. " Je me couche en disant " Je ne l'ai point vue. " Les journĂ©es si longues n'ont pas un moment pour le bonheur. Tout est privation, tout est regret, tout est dĂ©sespoir; et tous ces maux me viennent d'oĂÂč j'attendais tous mes plaisirs! Ajoutez Ă ces peines mortelles mon inquiĂ©tude sur les vĂÂŽtres, et vous aurez une idĂ©e de ma situation. Je pense Ă vous sans cesse, et n'y pense jamais sans trouble. Si je vous vois affligĂ©e, malheureuse, je souffre de tous vos chagrins; si je vous vois tranquille et consolĂ©e, ce sont les miens qui redoublent. Partout je trouve le malheur. Ah! qu'il n'en Ă©tait pas ainsi, quand vous habitiez les mĂÂȘmes lieux que moi! Tout alors Ă©tait plaisir. La certitude de vous voir embellissait mĂÂȘme les moments de l'absence; le temps qu'il fallait passer loin de vous m'approchait de vous en s'Ă©coulant. L'emploi que j'en faisais ne vous Ă©tait jamais Ă©tranger. Si je remplissais des devoirs, ils me rendaient plus digne de vous; si je cultivais quelque talent, j'espĂ©rais vous plaire davantage. Lors mĂÂȘme que les distractions du monde m'emportaient loin de vous, je n'en Ă©tais point sĂ©parĂ©. Au Spectacle, je cherchais Ă deviner ce qui vous aurait plu; un concert me rappelait vos talents et nos si douces occupations. Dans le cercle, comme aux promenades, je saisissais la plus lĂ©gĂšre ressemblance. Je vous comparais Ă tout; partout vous aviez l'avantage. Chaque moment du jour Ă©tait marquĂ© par un hommage nouveau, et chaque soir j'en apportais le tribut Ă vos pieds. A prĂ©sent, que me reste-t-il? des regrets douloureux, des privations Ă©ternelles, et un lĂ©ger espoir que le silence de Valmont diminue, que le vĂÂŽtre change en inquiĂ©tude. Dix lieues seulement nous sĂ©parent, et cet espace si facile Ă franchir devient pour moi seul un obstacle insurmontable! et quand, pour m'aider Ă le vaincre, j'implore mon ami, ma MaĂtresse, tous deux restent froids et tranquilles! Loin de me secourir, ils ne me rĂ©pondent mĂÂȘme pas. Qu'est donc devenue l'amitiĂ© active de Valmont? que sont devenus, surtout, vos sentiments si tendres, et qui vous rendaient si ingĂ©nieuse pour trouver les moyens de nous voir tous les jours? Quelquefois, je m'en souviens, sans cesser d'en avoir le dĂ©sir, je me trouvais forcĂ© de le sacrifier Ă des considĂ©rations, Ă des devoirs; que ne me disiez-vous pas alors? par combien de prĂ©textes ne combattiez-vous pas mes raisons! Et qu'il vous en souvienne, ma CĂ©cile, toujours mes raisons cĂ©daient Ă vos dĂ©sirs. Je ne m'en fais point un mĂ©rite! je n'avais pas mĂÂȘme celui du sacrifice. Ce que vous dĂ©siriez d'obtenir, je brĂ»lais de l'accorder. Mais enfin je demande Ă mon tour et quelle est cette demande? de vous voir un moment, de vous renouveler et de recevoir le serment d'un amour Ă©ternel. N'est-ce donc plus votre bonheur comme le mien? Je repousse cette idĂ©e dĂ©sespĂ©rante, qui mettrait le comble Ă mes maux. Vous m'aimez, vous m'aimerez toujours; je le crois, j'en suis sĂ»r, je ne veux jamais en douter mais ma situation est affreuse et je ne puis la soutenir plus longtemps. Adieu, CĂ©cile. Paris, ce 18 septembre 17** LETTRE LXXXI LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT Que vos craintes me causent de pitiĂ©! Combien elles me prouvent ma supĂ©rioritĂ© sur vous! et vous voulez m'enseigner, me conduire? Ah! mon pauvre Valmont, quelle distance il y a encore de vous Ă moi! Non, tout l'orgueil de votre sexe ne suffirait pas pour remplir l'intervalle qui nous sĂ©pare. Parce que vous ne pourriez exĂ©cuter mes projets, vous les jugez impossibles! Etre orgueilleux et faible, il te sied bien de vouloir calculer mes moyens et juger de mes ressources! Au vrai, Vicomte, vos conseils m'ont donnĂ© de l'humeur, et je ne puis vous le cacher. Que pour masquer votre incroyable gaucherie auprĂšs de votre PrĂ©sidente, vous m'Ă©taliez comme un triomphe d'avoir dĂ©concertĂ© un moment cette femme timide et qui vous aime, j'y consens; d'en avoir obtenu un regard, un seul regard, je souris et vous le passe. Que sentant, malgrĂ© vous, le peu de valeur de votre conduite, vous espĂ©riez la dĂ©rober Ă mon attention, en me flattant de l'effort sublime de rapprocher deux enfants qui, tous deux, brĂ»lent de se voir, et qui, soit dit en passant, doivent Ă moi seule l'ardeur de ce dĂ©sir, je le veux bien encore. Qu'enfin vous vous autorisiez de ces actions d'Ă©clat, pour me dire d'un ton doctoral qu'il vaut mieux employer son temps Ă exĂ©cuter ses projets qu'Ă les raconter ; cette vanitĂ© ne me nuit pas, et je la pardonne. Mais que vous puissiez croire que j'aie besoin de votre prudence, que je m'Ă©garerais en ne dĂ©fĂ©rant pas Ă vos avis, que je dois leur sacrifier un plaisir, une fantaisie en vĂ©ritĂ©, Vicomte, c'est aussi vous trop enorgueillir de la confiance que je veux bien avoir en vous! Et qu'avez-vous donc fait que je n'aie surpassĂ© mille fois? Vous avez sĂ©duit, perdu mĂÂȘme beaucoup de femmes mais quelles difficultĂ©s avez-vous eues Ă vaincre? quels obstacles Ă surmonter? oĂÂč est le mĂ©rite qui soit vĂ©ritablement Ă vous? Une belle figure, pur effet du hasard; des grĂÂąces, que l'usage donne presque toujours, de l'esprit Ă la vĂ©ritĂ©, mais auquel du jargon supplĂ©erait au besoin; une impudence assez louable, mais peut-ĂÂȘtre uniquement due Ă la facilitĂ© de vos premiers succĂšs; si je ne me trompe, voilĂ tous vos moyens car, pour la cĂ©lĂ©britĂ© que vous avez pu acquĂ©rir, vous n'exigerez pas, je crois, que je compte pour beaucoup l'art de faire naĂtre ou de saisir l'occasion d'un scandale. Quant Ă la prudence, Ă la finesse, je ne parle pas de moi mais quelle femme n'en aurait pas plus que vous? Eh! votre PrĂ©sidente vous mĂšne comme un enfant. Croyez-moi, Vicomte, on acquiert rarement les qualitĂ©s dont on peut se passer. Combattant sans risque, vous devez agir sans prĂ©caution. Pour vous autres hommes, les dĂ©faites ne sont que des succĂšs de moins. Dans cette partie si inĂ©gale, notre fortune est de ne pas perdre, et votre malheur de ne pas gagner. Quand je vous accorderais autant de talents qu'Ă nous, de combien encore ne devrions-nous pas vous surpasser, par la nĂ©cessitĂ© oĂÂč nous sommes d'en faire un continuel usage! Supposons, j'y consens, que vous mettiez autant d'adresse Ă nous vaincre, que nous Ă nous dĂ©fendre ou Ă cĂ©der, vous conviendrez au moins qu'elle vous devient inutile aprĂšs le succĂšs. Uniquement occupĂ© de votre nouveau goĂ»t, vous vous y livrez sans crainte, sans rĂ©serve ce n'est pas Ă vous que sa durĂ©e importe. En effet, ces liens rĂ©ciproquement donnĂ©s et reçus, pour parler le jargon de l'amour, vous seul pouvez, Ă votre choix, les resserrer ou les rompre heureuses encore, si dans votre lĂ©gĂšretĂ©, prĂ©fĂ©rant le mystĂšre Ă l'Ă©clat, vous vous contentez d'un abandon humiliant, et ne faites pas de l'idole de la veille la victime du lendemain. Mais qu'une femme infortunĂ©e sente la premiĂšre le poids de sa chaĂne, quels risques n'a-t-elle pas Ă courir, si elle tente de s'y soustraire, si elle ose seulement la soulever? Ce n'est qu'en tremblant qu'elle essaie d'Ă©loigner d'elle l'homme que son cĂ âur repousse avec effort. S'obstine-t-il Ă rester, ce qu'elle accordait Ă l'amour, il faut le livrer Ă la crainte Ses bras s'ouvrent encor, quand son cĂ âur est fermĂ©. Sa prudence doit dĂ©nouer avec adresse ces mĂÂȘmes liens que vous auriez rompus. A la merci de son ennemi, elle est sans ressource, s'il est sans gĂ©nĂ©rositĂ© et comment en espĂ©rer de lui, lorsque, si quelquefois on le loue d'en avoir, jamais pourtant on ne le blĂÂąme d'en manquer? Sans doute, vous ne nierez pas ces vĂ©ritĂ©s que leur Ă©vidence a rendues triviales. Si cependant vous m'avez vue, disposant des Ă©vĂ©nements et des opinions, faire de ces hommes si redoutables le jouet de mes caprices ou de mes fantaisies; ĂÂŽter aux uns la volontĂ©, aux autres la puissance de me nuire; si j'ai su tour Ă tour, et suivant mes goĂ»ts mobiles, attacher Ă ma suite ou rejeter loin de moi Ces Tyrans dĂ©trĂÂŽnĂ©s devenus mes esclaves [On ne sait si ce vers, ainsi que celui qui se trouve plus haut, Ses bras s'ouvrent encor, quand son cĂ âur est fermĂ© , sont des citations d'Ouvrages peu connus; ou s'ils font partie de la prose de Madame de Merteuil. Ce qui le ferait croire, c'est la multitude de fautes de ce genre qui se trouvent dans toutes les Lettres de cette correspondance. Celles du Chevalier Danceny sont les seules qui en soient exemptes peut-ĂÂȘtre que, comme il s'occupait quelquefois de PoĂ©sie, son oreille plus exercĂ©e lui faisait Ă©viter plus facilement ce dĂ©faut.] si, au milieu de ces rĂ©volutions frĂ©quentes, ma rĂ©putation s'est pourtant conservĂ©e pure; n'avez-vous pas dĂ» en conclure que, nĂ©e pour venger mon sexe et maĂtriser le vĂÂŽtre, j'avais su me crĂ©er des moyens inconnus jusqu'Ă moi? Ah! gardez vos conseils et vos craintes pour ces femmes Ă dĂ©lire, et qui se disent Ă sentiment; dont l'imagination exaltĂ©e ferait croire que la nature a placĂ© leurs sens dans leur tĂÂȘte; qui, n'ayant jamais rĂ©flĂ©chi, confondent sans cesse l'amour et l'Amant; qui, dans leur folle illusion, croient que celui-lĂ seul avec qui elles ont cherchĂ© le plaisir en est l'unique dĂ©positaire; et vraies superstitieuses, ont pour le PrĂÂȘtre le respect et la foi qui n'est dĂ» qu'Ă la DivinitĂ©. Craignez encore pour celles qui, plus vaines que prudentes, ne savent pas au besoin consentir Ă se faire quitter. Tremblez surtout pour ces femmes actives dans leur oisivetĂ©, que vous nommez sensibles, et dont l'amour s'empare si facilement et avec tant de puissance; qui sentent le besoin de s'en occuper encore, mĂÂȘme lorsqu'elles n'en jouissent pas; et s'abandonnant sans rĂ©serve Ă la fermentation de leurs idĂ©es, enfantent par elles ces Lettres si douces, mais si dangereuses Ă Ă©crire; et ne craignent pas de confier ces preuves de leur faiblesse Ă l'objet qui les cause imprudentes, qui, dans leur Amant actuel, ne savent pas voir leur ennemi futur. Mais moi, qu'ai-je de commun avec ces femmes inconsidĂ©rĂ©es? quand m'avez-vous vue m'Ă©carter des rĂšgles que je me suis prescrites, et manquer Ă mes principes? je dis mes principes, et je le dis Ă dessein car ils ne sont pas comme ceux des autres femmes, donnĂ©s au hasard, reçus sans examen et suivis par habitude, ils sont le fruit de mes profondes rĂ©flexions; je les ai créés, et je puis dire que je suis mon ouvrage. EntrĂ©e dans le monde dans le temps oĂÂč, fille encore, j'Ă©tais vouĂ©e par Ă©tat au silence et Ă l'inaction, j'ai su en profiter pour observer et rĂ©flĂ©chir. Tandis qu'on me croyait Ă©tourdie ou distraite, Ă©coutant peu Ă la vĂ©ritĂ© les discours qu'on s'empressait Ă me tenir, je recueillais avec soin ceux qu'on cherchait Ă me cacher. Cette utile curiositĂ©, en servant Ă m'instruire, m'apprit encore Ă dissimuler forcĂ©e souvent de cacher les objets de mon attention aux yeux de ceux qui m'entouraient, j'essayai de guider les miens Ă mon grĂ©; j'obtins dĂšs lors de prendre Ă volontĂ© ce regard distrait que vous avez louĂ© si souvent. EncouragĂ©e par ce premier succĂšs, je tĂÂąchai de rĂ©gler de mĂÂȘme les divers mouvements de ma figure. Ressentais-je quelque chagrin, je m'Ă©tudiais Ă prendre l'air de la sĂ©rĂ©nitĂ©, mĂÂȘme celui de la joie; j'ai portĂ© le zĂšle jusqu'Ă me causer des douleurs volontaires, pour chercher pendant ce temps l'expression du plaisir. Je me suis travaillĂ©e avec le mĂÂȘme soin et plus de peine, pour rĂ©primer les symptĂÂŽmes d'une joie inattendue. C'est ainsi que j'ai su prendre sur ma physionomie cette puissance dont je vous ai vu quelquefois si Ă©tonnĂ©. J'Ă©tais bien jeune encore, et presque sans intĂ©rĂÂȘt mais je n'avais Ă moi que ma pensĂ©e, et je m'indignais qu'on pĂ»t me la ravir ou me la surprendre contre ma volontĂ©. Munie de ces premiĂšres armes, j'en essayai l'usage non contente de ne plus me laisser pĂ©nĂ©trer, je m'amusais Ă me montrer sous des formes diffĂ©rentes; sĂ»re de mes gestes, j'observais mes discours; je rĂ©glai les uns et les autres, suivant les circonstances, ou mĂÂȘme seulement suivant mes fantaisies dĂšs ce moment, ma façon de penser fut pour moi seule, et je ne montrai plus que celle qu'il m'Ă©tait utile de laisser voir. Ce travail sur moi-mĂÂȘme avait fixĂ© mon attention sur l'expression des figures et le caractĂšre des physionomies; et j'y gagnai ce coup d'oeil pĂ©nĂ©trant, auquel l'expĂ©rience m'a pourtant appris Ă ne pas me fier entiĂšrement; mais qui, en tout, m'a rarement trompĂ©e. Je n'avais pas quinze ans, je possĂ©dais dĂ©jĂ les talents auxquels la plus grande partie de nos Politiques doivent leur rĂ©putation, et je ne me trouvais encore qu'aux premiers Ă©lĂ©ments de la science que je voulais acquĂ©rir. Vous jugez bien que, comme toutes les jeunes filles, je cherchais Ă deviner l'amour et ses plaisirs mais n'ayant jamais Ă©tĂ© au Couvent, n'ayant point de bonne amie, et surveillĂ©e par une mĂšre vigilante, je n'avais que des idĂ©es vagues et que je ne pouvais fixer; la nature mĂÂȘme, dont assurĂ©ment je n'ai eu qu'Ă me louer depuis, ne me donnait encore aucun indice. On eĂ»t dit qu'elle travaillait en silence Ă perfectionner son ouvrage. Ma tĂÂȘte seule fermentait; je ne dĂ©sirais pas de jouir, je voulais savoir; le dĂ©sir de m'instruire m'en suggĂ©ra les moyens. Je sentis que le seul homme avec qui je pouvais parler sur cet objet, sans me compromettre, Ă©tait mon Confesseur. AussitĂÂŽt je pris mon parti; je surmontai ma petite honte; et me vantant d'une faute que je n'avais pas commise, je m'accusai d'avoir fait tout ce que font les femmes . Ce fut mon expression; mais en parlant ainsi je ne savais en vĂ©ritĂ© quelle idĂ©e j'exprimais. Mon espoir ne fut ni tout Ă fait trompĂ©, ni entiĂšrement rempli, la crainte de me trahir m'empĂÂȘchait de m'Ă©clairer mais le bon PĂšre me fit le mal si grand que j'en conclus que le plaisir devait ĂÂȘtre extrĂÂȘme; et au dĂ©sir de le connaĂtre succĂ©da celui de le goĂ»ter. Je ne sais oĂÂč ce dĂ©sir m'aurait conduite; et alors dĂ©nuĂ©e d'expĂ©rience, peut- ĂÂȘtre une seule occasion m'eĂ»t perdue heureusement pour moi, ma mĂšre m'annonça peu de jours aprĂšs que j'allais me marier; sur-le-champ la certitude de savoir Ă©teignit ma curiositĂ©, et j'arrivai vierge entre les bras de M. de Merteuil. J'attendais avec sĂ©curitĂ© le moment qui devait m'instruire, et j'eus besoin de rĂ©flexion pour montrer de l'embarras et de la crainte. Cette premiĂšre nuit, dont on se fait pour l'ordinaire une idĂ©e si cruelle ou si douce ne me prĂ©sentait qu'une occasion d'expĂ©rience douleur et plaisir, j'observai tout exactement, et ne voyais dans ces diverses sensations que des faits Ă recueillir et Ă mĂ©diter. Ce genre d'Ă©tude parvint bientĂÂŽt Ă me plaire mais fidĂšle Ă mes principes, et sentant peut-ĂÂȘtre par instinct, que nul ne devait ĂÂȘtre plus loin de ma confiance que mon mari, je rĂ©solus, par cela seul que j'Ă©tais sensible, de me montrer impassible Ă ses yeux. Cette froideur apparente fut par la suite le fondement inĂ©branlable de son aveugle confiance j'y joignis, par une seconde rĂ©flexion, l'air d'Ă©tourderie qu'autorisait mon ĂÂąge; et jamais il ne me jugea plus enfant que dans les moments oĂÂč je le jouais avec plus d'audace. Cependant, je l'avouerai, je me laissai d'abord entraĂner par le tourbillon du monde, et je me livrai tout entiĂšre Ă ses distractions futiles. Mais au bout de quelques mois, M. de Merteuil m'ayant menĂ©e Ă sa triste campagne, la crainte de l'ennui fit revenir le goĂ»t de l'Ă©tude; et ne m'y trouvant entourĂ©e que de gens dont la distance avec moi me mettait Ă l'abri de tout soupçon, j'en profitai pour donner un champ plus vaste Ă mes expĂ©riences. Ce fut lĂ , surtout, que je m'assurai que l'amour que l'on nous vante comme la cause de nos plaisirs n'en est au plus que le prĂ©texte. La maladie de M. de Merteuil vint interrompre de si douces occupations; il fallut le suivre Ă la Ville, oĂÂč il venait chercher des secours. Il mourut, comme vous savez, peu de temps aprĂšs; et quoique Ă tout prendre, je n'eusse pas Ă me plaindre de lui, je n'en sentis pas moins vivement le prix de la libertĂ© qu'allait me donner mon veuvage, et je me promis bien d'en profiter. Ma mĂšre comptait que j'entrerais au Couvent, ou reviendrais vivre avec elle. Je refusai l'un et l'autre parti; et tout ce que j'accordai Ă la dĂ©cence fut de retourner dans cette mĂÂȘme campagne oĂÂč il me restait bien encore quelques observations Ă faire. Je les fortifiai par le secours de la lecture mais ne croyez pas qu'elle fĂ»t toute du genre que vous la supposez. J'Ă©tudiai nos mĂ âurs dans les Romans; nos opinions dans les Philosophes; je cherchai mĂÂȘme dans les Moralistes les plus sĂ©vĂšres ce qu'ils exigeaient de nous, et je m'assurai ainsi de ce qu'on pouvait faire, de ce qu'on devait penser et de ce qu'il fallait paraĂtre. Une fois fixĂ©e sur ces trois objets, le dernier seul prĂ©sentait quelques difficultĂ©s dans son exĂ©cution; j'espĂ©rai les vaincre et j'en mĂ©ditai les moyens. Je commençais Ă m'ennuyer de mes plaisirs rustiques, trop peu variĂ©s pour ma tĂÂȘte active; je sentais un besoin de coquetterie qui me raccommoda avec l'amour; non pour le ressentir Ă la vĂ©ritĂ©, mais pour l'inspirer et le feindre. En vain m'avait-on dit et avais-je lu qu'on ne pouvait feindre ce sentiment, je voyais pourtant que, pour y parvenir, il suffisait de joindre Ă l'esprit d'un Auteur le talent d'un ComĂ©dien. Je m'exerçai dans les deux genres, et peut- ĂÂȘtre avec quelque succĂšs mais au lieu de rechercher les vains applaudissements du ThĂ©ĂÂątre, je rĂ©solus d'employer Ă mon bonheur ce que tant d'autres sacrifiaient Ă la vanitĂ©. Un an se passa dans ces occupations diffĂ©rentes. Mon deuil me permettant alors de reparaĂtre, je revins Ă la Ville avec mes grands projets; je ne m'attendais pas au premier obstacle que j'y rencontrai. Cette longue solitude, cette austĂšre retraite avaient jetĂ© sur moi un vernis de pruderie qui effrayait nos plus agrĂ©ables; ils se tenaient Ă l'Ă©cart, et me laissaient livrĂ©e Ă une foule d'ennuyeux, qui tous prĂ©tendaient Ă ma main. L'embarras n'Ă©tait pas de les refuser; mais plusieurs de ces refus dĂ©plaisaient Ă ma famille, et je perdais dans ces tracasseries intĂ©rieures le temps dont je m'Ă©tais promis un si charmant usage. Je fus donc obligĂ©e, pour rappeler les uns et Ă©loigner les autres, d'afficher quelques inconsĂ©quences, et d'employer Ă nuire Ă ma rĂ©putation le soin que je comptais mettre Ă la conserver. Je rĂ©ussis facilement, comme vous pouvez croire. Mais n'Ă©tant emportĂ©e par aucune passion, je ne fis que ce que je jugeai nĂ©cessaire et mesurai avec prudence les doses de mon Ă©tourderie. DĂšs que j'eus touchĂ© le but que je voulais atteindre, je revins sur mes pas, et fis honneur de mon amendement Ă quelques-unes de ces femmes qui, dans l'impuissance d'avoir des prĂ©tentions Ă l'agrĂ©ment, se rejettent sur celles du mĂ©rite et de la vertu. Ce fut un coup de partie qui me valut plus que je n'avais espĂ©rĂ©. Ces reconnaissantes DuĂšgnes s'Ă©tablirent mes apologistes; et leur zĂšle aveugle pour ce qu'elles appelaient leur ouvrage fut portĂ© au point qu'au moindre propos qu'on se permettait sur moi, tout le parti Prude criait au scandale et Ă l'injure. Le mĂÂȘme moyen me valut encore le suffrage de nos femmes Ă prĂ©tentions, qui, persuadĂ©es que je renonçais Ă courir la mĂÂȘme carriĂšre qu'elles, me choisirent pour l'objet de leurs Ă©loges, toutes les fois qu'elles voulaient prouver qu'elles ne mĂ©disaient pas de tout le monde. Cependant ma conduite prĂ©cĂ©dente avait ramenĂ© les Amants; et pour me mĂ©nager entre eux et mes fidĂšles protectrices, je me montrai comme une femme sensible, mais difficile, Ă qui l'excĂšs de sa dĂ©licatesse fournissait des armes contre l'amour. Alors je commençai Ă dĂ©ployer sur le grand ThĂ©ĂÂątre les talents que je m'Ă©tais donnĂ©s. Mon premier soin fut d'acquĂ©rir le renom d'invincible. Pour y parvenir, les hommes qui ne me plaisaient point furent toujours les seuls dont j'eus l'air d'accepter les hommages. Je les employais utilement Ă me procurer les honneurs de la rĂ©sistance, tandis que je me livrais sans crainte Ă l'Amant prĂ©fĂ©rĂ©. Mais, celui-lĂ , ma feinte timiditĂ© ne lui a jamais permis de me suivre dans le monde; et les regards du cercle ont Ă©tĂ©, ainsi, toujours fixĂ©s sur l'Amant malheureux. Vous savez combien je me dĂ©cide vite c'est pour avoir observĂ© que ce sont presque toujours les soins antĂ©rieurs qui livrent le secret des femmes. Quoi qu'on puisse faire, le ton n'est jamais le mĂÂȘme, avant ou aprĂšs le succĂšs. Cette diffĂ©rence n'Ă©chappe point Ă l'observateur attentif et j'ai trouvĂ© moins dangereux de me tromper dans le choix, que de le laisser pĂ©nĂ©trer. Je gagne encore par lĂ d'ĂÂŽter les vraisemblances, sur lesquelles seules on peut nous juger. Ces prĂ©cautions et celle de ne jamais Ă©crire, de ne livrer jamais aucune preuve de ma dĂ©faite, pouvaient paraĂtre excessives, et ne m'ont jamais paru suffisantes. Descendue dans mon cĂ âur, j'y ai Ă©tudiĂ© celui des autres. J'y ai vu qu'il n'est personne qui n'y conserve un secret qu'il lui importe qui ne soit point dĂ©voilĂ© vĂ©ritĂ© que l'AntiquitĂ© paraĂt avoir mieux connue que nous, et dont l'histoire de Samson pourrait n'ĂÂȘtre qu'un ingĂ©nieux emblĂšme. Nouvelle Dalila, j'ai toujours, comme elle, employĂ© ma puissance Ă surprendre ce secret important. HĂ©! de combien de nos Samsons modernes, ne tiens-je pas la chevelure sous le ciseau! et ceux-lĂ , j'ai cessĂ© de les craindre; ce sont les seuls que je me sois permis d'humilier quelquefois. Plus souple avec les autres, l'art de les rendre infidĂšles pour Ă©viter de leur paraĂtre volage, une feinte amitiĂ©, une apparente confiance, quelques procĂ©dĂ©s gĂ©nĂ©reux, l'idĂ©e flatteuse et que chacun conserve d'avoir Ă©tĂ© mon seul Amant, m'ont obtenu leur discrĂ©tion. Enfin, quand ces moyens m'ont manquĂ©, j'ai su, prĂ©voyant mes ruptures, Ă©touffer d'avance, sous le ridicule ou la calomnie, la confiance que ces hommes dangereux auraient pu obtenir. Ce que je vous dis lĂ , vous me le voyez pratiquer sans cesse; et vous doutez de ma prudence! HĂ© bien! rappelez-vous le temps oĂÂč vous me rendĂtes vos premiers soins jamais hommage ne me flatta autant; je vous dĂ©sirais avant de vous avoir vu. SĂ©duite par votre rĂ©putation, il me semblait que vous manquiez Ă ma gloire; je brĂ»lais de vous combattre corps Ă corps. C'est le seul de mes goĂ»ts qui ait jamais pris un moment d'empire sur moi. Cependant, si vous eussiez voulu me perdre; quels moyens eussiez-vous trouvĂ©s? de vains discours qui ne laissent aucune trace aprĂšs eux, que votre rĂ©putation mĂÂȘme eĂ»t aidĂ© Ă rendre suspects, et une suite de faits sans vraisemblance, dont le rĂ©cit sincĂšre aurait eu l'air d'un Roman mal tissu. A la vĂ©ritĂ©, je vous ai depuis livrĂ© tous mes secrets mais vous savez quels intĂ©rĂÂȘts nous unissent, et si de nous deux, c'est moi qu'on doit taxer d'imprudence. [On saura dans la suite, Lettre CLII, non pas le secret de M. de Valmont Ă peu prĂšs de quel genre il Ă©tait; et le Lecteur sentira qu'on n'a pas pu l'Ă©claircir davantage sur cet objet] Puisque je suis en train de vous rendre compte, je veux le faire exactement. Je vous entends d'ici me dire que je suis au moins Ă la merci de ma Femme de chambre; en effet, si elle n'a pas le secret de mes sentiments, elle a celui de mes actions. Quand vous m'en parlĂÂątes jadis, je vous rĂ©pondis seulement que j'Ă©tais sĂ»re d'elle; et la preuve que cette rĂ©ponse suffit alors Ă votre tranquillitĂ©, c'est que vous lui avez confiĂ© depuis, et pour votre compte, des secrets assez dangereux. Mais Ă prĂ©sent que PrĂ©van vous donne de l'ombrage, et que la tĂÂȘte vous en tourne, je me doute bien que vous ne me croyez plus sur parole. Il faut donc vous Ă©difier. PremiĂšrement, cette fille est ma sĂ âur de lait, et ce lien qui ne nous en paraĂt pas un, n'est pas sans force pour les gens de cet Ă©tat de plus, j'ai son secret, et mieux encore; victime d'une folie de l'amour, elle Ă©tait perdue si je ne l'eusse sauvĂ©e. Ses parents, tout hĂ©rissĂ©s d'honneur, ne voulaient pas moins que la faire enfermer. Ils s'adressĂšrent Ă moi. Je vis, d'un coup d'oeil, combien leur courroux pouvait m'ĂÂȘtre utile. Je le secondai, et sollicitai l'ordre, que j'obtins. Puis passant tout Ă coup au parti de la clĂ©mence auquel j'amenai ses parents, et profitant de mon crĂ©dit auprĂšs du vieux Ministre, je les fis tous consentir Ă me laisser dĂ©positaire de cet ordre, et maĂtresse d'en arrĂÂȘter ou demander l'exĂ©cution, suivant que je jugerais du mĂ©rite de la conduite future de cette fille. Elle sait donc que j'ai son sort entre les mains, et quand, par impossible, ces moyens puissants ne l'arrĂÂȘteraient point, n'est-il pas Ă©vident que sa conduite dĂ©voilĂ©e et sa punition authentique ĂÂŽteraient bientĂÂŽt toute crĂ©ance Ă ses discours? A ces prĂ©cautions que j'appelle fondamentales, s'en joignent mille autres, ou locales ou d'occasion, que la rĂ©flexion et l'habitude font trouver au besoin; dont le dĂ©tail serait minutieux, mais dont la pratique est importante, et qu'il faut vous donner la peine de recueillir dans l'ensemble de ma conduite, si vous voulez parvenir Ă les connaĂtre. Mais de prĂ©tendre que je me sois donnĂ© tant de soins pour n'en pas retirer de fruits; qu'aprĂšs m'ĂÂȘtre autant Ă©levĂ©e au-dessus des autres femmes par mes travaux pĂ©nibles, je consente Ă ramper comme elles dans ma marche, entre l'imprudence et la timiditĂ©; que surtout je pusse redouter un homme au point de ne plus voir mon salut que dans la fuite? Non, Vicomte; jamais. Il faut vaincre ou pĂ©rir. Quant Ă PrĂ©van, je veux l'avoir et je l'aurai; il veut le dire, et il ne le dira pas en deux mots, voilĂ notre Roman. Adieu. De ..., ce 20 septembre 17** LETTRE LXXXII CECILE VOLANGES AU CHEVALIER DANCENY Mon Dieu, que votre Lettre m'a fait de peine! J'avais bien besoin d'avoir tant d'impatience de la recevoir! J'espĂ©rais y trouver de la consolation, et voilĂ que je suis plus affligĂ©e qu'avant de l'avoir reçue. J'ai bien pleurĂ© en la lisant ce n'est pas cela que je vous reproche; j'ai dĂ©jĂ bien pleurĂ© des fois Ă cause de vous, sans que ça me fasse de la peine. Mais cette fois-ci, ce n'est pas la mĂÂȘme chose. Qu'est-ce donc que vous voulez dire, que votre amour devient un tourment pour vous, que vous ne pouvez plus vivre ainsi, ni soutenir plus longtemps votre situation? Est-ce que vous allez cesser de m'aimer, parce que cela n'est pas si agrĂ©able qu'autrefois? Il me semble que je ne suis pas plus heureuse que vous, bien au contraire; et pourtant je ne vous aime que davantage. Si M. de Valmont ne vous a pas Ă©crit, ce n'est pas ma faute; je n'ai pas pu l'en prier, parce que je n'ai pas Ă©tĂ© seule avec lui, et que nous sommes convenus que nous ne nous parlerions jamais devant le monde et ça, c'est encore pour vous; afin qu'il puisse faire le plus tĂÂŽt ce que vous dĂ©sirez. Je ne dis pas que je ne le dĂ©sire pas aussi, et vous devez en ĂÂȘtre bien sĂ»r mais comment voulez- vous que je fasse? Si vous croyez que c'est facile, trouvez donc le moyen, je ne demande pas mieux. Croyez-vous qu'il me soit bien agrĂ©able d'ĂÂȘtre grondĂ©e tous les jours par Maman, elle qui auparavant ne me disait jamais rien, bien au contraire? A prĂ©sent, c'est pis que si j'Ă©tais au Couvent. Je m'en consolais pourtant en songeant que c'Ă©tait pour vous; il y avait mĂÂȘme des moments oĂÂč je trouvais que j'en Ă©tais bien aise; mais quand je vois que vous ĂÂȘtes fĂÂąchĂ© aussi, et ça sans qu'il y ait du tout de ma faute, je deviens plus chagrine que pour tout ce qui vient de m'arriver jusqu'ici. Rien que pour recevoir vos Lettres, c'est un embarras, que si M. de Valmont n'Ă©tait pas aussi complaisant et aussi adroit qu'il l'est, je ne saurais comment faire; et pour vous Ă©crire, c'est plus difficile encore. De toute la matinĂ©e, je n'ose pas, parce que Maman est tout prĂšs de moi, et qu'elle vient Ă tout moment dans ma chambre. Quelquefois je le peux l'aprĂšs-midi; sous prĂ©texte de chanter ou de jouer de la harpe; encore faut-il que j'interrompe Ă chaque ligne pour qu'on entende que j'Ă©tudie. Heureusement ma Femme de chambre s'endort quelquefois le soir, et je lui dis que je me coucherai bien toute seule, afin qu'elle s'en aille et me laisse de la lumiĂšre. Et puis, il faut que je me mette sous mon rideau, pour qu'on ne puisse pas voir de clartĂ©, et puis que j'Ă©coute au moindre bruit pour pouvoir tout cacher dans mon lit, si on venait. Je voudrais que vous y fussiez, pour voir! Vous verriez bien qu'il faut bien aimer pour faire ça. Enfin, il est bien vrai que je fais tout ce que je peux, et que je voudrais en pouvoir faire davantage. AssurĂ©ment, je ne refuse pas de vous dire que je vous aime et que je vous aimerai toujours; jamais je ne l'ai dit de meilleur cĂ âur; et vous ĂÂȘtes fĂÂąchĂ©! Vous m'aviez pourtant bien assurĂ©, avant que je vous l'eusse dit, que cela suffisait pour vous rendre heureux. Vous ne pouvez pas le nier c'est dans vos Lettres. Quoique je ne les aie plus, je m'en souviens comme quand je les lisais tous les jours. Et parce que nous voilĂ absents, vous ne pensez plus de mĂÂȘme! Mais cette absence ne durera pas toujours, peut-ĂÂȘtre? Mon Dieu, que je suis malheureuse! et c'est bien vous qui en ĂÂȘtes cause! A propos de vos Lettres, j'espĂšre que vous avez gardĂ© celles que Maman m'a prises, et qu'elle vous a renvoyĂ©es; il faudra bien qu'il vienne un temps oĂÂč je ne serai plus si gĂÂȘnĂ©e qu'Ă prĂ©sent, et vous me les rendrez toutes. Comme je serai heureuse, quand je pourrai les garder toujours, sans que personne ait rien Ă y voir! A prĂ©sent, je les remets Ă M. de Valmont, parce qu'il y aurait trop Ă risquer autrement malgrĂ© cela je ne lui en rends jamais, que cela ne me fasse bien de la peine. Adieu, mon cher ami. Je vous aime de tout mon cĂ âur. Je vous aimerai toute ma vie. J'espĂšre qu'Ă prĂ©sent vous n'ĂÂȘtes plus fĂÂąchĂ©; et si j'en Ă©tais sĂ»re, je ne le serais plus moi-mĂÂȘme. Ecrivez-moi le plus tĂÂŽt que vous pourrez, car je sens que jusque-lĂ je serai toujours triste. Du ChĂÂąteau de ce 21 septembre 17** LETTRE LXXXIII LE VICOMTE DE VALMONT A LA PRESIDENTE DE TOURVEL De grĂÂące, Madame, renouons cet entretien si malheureusement rompu! Que je puisse achever de vous prouver combien je diffĂšre de l'odieux portrait qu'on vous avait fait de moi; que je puisse, surtout, jouir encore de cette aimable confiance que vous commenciez Ă me tĂ©moigner! Que de charmes vous savez prĂÂȘter Ă la vertu! comme vous embellissez et faites chĂ©rir tous les sentiments honnĂÂȘtes! Ah! c'est lĂ votre sĂ©duction; c'est la plus forte; c'est la seule qui soit, Ă la fois, puissante et respectable. Sans doute il suffit de vous voir, pour dĂ©sirer de vous plaire; de vous entendre dans le cercle, pour que ce dĂ©sir augmente. Mais celui qui a le bonheur de vous connaĂtre davantage, qui peut quelquefois lire dans votre ĂÂąme, cĂšde bientĂÂŽt Ă un plus noble enthousiasme, et pĂ©nĂ©trĂ© de vĂ©nĂ©ration comme d'amour, adore en vous l'image de toutes les vertus. Plus fait qu'un autre, peut-ĂÂȘtre, pour les aimer et les suivre, entraĂnĂ© par quelques erreurs qui m'avaient Ă©loignĂ© d'elles, c'est vous qui m'en avez rapprochĂ©, qui m'en avez de nouveau fait sentir tout le charme me ferez-vous un crime de ce nouvel amour? blĂÂąmerez-vous votre ouvrage? Vous reprocheriez-vous mĂÂȘme l'intĂ©rĂÂȘt que vous pourriez y prendre? Quel mal peut-on craindre d'un sentiment si pur, et quelles douceurs n'y aurait-il pas Ă le goĂ»ter? Mon amour vous effraie, vous le trouvez violent, effrĂ©nĂ©? TempĂ©rez-le par un amour plus doux; ne refusez pas l'empire que je vous offre, auquel je jure de ne jamais me soustraire, et qui, j'ose le croire, ne serait pas entiĂšrement perdu pour la vertu. Quel sacrifice pourrait me paraĂtre pĂ©nible, sĂ»r que votre cĂ âur m'en garderait le prix? Quel est donc l'homme assez malheureux pour ne pas savoir jouir des privations qu'il s'impose; pour ne pas prĂ©fĂ©rer un mot, un regard accordĂ©s, Ă toutes les jouissances qu'il pourrait ravir ou surprendre! et vous avez cru que j'Ă©tais cet homme-lĂ ! et vous m'avez craint! Ah! pourquoi votre bonheur ne dĂ©pend-il pas de moi? comme je me vengerais de vous, en vous rendant heureuse! Mais ce doux empire, la stĂ©rile amitiĂ© ne le produit pas; il n'est dĂ» qu'Ă l'amour. Ce mot vous intimide! et pourquoi? un attachement plus tendre, une union plus forte, une seule pensĂ©e; le mĂÂȘme bonheur comme les mĂÂȘmes peines, qu'y a-t-il donc lĂ d'Ă©tranger Ă votre ĂÂąme? Tel est pourtant l'amour! tel est au moins celui que vous inspirez et que je ressens! C'est lui surtout, qui, calculant sans intĂ©rĂÂȘt, sait apprĂ©cier les actions sur leur mĂ©rite et non sur leur valeur; trĂ©sor inĂ©puisable des ĂÂąmes sensibles, tout devient prĂ©cieux, fait par lui ou pour lui. Ces vĂ©ritĂ©s si faciles Ă saisir, si douces Ă pratiquer, qu'ont-elles donc d'effrayant? Quelles craintes peut aussi vous causer un homme sensible, Ă qui l'amour ne permet plus un autre bonheur que le vĂÂŽtre? C'est aujourd'hui l'unique vĂ âu que je forme je sacrifierai tout pour le remplir, exceptĂ© le sentiment qui l'inspire; et ce sentiment lui-mĂÂȘme, consentez Ă le partager, et vous le rĂ©glerez Ă votre choix. Mais ne souffrons plus qu'il nous divise, lorsqu'il devrait nous rĂ©unir. Si l'amitiĂ© que vous m'avez offerte n'est pas un vain mot; si, comme vous me le disiez hier, c'est le sentiment le plus doux que votre ĂÂąme connaisse; que ce soit elle qui stipule entre nous, je ne la rĂ©cuserai point mais juge de l'amour, qu'elle consente Ă l'Ă©couter; le refus de l'entendre deviendrait une injustice, et l'amitiĂ© n'est point injuste. Un second entretien n'aura pas plus d'inconvĂ©nients que le premier le hasard peut encore en fournir l'occasion; vous pourriez vous-mĂÂȘme en indiquer le moment. Je veux croire que j'ai tort; n'aimerez-vous pas mieux me ramener que me combattre, et doutez-vous de ma docilitĂ©? Si ce tiers importun ne fĂ»t pas venu nous interrompre, peut-ĂÂȘtre serais-je dĂ©jĂ entiĂšrement revenu Ă votre avis; qui sait jusqu'oĂÂč peut aller votre pouvoir? Vous le dirai-je? cette puissance invincible, Ă laquelle je me livre sans oser la calculer, ce charme irrĂ©sistible, qui vous rend souveraine de mes pensĂ©es comme de mes actions, il m'arrive quelquefois de les craindre. HĂ©las! cet entretien que je vous demande, peut-ĂÂȘtre est-ce Ă moi Ă le redouter! peut-ĂÂȘtre aprĂšs, enchaĂnĂ© par mes promesses, me verrai-je rĂ©duit Ă brĂ»ler d'un amour que je sens bien qui ne pourra s'Ă©teindre, sans oser mĂÂȘme implorer votre secours! Ah! Madame, de grĂÂące, n'abusez pas de votre empire! Mais quoi! si vous devez en ĂÂȘtre plus heureuse, si je dois vous en paraĂtre plus digne de vous, quelles peines ne sont pas adoucies par ces idĂ©es consolantes! Oui, je le sens; vous parler encore, c'est vous donner contre moi de plus fortes armes; c'est me soumettre plus entiĂšrement Ă votre volontĂ©. Il est plus aisĂ© de se dĂ©fendre contre vos Lettres; ce sont bien vos mĂÂȘmes discours, mais vous n'ĂÂȘtes pas lĂ pour leur prĂÂȘter des forces. Cependant, le plaisir de vous entendre m'en fait braver le danger au moins aurai-je ce bonheur d'avoir tout fait pour vous, mĂÂȘme contre moi; et mes sacrifices deviendront un hommage. Trop heureux de vous prouver de mille maniĂšres, comme je le sens de mille façons, que, sans m'en excepter, vous ĂÂȘtes, vous serez toujours l'objet le plus cher Ă mon cĂ âur. Du ChĂÂąteau de ce 23 septembre 17** LETTRE LXXXIV LE VICOMTE DE VALMONT A CECILE VOLANGES Vous avez vu combien nous avons Ă©tĂ© contrariĂ©s hier. De toute la journĂ©e je n'ai pas pu vous remettre la Lettre que j'avais pour vous; j'ignore si j'y trouverai plus de facilitĂ© aujourd'hui. Je crains de vous compromettre, en y mettant plus de zĂšle que d'adresse; et je ne me pardonnerais pas une imprudence qui vous deviendrait si fatale, et causerait le dĂ©sespoir de mon ami, en vous rendant Ă©ternellement malheureuse. Cependant je connais les impatiences de l'amour; je sens combien il doit ĂÂȘtre pĂ©nible, dans votre situation, d'Ă©prouver quelque retard Ă la seule consolation que vous puissiez goĂ»ter dans ce moment. A force de m'occuper des moyens d'Ă©carter les obstacles, j'en ai trouvĂ© un dont l'exĂ©cution sera aisĂ©e, si vous y mettez quelque soin. Je crois avoir remarquĂ© que la clef de la porte de votre Chambre, qui donne sur le corridor, est toujours sur la cheminĂ©e de votre Maman. Tout deviendrait facile avec cette clef, vous devez bien le sentir; mais Ă son dĂ©faut, je vous en procurerai une semblable, et qui la supplĂ©era. Il me suffira, pour y parvenir, d'avoir l'autre une heure ou deux Ă ma disposition. Vous devez trouver aisĂ©ment l'occasion de la prendre, et pour qu'on ne s'aperçoive pas qu'elle manque, j'en joins ici une Ă moi, qui est assez semblable, pour qu'on n'en voie pas la diffĂ©rence, Ă moins qu'on ne l'essaie; ce qu'on ne tentera pas. Il faudra seulement que vous ayez soin d'y mettre un ruban, bleu et passĂ©, comme celui qui est Ă la vĂÂŽtre. Il faudrait tĂÂącher d'avoir cette clef pour demain ou aprĂšs-demain, Ă l'heure du dĂ©jeuner; parce qu'il vous sera plus facile de me la donner alors, et qu'elle pourra ĂÂȘtre remise Ă sa place pour le soir, temps oĂÂč votre Maman pourrait y faire plus d'attention. Je pourrai vous la rendre au moment du dĂner, si nous nous entendons bien. Vous savez que quand on passe du salon Ă la salle Ă manger, c'est toujours Madame de Rosemonde qui marche la derniĂšre. Je lui donnerai la main. Vous n'aurez qu'Ă quitter votre mĂ©tier de tapisserie lentement, ou bien laisser tomber quelque chose, de façon Ă rester en arriĂšre vous saurez bien alors prendre la clef, que j'aurai soin de tenir derriĂšre moi. Il ne faudra pas nĂ©gliger, aussitĂÂŽt aprĂšs l'avoir prise, de rejoindre ma vieille tante, et de lui faire quelques caresses. Si par hasard vous laissiez tomber cette clef, n'allez pas vous dĂ©concerter; je feindrai que c'est moi, et je vous rĂ©ponds de tout. Le peu de confiance que vous tĂ©moigne votre Maman et ses procĂ©dĂ©s si durs envers vous autorisent de reste cette petite supercherie. C'est au surplus le seul moyen de continuer Ă recevoir les Lettres de Danceny, et Ă lui faire passer les vĂÂŽtres; tout autre est rĂ©ellement trop dangereux, et pourrait vous perdre tous deux sans ressource aussi ma prudente amitiĂ© se reprocherait-elle de les employer davantage. Une fois maĂtres de la clef, il nous restera quelques prĂ©cautions Ă prendre contre le bruit de la porte et de la serrure mais elles sont bien faciles. Vous trouverez, sous la mĂÂȘme armoire oĂÂč j'avais mis votre papier, de l'huile et une plume. Vous allez quelquefois chez vous Ă des heures oĂÂč vous y ĂÂȘtes seule il faut en profiter pour huiler la serrure et les gonds. La seule attention Ă avoir, est de prendre garde aux taches qui dĂ©poseraient contre vous. Il faudra aussi attendre que la nuit soit venue, parce que, si cela se fait avec l'intelligence dont vous ĂÂȘtes capable, il n'y paraĂtra plus le lendemain matin. Si pourtant on s'en aperçoit, n'hĂ©sitez pas Ă dire que c'est le Frotteur du ChĂÂąteau. Il faudrait, dans ce cas, spĂ©cifier le temps, mĂÂȘme les discours qu'il vous aura tenus comme par exemple, qu'il prend ce soin contre la rouille, pour toutes les serrures dont on ne fait pas usage. Car vous sentez qu'il ne serait pas vraisemblable que vous eussiez Ă©tĂ© tĂ©moin de ce tracas sans en demander la cause. Ce sont ces petits dĂ©tails qui donnent la vraisemblance, et la vraisemblance rend les mensonges sans consĂ©quence, en ĂÂŽtant le dĂ©sir de les vĂ©rifier. AprĂšs que vous aurez lu cette Lettre, je vous prie de la relire, et mĂÂȘme de vous en occuper d'abord, c'est qu'il faut bien savoir ce qu'on veut bien faire; ensuite, pour vous assurer que je n'ai rien omis. Peu accoutumĂ© Ă employer la finesse pour mon compte, je n'en ai pas grand usage; il n'a pas mĂÂȘme fallu moins que ma vive amitiĂ© pour Danceny, et l'intĂ©rĂÂȘt que vous inspirez, pour me dĂ©terminer Ă me servir de ces moyens, quelque innocents qu'ils soient. Je hais tout ce qui a l'air de la tromperie; c'est lĂ mon caractĂšre. Mais vos malheurs m'ont touchĂ© au point que je tenterai tout pour les adoucir. Vous pensez bien que, cette communication une fois Ă©tablie entre nous, il me sera bien plus facile de vous procurer, avec Danceny, l'entretien qu'il dĂ©sire. Cependant ne lui parlez pas encore de tout ceci; vous ne feriez qu'augmenter son impatience, et le moment de la satisfaire n'est pas encore tout Ă fait venu. Vous lui devez, je crois, de la calmer plutĂÂŽt que de l'aigrir. Je m'en rapporte lĂ - dessus Ă votre dĂ©licatesse. Adieu, ma belle pupille car vous ĂÂȘtes ma pupille. Aimez un peu votre tuteur, et surtout ayez avec lui de la docilitĂ©; vous vous en trouverez bien. Je m'occupe de votre bonheur, et soyez sĂ»re que j'y trouverai le mien. De ..., ce 24 septembre 17** LETTRE LXXXV LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT Enfin vous serez tranquille et surtout vous me rendrez justice. Ecoutez, et ne me confondez plus avec les autres femmes. J'ai mis Ă fin mon aventure avec PrĂ©van; Ă fin ! entendez-vous bien ce que cela veut dire? A prĂ©sent vous allez juger qui de lui ou de moi pourra se vanter. Le rĂ©cit ne sera pas si plaisant que l'action aussi ne serait-il pas juste que, tandis que vous n'avez fait que raisonner bien ou mal sur cette affaire, il vous en revĂnt autant de plaisir qu'Ă moi, qui y donnais mon temps et ma peine. Cependant, si vous avez quelque grand coup Ă faire, si vous devez tenter quelque entreprise oĂÂč ce Rival dangereux vous paraisse Ă craindre, arrivez. Il vous laisse le champ libre, au moins pour quelque temps; peut-ĂÂȘtre mĂÂȘme ne se relĂšvera-t-il jamais du coup que je lui ai portĂ©. Que vous ĂÂȘtes heureux de m'avoir pour amie! Je suis pour vous une FĂ©e bienfaisante. Vous languissez loin de la BeautĂ© qui vous engage; je dis un mot, et vous vous retrouvez auprĂšs d'elle. Vous voulez vous venger d'une femme qui vous nuit; je vous marque l'endroit oĂÂč vous devez frapper et la livre Ă votre discrĂ©tion. Enfin, pour Ă©carter de la lice un concurrent redoutable, c'est encore moi que vous invoquez, et je vous exauce. En vĂ©ritĂ©, si vous ne passez pas votre vie Ă me remercier, c'est que vous ĂÂȘtes un ingrat. Je reviens Ă mon aventure et la reprends d'origine. Le rendez-vous, donnĂ© si haut, Ă la sortie de l'OpĂ©ra [Voyez la Lettre LXXIV], fut entendu comme je l'avais espĂ©rĂ©. PrĂ©van s'y rendit; et quand la MarĂ©chale lui dit obligeamment qu'elle se fĂ©licitait de le voir deux fois de suite Ă ses jours, il eut soin de rĂ©pondre que depuis Mardi soir il avait dĂ©fait mille arrangements, pour pouvoir ainsi disposer de cette soirĂ©e. A bon entendeur, salut! Comme je voulais pourtant savoir, avec plus de certitude, si j'Ă©tais ou non le vĂ©ritable objet de cet empressement flatteur, je voulus forcer le soupirant nouveau de choisir entre moi et son goĂ»t dominant. Je dĂ©clarai que je ne jouerais point; en effet, il trouva, de son cĂÂŽtĂ©, mille prĂ©textes pour ne pas jouer; et mon premier triomphe fut sur le lansquenet. Je m'emparai de l'EvĂÂȘque de ... pour ma conversation; je le choisis Ă cause de sa liaison avec le hĂ©ros du jour, Ă qui je voulais donner toute facilitĂ© de m'aborder. J'Ă©tais bien aise aussi d'avoir un tĂ©moin respectable qui pĂ»t, au besoin, dĂ©poser de ma conduite et de mes discours. Cet arrangement rĂ©ussit. AprĂšs les propos vagues et d'usage, PrĂ©van, s'Ă©tant bientĂÂŽt rendu maĂtre de la conversation, prit tour Ă tour diffĂ©rents tons, pour essayer celui qui pourrait me plaire. Je refusai celui du sentiment, comme n'y croyant pas; j'arrĂÂȘtai par mon sĂ©rieux sa gaietĂ© qui me parut trop lĂ©gĂšre pour un dĂ©but; il se rabattit sur la dĂ©licate amitiĂ©; et ce fut sous ce drapeau banal que nous commençĂÂąmes notre attaque rĂ©ciproque. Au moment du souper, l'EvĂÂȘque, ne descendait pas; PrĂ©van me donna donc la main, et se trouva naturellement placĂ© Ă table Ă cĂÂŽtĂ© de moi. Il faut ĂÂȘtre juste; il soutint avec beaucoup d'adresse notre conversation particuliĂšre, en ne paraissant s'occuper que de la conversation gĂ©nĂ©rale, dont il eut l'air de faire tous les frais. Au dessert, on parla d'une PiĂšce nouvelle qu'on devait donner le Lundi suivant aux Français. Je tĂ©moignai quelques regrets de n'avoir pas ma loge; il m'offrit la sienne que je refusai d'abord, comme cela se pratique Ă quoi il rĂ©pondit assez plaisamment que je ne l'entendais pas, qu'Ă coup sĂ»r il ne ferait pas le sacrifice de sa loge Ă quelqu'un qu'il ne connaissait pas, mais qu'il m'avertissait seulement que Madame la MarĂ©chale en disposerait. Elle se prĂÂȘta Ă cette plaisanterie, et j'acceptai. RemontĂ© au salon, il demanda, comme vous pouvez croire, une place dans cette loge; et comme la MarĂ©chale, qui le traite avec beaucoup de bontĂ©, la lui promit s'il Ă©tait sage , il en prit l'occasion d'une de ces conversations Ă double entente, pour lesquelles vous m'avez vantĂ© son talent. En effet, s'Ă©tant mis Ă ses genoux, comme un enfant soumis, disait-il, sous prĂ©texte de lui demander ses avis et d'implorer sa raison, il dit beaucoup de choses flatteuses et assez tendres, dont il m'Ă©tait facile de me faire l'application. Plusieurs personnes ne s'Ă©tant pas remises au jeu l'aprĂšs-souper, la conversation fut plus gĂ©nĂ©rale et moins intĂ©ressante mais nos yeux parlĂšrent beaucoup. Je dis nos yeux je devrais dire les siens; car les miens n'eurent qu'un langage, celui de la surprise. Il dut penser que je m'Ă©tonnais et m'occupais excessivement de l'effet prodigieux qu'il faisait sur moi. Je crois que je le laissai fort satisfait; je n'Ă©tais pas moins contente. Le Lundi suivant, je fus aux Français, comme nous en Ă©tions convenus. MalgrĂ© votre curiositĂ© littĂ©raire, je ne puis vous rien dire du Spectacle, sinon que PrĂ©van a un talent merveilleux pour la cajolerie, et que la PiĂšce est tombĂ©e voilĂ tout ce que j'y ai appris. Je voyais avec peine finir cette soirĂ©e, qui rĂ©ellement me plaisait beaucoup; et pour la prolonger, j'offris Ă la MarĂ©chale de venir souper chez moi ce qui me fournit le prĂ©texte de le proposer Ă l'aimable Cajoleur, qui ne demanda que le temps de courir, pour se dĂ©gager, jusque chez les Comtesses de P. [Voyez la lettre LXX]. Ce nom me rendit toute ma colĂšre; je vis clairement qu'il allait commencer les confidences je me rappelai vos sages conseils et me promis bien de poursuivre l'aventure; sĂ»re que je le guĂ©rirais de cette dangereuse indiscrĂ©tion. Etranger dans ma sociĂ©tĂ©, qui ce soir-lĂ Ă©tait peu nombreuse, il me devait les soins d'usage; aussi, quand on alla souper, m'offrit-il la main. J'eus la malice, en l'acceptant, de mettre dans la mienne un lĂ©ger frĂ©missement, et d'avoir, pendant ma marche, les yeux baissĂ©s et la respiration haute. J'avais l'air de pressentir ma dĂ©faite, et de redouter mon vainqueur. Il le remarqua Ă merveille; aussi le traĂtre changea-t-il sur-le-champ de ton et de maintien. Il Ă©tait galant, il devint tendre. Ce n'est pas que les propos ne fussent Ă peu prĂšs les mĂÂȘmes; la circonstance y forçait mais son regard, devenu moins vif, Ă©tait plus caressant; l'inflexion de sa voix plus douce; son sourire n'Ă©tait plus celui de la finesse, mais du contentement. Enfin dans ses discours, Ă©teignant peu Ă peu le feu de la saillie, l'esprit fit place Ă la dĂ©licatesse. Je vous le demande, qu'eussiez-vous fait de mieux? De mon cĂÂŽtĂ©, je devins rĂÂȘveuse, Ă tel point qu'on fut forcĂ© de s'en apercevoir, et quand on m'en fit le reproche, j'eus l'adresse de m'en dĂ©fendre maladroitement, et de jeter sur PrĂ©van un coup d'oeil prompt, mais timide et dĂ©concertĂ©, et propre Ă lui faire croire que toute ma crainte Ă©tait qu'il ne devinĂÂąt la cause de mon trouble. AprĂšs souper, je profitai du temps oĂÂč la bonne MarĂ©chale contait une de ces histoires qu'elle conte toujours, pour me placer sur mon Ottomane, dans cet abandon que donne une tendre rĂÂȘverie. Je n'Ă©tais pas fĂÂąchĂ©e que PrĂ©van me vĂt ainsi; il m'honora, en effet, d'une attention toute particuliĂšre. Vous jugez bien que mes timides regards n'osaient chercher les yeux de mon vainqueur mais dirigĂ©s vers lui d'une maniĂšre plus humble, ils m'apprirent bientĂÂŽt que j'obtenais l'effet que je voulais produire. Il fallait encore lui persuader que je le partageais aussi, quand la MarĂ©chale annonça qu'elle allait se retirer, je m'Ă©criai d'une voix molle et tendre " Ah Dieu! j'Ă©tais si bien lĂ ! " Je me levai pourtant mais avant de me sĂ©parer d'elle, je lui demandai ses projets, pour avoir un prĂ©texte de dire les miens et de faire savoir que je resterais chez moi le surlendemain. LĂ -dessus tout le monde se sĂ©para. Alors je me mis Ă rĂ©flĂ©chir. Je ne doutais pas que PrĂ©van ne profitĂÂąt de l'espĂšce de rendez-vous que je venais de lui donner; qu'il n'y vĂnt d'assez bonne heure pour me trouver seule, et que l'attaque ne fĂ»t vive mais j'Ă©tais bien sĂ»re aussi, d'aprĂšs ma rĂ©putation, qu'il ne me traiterait pas avec cette lĂ©gĂšretĂ© que, pour peu qu'on ait d'usage, on n'emploie qu'avec les femmes Ă aventures, ou celles qui n'ont aucune expĂ©rience; et je voyais mon succĂšs certain s'il prononçait le mot d'amour, s'il avait la prĂ©tention, surtout, de l'obtenir de moi. Qu'il est commode d'avoir affaire Ă vous autres gens Ă principes ! quelquefois un brouillon d'Amoureux vous dĂ©concerte par sa timiditĂ© ou vous embarrasse par ses fougueux transports; c'est une fiĂšvre qui, comme l'autre, a ses frissons et son ardeur, et quelquefois varie dans ses symptĂÂŽmes. Mais votre marche rĂ©glĂ©e se devine si facilement! L'arrivĂ©e, le maintien, le ton, les discours, je savais tout dĂšs la veille. Je ne vous rendrai donc pas notre conversation que vous supplĂ©erez aisĂ©ment. Observez seulement que, dans ma feinte dĂ©fense, je l'aidais de tout mon pouvoir embarras, pour lui donner le temps de parler; mauvaises raisons, pour ĂÂȘtre combattues; crainte et mĂ©fiance, pour ramener les protestations; et ce refrain perpĂ©tuel de sa part, je ne vous demande qu'un mot ; et ce silence de la mienne, qui semble ne le laisser attendre que pour le faire dĂ©sirer davantage; au travers de tout cela, une main cent fois prise, qui se retire toujours et ne se refuse jamais. On passerait ainsi tout un jour; nous y passĂÂąmes une mortelle heure nous y serions peut-ĂÂȘtre encore si nous n'avions entendu entrer un carrosse dans ma cour. Cet heureux contretemps rendit, comme de raison, ses instances plus vives; et moi, voyant le moment arrivĂ©, oĂÂč j'Ă©tais Ă l'abri de toute surprise, aprĂšs m'ĂÂȘtre prĂ©parĂ©e par un long soupir, j'accordai le mot prĂ©cieux. On annonça, et peu de temps aprĂšs, j'eus un cercle assez nombreux. PrĂ©van me demanda de venir le lendemain matin, et j'y consentis mais soigneuse de me dĂ©fendre, j'ordonnai Ă ma Femme de chambre de rester tout le temps de cette visite dans ma chambre Ă coucher, d'oĂÂč vous savez qu'on voit tout ce qui se passe dans mon cabinet de toilette, et ce fut lĂ que je le reçus. Libres dans notre conversation, et ayant tous deux le mĂÂȘme dĂ©sir, nous fĂ»mes bientĂÂŽt d'accord mais il fallait se dĂ©faire de ce spectateur importun; c'Ă©tait oĂÂč je l'attendais. Alors, lui faisant Ă mon grĂ© le tableau de ma vie intĂ©rieure, je lui persuadai aisĂ©ment que nous ne trouverions jamais un moment de libertĂ©; et qu'il fallait regarder comme une espĂšce de miracle, celle dont nous avions joui hier, qui mĂÂȘme laisserait encore des dangers trop grands pour m'y exposer, puisque Ă tout moment on pouvait entrer dans mon salon. Je ne manquai pas d'ajouter que tous ces usages s'Ă©taient Ă©tablis, parce que, jusqu'Ă ce jour, ils ne m'avaient jamais contrariĂ©e; et j'insistai en mĂÂȘme temps sur l'impossibilitĂ© de les changer, sans me compromettre aux yeux de mes Gens. Il essaya de s'attrister, de prendre de l'humeur, de me dire que j'avais peu d'amour; et vous devinez combien tout cela me touchait! Mais voulant frapper le coup dĂ©cisif, j'appelai les larmes Ă mon secours. Ce fut exactement le ZaĂÂŻre, vous pleurez . Cet empire qu'il se crut sur moi, et l'espoir qu'il en conçut de me perdre Ă son grĂ©, lui tinrent lieu de tout l'amour d'Orosmane. Ce coup de thĂ©ĂÂątre passĂ©, nous revĂnmes aux arrangements. Au dĂ©faut du jour, nous nous occupĂÂąmes de la nuit mais mon Suisse devenait un obstacle insurmontable, et je ne permettais pas qu'on essayĂÂąt de le gagner. Il me proposa la petite porte de mon jardin mais je l'avais prĂ©vu, et j'y crĂ©ai un chien qui, tranquille et silencieux le jour, Ă©tait un vrai dĂ©mon la nuit. La facilitĂ© avec laquelle j'entrai dans tous ces dĂ©tails Ă©tait bien propre Ă l'enhardir; aussi vint-il Ă me proposer l'expĂ©dient le plus ridicule, et ce fut celui que j'acceptai. D'abord, son Domestique Ă©tait sĂ»r comme lui-mĂÂȘme en cela il ne trompait guĂšre, l'un l'Ă©tait bien autant que l'autre. J'aurais un grand souper chez moi; il y serait, il prendrait son temps pour sortir seul. L'adroit confident appellerait la voiture, ouvrirait la portiĂšre; et lui PrĂ©van, au lieu de monter, s'esquiverait adroitement. Son cocher ne pouvait s'en apercevoir en aucune façon; ainsi sorti pour tout le monde, et cependant restĂ© chez moi, il s'agissait de savoir s'il pourrait parvenir Ă mon appartement. J'avoue que d'abord mon embarras fut de trouver, contre ce projet, d'assez mauvaises raisons pour qu'il pĂ»t avoir l'air de les dĂ©truire; il y rĂ©pondit par des exemples. A l'entendre, rien n'Ă©tait plus ordinaire que ce moyen; lui-mĂÂȘme s'en Ă©tait beaucoup servi; c'Ă©tait mĂÂȘme celui dont il faisait le plus d'usage, comme le moins dangereux. SubjuguĂ©e par ces autoritĂ©s irrĂ©cusables, je convins, avec candeur, que j'avais bien un escalier dĂ©robĂ© qui conduisait trĂšs prĂšs de mon boudoir; que je pouvais y laisser la clef, et qu'il lui serait possible de s'y enfermer, et d'attendre, sans beaucoup de risques, que mes Femmes fussent retirĂ©es; et puis, pour donner plus de vraisemblance Ă mon consentement, le moment d'aprĂšs je ne voulais plus, je ne revenais Ă consentir qu'Ă condition d'une soumission parfaite, d'une sagesse... Ah! quelle sagesse! Enfin je voulais bien lui prouver mon amour, mais non pas satisfaire le sien. La sortie, dont j'oubliais de vous parler, devait se faire par la petite porte du jardin il ne s'agissait que d'attendre le point du jour, le CerbĂšre ne dirait plus mot. Pas une ĂÂąme ne passe Ă cette heure-lĂ , et les gens sont dans le plus fort du sommeil. Si vous vous Ă©tonnez de ce tas de mauvais raisonnements, c'est que vous oubliez notre situation rĂ©ciproque. Qu'avions-nous besoin d'en faire de meilleurs? Il ne demandait pas mieux que tout cela se sĂ»t, et moi, j'Ă©tais bien sĂ»re qu'on ne le saurait pas. Le jour fixĂ© fut au surlendemain. Remarquez que voilĂ une affaire arrangĂ©e, et que personne n'a encore vu PrĂ©van dans ma sociĂ©tĂ©. Je le rencontre Ă souper chez une de mes amies, il lui offre sa loge pour une piĂšce nouvelle, et j'y accepte une place. J'invite cette femme Ă souper, pendant le Spectacle et devant PrĂ©van; je ne puis presque pas me dispenser de lui proposer d'en ĂÂȘtre. Il accepte et me fait, deux jours aprĂšs, une visite que l'usage exige. Il vient, Ă la vĂ©ritĂ©, me voir le lendemain matin mais, outre que les visites du matin ne marquent plus, il ne tient qu'Ă moi de trouver celle-ci trop leste; et je le mets en effet dans la classe des gens moins liĂ©s avec moi, par une invitation Ă©crite, pour un souper de cĂ©rĂ©monie. Je puis bien dire comme Annette Mais voilĂ tout, pourtant! Le jour fatal arrivĂ©, ce jour oĂÂč je devais perdre ma vertu et ma rĂ©putation, je donnai mes instructions Ă ma fidĂšle Victoire, et elle les exĂ©cuta comme vous le verrez bientĂÂŽt. Cependant le soir vint. J'avais dĂ©jĂ beaucoup de monde chez moi, quand on y annonça PrĂ©van. Je le reçus avec une politesse marquĂ©e, qui constatait mon peu de liaison avec lui; et je le mis Ă la partie de la MarĂ©chale, comme Ă©tant celle par qui j'avais fait cette connaissance. La soirĂ©e ne produisit rien qu'un trĂšs petit billet, que le discret Amoureux trouva moyen de me remettre, et que j'ai brĂ»lĂ© suivant ma coutume. Il m'y annonçait que je pouvais compter sur lui; et ce mot essentiel Ă©tait entourĂ© de tous les mots parasites, d'amour, de bonheur, etc., qui ne manquent jamais de se trouver Ă pareille fĂÂȘte. A minuit, les parties Ă©tant finies, je proposai une courte macĂ©doine [Quelques personnes ignorent peut-ĂÂȘtre qu'une macĂ©doine est un assemblage de plusieurs jeux de hasard, parmi lesquels chaque Coupeur a droit de choisir lorsque c'est Ă lui Ă tenir la main. C'est une des inventions du siĂšcle.]. J'avais le double projet de favoriser l'Ă©vasion de PrĂ©van, et en mĂÂȘme temps de la faire remarquer; ce qui ne pouvait pas manquer d'arriver, vu sa rĂ©putation de Joueur. J'Ă©tais bien aise aussi qu'on pĂ»t se rappeler au besoin que je n'avais pas Ă©tĂ© pressĂ©e de rester seule. Le jeu dura plus que je n'avais pensĂ©. Le Diable me tentait, et je succombai au dĂ©sir d'aller consoler l'impatient prisonnier. Je m'acheminais ainsi Ă ma perte, quand je rĂ©flĂ©chis qu'une fois rendue tout Ă fait, je n'aurais plus sur lui l'empire de le tenir dans le costume de dĂ©cence nĂ©cessaire Ă mes projets. J'eus la force de rĂ©sister. Je rebroussai chemin, et revins, non sans humeur, reprendre place Ă ce jeu Ă©ternel. Il finit pourtant, et chacun s'en alla. Pour moi, je sonnai mes femmes, je me dĂ©shabillai fort vite, et les renvoyai de mĂÂȘme. Me voyez-vous, Vicomte, dans ma toilette lĂ©gĂšre, marcher d'un pas timide et circonspect, et d'une main mal assurĂ©e ouvrir la porte Ă mon vainqueur? Il m'aperçut, l'Ă©clair n'est pas plus prompt. Que vous dirai-je? je fus vaincue, tout Ă fait vaincue, avant d'avoir pu dire un mot pour l'arrĂÂȘter ou me dĂ©fendre. Il voulut ensuite prendre une situation plus commode et plus convenable aux circonstances. Il maudissait sa parure, qui, disait-il, l'Ă©loignait de moi, il voulait me combattre Ă armes Ă©gales mais mon extrĂÂȘme timiditĂ© s'opposa Ă ce projet, et mes tendres caresses ne lui en laissĂšrent pas le temps. Il s'occupa d'autre chose. Ses droits Ă©taient doublĂ©s, et ses prĂ©tentions revinrent; mais alors " Ecoutez- moi, lui dis-je; vous aurez jusqu'ici un assez agrĂ©able rĂ©cit Ă faire aux deux Comtesses de P***, et Ă mille autres mais je suis curieuse de savoir comment vous raconterez la fin de l'aventure. " En parlant ainsi, je sonnais de toutes mes forces. Pour le coup j'eus mon tour, et mon action fut plus vive que sa parole. Il n'avait encore que balbutiĂ©, quand j'entendis Victoire accourir, et appeler les Gens qu'elle avait gardĂ©s chez elle, comme je le lui avais ordonnĂ©. LĂ , prenant mon ton de Reine, et Ă©levant la voix " Sortez, Monsieur, continuai-je, et ne reparaissez jamais devant moi. " LĂ -dessus, la foule de mes gens entra. Le pauvre PrĂ©van perdit la tĂÂȘte, et croyant voir un guet-apens dans ce qui n'Ă©tait au fond qu'une plaisanterie, il se jeta sur son Ă©pĂ©e. Mal lui en prit car mon Valet de chambre, brave et vigoureux, le saisit au corps et le terrassa. J'eus, je l'avoue, une frayeur mortelle. Je criai qu'on arrĂÂȘtĂÂąt, et ordonnai qu'on laissĂÂąt sa retraite libre, en s'assurant seulement qu'il sortĂt de chez moi. Mes gens m'obĂ©irent mais la rumeur Ă©tait grande parmi eux ils s'indignaient qu'on eĂ»t osĂ© manquer Ă leur vertueuse MaĂtresse . Tous accompagnĂšrent le malheureux Chevalier, avec bruit et scandale, comme je le souhaitais. La seule Victoire resta, et nous nous occupĂÂąmes pendant ce temps Ă rĂ©parer le dĂ©sordre de mon lit. Mes gens remontĂšrent toujours en tumulte; et moi, encore tout Ă©mue , je leur demandai par quel bonheur ils s'Ă©taient encore trouvĂ©s levĂ©s; et Victoire me raconta qu'elle avait donnĂ© Ă souper Ă deux de ses amies, qu'on avait veillĂ© chez elle, et enfin tout ce dont nous Ă©tions convenues ensemble. Je les remerciai tous, et les fis retirer, en ordonnant pourtant Ă l'un d'eux d'aller sur- le-champ chercher mon MĂ©decin. Il me parut que j'Ă©tais autorisĂ©e Ă craindre l'effet de mon saisissement mortel ; et c'Ă©tait un moyen sĂ»r de donner du cours et de la cĂ©lĂ©britĂ© Ă cette nouvelle. Il vint en effet, me plaignit beaucoup, et ne m'ordonna que du repos. Moi, j'ordonnai de plus Ă Victoire d'aller le matin de bonne heure bavarder dans le voisinage. Tout a si bien rĂ©ussi qu'avant midi, et aussitĂÂŽt qu'il a Ă©tĂ© jour chez moi, ma dĂ©vote Voisine Ă©tait dĂ©jĂ au chevet de mon lit, pour savoir la vĂ©ritĂ© et les dĂ©tails de cette horrible aventure. J'ai Ă©tĂ© obligĂ©e de me dĂ©soler avec elle, pendant une heure, sur la corruption du siĂšcle. Un moment aprĂšs, j'ai reçu de la MarĂ©chale le billet que je joins ici. Enfin, avant cinq heures, j'ai vu arriver, Ă mon grand Ă©tonnement, M... [Le Commandant du corps dans lequel M. de PrĂ©van servait]. Il venait, m'a-t-il dit, me faire ses excuses, de ce qu'un Officier de son corps avait pu me manquer Ă ce point. Il ne l'avait appris qu'Ă dĂner chez la MarĂ©chale, et avait sur-le-champ envoyĂ© ordre Ă PrĂ©van de se rendre en prison. J'ai demandĂ© grĂÂące, et il me l'a refusĂ©e. Alors j'ai pensĂ© que, comme complice, il fallait m'exĂ©cuter de mon cĂÂŽtĂ©, et garder au moins de rigides arrĂÂȘts. J'ai fait fermer ma porte, et dire que j'Ă©tais incommodĂ©e. C'est Ă ma solitude que vous devez cette longue Lettre. J'en Ă©crirai une Ă Madame de Volanges, dont sĂ»rement elle fera lecture publique et oĂÂč vous verrez cette histoire telle qu'il faut la raconter. J'oubliais de vous dire que Belleroche est outrĂ©, et veut absolument se battre avec PrĂ©van. Le pauvre garçon! heureusement j'aurai le temps de calmer sa tĂÂȘte. En attendant, je vais reposer la mienne, qui est fatiguĂ©e d'Ă©crire. Adieu, Vicomte. Paris, ce 25 septembre 17**, au soir. LETTRE LXXXVI LA MARECHALE DE *** A LA MARQUISE DE MERTEUIL BILLET INCLUS DANS LA PRECEDENTE. Mon Dieu! qu'est-ce donc que j'apprends, ma chĂšre Madame? est-il possible que ce petit PrĂ©van fasse de pareilles abominations? et encore vis-Ă -vis de vous! A quoi on est exposĂ©! on ne sera donc plus en sĂ»retĂ© chez soi! En vĂ©ritĂ©, ces Ă©vĂ©nements-lĂ consolent d'ĂÂȘtre vieille. Mais de quoi je ne me consolerai jamais, c'est d'avoir Ă©tĂ© en partie cause de ce que vous avez reçu un pareil monstre chez vous. Je vous promets bien que si ce qu'on m'en a dit est vrai, il ne remettra plus les pieds chez moi; c'est le parti que tous les honnĂÂȘtes gens prendront avec lui, s'ils font ce qu'ils doivent. On m'a dit que vous vous Ă©tiez trouvĂ©e bien mal, et je suis inquiĂšte de votre santĂ©. Donnez-moi, je vous prie, de vos chĂšres nouvelles; ou faites-m'en donner par une de vos Femmes, si vous ne le pouvez pas vous-mĂÂȘme. Je ne vous demande qu'un mot pour me tranquilliser. Je serais accourue chez vous ce matin, sans mes bains que mon Docteur ne me permet pas d'interrompre; et il faut que j'aille cet aprĂšs-midi Ă Versailles, toujours pour l'affaire de mon neveu. Adieu, ma chĂšre Madame; comptez pour la vie sur ma sincĂšre amitiĂ©. Paris, ce 25 septembre 17** LETTRE LXXXVII LA MARQUISE DE MERTEUIL A MADAME DE VOLANGES Je vous Ă©cris de mon lit, ma chĂšre bonne amie. L'Ă©vĂ©nement le plus dĂ©sagrĂ©able et le plus impossible Ă prĂ©voir, m'a rendue malade de saisissement et de chagrin. Ce n'est pas qu'assurĂ©ment j'aie rien Ă me reprocher mais il est toujours si pĂ©nible pour une femme honnĂÂȘte et qui conserve la modestie convenable Ă son sexe, de fixer sur elle l'attention publique, que je donnerais tout au monde pour avoir pu Ă©viter cette malheureuse aventure, et que je ne sais encore si je ne prendrai pas le parti d'aller Ă la campagne, attendre qu'elle soit oubliĂ©e. Voici ce dont il s'agit. J'ai rencontrĂ© chez la MarĂ©chale de ... un M. de PrĂ©van que vous connaissez sĂ»rement de nom, et que je ne connaissais pas autrement. Mais en le trouvant dans cette maison, j'Ă©tais bien autorisĂ©e, ce me semble, Ă le croire bonne compagnie. Il est assez bien fait de sa personne, et m'a paru ne pas manquer d'esprit. Le hasard et l'ennui du jeu me laissĂšrent seule de femme entre lui et l'EvĂÂȘque de ... , tandis que tout le monde Ă©tait occupĂ© au lansquenet. Nous causĂÂąmes tous trois jusqu'au moment du souper. A table, une nouveautĂ© dont on parla lui donna l'occasion d'offrir sa loge Ă la MarĂ©chale, qui l'accepta; et il fut convenu que j'y aurais une place. C'Ă©tait pour Lundi dernier, aux Français. Comme la MarĂ©chale venait souper chez moi au sortir du Spectacle, je proposai Ă ce Monsieur de l'y accompagner, et il y vint. Le surlendemain il me fit une visite qui se passa en propos d'usage, et sans qu'il y eĂ»t du tout rien de marquĂ©. Le lendemain il vint me voir le matin, ce qui me parut bien un peu leste mais je crus qu'au lieu de le lui faire sentir par ma façon de le recevoir, il valait mieux l'avertir par une politesse, que nous n'Ă©tions pas encore aussi intimement liĂ©s qu'il paraissait le croire. Pour cela je lui envoyai, le jour mĂÂȘme, une invitation bien sĂšche et bien cĂ©rĂ©monieuse, pour un souper que je donnais avant-hier. Je ne lui adressai pas la parole quatre fois dans toute la soirĂ©e; et lui de son cĂÂŽtĂ© se retira aussitĂÂŽt sa partie finie. Vous conviendrez que jusque-lĂ rien n'a moins l'air de conduire Ă une aventure on fit, aprĂšs les parties, une macĂ©doine qui nous mena jusqu'Ă prĂšs de deux heures; et enfin je me mis au lit. Il y avait au moins une mortelle demi-heure que mes femmes Ă©taient retirĂ©es, quand j'entendis du bruit dans mon appartement. J'ouvris mon rideau avec beaucoup de frayeur, et vis un homme entrer par la porte qui conduit Ă mon boudoir. Je jetai un cri perçant; et je reconnus, Ă la clartĂ© de ma veilleuse, ce M. de PrĂ©van, qui, avec une effronterie inconcevable, me dit de ne pas m'alarmer; qu'il allait m'Ă©claircir le mystĂšre de sa conduite, et qu'il me suppliait de ne faire aucun bruit. En parlant ainsi, il allumait une bougie; j'Ă©tais saisie au point que je ne pouvais parler. Son air aisĂ© et tranquille me pĂ©trifiait, je crois, encore davantage. Mais il n'eut pas dit deux mots, que je vis quel Ă©tait ce prĂ©tendu mystĂšre; et ma seule rĂ©ponse fut, comme vous pouvez le croire, de me pendre Ă ma sonnette. Par un bonheur incroyable, tous les Gens de l'office avaient veillĂ© chez une de mes Femmes, et n'Ă©taient pas encore couchĂ©s. Ma Femme de chambre, qui, en venant chez moi, m'entendit parler avec beaucoup de chaleur, fut effrayĂ©e, et appela tout ce monde-lĂ . Vous jugez quel scandale! Mes Gens Ă©taient furieux; je vis le moment oĂÂč mon Valet de chambre tuait PrĂ©van. J'avoue que, pour l'instant, je fus fort aise de me voir en force en y rĂ©flĂ©chissant aujourd'hui, j'aimerais mieux qu'il ne fĂ»t venu que ma Femme de chambre; elle aurait suffi, et j'aurais peut-ĂÂȘtre Ă©vitĂ© cet Ă©clat qui m'afflige. Au lieu de cela, le tumulte a rĂ©veillĂ© les voisins, les Gens ont parlĂ©, et c'est depuis hier la nouvelle de tout Paris. M. de PrĂ©van est en prison par ordre du Commandant de son corps, qui a eu l'honnĂÂȘtetĂ© de passer chez moi, pour me faire des excuses, m'a-t-il dit. Cette prison va encore augmenter le bruit mais je n'ai jamais pu obtenir que cela fĂ»t autrement. La Ville et la Cour se sont fait Ă©crire Ă ma porte, que j'ai fermĂ©e Ă tout le monde. Le peu de personnes que j'ai vues m'a dit qu'on me rendait justice, et que l'indignation publique Ă©tait au comble contre M. de PrĂ©van assurĂ©ment, il le mĂ©rite bien, mais cela n'ĂÂŽte pas le dĂ©sagrĂ©ment de cette aventure. De plus, cet homme a sĂ»rement quelques amis, et ses amis doivent ĂÂȘtre mĂ©chants qui sait, qui peut savoir ce qu'ils inventeront pour me nuire? Mon Dieu, qu'une jeune femme est malheureuse! elle n'a rien fait encore, quand elle s'est mise Ă l'abri de la mĂ©disance; il faut qu'elle en impose mĂÂȘme Ă la calomnie. Mandez-moi, je vous prie, ce que vous auriez fait, ce que vous feriez Ă ma place; enfin tout ce que vous pensez. C'est toujours de vous que j'ai reçu les consolations les plus douces et les avis les plus sages; c'est de vous aussi que j'aime le mieux Ă en recevoir. Adieu, ma chĂšre et bonne amie; vous connaissez les sentiments qui m'attachent Ă vous pour jamais. J'embrasse votre aimable fille. Paris, ce 26 septembre 17** TROISIEME PARTIE LETTRE LXXXVIII CECILE VOLANGES AU VICOMTE DE VALMONT MalgrĂ© tout le plaisir que j'ai, Monsieur, Ă recevoir les Lettres de M. le Chevalier Danceny, et quoique je ne dĂ©sire pas moins que lui que nous puissions nous voir encore, sans qu'on puisse nous en empĂÂȘcher, je n'ai pas osĂ© cependant faire ce que vous me proposez. PremiĂšrement, c'est trop dangereux; cette clef que vous voulez que je mette Ă la place de l'autre lui ressemble bien assez Ă la vĂ©ritĂ© mais pourtant, il ne laisse pas d'y avoir encore de la diffĂ©rence, et Maman regarde Ă tout, et s'aperçoit de tout. De plus, quoiqu'on ne s'en soit pas encore servi depuis que nous sommes ici, il ne faut qu'un malheur; et si on s'en apercevait, je serais perdue pour toujours. Et puis, il me semble aussi que ce serait bien mal; faire comme cela une double clef c'est bien fort! Il est vrai que c'est vous qui auriez la bontĂ© de vous en charger; mais malgrĂ© cela, si on le savait, je n'en porterais pas moins le blĂÂąme et la faute, puisque ce serait pour moi que vous l'auriez faite. Enfin, j'ai voulu essayer deux fois de la prendre, et certainement cela serait bien facile, si c'Ă©tait toute autre chose mais je ne sais pas pourquoi je me suis toujours mise Ă trembler, et n'en ai jamais eu le courage. Je crois donc qu'il vaut mieux rester comme nous sommes. Si vous avez toujours la bontĂ© d'ĂÂȘtre aussi complaisant que jusqu'ici, vous trouverez toujours bien le moyen de me remettre une Lettre. MĂÂȘme pour la derniĂšre, sans le malheur qui a voulu que vous vous retourniez tout de suite dans un certain moment, nous aurions eu bien aisĂ©. Je sens bien que vous ne pouvez pas, comme moi, ne songer qu'à ça; mais j'aime mieux avoir plus de patience et ne pas tant risquer. Je suis sĂ»re que M. Danceny dirait comme moi car toutes les fois qu'il voulait quelque chose qui me faisait trop de peine, il consentait toujours que cela ne fĂ»t pas. Je vous remettrai, Monsieur, en mĂÂȘme temps que cette Lettre, la vĂÂŽtre, celle de M. Danceny, et votre clef. Je n'en suis pas moins reconnaissante de toutes vos bontĂ©s et je vous prie bien de me les continuer. Il est bien vrai que je suis bien malheureuse, et que sans vous je le serais encore bien davantage mais, aprĂšs tout, c'est ma mĂšre; il faut bien prendre patience. Et pourvu que M. Danceny m'aime toujours, et que vous ne m'abandonniez pas, il viendra peut- ĂÂȘtre un temps plus heureux. J'ai l'honneur d'ĂÂȘtre, Monsieur, avec bien de la reconnaissance, votre trĂšs humble et trĂšs obĂ©issante servante. De ..., ce 26 septembre 17** LETTRE LXXXIX LE VICOMTE DE VALMONT AU CHEVALIER DANCENY Si vos affaires ne vont pas toujours aussi vite que vous le voudriez, mon ami, ce n'est pas tout Ă fait Ă moi qu'il faut vous en prendre. J'ai ici plus d'un obstacle Ă vaincre. La vigilance et la sĂ©vĂ©ritĂ© de Madame de Volanges ne sont pas les seuls; votre jeune amie m'en oppose aussi quelques-uns. Soit froideur, ou timiditĂ©, elle ne fait pas toujours ce que je lui conseille; et je crois cependant savoir mieux qu'elle ce qu'il faut faire. J'avais trouvĂ© un moyen simple, commode et sĂ»r de lui remettre vos Lettres, et mĂÂȘme de faciliter, par la suite, les entrevues que vous dĂ©sirez mais je n'ai pu la dĂ©cider Ă s'en servir. J'en suis d'autant plus affligĂ©, que je n'en vois pas d'autre pour vous rapprocher d'elle; et que mĂÂȘme pour votre correspondance, je crains sans cesse de nous compromettre tous trois. Or, vous jugez que je ne veux ni courir ce risque-lĂ , ni vous y exposer l'un et l'autre. Je serais pourtant vraiment peinĂ© que le peu de confiance de votre petite amie m'empĂÂȘchĂÂąt de vous ĂÂȘtre utile; peut-ĂÂȘtre feriez-vous bien de lui en Ă©crire. Voyez ce que vous voulez faire, c'est Ă vous seul Ă dĂ©cider; car ce n'est pas assez de servir ses amis, il faut encore les servir Ă leur maniĂšre. Ce pourrait ĂÂȘtre aussi une façon de plus de vous assurer de ses sentiments pour vous; car la femme qui garde une volontĂ© Ă elle n'aime pas autant qu'elle le dit. Ce n'est pas que je soupçonne votre MaĂtresse d'inconstance mais elle est bien jeune elle a grand-peur de sa Maman, qui, comme vous le savez, ne cherche qu'Ă vous nuire; et peut-ĂÂȘtre serait-il dangereux de rester trop longtemps sans l'occuper de vous. N'allez pas cependant vous inquiĂ©ter Ă un certain point de ce que je vous dis lĂ . Je n'ai dans le fond nulle raison de mĂ©fiance; c'est uniquement la sollicitude de l'amitiĂ©. Je ne vous Ă©cris pas plus longuement, parce que j'ai bien aussi quelques affaires pour mon compte. Je ne suis pas aussi avancĂ© que vous mais j'aime autant, et cela console; et quand je ne rĂ©ussirais pas pour moi, si je parviens Ă vous ĂÂȘtre utile, je trouverai que j'ai bien employĂ© mon temps. Adieu, mon ami. Du ChĂÂąteau de ..., ce 26 septembre 17** LETTRE XC LA PRESIDENTE DE TOURVEL AU VICOMTE DE VALMONT Je dĂ©sire beaucoup, Monsieur, que cette Lettre ne vous fasse aucune peine; ou, si elle doit vous en causer, qu'au moins elle puisse ĂÂȘtre adoucie par celle que j'Ă©prouve en vous l'Ă©crivant. Vous devez me connaĂtre assez Ă prĂ©sent pour ĂÂȘtre bien sĂ»r que ma volontĂ© n'est pas de vous affliger; mais vous, sans doute, vous ne voudriez pas non plus me plonger dans un dĂ©sespoir Ă©ternel. Je vous conjure donc, au nom de l'amitiĂ© tendre que je vous ai promise, au nom mĂÂȘme des sentiments peut-ĂÂȘtre plus vifs, mais Ă coup sĂ»r pas plus sincĂšres, que vous avez pour moi, ne nous voyons plus; partez; et, jusque-lĂ , fuyons surtout ces entretiens particuliers et trop dangereux, oĂÂč, par une inconcevable puissance, sans jamais parvenir Ă vous dire ce que je veux, je passe mon temps Ă Ă©couter ce que je ne devrais pas entendre. Hier encore, quand vous vĂntes me joindre dans le parc, j'avais bien pour unique objet de vous dire ce que je vous Ă©cris aujourd'hui; et cependant qu'ai- je fait? que m'occuper de votre amour;... de votre amour, auquel jamais je ne dois rĂ©pondre! Ah! de grĂÂące, Ă©loignez-vous de moi. Ne craignez pas que votre absence altĂšre jamais mes sentiments pour vous; comment parviendrais-je Ă les vaincre, quand je n'ai plus le courage de les combattre? Vous le voyez, je vous dis tout, je crains moins d'avouer ma faiblesse, que d'y succomber mais cet empire que j'ai perdu sur mes sentiments, je le conserverai sur mes actions; oui, je le conserverai, j'y suis rĂ©solue; fĂ»t-ce aux dĂ©pens de ma vie. HĂ©las! le temps n'est pas loin, oĂÂč je me croyais bien sĂ»re de n'avoir jamais de pareils combats Ă soutenir. Je m'en fĂ©licitais; je m'en glorifiais peut-ĂÂȘtre trop. Le Ciel a puni, cruellement puni cet orgueil mais plein de misĂ©ricorde au moment mĂÂȘme qu'il nous frappe, il m'avertit encore avant ma chute; et je serais doublement coupable, si je continuais Ă manquer de prudence, dĂ©jĂ prĂ©venue que je n'ai plus de force. Vous m'avez dit cent fois que vous ne voudriez pas d'un bonheur achetĂ© par mes larmes. Ah! ne parlons plus de bonheur, mais laissez-moi reprendre quelque tranquillitĂ©. En accordant ma demande, quels nouveaux droits n'acquerrez-vous pas sur mon cĂ âur? Et ceux-lĂ , fondĂ©s sur la vertu, je n'aurai point Ă m'en dĂ©fendre. Combien je me plairai dans ma reconnaissance! Je vous devrai la douceur de goĂ»ter sans remords un sentiment dĂ©licieux. A prĂ©sent, au contraire, effrayĂ©e de mes sentiments, de mes pensĂ©es, je crains Ă©galement de m'occuper de vous et de moi; votre idĂ©e mĂÂȘme m'Ă©pouvante quand je ne peux la fuir, je la combats; je ne l'Ă©loigne pas, mais je la repousse. Ne vaut-il pas mieux pour tous deux faire cesser cet Ă©tat de trouble et d'anxiĂ©tĂ©? Ăâ vous, dont l'ĂÂąme toujours sensible, mĂÂȘme au milieu de ses erreurs, est restĂ©e amie de la vertu, vous aurez Ă©gard Ă ma situation douloureuse, vous ne rejetterez pas ma priĂšre! Un intĂ©rĂÂȘt plus doux, mais non moins , ces agitations violentes alors respirant par vos bienfaits, je chĂ©rirai mon existence, et je dirai dans la joie de mon cĂ âur " Ce calme que je ressens, je le dois Ă mon ami " . En vous soumettant Ă quelques privations lĂ©gĂšres, que je ne vous impose point, mais que je vous demande, croirez-vous donc acheter trop cher la fin de mes tourments? Ah! si, pour vous rendre heureux, il ne fallait que consentir Ă ĂÂȘtre malheureuse, vous pouvez m'en croire, je n'hĂ©siterais pas un moment... Mais devenir coupable!... non, mon ami, non, plutĂÂŽt mourir mille fois. DĂ©jĂ assaillie par la honte, Ă la veille des remords, je redoute et les autres et moi-mĂÂȘme; je rougis dans le cercle, et frĂ©mis dans la solitude; je n'ai plus qu'une vie de douleur; je n'aurai de tranquillitĂ© que par votre consentement. Mes rĂ©solutions les plus louables ne suffisent pas pour me rassurer; j'ai formĂ© celle-ci dĂšs hier, et cependant j'ai passĂ© la nuit dans les larmes. Voyez votre amie, celle que vous aimez, confuse et suppliante, vous demander le repos et l'innocence. Ah Dieu! sans vous, eĂ»t-elle jamais Ă©tĂ© rĂ©duite Ă cette humiliante demande? Je ne vous reproche rien; je sens trop par moi-mĂÂȘme combien il est difficile de rĂ©sister Ă un sentiment impĂ©rieux. Une plainte n'est pas un murmure. Faites par gĂ©nĂ©rositĂ© ce que je fais par devoir; et Ă tous les sentiments que vous m'avez inspirĂ©s, je joindrai celui d'une Ă©ternelle reconnaissance. Adieu, adieu, Monsieur. De ..., ce 27 septembre 17** LETTRE XCI LE VICOMTE DE VALMONT A LA PRESIDENTE DE TOURVEL ConsternĂ© par votre Lettre, j'ignore encore, Madame, comment je pourrai y rĂ©pondre. Sans doute, s'il faut choisir entre votre malheur et le mien, c'est Ă moi Ă me sacrifier, et je ne balance pas; mais de si grands intĂ©rĂÂȘts mĂ©ritent bien, ce me semble, d'ĂÂȘtre avant tout discutĂ©s et Ă©claircis; et comment y parvenir, si nous ne devons plus nous parler ni nous voir? Quoi! tandis que les sentiments les plus doux nous unissent, une vaine terreur suffira pour nous sĂ©parer, peut-ĂÂȘtre sans retour! En vain l'amitiĂ© tendre, l'ardent amour, rĂ©clameront leurs droits; leurs voix ne seront point entendues et pourquoi? quel est donc ce danger pressant qui vous menace? Ah! croyez- moi, de pareilles craintes, et si lĂ©gĂšrement conçues, sont dĂ©jĂ , ce me semble, d'assez puissants motifs de sĂ©curitĂ©. Permettez-moi de vous le dire, je retrouve ici la trace des impressions dĂ©favorables qu'on vous a donnĂ©es sur moi. On ne tremble point auprĂšs de l'homme qu'on estime; on n'Ă©loigne pas, surtout, celui qu'on a jugĂ© digne de quelque amitiĂ© c'est l'homme dangereux qu'on redoute et qu'on fuit. Cependant, qui fut jamais plus respectueux et plus soumis que moi? DĂ©jĂ , vous le voyez, je m'observe dans mon langage; je ne me permets plus ces noms si doux, si chers Ă mon cĂ âur, et qu'il ne cesse de vous donner en secret. Ce n'est plus l'amant fidĂšle et malheureux, recevant les conseils et les consolations d'une amie tendre et sensible; c'est l'accusĂ© devant son juge, l'esclave devant son maĂtre. Ces nouveaux titres imposent sans doute de nouveaux devoirs; je m'engage Ă les remplir tous. Ecoutez-moi, et si vous me condamnez, j'y souscris et je pars. Je promets davantage; prĂ©fĂ©rez-vous ce despotisme qui juge sans entendre? vous sentez-vous le courage d'ĂÂȘtre injuste? ordonnez et j'obĂ©is encore. Mais ce jugement, ou cet ordre, que je l'entende de votre bouche. Et pourquoi? m'allez-vous dire Ă votre tour. Ah! que si vous faites cette question, vous connaissez peu l'amour et mon cĂ âur! N'est-ce donc rien que de vous voir encore une fois? Eh! quand vous porterez le dĂ©sespoir dans mon ĂÂąme, peut-ĂÂȘtre un regard consolateur l'empĂÂȘchera d'y succomber. Enfin s'il me faut renoncer Ă l'amour, Ă l'amitiĂ©, pour qui seuls j'existe, au moins vous verrez votre ouvrage, et votre pitiĂ© me restera cette faveur lĂ©gĂšre, quand mĂÂȘme je ne la mĂ©riterais pas, je me soumets, ce me semble, Ă la payer assez cher, pour espĂ©rer de l'obtenir. Quoi! vous allez m'Ă©loigner de vous! Vous consentez donc Ă ce que nous devenions Ă©trangers l'un Ă l'autre! que dis-je? vous le dĂ©sirez; et tandis que vous m'assurez que mon absence n'altĂ©rera point vos sentiments, vous ne pressez mon dĂ©part que pour travailler plus facilement Ă les dĂ©truire. DĂ©jĂ , vous me parlez de les remplacer par de la reconnaissance. Ainsi le sentiment qu'obtiendrait de vous un inconnu pour le plus lĂ©ger service, votre ennemi mĂÂȘme en cessant de vous nuire, voilĂ ce que vous m'offrez! et vous voulez que mon cĂ âur s'en contente! Interrogez le vĂÂŽtre si votre amant, si votre ami, venaient un jour vous parler de leur reconnaissance, ne leur diriez-vous pas avec indignation " Retirez-vous, vous ĂÂȘtes des ingrats " ? Je m'arrĂÂȘte et rĂ©clame votre indulgence. Pardonnez l'expression d'une douleur que vous faites naĂtre elle ne nuira point Ă ma soumission parfaite. Mais je vous en conjure Ă mon tour, au nom de ces sentiments si doux, que vous- mĂÂȘme vous rĂ©clamez, ne refusez pas de m'entendre; et par pitiĂ© du moins pour le trouble mortel oĂÂč vous m'avez plongĂ©, n'en Ă©loignez pas le moment. Adieu, Madame. De ..., ce 27 septembre 17**, au soir. LETTRE XCII LE CHEVALIER DANCENY AU VICOMTE DE VALMONT Ăâ mon ami! votre Lettre m'a glacĂ© d'effroi. CĂ©cile... Ăâ Dieu! est-il possible? CĂ©cile ne m'aime plus. Oui, je vois cette affreuse vĂ©ritĂ© Ă travers le voile dont votre amitiĂ© l'entoure. Vous avez voulu me prĂ©parer Ă recevoir ce coup mortel. Je vous remercie de vos soins, mais peut-on en imposer Ă l'amour? Il court au-devant de ce qui l'intĂ©resse; il n'apprend pas son sort, il le devine. Je ne doute plus du mien parlez-moi sans dĂ©tour, vous le pouvez, et je vous en prie. Mandez-moi tout; ce qui a fait naĂtre vos soupçons, ce qui les a confirmĂ©s. Les moindres dĂ©tails sont prĂ©cieux. TĂÂąchez, surtout, de vous rappeler ses paroles. Un mot pour l'autre peut changer toute une phrase; le mĂÂȘme a quelquefois deux sens... Vous pouvez vous ĂÂȘtre trompĂ© hĂ©las, je cherche Ă me flatter encore. Que vous a-t-elle dit? me fait-elle quelque reproche? au moins ne se dĂ©fend-elle pas de ses torts? J'aurais dĂ» prĂ©voir ce changement, par les difficultĂ©s que, depuis un temps, elle trouve Ă tout. L'amour ne connaĂt pas tant d'obstacles. Quel parti dois-je prendre? que me conseillez-vous? Si je tentais de la voir? cela est-il donc impossible? L'absence est si cruelle, si funeste... et elle a refusĂ© un moyen de me voir! Vous ne me dites pas quel il Ă©tait; s'il y avait en effet trop de danger, elle sait bien que je ne veux pas qu'elle se risque trop. Mais aussi je connais votre prudence; et pour mon malheur, je ne peux pas ne pas y croire. Que vais-je faire Ă prĂ©sent? comment lui Ă©crire? Si je lui laisse voir mes soupçons, ils la chagrineront peut-ĂÂȘtre; et s'ils sont injustes, me pardonnerais- je de l'avoir affligĂ©e? Si je les lui cache, c'est la tromper, et je ne sais point dissimuler avec elle. Oh! si, elle pouvait savoir ce que je souffre, ma peine la toucherait. Je la connais sensible; elle a le cĂ âur excellent et j'ai mille preuves de son amour. Trop de timiditĂ©, quelque embarras, elle est si jeune! et sa mĂšre la traite avec tant de sĂ©vĂ©ritĂ©! Je vais lui Ă©crire; je me contiendrai; je lui demanderai seulement de s'en remettre entiĂšrement Ă vous. Quand mĂÂȘme elle refuserait encore, elle ne pourra pas au moins se fĂÂącher de ma priĂšre, et peut-ĂÂȘtre elle consentira. Vous, mon ami, je vous fais mille excuses, et pour elle et pour moi. Je vous assure qu'elle sent le prix de vos soins, qu'elle en est reconnaissante. Ce n'est pas mĂ©fiance, c'est timiditĂ©. Ayez de l'indulgence; c'est le plus beau caractĂšre de l'amitiĂ©. La vĂÂŽtre m'est bien prĂ©cieuse, et je ne sais comment reconnaĂtre tout ce que vous faites pour moi. Adieu, je vais Ă©crire tout de suite. Je sens toutes mes craintes revenir; qui m'eĂ»t dit que jamais il m'en coĂ»terait de lui Ă©crire! HĂ©las! hier encore, c'Ă©tait mon plaisir le plus doux. Adieu, mon ami; continuez-moi vos soins, et plaignez-moi beaucoup. Paris, ce 27 septembre 17** LETTRE XCIII LE CHEVALIER DANCENY A CECILE VOLANGES JOINTE A LA PRECEDENTE. Je ne puis vous dissimuler combien j'ai Ă©tĂ© affligĂ© en apprenant de Valmont le peu de confiance que vous continuez Ă avoir en lui. Vous n'ignorez pas qu'il est mon ami, qu'il est la seule personne qui puisse nous rapprocher l'un de l'autre j'avais cru que ces titres seraient suffisants auprĂšs de vous; je vois avec peine que je me suis trompĂ©. Puis-je espĂ©rer qu'au moins vous m'instruirez de vos raisons? Ne trouverez-vous pas encore quelques difficultĂ©s qui vous en empĂÂȘcheront? Je ne puis cependant deviner, sans vous, le mystĂšre de cette conduite. Je n'ose soupçonner votre amour, sans doute aussi vous n'oseriez trahir le mien. Ah! CĂ©cile!... Il est donc vrai que vous avez refusĂ© un moyen de me voir? un moyen simple, commode et sĂ»r [Danceny ne sait pas quel Ă©tait ce moyen; il rĂ©pĂšte seulement l'expression de Valmont]? Et c'est ainsi que vous m'aimez! Une si courte absence a bien changĂ© vos sentiments. Mais pourquoi me tromper? pourquoi me dire que vous m'aimez toujours, que vous m'aimez davantage? Votre Maman, en dĂ©truisant votre amour, a-t-elle aussi dĂ©truit votre candeur? Si au moins elle vous a laissĂ© quelque pitiĂ©, vous n'apprendrez pas sans peine les tourments affreux que vous me causez. Ah! je souffrirais moins pour mourir. Dites-moi donc, votre cĂ âur m'est-il fermĂ© sans retour? m'avez-vous entiĂšrement oubliĂ©? GrĂÂące Ă vos refus, je ne sais, ni quand vous entendrez mes plaintes, ni quand vous y rĂ©pondrez. L'amitiĂ© de Valmont avait assurĂ© notre correspondance mais vous, vous n'avez pas voulu; vous la trouviez pĂ©nible, vous avez prĂ©fĂ©rĂ© qu'elle fĂ»t rare. Non, je ne croirai plus Ă l'amour, Ă la bonne foi. Eh! qui peut-on croire, si CĂ©cile m'a trompĂ©? RĂ©pondez-moi donc est-il vrai que vous ne m'aimez plus? Non cela n'est pas possible; vous vous faites illusion; vous calomniez votre cĂ âur. Une crainte passagĂšre, un moment de dĂ©couragement, mais que l'amour a bientĂÂŽt fait disparaĂtre; n'est-il pas vrai, ma CĂ©cile? ah! sans doute, et j'ai tort de vous accuser. Que je serais heureux d'avoir tort! que j'aimerais Ă vous faire de tendres excuses, Ă rĂ©parer ce moment d'injustice par une Ă©ternitĂ© d'amour! CĂ©cile, CĂ©cile, ayez pitiĂ© de moi! Consentez Ă me voir, prenez-en tous les moyens! Voyez ce que produit l'absence! des craintes, des soupçons, peut- ĂÂȘtre de la froideur! un seul regard, un seul mot et nous serons heureux. Mais quoi! puis-je encore parler de bonheur? peut-ĂÂȘtre est-il perdu pour moi, perdu pour jamais. TourmentĂ© par la crainte, cruellement pressĂ© entre les soupçons injustes et la vĂ©ritĂ© plus cruelle, je ne puis m'arrĂÂȘter Ă aucune pensĂ©e; je ne conserve d'existence que pour souffrir et vous aimer. Ah! CĂ©cile! vous seule avez le droit de me la rendre chĂšre; et j'attends du premier mot que vous prononcerez le retour du bonheur ou la certitude d'un dĂ©sespoir Ă©ternel. Paris, ce 27 septembre 17** LETTRE XCIV CECILE VOLANGES AU CHEVALIER DANCENY Je ne conçois rien Ă votre Lettre, sinon la peine qu'elle me cause. Qu'est-ce que M. de Valmont vous a donc mandĂ©, et qu'est-ce qui a pu vous faire croire que je ne vous aimais plus? Cela serait peut-ĂÂȘtre bien heureux pour moi, car sĂ»rement j'en serais moins tourmentĂ©e; et il est bien dur, quand je vous aime comme je fais, de voir que vous croyez toujours que j'ai tort, et qu'au lieu de me consoler, ce soit de vous que me viennent toujours les peines qui me font le plus de chagrin. Vous croyez que je vous trompe, et que je vous dis ce qui n'est pas! vous avez lĂ une jolie idĂ©e de moi! Mais quand je serais menteuse comme vous me le reprochez, quel intĂ©rĂÂȘt y aurais-je? AssurĂ©ment, si je ne vous aimais plus je n'aurais qu'Ă le dire, et tout le monde m'en louerait; mais, par malheur, c'est plus fort que moi; et il faut que ce soit pour quelqu'un qui ne m'en a pas d'obligation du tout! Qu'est-ce que j'ai donc fait pour vous tant fĂÂącher? Je n'ai pas osĂ© prendre une clef, parce que je craignais que Maman ne s'en aperçût, et que cela ne me causĂÂąt encore du chagrin, et Ă vous aussi Ă cause de moi; et puis encore, parce qu'il me semble que c'est mal fait. Mais ce n'Ă©tait que M. de Valmont qui m'en avait parlĂ©; je ne pouvais pas savoir si vous le vouliez ou non, puisque vous n'en saviez rien. A prĂ©sent que je sais que vous le dĂ©sirez, est-ce que je refuse de la prendre, cette clef? je la prendrai dĂšs demain; et puis nous verrons ce que vous aurez, encore Ă dire. M. de Valmont a beau ĂÂȘtre votre ami, je crois que je vous aime bien autant qu'il peut vous aimer, pour le moins; et cependant c'est toujours lui qui a raison, et moi j'ai toujours tort. Je vous assure que je suis bien fĂÂąchĂ©e. ĂâĄa vous est bien Ă©gal, parce que vous savez que je m'apaise tout de suite mais Ă prĂ©sent que j'aurai la clef, je pourrai vous voir quand je voudrai; et je vous assure que je ne voudrai pas quand vous agirez comme ça. J'aime mieux avoir du chagrin qui me vienne de moi, que s'il me venait de vous voyez ce que vous voulez faire. Si vous vouliez, nous nous aimerions tant! et au moins n'aurions-nous de peines que celles qu'on nous fait! Je vous assure bien que si j'Ă©tais maĂtresse, vous n'auriez jamais Ă vous plaindre de moi mais si vous ne me croyez pas, nous serons toujours bien malheureux, et ce ne sera pas ma faute. J'espĂšre que bientĂÂŽt nous pourrons nous voir, et qu'alors nous n'aurons plus d'occasions de nous chagriner comme Ă prĂ©sent. Si j'avais pu prĂ©voir ça, j'aurais pris cette clef tout de suite mais, en vĂ©ritĂ©, je croyais bien faire. Ne m'en voulez donc pas, je vous en prie. Ne soyez plus triste, et aimez-moi toujours autant que je vous aime; alors je serai bien contente. Adieu, mon cher ami. Du ChĂÂąteau de ..., ce 28 septembre 17** LETTRE XCV CECILE VOLANGES AU VICOMTE DE VALMONT Je vous prie, Monsieur, de vouloir bien avoir la bontĂ© de me remettre cette clef que vous m'aviez donnĂ©e pour mettre Ă la place de l'autre; puisque tout le monde le veut, il faut bien que j'y consente aussi. Je ne sais pas pourquoi vous avez mandĂ© Ă M. Danceny que je ne l'aimais plus je ne crois pas vous avoir jamais donnĂ© lieu de le penser; et cela lui a fait bien de la peine, et Ă moi aussi. Je sais bien que vous ĂÂȘtes son ami; mais ce n'est pas une raison pour le chagriner, ni moi non plus. Vous me feriez bien plaisir de lui mander le contraire, la premiĂšre fois que vous lui Ă©crirez, et que vous en ĂÂȘtes sĂ»r car c'est en vous qu'il a le plus confiance; et moi, quand j'ai dit une chose, et qu'on ne la croit pas, je ne sais plus comment faire. Pour ce qui est de la clef, vous pouvez ĂÂȘtre tranquille; j'ai bien retenu tout ce que vous me recommandiez dans votre Lettre. Cependant, si vous l'avez encore, et que vous vouliez me la donner en mĂÂȘme temps, je vous promets que j'y ferai bien attention. Si ce pouvait ĂÂȘtre demain en allant dĂner, je vous donnerais l'autre clef aprĂšs-demain Ă dĂ©jeuner, et vous me la remettriez de la mĂÂȘme façon que la premiĂšre. Je voudrais bien que cela ne fĂ»t pas long, parce qu'il y aurait moins de temps Ă risquer que Maman ne s'en aperçût. Et puis, quand une fois vous aurez cette clef-lĂ , vous aurez bien la bontĂ© de vous en servir aussi pour prendre mes Lettres; et comme cela, M. Danceny aura plus souvent de mes nouvelles. Il est vrai que ce sera bien plus commode qu'Ă prĂ©sent; mais c'est que d'abord, cela m'a fait trop peur je vous prie de m'excuser, et j'espĂšre que vous n'en continuerez pas moins d'ĂÂȘtre aussi complaisant que par le passĂ©. J'en serai aussi toujours bien reconnaissante. J'ai l'honneur d'ĂÂȘtre, Monsieur, votre trĂšs humble et trĂšs obĂ©issante servante. De ..., ce 28 septembre 17**LETTRE XCVI LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Je parie bien que, depuis votre aventure, vous attendez chaque jour mes compliments et mes Ă©loges; je ne doute mĂÂȘme pas que vous n'ayez pris un peu d'humeur de mon long silence mais que voulez-vous? j'ai toujours pensĂ© que quand il n'y avait plus que des louanges Ă donner Ă une femme, on pouvait s'en reposer sur elle, et s'occuper d'autre chose. Cependant je vous remercie pour mon compte, et vous fĂ©licite pour le vĂÂŽtre. Je veux bien mĂÂȘme, pour vous rendre parfaitement heureuse, convenir que pour cette fois vous avez surpassĂ© mon attente. AprĂšs cela, voyons si de mon cĂÂŽtĂ© j'aurai du moins rempli la vĂÂŽtre en partie. Ce n'est pas de Madame de Tourvel dont je veux vous parler; sa marche trop lente vous dĂ©plaĂt. Vous n'aimez que les affaires faites. Les scĂšnes filĂ©es vous ennuient; et moi, jamais je n'avais goĂ»tĂ© le plaisir que j'Ă©prouve dans ces lenteurs prĂ©tendues. Oui, j'aime Ă voir, Ă considĂ©rer cette femme prudente, engagĂ©e, sans s'en ĂÂȘtre aperçue, dans un sentier qui ne permet plus de retour, et dont la pente rapide et dangereuse l'entraĂne malgrĂ© elle, et la force Ă me suivre. LĂ , effrayĂ©e du pĂ©ril qu'elle court, elle voudrait s'arrĂÂȘter et ne peut se retenir. Ses soins et son adresse peuvent bien rendre ses pas moins grands; mais il faut qu'ils se succĂšdent. Quelquefois, n'osant fixer le danger, elle ferme les yeux, et se laissant aller, s'abandonne Ă mes soins. Plus souvent, une nouvelle crainte ranime ses efforts dans son effroi mortel, elle veut tenter encore de retourner en arriĂšre; elle Ă©puise ses forces pour gravir pĂ©niblement un court espace; et bientĂÂŽt un magique pouvoir la replace plus prĂšs de ce danger, que vainement elle avait voulu fuir. Alors n'ayant plus que moi pour guide et pour appui, sans songer Ă me reprocher davantage une chute inĂ©vitable, elle m'implore pour la retarder. Les ferventes priĂšres, les humbles supplications, tout ce que les mortels, dans leur crainte, offrent Ă la DivinitĂ©, c'est moi qui les reçois d'elle; et vous voulez que, sourd Ă ses vĂ âux, et dĂ©truisant moi-mĂÂȘme le culte qu'elle me rend, j'emploie Ă la prĂ©cipiter la puissance qu'elle invoque pour la soutenir! Ah! laissez-moi du moins le temps d'observer ces touchants combats entre l'amour et la vertu. Eh quoi! ce mĂÂȘme spectacle qui vous fait courir au ThĂ©ĂÂątre avec empressement, que vous y applaudissez avec fureur, le croyez-vous moins attachant dans la rĂ©alitĂ©? Ces sentiments d'une ĂÂąme pure et tendre, qui redoute le bonheur qu'elle dĂ©sire, et ne cesse pas de se dĂ©fendre, mĂÂȘme alors qu'elle cesse de rĂ©sister, vous les Ă©coutez avec enthousiasme ne seraient-ils sans prix que pour celui qui les fait naĂtre? VoilĂ pourtant, voilĂ les dĂ©licieuses jouissances que cette femme cĂ©leste m'offre chaque jour; et vous me reprochez d'en savourer les douceurs! Ah! le temps ne viendra que trop tĂÂŽt, oĂÂč, dĂ©gradĂ©e par sa chute, elle ne sera plus pour moi qu'une femme ordinaire. Mais j'oublie, en vous parlant d'elle, que je ne voulais pas vous en parler. Je ne sais quelle puissance m'y attache, m'y ramĂšne sans cesse, mĂÂȘme alors que je l'outrage. Ecartons sa dangereuse idĂ©e; que je redevienne moi-mĂÂȘme pour traiter un sujet plus gai. Il s'agit de votre pupille, Ă prĂ©sent devenue la mienne, et j'espĂšre qu'ici vous allez me reconnaĂtre. Depuis quelques jours, mieux traitĂ© par ma tendre DĂ©vote, et par consĂ©quent moins occupĂ© d'elle, j'avais remarquĂ© que la petite Volanges Ă©tait en effet fort jolie; et que s'il y avait de la sottise Ă en ĂÂȘtre amoureux comme Danceny, peut-ĂÂȘtre n'y en avait-il pas moins de ma part Ă ne pas chercher auprĂšs d'elle une distraction que ma solitude me rendait nĂ©cessaire. Il me parut juste aussi de me payer des soins que je me donnais pour elle je me rappelais en outre que vous me l'aviez offerte, avant que Danceny eĂ»t rien Ă y prĂ©tendre; et je me trouvais fondĂ© Ă rĂ©clamer quelques droits sur un bien qu'il ne possĂ©dait qu'Ă mon refus et par mon abandon. La jolie mine de la petite personne, sa bouche si fraĂche, son air enfantin, sa gaucherie mĂÂȘme fortifiaient ces sages rĂ©flexions; je rĂ©solus d'agir en consĂ©quence, et le succĂšs a couronnĂ© l'entreprise. DĂ©jĂ vous cherchez par quel moyen j'ai supplantĂ© si tĂÂŽt l'amant chĂ©ri; quelle sĂ©duction convient Ă cet ĂÂąge, Ă cette inexpĂ©rience. Epargnez-vous tant de peine, je n'en ai employĂ© aucune. Tandis que, maniant avec adresse les armes de votre sexe, vous triomphiez par la finesse; moi, rendant Ă l'homme ses droits imprescriptibles, je subjuguais par l'autoritĂ©. SĂ»r de saisir ma proie si je pouvais la joindre, je n'avais besoin de ruse que pour m'en approcher, et mĂÂȘme celle dont je me suis servi ne mĂ©rite presque pas ce nom. Je profitai de la premiĂšre lettre que je reçus de Danceny pour sa Belle, et aprĂšs l'en avoir avertie par le signal convenu entre nous, au lieu de mettre mon adresse Ă la lui rendre, je la mis Ă n'en pas trouver le moyen cette impatience que je faisais naĂtre, je feignais de la partager, et aprĂšs avoir causĂ© le mal, j'indiquai le remĂšde. La jeune personne habite une chambre dont une porte donne sur le corridor; mais comme de raison, la mĂšre en avait pris la clef. Il ne s'agissait que de s'en rendre maĂtre. Rien de plus facile dans l'exĂ©cution; je ne demandais que d'en disposer deux heures, et je rĂ©pondais d'en avoir une semblable. Alors correspondances, entrevues, rendez-vous nocturnes; tout devenait commode et sĂ»r cependant, le croiriez-vous? l'enfant timide prit peur et refusa. Un autre s'en serait dĂ©solĂ©; moi, je n'y vis que l'occasion d'un plaisir plus piquant. J'Ă©crivis Ă Danceny pour me plaindre de ce refus, et je fis si bien que notre Ă©tourdi n'eut de cesse qu'il n'eĂ»t obtenu, exigĂ© mĂÂȘme de sa craintive MaĂtresse, qu'elle accordĂÂąt ma demande et se livrĂÂąt toute Ă ma discrĂ©tion. J'Ă©tais bien aise, je l'avoue, d'avoir ainsi changĂ© de rĂÂŽle, et que le jeune homme fĂt pour moi ce qu'il comptait que je ferais pour lui. Cette idĂ©e doublait, Ă mes yeux, le prix de l'aventure aussi dĂšs que j'ai eu la prĂ©cieuse clef, me suis-je hĂÂątĂ© d'en faire usage, c'Ă©tait la nuit derniĂšre. AprĂšs m'ĂÂȘtre assurĂ© que tout Ă©tait tranquille dans le ChĂÂąteau; armĂ© de ma lanterne sourde, et dans la toilette que comportait l'heure et qu'exigeait la circonstance, j'ai rendu ma premiĂšre visite Ă votre pupille. J'avais tout fait prĂ©parer et cela par elle-mĂÂȘme, pour pouvoir entrer sans bruit. Elle Ă©tait dans son premier sommeil, et dans celui de son ĂÂąge; de façon que je suis arrivĂ© jusqu'Ă son lit, sans qu'elle se soit rĂ©veillĂ©e. J'ai d'abord Ă©tĂ© tentĂ© d'aller plus avant, et d'essayer de passer pour un songe; mais craignant l'effet de la surprise et le bruit qu'elle entraĂne, j'ai prĂ©fĂ©rĂ© d'Ă©veiller avec prĂ©caution la jolie dormeuse, et suis en effet parvenu Ă prĂ©venir le cri que je redoutais. AprĂšs avoir calmĂ© ses premiĂšres craintes, comme je n'Ă©tais pas venu lĂ pour causer, j'ai risquĂ© quelques libertĂ©s. Sans doute on ne lui a pas bien appris dans son Couvent Ă combien de pĂ©rils divers est exposĂ©e la timide innocence, et tout ce qu'elle a Ă garder pour n'ĂÂȘtre pas surprise car, portant toute son attention, toutes ses forces Ă se dĂ©fendre d'un baiser, qui n'Ă©tait qu'une fausse attaque, tout le reste Ă©tait laissĂ© sans dĂ©fense; le moyen de n'en pas profiter! J'ai donc changĂ© ma marche, et sur le champ j'ai pris poste. Ici nous avons pensĂ© ĂÂȘtre perdus tous deux la petite fille, tout effarouchĂ©e, a voulu crier de bonne foi; heureusement sa voix s'est Ă©teinte dans les pleurs. Elle s'Ă©tait jetĂ©e aussi au cordon de sa sonnette, mais mon adresse a retenu son bras Ă temps. " Que voulez-vous faire lui ai-je dit alors, vous perdre pour toujours? Qu'on vienne, et que m'importe? Ă qui persuaderez-vous que je ne sois pas ici de votre aveu? Quel autre que vous m'aura fourni le moyen de m'y introduire? et cette clef que je tiens de vous, que je n'ai pu avoir que par vous, vous chargerez-vous d'en indiquer l'usage? " Cette courte harangue n'a calmĂ© ni la douleur, ni la colĂšre, mais elle a amenĂ© la soumission. Je ne sais si j'avais le ton de l'Ă©loquence; au moins est-il vrai que je n'en avais pas le geste. Une main occupĂ©e pour la force, l'autre pour l'amour, quel Orateur pourrait prĂ©tendre Ă la grĂÂące en pareille situation? Si vous vous la peignez bien, vous conviendrez qu'au moins elle Ă©tait favorable Ă l'attaque mais moi, je n'entends rien Ă rien, et comme vous dites, la femme la plus simple, une pensionnaire, me mĂšne comme un enfant. Celle-ci, tout en se dĂ©solant, sentait qu'il fallait prendre un parti, et entrer en composition. Les priĂšres me trouvant inexorable, il a fallu passer aux offres. Vous croyez que j'ai vendu bien cher ce poste important non, j'ai tout promis pour un baiser. Il est vrai que, le baiser pris, je n'ai pas tenu ma promesse mais j'avais de bonnes raisons. Etions-nous convenus qu'il serait pris ou donnĂ©? A force de marchander, nous sommes tombĂ©s d'accord pour un second, et celui-lĂ , il Ă©tait dit qu'il serait reçu. Alors ayant guidĂ© ses bras timides autour de mon corps, et la pressant de l'un des miens plus amoureusement, le doux baiser a Ă©tĂ© reçu en effet; mais bien, mais parfaitement reçu tellement enfin que l'Amour n'aurait pas pu mieux faire. Tant de bonne foi mĂ©ritait rĂ©compense, aussi ai-je aussitĂÂŽt accordĂ© la demande. La main s'est retirĂ©e; mais je ne sais par quel hasard je me suis trouvĂ© moi-mĂÂȘme Ă sa place. Vous me supposez lĂ bien empressĂ©, bien actif, n'est-il pas vrai? point du tout. J'ai pris goĂ»t aux lenteurs, vous dis-je. Une fois sĂ»r d'arriver, pourquoi tant presser le voyage? SĂ©rieusement, j'Ă©tais bien aise d'observer une fois la puissance de l'occasion, et je la trouvais ici dĂ©nuĂ©e de tout secours Ă©tranger. Elle avait pourtant Ă combattre l'amour, et l'amour soutenu par la pudeur ou la honte, et fortifiĂ© surtout par l'humeur que j'avais donnĂ©e, et dont on avait beaucoup pris. L'occasion Ă©tait seule; mais elle Ă©tait lĂ , toujours offerte, toujours prĂ©sente, et l'Amour Ă©tait absent. Pour assurer mes observations, j'avais la malice de n'employer de force que ce qu'on en pouvait combattre. Seulement si ma charmante ennemie, abusant de ma facilitĂ©, se trouvait prĂÂȘte Ă m'Ă©chapper, je la contenais par cette mĂÂȘme crainte, dont j'avais dĂ©jĂ Ă©prouvĂ© les heureux effets. HĂ© bien! sans autre soin, la tendre amoureuse, oubliant ses serments, a cĂ©dĂ© d'abord et fini par consentir non pas qu'aprĂšs ce premier moment les reproches et les larmes ne soient revenus de concert; j'ignore s'ils Ă©taient vrais ou feints mais, comme il arrive toujours, ils ont cessĂ©, dĂšs que je me suis occupĂ© Ă y donner lieu de nouveau. Enfin, de faiblesse en reproche, et de reproche en faiblesse, nous ne nous sommes sĂ©parĂ©s que satisfaits l'un de l'autre, et Ă©galement d'accord pour le rendez-vous de ce soir. Je ne me suis retirĂ© chez moi qu'au point du jour, et j'Ă©tais rendu de fatigue et de sommeil cependant j'ai sacrifiĂ© l'un et l'autre au dĂ©sir de me trouver ce matin au dĂ©jeuner j'aime, de passion, les mines de lendemain. Vous n'avez pas d'idĂ©e de celle-ci. C'Ă©tait un embarras dans le maintien! une difficultĂ© dans la marche! des yeux toujours baissĂ©s, et si gros et si battus! Cette figure si ronde s'Ă©tait tant allongĂ©e! rien n'Ă©tait si plaisant. Et pour la premiĂšre fois, sa mĂšre, alarmĂ©e de ce changement extrĂÂȘme, lui tĂ©moignait un intĂ©rĂÂȘt assez tendre! et la PrĂ©sidente aussi, qui s'empressait autour d'elle! Oh! pour ces soins-lĂ ils ne sont que prĂÂȘtĂ©s; un jour viendra oĂÂč on pourra les lui rendre, et ce jour n'est pas loin. Adieu, ma belle amie. Du ChĂÂąteau de ..., ce 1er octobre 17** LETTRE XCVII CECILE VOLANGES A LA MARQUISE DE MERTEUIL Ah! mon Dieu, Madame, que je suis affligĂ©e! que je suis malheureuse! Qui me consolera dans mes peines? qui me conseillera dans l'embarras oĂÂč je me trouve? Ce M. de Valmont... et Danceny! non, l'idĂ©e de Danceny me met au dĂ©sespoir... Comment vous raconter? comment vous dire?... Je ne sais comment faire. Cependant mon cĂ âur est plein... Il faut que je parle Ă quelqu'un, et vous ĂÂȘtes la seule Ă qui je puisse, Ă qui j'ose me confier. Vous avez tant de bontĂ© pour moi! Mais n'en ayez pas dans ce moment-ci; je n'en suis pas digne que vous dirai-je? je ne le dĂ©sire point. Tout le monde ici m'a tĂ©moignĂ© de l'intĂ©rĂÂȘt aujourd'hui... ils ont tous augmentĂ© ma peine. Je sentais tant que je ne le mĂ©ritais pas! Grondez-moi au contraire; grondez-moi bien, car je suis bien coupable mais aprĂšs, sauvez-moi; si vous n'avez pas la bontĂ© de me conseiller, je mourrai de chagrin. Apprenez donc... ma main tremble, comme vous voyez, je ne peux presque pas Ă©crire, je me sens le visage tout en feu... Ah! c'est bien le rouge de la honte. HĂ© bien! je la souffrirai; ce sera la premiĂšre punition de ma faute. Oui, je vous dirai tout. Vous saurez donc que M. de Valmont, qui m'a remis jusqu'ici les Lettres de M. Danceny, a trouvĂ© tout d'un coup que c'Ă©tait trop difficile; il a voulu avoir une clef de ma chambre. Je puis bien vous assurer que je ne voulais pas; mais il a Ă©tĂ© en Ă©crire Ă Danceny, et Danceny l'a voulu aussi; et moi, ça me fait tant de peine quand je lui refuse quelque chose, surtout depuis mon absence qui le rend si malheureux, que j'ai fini par y consentir. Je ne prĂ©voyais pas le malheur qui en arriverait. Hier, M. de Valmont s'est servi de cette clef pour venir dans ma chambre, comme j'Ă©tais endormie; je m'y attendais si peu, qu'il m'a fait bien peur en me rĂ©veillant; mais comme il m'a parlĂ© tout de suite, je l'ai reconnu, et je n'ai pas criĂ©; et puis l'idĂ©e m'est venue d'abord qu'il venait peut-ĂÂȘtre m'apporter une Lettre de Danceny. C'en Ă©tait bien loin. Un petit moment aprĂšs, il a voulu m'embrasser; et pendant que je me dĂ©fendais, comme c'est naturel, il a si bien fait, que je n'aurais pas voulu pour toute chose au monde... mais, lui voulait un baiser auparavant. Il a bien fallu, car comment faire? d'autant que j'avais essayĂ© d'appeler, mais outre que je n'ai pas pu, il a bien su me dire que, s'il venait quelqu'un, il saurait bien rejeter toute la faute sur moi; et, en effet, c'Ă©tait bien facile, Ă cause de cette clef. Ensuite il ne s'est pas retirĂ© davantage. Il en a voulu un second; et celui-lĂ , je ne savais pas ce qui en Ă©tait, mais il m'a toute troublĂ©e; et aprĂšs, c'Ă©tait encore pis qu'auparavant. Oh! par exemple, c'est bien mal ça. Enfin aprĂšs... , vous m'exempterez bien de dire le reste; mais je suis malheureuse autant qu'on puisse l'ĂÂȘtre. Ce que je me reproche le plus, et dont pourtant il faut que je vous parle, c'est que j'ai peur de ne pas m'ĂÂȘtre dĂ©fendue autant que je le pouvais. Je ne sais pas comment cela se faisait sĂ»rement, je n'aime pas M. de Valmont, bien au contraire; et il y avait des moments oĂÂč j'Ă©tais comme si je l'aimais... Vous jugez bien que ça ne m'empĂÂȘchait pas de lui dire toujours que non mais je sentais bien que je ne faisais pas comme je disais; et ça, c'Ă©tait comme malgrĂ© moi; et puis aussi, j'Ă©tais bien troublĂ©e! S'il est toujours aussi difficile que ça de se dĂ©fendre, il faut y ĂÂȘtre bien accoutumĂ©e! Il est vrai que M. de Valmont a des façons de dire, qu'on ne sait pas comment faire pour lui rĂ©pondre enfin, croiriez-vous que quand il s'en est allĂ©, j'en Ă©tais comme fĂÂąchĂ©e, et que j'ai eu la faiblesse de consentir qu'il revĂnt ce soir ça me dĂ©sole encore plus que tout le reste. Oh! malgrĂ© ça, je vous promets bien que je l'empĂÂȘcherai d'y venir. Il n'a pas Ă©tĂ© sorti, que j'ai bien senti que j'avais eu bien tort de lui promettre. Aussi, j'ai pleurĂ© tout le reste du temps. C'est surtout Danceny qui me faisait de la peine! toutes les fois que je songeais Ă lui, mes pleurs redoublaient que j'en Ă©tais suffoquĂ©e, et j'y songeais toujours... et Ă prĂ©sent encore, vous en voyez l'effet; voilĂ mon papier tout trempĂ©. Non, je ne me consolerai jamais, ne fĂ»t-ce qu'Ă cause de lui... Enfin, je n'en pouvais plus, et pourtant je n'ai pas pu dormir une minute. Et ce matin en me levant, quand je me suis regardĂ©e au miroir, je faisais peur, tant j'Ă©tais changĂ©e. Maman s'en est aperçue dĂšs qu'elle m'a vue et elle m'a demandĂ© ce que j'avais. Moi, je me suis mise Ă pleurer tout de suite. Je croyais qu'elle m'allait gronder, et peut-ĂÂȘtre ça m'aurait fait moins de peine mais, au contraire. Elle m'a parlĂ© avec douceur! Je ne le mĂ©ritais guĂšre. Elle m'a dit de ne pas m'affliger comme ça. Elle ne savait pas le sujet de mon affliction. Que je me rendrais malade! Il y a des moments oĂÂč je voudrais ĂÂȘtre morte. Je n'ai pas pu y tenir. Je me suis jetĂ©e dans ses bras en sanglotant, et en lui disant " Ah! Maman, votre fille est bien malheureuse! " Maman n'a pu s'empĂÂȘcher de pleurer un peu; et tout cela n'a fait qu'augmenter mon chagrin heureusement elle ne m'a pas demandĂ© pourquoi j'Ă©tais si malheureuse, car je n'aurais su que lui dire. Je vous en supplie, Madame, Ă©crivez-moi le plus tĂÂŽt que vous pourrez, et dites-moi ce que je dois faire, car je n'ai le courage de songer Ă rien, et je ne fais que m'affliger. Vous voudrez bien m'adresser votre Lettre par M. de Valmont; mais je vous en prie, si vous lui Ă©crivez en mĂÂȘme temps, ne lui parlez pas que je vous aie rien dit. J'ai l'honneur d'ĂÂȘtre, Madame, avec toujours bien de l'amitiĂ©, votre trĂšs humble et trĂšs obĂ©issante servante... Je n'ose pas signer cette Lettre. Du ChĂÂąteau de ..., ce 1er octobre 17**. LETTRE XCVIII MADAME DE VOLANGES A LA MARQUISE DE MERTEUIL Il y a bien peu de jours, ma charmante amie, que c'Ă©tait vous qui me demandiez des consolations et des conseils aujourd'hui, c'est mon tour; et je vous fais pour moi la mĂÂȘme demande que vous me faisiez pour vous. Je suis bien rĂ©ellement affligĂ©e, et je crains de n'avoir pas pris les meilleurs moyens pour Ă©viter les chagrins que j'Ă©prouve. C'est ma fille qui cause mon inquiĂ©tude. Depuis mon dĂ©part je l'avais bien vue toujours triste et chagrine; mais je m'y attendais, et j'avais armĂ© mon cĂ âur d'une sĂ©vĂ©ritĂ© que je jugeais nĂ©cessaire. J'espĂ©rais que l'absence, les distractions dĂ©truiraient bientĂÂŽt un amour que je regardais plutĂÂŽt comme une erreur de l'enfance que comme une vĂ©ritable passion. Cependant, loin d'avoir rien gagnĂ© depuis mon sĂ©jour ici, je m'aperçois que cet enfant se livre de plus en plus Ă une mĂ©lancolie dangereuse; et je crains, tout de bon, que sa santĂ© ne s'altĂšre. ParticuliĂšrement depuis quelques jours elle change Ă vue d'oeil. Hier, surtout, elle me frappa, et tout le monde ici en fut vraiment alarmĂ©. Ce qui me prouve encore combien elle est affectĂ©e vivement, c'est que je la vois prĂÂȘte Ă surmonter la timiditĂ© qu'elle a toujours eue avec moi. Hier matin, sur la simple demande que je lui fis si elle Ă©tait malade, elle se prĂ©cipita dans mes bras en me disant qu'elle Ă©tait bien malheureuse; et elle pleura aux sanglots. Je ne puis vous rendre la peine qu'elle m'a faite; les larmes me sont venues aux yeux tout de suite et je n'ai eu que le temps de me dĂ©tourner, pour empĂÂȘcher qu'elle ne me vĂt. Heureusement j'ai eu la prudence de ne lui faire aucune question, et elle n'a pas osĂ© m'en dire davantage mais il n'en est pas moins clair que c'est cette malheureuse passion qui la tourmente. Quel parti prendre pourtant, si cela dure? ferai-je le malheur de ma fille? tournerai-je contre elle les qualitĂ©s les plus prĂ©cieuses de l'ĂÂąme, la sensibilitĂ© et la constance? est-ce pour cela que je suis sa mĂšre? et quand j'Ă©toufferais ce sentiment si naturel qui nous fait vouloir le bonheur de nos enfants; quand je regarderais comme une faiblesse ce que je crois, au contraire, le premier, le plus sacrĂ© de nos devoirs; si je force son choix, n'aurai-je pas Ă rĂ©pondre des suites funestes qu'il peut avoir? Quel usage Ă faire de l'autoritĂ© maternelle que de placer sa fille entre le crime et le malheur! Mon amie, je n'imiterai pas ce que j'ai blĂÂąmĂ© si souvent. J'ai pu, sans doute, tenter de faire un choix pour ma fille; je ne faisais en cela que l'aider de mon expĂ©rience ce n'Ă©tait pas un droit que j'exerçais, je remplissais un devoir. J'en trahirais un, au contraire, en disposant d'elle au mĂ©pris d'un penchant que je n'ai pas su empĂÂȘcher de naĂtre et dont ni elle, ni moi ne pouvons connaĂtre ni l'Ă©tendue ni la durĂ©e. Non, je ne souffrirai point qu'elle Ă©pouse celui-ci pour aimer celui-lĂ , et j'aime mieux compromettre mon autoritĂ© que sa vertu. Je crois donc que je vais prendre le parti le plus sage de retirer la parole que j'ai donnĂ©e Ă M. de Gercourt. Vous venez d'en voir les raisons; elles me paraissent devoir l'emporter sur mes promesses. Je dis plus dans l'Ă©tat oĂÂč sont les choses, remplir mon engagement, ce serait vĂ©ritablement le violer. Car enfin, si je dois Ă ma fille de ne pas livrer son secret Ă M. de Gercourt, je dois au moins Ă celui-ci de ne pas abuser de l'ignorance oĂÂč je le laisse, et de faire pour lui tout ce que je crois qu'il ferait lui-mĂÂȘme, s'il Ă©tait instruit. Irai-je, au contraire, le trahir indignement, quand il se livre Ă ma foi, et, tandis qu'il m'honore en me choisissant pour sa seconde mĂšre, le tromper dans le choix qu'il veut faire de la mĂšre de ses enfants? Ces rĂ©flexions si vraies et auxquelles je ne peux me refuser m'alarment plus que je ne puis vous dire. Aux malheurs qu'elles me font redouter, je compare ma fille, heureuse avec l'Ă©poux que son cĂ âur a choisi, ne connaissant ses devoirs que par la douceur qu'elle trouve Ă les remplir; mon gendre Ă©galement satisfait et se fĂ©licitant, chaque jour, de son choix; chacun d'eux ne trouvant de bonheur que dans le bonheur de l'autre, et celui de tous deux se rĂ©unissant pour augmenter le mien. L'espoir d'un avenir si doux doit-il ĂÂȘtre sacrifiĂ© Ă de vaines considĂ©rations? Et quelles sont celles qui me retiennent? uniquement des vues d'intĂ©rĂÂȘt. De quel avantage sera-t-il donc pour ma fille d'ĂÂȘtre nĂ©e riche, si elle n'en doit pas moins ĂÂȘtre esclave de la fortune? Je conviens que M. de Gercourt est un parti meilleur, peut-ĂÂȘtre, que je ne devais l'espĂ©rer pour ma fille; j'avoue mĂÂȘme que j'ai Ă©tĂ© extrĂÂȘmement flattĂ©e du choix qu'il a fait d'elle. Mais enfin, Danceny est d'une aussi bonne maison que lui; il ne lui cĂšde en rien pour les qualitĂ©s personnelles; il a sur M. de Gercourt l'avantage d'aimer et d'ĂÂȘtre aimĂ© il n'est pas riche Ă la vĂ©ritĂ©; mais ma fille ne l'est-elle pas assez pour eux deux? Ah! pourquoi lui ravir la satisfaction si douce d'enrichir ce qu'elle aime! Ces mariages qu'on calcule au lieu de les assortir, qu'on appelle de convenance, et oĂÂč tout se convient en effet, hors les goĂ»ts et les caractĂšres, ne sont-ils pas la source la plus fĂ©conde de ces Ă©clats scandaleux qui deviennent tous les jours plus frĂ©quents? J'aime mieux diffĂ©rer au moins j'aurai le temps d'Ă©tudier ma fille que je ne connais pas. Je me sens bien le courage de lui causer un chagrin passager, si elle en doit recueillir un bonheur plus solide mais de risquer de la livrer Ă un dĂ©sespoir Ă©ternel, cela n'est pas dans mon cĂ âur. VoilĂ , ma chĂšre amie, les idĂ©es qui me tourmentent, et sur quoi je rĂ©clame vos conseils. Ces objets sĂ©vĂšres contrastent beaucoup avec votre aimable gaietĂ©, et ne paraissent guĂšre de votre ĂÂąge mais votre raison l'a tant devancĂ©! Votre amitiĂ© d'ailleurs aidera votre prudence; et je ne crains point que l'une ou l'autre se refusent Ă la sollicitude maternelle qui les implore. Adieu, ma charmante amie; ne doutez jamais de la sincĂ©ritĂ© de mes sentiments. Du ChĂÂąteau de ..., ce 2 octobre 17**. LETTRE XCIX LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Encore de petits Ă©vĂ©nements, ma belle amie; mais des scĂšnes seulement, point d'actions. Ainsi, armez-vous de patience; prenez-en mĂÂȘme beaucoup car tandis que ma PrĂ©sidente marche Ă si petits pas, votre pupille recule, et c'est bien pis encore. HĂ© bien! j'ai le bon esprit de m'amuser de ces misĂšres-lĂ . VĂ©ritablement je m'accoutume fort bien Ă mon sĂ©jour ici; et je puis dire que dans le triste ChĂÂąteau de ma vieille tante, je n'ai pas Ă©prouvĂ© un moment d'ennui. Au fait, n'y ai-je pas jouissances, privations, espoir, incertitude? Qu'a- t-on de plus sur un plus grand thĂ©ĂÂątre? des spectateurs? HĂ©! laissez faire, ils ne me manqueront pas. S'ils ne me voient pas Ă l'ouvrage, je leur montrerai ma besogne faite; ils n'auront plus qu'Ă admirer et applaudir. Oui, ils applaudiront; car je puis enfin prĂ©dire, avec certitude, le moment de la chute de mon austĂšre DĂ©vote. J'ai assistĂ© ce soir Ă l'agonie de la vertu. La douce faiblesse va rĂ©gner Ă sa place. Je n'en fixe pas l'Ă©poque plus tard qu'Ă notre premiĂšre entrevue mais dĂ©jĂ je vous entends crier Ă l'orgueil. Annoncer sa victoire, se vanter Ă l'avance. HĂ©, lĂ , lĂ , calmez-vous! Pour vous prouver ma modestie, je vais commencer par l'histoire de ma dĂ©faite. En vĂ©ritĂ©, votre pupille est une petite personne bien ridicule! C'est bien un enfant qu'il faudrait traiter comme tel, et Ă qui on ferait grĂÂące en ne le mettant qu'en pĂ©nitence! Croiriez-vous qu'aprĂšs ce qui s'est passĂ© avant-hier entre elle et moi, aprĂšs la façon amicale dont nous nous sommes quittĂ©s hier matin; lorsque j'ai voulu y retourner le soir, comme elle en Ă©tait convenue, j'ai trouvĂ© sa porte fermĂ©e en dedans? Qu'en dites-vous? on Ă©prouve quelquefois de ces enfantillages-lĂ la veille mais le lendemain! cela n'est-il pas plaisant? Je n'en ai pourtant pas ri d'abord, jamais je n'avais autant senti l'empire de mon caractĂšre. AssurĂ©ment j'allais Ă ce rendez-vous sans plaisir, et uniquement par procĂ©dĂ©. Mon lit, dont j'avais grand besoin, me semblait, pour le moment, prĂ©fĂ©rable Ă celui de tout autre, et je ne m'en Ă©tais Ă©loignĂ© qu'Ă regret. Cependant je n'ai pas eu plutĂÂŽt trouvĂ© un obstacle que je brĂ»lais de le franchir; j'Ă©tais humiliĂ©, surtout, qu'un enfant m'eĂ»t jouĂ©. Je me retirai donc avec beaucoup d'humeur et dans le projet de ne plus me mĂÂȘler de ce sot enfant, ni de ses affaires, je lui avais Ă©crit, sur-le-champ, un billet que je comptais lui remettre aujourd'hui, et oĂÂč je l'Ă©valuais Ă son juste prix. Mais, comme on dit, la nuit porte conseil; j'ai trouvĂ© ce matin que, n'ayant pas ici le choix des distractions, il fallait garder celle-lĂ ; j'ai donc supprimĂ© le sĂ©vĂšre billet. Depuis que j'y ai rĂ©flĂ©chi, je ne reviens pas d'avoir eu l'idĂ©e de finir une aventure, avant d'avoir en main de quoi en perdre l'HĂ©roĂÂŻne. OĂÂč nous mĂšne pourtant un premier mouvement! Heureux, ma belle amie, qui a su, comme vous, s'accoutumer Ă n'y jamais cĂ©der. Enfin j'ai diffĂ©rĂ© ma vengeance; j'ai fait ce sacrifice Ă vos vues sur Gercourt. A prĂ©sent que je ne suis plus en colĂšre, je ne vois plus que du ridicule dans la conduite de votre pupille. En effet, je voudrais bien savoir ce qu'elle espĂšre gagner par lĂ ! pour moi je m'y perds si ce n'est que pour se dĂ©fendre, il faut convenir qu'elle s'y prend un peu tard. Il faudra bien qu'un jour elle me dise le mot de cette Ă©nigme! J'ai grande envie de le savoir. C'est peut-ĂÂȘtre seulement qu'elle se trouvait fatiguĂ©e? franchement cela se pourrait; car sans doute elle ignore encore que les flĂšches de l'Amour, comme la lance d'Achille, portent avec elles le remĂšde aux blessures qu'elles font. Mais non, Ă sa petite grimace de toute la journĂ©e, je parierais qu'il entre lĂ -dedans du repentir... lĂ ... quelque chose... comme de la vertu... De la vertu!... c'est bien Ă elle qu'il convient d'en avoir! Ah! qu'elle la laisse Ă la femme vĂ©ritablement nĂ©e pour elle, la seule qui sache l'embellir, qui la ferait aimer!... Pardon, ma belle amie mais c'est ce soir mĂÂȘme que s'est passĂ©e, entre Madame de Tourvel et moi, la scĂšne dont j'ai Ă vous rendre compte, et j'en conserve encore quelque Ă©motion. J'ai besoin de me faire violence pour me distraire de l'impression qu'elle m'a faite, c'est mĂÂȘme pour m'y aider, que je me suis mis Ă vous Ă©crire. Il faut pardonner quelque chose Ă ce premier moment. Il y a dĂ©jĂ quelques jours que nous sommes d'accord, Madame de Tourvel et moi, sur nos sentiments; nous ne disputons plus que sur les mots. C'Ă©tait toujours, Ă la vĂ©ritĂ©, son amitiĂ© qui rĂ©pondait Ă mon amour mais ce langage de convention ne changeait pas le fond des choses; et quand nous serions restĂ©s ainsi, j'en aurais peut-ĂÂȘtre Ă©tĂ© moins vite, mais non pas moins sĂ»rement. DĂ©jĂ mĂÂȘme il n'Ă©tait plus question de m'Ă©loigner, comme elle le voulait d'abord; et pour les entretiens que nous avons journellement, si je mets mes soins Ă lui en offrir l'occasion, elle met les siens Ă la saisir. Comme c'est ordinairement Ă la promenade que se passent nos petits rendez- vous, le temps affreux qu'il a fait tout aujourd'hui ne me laissait rien espĂ©rer j'en Ă©tais mĂÂȘme vraiment contrariĂ©; je ne prĂ©voyais pas combien je devais gagner Ă ce contretemps. Ne pouvant se promener, on s'est mis Ă jouer en sortant de table; et comme je joue peu, et que je ne suis plus nĂ©cessaire, j'ai pris ce temps pour monter chez moi, sans autre projet que d'y attendre, Ă peu prĂšs, la fin de la partie. Je retournais joindre le cercle, quand j'ai trouvĂ© la charmante femme qui entrait dans son appartement, et qui, soit imprudence ou faiblesse, m'a dit de sa douce voix " OĂÂč allez-vous donc? Il n'y a personne au salon. " Il ne m'en a pas fallu davantage, comme vous pouvez croire, pour essayer d'entrer chez elle; j'y ai trouvĂ© moins de rĂ©sistance que je ne m'y attendais. Il est vrai que j'avais eu la prĂ©caution de commencer la conversation Ă la porte, et de la commencer indiffĂ©rente; mais Ă peine avons-nous Ă©tĂ© Ă©tablis, que j'ai ramenĂ© la vĂ©ritable, et que j'ai parlĂ© de mon amour Ă mon amie . Sa premiĂšre rĂ©ponse, quoique simple, m'a paru assez expressive " Oh! tenez, m'a-t-elle dit, ne parlons pas de cela ici " , et elle tremblait. La pauvre femme! elle se voit mourir. Pourtant elle avait tort de craindre. Depuis quelque temps, assurĂ© du succĂšs un jour ou l'autre, et la voyant user tant de force dans d'inutiles combats, j'avais rĂ©solu de mĂ©nager les miennes, et d'attendre sans effort qu'elle se rendĂt de lassitude. Vous sentez bien qu'ici il faut un triomphe complet, et que je ne veux rien devoir Ă l'occasion. C'Ă©tait mĂÂȘme d'aprĂšs ce plan formĂ©, et pour pouvoir ĂÂȘtre pressant, sans m'engager trop, que je suis revenu Ă ce mot d'amour, si obstinĂ©ment refusĂ©; sĂ»r qu'on me croyait assez d'ardeur, j'ai essayĂ© un ton plus tendre. Ce refus ne me fĂÂąchait plus, il m'affligeait; ma sensible amie ne me devait-elle pas quelques consolations? Tout en me consolant, une main Ă©tait restĂ©e dans la mienne; le joli corps Ă©tait appuyĂ© sur mon bras, et nous Ă©tions extrĂÂȘmement rapprochĂ©s. Vous avez sĂ»rement remarquĂ© combien, dans cette situation, Ă mesure que la dĂ©fense mollit, les demandes et les refus se passent de plus prĂšs; comment la tĂÂȘte se dĂ©tourne et les regards se baissent, tandis que les discours, toujours prononcĂ©s d'une voix faible, deviennent rares et entrecoupĂ©s. Ces symptĂÂŽmes prĂ©cieux annoncent, d'une maniĂšre non Ă©quivoque, le consentement de l'ĂÂąme mais rarement a-t-il encore passĂ© jusqu'aux sens; je crois mĂÂȘme qu'il est toujours dangereux de tenter alors quelque entreprise trop marquĂ©e; parce que cet Ă©tat d'abandon n'Ă©tant jamais sans un plaisir trĂšs doux, on ne saurait forcer d'en sortir, sans causer une humeur qui tourne infailliblement au profit de la dĂ©fense. Mais, dans le cas prĂ©sent, la prudence m'Ă©tait d'autant plus nĂ©cessaire, que j'avais surtout Ă redouter l'effroi que cet oubli d'elle-mĂÂȘme ne manquerait pas de causer Ă ma tendre rĂÂȘveuse. Aussi cet aveu que je demandais, je n'exigeais pas mĂÂȘme qu'il fĂ»t prononcĂ©; un regard pouvait suffire; un seul regard, et j'Ă©tais heureux. Ma belle amie, les beaux yeux se sont en effet levĂ©s sur moi, la bouche cĂ©leste a mĂÂȘme prononcĂ© " Eh bien! oui, je... " Mais tout Ă coup le regard s'est Ă©teint, la voix a manquĂ©, et cette femme adorable est tombĂ©e dans mes bras. A peine avais-je eu le temps de l'y recevoir, que se dĂ©gageant avec une force convulsive, la vue Ă©garĂ©e, et les mains Ă©levĂ©es vers le Ciel... " Dieu... ĂÂŽ mon Dieu, sauvez-moi " , s'est-elle Ă©criĂ©e; et sur-le-champ, plus prompte que l'Ă©clair, elle Ă©tait Ă genoux Ă dix pas de moi. Je l'entendais prĂÂȘte Ă suffoquer. Je me suis avancĂ© pour la secourir; mais elle, prenant mes mains qu'elle baignait de pleurs, quelquefois mĂÂȘme embrassant mes genoux " Oui, ce sera vous, disait-elle, ce sera vous qui me sauverez! Vous ne voulez pas ma mort, laissez-moi; sauvez-moi; laissez-moi; au nom de Dieu, laissez-moi! " Et ces discours peu suivis s'Ă©chappaient Ă peine Ă travers des sanglots redoublĂ©s. Cependant elle me tenait avec une force qui ne m'aurait pas permis de m'Ă©loigner; alors rassemblant les miennes, je l'ai soulevĂ©e dans mes bras. Au mĂÂȘme instant les pleurs ont cessĂ©; elle ne parlait plus; tous ses membres se sont roidis, et de violentes convulsions ont succĂ©dĂ© Ă cet orage. J'Ă©tais, je l'avoue, vivement Ă©mu, et je crois que j'aurais consenti Ă sa demande, quand les circonstances ne m'y auraient pas forcĂ©. Ce qu'il y a de vrai, c'est qu'aprĂšs lui avoir donnĂ© quelques secours, je l'ai laissĂ©e comme elle m'en priait, et que je m'en fĂ©licite. DĂ©jĂ j'en ai presque reçu le prix. Je m'attendais qu'ainsi que le jour de ma premiĂšre dĂ©claration, elle ne se montrerait pas de la soirĂ©e. Mais vers les huit heures, elle est descendue au salon, et a seulement annoncĂ© au cercle qu'elle s'Ă©tait trouvĂ©e fort incommodĂ©e. Sa figure Ă©tait abattue, sa voix faible, et son maintien composĂ©; mais son regard Ă©tait doux, et souvent il s'est fixĂ© sur moi. Son refus de jouer m'ayant mĂÂȘme obligĂ© de prendre sa place, elle a pris la sienne Ă mon cĂÂŽtĂ©. Pendant le souper, elle est restĂ©e seule dans le salon. Quand on y est revenu, j'ai cru m'apercevoir qu'elle avait pleurĂ© pour m'en Ă©claircir, je lui ai dit qu'il me semblait qu'elle s'Ă©tait encore ressentie de son incommoditĂ©; Ă quoi elle m'a obligeamment rĂ©pondu " Ce mal-lĂ ne s'en va pas si vite qu'il vient! " Enfin quand on s'est retirĂ©, je lui ai donnĂ© la main; et Ă la porte de son appartement elle a serrĂ© la mienne avec force. Il est vrai que ce mouvement m'a paru avoir quelque chose d'involontaire mais tant mieux; c'est une preuve de plus de mon empire. Je parierais qu'Ă prĂ©sent elle est enchantĂ©e d'en ĂÂȘtre lĂ tous les frais sont faits; il ne reste plus qu'Ă jouir. Peut-ĂÂȘtre, pendant que je vous Ă©cris, s'occupe-t-elle dĂ©jĂ de cette douce idĂ©e! et quand mĂÂȘme elle s'occuperait, au contraire, d'un nouveau projet de dĂ©fense, ne savons-nous pas bien ce que deviennent tous ces projets-lĂ ? Je vous le demande, cela peut-il aller plus loin que notre prochaine entrevue? Je m'attends bien, par exemple, qu'il y aura quelques façons pour l'accorder, mais bon! le premier pas franchi, ces Prudes austĂšres savent-elles s'arrĂÂȘter? leur amour est une vĂ©ritable explosion; la rĂ©sistance y donne plus de force. Ma farouche DĂ©vote courrait aprĂšs moi, si je cessais de courir aprĂšs elle. Enfin, ma belle amie, incessamment j'arriverai chez vous, pour vous sommer de votre parole. Vous n'avez pas oubliĂ© sans doute ce que vous m'avez promis aprĂšs le succĂšs; cette infidĂ©litĂ© Ă votre Chevalier? ĂÂȘtes-vous prĂÂȘte? pour moi je le dĂ©sire comme si nous ne nous Ă©tions jamais connus. Au reste, vous connaĂtre est peut-ĂÂȘtre une raison pour le dĂ©sirer davantage Je suis juste, et ne suis point galant [VOLTAIRE, ComĂ©die de Nanine]. Aussi ce sera la premiĂšre infidĂ©litĂ© que je ferai Ă ma grave conquĂÂȘte; et je vous promets de profiter du premier prĂ©texte pour m'absenter vingt-quatre heures d'auprĂšs d'elle. Ce sera sa punition, de m'avoir tenu si longtemps Ă©loignĂ© de vous. Savez-vous que voilĂ plus de deux mois que cette aventure m'occupe? oui, deux mois et trois jours; il est vrai que je compte demain, puisqu'elle ne sera vĂ©ritablement consommĂ©e qu'alors. Cela me rappelle que Mademoiselle de B*** a rĂ©sistĂ© les trois mois complets. Je suis bien aise de voir que la franche coquetterie a plus de dĂ©fense que l'austĂšre vertu. Adieu, ma belle amie; il faut vous quitter, car il est fort tard. Cette Lettre m'a menĂ© plus loin que je ne comptais; mais comme j'envoie demain matin Ă Paris, j'ai voulu en profiter, pour vous faire partager un jour plus tĂÂŽt la joie de votre ami. Du ChĂÂąteau de ..., ce 2 octobre 17**, au soir. LETTRE C LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Mon amie, je suis jouĂ©, trahi, perdu; je suis au dĂ©sespoir Madame de Tourvel est partie. Elle est partie, et je ne l'ai pas su! et je n'Ă©tais pas lĂ pour m'opposer Ă son dĂ©part, pour lui reprocher son indigne trahison! Ah! ne croyez pas que je l'eusse laissĂ©e partir, elle serait restĂ©e; oui, elle serait restĂ©e, eussĂ©-je dĂ» employer la violence. Mais quoi! dans ma crĂ©dule sĂ©curitĂ©, je dormais tranquillement; je dormais, et la foudre est tombĂ©e sur moi. Non, je ne conçois rien Ă ce dĂ©part il faut renoncer Ă connaĂtre les femmes. Quand je me rappelle la journĂ©e d'hier! que dis-je? la soirĂ©e mĂÂȘme! Ce regard si doux, cette voix si tendre! et cette main serrĂ©e! et pendant ce temps, elle projetait de me fuir! Ăâ femmes, femmes! Plaignez-vous donc, si l'on vous trompe! Mais oui, toute perfidie qu'on emploie est un vol qu'on vous fait. Quel plaisir j'aurai Ă me venger! je la retrouverai, cette femme perfide; je reprendrai mon empire sur elle. Si l'amour m'a suffi pour en trouver les moyens, que ne fera-t-il pas, aidĂ© de la vengeance? Je la verrai encore Ă mes genoux, tremblante et baignĂ©e de pleurs, me criant merci de sa trompeuse voix; et moi, je serai sans pitiĂ©. Que fait-elle Ă prĂ©sent? que pense-t-elle? Peut-ĂÂȘtre elle s'applaudit de m'avoir trompĂ©; et fidĂšle aux goĂ»ts de son sexe, ce plaisir lui paraĂt le plus doux. Ce que n'a pu la vertu tant vantĂ©e, l'esprit de ruse l'a produit sans effort. InsensĂ©! je redoutais sa sagesse; c'Ă©tait sa mauvaise foi que je devais craindre. Et ĂÂȘtre obligĂ© de dĂ©vorer mon ressentiment! n'oser montrer qu'une tendre douleur, quand j'ai le cĂ âur rempli de rage! me voir rĂ©duit Ă supplier encore une femme rebelle, qui s'est soustraite Ă mon empire! devais-je donc ĂÂȘtre humiliĂ© Ă ce point? et par qui? par une femme timide, et qui jamais ne s'est exercĂ©e Ă combattre. A quoi me sert de m'ĂÂȘtre Ă©tabli dans son cĂ âur, de l'avoir embrasĂ© de tous les feux de l'amour, d'avoir portĂ© jusqu'au dĂ©lire le trouble de ses sens; si tranquille dans sa retraite, elle peut aujourd'hui s'enorgueillir de sa fuite plus que moi de mes victoires? Et je le souffrirais? mon amie, vous ne le croyez pas; vous n'avez pas de moi cette humiliante idĂ©e! Mais quelle fatalitĂ© m'attache Ă cette femme? cent autres ne dĂ©sirent-elles pas mes soins? ne s'empresseront-elles pas d'y rĂ©pondre? quand mĂÂȘme aucune ne vaudrait celle-ci, l'attrait de la variĂ©tĂ©, le charme des nouvelles conquĂÂȘtes, l'Ă©clat de leur nombre, n'offrent-ils pas des plaisirs assez doux? Pourquoi courir aprĂšs celui qui nous fuit, et nĂ©gliger ceux qui se prĂ©sentent? Ah! pourquoi?... Je l'ignore, mais je l'Ă©prouve fortement. Il n'est plus pour moi de bonheur, de repos, que par la possession de cette femme que je hais et que j'aime avec une Ă©gale fureur. Je ne supporterai mon sort que du moment oĂÂč je disposerai du sien. Alors tranquille et satisfait, je la verrai, Ă son tour, livrĂ©e aux orages que j'Ă©prouve en ce moment, j'en exciterai mille autres encore. L'espoir et la crainte, la mĂ©fiance et la sĂ©curitĂ©, tous les maux inventĂ©s par la haine, tous les biens accordĂ©s par l'amour, je veux qu'ils remplissent son cĂ âur, qu'ils s'y succĂšdent Ă ma volontĂ©. Ce temps viendra... Mais que de travaux encore! que j'en Ă©tais prĂšs hier, et qu'aujourd'hui je m'en vois Ă©loignĂ©! Comment m'en rapprocher? je n'ose tenter aucune dĂ©marche; je sens que pour prendre un parti il faudrait ĂÂȘtre plus calme, et mon sang bout dans mes veines. Ce qui redouble mon tourment, c'est le sang-froid avec lequel chacun rĂ©pond ici Ă mes questions sur cet Ă©vĂ©nement, sur sa cause, sur tout ce qu'il offre d'extraordinaire. Personne ne sait rien, personne ne dĂ©sire de rien savoir Ă peine en aurait-on parlĂ©, si j'avais consenti qu'on parlĂÂąt d'autre chose. Madame de Rosemonde, chez qui j'ai couru ce matin quand j'ai appris cette nouvelle, m'a rĂ©pondu avec le froid de son ĂÂąge que c'Ă©tait la suite naturelle de l'indisposition que Madame de Tourvel avait eue hier; qu'elle avait craint une maladie, et qu'elle avait prĂ©fĂ©rĂ© d'ĂÂȘtre chez elle elle trouve cela tout simple, elle en aurait fait autant, m'a-t-elle dit, comme s'il pouvait y avoir quelque chose de commun entre elles deux! entre elle, qui n'a plus qu'Ă mourir; et l'autre, qui fait le charme et le tourment de ma vie! Madame de Volanges, que d'abord j'avais soupçonnĂ©e d'ĂÂȘtre complice, ne paraĂt affectĂ©e que de n'avoir pas Ă©tĂ© consultĂ©e sur cette dĂ©marche. Je suis bien aise, je l'avoue, qu'elle n'ait pas eu le plaisir de me nuire. Cela me prouve encore qu'elle n'a pas, autant que je le craignais, la confiance de cette femme; c'est toujours une ennemie de moins. Comme elle se fĂ©liciterait, si elle savait que c'est moi qu'on a fui! comme elle se serait gonflĂ©e d'orgueil, si c'eĂ»t Ă©tĂ© par ses conseils! comme son importance en aurait redoublĂ©! Mon Dieu! que je la hais! Oh! je renouerai avec sa fille; je veux la travailler Ă ma fantaisie aussi bien, je crois que je resterai ici quelque temps; au moins, le peu de rĂ©flexions que j'ai pu faire me porte Ă ce parti. Ne croyez-vous pas, en effet, qu'aprĂšs une dĂ©marche aussi marquĂ©e, mon ingrate doit redouter ma prĂ©sence? Si donc l'idĂ©e lui est venue que je pourrais la suivre, elle n'aura pas manquĂ© de me fermer sa porte; et je ne veux pas plus l'accoutumer Ă ce moyen, qu'en souffrir l'humiliation. J'aime mieux lui annoncer au contraire que je reste ici; je lui ferai mĂÂȘme des instances pour qu'elle y revienne; et quand elle sera bien persuadĂ©e de mon absence, j'arriverai chez elle nous verrons comment elle supportera cette entrevue. Mais il faut la diffĂ©rer pour en augmenter l'effet, et je ne sais encore si j'en aurai la patience j'ai eu, vingt fois dans la journĂ©e, la bouche ouverte pour demander mes chevaux. Cependant je prendrai sur moi; je m'engage Ă recevoir votre rĂ©ponse ici; je vous demande seulement, ma belle amie, de ne pas me la faire attendre. Ce qui me contrarierait le plus serait de ne pas savoir ce qui se passe mais mon Chasseur, qui est Ă Paris, a des droits Ă quelque accĂšs auprĂšs de la Femme de chambre il pourra me servir. Je lui envoie une instruction et de l'argent. Je vous prie de trouver bon que je joigne l'un et l'autre Ă cette Lettre, et aussi d'avoir soin de les lui envoyer par un de vos gens, avec ordre de les lui remettre Ă lui-mĂÂȘme. Je prends cette prĂ©caution, parce que le drĂÂŽle a l'habitude de n'avoir jamais reçu les Lettres que je lui Ă©cris, quand elles lui prescrivent quelque chose qui le gĂÂȘne; et que, pour le moment, il ne me paraĂt pas aussi Ă©pris de sa conquĂÂȘte que je voudrais qu'il le fĂ»t. Adieu, ma belle amie; s'il vous vient quelque idĂ©e heureuse, quelque moyen de hĂÂąter ma marche, faites-m'en part. J'ai Ă©prouvĂ© plus d'une fois combien votre amitiĂ© pouvait ĂÂȘtre utile; je l'Ă©prouve encore en ce moment; car je me sens plus calme depuis que je vous Ă©cris; au moins, je parle Ă quelqu'un qui m'entend, et non aux automates prĂšs de qui je vĂ©gĂšte depuis ce matin. En vĂ©ritĂ©, plus je vais, et plus je suis tentĂ© de croire qu'il n'y a que vous et moi dans le monde, qui valions quelque chose. Du ChĂÂąteau de ..., ce 3 octobre 17**. LETTRE CI LE VICOMTE DE VALMONT A AZOLAN, SON CHASSEUR. JOINTE A LA PRECEDENTE. Il faut que vous soyez bien imbĂ©cile, vous qui ĂÂȘtes parti d'ici ce matin, de n'avoir pas su que Madame de Tourvel en partait aussi; ou, si vous l'avez su, de n'ĂÂȘtre pas venu m'en avertir. A quoi sert-il donc que vous dĂ©pensiez mon argent Ă vous enivrer avec les Valets; que le temps que vous devriez employer Ă me servir, vous le passiez Ă faire l'agrĂ©able auprĂšs des Femmes de chambre, si je n'en suis pas mieux informĂ© de ce qui se passe? VoilĂ pourtant de vos nĂ©gligences! Mais je vous prĂ©viens que s'il vous en arrive une seule dans cette affaire-ci, ce sera la derniĂšre que vous aurez Ă mon service. Il faut que vous m'instruisiez de tout ce qui se passe chez Madame de Tourvel de sa santĂ©, si elle dort; si elle est triste ou gaie; si elle sort souvent, et chez qui elle va; si elle reçoit du monde chez elle, et qui y vient; Ă quoi elle passe son temps, si elle a de l'humeur avec ses Femmes, particuliĂšrement avec celle qu'elle avait amenĂ©e ici; ce qu'elle fait, quand elle est seule; si, quand elle lit, elle lit de suite, ou si elle interrompt sa lecture pour rĂÂȘver; de mĂÂȘme quand elle Ă©crit. Songez aussi Ă vous rendre l'ami de celui qui porte ses Lettres Ă la Poste. Offrez-vous souvent Ă lui pour faire cette commission Ă sa place et quand il acceptera, ne faites partir que celles qui vous paraĂtront indiffĂ©rentes, et envoyez-moi les autres, surtout celles Ă Madame de Volanges, si vous en rencontrez. Arrangez-vous pour ĂÂȘtre encore quelque temps l'amant heureux de votre Julie. Si elle en a un autre, comme vous l'avez cru, faites-la consentir Ă se partager; et n'allez pas vous piquer d'une ridicule dĂ©licatesse vous serez dans le cas de bien d'autres, qui valent mieux que vous. Si pourtant votre second se rendait trop importun; si vous vous aperceviez, par exemple, qu'il occupĂÂąt trop Julie pendant la journĂ©e, et qu'elle en fĂ»t moins souvent auprĂšs de sa MaĂtresse, Ă©cartez-le par quelque moyen, ou cherchez-lui querelle n'en craignez pas les suites, je vous soutiendrai. Surtout ne quittez pas cette maison. C'est par l'assiduitĂ© qu'on voit tout, et qu'on voit bien. Si mĂÂȘme le hasard faisait renvoyer quelqu'un des Gens, prĂ©sentez-vous pour le remplacer, comme n'Ă©tant plus Ă moi. Dites, dans ce cas, que vous m'avez quittĂ© pour chercher une maison plus tranquille et plus rĂ©glĂ©e. TĂÂąchez enfin de vous faire accepter. Je ne vous en garderai pas moins Ă mon service pendant ce temps; ce sera comme chez la Duchesse de ***; et par la suite, Madame de Tourvel vous en rĂ©compensera de mĂÂȘme. Si vous aviez assez d'adresse et de zĂšle, cette instruction devrait suffire; mais pour supplĂ©er Ă l'un et Ă l'autre, je vous envoie de l'argent. Le billet ci-joint vous autorise, comme vous verrez, Ă toucher vingt-cinq louis chez mon homme d'affaires; car je ne doute pas que vous ne soyez sans le sou. Vous emploierez de cette somme ce qui sera nĂ©cessaire pour dĂ©cider Julie Ă Ă©tablir une correspondance avec moi. Le reste servira Ă faire boire les Gens. Ayez soin, autant que cela se pourra, que ce soit chez le Suisse de la maison, afin qu'il aime Ă vous y voir venir. Mais n'oubliez pas que ce ne sont pas vos plaisirs que je veux payer, mais vos services. Accoutumez Julie Ă observer tout et Ă tout rapporter, mĂÂȘme ce qui lui paraĂtrait minutieux. Il vaut mieux qu'elle Ă©crive dix phrases inutiles, que d'en omettre une intĂ©ressante; et souvent ce qui paraĂt indiffĂ©rent ne l'est pas. Comme il faut que je puisse ĂÂȘtre instruit sur-le-champ, s'il arrivait quelque chose qui vous parĂ»t mĂ©riter attention, aussitĂÂŽt cette Lettre reçue, vous enverrez Philippe, sur le cheval de commission, s'Ă©tablir Ă ... [Village Ă moitiĂ© chemin de Paris au chĂÂąteau de Madame de Rosemonde]; il y restera jusqu'Ă nouvel ordre; ce sera un relais en cas de besoin. Pour la correspondance courante, la Poste suffira. Prenez garde de perdre cette Lettre. Relisez-la tous les jours, tant pour vous assurer de ne rien oublier, que pour ĂÂȘtre sĂ»r de l'avoir encore. Faites enfin tout ce qu'il faut faire, quand on est honorĂ© de ma confiance. Vous savez que, si je suis content de vous, vous le serez de moi. Du ChĂÂąteau de ..., ce 3 octobre 17**. LETTRE CII LA PRESIDENTE DE TOURVEL A MADAME DE ROSEMONDE Vous serez bien Ă©tonnĂ©e, Madame, en apprenant que je pars de chez vous aussi prĂ©cipitamment. Cette dĂ©marche va vous paraĂtre bien extraordinaire mais que votre surprise va redoubler encore quand vous en saurez les raisons! Peut-ĂÂȘtre trouverez-vous qu'en vous les confiant, je ne respecte pas assez la tranquillitĂ© nĂ©cessaire Ă votre ĂÂąge; que je m'Ă©carte mĂÂȘme des sentiments de vĂ©nĂ©ration qui vous sont dus Ă tant de titres? Ah! Madame, pardon mais mon cĂ âur est oppressĂ©; il a besoin d'Ă©pancher sa douleur dans le sein d'une amie Ă©galement douce et prudente quelle autre que vous pouvait-il choisir? Regardez-moi comme votre enfant. Ayez pour moi les bontĂ©s maternelles; je les implore. J'y ai peut-ĂÂȘtre quelques droits par mes sentiments pour vous. OĂÂč est le temps oĂÂč, tout entiĂšre Ă ces sentiments louables, je ne connaissais point ceux qui, portant dans l'ĂÂąme le trouble mortel que j'Ă©prouve, ĂÂŽtent la force de les combattre en mĂÂȘme temps qu'ils en imposent le devoir? Ah! ce fatal voyage m'a perdue... Que vous dirai-je enfin? j'aime, oui, j'aime Ă©perdument. HĂ©las! ce mot que j'Ă©cris pour la premiĂšre fois, ce mot si souvent demandĂ© sans ĂÂȘtre obtenu, je payerais de ma vie la douceur de pouvoir une fois seulement le faire entendre Ă celui qui l'inspire; et pourtant il faut le refuser sans cesse! Il va douter encore de mes sentiments; il croira avoir Ă s'en plaindre. Je suis bien malheureuse! Que ne lui est-il aussi facile de lire dans mon cĂ âur que d'y rĂ©gner? Oui, je souffrirais moins, s'il savait tout ce que je souffre; mais vous-mĂÂȘme, Ă qui je le dis, vous n'en aurez encore qu'une faible idĂ©e. Dans peu de moments, je vais le fuir et l'affliger. Tandis qu'il se croira encore prĂšs de moi, je serai dĂ©jĂ loin de lui Ă l'heure oĂÂč j'avais coutume de le voir chaque jour, je serai dans des lieux oĂÂč il n'est jamais venu, oĂÂč je ne dois pas permettre qu'il vienne. DĂ©jĂ tous mes prĂ©paratifs sont faits; tout est lĂ , sous mes yeux; je ne puis les reposer sur rien qui ne m'annonce ce cruel dĂ©part. Tout est prĂÂȘt, exceptĂ© moi!... et plus mon cĂ âur s'y refuse, plus il me prouve la nĂ©cessitĂ© de m'y soumettre. Je m'y soumettrai sans doute, il vaut mieux mourir que de vivre coupable. DĂ©jĂ , je le sens, je ne le suis que trop; je n'ai sauvĂ© que ma sagesse, la vertu s'est Ă©vanouie. Faut-il vous l'avouer, ce qui me reste encore, je le dois Ă sa gĂ©nĂ©rositĂ©. EnivrĂ©e du plaisir de le voir, de l'entendre, de la douceur de le sentir auprĂšs de moi, du bonheur plus grand de pouvoir faire le sien, j'Ă©tais sans puissance et sans force; Ă peine m'en restait-il pour combattre, je n'en avais plus pour rĂ©sister; je frĂ©missais de mon danger, sans pouvoir le fuir. HĂ© bien! il a vu ma peine, et il a eu pitiĂ© de moi. Comment ne le chĂ©rirais-je pas? Je lui dois bien plus que la vie. Ah! si en restant auprĂšs de lui je n'avais Ă trembler que pour elle, ne croyez pas que jamais je consentisse Ă m'Ă©loigner. Que m'est-elle sans lui, ne serais-je pas trop heureuse de la perdre? CondamnĂ©e Ă faire Ă©ternellement son malheur et le mien; Ă n'oser ni me plaindre, ni le consoler; Ă me dĂ©fendre chaque jour contre lui, contre moi-mĂÂȘme; Ă mettre mes soins Ă causer sa peine, quand je voudrais les consacrer tous Ă son bonheur. Vivre ainsi n'est-ce pas mourir mille fois? VoilĂ pourtant quel va ĂÂȘtre mon sort. Je le supporterai cependant, j'en aurai le courage. Ăâ vous, que je choisis pour ma mĂšre, recevez-en le serment! Recevez aussi celui que je fais de ne vous dĂ©rober aucune de mes actions; recevez-le, je vous en conjure; je vous le demande comme un secours dont j'ai besoin ainsi, engagĂ©e Ă vous dire tout, je m'accoutumerai Ă me croire toujours en votre prĂ©sence. Votre vertu remplacera la mienne. Jamais, sans doute, je ne consentirai Ă rougir Ă vos yeux; et retenue par ce frein puissant, tandis que je chĂ©rirai en vous l'indulgente amie, confidente de ma faiblesse, j'y honorerai encore l'Ange tutĂ©laire qui me sauvera de la honte. C'est bien en Ă©prouver assez que d'avoir Ă faire cette demande. Fatal effet d'une prĂ©somptueuse confiance! pourquoi n'ai-je pas redoutĂ© plus tĂÂŽt ce penchant que j'ai senti naĂtre? Pourquoi me suis-je flattĂ©e de pouvoir Ă mon grĂ© le maĂtriser ou le vaincre? InsensĂ©e! je connaissais bien peu l'amour! Ah! si je l'avais combattu avec plus de soin, peut-ĂÂȘtre eĂ»t-il pris moins d'empire! peut-ĂÂȘtre alors ce dĂ©part n'eĂ»t pas Ă©tĂ© nĂ©cessaire; ou mĂÂȘme, en me soumettant Ă ce parti douloureux, j'aurais pu ne pas rompre entiĂšrement une liaison qu'il eĂ»t suffi de rendre moins frĂ©quente! Mais tout perdre Ă la fois! et pour jamais! Ăâ mon amie!... Mais quoi! mĂÂȘme en vous Ă©crivant, je m'Ă©gare encore dans des vĂ âux criminels. Ah! partons, partons, et que du moins ces torts involontaires soient expiĂ©s par mes sacrifices. Adieu, ma respectable amie; aimez-moi comme votre fille, adoptez-moi pour telle; et soyez sĂ»re que, malgrĂ© ma faiblesse, j'aimerais mieux mourir que de me rendre indigne de votre choix. De ..., ce 3 octobre 17**, Ă une heure du matin. LETTRE CIII MADAME DE ROSEMONDE A LA PRESIDENTE DE TOURVEL J'ai Ă©tĂ©, ma chĂšre Belle, plus affligĂ©e de votre dĂ©part que surprise de sa cause; une longue expĂ©rience et l'intĂ©rĂÂȘt que vous inspirez avaient suffi pour m'Ă©clairer sur l'Ă©tat de votre cĂ âur; et s'il faut tout dire, vous ne m'avez rien ou presque rien appris par votre Lettre. Si je n'avais Ă©tĂ© instruite que par elle, j'ignorerais encore quel est celui que vous aimez; car en me parlant de lui tout le temps, vous n'avez pas Ă©crit son nom une seule fois. Je n'en avais pas besoin; je sais bien qui c'est. Mais je le remarque, parce que je me suis rappelĂ© que c'est toujours lĂ le style de l'amour. Je vois qu'il en est encore comme au temps passĂ©. Je ne croyais guĂšre ĂÂȘtre jamais dans le cas de revenir sur des souvenirs si Ă©loignĂ©s de moi, et si Ă©trangers Ă mon ĂÂąge. Pourtant, depuis hier, je m'en suis vraiment beaucoup occupĂ©e, par le dĂ©sir que j'avais d'y trouver quelque chose qui pĂ»t vous ĂÂȘtre utile. Mais que puis-je faire, que vous admirer et vous plaindre? Je loue le parti sage que vous avez pris mais il m'effraie, parce que j'en conclus que vous l'avez jugĂ© nĂ©cessaire; et quand on en est lĂ , il est bien difficile de se tenir toujours Ă©loignĂ©e de celui dont notre cĂ âur nous rapproche sans cesse. Cependant ne vous dĂ©couragez pas. Rien ne doit ĂÂȘtre impossible Ă votre belle ĂÂąme; et quand vous devriez un jour avoir le malheur de succomber ce qu'Ă Dieu ne plaise!, croyez-moi, ma chĂšre Belle, rĂ©servez-vous au moins la consolation d'avoir combattu de toute votre puissance. Et puis, ce que ne peut la sagesse humaine, la grĂÂące divine l'opĂšre quand il lui plaĂt. Peut-ĂÂȘtre ĂÂȘtes- vous Ă la veille de ses secours; et votre vertu, Ă©prouvĂ©e dans ces combats terribles, en sortira plus pure, et plus brillante. La force que vous n'avez pas aujourd'hui, espĂ©rez que vous la recevrez demain. N'y comptez pas pour vous en reposer sur elle, mais pour vous encourager Ă user de toutes les vĂÂŽtres. En laissant Ă la Providence le soin de vous secourir dans un danger contre lequel je ne peux rien, je me rĂ©serve de vous soutenir et vous consoler autant qu'il sera en moi. Je ne soulagerai pas vos peines, mais je les partagerai. C'est Ă ce titre que je recevrai volontiers vos confidences. Je sens que votre cĂ âur doit avoir besoin de s'Ă©pancher. Je vous ouvre le mien; l'ĂÂąge ne l'a pas encore refroidi au point d'ĂÂȘtre insensible Ă l'amitiĂ©. Vous le trouverez toujours prĂÂȘt Ă vous recevoir. Ce sera un faible soulagement Ă vos douleurs, mais au moins vous ne pleurerez pas seule et quand ce malheureux amour, prenant trop d'empire sur vous, vous forcera d'en parler, il vaut mieux que ce soit avec moi qu'avec lui . VoilĂ que je parle comme vous; et je crois qu'Ă nous deux nous ne parviendrons pas Ă le nommer; au reste, nous nous entendons. Je ne sais si je fais bien de vous dire qu'il m'a paru vivement affectĂ© de votre dĂ©part; il serait peut-ĂÂȘtre plus sage de ne vous en pas parler mais je n'aime pas cette sagesse qui afflige ses amis. Je suis pourtant forcĂ©e de n'en pas parler plus longtemps. Ma vue dĂ©bile et ma main tremblante ne me permettent pas de longues Lettres, quand il faut les Ă©crire moi-mĂÂȘme. Adieu donc, ma chĂšre Belle; adieu, mon aimable enfant; oui, je vous adopte volontiers pour ma fille, et vous avez bien tout ce qu'il faut pour faire l'orgueil et le plaisir d'une mĂšre. Du ChĂÂąteau de ..., ce 3 octobre 17**. LETTRE CIV LA MARQUISE DE MERTEUIL A MADAME DE VOLANGES En vĂ©ritĂ©, ma chĂšre et bonne amie, j'ai eu peine Ă me dĂ©fendre d'un mouvement d'orgueil, en lisant votre Lettre. Quoi! vous m'honorez de votre entiĂšre confiance! vous allez mĂÂȘme jusqu'Ă me demander des conseils! Ah! je suis bien heureuse, si je mĂ©rite cette opinion favorable de votre part si je ne la dois pas seulement Ă la prĂ©vention de l'amitiĂ©. Au reste, quel qu'en soit le motif, elle n'en est pas moins prĂ©cieuse Ă mon cĂ âur; et l'avoir obtenue n'est Ă mes yeux qu'une raison de plus pour travailler davantage Ă la mĂ©riter. Je vais donc mais sans prĂ©tendre vous donner un avis vous dire librement ma façon de penser. Je m'en mĂ©fie, parce qu'elle diffĂšre de la vĂÂŽtre; mais quand je vous aurai exposĂ© mes raisons, vous les jugerez; et si vous les condamnez, je souscris d'avance Ă votre jugement. J'aurai au moins cette sagesse de ne pas me croire plus sage que vous. Si pourtant, et pour cette seule fois, mon avis se trouvait prĂ©fĂ©rable, il faudrait en chercher la cause dans les illusions de l'amour maternel. Puisque ce sentiment est louable, il doit se trouver en vous. Qu'il se reconnaĂt bien en effet dans le parti que vous ĂÂȘtes tentĂ©e de prendre! c'est ainsi que, s'il vous arrive d'errer quelquefois, ce n'est jamais que dans le choix des vertus. La prudence est, Ă ce qu'il me semble, celle qu'il faut prĂ©fĂ©rer, quand on dispose du sort des autres, et surtout quand il s'agit de le fixer par un lien indissoluble et sacrĂ©, tel que celui du mariage. C'est alors qu'une mĂšre, Ă©galement sage et tendre, doit comme vous le dites si bien, aider sa fille de son expĂ©rience . Or, je vous le demande, qu'a-t-elle Ă faire pour y parvenir? sinon de distinguer pour elle, entre ce qui plaĂt et ce qui convient. Ne serait-ce donc pas avilir l'autoritĂ© maternelle, ne serait-ce pas l'anĂ©antir, que de la subordonner Ă un goĂ»t frivole dont la puissance illusoire ne se fait sentir qu'Ă ceux qui la redoutent, et disparaĂt sitĂÂŽt qu'on la mĂ©prise? Pour moi, je l'avoue, je n'ai jamais cru Ă ces passions entraĂnantes et irrĂ©sistibles, dont il semble qu'on soit convenu de faire l'excuse gĂ©nĂ©rale de nos dĂ©rĂšglements. Je ne conçois point comment un goĂ»t, qu'un moment voit naĂtre et qu'un autre voit mourir, peut avoir plus de force que les principes inaltĂ©rables de pudeur, d'honnĂÂȘtetĂ© et de modestie; et je n'entends pas plus qu'une femme qui les trahit puisse ĂÂȘtre justifiĂ©e par sa passion prĂ©tendue, qu'un voleur ne le serait par la passion de l'argent, ou un assassin par celle de la vengeance. Eh! qui peut dire n'avoir jamais eu Ă combattre? Mais j'ai toujours cherchĂ© Ă me persuader que, pour rĂ©sister, il suffisait de le vouloir, et jusqu'alors au moins, mon expĂ©rience a confirmĂ© mon opinion. Que serait la vertu, sans les devoirs qu'elle impose? son culte est dans nos sacrifices, sa rĂ©compense dans nos cĂ âurs. Ces vĂ©ritĂ©s ne peuvent ĂÂȘtre niĂ©es que par ceux qui ont intĂ©rĂÂȘt de les mĂ©connaĂtre; et qui, dĂ©jĂ dĂ©pravĂ©s, espĂšrent faire un moment illusion, en essayant de justifier leur mauvaise conduite par de mauvaises raisons. Mais pourrait-on le craindre d'un enfant simple et timide; d'un enfant nĂ© de vous, et dont l'Ă©ducation modeste et pure n'a pu que fortifier l'heureux naturel? C'est pourtant Ă cette crainte, que j'ose dire humiliante pour votre fille, que vous voulez sacrifier le mariage avantageux que votre prudence avait mĂ©nagĂ© pour elle! J'aime beaucoup Danceny; et depuis longtemps, comme vous savez, je vois peu M. de Gercourt; mais mon amitiĂ© pour l'un, mon indiffĂ©rence pour l'autre, ne m'empĂÂȘchent point de sentir l'Ă©norme diffĂ©rence qui se trouve entre ces deux partis. Leur naissance est Ă©gale, j'en conviens; mais l'un est sans fortune, et celle de l'autre est telle que, mĂÂȘme sans naissance, elle aurait suffi pour le mener Ă tout. J'avoue bien que l'argent ne fait pas le bonheur; mais il faut avouer aussi qu'il le facilite beaucoup. Mademoiselle de Volanges est, comme vous le dites, assez riche pour deux cependant, soixante mille livres de rente dont elle va jouir ne sont pas dĂ©jĂ tant quand on porte le nom de Danceny, quand il faut monter et soutenir une maison qui y rĂ©ponde. Nous ne sommes plus au temps de Madame de SĂ©vignĂ©. Le luxe absorbe tout on le blĂÂąme, mais il faut l'imiter, et le superflu finit par priver du nĂ©cessaire. Quant aux qualitĂ©s personnelles que vous comptez pour beaucoup, et avec beaucoup de raison, assurĂ©ment M. de Gercourt est sans reproche de ce cĂÂŽtĂ©; et Ă lui, ses preuves sont faites. J'aime Ă croire, et je crois qu'en effet Danceny ne lui cĂšde en rien; mais en sommes-nous aussi sĂ»res? Il est vrai qu'il a paru jusqu'ici exempt des dĂ©fauts de son ĂÂąge, et que malgrĂ© le ton du jour il montre un goĂ»t pour la bonne compagnie qui fait augurer favorablement de lui mais qui sait si cette sagesse apparente, il ne la doit pas Ă la mĂ©diocritĂ© de sa fortune? Pour peu qu'on craigne d'ĂÂȘtre fripon ou crapuleux, il faut de l'argent pour ĂÂȘtre joueur et libertin, et l'on peut encore aimer les dĂ©fauts dont on redoute les excĂšs. Enfin il ne serait pas le milliĂšme qui aurait vu la bonne compagnie uniquement faute de pouvoir mieux faire. Je ne dis pas Ă Dieu ne plaise! que je croie tout cela de lui mais ce serait toujours un risque Ă courir; et quels reproches n'auriez-vous pas Ă vous faire, si l'Ă©vĂ©nement n'Ă©tait pas heureux! Que rĂ©pondriez-vous Ă votre fille, qui vous dirait " Ma mĂšre, j'Ă©tais jeune et sans expĂ©rience; j'Ă©tais mĂÂȘme sĂ©duite par une erreur pardonnable Ă mon ĂÂąge mais le Ciel, qui avait prĂ©vu ma faiblesse, m'avait accordĂ© une mĂšre sage, pour y remĂ©dier et m'en garantir. Pourquoi donc, oubliant votre prudence, avez-vous consenti Ă mon malheur? Ă©tait-ce Ă moi Ă me choisir un Ă©poux, quand je ne connaissais rien de l'Ă©tat du mariage? Quand je l'aurais voulu, n'Ă©tait-ce pas Ă vous Ă vous y opposer? Mais je n'ai jamais eu cette folle volontĂ©. DĂ©cidĂ©e Ă vous obĂ©ir, j'ai attendu votre choix avec une respectueuse rĂ©signation; jamais je ne me suis Ă©cartĂ©e de la soumission que je vous devais, et cependant je porte aujourd'hui la peine qui n'est due qu'aux enfants rebelles. Ah! votre faiblesse m'a perdue ... " Peut-ĂÂȘtre son respect Ă©toufferait-il ces plaintes; mais l'amour maternel les devinerait et les larmes de votre fille, pour ĂÂȘtre dĂ©robĂ©es, n'en couleraient pas moins sur votre cĂ âur. OĂÂč chercherez-vous alors vos consolations? Sera-ce dans ce fol amour, contre lequel vous auriez dĂ» l'armer, et par qui au contraire vous vous serez laissĂ© sĂ©duire? J'ignore, ma chĂšre amie, si j'ai contre cette passion une prĂ©vention trop forte; mais je la crois redoutable, mĂÂȘme dans le mariage. Ce n'est pas que je dĂ©sapprouve qu'un sentiment honnĂÂȘte et doux vienne embellir le lien conjugal, et adoucir en quelque sorte les devoirs qu'il impose; mais ce n'est pas Ă lui qu'il appartient de le former; ce n'est pas Ă l'illusion d'un moment Ă rĂ©gler le choix de notre vie. En effet, pour choisir, il faut comparer; et comment le pouvoir, quand un seul objet nous occupe; quand celui-lĂ mĂÂȘme on ne peut le connaĂtre, plongĂ© que l'on est dans l'ivresse et l'aveuglement? J'ai rencontrĂ©, comme vous pouvez croire, plusieurs femmes atteintes de ce mal dangereux; j'ai reçu les confidences de quelques-unes. A les entendre, il n'en est point dont l'Amant ne soit un ĂÂȘtre parfait mais ces perfections chimĂ©riques n'existent que dans leur imagination. Leur tĂÂȘte exaltĂ©e ne rĂÂȘve qu'agrĂ©ments et vertus; elles en parent Ă plaisir celui qu'elles prĂ©fĂšrent c'est la draperie d'un Dieu, portĂ©e souvent par un modĂšle abject mais quel qu'il soit, Ă peine l'en ont-elles revĂÂȘtu, que, dupes de leur propre ouvrage, elles se prosternent pour l'adorer. Ou votre fille n'aime pas Danceny, ou elle Ă©prouve cette mĂÂȘme illusion; elle est commune Ă tous deux, si leur amour est rĂ©ciproque. Ainsi votre raison pour les unir Ă jamais se rĂ©duit Ă la certitude qu'ils ne se connaissent pas, qu'ils ne peuvent se connaĂtre. Mais me direz-vous, M. de Gercourt et ma fille se connaissent-ils davantage? Non, sans doute; mais au moins ne s'abusent-ils pas, ils s'ignorent seulement. Qu'arrive-t-il dans ce cas entre deux Ă©poux que je suppose honnĂÂȘtes? c'est que chacun d'eux Ă©tudie l'autre, s'observe vis-Ă -vis de lui, cherche et reconnaĂt bientĂÂŽt ce qu'il faut qu'il cĂšde de ses goĂ»ts et de ses volontĂ©s, pour la tranquillitĂ© commune. Ces lĂ©gers sacrifices se font sans peine, parce qu'ils sont rĂ©ciproques et qu'on les a prĂ©vus bientĂÂŽt ils font naĂtre une bienveillance mutuelle; et l'habitude, qui fortifie tous les penchants qu'elle ne dĂ©truit pas, amĂšne peu Ă peu cette douce amitiĂ©, cette tendre confiance, qui, jointes Ă l'estime, forment, ce me semble, le vĂ©ritable, le solide bonheur des mariages. Les illusions de l'amour peuvent ĂÂȘtre plus douces; mais qui ne sait aussi qu'elles sont moins durables? et quels dangers n'amĂšne pas le moment qui les dĂ©truit! C'est alors que les moindres dĂ©fauts paraissent choquants et insupportables, par le contraste qu'ils forment avec l'idĂ©e de perfection qui nous avait sĂ©duits. Chacun des deux Ă©poux croit cependant que l'autre seul a changĂ©, et que lui vaut toujours ce qu'un moment d'erreur l'avait fait apprĂ©cier. Le charme qu'il n'Ă©prouve plus, il s'Ă©tonne de ne le plus faire naĂtre; il en est humiliĂ© la vanitĂ© blessĂ©e aigrit les esprits, augmente les torts, produit l'humeur, enfante la haine; et de frivoles plaisirs sont payĂ©s enfin par de longues infortunes. VoilĂ , ma chĂšre amie, ma façon de penser sur l'objet qui nous occupe; je ne la dĂ©fends pas, je l'expose seulement; c'est Ă vous Ă dĂ©cider. Mais si vous persistez dans votre avis, je vous demande de me faire connaĂtre les raisons qui auront combattu les miennes je serai bien aise de m'Ă©clairer auprĂšs de vous, et surtout d'ĂÂȘtre rassurĂ©e sur le sort de votre aimable enfant, dont je dĂ©sire bien ardemment le bonheur, et par mon amitiĂ© pour elle, et par celle qui m'unit Ă vous pour la vie. Paris, ce 4 octobre 17**. LETTRE CV LA MARQUISE DE MERTEUIL A CECILE VOLANGES HĂ© bien! Petite, vous voilĂ donc bien fĂÂąchĂ©e, bien honteuse, et ce M. de Valmont est un mĂ©chant homme, n'est-ce pas? Comment! il ose vous traiter comme la femme qu'il aimerait le mieux! Il vous apprend ce que vous mouriez d'envie de savoir! En vĂ©ritĂ©, ces procĂ©dĂ©s-lĂ sont impardonnables. Et vous, de votre cĂÂŽtĂ©, vous voulez garder votre sagesse pour votre Amant qui n'en abuse pas; vous ne chĂ©rissez de l'amour que les peines, et non les plaisirs! Rien de mieux, et vous figurerez Ă merveille dans un Roman. De la passion, de l'infortune, de la vertu par-dessus tout, que de belles choses! Au milieu de ce brillant cortĂšge, on s'ennuie quelquefois Ă la vĂ©ritĂ©, mais on le rend bien. Voyez donc, la pauvre enfant, comme elle est Ă plaindre! Elle avait les yeux battus le lendemain! Et que diriez-vous donc, quand ce seront ceux de votre Amant? Allez, mon bel Ange, vous ne les aurez pas toujours ainsi; tous les hommes ne sont pas des Valmont. Et puis, ne plus oser lever ces yeux-lĂ ! Oh! par exemple, vous avez eu bien raison; tout le monde y aurait lu votre aventure. Croyez-moi cependant, s'il en Ă©tait ainsi, nos Femmes et mĂÂȘme nos Demoiselles auraient le regard plus modeste. MalgrĂ© les louanges que je suis forcĂ©e de vous donner, comme vous voyez, il faut convenir pourtant que vous avez manquĂ© votre chef-d'Ă âuvre; c'Ă©tait de tout dire Ă votre Maman. Vous aviez si bien commencĂ©! dĂ©jĂ vous vous Ă©tiez jetĂ©e dans ses bras, vous sanglotiez, elle pleurait aussi; quelle scĂšne pathĂ©tique! et quel dommage de ne l'avoir pas achevĂ©e! Votre tendre mĂšre, toute ravie d'aise, et pour aider Ă votre vertu, vous aurait cloĂtrĂ©e, pour toute votre vie; et lĂ vous auriez aimĂ© Danceny tant que vous auriez voulu, sans rivaux et sans pĂ©chĂ©; vous vous seriez dĂ©solĂ©e tout Ă votre aise; et Valmont, Ă coup sĂ»r, n'aurait pas Ă©tĂ© troubler votre douleur par de contrariants plaisirs. SĂ©rieusement peut-on, Ă quinze ans passĂ©s, ĂÂȘtre enfant comme vous l'ĂÂȘtes? Vous avez bien raison de dire que vous ne mĂ©ritez pas mes bontĂ©s. Je voulais pourtant ĂÂȘtre votre amie vous en avez besoin peut-ĂÂȘtre avec la mĂšre que vous avez, et le mari qu'elle veut vous donner! Mais si vous ne vous formez pas davantage, que voulez-vous qu'on fasse de vous? Que peut-on espĂ©rer, si ce qui fait venir l'esprit aux filles semble au contraire vous l'ĂÂŽter? Si vous pouviez prendre sur vous de raisonner un moment, vous trouveriez bientĂÂŽt que vous devez vous fĂ©liciter au lieu de vous plaindre. Mais vous ĂÂȘtes honteuse, et cela vous gĂÂȘne! HĂ©! tranquillisez-vous; la honte que cause l'amour est comme sa douleur on ne l'Ă©prouve qu'une fois. On peut encore la feindre aprĂšs; mais on ne la sent plus. Cependant le plaisir reste, et c'est bien quelque chose. Je crois mĂÂȘme avoir dĂ©mĂÂȘlĂ©, Ă travers votre petit bavardage, que vous pourriez le compter pour beaucoup. Allons, un peu de bonne foi. LĂ , ce trouble qui vous empĂÂȘchait de faire comme vous disiez , qui vous faisait trouver si difficile de se dĂ©fendre , qui vous rendait comme fĂÂąchĂ©e , quand Valmont s'en est allĂ©, Ă©tait-ce bien la honte qui le causait? ou si c'Ă©tait le plaisir? et ses façons de dire auxquelles on ne sait comment rĂ©pondre , cela ne viendrait-il pas de ses façons de faire? Ah! petite fille, vous mentez, et vous mentez Ă votre amie! Cela n'est pas bien. Mais brisons lĂ . Ce qui pour tout le monde serait un plaisir, et pourrait n'ĂÂȘtre que cela, devient dans votre situation un vĂ©ritable bonheur. En effet, placĂ©e entre une mĂšre dont il vous importe d'ĂÂȘtre aimĂ©e, et un Amant dont vous dĂ©sirez de l'ĂÂȘtre toujours, comment ne voyez-vous pas que le seul moyen d'obtenir ces succĂšs opposĂ©s est de vous occuper d'un tiers? Distraite par cette nouvelle aventure, tandis que vis-Ă -vis de votre Maman vous aurez l'air de sacrifier Ă votre soumission pour elle un goĂ»t qui lui dĂ©plaĂt, vous acquerrez vis-Ă -vis de votre Amant l'honneur d'une belle dĂ©fense. En l'assurant sans cesse de votre amour, vous ne lui en accorderez pas les derniĂšres preuves. Ces refus, si peu pĂ©nibles dans le cas oĂÂč vous serez, il ne manquera pas de les mettre sur le compte de votre vertu; il s'en plaindra peut-ĂÂȘtre, mais il vous en aimera davantage, et pour avoir le double mĂ©rite, aux yeux de l'un de sacrifier l'amour, Ă ceux de l'autre, d'y rĂ©sister, il ne vous en coĂ»tera que d'en goĂ»ter les plaisirs. Oh! combien de femmes ont perdu leur rĂ©putation, qui l'eussent conservĂ©e avec soin, si elles avaient pu la soutenir par de pareils moyens! Ce parti que je vous propose, ne vous paraĂt-il pas le plus raisonnable, comme le plus doux? Savez-vous ce que vous avez gagnĂ© Ă celui que vous avez pris? c'est que votre Maman a attribuĂ© votre redoublement de tristesse Ă un redoublement d'amour, qu'elle en est outrĂ©e, et que pour vous en punir elle n'attend que d'en ĂÂȘtre plus sĂ»re. Elle vient de m'en Ă©crire; elle tentera tout pour obtenir cet aveu de vous-mĂÂȘme. Elle ira, peut-ĂÂȘtre, me dit-elle, jusqu'Ă vous proposer Danceny pour Ă©poux; et cela pour vous engager Ă parler. Et si, vous laissant sĂ©duire par cette trompeuse tendresse, vous rĂ©pondiez, selon votre cĂ âur, bientĂÂŽt renfermĂ©e pour longtemps, peut-ĂÂȘtre pour toujours, vous pleureriez Ă loisir votre aveugle crĂ©dulitĂ©. Cette ruse qu'elle veut employer contre vous, il faut la combattre par une autre. Commencez donc, en lui montrant moins de tristesse, Ă lui faire croire que vous songez moins Ă Danceny. Elle se le persuadera d'autant plus facilement, que c'est l'effet ordinaire de l'absence; et elle vous en saura d'autant plus de grĂ©, qu'elle y trouvera une occasion de s'applaudir de sa prudence, qui lui a suggĂ©rĂ© ce moyen. Mais si, conservant quelque doute, elle persistait pourtant Ă vous Ă©prouver, et qu'elle vĂnt Ă vous parler de mariage, renfermez-vous, en fille bien nĂ©e, dans une parfaite soumission. Au fait, qu'y risquez-vous? Pour ce qu'on fait d'un mari, l'un vaut toujours bien l'autre; et le plus incommode est encore moins gĂÂȘnant qu'une mĂšre. Une fois plus contente de vous, votre Maman vous mariera enfin; et alors, plus libre dans vos dĂ©marches, vous pourrez, Ă votre choix, quitter Valmont pour prendre Danceny, ou mĂÂȘme les garder tous deux. Car, prenez-y garde, votre Danceny est gentil mais c'est un de ces hommes qu'on a quand on veut et tant qu'on veut; on peut donc se mettre Ă l'aise avec lui. Il n'en est pas de mĂÂȘme de Valmont on le garde difficilement; et il est dangereux de le quitter. Il faut avec lui beaucoup d'adresse, ou, quand on n'en a pas, beaucoup de docilitĂ©. Mais, aussi, si vous pouviez parvenir Ă vous l'attacher comme ami, ce serait lĂ un bonheur! il vous mettrait tout de suite au premier rang de nos femmes Ă la mode. C'est comme cela qu'on acquiert une consistance dans le monde, et non pas Ă rougir et Ă pleurer, comme quand vos Religieuses vous faisaient dĂner Ă genoux. Vous tĂÂącherez donc, si vous ĂÂȘtes sage, de vous raccommoder avec Valmont, qui doit ĂÂȘtre trĂšs en colĂšre contre vous; et comme il faut savoir rĂ©parer ses sottises, ne craignez pas de lui faire quelques avances; aussi bien apprendrez- vous bientĂÂŽt, que si les hommes nous font les premiĂšres, nous sommes presque toujours obligĂ©es de faire les secondes. Vous avez un prĂ©texte pour celles-ci car il ne faut pas que vous gardiez cette Lettre; et j'exige de vous de la remettre Ă Valmont aussitĂÂŽt que vous l'aurez lue. N'oubliez pas pourtant de la recacheter auparavant. D'abord, c'est qu'il faut vous laisser le mĂ©rite de la dĂ©marche que vous ferez vis-Ă -vis de lui, et qu'elle n'ait pas l'air de vous avoir Ă©tĂ© conseillĂ©e; et puis, c'est qu'il n'y a que vous au monde dont je sois assez l'amie pour vous parler comme je fais. Adieu, bel Ange, suivez mes conseils, et vous me manderez si vous vous en trouvez bien. A propos, j'oubliais... un mot encore. Voyez donc Ă soigner davantage votre style. Vous Ă©crivez toujours comme un enfant. Je vois bien d'oĂÂč cela vient; c'est que vous dites tout ce que vous pensez, et rien de ce que vous ne pensez pas. Cela peut passer ainsi de vous Ă moi, qui devons n'avoir rien de cachĂ© l'une pour l'autre mais avec tout le monde! avec votre Amant surtout! vous auriez toujours l'air d'une petite sotte. Vous voyez bien que, quand vous Ă©crivez Ă quelqu'un, c'est pour lui et non pas pour vous vous devez donc moins chercher Ă lui dire ce que vous pensez, que ce qui lui plaĂt davantage. Adieu, mon cĂ âur je vous embrasse au lieu de vous gronder dans l'espĂ©rance que vous serez plus raisonnable. Paris, ce 4 octobre 17**. LETTRE CVI LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT A merveille, Vicomte, et pour le coup, je vous aime Ă la fureur! Au reste, aprĂšs la premiĂšre de vos deux Lettres, on pouvait s'attendre Ă la seconde aussi ne m'a-t-elle point Ă©tonnĂ©e; et tandis que dĂ©jĂ fier de vos succĂšs Ă venir, vous en sollicitiez la rĂ©compense, et que vous me demandiez si j'Ă©tais prĂÂȘte, je voyais bien que je n'avais pas tant besoin de me presser. Oui, d'honneur, en lisant le beau rĂ©cit de cette scĂšne tendre, et qui vous avait si vivement Ă©mu ; en voyant votre retenue, digne des plus beaux temps de notre Chevalerie, j'ai dit vingt fois " VoilĂ une affaire manquĂ©e! " Mais c'est que cela ne pouvait pas ĂÂȘtre autrement. Que voulez-vous que fasse une pauvre femme qui se rend et qu'on ne prend pas? Ma foi, dans ce cas-lĂ , il faut au moins sauver l'honneur; et c'est ce qu'a fait votre PrĂ©sidente. Je sais bien que pour moi, qui ai senti que la marche qu'elle a prise n'est vraiment pas sans quelque effet, je me propose d'en faire usage, pour mon compte, Ă la premiĂšre occasion un peu sĂ©rieuse qui se prĂ©sentera mais je promets bien que si celui pour qui j'en ferai les frais n'en profite pas mieux que vous, il peut assurĂ©ment renoncer Ă moi pour toujours. Vous voilĂ donc absolument rĂ©duit Ă rien et cela entre deux femmes, dont l'une Ă©tait dĂ©jĂ au lendemain, et l'autre ne demandait pas mieux que d'y ĂÂȘtre! HĂ© bien! vous allez croire que je me vante, et dire qu'il est facile de prophĂ©tiser aprĂšs l'Ă©vĂ©nement; mais je peux vous jurer que je m'y attendais. C'est que rĂ©ellement vous n'avez pas le gĂ©nie de votre Ă©tat; vous n'en savez que ce que vous en avez appris, et vous n'inventez rien. Aussi, dĂšs que les circonstances ne se prĂÂȘtent plus Ă vos formules d'usage, et qu'il vous faut sortir de la route ordinaire, vous restez court comme un Ecolier. Enfin, un enfantillage, d'une part; de l'autre, un retour de pruderie, parce qu'on ne les Ă©prouve pas tous les jours suffisent pour vous dĂ©concerter et vous ne savez ni les prĂ©venir, ni y remĂ©dier. Ah! Vicomte! Vicomte! vous m'apprenez Ă ne pas juger les hommes par leurs succĂšs; et bientĂÂŽt, il faudra dire de vous; " Il fut brave un tel jour. " Et quand vous avez fait sottises sur sottises, vous recourez Ă moi! Il semble que je n'aie rien autre chose Ă faire que de les rĂ©parer. Il est vrai que ce serait bien assez d'ouvrage. Quoi qu'il en soit, de ces deux aventures, l'une est entreprise contre mon grĂ©, et je ne m'en mĂÂȘle point; pour l'autre, comme vous y avez mis quelque complaisance pour moi, j'en fais mon affaire. La Lettre que je joins ici, que vous lirez d'abord, et que vous remettrez ensuite Ă la petite Volanges, est plus que suffisante pour vous la ramener mais, je vous en prie, donnez quelques soins Ă cet enfant, et faisons-en, de concert, le dĂ©sespoir de sa mĂšre et de Gercourt. Il n'y a pas Ă craindre de forcer les doses. Je vois clairement que la petite personne n'en sera point effrayĂ©e; et nos vues sur elle une fois remplies, elle deviendra ce qu'elle pourra. Je me dĂ©sintĂ©resse entiĂšrement sur son compte. J'avais eu quelque envie d'en faire au moins une intrigante subalterne, et de la prendre pour jouer les seconds sous moi mais je vois qu'il n'y a pas d'Ă©toffe; elle a une sotte ingĂ©nuitĂ© qui n'a pas cĂ©dĂ© mĂÂȘme au spĂ©cifique que vous avez employĂ©, lequel pourtant n'en manque guĂšre; et c'est selon moi la maladie la plus dangereuse que femme puisse avoir. Elle dĂ©note, surtout, une faiblesse de caractĂšre presque toujours incurable et qui s'oppose Ă tout; de sorte que, tandis que nous nous occuperions Ă former cette petite fille pour l'intrigue, nous n'en ferions qu'une femme facile. Or, je ne connais rien de si plat que cette facilitĂ© de bĂÂȘtise, qui se rend sans savoir ni comment ni pourquoi, uniquement parce qu'on l'attaque et qu'elle ne sait pas rĂ©sister. Ces sortes de femmes ne sont absolument que des machines Ă plaisir. Vous me direz qu'il n'y a qu'Ă n'en faire que cela, et que c'est assez pour nos projets. A la bonne heure! mais n'oublions pas que de ces machines-lĂ , tout le monde parvient bientĂÂŽt Ă en connaĂtre les ressorts et les moteurs; ainsi, que pour se servir de celle-ci sans danger, il faut se dĂ©pĂÂȘcher, s'arrĂÂȘter de bonne heure, et la briser ensuite. A la vĂ©ritĂ©, les moyens ne nous manqueront pas pour nous en dĂ©faire, et Gercourt la fera toujours bien enfermer quand nous voudrons. Au fait, quand il ne pourra plus douter de sa dĂ©convenue, quand elle sera bien publique et bien notoire, que nous importe qu'il se venge, pourvu qu'il ne se console pas? Ce que je dis du mari, vous le pensez sans doute de la mĂšre; ainsi cela vaut fait. Ce parti que je crois le meilleur, et auquel je me suis arrĂÂȘtĂ©e, m'a dĂ©cidĂ©e Ă mener la jeune personne un peu vite, comme vous verrez par ma Lettre; cela rend aussi trĂšs important de ne rien laisser entre ses mains qui puisse nous compromettre, et je vous prie d'y avoir attention. Cette prĂ©caution une fois prise, je me charge du moral, le reste vous regarde. Si pourtant nous voyons par la suite que l'ingĂ©nuitĂ© se corrige, nous serons toujours Ă temps de changer de projet. Il n'en aurait pas moins fallu, un jour ou l'autre, nous occuper de ce que nous allons faire dans aucun cas, nos soins ne seront perdus. Savez-vous que les miens ont risquĂ© de l'ĂÂȘtre, et que l'Ă©toile de Gercourt a pensĂ© l'emporter sur ma prudence? Madame de Volanges n'a-t-elle pas eu un moment de faiblesse maternelle? ne voulait-elle pas donner sa fille Ă Danceny? C'Ă©tait lĂ ce qu'annonçait cet intĂ©rĂÂȘt plus tendre, que vous aviez remarquĂ© le lendemain . C'est encore vous qui auriez Ă©tĂ© cause de ce beau chef-d'Ă âuvre! Heureusement la tendre mĂšre m'en a Ă©crit, et j'espĂšre que ma rĂ©ponse l'en dĂ©goĂ»tera. J'y parle tant de vertu, et surtout je la cajole tant, qu'elle doit trouver que j'ai raison. Je suis fĂÂąchĂ©e de n'avoir pas eu le temps de prendre copie de ma Lettre, pour vous Ă©difier sur l'austĂ©ritĂ© de ma morale. Vous verriez comme je mĂ©prise les femmes assez dĂ©pravĂ©es pour avoir un Amant! Il est si commode d'ĂÂȘtre rigoriste dans ses discours! cela ne nuit jamais qu'aux autres, et ne nous gĂÂȘne aucunement... Et puis je n'ignore pas que la bonne Dame a eu ses petites faiblesses comme une autre, dans son jeune temps, et je n'Ă©tais pas fĂÂąchĂ©e de l'humilier au moins dans sa conscience; cela me consolait un peu des louanges que je lui donnais contre la mienne. C'est ainsi que dans la mĂÂȘme Lettre, l'idĂ©e de nuire Ă Gercourt m'a donnĂ© le courage d'en dire du bien. Adieu, Vicomte; j'approuve beaucoup le parti que vous prenez de rester quelque temps oĂÂč vous ĂÂȘtes. Je n'ai point de moyens pour hĂÂąter votre marche; mais je vous invite Ă vous dĂ©sennuyer avec notre commune Pupille. Pour ce qui est de moi, malgrĂ© votre citation polie, vous voyez bien qu'il faut encore attendre; et vous conviendrez, sans doute, que ce n'est pas ma faute. Paris, ce 4 octobre 17**. LETTRE CVII AZOLAN AU VICOMTE DE VALMONT Monsieur, ConformĂ©ment Ă vos ordres, j'ai Ă©tĂ©, aussitĂÂŽt la rĂ©ception de votre Lettre, chez M. Bertrand, qui m'a remis les vingt-cinq louis, comme vous lui aviez ordonnĂ©. Je lui en avais demandĂ© deux de plus pour Philippe, Ă qui j'avais dit de partir sur-le-champ, comme Monsieur me l'avait mandĂ©, et qui n'avait pas d'argent; mais Monsieur votre homme d'affaires n'a pas voulu, en disant qu'il n'avait pas d'ordre de ça de vous. J'ai donc Ă©tĂ© obligĂ© de les donner de moi et Monsieur m'en tiendra compte, si c'est sa bontĂ©. Philippe est parti hier au soir. Je lui ai bien recommandĂ© de ne pas quitter le cabaret, afin qu'on puisse ĂÂȘtre sĂ»r de le trouver si on en a besoin. J'ai Ă©tĂ© tout de suite aprĂšs chez Madame la PrĂ©sidente pour voir Mademoiselle Julie mais elle Ă©tait sortie, et je n'ai parlĂ© qu'Ă La Fleur, de qui je n'ai pu rien savoir, parce que depuis son arrivĂ©e il n'avait Ă©tĂ© Ă l'hĂÂŽtel qu'Ă l'heure des repas. C'est le second qui a fait tout le service, et Monsieur sait bien que je ne connaissais pas celui-lĂ . Mais j'ai commencĂ© aujourd'hui. Je suis retournĂ© ce matin chez Mademoiselle Julie, et elle a paru bien aise de me voir. Je l'ai interrogĂ©e sur la cause du retour de sa MaĂtresse; mais elle m'a dit n'en rien savoir, et je crois qu'elle a dit vrai. Je lui ai reprochĂ© de ne pas m'avoir averti de son dĂ©part, et elle m'a assurĂ© qu'elle ne l'avait su que le soir mĂÂȘme en allant coucher Madame si bien qu'elle a passĂ© toute la nuit Ă ranger, et que la pauvre fille n'a pas dormi deux heures. Elle n'est sortie ce soir-lĂ de la chambre de sa MaĂtresse qu'Ă une heure passĂ©e, et elle l'a laissĂ©e qui se mettait seulement Ă Ă©crire. Le matin, Madame de Tourvel, en partant, a remis une Lettre au Concierge du ChĂÂąteau. Mademoiselle Julie ne sait pas pour qui elle dit que c'Ă©tait peut-ĂÂȘtre pour Monsieur; mais Monsieur ne m'en parle pas. Pendant tout le voyage, Madame a eu un grand capuchon sur sa figure, ce qui faisait qu'on ne pouvait la voir; mais Mademoiselle Julie croit ĂÂȘtre sĂ»re qu'elle a pleurĂ© souvent. Elle n'a pas dit une parole pendant la route, et elle n'a pas voulu s'arrĂÂȘter Ă ... [Toujours le mĂÂȘme village, Ă moitiĂ© chemin de la route], comme elle avait fait en allant, ce qui n'a pas fait trop de plaisir Ă Mademoiselle Julie, qui n'avait pas dĂ©jeunĂ©. Mais, comme je lui ai dit, les MaĂtres sont les MaĂtres. En arrivant, Madame s'est couchĂ©e; mais elle n'est restĂ©e au lit que deux heures. En se levant, elle a fait venir son Suisse, et lui a donnĂ© ordre de ne laisser entrer personne. Elle n'a point fait de toilette du tout. Elle s'est mise Ă table pour dĂner; mais elle n'a mangĂ© qu'un peu de potage, et elle en est sortie tout de suite. On lui a portĂ© son cafĂ© chez elle et Mademoiselle Julie est entrĂ©e en mĂÂȘme temps. Elle a trouvĂ© sa MaĂtresse qui rangeait des papiers dans son secrĂ©taire, et elle a vu que c'Ă©tait des Lettres. Je parierais bien que ce sont celles de Monsieur; et des trois qui lui sont arrivĂ©es dans l'aprĂšs-midi, il y en a une qu'elle avait encore devant elle tout au soir! Je suis bien sĂ»r que c'est encore une de Monsieur. Mais pourquoi donc est-ce qu'elle s'en est allĂ©e comme ça? ça m'Ă©tonne, moi! au reste, sĂ»rement que Monsieur le sait bien? Et ce ne sont pas mes affaires. Madame la PrĂ©sidente est allĂ©e l'aprĂšs-midi dans la BibliothĂšque, et elle y a pris deux Livres qu'elle a emportĂ©s dans son boudoir mais Mademoiselle Julie assure qu'elle n'a pas lu dedans un quart d'heure dans toute la journĂ©e, et qu'elle n'a fait que lire cette Lettre, rĂÂȘver et ĂÂȘtre appuyĂ©e sur sa main. Comme j'ai imaginĂ© que Monsieur serait bien aise de savoir quels sont ces Livres-lĂ , et que Mademoiselle Julie ne le savait pas, je me suis fait mener aujourd'hui dans la BibliothĂšque, sous prĂ©texte de la voir. Il n'y a de vide que pour deux livres l'un est le second volume des PensĂ©es chrĂ©tiennes et l'autre le premier d'un Livre qui a pour titre Clarisse . J'Ă©cris bien comme il y a Monsieur saura peut-ĂÂȘtre ce que c'est. Hier au soir, Madame n'a pas soupĂ©; elle n'a pris que du thĂ©. Elle a sonnĂ© de bonne heure ce matin; elle a demandĂ© ses chevaux tout de suite, et elle a Ă©tĂ© avant neuf heures aux Feuillants, oĂÂč elle a entendu la Messe. Elle a voulu se confesser; mais son Confesseur Ă©tait absent, et il ne reviendra pas de huit Ă dix jours. J'ai cru qu'il Ă©tait bon de mander cela Ă Monsieur. Elle est rentrĂ©e ensuite, elle a dĂ©jeunĂ©, et puis s'est mise Ă Ă©crire, et elle y est restĂ©e jusqu'Ă prĂšs d'une heure. J'ai trouvĂ© occasion de faire bientĂÂŽt ce que Monsieur dĂ©sirait le plus car c'est moi qui ai portĂ© les Lettres Ă la poste. Il n'y en avait pas pour Madame de Volanges; mais j'en envoie une Ă Monsieur, qui Ă©tait pour M. le PrĂ©sident il m'a paru que ça devait ĂÂȘtre la plus intĂ©ressante. Il y en avait une aussi pour Madame de Rosemonde; mais j'ai imaginĂ© que Monsieur la verrait toujours bien quand il voudrait, et je l'ai laissĂ©e partir. Au reste, Monsieur saura bien tout, puisque Madame la PrĂ©sidente lui Ă©crit aussi. J'aurai par la suite toutes celles qu'il voudra; car c'est presque toujours Mademoiselle Julie qui les remet aux Gens, et elle m'a assurĂ© que, par amitiĂ© pour moi, et puis aussi pour Monsieur, elle ferait volontiers ce que je voudrais. Elle n'a pas mĂÂȘme voulu de l'argent que je lui ai offert mais je pense bien que Monsieur voudra lui faire quelque petit prĂ©sent; et si c'est sa volontĂ©, et qu'il veuille m'en charger, je saurai aisĂ©ment ce qui lui fera plaisir. J'espĂšre que Monsieur ne trouvera pas que j'aie mis de la nĂ©gligence Ă le servir, et j'ai bien Ă cĂ âur de me justifier des reproches qu'il me fait. Si je n'ai pas su le dĂ©part de Madame la PrĂ©sidente, c'est au contraire mon zĂšle pour le service de Monsieur qui en est cause, puisque c'est lui qui m'a fait partir Ă trois heures du matin; ce qui fait que je n'ai pas vu Mademoiselle Julie la veille, au soir, comme de coutume, ayant Ă©tĂ© coucher au Tournebride, pour ne pas rĂ©veiller dans le ChĂÂąteau. Quant Ă ce que Monsieur me reproche d'ĂÂȘtre souvent sans argent, d'abord c'est que j'aime Ă me tenir proprement, comme Monsieur peut voir; et puis, il faut bien soutenir l'honneur de l'habit qu'on porte; je sais bien que je devrais peut-ĂÂȘtre un peu Ă©pargner pour la suite; mais je me confie entiĂšrement dans la gĂ©nĂ©rositĂ© de Monsieur, qui est si bon MaĂtre. Pour ce qui est d'entrer au service de Madame de Tourvel, en restant Ă celui de Monsieur, j'espĂšre que Monsieur ne l'exigera pas de moi. C'Ă©tait bien diffĂ©rent chez Madame la Duchesse; mais assurĂ©ment je n'irai pas porter la livrĂ©e, et encore une livrĂ©e de Robe, aprĂšs avoir eu l'honneur d'ĂÂȘtre Chasseur de Monsieur. Pour tout ce qui est du reste, Monsieur peut disposer de celui qui a l'honneur d'ĂÂȘtre, avec autant de respect que d'affection, son trĂšs humble. Serviteur. Roux Azolan, Chasseur. Paris, ce 5 octobre 17**, Ă onze heures du soir. LETTRE CVIII LA PRESIDENTE DE TOURVEL A MADAME DE ROSEMONDE Ăâ mon indulgente mĂšre! que j'ai de grĂÂąces Ă vous rendre, et que j'avais besoin de votre Lettre! Je l'ai lue et relue sans cesse; je ne pouvais pas m'en dĂ©tacher. Je lui dois les seuls moments moins pĂ©nibles que j'aie passĂ©s depuis mon dĂ©part. Comme vous ĂÂȘtes bonne! la sagesse, la vertu savent donc compatir Ă la faiblesse! vous avez pitiĂ© de mes maux! ah! si vous les connaissiez... ils sont affreux. Je croyais avoir Ă©prouvĂ© les peines de l'amour, mais le tourment inexprimable, celui qu'il faut avoir senti pour en avoir l'idĂ©e, c'est de se sĂ©parer de ce qu'on aime, de s'en sĂ©parer pour toujours!... Oui, la peine qui m'accable aujourd'hui reviendra demain, aprĂšs-demain, toute ma vie! Mon Dieu, que je suis jeune encore, et qu'il me reste de temps Ă souffrir! Etre soi-mĂÂȘme l'artisan de son malheur; se dĂ©chirer le cĂ âur de ses propres mains; et tandis qu'on souffre ces douleurs insupportables, sentir Ă chaque instant qu'on peut les faire cesser d'un mot et que ce mot soit un crime! ah! mon amie!... Quand j'ai pris ce parti si pĂ©nible de m'Ă©loigner de lui, j'espĂ©rais que l'absence augmenterait mon courage et mes forces combien je me suis trompĂ©e! il semble au contraire qu'elle ait achevĂ© de les dĂ©truire. J'avais plus Ă combattre, il est vrai mais mĂÂȘme en rĂ©sistant, tout n'Ă©tait pas privation; au moins je le voyais quelquefois; souvent mĂÂȘme, sans oser porter mes regards sur lui, je sentais les siens fixĂ©s sur moi oui, mon amie, je les sentais, il semblait qu'ils rĂ©chauffassent mon ĂÂąme; et sans passer par mes yeux, ils n'en arrivaient pas moins Ă mon cĂ âur. A prĂ©sent, dans ma pĂ©nible solitude, isolĂ©e de tout ce qui m'est cher, tĂÂȘte Ă tĂÂȘte avec mon infortune, tous les moments de ma triste existence sont marquĂ©s par mes larmes, et rien n'en adoucit l'amertume, nulle consolation ne se mĂÂȘle Ă mes sacrifices; et ceux que j'ai faits jusqu'Ă prĂ©sent n'ont servi qu'Ă me rendre plus douloureux ceux qui me restent Ă faire. Hier encore, je l'ai bien vivement senti. Dans les Lettres qu'on m'a remises, il y en avait une de lui; on Ă©tait encore Ă deux pas de moi, que je l'avais reconnue entre les autres. Je me suis levĂ©e involontairement je tremblais, j'avais peine Ă cacher mon Ă©motion; et cet Ă©tat n'Ă©tait pas sans plaisir. RestĂ©e seule le moment d'aprĂšs, cette trompeuse douceur s'est bientĂÂŽt Ă©vanouie, et ne m'a laissĂ© qu'un sacrifice de plus Ă faire. En effet, pouvais-je ouvrir cette Lettre, que pourtant je brĂ»lais de lire? Par la fatalitĂ© qui me poursuit, les consolations qui paraissent se prĂ©senter Ă moi ne font, au contraire, que m'imposer de nouvelles privations; et celles-ci deviennent plus cruelles encore, par l'idĂ©e que M. de Valmont les partage. Le voilĂ enfin, ce nom qui m'occupe sans cesse, et que j'ai eu tant de peine Ă Ă©crire; l'espĂšce de reproche que vous m'en faites m'a vĂ©ritablement alarmĂ©e. Je vous supplie de croire qu'une fausse honte n'a point altĂ©rĂ© ma confiance en vous; et pourquoi craindrais-je de le nommer? ah! je rougis de mes sentiments, et non de l'objet qui les cause. Quel autre que lui est plus digne de les inspirer! Cependant je ne sais pourquoi ce nom ne se prĂ©sente point naturellement sous ma plume; et cette fois encore, j'ai eu besoin de rĂ©flexion pour le placer. Je reviens Ă lui. Vous me mandez qu'il vous a paru vivement affectĂ© de mon dĂ©part . Qu'a- t-il donc fait? qu'a-t-il dit? a-t-il parlĂ© de revenir Ă Paris? Je vous prie de l'en dĂ©tourner autant que vous pourrez. S'il m'a bien jugĂ©e, il ne doit pas m'en vouloir de cette dĂ©marche mais il doit sentir aussi que c'est un parti pris sans retour. Un de mes plus grands tourments est de ne pas savoir ce qu'il pense. J'ai bien encore lĂ sa Lettre... , mais vous ĂÂȘtes sĂ»rement de mon avis, je ne dois pas l'ouvrir. Ce n'est que par vous, mon indulgente amie, que je puis ne pas ĂÂȘtre entiĂšrement sĂ©parĂ©e de lui. Je ne veux pas abuser de vos bontĂ©s; je sens Ă merveille que vos Lettres ne peuvent pas ĂÂȘtre longues mais vous ne refuserez pas deux mots Ă votre enfant; un pour soutenir son courage, et l'autre pour l'en consoler. Adieu, ma respectable amie. Paris, ce 5 octobre 17**. LETTRE CIX CECILE VOLANGES A LA MARQUISE DE MERTEUIL Ce n'est que d'aujourd'hui, Madame, que j'ai remis Ă M. de Valmont la Lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'Ă©crire. Je l'ai gardĂ©e quatre jours, malgrĂ© les frayeurs que j'avais souvent qu'on ne la trouvĂÂąt, mais je la cachais avec bien du soin; et quand le chagrin me reprenait, je m'enfermais pour la relire. Je vois bien que ce que je croyais un si grand malheur n'en est presque pas un; et il faut avouer qu'il y a bien du plaisir; de façon que je ne m'afflige presque plus. Il n'y a que l'idĂ©e de M. Danceny qui me tourmente toujours quelquefois. Mais il y a dĂ©jĂ tout plein de moments oĂÂč je n'y songe pas du tout! aussi c'est que M. de Valmont est bien aimable! Je me suis raccommodĂ©e avec lui depuis deux jours ça m'a Ă©tĂ© bien facile; car je ne lui avais encore dit que deux paroles, qu'il m'a dit que si j'avais quelque chose Ă lui dire, il viendrait le soir dans ma chambre, et je n'ai eu qu'Ă rĂ©pondre que je le voulais bien. Et puis, dĂšs qu'il y a Ă©tĂ©, il n'a pas paru plus fĂÂąchĂ© que si je ne lui avais jamais rien fait. Il ne m'a grondĂ©e qu'aprĂšs, et encore bien doucement, et c'Ă©tait d'une maniĂšre... Tout comme vous; ce qui m'a prouvĂ© qu'il avait aussi bien de l'amitiĂ© pour moi. Je ne saurais vous dire combien il m'a racontĂ© de drĂÂŽles de choses et que je n'aurais jamais crues, particuliĂšrement sur Maman. Vous me feriez bien plaisir de me mander si tout cela est vrai. Ce qui est bien sĂ»r, c'est que je ne pouvais pas me retenir de rire; si bien qu'une fois j'ai ri aux Ă©clats, ce qui nous a fait bien peur; car Maman aurait pu entendre; et si elle Ă©tait venue voir, qu'est-ce que je serais devenue? C'est bien pour le coup qu'elle m'aurait remise au Couvent! Comme il faut ĂÂȘtre prudent, et que, comme M. de Valmont m'a dit lui-mĂÂȘme, pour rien au monde il ne voudrait risquer de me compromettre, nous sommes convenus que dorĂ©navant il viendrait seulement ouvrir la porte, et que nous irions dans sa chambre. Pour lĂ , il n'y a rien Ă craindre; j'y ai dĂ©jĂ Ă©tĂ© hier, et actuellement que je vous Ă©cris, j'attends encore qu'il vienne. A prĂ©sent, Madame, j'espĂšre que vous ne me gronderez plus. Il y a pourtant une chose qui m'a bien surprise dans votre Lettre; c'est ce que vous me mandez pour quand je serai mariĂ©e, au sujet de Danceny et de M. de Valmont. Il me semble qu'un jour Ă l'OpĂ©ra vous me disiez au contraire qu'une fois mariĂ©e, je ne pourrais plus aimer que mon mari, et qu'il me faudrait mĂÂȘme oublier Danceny au reste, peut-ĂÂȘtre que j'avais mal entendu, et j'aime bien mieux que cela soit autrement, parce qu'Ă prĂ©sent je ne craindrai plus tant le moment de mon mariage. Je le dĂ©sire mĂÂȘme, puisque j'aurai plus de libertĂ©; et j'espĂšre qu'alors je pourrai m'arranger de façon Ă ne plus songer qu'Ă Danceny. Je sens bien que je ne serai vĂ©ritablement heureuse qu'avec lui; car Ă prĂ©sent son idĂ©e me tourmente toujours et je n'ai de bonheur que quand je peux ne pas penser Ă lui, ce qui est bien difficile; et dĂšs que j'y pense, je redeviens chagrine tout de suite. Ce qui me console un peu c'est que vous m'assurez que Danceny m'en aimera davantage; mais en ĂÂȘtes-vous bien sĂ»re?... Oh! oui, vous ne voudriez pas me tromper. C'est pourtant plaisant que ce soit Danceny que j'aime et que M. de Valmont... Mais, comme vous dites, c'est peut-ĂÂȘtre un bonheur! Enfin, nous verrons. Je n'ai pas trop entendu ce que vous me marquez au sujet de ma façon d'Ă©crire. Il me semble que Danceny trouve mes Lettres bien comme elles sont. Je sens pourtant bien que je ne dois rien lui dire de tout ce qui se passe avec M. de Valmont; ainsi vous n'avez que faire de craindre. Maman ne m'a point encore parlĂ© de mon mariage mais laissez faire; quand elle m'en parlera, puisque c'est pour m'attraper, je vous promets que je saurai mentir. Adieu, ma bien bonne amie; je vous remercie bien, et je vous promets que je n'oublierai jamais toutes vos bontĂ©s pour moi. Il faut que je finisse, car il est prĂšs d'une heure; ainsi M. de Valmont ne doit pas tarder. Du ChĂÂąteau de .. , ce 10 octobre 17**. LETTRE CX LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Puissances du Ciel, j'avais une ĂÂąme pour la douleur donnez-m'en une pour la fĂ©licitĂ© [Nouvelle HĂ©loĂÂŻse]! C'est, je crois, le tendre Saint-Preux qui s'exprime ainsi. Mieux partagĂ© que lui, je possĂšde Ă la fois les deux existences. Oui, mon amie, je suis, en mĂÂȘme temps, trĂšs heureux et trĂšs malheureux; et puisque vous avez mon entiĂšre confiance, je vous dois le double rĂ©cit de mes peines et de mes plaisirs. Sachez donc que mon ingrate DĂ©vote me tient toujours rigueur. J'en suis Ă ma quatriĂšme Lettre renvoyĂ©e. J'ai peut-ĂÂȘtre tort de dire la quatriĂšme; car ayant bien devinĂ© dĂšs le premier renvoi qu'il serait suivi de beaucoup d'autres, et ne voulant pas perdre ainsi mon temps, j'ai pris le parti de mettre mes dolĂ©ances en lieux communs, et de ne point dater et depuis le second Courrier, c'est toujours la mĂÂȘme Lettre qui va et vient; je ne fais que changer d'enveloppe. Si ma Belle finit comme finissent ordinairement les Belles, et s'attendrit un jour, au moins de lassitude, elle gardera enfin la missive, et il sera temps alors de me remettre au courant. Vous voyez qu'avec ce nouveau genre de correspondance, je ne peux pas ĂÂȘtre parfaitement instruit. J'ai dĂ©couvert pourtant que la lĂ©gĂšre personne a changĂ© de Confidente, au moins me suis-je assurĂ© que, depuis son dĂ©part du ChĂÂąteau, il n'y est venu aucune Lettre d'elle pour Madame de Volanges, tandis qu'il en est venu deux pour la vieille Rosemonde; et comme celle-ci ne nous en a rien dit, comme elle n'ouvre plus la bouche de sa chĂšre Belle , dont auparavant elle parlait sans cesse, j'en ai conclu que c'Ă©tait elle qui avait la confidence. Je prĂ©sume que d'une part, le besoin de parler de moi, et de l'autre, la petite honte de revenir vis-Ă -vis de Madame de Volanges sur un sentiment si longtemps dĂ©savouĂ©, ont produit cette grande rĂ©volution. Je crains d'avoir encore perdu au change car plus les femmes vieillissent, et plus elles deviennent rĂÂȘches et sĂ©vĂšres. La premiĂšre lui aurait dit bien plus de mal de moi; mais celle-ci lui en dira plus de l'amour; et la sensible Prude a bien plus de frayeur du sentiment que de la personne. Le seul moyen de me mettre au fait, est, comme vous voyez, d'intercepter le commerce clandestin. J'en ai dĂ©jĂ envoyĂ© l'ordre Ă mon Chasseur; et j'en attends l'exĂ©cution de jour en jour. Jusque-lĂ , je ne puis rien faire qu'au hasard aussi, depuis huit jours, je repasse inutilement tous les moyens connus, tous ceux des Romans et de mes MĂ©moires secrets; je n'en trouve aucun qui convienne, ni aux circonstances de l'aventure, ni au caractĂšre de l'HĂ©roĂÂŻne. La difficultĂ© ne serait pas de m'introduire chez elle, mĂÂȘme la nuit, mĂÂȘme encore de l'endormir, et d'en faire une nouvelle Clarisse mais aprĂšs plus de deux mois de soins et de peines, recourir Ă des moyens qui me soient Ă©trangers! me traĂner servilement sur la trace des autres, et triompher sans gloire!... Non, elle n'aura pas les plaisirs du vice et les honneurs de la vertu [Nouvelle HĂ©loĂÂŻse]. Ce n'est pas assez pour moi de la possĂ©der, je veux qu'elle se livre. Or, il faut pour cela non seulement pĂ©nĂ©trer jusqu'Ă elle, mais y arriver de son aveu; la trouver seule et dans l'intention de m'Ă©couter; surtout, lui fermer les yeux sur le danger, car si elle le voit, elle saura le surmonter ou mourir. Mais mieux je sais ce qu'il faut faire, plus j'en trouve l'exĂ©cution difficile; et dussiez-vous encore vous moquer de moi, je vous avouerai que mon embarras redouble Ă mesure que je m'en occupe davantage. La tĂÂȘte m'en tournerait, je crois, sans les heureuses distractions que me donne notre commune Pupille; c'est Ă elle que je dois d'avoir encore Ă faire autre chose que des ElĂ©gies. Croiriez-vous que cette petite fille Ă©tait tellement effarouchĂ©e, qu'il s'est passĂ© trois grands jours avant que votre Lettre ait produit tout son effet? VoilĂ comme une seule idĂ©e fausse peut gĂÂąter le plus heureux naturel! Enfin, ce n'est que Samedi qu'on est venu tourner autour de moi et me balbutier quelques mots; encore prononcĂ©s si bas et tellement Ă©touffĂ©s par la honte, qu'il Ă©tait impossible de les entendre. Mais la rougeur qu'ils causĂšrent m'en fit deviner le sens. Jusque-lĂ , je m'Ă©tais tenu fier mais flĂ©chi par un si plaisant repentir je voulus bien promettre d'aller trouver le soir mĂÂȘme la jolie PĂ©nitente; et cette grĂÂące de ma part fut reçue avec toute la reconnaissance due Ă un si grand bienfait. Comme je ne perds jamais de vue ni vos projets ni les miens, j'ai rĂ©solu de profiter de cette occasion pour connaĂtre au juste la valeur de cette enfant, et aussi pour accĂ©lĂ©rer son Ă©ducation. Mais pour suivre ce travail avec plus de libertĂ© j'avais besoin de changer le lieu de nos rendez-vous; car un simple cabinet, qui sĂ©pare la chambre de votre Pupille de celle de sa mĂšre, ne pouvait lui inspirer assez de sĂ©curitĂ©, pour la laisser se dĂ©ployer Ă l'aise. Je m'Ă©tais donc promis de faire innocemment quelque bruit, qui pĂ»t lui causer assez de crainte pour la dĂ©cider Ă prendre, Ă l'avenir, un asile plus sĂ»r; elle m'a encore Ă©pargnĂ© ce soin. La petite personne est rieuse; et, pour favoriser sa gaietĂ©, je m'avisai, dans nos entractes, de lui raconter toutes les aventures scandaleuses qui me passaient par la tĂÂȘte; et pour les rendre plus piquantes et fixer davantage son attention, je les mettais toutes sur le compte de sa Maman, que je me plaisais Ă chamarrer ainsi de vices et de ridicules. Ce n'Ă©tait pas sans motif que j'avais fait ce choix; il encourageait mieux que tout autre ma timide Ă©coliĂšre, et je lui inspirais en mĂÂȘme temps le plus profond mĂ©pris pour sa mĂšre. J'ai remarquĂ© depuis longtemps, que si ce moyen n'est pas toujours nĂ©cessaire Ă employer pour sĂ©duire une jeune fille, il est indispensable, et souvent mĂÂȘme le plus efficace, quand on veut la dĂ©praver; car celle qui ne respecte pas sa mĂšre ne se respectera pas elle-mĂÂȘme vĂ©ritĂ© morale que je crois si utile que j'ai Ă©tĂ© bien aise de fournir un exemple Ă l'appui du prĂ©cepte. Cependant votre Pupille, qui ne songeait pas Ă la morale, Ă©touffait de rire Ă chaque instant; et enfin, une fois, elle pensa Ă©clater. Je n'eus pas de peine Ă lui faire croire qu'elle avait fait un bruit affreux . Je feignis une grande frayeur, qu'elle partagea facilement. Pour qu'elle s'en ressouvĂnt mieux, je ne permis plus au plaisir de reparaĂtre, et la laissai seule trois heures plus tĂÂŽt que de coutume aussi convĂnmes-nous, en nous sĂ©parant, que dĂšs le lendemain ce serait dans ma chambre que nous nous rassemblerions. Je l'y ai dĂ©jĂ reçue deux fois, et dans ce court intervalle l'Ă©coliĂšre est devenue presque aussi savante que le maĂtre. Oui, en vĂ©ritĂ©, je lui ai tout appris, jusqu'aux complaisances! je n'ai exceptĂ© que les prĂ©cautions. Ainsi occupĂ© toute la nuit, j'y gagne de dormir une grande partie du jour; et, comme la sociĂ©tĂ© actuelle du ChĂÂąteau n'a rien qui m'attire, Ă peine parais-je une heure au salon dans la journĂ©e. J'ai mĂÂȘme, d'aujourd'hui, pris le parti de manger dans ma chambre, et je ne compte plus la quitter que pour de courtes promenades. Ces bizarreries passent sur le compte de ma santĂ©. J'ai dĂ©clarĂ© que j'Ă©tais perdu de vapeurs ; j'ai annoncĂ© aussi un peu de fiĂšvre. Il ne m'en coĂ»te que de parler d'une voix lente et Ă©teinte. Quant au changement de ma figure, fiez-vous-en Ă votre Pupille. L'amour y pourvoira . [Regnard, Folies amoureuses] J'occupe mon loisir en rĂÂȘvant aux moyens de reprendre sur mon ingrate les avantages que j'ai perdus, et aussi Ă composer une espĂšce de catĂ©chisme de dĂ©bauche, Ă l'usage de mon Ă©coliĂšre. Je m'amuse Ă n'y rien nommer que par le mot technique; et je ris d'avance de l'intĂ©ressante conversation que cela doit fournir entre elle et Gercourt la premiĂšre nuit de leur mariage. Rien n'est plus plaisant que l'ingĂ©nuitĂ© avec laquelle elle se sert dĂ©jĂ du peu qu'elle sait de cette langue! elle n'imagine pas qu'on puisse parler autrement. Cette enfant est rĂ©ellement sĂ©duisante! Ce contraste de la candeur naĂÂŻve avec le langage de l'effronterie ne laisse pas de faire de l'effet; et, je ne sais pourquoi, il n'y a plus que les choses bizarres qui me plaisent. Peut-ĂÂȘtre je me livre trop Ă celle-ci, puisque j'y compromets mon temps et ma santĂ© mais j'espĂšre que ma feinte maladie, outre qu'elle me sauvera de l'ennui du salon, pourra m'ĂÂȘtre encore de quelque utilitĂ© auprĂšs de l'austĂšre DĂ©vote, dont la vertu tigresse s'allie pourtant avec la douce sensibilitĂ©! Je ne doute pas qu'elle ne soit dĂ©jĂ instruite de ce grand Ă©vĂ©nement, et j'ai beaucoup d'envie de savoir ce qu'elle en pense; d'autant plus que je parierais bien qu'elle ne manquera pas de s'en attribuer l'honneur. Je rĂ©glerai l'Ă©tat de ma santĂ© sur l'impression qu'il fera sur elle. Vous voilĂ , ma belle amie, au courant de mes affaires comme moi-mĂÂȘme. Je dĂ©sire avoir bientĂÂŽt des nouvelles plus intĂ©ressantes Ă vous apprendre; et je vous prie de croire que, dans le plaisir que je m'en promets, je compte pour beaucoup la rĂ©compense que j'attends de vous. Du ChĂÂąteau de .. , ce 11 octobre 17**. LETTRE CXI LE COMTE DE GERCOURT A MADAME DE VOLANGES Tout paraĂt, Madame, devoir ĂÂȘtre tranquille dans ce pays; et nous attendons, de jour en jour, la permission de rentrer en France. J'espĂšre que vous ne douterez pas que je n'aie toujours le mĂÂȘme empressement Ă m'y rendre, et Ă y former les nĂ âuds qui doivent m'unir Ă vous et Ă Mademoiselle de Volanges. Cependant M. le Duc de ***, mon cousin, et Ă qui vous savez que j'ai tant d'obligations, vient de me faire part de son rappel de Naples. Il me mande qu'il compte passer par Rome, et voir, dans sa route, la partie d'Italie qui lui reste Ă connaĂtre. Il m'engage Ă l'accompagner dans ce voyage, qui sera environ de six semaines ou deux mois. Je ne vous cache pas qu'il me serait agrĂ©able de profiter de cette occasion; sentant bien qu'une fois mariĂ©, je prendrai difficilement le temps de faire d'autres absences que celles que mon service exigera. Peut-ĂÂȘtre aussi serait-il plus convenable d'attendre l'hiver pour ce mariage; puisque ce ne peut ĂÂȘtre qu'alors que tous mes parents seront rassemblĂ©s Ă Paris; et nommĂ©ment M. le Marquis de *** Ă qui je dois l'espoir de vous appartenir. MalgrĂ© ces considĂ©rations, mes projets Ă cet Ă©gard seront absolument subordonnĂ©s aux vĂÂŽtres; et pour peu que vous prĂ©fĂ©riez vos premiers arrangements, je suis prĂÂȘt Ă renoncer aux miens. Je vous prie seulement de me faire savoir le plus tĂÂŽt possible vos intentions Ă ce sujet. J'attendrai votre rĂ©ponse ici, et elle seule rĂ©glera ma conduite. Je suis avec respect, Madame, et avec tous les sentiments qui conviennent Ă un fils, votre trĂšs humble, etc, Le Comte de Gercourt. Bastia, ce 10 octobre 17**. LETTRE CXII MADAME DE ROSEMONDE A LA PRESIDENTE DE TOURVEL DICTEE SEULEMENT. Je ne reçois qu'Ă l'instant mĂÂȘme, ma chĂšre Belle, votre Lettre du 11 [Cette Lettre ne s'est pas retrouvĂ©e] et les doux reproches qu'elle contient. Convenez que vous aviez bien envie de m'en faire davantage; et que si vous ne vous Ă©tiez pas ressouvenue que vous Ă©tiez ma fille , vous m'auriez rĂ©ellement grondĂ©e. Vous auriez Ă©tĂ© pourtant bien injuste! C'Ă©tait le dĂ©sir et l'espoir de pouvoir vous rĂ©pondre moi-mĂÂȘme, qui me faisait diffĂ©rer chaque jour, et vous voyez qu'encore aujourd'hui, je suis obligĂ©e d'emprunter la main de ma Femme de chambre. Mon malheureux rhumatisme m'a reprise, il, s'est nichĂ© cette fois sur le bras droit, et je suis absolument manchote. VoilĂ ce que c'est, jeune et fraĂche comme vous ĂÂȘtes, d'avoir une si vieille amie! on souffre de ses incommoditĂ©s. AussitĂÂŽt que mes douleurs me donneront un peu de relĂÂąche, je me promets bien de causer longuement avec vous. En attendant, sachez seulement que j'ai reçu vos deux Lettres; qu'elles auraient redoublĂ©, s'il Ă©tait possible, ma tendre amitiĂ© pour vous; et que je ne cesserai jamais de prendre part, bien vivement, Ă tout ce qui vous intĂ©resse. Mon neveu est aussi un peu indisposĂ©, mais sans aucun danger et sans qu'il faille en prendre aucune inquiĂ©tude; c'est une incommoditĂ© lĂ©gĂšre, qui, Ă ce qu'il me semble, affecte plus son humeur que sa santĂ©. Nous ne le voyons presque plus. Sa retraite et votre dĂ©part ne rendent pas notre petit cercle plus gai. La petite Volanges, surtout, vous trouve furieusement Ă dire, et baille, tant que la journĂ©e dure, Ă avaler ses poings. ParticuliĂšrement depuis quelques jours, elle nous fait l'honneur de s'endormir profondĂ©ment toutes les aprĂšs-dĂners. Adieu, ma chĂšre Belle; je suis pour toujours votre bien bonne amie, votre maman, votre sĂ âur mĂÂȘme, si mon grand ĂÂąge me permettait ce titre. Enfin je vous suis attachĂ©e par tous les plus tendres sentiments. SignĂ© AdĂ©laĂÂŻde, pour Madame de Rosemonde. Du ChĂÂąteau de .. , ce 14 octobre 17**. LETTRE CXIII LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT Je crois devoir vous prĂ©venir, Vicomte, qu'on commence Ă s'occuper de vous Ă Paris; qu'on y remarque votre absence, et que dĂ©jĂ on en devine la cause. J'Ă©tais hier Ă un souper fort nombreux; il y fut dit positivement que vous Ă©tiez retenu au Village par un amour romanesque et malheureux aussitĂÂŽt la joie se peignit sur le visage de tous les envieux de vos succĂšs et de toutes les femmes que vous avez nĂ©gligĂ©es. Si vous m'en croyez, vous ne laisserez pas prendre consistance Ă ces bruits dangereux, et vous viendrez sur-le-champ les dĂ©truire par votre prĂ©sence. Songez que si une fois vous laissez perdre l'idĂ©e qu'on ne vous rĂ©siste pas, vous Ă©prouverez bientĂÂŽt qu'on vous rĂ©sistera en effet plus facilement; que vos rivaux vont aussi perdre de leur respect pour vous, et oser vous combattre car lequel d'entre eux ne se croit pas plus fort que la vertu? Songez surtout que dans la multitude des femmes que vous avez affichĂ©es, toutes celles que vous n'avez pas eues vont tenter de dĂ©tromper le Public, tandis que les autres s'efforceront de l'abuser. Enfin, il faut vous attendre Ă ĂÂȘtre apprĂ©ciĂ© peut-ĂÂȘtre autant au-dessous de votre valeur, que vous l'avez Ă©tĂ© au-dessus jusqu'Ă prĂ©sent. Revenez donc, Vicomte, et ne sacrifiez pas votre rĂ©putation Ă un caprice puĂ©ril. Vous avez fait tout ce que nous voulions de la petite Volanges; et pour votre PrĂ©sidente, ce ne sera pas apparemment en restant Ă dix lieues d'elle, que vous vous en passerez la fantaisie. Croyez-vous qu'elle ira vous chercher? Peut-ĂÂȘtre ne songe-t-elle dĂ©jĂ plus Ă vous, ou ne s'en occupe-t-elle encore que pour se fĂ©liciter de vous avoir humiliĂ©. Au moins ici, pourrez-vous trouver quelque occasion de reparaĂtre avec Ă©clat, et vous en avez besoin; et quand vous vous obstineriez Ă votre ridicule aventure, je ne vois pas que votre retour y puisse nuire... ; au contraire. En effet, si votre PrĂ©sidente vous adore , comme vous me l'avez tant dit et si peu prouvĂ©, son unique consolation, son seul plaisir, doivent ĂÂȘtre Ă prĂ©sent de parler de vous, et de savoir ce que vous faites, ce que vous dites, ce que vous pensez, et jusqu'Ă la moindre des choses qui vous intĂ©ressent. Ces misĂšres-lĂ prennent du prix, en raison des privations qu'on Ă©prouve. Ce sont les miettes de pain tombantes de la table du riche celui-ci les dĂ©daigne; mais le pauvre les recueille avidement et s'en nourrit. Or, la pauvre PrĂ©sidente reçoit Ă prĂ©sent toutes ces miettes-lĂ et plus elle en aura, moins elle sera pressĂ©e de se livrer Ă l'appĂ©tit du reste. De plus, depuis que vous connaissez sa Confidente, vous ne doutez pas que chaque Lettre d'elle ne contienne au moins un petit sermon, et tout ce qu'elle croit propre Ă corroborer sa sagesse et fortifier sa vertu [On ne s'avise jamais de tout! ComĂ©die]. Pourquoi donc laisser Ă l'une des ressources pour se dĂ©fendre, et Ă l'autre pour vous nuire? Ce n'est pas que je sois du tout de votre avis sur la perte que vous croyez avoir faite au changement de Confidente. D'abord, Madame de Volanges vous hait, et la haine est toujours plus clairvoyante et plus ingĂ©nieuse que l'amitiĂ©. Toute la vertu de votre vieille tante ne l'engagera pas Ă mĂ©dire un seul instant de son cher neveu; car la vertu a aussi ses faiblesses. Ensuite vos craintes portent sur une remarque absolument fausse. Il n'est pas vrai que plus les femmes vieillissent, et plus elles deviennent rĂÂȘches et sĂ©vĂšres . C'est de quarante Ă cinquante ans que le dĂ©sespoir de voir leur figure se flĂ©trir, la rage de se sentir obligĂ©es d'abandonner des prĂ©tentions et des plaisirs auxquels elles tiennent encore, rendent presque toutes les femmes bĂ©gueules et acariĂÂątres. Il leur faut ce long intervalle pour faire en entier ce grand sacrifice mais dĂšs qu'il est consommĂ©, toutes se partagent en deux classes. La plus nombreuse, celle des femmes qui n'ont eu pour elles que leur figure et leur jeunesse, tombe dans une imbĂ©cile apathie, et n'en sort plus que pour le jeu et pour quelques pratiques de dĂ©votion; celle-lĂ est toujours ennuyeuse, souvent grondeuse, quelquefois un peu tracassiĂšre, mais rarement mĂ©chante. On ne peut pas dire non plus que ces femmes soient ou ne soient pas sĂ©vĂšres sans idĂ©es et sans existence, elles rĂ©pĂštent, sans le comprendre et indiffĂ©remment, tout ce qu'elles entendent dire, et restent par elles-mĂÂȘmes absolument nulles. L'autre classe, beaucoup plus rare, mais vĂ©ritablement prĂ©cieuse, est celle des femmes qui, ayant eu un caractĂšre et n'ayant pas nĂ©gligĂ© de nourrir leur raison, savent se crĂ©er une existence, quand celle de la nature leur manque, et prennent le parti de mettre Ă leur esprit les parures qu'elles employaient avant pour leur figure. Celles-ci ont pour l'ordinaire le jugement trĂšs sain, et l'esprit Ă la fois solide, gai et gracieux. Elles remplacent les charmes sĂ©duisants par l'attachante bontĂ©, et encore par l'enjouement dont le charme augmente en proportion de l'ĂÂąge c'est ainsi qu'elles parviennent en quelque sorte Ă se rapprocher de la jeunesse en s'en faisant aimer. Mais alors, loin d'ĂÂȘtre, comme vous le dites, rĂÂȘches et sĂ©vĂšres , l'habitude de l'indulgence, leurs longues rĂ©flexions sur la faiblesse humaine, et surtout les souvenirs de leur jeunesse, par lesquels seuls elles tiennent encore Ă la vie, les placeraient plutĂÂŽt peut-ĂÂȘtre trop prĂšs de la facilitĂ©. Ce que je peux vous dire enfin, c'est qu'ayant toujours recherchĂ© les vieilles femmes, dont j'ai reconnu de bonne heure l'utilitĂ© des suffrages, j'ai rencontrĂ© plusieurs d'entre elles auprĂšs de qui l'inclination me ramenait autant que l'intĂ©rĂÂȘt. Je m'arrĂÂȘte lĂ ; car Ă prĂ©sent que vous vous enflammez si vite et si moralement, j'aurais peur que vous ne devinssiez subitement amoureux de votre vieille tante, et que vous ne vous enterrassiez avec elle dans le tombeau oĂÂč vous vivez dĂ©jĂ depuis si longtemps. Je reviens donc. MalgrĂ© l'enchantement oĂÂč vous me paraissez ĂÂȘtre de votre petite Ă©coliĂšre, je ne peux pas croire qu'elle entre pour quelque chose dans vos projets. Vous l'avez trouvĂ©e sous la main, vous l'avez prise Ă la bonne heure! mais ce ne peut pas ĂÂȘtre lĂ un goĂ»t. Ce n'est mĂÂȘme pas, Ă vrai dire, une entiĂšre jouissance vous ne possĂ©dez absolument que sa personne! je ne parle pas de son cĂ âur, dont je me doute bien que vous ne vous souciez guĂšre mais vous n'occupez seulement pas sa tĂÂȘte. Je ne sais pas si vous vous en ĂÂȘtes aperçu, mais moi j'en ai la preuve dans la derniĂšre Lettre qu'elle m'a Ă©crite [Voyez la Lettre CIX]; je vous l'envoie pour que vous en jugiez. Voyez donc que quand elle y parle de vous, c'est toujours M. de Valmont ; que toutes ses idĂ©es, mĂÂȘme celles que vous lui faites naĂtre, n'aboutissent jamais qu'Ă Danceny; et lui, elle ne l'appelle pas Monsieur, c'est bien toujours Danceny seulement. Par lĂ , elle le distingue de tous les autres; et mĂÂȘme en se livrant Ă vous, elle ne se familiarise qu'avec lui. Si une telle conquĂÂȘte vous paraĂt sĂ©duisante , si les plaisirs qu'elle donne vous attachent , assurĂ©ment vous ĂÂȘtes modeste et peu difficile! Que vous la gardiez, j'y consens; cela entre mĂÂȘme dans mes projets. Mais il me semble que cela ne vaut pas de se dĂ©ranger un quart d'heure; qu'il faudrait aussi avoir quelque empire, et ne lui permettre, par exemple, de se rapprocher de Danceny qu'aprĂšs le lui avoir fait un peu plus oublier. Avant de cesser de m'occuper de vous, pour venir Ă moi, je veux encore vous dire que ce moyen de maladie que vous m'annoncez vouloir prendre est bien connu et bien usĂ©. En vĂ©ritĂ©, Vicomte, vous n'ĂÂȘtes pas inventif! Moi, je me rĂ©pĂšte aussi quelquefois, comme vous allez voir; mais je tĂÂąche de me sauver par les dĂ©tails, et surtout le succĂšs me justifie. Je vais encore en tenter un, et courir une nouvelle aventure. Je conviens qu'elle n'aura pas le mĂ©rite de la difficultĂ©; mais au moins sera-ce une distraction, et je m'ennuie Ă pĂ©rir. Je ne sais pourquoi, depuis l'aventure de PrĂ©van, Belleroche m'est devenu insupportable. Il a tellement redoublĂ© d'attention, de tendresse, de vĂ©nĂ©ration , que je n'y peux plus tenir. Sa colĂšre, dans le premier moment, m'avait paru plaisante; il a pourtant bien fallu la calmer, car c'eĂ»t Ă©tĂ© me compromettre que de le laisser faire; et il n'y avait pas moyen de lui faire entendre raison. J'ai donc pris le parti de lui montrer plus d'amour, pour en venir Ă bout plus facilement mais lui a pris cela au sĂ©rieux; et depuis ce temps il m'excĂšde par son enchantement Ă©ternel. Je remarque surtout l'insultante confiance qu'il prend en moi, et la sĂ©curitĂ© avec laquelle il me regarde comme Ă lui pour toujours. J'en suis vraiment humiliĂ©e. Il me prise donc bien peu, s'il croit valoir assez pour me fixer! Ne me disait-il pas derniĂšrement que je n'aurais jamais aimĂ© un autre que lui? Oh! pour le coup, j'ai eu besoin de toute ma prudence, pour ne pas le dĂ©tromper sur-le-champ, en lui disant ce qui en Ă©tait. VoilĂ , certes, un plaisant Monsieur, pour avoir un droit exclusif! Je conviens qu'il est bien fait et d'une assez belle figure mais, Ă tout prendre, ce n'est, au fait, qu'un ManĂ âuvre d'amour. Enfin le moment est venu, il faut nous sĂ©parer. J'essaie dĂ©jĂ depuis quinze jours, et j'ai employĂ©, tour Ă tour, la froideur, le caprice, l'humeur, les querelles; mais le tenace personnage ne quitte pas prise ainsi il faut donc prendre un parti plus violent; en consĂ©quence je l'emmĂšne Ă ma campagne. Nous partons aprĂšs-demain. Il n'y aura avec nous que quelques personnes dĂ©sintĂ©ressĂ©es et peu clairvoyantes, et nous y aurons presque autant de libertĂ© que si nous y Ă©tions seuls. LĂ , je le surchargerai Ă tel point d'amour et de caresses, nous y vivrons si bien l'un pour l'autre uniquement, que je parie bien qu'il dĂ©sirera plus que moi la fin de ce voyage, dont il se fait un si grand bonheur; et s'il n'en revient pas plus ennuyĂ© de moi que je ne le suis de lui, dites, j'y consens, que je n'en sais pas plus que vous. Le prĂ©texte de cette espĂšce de retraite est de m'occuper sĂ©rieusement de mon grand procĂšs, qui en effet se jugera enfin au commencement de l'hiver. J'en suis bien aise; car il est vraiment dĂ©sagrĂ©able d'avoir ainsi toute sa fortune en l'air. Ce n'est pas que je sois inquiĂšte de l'Ă©vĂ©nement; d'abord j'ai raison, tous mes Avocats me l'assurent; et quand je ne l'aurais pas! je serais donc bien maladroite, si je ne savais pas gagner un procĂšs, oĂÂč je n'ai pour adversaires que des mineures encore en bas ĂÂąge, et leur vieux tuteur! Comme il ne faut pourtant rien nĂ©gliger dans une affaire si importante, j'aurai effectivement avec moi deux Avocats. Ce voyage ne vous paraĂt-il pas gai? cependant s'il me fait gagner mon procĂšs et perdre Belleroche, je ne regretterai pas mon temps. A prĂ©sent, Vicomte, devinez le successeur; je vous le donne en cent. Mais bon! ne sais-je pas que vous ne devinez jamais rien? hĂ© bien, c'est Danceny. Vous ĂÂȘtes Ă©tonnĂ©, n'est-ce pas? car enfin je ne suis pas encore rĂ©duite Ă l'Ă©ducation des enfants! Mais celui-ci mĂ©rite d'ĂÂȘtre exceptĂ©; il n'a que les grĂÂąces de la jeunesse, et non la frivolitĂ©. Sa grande rĂ©serve dans le cercle est trĂšs propre Ă Ă©loigner tous les soupçons, et on ne l'en trouve que plus aimable, quand il se livre, dans le tĂÂȘte-Ă -tĂÂȘte. Ce n'est pas que j'en aie dĂ©jĂ eu avec lui pour mon compte, je ne suis encore que sa confidente; mais sous ce voile de l'amitiĂ©, je crois lui voir un goĂ»t trĂšs vif pour moi, et je sens que j'en prends beaucoup pour lui. Ce serait bien dommage que tant d'esprit et de dĂ©licatesse allassent se sacrifier et s'abrutir auprĂšs de cette petite imbĂ©cile de Volanges! J'espĂšre qu'il se trompe en croyant l'aimer elle est si loin de le mĂ©riter! Ce n'est pas que je sois jalouse d'elle; mais c'est que ce serait un meurtre, et je veux en sauver Danceny. Je vous prie donc, Vicomte, de mettre vos soins Ă ce qu'il ne puisse se rapprocher de sa CĂ©cile comme il a encore la mauvaise habitude de la nommer. Un premier goĂ»t a toujours plus d'empire qu'on ne croit et je ne serais sĂ»re de rien s'il la revoyait Ă prĂ©sent; surtout pendant mon absence. A mon retour, je me charge de tout et j'en rĂ©ponds. J'ai bien songĂ© Ă emmener le jeune homme avec moi mais j'en ai fait le sacrifice Ă ma prudence ordinaire; et puis, j'aurais craint qu'il ne s'aperçût de quelque chose entre Belleroche et moi, et je serais au dĂ©sespoir qu'il eĂ»t la moindre idĂ©e de ce qui se passe. Je veux au moins m'offrir Ă son imagination, pure et sans tache; telle enfin qu'il faudrait ĂÂȘtre, pour ĂÂȘtre vraiment digne de lui. Paris, ce 15 octobre 17**. LETTRE CXIV LA PRESIDENTE DE TOURVEL A MADAME DE ROSEMONDE Ma chĂšre amie, je cĂšde Ă ma vive inquiĂ©tude; et sans savoir si vous serez en Ă©tat de me rĂ©pondre, je ne puis m'empĂÂȘcher de vous interroger. L'Ă©tat de M. de Valmont, que vous me dites sans danger , ne me laisse pas autant de sĂ©curitĂ© que vous paraissez en avoir. Il n'est pas rare que la mĂ©lancolie et le dĂ©goĂ»t du monde soient des symptĂÂŽmes avant-coureurs de quelque maladie grave; les souffrances du corps, comme celles de l'esprit, font dĂ©sirer la solitude; et souvent on reproche de l'humeur Ă celui dont on devrait seulement plaindre les maux. Il me semble qu'il devrait au moins consulter quelqu'un. Comment, Ă©tant malade vous-mĂÂȘme, n'avez-vous pas un MĂ©decin auprĂšs de vous? Le mien, que j'ai vu ce matin, et que je ne vous cache pas que j'ai consultĂ© indirectement, est d'avis que, dans les personnes naturellement actives, cette espĂšce d'apathie subite n'est jamais Ă nĂ©gliger; et, comme il me disait encore, les maladies ne cĂšdent plus au traitement, quand elles n'ont pas Ă©tĂ© prises Ă temps. Pourquoi faire courir ce risque Ă quelqu'un qui vous est si cher? Ce qui redouble mon inquiĂ©tude, c'est que, depuis quatre jours, je ne reçois plus de nouvelles de lui. Mon Dieu! ne me trompez-vous point sur son Ă©tat? Pourquoi aurait-il cessĂ© de m'Ă©crire tout Ă coup? Si c'Ă©tait seulement l'effet de mon obstination Ă lui renvoyer ses Lettres, je crois qu'il aurait pris ce parti plus tĂÂŽt. Enfin, sans croire aux pressentiments, je suis depuis quelques jours d'une tristesse qui m'effraie. Ah! peut-ĂÂȘtre suis-je Ă la veille du plus grand des malheurs! Vous ne sauriez croire, et j'ai honte de vous dire, combien je suis peinĂ©e de ne plus recevoir ces mĂÂȘmes Lettres, que pourtant je refuserais encore de lire. J'Ă©tais sĂ»re au moins qu'il Ă©tait occupĂ© de moi! et je voyais quelque chose qui venait de lui. Je ne les ouvrais pas, ces Lettres, mais je pleurais en les regardant mes larmes Ă©taient plus douces et plus faciles; et celles-lĂ seules dissipaient en partie l'oppression habituelle que j'Ă©prouve depuis mon retour. Je vous en conjure, mon indulgente amie, Ă©crivez-moi, vous-mĂÂȘme, aussitĂÂŽt que vous le pourrez, et en attendant, faites-moi donner chaque jour de vos nouvelles et des siennes. Je m'aperçois qu'Ă peine je vous ai dit un mot pour vous mais vous connaissez mes sentiments, mon attachement sans rĂ©serve, ma tendre reconnaissance pour votre sensible amitiĂ©; vous pardonnerez au trouble oĂÂč je suis, Ă mes peines mortelles, au tourment affreux d'avoir Ă redouter des maux dont peut-ĂÂȘtre je suis la cause. Grand Dieu! cette idĂ©e dĂ©sespĂ©rante me poursuit et dĂ©chire mon cĂ âur; ce malheur me manquait, et je sens que je suis nĂ©e pour les Ă©prouver tous. Adieu, ma chĂšre amie, aimez-moi, plaignez-moi. Aurai-je une Lettre de vous aujourd'hui? Paris, ce 16 octobre 17**. LETTRE CXV LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL C'est une chose inconcevable, ma belle amie, comme aussitĂÂŽt qu'on s'Ă©loigne, on cesse facilement de s'entendre. Tant que j'Ă©tais auprĂšs de vous, nous n'avions jamais qu'un mĂÂȘme sentiment, une mĂÂȘme façon de voir; et parce que, depuis prĂšs de trois mois, je ne vous vois plus, nous ne sommes plus du mĂÂȘme avis sur rien. Qui de nous deux a tort? sĂ»rement vous n'hĂ©siteriez pas sur la rĂ©ponse mais moi, plus sage, ou plus poli, je ne dĂ©cide pas. Je vais seulement rĂ©pondre Ă votre Lettre, et continuer de vous exposer ma conduite. D'abord, je vous remercie de l'avis que vous me donnez des bruits qui courent sur mon compte; mais je ne m'en inquiĂšte pas encore je me crois sĂ»r d'avoir bientĂÂŽt de quoi les faire cesser. Soyez tranquille, je ne reparaĂtrai dans le monde que plus cĂ©lĂšbre que jamais, et toujours plus digne de vous. J'espĂšre qu'on me comptera mĂÂȘme pour quelque chose l'aventure de la petite Volanges, dont vous paraissez faire si peu de cas comme si ce n'Ă©tait rien que d'enlever en une soirĂ©e une jeune fille Ă son Amant aimĂ©, d'en user ensuite tant qu'on le veut et absolument comme de son bien, et sans plus d'embarras; d'en obtenir ce qu'on n'ose pas mĂÂȘme exiger de toutes les filles dont c'est le mĂ©tier; et cela, sans la dĂ©ranger en rien de son tendre amour; sans la rendre inconstante, pas mĂÂȘme infidĂšle car, en effet, je n'occupe seulement pas sa tĂÂȘte! en sorte qu'aprĂšs ma fantaisie passĂ©e, je la remettrai entre les bras de son Amant, pour ainsi dire, sans qu'elle se soit aperçue de rien. Est-ce donc lĂ une marche si ordinaire? et puis croyez-moi, une fois sortie de mes mains, les principes que je lui donne ne s'en dĂ©velopperont pas moins; et je prĂ©dis que la timide Ă©coliĂšre prendra bientĂÂŽt un essor propre Ă faire honneur Ă son maĂtre. Si pourtant on aime mieux le genre hĂ©roĂÂŻque, je montrerai la PrĂ©sidente, ce modĂšle citĂ© de toutes les vertus! respectĂ©e mĂÂȘme de nos plus libertins! telle enfin qu'on avait perdu jusqu'Ă l'idĂ©e de l'attaquer! je la montrerai, dis-je, oubliant ses devoirs et sa vertu, sacrifiant sa rĂ©putation et deux ans de sagesse, pour courir aprĂšs le bonheur de me plaire, pour s'enivrer de celui de m'aimer, se trouvant suffisamment dĂ©dommagĂ©e de tant de sacrifices, par un mot, par un regard qu'encore elle n'obtiendra pas toujours. Je ferai plus, je la quitterai; et je ne connais pas cette femme, ou je n'aurai point de successeur. Elle rĂ©sistera au besoin de consolation, Ă l'habitude du plaisir, au dĂ©sir mĂÂȘme de la vengeance. Enfin, elle n'aura existĂ© que pour moi; et que sa carriĂšre soit plus ou moins longue, j'en aurai seul ouvert et fermĂ© la barriĂšre. Une fois parvenu Ă ce triomphe, je dirai Ă mes rivaux " Voyez mon ouvrage, et cherchez-en dans le siĂšcle un second exemple! " Vous allez me demander d'oĂÂč vient aujourd'hui cet excĂšs de confiance? c'est que depuis huit jours je suis dans la confidence de ma Belle; elle ne me dit pas ses secrets, mais je les surprends. Deux Lettres d'elle Ă Madame de Rosemonde m'ont suffisamment instruit, et je ne lirai plus les autres que par curiositĂ©. Je n'ai absolument besoin, pour rĂ©ussir, que de me rapprocher d'elle, et mes moyens sont trouvĂ©s. Je vais incessamment les mettre en usage. Vous ĂÂȘtes curieuse, je crois?... Mais non, pour vous punir de ne pas croire Ă mes inventions, vous ne les saurez pas. Tout de bon, vous mĂ©riteriez que je vous retirasse ma confiance, au moins pour cette aventure; en effet, sans le doux prix attachĂ© par vous Ă ce succĂšs, je ne vous en parlerais plus. Vous voyez que je suis fĂÂąchĂ©. Cependant, dans l'espoir que vous vous corrigerez, je veux bien m'en tenir Ă cette punition lĂ©gĂšre; et revenant Ă l'indulgence, j'oublie un moment mes grands projets, pour raisonner des vĂÂŽtres avec vous. Vous voilĂ donc Ă la campagne, ennuyeuse comme le sentiment, et triste comme la fidĂ©litĂ©! Et ce pauvre Belleroche! vous ne vous contentez pas de lui faire boire l'eau d'oubli, vous lui en donnez la question! Comment s'en trouve- t-il? supporte-t-il bien les nausĂ©es de l'amour? Je voudrais pour beaucoup qu'il ne vous en devĂnt que plus attachĂ©; je suis curieux de voir quel remĂšde plus efficace vous parviendriez Ă employer. Je vous plains, en vĂ©ritĂ©, d'avoir Ă©tĂ© obligĂ©e de recourir Ă celui-lĂ . Je n'ai fait qu'une fois, dans ma vie, l'amour par procĂ©dĂ©. J'avais certainement un grand motif, puisque c'Ă©tait Ă la Comtesse de ***; et vingt fois, entre ses bras, j'ai Ă©tĂ© tentĂ© de lui dire " Madame, je renonce Ă la place que je sollicite, et permettez-moi de quitter celle que j'occupe. " Aussi, de toutes les femmes que j'ai eues, c'est la seule dont j'ai vraiment plaisir Ă dire du mal. Pour votre motif Ă vous, je le trouve, Ă vrai dire, d'un ridicule rare; et vous aviez raison de croire que je ne devinerais pas le successeur. Quoi! c'est pour Danceny que vous vous donnez toute cette peine-lĂ ! Eh! ma chĂšre amie, laissez-le adorer sa vertueuse CĂ©cile , et ne vous compromettez pas dans ces jeux d'enfants. Laissez les Ă©coliers se former auprĂšs des Bonnes , ou jouer avec les pensionnaires Ă de petits jeux innocents . Comment allez- vous vous charger d'un novice qui ne saura ni vous prendre, ni vous quitter, et avec qui il vous faudra tout faire? Je vous le dis sĂ©rieusement, je dĂ©sapprouve ce choix, et quelque secret qu'il restĂÂąt, il vous humilierait au moins Ă mes yeux et dans votre conscience. Vous prenez, dites-vous, beaucoup de goĂ»t pour lui allons donc, vous vous trompez sĂ»rement, et je crois mĂÂȘme avoir trouvĂ© la cause de votre erreur. Ce beau dĂ©goĂ»t de Belleroche vous est venu dans un temps de disette, et Paris ne vous offrant pas de choix, vos idĂ©es, toujours trop vives, se sont portĂ©es sur le premier objet que vous avez rencontrĂ©. Mais songez qu'Ă votre retour, vous pourrez choisir entre mille; et si enfin vous redoutez l'inaction dans laquelle vous risquez de tomber en diffĂ©rant, je m'offre Ă vous pour amuser vos loisirs. D'ici Ă votre arrivĂ©e, mes grandes affaires seront terminĂ©es de maniĂšre ou d'autre; et sĂ»rement, ni la petite Volanges, ni la PrĂ©sidente elle-mĂÂȘme, ne m'occuperont pas assez alors pour que je ne sois pas Ă vous autant que vous le dĂ©siriez. Peut-ĂÂȘtre mĂÂȘme, d'ici lĂ , aurai-je dĂ©jĂ remis la petite fille aux mains de son discret Amant. Sans convenir, quoi que vous en disiez, que ce ne soit pas une jouissance attachante , comme j'ai le projet qu'elle garde de moi toute sa vie une idĂ©e supĂ©rieure Ă celle de tous les autres hommes, je me suis mis, avec elle, sur un ton que je ne pourrais soutenir longtemps sans altĂ©rer ma santĂ©; et dĂšs ce moment, je ne tiens plus Ă elle que par le soin qu'on doit aux affaires de famille... Vous ne m'entendez pas? C'est que j'attends une seconde Ă©poque pour confirmer mon espoir, et m'assurer que j'ai pleinement rĂ©ussi dans mes projets. Oui, ma belle amie, j'ai dĂ©jĂ un premier indice que le mari de mon Ă©coliĂšre ne courra pas le risque de mourir sans postĂ©ritĂ©; et que le Chef de la maison de Gercourt ne sera Ă l'avenir qu'un Cadet de celle de Valmont. Mais laissez-moi finir, Ă ma fantaisie, cette aventure que je n'ai entreprise qu'Ă votre priĂšre. Songez que si vous rendez Danceny inconstant, vous ĂÂŽtez tout le piquant de cette histoire. ConsidĂ©rez enfin que, m'offrant pour le reprĂ©senter auprĂšs de vous, j'ai, ce me semble, quelques droits Ă la prĂ©fĂ©rence. J'y compte si bien, que je n'ai pas craint de contrarier vos vues, en concourant moi-mĂÂȘme Ă augmenter la tendre passion du discret Amoureux, pour le premier et digne objet de son choix. Ayant donc trouvĂ© hier votre Pupille occupĂ©e Ă lui Ă©crire, et l'ayant dĂ©rangĂ©e d'abord de cette douce occupation pour une autre plus douce encore, je lui ai demandĂ©, aprĂšs, de voir sa Lettre; et comme je l'ai trouvĂ©e froide et contrainte, je lui ai fait sentir que ce n'Ă©tait pas ainsi qu'elle consolerait son Amant, et je l'ai dĂ©cidĂ©e Ă en Ă©crire une autre sous ma dictĂ©e; oĂÂč, en imitant du mieux que j'ai pu son petit radotage, j'ai tĂÂąchĂ© de nourrir l'amour du jeune homme par un espoir plus certain. La petite personne Ă©tait toute ravie, me disait-elle, de se trouver parler si bien; et dorĂ©navant, je serai chargĂ© de la correspondance. Que n'aurai-je pas fait pour ce Danceny? J'aurai Ă©tĂ© Ă la fois son ami, son confident, son rival et sa maĂtresse! Encore, en ce moment, je lui rends le service de le sauver de vos liens dangereux; oui, sans doute, dangereux, car vous possĂ©der et vous perdre, c'est acheter un moment de bonheur par une Ă©ternitĂ© de regrets. Adieu, ma belle amie; ayez le courage de dĂ©pĂÂȘcher Belleroche le plus que vous pourrez. Laissez lĂ Danceny, et prĂ©parez-vous Ă retrouver, et Ă me rendre, les dĂ©licieux plaisirs de notre premiĂšre liaison. Je vous fais compliment sur le jugement prochain du grand procĂšs. Je serai fort aise que cet heureux Ă©vĂ©nement arrive sous mon rĂšgne. Du ChĂÂąteau de ..., ce 19 octobre 17**. LETTRE CXVI LE CHEVALIER DANCENY A CECILE VOLANGES Madame de Merteuil est partie ce matin pour la campagne; ainsi, ma charmante CĂ©cile, me voilĂ privĂ© du seul plaisir qui me restait en votre absence, celui de parler de vous Ă votre amie et Ă la mienne. Depuis quelque temps, elle m'a permis de lui donner ce titre; et j'en ai profitĂ© avec d'autant plus d'empressement, qu'il me semblait, par lĂ , me rapprocher de vous davantage. Mon Dieu! que cette femme est aimable et quel charme flatteur elle sait donner Ă l'amitiĂ©! Il semble que ce doux sentiment s'embellisse et se fortifie chez elle de tout ce qu'elle refuse Ă l'amour. Si vous saviez comme elle vous aime, comme elle se plaĂt Ă m'entendre lui parler de vous!... C'est lĂ sans doute ce qui m'attache autant Ă elle. Quel bonheur de pouvoir vivre uniquement pour vous deux, de passer sans cesse des dĂ©lices de l'amour aux douceurs de l'amitiĂ©, d'y consacrer toute mon existence, d'ĂÂȘtre en quelque sorte le point de rĂ©union de votre attachement rĂ©ciproque; et de sentir toujours que, m'occupant du bonheur de l'une, je travaillerais Ă©galement Ă celui de l'autre! Aimez, aimez beaucoup, ma charmante amie, cette femme adorable. L'attachement que j'ai pour elle, donnez-y plus de prix encore, en le partageant. Depuis que j'ai goĂ»tĂ© le charme de l'amitiĂ©, je dĂ©sire que vous l'Ă©prouviez Ă votre tour. Les plaisirs que je ne partage pas avec vous, il me semble n'en jouir qu'Ă moitiĂ©. Oui, ma CĂ©cile, je voudrais entourer votre cĂ âur de tous les sentiments les plus doux; que chacun de ses mouvements vous fĂt Ă©prouver une sensation de bonheur; et je croirais encore ne pouvoir jamais vous rendre qu'une partie de la fĂ©licitĂ© que je tiendrais de vous. Pourquoi faut-il que ces projets charmants ne soient qu'une chimĂšre de mon imagination, et que la rĂ©alitĂ© ne m'offre au contraire que des privations douloureuses et indĂ©finies? L'espoir que vous m'aviez donnĂ© de vous voir Ă cette campagne, je m'aperçois bien qu'il faut y renoncer. Je n'ai plus de consolation que celle de me persuader qu'en effet cela ne vous est pas possible. Et vous nĂ©gligez de me le dire, de vous en affliger avec moi! DĂ©jĂ , deux fois, mes plaintes Ă ce sujet sont restĂ©es sans rĂ©ponse. Ah! CĂ©cile! CĂ©cile, je crois bien que vous m'aimez de toutes les facultĂ©s de votre ĂÂąme, mais votre ĂÂąme n'est pas brĂ»lante comme la mienne! Que n'est-ce Ă moi Ă lever les obstacles? Pourquoi ne sont-ce pas mes intĂ©rĂÂȘts qu'il me faille mĂ©nager, au lieu des vĂÂŽtres? je saurais bientĂÂŽt vous prouver que rien n'est impossible Ă l'amour. Vous ne me mandez pas non plus quand doit finir cette absence cruelle au moins, ici, peut-ĂÂȘtre vous verrais-je. Vos charmants regards ranimeraient mon ĂÂąme abattue; leur touchante expression rassurerait mon cĂ âur, qui quelquefois en a besoin. Pardon, ma CĂ©cile; cette crainte n'est pas un soupçon. Je crois Ă votre amour, Ă votre constance. Ah! je serais trop malheureux, si j'en doutais. Mais tant d'obstacles! et toujours renouvelĂ©s! Mon amie, je suis triste, bien triste. Il semble que ce dĂ©part de Madame de Merteuil ait renouvelĂ© en moi le sentiment de tous mes malheurs. Adieu, ma CĂ©cile; adieu, ma bien-aimĂ©e. Songez que votre Amant s'afflige, et que vous pouvez seule lui rendre le bonheur. Paris, ce 17 octobre 17**. LETTRE CXVII CECILE VOLANGES AU CHEVALIER DANCENY DICTEE PAR VALMONT. Croyez-vous donc, mon bon ami, que j'aie besoin d'ĂÂȘtre grondĂ©e pour ĂÂȘtre triste, quand je sais que vous vous affligez? et doutez-vous que je ne souffre autant que vous de toutes vos peines? Je partage mĂÂȘme celles que je vous cause volontairement; et j'ai de plus que vous, de voir que vous ne me rendez pas justice. Oh! cela n'est pas bien. Je vois bien ce qui vous fĂÂąche; c'est que les deux derniĂšres fois que vous m'avez demandĂ© de venir ici je ne vous ai pas rĂ©pondu Ă cela mais cette rĂ©ponse est-elle donc si aisĂ©e Ă faire? Croyez-vous que je ne sache pas que ce que vous voulez est bien mal? Et pourtant, si j'ai dĂ©jĂ tant de peine Ă vous refuser de loin, que serait-ce donc si vous Ă©tiez lĂ ? Et puis pour avoir voulu vous consoler un moment, je resterais affligĂ©e toute ma vie. Tenez, je n'ai rien de cachĂ© pour vous, moi voilĂ mes raisons, jugez vous- mĂÂȘme. J'aurais peut-ĂÂȘtre fait ce que vous voulez, sans ce que je vous ai mandĂ©, que ce M. de Gercourt, qui cause tout notre chagrin, n'arrivera pas encore de sitĂÂŽt; et comme, depuis quelque temps, Maman me tĂ©moigne beaucoup plus d'amitiĂ©; comme, de mon cĂÂŽtĂ©, je la caresse le plus que je peux; qui sait ce que je pourrai obtenir d'elle? Et si nous pouvions ĂÂȘtre heureux sans que j'aie rien Ă me reprocher, est-ce que cela ne vaudrait pas bien mieux? Si j'en crois ce qu'on m'a dit souvent, les hommes mĂÂȘme n'aiment plus tant leurs femmes, quand elles les ont trop aimĂ©s avant de l'ĂÂȘtre. Cette crainte-lĂ me retient encore plus que tout le reste. Mon ami, n'ĂÂȘtes-vous pas sĂ»r de mon cĂ âur, et ne sera-t-il pas toujours temps? Ecoutez, je vous promets que, si je ne peux pas Ă©viter le malheur d'Ă©pouser M. de Gercourt, que je hais dĂ©jĂ tant avant de le connaĂtre, rien ne me retiendra plus pour ĂÂȘtre Ă vous autant que je pourrai, et mĂÂȘme avant tout. Comme je ne me soucie d'ĂÂȘtre aimĂ©e que de vous, et que vous verrez bien si je fais mal, il n'y aura pas de ma faute, le reste me sera bien Ă©gal; pourvu que vous me promettiez de m'aimer toujours autant que vous faites. Mais, mon ami, jusque-lĂ , laissez-moi continuer comme je fais; et ne me demandez plus une chose que j'ai de bonnes raisons pour ne pas faire, et que pourtant il me fĂÂąche de vous refuser. Je voudrais bien aussi que M. de Valmont ne fĂ»t pas si pressant pour vous; cela ne sert qu'Ă me rendre plus chagrine encore. Oh! vous avez lĂ un bien bon ami, je vous assure! Il fait tout comme vous feriez vous-mĂÂȘme. Mais adieu, mon cher ami; j'ai commencĂ© bien tard Ă vous Ă©crire, et j'y ai passĂ© une partie de la nuit. Je vas me coucher et rĂ©parer le temps perdu. Je vous embrasse, mais ne me grondez plus. Du ChĂÂąteau de ..., ce 18 octobre 17**. LETTRE CXVIII LE CHEVALIER DANCENY A LA MARQUISE DE MERTEUIL Si j'en crois mon Almanach, il n'y a, mon adorable amie, que deux jours que vous ĂÂȘtes absente; mais si j'en crois mon cĂ âur, il y a deux siĂšcles. Or, je le tiens de vous-mĂÂȘme, c'est toujours son cĂ âur qu'il faut croire; il est donc bien temps que vous reveniez, et toutes vos affaires doivent ĂÂȘtre plus que finies. Comment voulez-vous que je m'intĂ©resse Ă votre procĂšs, si, perte ou gain, j'en dois Ă©galement payer les frais par l'ennui de votre absence? Oh! que j'aurais envie de quereller! et qu'il est triste, avec un si beau sujet d'avoir de l'humeur, de n'avoir pas le droit d'en montrer! N'est-ce pas cependant une vĂ©ritable infidĂ©litĂ©, une noire trahison, que de laisser votre ami loin de vous, aprĂšs l'avoir accoutumĂ© Ă ne pouvoir plus se passer de votre prĂ©sence? Vous aurez beau consulter vos Avocats, ils ne vous trouveront pas de justification pour ce mauvais procĂ©dĂ© et puis, ces gens-lĂ ne disent que des raisons, et des raisons ne suffisent pas pour rĂ©pondre Ă des sentiments. Pour moi, vous m'avez tant dit que c'Ă©tait par raison que vous faisiez ce voyage, que vous m'avez tout Ă fait brouillĂ© avec elle. Je ne veux plus du tout l'entendre; pas mĂÂȘme quand elle me dit de vous oublier. Cette raison-lĂ est pourtant bien raisonnable; et au fait, cela ne serait pas si difficile que vous pourriez le croire. Il suffirait seulement de perdre l'habitude de penser toujours Ă vous, et rien ici, je vous assure, ne vous rappellerait Ă moi. Nos plus jolies femmes, celles qu'on dit les plus aimables, sont encore si loin de vous qu'elles ne pourraient en donner qu'une bien faible idĂ©e. Je crois mĂÂȘme qu'avec des yeux exercĂ©s, plus on a cru d'abord qu'elles vous ressemblaient, plus on y trouve aprĂšs de diffĂ©rence elles ont beau faire, beau y mettre tout ce qu'elles savent, il leur manque toujours d'ĂÂȘtre vous, et c'est positivement lĂ qu'est le charme. Malheureusement, quand les journĂ©es sont si longues, et qu'on est dĂ©soccupĂ©, on rĂÂȘve, on fait des chĂÂąteaux en Espagne, on se crĂ©e sa chimĂšre; peu Ă peu l'imagination s'exalte on veut embellir son ouvrage, on rassemble tout ce qui peut plaire, on arrive enfin Ă la perfection; et dĂšs qu'on en est lĂ , le portrait ramĂšne au modĂšle, et on est tout Ă©tonnĂ© de voir qu'on n'a fait que songer Ă vous. Dans ce moment mĂÂȘme, je suis encore la dupe d'une erreur Ă peu prĂšs semblable. Vous croyez peut-ĂÂȘtre que c'Ă©tait pour m'occuper de vous, que je me suis mis Ă vous Ă©crire? point du tout c'Ă©tait pour m'en distraire. J'avais cent choses Ă vous dire dont vous n'Ă©tiez pas l'objet, qui, comme vous savez, m'intĂ©ressent bien vivement; et ce sont celles-lĂ pourtant dont j'ai Ă©tĂ© distrait. Et depuis quand le charme de l'amitiĂ© distrait-il donc de celui de l'amour? Ah! si j'y regardais de bien prĂšs, peut-ĂÂȘtre aurais-je un petit reproche Ă me faire! Mais chut! oublions cette lĂ©gĂšre faute de peur d'y retomber; et que mon amie elle-mĂÂȘme l'ignore. Aussi pourquoi n'ĂÂȘtes-vous pas lĂ pour me rĂ©pondre, pour me ramener si je m'Ă©gare; pour me parler de ma CĂ©cile, pour augmenter, s'il est possible, le bonheur que je goĂ»te Ă l'aimer, par l'idĂ©e si douce que c'est votre amie que j'aime? Oui, je l'avoue, l'amour qu'elle m'inspire m'est devenu plus prĂ©cieux encore, depuis que vous avez bien voulu en recevoir la confidence. J'aime tant Ă vous ouvrir mon cĂ âur, Ă occuper le vĂÂŽtre de mes sentiments, Ă les y dĂ©poser sans rĂ©serve! il me semble que je les chĂ©ris davantage, Ă mesure que vous daignez les recueillir; et puis, je vous regarde et je me dis C'est en elle qu'est renfermĂ© tout mon bonheur. Je n'ai rien de nouveau Ă vous apprendre sur ma situation. La derniĂšre Lettre que j'ai reçue d'elle augmente et assure mon espoir, mais le retarde encore. Cependant ses motifs sont si tendres et si honnĂÂȘtes que je ne puis l'en blĂÂąmer ni m'en plaindre. Peut-ĂÂȘtre n'entendrez-vous pas trop bien ce que je vous dis lĂ ; mais pourquoi n'ĂÂȘtes-vous pas ici? Quoiqu'on dise tout Ă son amie, on n'ose pas tout Ă©crire. Les secrets de l'amour, surtout, sont si dĂ©licats qu'on ne peut les laisser aller ainsi sur leur bonne foi. Si quelquefois on leur permet de sortir, il ne faut pas au moins les perdre de vue; il faut en quelque sorte les voir entrer dans leur nouvel asile. Ah! revenez donc, mon adorable amie; vous voyez bien que votre retour est nĂ©cessaire. Oubliez enfin les mille raisons qui vous retiennent oĂÂč vous ĂÂȘtes, ou apprenez-moi Ă vivre oĂÂč vous n'ĂÂȘtes pas. J'ai l'honneur d'ĂÂȘtre, etc. Paris, ce 19 octobre 17**. LETTRE CXIX MADAME DE ROSEMONDE A LA PRESIDENTE DE TOURVEL Quoique je souffre encore beaucoup, ma chĂšre Belle, j'essaie de vous Ă©crire moi-mĂÂȘme, afin de pouvoir vous parler de ce qui vous intĂ©resse. Mon neveu garde toujours sa misanthropie. Il envoie fort rĂ©guliĂšrement savoir de mes nouvelles tous les jours; mais il n'est pas venu une fois s'en informer lui- mĂÂȘme, quoique je l'en aie fait prier en sorte que je ne le vois pas plus que s'il Ă©tait Ă Paris. Je l'ai pourtant rencontrĂ© ce matin, oĂÂč je ne l'attendais guĂšre. C'est dans ma Chapelle, oĂÂč je suis descendue pour la premiĂšre fois depuis ma douloureuse incommoditĂ©. J'ai appris aujourd'hui que depuis quatre jours il y va rĂ©guliĂšrement entendre la Messe. Dieu veuille que cela dure! Quand je suis entrĂ©e, il est venu Ă moi, et m'a fĂ©licitĂ©e fort affectueusement sur le meilleur Ă©tat de ma santĂ©. Comme la Messe commençait, j'ai abrĂ©gĂ© la conversation, que je comptais bien reprendre aprĂšs; mais il a disparu avant que j'aie pu le joindre. Je ne vous cacherai pas que je l'ai trouvĂ© un peu changĂ©. Mais, ma chĂšre Belle, ne me faites pas repentir de ma confiance en votre raison, par des inquiĂ©tudes trop vives; et surtout soyez sĂ»re que j'aimerais encore mieux vous affliger, que vous tromper. Si mon neveu continue Ă me tenir rigueur, je prendrai le parti, aussitĂÂŽt que je serai mieux, de l'aller voir dans sa chambre; et je tĂÂącherai de pĂ©nĂ©trer la cause de cette singuliĂšre manie, dans laquelle je crois bien que vous ĂÂȘtes pour quelque chose. Je vous manderai ce que j'aurai appris. Je vous quitte, ne pouvant plus remuer les doigts et puis, si AdĂ©laĂÂŻde savait que j'ai Ă©crit, elle me gronderait toute la soirĂ©e. Adieu, ma chĂšre Belle. Du ChĂÂąteau de ..., ce 20 octobre 17**. LETTRE CXX LE VICOMTE DE VALMONT AU PERE ANSELME FEUILLANT DU COUVENT DE LA RUE SAINT-HONORE. Je n'ai pas l'honneur d'ĂÂȘtre connu de vous, Monsieur mais je sais la confiance entiĂšre qu'a en vous Madame la PrĂ©sidente de Tourvel, et je sais de plus combien cette confiance est dignement placĂ©e. Je crois donc pouvoir sans indiscrĂ©tion m'adresser Ă vous, pour en obtenir un service bien essentiel, vraiment digne de votre saint ministĂšre, et oĂÂč l'intĂ©rĂÂȘt de Madame de Tourvel se trouve joint au mien. J'ai entre les mains des papiers importants qui la concernent, qui ne peuvent ĂÂȘtre confiĂ©s Ă personne, et que je ne dois ni ne veux remettre qu'entre ses mains. Je n'ai aucun moyen de l'en instruire, parce que des raisons, que peut- ĂÂȘtre vous aurez sues d'elle, mais dont je ne crois pas qu'il me soit permis de vous instruire, lui ont fait prendre le parti de refuser toute correspondance avec moi parti que j'avoue volontiers aujourd'hui ne pouvoir blĂÂąmer, puisqu'elle ne pouvait prĂ©voir des Ă©vĂ©nements auxquels j'Ă©tais moi-mĂÂȘme bien loin de m'attendre, et qui n'Ă©taient possibles qu'Ă la force plus qu'humaine qu'on est forcĂ© d'y reconnaĂtre. Je vous prie donc, Monsieur, de vouloir bien l'informer de mes nouvelles rĂ©solutions, et de lui demander pour moi une entrevue particuliĂšre, oĂÂč je puisse au moins rĂ©parer, en partie, mes torts par mes excuses; et, pour dernier sacrifice, anĂ©antir Ă ses yeux les seules traces existantes d'une erreur ou d'une faute qui m'avait rendu coupable envers elle. Ce ne sera qu'aprĂšs cette expiation prĂ©liminaire, que j'oserai dĂ©poser Ă vos pieds l'humiliant aveu de mes longs Ă©garements; et implorer votre mĂ©diation pour une rĂ©conciliation bien plus importante encore, et malheureusement plus difficile. Puis-je espĂ©rer, Monsieur, que vous ne me refuserez pas des soins si nĂ©cessaires et si prĂ©cieux? et que vous daignerez soutenir ma faiblesse, et guider mes pas dans un sentier nouveau, que je dĂ©sire bien ardemment de suivre, mais que j'avoue en rougissant ne pas connaĂtre encore? J'attends votre rĂ©ponse avec l'impatience du repentir qui dĂ©sire de rĂ©parer, et je vous prie de me croire avec autant de reconnaissance que de vĂ©nĂ©ration. Votre trĂšs humble, etc. Je vous autorise, Monsieur, au cas que vous le jugiez convenable, Ă communiquer cette Lettre en entier Ă Madame de Tourvel, que je me ferai toute ma vie un devoir de respecter, et en qui je ne cesserai jamais d'honorer celle dont le Ciel s'est servi pour ramener mon ĂÂąme Ă la vertu, par le touchant spectacle de la sienne. Du ChĂÂąteau de ..., ce 22 octobre 17** LETTRE CXXI LA MARQUISE DE MERTEUIL AU CHEVALIER DANCENY J'ai reçu votre Lettre, mon trop jeune ami; mais avant de vous remercier, il faut que je vous gronde, et je vous prĂ©viens que si vous ne vous corrigez pas, vous n'aurez plus de rĂ©ponse de moi. Quittez donc, si vous m'en croyez, ce ton de cajolerie, qui n'est plus que du jargon, dĂšs qu'il n'est pas l'expression de l'amour. Est-ce donc lĂ le style de l'amitiĂ©? non, mon ami, chaque sentiment a son langage qui lui convient; et se servir d'un autre, c'est dĂ©guiser la pensĂ©e que l'on exprime. Je sais bien que nos petites femmes n'entendent rien de ce qu'on peut leur dire, s'il n'est traduit, en quelque sorte, dans ce jargon d'usage; mais je croyais mĂ©riter, je l'avoue, que vous me distinguassiez d'elles. Je suis vraiment fĂÂąchĂ©e, et peut-ĂÂȘtre plus que je ne devrais l'ĂÂȘtre, que vous m'ayez si mal jugĂ©e. Vous ne trouverez donc dans ma Lettre que ce qui manque Ă la vĂÂŽtre, franchise et simplesse. Je vous dirai bien, par exemple, que j'aurais grand plaisir Ă vous voir, et que je suis contrariĂ©e de n'avoir auprĂšs de moi que des gens qui m'ennuient, au lieu de gens qui me plaisent; mais vous, cette mĂÂȘme phrase, vous la traduisez ainsi Apprenez-moi Ă vivre oĂÂč vous n'ĂÂȘtes pas ; en sorte que quand vous serez, je suppose, auprĂšs de votre MaĂtresse, vous ne sauriez pas y vivre que je n'y sois en tiers. Quelle pitiĂ©! et ces femmes, Ă qui il manque toujours d'ĂÂȘtre moi , vous trouvez peut-ĂÂȘtre aussi que cela manque Ă votre CĂ©cile! voilĂ pourtant oĂÂč conduit un langage qui, par l'abus qu'on en fait aujourd'hui, est encore au-dessous du jargon des compliments, et ne devient plus qu'un simple protocole, auquel on ne croit pas davantage qu'au trĂšs humble serviteur! Mon ami, quand vous m'Ă©crivez, que ce soit pour me dire votre façon de penser et de sentir, et non pour m'envoyer des phrases que je trouverai, sans vous, plus ou moins bien dites dans le premier Roman du jour. J'espĂšre que vous ne vous fĂÂącherez pas de ce que je vous dis lĂ , quand mĂÂȘme vous y verriez un peu d'humeur; car je ne nie pas d'en avoir mais pour Ă©viter jusqu'Ă l'air du dĂ©faut que je vous reproche, je ne vous dirai pas que cette humeur est peut-ĂÂȘtre un peu augmentĂ©e par l'Ă©loignement oĂÂč je suis de vous. Il me semble qu'Ă tout prendre vous valez mieux qu'un procĂšs et deux Avocats, et peut-ĂÂȘtre mĂÂȘme encore que l'attentif Belleroche. Vous voyez qu'au lieu de vous dĂ©soler de mon absence, vous devriez vous en fĂ©liciter; car jamais je ne vous avais fait un aussi beau compliment. Je crois que l'exemple me gagne, et que je veux vous dire aussi des cajoleries mais non, j'aime mieux m'en tenir Ă ma franchise; c'est donc elle seule qui vous assure de ma tendre amitiĂ©, et de l'intĂ©rĂÂȘt qu'elle m'inspire. Il est fort doux d'avoir un jeune ami, dont le cĂ âur est occupĂ© ailleurs. Ce n'est pas lĂ le systĂšme de toutes les femmes; mais c'est le mien. Il me semble qu'on se livre, avec plus de plaisir, Ă un sentiment dont on ne peut rien avoir Ă craindre aussi j'ai passĂ© pour vous, d'assez bonne heure peut-ĂÂȘtre, au rĂÂŽle de confidente. Mais vous choisissez vos MaĂtresses si jeunes, que vous m'avez fait apercevoir pour la premiĂšre fois que je commence Ă ĂÂȘtre vieille! C'est bien fait Ă vous de vous prĂ©parer ainsi une longue carriĂšre de constance, et je vous souhaite de tout mon cĂ âur qu'elle soit rĂ©ciproque. Vous avez raison de vous rendre aux motifs tendres et honnĂÂȘtes qui, Ă ce que vous me mandez, retardent votre bonheur . La longue dĂ©fense est le seul mĂ©rite qui reste Ă celles qui ne rĂ©sistent pas toujours; et ce que je trouverais impardonnable Ă toute autre qu'Ă un enfant comme la petite Volanges, serait de ne pas savoir fuir un danger dont elle a Ă©tĂ© suffisamment avertie par l'aveu qu'elle a fait de son amour. Vous autres hommes, vous n'avez pas d'idĂ©es de ce qu'est la vertu, et de ce qu'il en coĂ»te pour la sacrifier! Mais pour peu qu'une femme raisonne, elle doit savoir qu'indĂ©pendamment de la faute qu'elle commet, une faiblesse est pour elle le plus grand des malheurs; et je ne conçois pas qu'aucune s'y laisse jamais prendre, quand elle peut avoir un moment pour y rĂ©flĂ©chir. N'allez pas combattre cette idĂ©e, car c'est elle qui m'attache principalement Ă vous. Vous me sauverez des dangers de l'amour; et quoique j'aie bien su sans vous m'en dĂ©fendre jusqu'Ă prĂ©sent, je consens Ă en avoir de la reconnaissance, et je vous en aimerai mieux et davantage. Sur ce, mon cher Chevalier, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde. Du ChĂÂąteau de ..., ce 22 octobre 17**. LETTRE CXXII MADAME DE ROSEMONDE A LA PRESIDENTE DE TOURVEL J'espĂ©rais, mon aimable fille, pouvoir enfin calmer vos inquiĂ©tudes, et je vois au contraire avec chagrin que je vais les augmenter encore! Calmez-vous cependant; mon neveu n'est pas en danger on ne peut pas mĂÂȘme dire qu'il soit rĂ©ellement malade. Mais il se passe sĂ»rement en lui quelque chose d'extraordinaire. Je n'y comprends rien; mais je suis sortie de sa chambre avec un sentiment de tristesse, peut-ĂÂȘtre mĂÂȘme d'effroi, que je me reproche de vous faire partager, et dont cependant je ne puis m'empĂÂȘcher de causer avec vous. Voici le rĂ©cit de ce qui s'est passĂ© vous pouvez ĂÂȘtre sĂ»re qu'il est fidĂšle; car je vivrais quatre-vingts autres annĂ©es, que je n'oublierais pas l'impression que m'a faite cette triste scĂšne. J'ai donc Ă©tĂ© ce matin chez mon neveu; je l'ai trouvĂ© Ă©crivant, et entourĂ© de diffĂ©rents tas de papiers, qui avaient l'air d'ĂÂȘtre l'objet de son travail. Il s'en occupait au point que j'Ă©tais dĂ©jĂ au milieu de sa chambre qu'il n'avait pas encore tournĂ© la tĂÂȘte pour savoir qui entrait. AussitĂÂŽt qu'il m'a aperçue, j'ai trĂšs bien remarquĂ© qu'en se levant, il s'efforçait de composer sa figure, et peut-ĂÂȘtre mĂÂȘme est-ce lĂ ce qui m'y a fait faire plus d'attention. Il Ă©tait, Ă la vĂ©ritĂ©, sans toilette et sans poudre; mais je l'ai trouvĂ© pĂÂąle et dĂ©fait, et ayant surtout la physionomie altĂ©rĂ©e. Son regard que nous avons vu si vif et si gai, Ă©tait triste et abattu; enfin, soit dit entre nous, je n'aurais pas voulu que vous le vissiez ainsi car il avait l'air trĂšs touchant et trĂšs propre, Ă ce que je crois, Ă inspirer cette tendre pitiĂ© qui est un des plus dangereux piĂšges de l'amour. Quoique frappĂ©e de mes remarques, j'ai pourtant commencĂ© la conversation comme si je ne m'Ă©tais aperçue de rien. Je lui ai d'abord parlĂ© de sa santĂ©, et sans me dire qu'elle soit bonne, il ne m'a point articulĂ© pourtant qu'elle fĂ»t mauvaise. Alors je me suis plainte de sa retraite, qui avait un peu l'air d'une manie, et je tĂÂąchais de mĂÂȘler un peu de gaietĂ© Ă ma petite rĂ©primande; mais lui m'a rĂ©pondu seulement, d'un ton pĂ©nĂ©trĂ© " C'est un tort de plus, je l'avoue; mais il sera rĂ©parĂ© avec les autres. " Son air, plus encore que ses discours, a un peu dĂ©rangĂ© mon enjouement, et je me suis hĂÂątĂ©e de lui dire qu'il mettait trop d'importance Ă un simple reproche de l'amitiĂ©. Nous nous sommes donc remis Ă causer tranquillement. Il m'a dit, peu de temps aprĂšs, que peut-ĂÂȘtre une affaire, la plus grande affaire de sa vie, le rappellerait bientĂÂŽt Ă Paris mais comme j'avais peur de la deviner, ma chĂšre Belle, et que ce dĂ©but ne me menĂÂąt Ă une confidence dont je ne voulais pas, je ne lui ai fait aucune question, et je me suis contentĂ©e de lui rĂ©pondre que plus de dissipation serait utile Ă sa santĂ©. J'ai ajoutĂ© que, pour cette fois, je ne lui ferais aucune instance, aimant mes amis pour eux-mĂÂȘmes; c'est Ă cette phrase si simple, que serrant mes mains, et parlant avec une vĂ©hĂ©mence que je ne puis vous rendre " Oui, ma tante, m'a-t-il dit, aimez, aimez beaucoup un neveu qui vous respecte et vous chĂ©rit; et, comme vous dites, aimez-le pour lui-mĂÂȘme. Ne vous affligez pas de son bonheur, et ne troublez, par aucun regret, l'Ă©ternelle tranquillitĂ© dont il espĂšre jouir bientĂÂŽt. RĂ©pĂ©tez-moi que vous m'aimez, que vous me pardonnez; oui, vous me pardonnerez; je connais votre bontĂ© mais comment espĂ©rer la mĂÂȘme indulgence de ceux que j'ai tant offensĂ©s? " Alors il s'est baissĂ© sur moi, pour me cacher, je crois, des marques de douleur, que le son de sa voix me dĂ©celait malgrĂ© lui. Emue plus que je ne puis vous dire, je me suis levĂ©e prĂ©cipitamment; et sans doute il a remarquĂ© mon effroi; car sur-le-champ, se composant davantage " Pardon, a-t-il repris; pardon, Madame, je sens que je m'Ă©gare malgrĂ© moi. Je vous prie d'oublier mes discours, et de vous souvenir seulement de mon profond respect. Je ne manquerai pas, a-t-il ajoutĂ©, d'aller vous en renouveler l'hommage avant mon dĂ©part. " Il m'a semblĂ© que cette derniĂšre phrase m'engageait Ă terminer ma visite; et je me suis en allĂ©e, en effet. Mais plus j'y rĂ©flĂ©chis, et moins je devine ce qu'il a voulu dire. Quelle est cette affaire, la plus grande de sa vie ? Ă quel sujet me demande-t-il pardon? d'oĂÂč lui est venu cet attendrissement, involontaire en me parlant? Je me suis dĂ©jĂ fait ces questions mille fois, sans pouvoir y rĂ©pondre. Je ne vois mĂÂȘme rien lĂ qui ait rapport Ă vous cependant, comme les yeux de l'amour sont plus clairvoyants que ceux de l'amitiĂ©, je n'ai voulu vous laisser rien ignorer de ce qui s'est passĂ© entre mon neveu et moi. Je me suis reprise Ă quatre fois pour Ă©crire cette longue Lettre, que je ferais plus longue encore, sans la fatigue que je ressens. Adieu, ma chĂšre Belle. Du ChĂÂąteau de ..., ce 25 octobre 17**. LETTRE CXXIII LE PERE ANSELME AU VICOMTE DE VALMONT J'ai reçu, Monsieur le Vicomte, la Lettre dont vous m'avez honorĂ©; et dĂšs hier, je me suis transportĂ©, suivant vos dĂ©sirs, chez la personne en question. Je lui ai exposĂ© l'objet et les motifs de la dĂ©marche que vous demandiez de faire auprĂšs d'elle. Quelque attachĂ©e que je l'aie trouvĂ©e au parti sage qu'elle avait pris d'abord, sur ce que je lui ai remontrĂ© qu'elle risquait peut-ĂÂȘtre par son refus de mettre obstacle Ă votre heureux retour, et de s'opposer ainsi, en quelque sorte, aux vues misĂ©ricordieuses de la Providence, elle a consenti Ă recevoir votre visite, Ă condition toutefois que ce sera la derniĂšre, et m'a chargĂ© de vous annoncer qu'elle serait chez elle Jeudi prochain, 28. Si ce jour ne pouvait pas vous convenir, vous voudrez bien l'en informer et lui en indiquer un autre. Votre Lettre sera reçue. Cependant, Monsieur le Vicomte, permettez-moi de vous inviter Ă ne pas diffĂ©rer sans de fortes raisons, afin de pouvoir vous livrer plus tĂÂŽt et plus entiĂšrement aux dispositions louables que vous me tĂ©moignez. Songez que celui qui tarde Ă profiter du moment de la grĂÂące s'expose Ă ce qu'elle lui soit retirĂ©e; que si la bontĂ© divine est infinie, l'usage en est pourtant rĂ©glĂ© par la justice; et qu'il peut venir un moment oĂÂč le Dieu de misĂ©ricorde se change en un Dieu de vengeance. Si vous continuez Ă m'honorer de votre confiance, je vous prie de croire que tous mes soins vous seront acquis, aussitĂÂŽt que vous le dĂ©sirerez quelques grandes que soient mes occupations, mon affaire la plus importante sera toujours de remplir les devoirs du saint MinistĂšre, auquel je me suis particuliĂšrement dĂ©vouĂ©; et le moment le plus beau de ma vie, celui oĂÂč je verrai mes efforts prospĂ©rer par la bĂ©nĂ©diction du Tout-Puissant. Faibles pĂ©cheurs que nous sommes, nous ne pouvons rien par nous-mĂÂȘmes! Mais le Dieu qui vous rappelle peut tout; et nous devrons Ă©galement Ă sa bontĂ©, vous, le dĂ©sir constant de vous rejoindre Ă lui, et moi, les moyens de vous y conduire. C'est avec son secours que j'espĂšre vous convaincre bientĂÂŽt que la Religion sainte peut donner seule, mĂÂȘme en ce monde, le bonheur solide et durable qu'on cherche vainement dans l'aveuglement des passions humaines. J'ai l'honneur d'ĂÂȘtre, avec une respectueuse considĂ©ration, etc. Paris, ce 25 octobre 17**. LETTRE CXXIV LA PRESIDENTE DE TOURVEL A MADAME DE ROSEMONDE Au milieu de l'Ă©tonnement oĂÂč m'a jetĂ©e, Madame, la nouvelle que j'ai apprise hier, je n'oublie pas la satisfaction qu'elle doit vous causer, et je me hĂÂąte de vous en faire part. M. de Valmont ne s'occupe plus ni de moi ni de son amour; et ne veut plus que rĂ©parer, par une vie plus Ă©difiante, les fautes ou plutĂÂŽt les erreurs de sa jeunesse. J'ai Ă©tĂ© informĂ©e de ce grand Ă©vĂ©nement par le PĂšre Anselme, auquel il s'est adressĂ© pour le diriger Ă l'avenir, et aussi pour lui mĂ©nager une entrevue avec moi, dont je juge que l'objet principal est de me rendre mes Lettres qu'il avait gardĂ©es jusqu'ici, malgrĂ© la demande contraire que je lui en avais faite. Je ne puis, sans doute, qu'applaudir Ă cet heureux changement, et m'en fĂ©liciter, si, comme il le dit, j'ai pu y concourir en quelque chose. Mais pourquoi fallait-il que j'en fusse l'instrument, et qu'il m'en coĂ»tĂÂąt le repos de ma vie? Le bonheur de M. de Valmont ne pouvait-il arriver jamais que par mon infortune? Oh! mon indulgente amie, pardonnez-moi cette plainte. Je sais qu'il ne m'appartient pas de sonder les dĂ©crets de Dieu; mais tandis que je lui demande sans cesse, et toujours vainement, la force de vaincre mon malheureux amour, il la prodigue Ă celui qui ne la lui demandait pas, et me laisse, sans secours, entiĂšrement livrĂ©e Ă ma faiblesse. Mais Ă©touffons ce coupable murmure. Ne sais-je pas que l'Enfant prodigue, Ă son retour, obtint plus de grĂÂąces de son pĂšre que le fils qui ne s'Ă©tait jamais absentĂ©? Quel compte avons-nous Ă demander Ă celui qui ne nous doit rien? Et quand il serait possible que nous eussions quelques droits auprĂšs de lui, quels pourraient ĂÂȘtre les miens? Me vanterais-je d'une sagesse que dĂ©jĂ je ne dois qu'Ă Valmont? Il m'a sauvĂ©e, et j'oserais me plaindre en souffrant pour lui! Non mes souffrances me seront chĂšres, si son bonheur en est le prix. Sans doute il fallait qu'il revĂnt Ă son tour au PĂšre commun. Le Dieu qui l'a formĂ© devait chĂ©rir son ouvrage. Il n'avait point créé cet ĂÂȘtre charmant, pour n'en faire qu'un rĂ©prouvĂ©. C'est Ă moi de porter la peine de mon audacieuse imprudence; ne devais-je pas sentir que, puisqu'il m'Ă©tait dĂ©fendu de l'aimer, je ne devais pas me permettre de le voir? Ma faute ou mon malheur est de m'ĂÂȘtre refusĂ©e trop longtemps Ă cette vĂ©ritĂ©. Vous m'ĂÂȘtes tĂ©moin, ma chĂšre et digne amie, que je me suis soumise Ă ce sacrifice, aussitĂÂŽt que j'en ai reconnu la nĂ©cessitĂ© mais, pour qu'il fĂ»t entier, il y manquait que M. de Valmont ne le partageĂÂąt point. Vous avouerai-je que cette idĂ©e est Ă prĂ©sent ce qui me tourmente le plus? Insupportable orgueil, qui adoucit les maux que nous Ă©prouvons par ceux que nous faisons souffrir! Ah! je vaincrai ce cĂ âur rebelle, je l'accoutumerai aux humiliations. C'est surtout pour y parvenir que j'ai enfin consenti Ă recevoir Jeudi prochain la pĂ©nible visite de M. de Valmont. LĂ , je l'entendrai me dire lui-mĂÂȘme que je ne lui suis plus rien, que l'impression faible et passagĂšre que j'avais faite sur lui est entiĂšrement effacĂ©e! Je verrai ses regards se porter sur moi, sans Ă©motion, tandis que la crainte de dĂ©celer la mienne me fera baisser les yeux. Ces mĂÂȘmes Lettres qu'il refusa si longtemps Ă mes demandes rĂ©itĂ©rĂ©es, je les recevrai de son indiffĂ©rence; il me les remettra comme des objets inutiles, et qui ne l'intĂ©ressent plus; et mes mains tremblantes, en recevant ce dĂ©pĂÂŽt honteux, sentiront qu'il leur est remis d'une main ferme et tranquille! Enfin, je le verrai s'Ă©loigner... s'Ă©loigner pour jamais, et mes regards, qui le suivront ne verront pas les siens se retourner sur moi! Et j'Ă©tais rĂ©servĂ©e Ă tant d'humiliations! Ah! que du moins je me la rende utile, en me pĂ©nĂ©trant par elle du sentiment de ma faiblesse. Oui, ces Lettres qu'il ne se soucie plus de garder, je les conserverai prĂ©cieusement. Je m'imposerai la honte de les relire chaque jour, jusqu'Ă ce que mes larmes en aient effacĂ© les derniĂšres traces; et les siennes, je les brĂ»lerai comme infectĂ©es du poison dangereux qui a corrompu mon ĂÂąme. Oh! qu'est-ce donc que l'amour, s'il nous fait regretter jusqu'aux dangers auxquels il nous expose; si surtout on peut craindre de le ressentir encore, mĂÂȘme alors qu'on ne l'inspire plus! Fuyons cette passion funeste, qui ne laisse de choix qu'entre la honte et le malheur, et souvent mĂÂȘme les rĂ©unit tous deux, et qu'au moins la prudence remplace la vertu. Que ce Jeudi est encore loin! que ne puis-je consommer Ă l'instant ce douloureux sacrifice, et en oublier Ă la fois et la cause et l'objet! Cette visite m'importune; je me repens d'avoir promis. HĂ©! qu'a-t-il besoin de me revoir encore? que sommes-nous Ă prĂ©sent l'un Ă l'autre? S'il m'a offensĂ©e, je le lui pardonne. Je le fĂ©licite mĂÂȘme de vouloir rĂ©parer ses torts; je l'en loue. Je ferai plus, je l'imiterai; et sĂ©duite par les mĂÂȘmes erreurs, son exemple me ramĂšnera. Mais quand son projet est de me fuir, pourquoi commencer par me chercher? Le plus pressĂ© pour chacun de nous n'est-il pas d'oublier l'autre? Ah! sans doute, et ce sera dorĂ©navant mon unique soin. Si vous le permettez, mon aimable amie, ce sera auprĂšs de vous que j'irai m'occuper de ce travail difficile. Si j'ai besoin de secours, peut-ĂÂȘtre mĂÂȘme de consolation, je n'en veux recevoir que de vous. Vous seule savez m'entendre et parler Ă mon cĂ âur. Votre prĂ©cieuse amitiĂ© remplira toute mon existence. Rien ne me paraĂtra difficile pour seconder les soins que vous voudrez bien vous donner. Je vous devrai ma tranquillitĂ©, mon bonheur, ma vertu; et le fruit de vos bontĂ©s pour moi sera de m'en avoir enfin rendue digne. Je me suis, je crois, beaucoup Ă©garĂ©e dans cette Lettre; je le prĂ©sume au moins par le trouble oĂÂč je n'ai pas cessĂ© d'ĂÂȘtre en vous Ă©crivant. S'il s'y trouvait quelques sentiments dont j'aie Ă rougir, couvrez-les de votre indulgente amitiĂ©. Je m'en remets entiĂšrement Ă elle. Ce n'est pas Ă vous que je veux dĂ©rober aucun des mouvements de mon cĂ âur. Adieu, ma respectable amie. J'espĂšre, sous peu de jours, vous annoncer celui de mon arrivĂ©e. Paris, ce 25 octobre 17**. QUATRIEME PARTIE LETTRE CXXV LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL La voilĂ donc vaincue, cette femme superbe qui avait osĂ© croire qu'elle pourrait me rĂ©sister! Oui, mon amie, elle est Ă moi, entiĂšrement Ă moi; et depuis hier, elle n'a plus rien Ă m'accorder. Je suis encore trop plein de mon bonheur, pour pouvoir l'apprĂ©cier, mais je m'Ă©tonne du charme inconnu que j'ai ressenti. Serait-il donc vrai que la vertu augmentĂÂąt le prix d'une femme, jusque dans le moment mĂÂȘme de sa faiblesse? Mais relĂ©guons cette idĂ©e puĂ©rile avec les contes de bonnes femmes. Ne rencontre-t-on pas presque partout une rĂ©sistance plus ou moins bien feinte au premier triomphe? et ai-je trouvĂ© nulle part le charme dont je parle? ce n'est pourtant pas non plus celui de l'amour; car enfin, si j'ai eu quelquefois auprĂšs de cette femme Ă©tonnante des moments de faiblesse qui ressemblaient Ă cette passion pusillanime, j'ai toujours su les vaincre et revenir Ă mes principes. Quand mĂÂȘme la scĂšne d'hier m'aurait, comme je le crois, emportĂ© un peu plus loin que je ne comptais; quand j'aurais, un moment, partagĂ© le trouble et l'ivresse que je faisais naĂtre cette illusion passagĂšre serait dissipĂ©e Ă prĂ©sent; et cependant le mĂÂȘme charme subsiste. J'aurais mĂÂȘme, je l'avoue, un plaisir assez doux Ă m'y livrer, s'il ne me causait quelque inquiĂ©tude. Serai-je donc, Ă mon ĂÂąge, maĂtrisĂ© comme un Ă©colier, par un sentiment involontaire et inconnu? Non il faut, avant tout, le combattre et l'approfondir. Peut-ĂÂȘtre, au reste, en ai-je dĂ©jĂ entrevu la cause! Je me plais au moins dans cette idĂ©e, et je voudrais qu'elle fĂ»t vraie. Dans la foule des femmes auprĂšs desquelles j'ai rempli jusqu'Ă ce jour le rĂÂŽle et les fonctions d'Amant, je n'en avais encore rencontrĂ© aucune qui n'eĂ»t, au moins, autant d'envie de se rendre que j'en avais de l'y dĂ©terminer; je m'Ă©tais mĂÂȘme accoutumĂ© Ă appeler prudes celles qui ne faisaient que la moitiĂ© du chemin, par opposition Ă tant d'autres, dont la dĂ©fense provocante ne couvre jamais qu'imparfaitement les premiĂšres avances qu'elles ont faites. Ici, au contraire, j'ai trouvĂ© une premiĂšre prĂ©vention dĂ©favorable et fondĂ©e depuis sur les conseils et les rapports d'une femme haineuse, mais clairvoyante; une timiditĂ© naturelle et extrĂÂȘme, que fortifiait une pudeur Ă©clairĂ©e; un attachement Ă la vertu, que la Religion dirigeait, et qui comptait dĂ©jĂ deux annĂ©es de triomphe, enfin des dĂ©marches Ă©clatantes, inspirĂ©es par ces diffĂ©rents motifs et qui toutes n'avaient pour but que de se soustraire Ă mes poursuites. Ce n'est donc pas, comme dans mes autres aventures, une simple capitulation plus ou moins avantageuse, et dont il est plus facile de profiter que de s'enorgueillir; c'est une victoire complĂšte, achetĂ©e par une campagne pĂ©nible, et dĂ©cidĂ©e par de savantes manĂ âuvres. Il n'est donc pas surprenant que ce succĂšs, dĂ» Ă moi seul, m'en devienne plus prĂ©cieux; et le surcroĂt de plaisir que j'ai Ă©prouvĂ© dans mon triomphe, et que je ressens encore, n'est que la douce impression du sentiment de la gloire. Je chĂ©ris cette façon de voir, qui me sauve l'humiliation de penser que je puisse dĂ©pendre en quelque maniĂšre de l'esclave mĂÂȘme que je me serais asservie; que je n'aie pas en moi seul la plĂ©nitude de mon bonheur; et que la facultĂ© de m'en faire jouir dans toute son Ă©nergie soit rĂ©servĂ©e Ă telle ou telle femme, exclusivement Ă toute autre. Ces rĂ©flexions sensĂ©es rĂ©gleront ma conduite dans cette importante occasion; et vous pouvez ĂÂȘtre sĂ»re que je ne me laisserai pas tellement enchaĂner, que je ne puisse toujours briser ces nouveaux liens, en me jouant et Ă ma volontĂ©. Mais dĂ©jĂ je vous parle de ma rupture; et vous ignorez encore par quels moyens j'en ai acquis le droit; lisez donc, et voyez Ă quoi s'expose la sagesse, en essayant de secourir la folie. J'Ă©tudiais si attentivement mes discours et les rĂ©ponses que j'obtenais, que j'espĂšre vous rendre les uns et les autres avec une exactitude dont vous serez contente. Vous verrez par les deux copies des Lettres ci-jointes, quel mĂ©diateur j'avais choisi pour me rapprocher de ma Belle, et avec quel zĂšle le saint personnage s'est employĂ© pour nous rĂ©unir. Ce qu'il faut vous dire encore, et que j'avais appris par une Lettre interceptĂ©e suivant l'usage, c'est que la crainte et la petite humiliation d'ĂÂȘtre quittĂ©e avaient un peu dĂ©rangĂ© la pruderie de l'austĂšre DĂ©vote; et avaient rempli son cĂ âur et sa tĂÂȘte de sentiments et d'idĂ©es, qui, pour n'avoir pas le sens commun, n'en Ă©taient pas moins intĂ©ressants. C'est aprĂšs ces prĂ©liminaires, nĂ©cessaires Ă savoir, qu'hier Jeudi 28, jour prĂ©fix et donnĂ© par l'ingrate, je me suis prĂ©sentĂ© chez elle en esclave timide et repentant, pour en sortir en vainqueur couronnĂ©. Il Ă©tait six heures du soir quand j'arrivai chez la belle Recluse, car depuis son retour, sa porte Ă©tait restĂ©e fermĂ©e Ă tout le monde. Elle essaya de se lever quand on m'annonça; mais ses genoux tremblants ne lui permirent pas de rester dans cette situation elle se rassit sur-le-champ. Comme le Domestique qui m'avait introduit eut quelque service Ă faire dans l'appartement, elle en parut impatientĂ©e. Nous remplĂmes cet intervalle par les compliments d'usage. Mais pour ne rien perdre d'un temps dont tous les moments Ă©taient prĂ©cieux, j'examinais soigneusement le local; et dĂšs lors, je marquai de l'oeil le thĂ©ĂÂątre de ma victoire. J'aurais pu en choisir un plus commode car, dans cette mĂÂȘme chambre, il se trouvait une ottomane. Mais je remarquai qu'en face d'elle Ă©tait un portrait du mari; et j'eus peur, je l'avoue, qu'avec une femme si singuliĂšre, un seul regard que le hasard dirigerait de ce cĂÂŽtĂ© ne dĂ©truisĂt en un moment l'ouvrage de tant de soins. Enfin, nous restĂÂąmes seuls et j'entrai en matiĂšre. AprĂšs avoir exposĂ©, en peu de mots, que le PĂšre Anselme l'avait dĂ» informer des motifs de ma visite, je me suis plaint du traitement rigoureux que j'avais Ă©prouvĂ©; et j'ai particuliĂšrement appuyĂ© sur le mĂ©pris qu'on m'avait tĂ©moignĂ©. On s'en est dĂ©fendu, comme je m'y attendais; et, comme vous vous y attendiez bien aussi, j'en ai fondĂ© la preuve sur la mĂ©fiance et l'effroi que j'avais inspirĂ©s, sur la fuite scandaleuse qui s'en Ă©tait suivie, le refus de rĂ©pondre Ă mes Lettres, celui mĂÂȘme de les recevoir, etc. Comme on commençait une justification qui aurait Ă©tĂ© bien facile, j'ai cru devoir l'interrompre; et pour me faire pardonner cette maniĂšre brusque je l'ai couverte aussitĂÂŽt par une cajolerie. - " Si tant de charmes, ai-je donc repris, ont fait sur mon cĂ âur une impression si profonde, tant de vertus n'en ont pas moins fait sur mon ĂÂąme. SĂ©duit, sans doute, par le dĂ©sir de m'en rapprocher, j'avais osĂ© m'en croire digne. Je ne vous reproche point d'en avoir jugĂ© autrement; mais je me punis de mon erreur. " Comme on gardait le silence de l'embarras, j'ai continuĂ©. - " J ai dĂ©sirĂ©, Madame, ou de me justifier Ă vos yeux, ou d'obtenir de vous le pardon des torts que vous me supposez; afin de pouvoir au moins terminer, avec quelque tranquillitĂ©, des jours auxquels je n'attache plus de prix, depuis que vous avez refusĂ© de les embellir. " Ici, on a pourtant essayĂ© de rĂ©pondre. - " Mon devoir ne me permettait pas... " - Et la difficultĂ© d'achever le mensonge que le devoir exigeait n'a pas permis de finir la phrase. J'ai donc repris du ton le plus tendre - " Il est donc vrai que c'est moi que vous avez fui? - Ce dĂ©part Ă©tait nĂ©cessaire. - Et que vous m'Ă©loignez de vous? - Il le faut. - Et pour toujours? - Je le dois. " Je n'ai pas besoin de vous dire que pendant ce court dialogue, la voix de la tendre Prude Ă©tait oppressĂ©e, et que ses yeux ne s'Ă©levaient pas jusqu'Ă moi. Je jugeai devoir animer un peu cette scĂšne languissante; ainsi, me levant avec l'air du dĂ©pit " Votre fermetĂ©, dis-je alors, me rend toute la mienne. HĂ© bien! oui, Madame, nous serons sĂ©parĂ©s, sĂ©parĂ©s mĂÂȘme plus que vous ne pensez et vous vous fĂ©liciterez Ă loisir de votre ouvrage. " Un peu surprise de ce ton de reproche, elle voulut rĂ©pliquer. - " La rĂ©solution que vous avez prise... , dit- elle, - n'est que l'effet de mon dĂ©sespoir, repris-je avec emportement. Vous avez voulu que je sois malheureux; je vous prouverai que vous avez rĂ©ussi au-delĂ de vos souhaits. - Je dĂ©sire votre bonheur " , rĂ©pondit-elle. Et le son de sa voix commençait Ă annoncer une Ă©motion assez forte. Aussi me prĂ©cipitant Ă ses genoux, et du ton dramatique que vous me connaissez - " Ah! cruelle, me suis-je Ă©criĂ©, peut-il exister pour moi un bonheur que vous ne partagiez pas? OĂÂč donc le trouver loin de vous? Ah! jamais! jamais! " J'avoue qu'en me livrant Ă ce point j'avais beaucoup comptĂ© sur le secours des larmes mais soit mauvaise disposition, soit peut-ĂÂȘtre seulement l'effet de l'attention pĂ©nible et continuelle que je mettais Ă tout, il me fut impossible de pleurer. Par bonheur je me ressouvins que pour subjuguer une femme tout moyen Ă©tait Ă©galement bon; et qu'il suffisait de l'Ă©tonner par un grand mouvement, pour que l'impression en restĂÂąt profonde et favorable. Je supplĂ©ai donc, par la terreur, Ă la sensibilitĂ© qui se trouvait en dĂ©faut; et pour cela, changeant seulement l'inflexion de ma voix, et gardant la mĂÂȘme posture - " Oui, continuai-je, j'en fais le serment Ă vos pieds, vous possĂ©der ou mourir. " En prononçant ces derniĂšres paroles, nos regards se rencontrĂšrent. Je ne sais ce que la timide personne vit ou crut voir dans les miens, mais elle se leva d'un air effrayĂ©, et s'Ă©chappa de mes bras dont je l'avais entourĂ©e. Il est vrai que je ne fis rien pour la retenir; car j'avais remarquĂ© plusieurs fois que les scĂšnes de dĂ©sespoir menĂ©es trop vivement tombaient dans le ridicule dĂšs qu'elles devenaient longues, ou ne laissaient que des ressources vraiment tragiques et que j'Ă©tais fort Ă©loignĂ© de vouloir prendre. Cependant, tandis qu'elle se dĂ©robait Ă moi, j'ajoutai d'un ton bas et sinistre, mais de façon qu'elle pĂ»t m'entendre - " HĂ© bien! la mort! " Je me relevai alors; et gardant un moment le silence, je jetais sur elle, comme au hasard, des regards farouches qui, pour avoir l'air d'ĂÂȘtre Ă©garĂ©s, n'en Ă©taient pas moins clairvoyants et observateurs. Le maintien mal assurĂ©, la respiration haute, la contraction de tous les muscles, les bras tremblants, et Ă demi Ă©levĂ©s, tout me prouvait assez que l'effet Ă©tait tel que j'avais voulu le produire; mais, comme en amour rien ne se finit que de trĂšs prĂšs, et que nous Ă©tions alors assez loin l'un de l'autre, il fallait avant tout se rapprocher. Ce fut pour y parvenir que je passai le plus tĂÂŽt possible Ă une apparente tranquillitĂ©, propre Ă calmer les effets de cet Ă©tat violent, sans en affaiblir l'impression. Ma transition fut " Je suis bien malheureux. J'ai voulu vivre pour votre bonheur, et je l'ai troublĂ©. Je me dĂ©voue pour votre tranquillitĂ©, et je la trouble encore. " Ensuite d'un air composĂ©, mais contraint - " Pardon, Madame; peu accoutumĂ© aux orages des passions, je sais mal en rĂ©primer les mouvements. Si j'ai eu tort de m'y livrer, songez au moins que c'est pour la derniĂšre fois. Ah! calmez-vous, calmez-vous, je vous en conjure. " Et pendant ce long discours je me rapprochais insensiblement. - " Si vous voulez que je me calme, rĂ©pondit la Belle effarouchĂ©e, vous-mĂÂȘme soyez donc plus tranquille. - HĂ© bien! oui, je vous le promets " , lui dis-je. J'ajoutai d'une voix plus faible - " Si l'effort est grand, au moins ne doit-il pas ĂÂȘtre long. Mais, repris-je aussitĂÂŽt d'un air Ă©garĂ©, je suis venu, n'est-il pas vrai, pour vous rendre vos Lettres? De grĂÂące, daignez les reprendre. Ce douloureux sacrifice me reste Ă faire ne me laissez rien qui puisse affaiblir mon courage. " Et tirant de ma poche le prĂ©cieux recueil - " Le voilĂ , dis-je, ce dĂ©pĂÂŽt trompeur des assurances de votre amitiĂ©! Il m'attachait Ă la vie, reprenez-le. Donnez ainsi vous-mĂÂȘme le signal qui doit me sĂ©parer de vous pour jamais. " Ici l'Amante craintive cĂ©da entiĂšrement Ă sa tendre inquiĂ©tude. - " Mais, Monsieur de Valmont, qu'avez-vous, et que voulez-vous dire? la dĂ©marche que vous faites aujourd'hui n'est-elle pas volontaire? n'est-ce pas le fruit de vos propres rĂ©flexions? et ne sont-ce pas elles qui vous ont fait approuver vous-mĂÂȘme le parti nĂ©cessaire que j'ai suivi par devoir? - HĂ© bien, ai-je repris, ce parti a dĂ©cidĂ© le mien. - Et quel est-il? - Le seul qui puisse, en me sĂ©parant de vous, mettre un terme Ă mes peines. - Mais, rĂ©pondez-moi, quel est-il? " LĂ , je la pressai de mes bras, sans qu'elle se dĂ©fendĂt aucunement; et jugeant par cet oubli des biensĂ©ances combien l'Ă©motion Ă©tait forte et puissante - " Femme adorable, lui dis-je en risquant l'enthousiasme, vous n'avez pas d'idĂ©e de l'amour que vous inspirez; vous ne saurez jamais jusqu'Ă quel point vous fĂ»tes adorĂ©e, et de combien ce sentiment m'Ă©tait plus cher que l'existence! Puissent tous vos jours ĂÂȘtre fortunĂ©s et tranquilles; puissent-ils s'embellir de tout le bonheur dont vous m'avez privĂ©! Payez au moins ce vĂ âu sincĂšre par un regret, par une larme; et croyez que le dernier de mes sacrifices ne sera pas le plus pĂ©nible Ă mon cĂ âur. Adieu. " Tandis que je parlais ainsi, je sentais son cĂ âur palpiter avec violence; j'observais l'altĂ©ration de sa figure; je voyais, surtout, les larmes la suffoquer, et ne couler cependant que rares et pĂ©nibles. Ce ne fut qu'alors que je pris le parti de feindre de m'Ă©loigner; aussi, me retenant avec force - " Non, Ă©coutez- moi, dit-elle vivement. - Laissez-moi, rĂ©pondis-je. - Vous m'Ă©couterez, je le veux. - Il faut vous fuir, il le faut! - Non! " s'Ă©cria-t-elle... A ce dernier mot, elle se prĂ©cipita ou plutĂÂŽt tomba Ă©vanouie entre mes bras. Comme je doutais encore d'un si heureux succĂšs, je feignis un grand effroi; mais tout en m'effrayant, je la conduisais, ou la portais vers le lieu prĂ©cĂ©demment dĂ©signĂ© pour le champ de ma gloire; et en effet elle ne revint Ă elle que soumise et dĂ©jĂ livrĂ©e Ă son heureux vainqueur. Jusque-lĂ , ma belle amie, vous me trouverez, je crois, une puretĂ© de mĂ©thode qui vous fera plaisir; et vous verrez que je ne me suis Ă©cartĂ© en rien des vrais principes de cette guerre, que nous avons remarquĂ© souvent ĂÂȘtre si semblable Ă l'autre. Jugez-moi donc comme Turenne ou FrĂ©dĂ©ric. J'ai forcĂ© Ă combattre l'ennemi qui ne voulait que temporiser; je me suis donnĂ©, par de savantes manĂ âuvres, le choix du terrain et celui des dispositions; j'ai su inspirer la sĂ©curitĂ© Ă l'ennemi, pour le joindre plus facilement dans sa retraite; j'ai su y faire succĂ©der la terreur, avant d'en venir au combat; je n'ai rien mis au hasard, que par la considĂ©ration d'un grand avantage en cas de succĂšs, et la certitude des ressources en cas de dĂ©faite; enfin, je n'ai engagĂ© l'action qu'avec une retraite assurĂ©e, par oĂÂč je pusse couvrir et conserver tout ce que j'avais conquis prĂ©cĂ©demment. C'est, je crois, tout ce qu'on peut faire; mais je crains, Ă prĂ©sent, de m'ĂÂȘtre amolli comme Annibal dans les dĂ©lices de Capoue. VoilĂ ce qui s'est passĂ© depuis. Je m'attendais bien qu'un si grand Ă©vĂ©nement ne se passerait pas sans les larmes et le dĂ©sespoir d'usage; et si je remarquai d'abord un peu plus de confusion, et une sorte de recueillement, j'attribuai l'un et l'autre Ă l'Ă©tat de Prude aussi, sans m'occuper de ces lĂ©gĂšres diffĂ©rences que je croyais purement locales, je suivais simplement la grande route des consolations, bien persuadĂ© que, comme il arrive d'ordinaire, les sensations aideraient le sentiment et qu'une seule action ferait plus que tous les discours, que pourtant je ne nĂ©gligeais pas. Mais je trouvai une rĂ©sistance vraiment effrayante, moins encore par son excĂšs que par la forme sous laquelle elle se montrait. Figurez-vous une femme assise, d'une raideur immobile, et d'une figure invariable; n'ayant l'air ni de penser, ni d'Ă©couter, ni d'entendre; dont les yeux fixes laissent Ă©chapper des larmes assez continues, mais qui coulent sans effort. Telle Ă©tait Madame de Tourvel, pendant mes discours; mais si j'essayais de ramener son attention vers moi par une caresse, par le geste mĂÂȘme le plus innocent, Ă cette apparente apathie succĂ©daient aussitĂÂŽt la terreur, la suffocation, les convulsions, les sanglots, et quelques cris par intervalles, mais sans un mot articulĂ©. Ces crises revinrent plusieurs fois, et toujours plus fortes; la derniĂšre mĂÂȘme fut si violente que j'en fus entiĂšrement dĂ©couragĂ© et craignis un moment d'avoir remportĂ© une victoire inutile. Je me rabattis sur les lieux communs d'usage; et dans le nombre se trouva celui-ci " Et vous ĂÂȘtes dans le dĂ©sespoir, parce que vous avez fait mon bonheur? " A ce mot, l'adorable femme se tourna vers moi; et sa figure, quoique encore un peu Ă©garĂ©e, avait pourtant dĂ©jĂ repris son expression cĂ©leste. " Votre bonheur " , me dit-elle. Vous devinez ma rĂ©ponse. - Vous ĂÂȘtes donc heureux? " Je redoublai les protestations. - " Et heureux par moi! " J'ajoutai les louanges et les tendres propos. Tandis que je parlais, tous ses membres s'assouplirent; elle retomba avec mollesse, appuyĂ©e sur son fauteuil; et m'abandonnant une main que j'avais osĂ© prendre - " Je sens, dit-elle, que cette idĂ©e me console et me soulage. " Vous jugez qu'ainsi remis sur la voie, je ne la quittai plus; c'Ă©tait rĂ©ellement la bonne, et peut-ĂÂȘtre la seule. Aussi quand je voulus tenter un second succĂšs, j'Ă©prouvai d'abord quelque rĂ©sistance, et ce qui s'Ă©tait passĂ© auparavant me rendait circonspect mais ayant appelĂ© Ă mon secours cette mĂÂȘme idĂ©e de mon bonheur, j'en ressentis bientĂÂŽt les favorables effets - " Vous avez raison, me dit la tendre personne et je ne puis plus supporter mon existence qu'autant qu'elle servira Ă vous rendre heureux. Je m'y consacre tout entiĂšre dĂšs ce moment je me donne Ă vous, et vous n'Ă©prouverez de ma part ni refus, ni regrets. " Ce fut avec cette candeur naĂÂŻve ou sublime qu'elle me livra sa personne et ses charmes, et qu'elle augmenta mon bonheur en le partageant. L'ivresse fut complĂšte et rĂ©ciproque; et, pour la premiĂšre fois, la mienne survĂ©cut au plaisir. Je ne sortis de ses bras que pour tomber Ă ses genoux, pour lui jurer un amour Ă©ternel; et, il faut tout avouer, je pensais ce que je disais. Enfin, mĂÂȘme aprĂšs nous ĂÂȘtre sĂ©parĂ©s, son idĂ©e ne me quittait point, et j'ai eu besoin de me travailler pour m'en distraire. Ah! pourquoi n'ĂÂȘtes-vous pas ici, pour balancer au moins le charme de l'action par celui de la rĂ©compense? Mais je ne perdrai rien pour attendre, n'est-il pas vrai? et j'espĂšre pouvoir regarder, comme convenu entre nous, l'heureux arrangement que je vous ai proposĂ© dans ma derniĂšre Lettre. Vous voyez que je m'exĂ©cute, et que, comme je vous l'ai promis, mes affaires seront assez avancĂ©es pour pouvoir vous donner une partie de mon temps. DĂ©pĂÂȘchez-vous donc de renvoyer votre pesant Belleroche et laissez lĂ le doucereux Danceny, pour ne vous occuper que de moi. Mais que faites-vous donc tant Ă cette campagne que vous ne me rĂ©pondez seulement pas? Savez- vous que je vous gronderais volontiers? Mais le bonheur porte Ă l'indulgence. Et puis je n'oublie pas qu'en me replaçant au nombre de vos soupirants je dois me soumettre, de nouveau, Ă vos petites fantaisies. Souvenez-vous cependant que le nouvel Amant ne veut rien perdre des anciens droits de l'ami. Adieu, comme autrefois... Oui, adieu, mon Ange! Je t'envoie tous les baisers de l'amour. Savez-vous que PrĂ©van, au bout de son mois de prison, a Ă©tĂ© obligĂ© de quitter son Corps? C'est aujourd'hui la nouvelle de tout Paris. En vĂ©ritĂ©, le voilĂ cruellement puni d'un tort qu'il n'a pas eu, et votre succĂšs est complet! Paris, ce 29 octobre 17**. LETTRE CXXVI MADAME DE ROSEMONDE A LA PRESIDENTE DE TOURVEL Je vous aurais rĂ©pondu plus tĂÂŽt, mon aimable Enfant, si la fatigue de ma derniĂšre Lettre ne m'avait rendu mes douleurs, ce qui m'a encore privĂ©e tous ces jours-ci de l'usage de mon bras. J'Ă©tais bien pressĂ©e de vous remercier des bonnes nouvelles que vous m'avez donnĂ©es de mon neveu, et je ne l'Ă©tais pas moins de vous en faire pour votre compte de sincĂšres fĂ©licitations. On est forcĂ© de reconnaĂtre vĂ©ritablement lĂ un coup de la Providence, qui, en touchant l'un, a aussi sauvĂ© l'autre. Oui, ma chĂšre Belle, Dieu, qui ne voulait que vous Ă©prouver, vous a secourue au moment oĂÂč vos forces Ă©taient Ă©puisĂ©es; et malgrĂ© votre petit murmure, vous avez, je crois, quelques actions de grĂÂąces Ă lui rendre. Ce n'est pas que je ne sente fort bien qu'il vous eĂ»t Ă©tĂ© plus agrĂ©able que cette rĂ©solution vous fĂ»t venue la premiĂšre, et que celle de Valmont n'en eĂ»t Ă©tĂ© que la suite; il semble mĂÂȘme, humainement parlant, que les droits de notre sexe en eussent Ă©tĂ© mieux conservĂ©s, et nous ne voulons en perdre aucun! Mais qu'est-ce que ces considĂ©rations lĂ©gĂšres, auprĂšs des objets importants qui se trouvent remplis? Voit-on celui qui se sauve du naufrage se plaindre de n'avoir pas eu le choix des moyens? Vous Ă©prouverez bientĂÂŽt, ma chĂšre fille, que les peines que vous redoutez s'allĂ©geront d'elles-mĂÂȘmes; et quand elles devraient subsister toujours et dans leur entier, vous n'en sentiriez pas moins qu'elles seraient encore plus faciles Ă supporter, que les remords du crime et le mĂ©pris de soi-mĂÂȘme. Inutilement vous aurais-je parlĂ© plus tĂÂŽt avec cette apparente sĂ©vĂ©ritĂ© l'amour est un sentiment indĂ©pendant, que la prudence peut faire Ă©viter, mais qu'elle ne saurait vaincre; et qui, une fois nĂ©, ne meurt que de sa belle mort ou du dĂ©faut absolu d'espoir. C'est ce dernier cas, dans lequel vous ĂÂȘtes, qui me rend le courage et le droit de vous dire librement mon avis. Il est cruel d'effrayer un malade dĂ©sespĂ©rĂ©, qui n'est plus susceptible que de consolations et de palliatifs mais il est sage d'Ă©clairer un convalescent sur les dangers qu'il a courus, pour lui inspirer la prudence dont il a besoin, et la soumission aux conseils qui peuvent encore lui ĂÂȘtre nĂ©cessaires. Puisque vous me choisissez pour votre MĂ©decin, c'est comme tel que je vous parle, et que je vous dis que les petites incommoditĂ©s que vous ressentez Ă prĂ©sent, et qui peut-ĂÂȘtre exigent quelques remĂšdes, ne sont pourtant rien en comparaison de la maladie effrayante dont voilĂ la guĂ©rison assurĂ©e. Ensuite comme votre amie, comme l'amie d'une femme raisonnable et vertueuse, je me permettrai d'ajouter que cette passion, qui vous avait subjuguĂ©e, dĂ©jĂ si malheureuse par elle-mĂÂȘme, le devenait encore plus par son objet. Si j'en crois ce qu'on m'en dit, mon neveu, que j'avoue aimer peut-ĂÂȘtre avec faiblesse, et qui rĂ©unit en effet beaucoup de qualitĂ©s louables Ă beaucoup d'agrĂ©ments, n'est ni sans danger pour les femmes, ni sans torts vis-Ă -vis d'elles, et met presque un prix Ă©gal Ă les sĂ©duire et Ă les perdre. Je crois bien que vous l'auriez converti. Jamais personne sans doute n'en fut plus digne mais tant d'autres s'en sont flattĂ©es de mĂÂȘme, dont l'espoir a Ă©tĂ© déçu, que j'aime bien mieux que vous n'en soyez pas rĂ©duite Ă cette ressource. ConsidĂ©rez Ă prĂ©sent, ma chĂšre Belle, qu'au lieu de tant de dangers que vous auriez eu Ă courir, vous aurez, outre le repos de votre conscience et votre propre tranquillitĂ©, la satisfaction d'avoir Ă©tĂ© la principale cause de l'heureux retour de Valmont. Pour moi, je ne doute pas que ce ne soit en grande partie l'ouvrage de votre courageuse rĂ©sistance, et qu'un moment de faiblesse de votre part n'eĂ»t peut-ĂÂȘtre laissĂ© mon neveu dans un Ă©garement Ă©ternel. J'aime Ă penser ainsi, et dĂ©sire vous voir penser de mĂÂȘme; vous y trouverez vos premiĂšres consolations, et moi, de nouvelles raisons de vous aimer davantage. Je vous attends ici sous peu de jours, mon aimable fille, comme vous me l'annoncez. Venez retrouver le calme et le bonheur dans les mĂÂȘmes lieux oĂÂč vous l'aviez perdu; venez surtout vous rĂ©jouir avec votre tendre mĂšre d'avoir si heureusement tenu la parole que vous lui aviez donnĂ©e, de ne rien faire qui ne fĂ»t digne d'elle et de vous! Du ChĂÂąteau de ..., ce 30 octobre 17**. LETTRE CXXVII LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT Si je n'ai pas rĂ©pondu, Vicomte, Ă votre Lettre du 19, ce n'est pas que je n'en aie eu le temps; c'est tout simplement qu'elle m'a donnĂ© de l'humeur, et que je ne lui ai pas trouvĂ© le sens commun. J'avais donc cru n'avoir rien de mieux Ă faire que de la laisser dans l'oubli; mais puisque vous revenez sur elle, que vous paraissez tenir aux idĂ©es qu'elle contient, et que vous prenez mon silence pour un consentement, il faut vous dire clairement mon avis. J'ai pu avoir quelquefois la prĂ©tention de remplacer Ă moi seule tout un sĂ©rail; mais il ne m'a jamais convenu d'en faire partie. Je croyais que vous saviez cela. Au moins Ă prĂ©sent que vous ne pouvez plus l'ignorer, vous jugerez facilement combien votre proposition a dĂ» me paraĂtre ridicule. Qui, moi! je sacrifierais un goĂ»t, et encore un goĂ»t nouveau, pour m'occuper de vous? Et pour m'en occuper comment? en attendant Ă mon tour, et en esclave soumise, les sublimes faveurs de votre Hautesse . Quand, par exemple, vous voudrez vous distraire un moment de ce charme inconnu que l'adorable, la cĂ©leste Madame de Tourvel vous a fait seule Ă©prouver, ou quand vous craindrez de compromettre, auprĂšs de l'attachante CĂ©cile , l'idĂ©e supĂ©rieure que vous ĂÂȘtes bien aise qu'elle conserve de vous alors descendant jusqu'Ă moi, vous y viendrez chercher des plaisirs, moins vifs Ă la vĂ©ritĂ©, mais sans consĂ©quence; et vos prĂ©cieuses bontĂ©s, quoique un peu rares, suffiront de reste Ă mon bonheur! Certes, vous ĂÂȘtes riche en bonne opinion de vous-mĂÂȘme mais apparemment je ne le suis pas en modestie; car j'ai beau me regarder, je ne peux pas me trouver dĂ©chue jusque-lĂ . C'est peut-ĂÂȘtre un tort que j'ai; mais je vous prĂ©viens que j'en ai beaucoup d'autres encore. J'ai surtout celui de croire que l'Ă©colier, le doucereux Danceny, uniquement occupĂ© de moi, me sacrifiant, sans s'en faire un mĂ©rite, une premiĂšre passion, avant mĂÂȘme qu'elle ait Ă©tĂ© satisfaite, et m'aimant enfin comme on aime Ă son ĂÂąge, pourrait, malgrĂ© ses vingt ans, travailler plus efficacement que vous Ă mon bonheur et Ă mes plaisirs. Je me permettrai mĂÂȘme d'ajouter que, s'il me venait en fantaisie de lui donner un adjoint, ce ne serait pas vous, au moins pour le moment. Et par quelles raisons, m'allez-vous demander? Mais d'abord il pourrait fort bien n'y en avoir aucune car le caprice qui vous ferait prĂ©fĂ©rer peut Ă©galement vous faire exclure. Je veux pourtant bien, par politesse, vous motiver mon avis. Il me semble que vous auriez trop de sacrifices Ă me faire; et moi, au lieu d'en avoir la reconnaissance que vous ne manqueriez pas d'en attendre, je serais capable de croire que vous m'en devriez encore! Vous voyez bien, qu'aussi Ă©loignĂ©s l'un de l'autre par notre façon de penser, nous ne pouvons nous rapprocher d'aucune maniĂšre; et je crains qu'il ne me faille beaucoup de temps, mais beaucoup, avant de changer de sentiment. Quand je serai corrigĂ©e, je vous promets de vous avertir. Jusque-lĂ croyez-moi, faites d'autres arrangements, et gardez vos baisers, vous avez tant Ă les placer mieux!... Adieu, comme autrefois , dites-vous? Mais autrefois, ce me semble, vous faisiez un peu plus de cas de moi; vous ne m'aviez pas destinĂ©e tout Ă fait aux troisiĂšmes RĂÂŽles; et surtout vous vouliez bien attendre que j'eusse dit oui, avant d'ĂÂȘtre sĂ»r de mon consentement. Trouvez donc bon qu'au lieu de vous dire aussi adieu comme autrefois, je vous dise adieu comme Ă prĂ©sent. Votre servante, Monsieur le Vicomte. Du ChĂÂąteau de ..., ce 31 octobre 17**. LETTRE CXXVIII LA PRESIDENTE DE TOURVEL A MADAME DE ROSEMONDE Je n'ai reçu qu'hier, Madame, votre tardive rĂ©ponse. Elle m'aurait tuĂ©e sur-le- champ, si j'avais eu encore mon existence en moi mais un autre en est possesseur, et cet autre est M. de Valmont. Vous voyez que je ne vous cache rien. Si vous devez ne me plus trouver digne de votre amitiĂ©, je crains moins encore de la perdre que de la surprendre. Tout ce que je puis vous dire, c'est que, placĂ©e par M. de Valmont entre sa mort ou son bonheur, je me suis dĂ©cidĂ©e pour ce dernier parti. Je ne m'en vante, ni ne m'en accuse je dis simplement ce qui est. Vous sentirez aisĂ©ment, d'aprĂšs cela, quelle impression a dĂ» me faire votre Lettre, et les vĂ©ritĂ©s sĂ©vĂšres qu'elle contient. Ne croyez pas cependant qu'elle ait pu faire naĂtre un regret en moi, ni qu'elle puisse jamais me faire changer de sentiment ni de conduite. Ce n'est pas que je n'aie des moments cruels mais quand mon cĂ âur est le plus dĂ©chirĂ©, quand je crains de ne pouvoir plus supporter mes tourments, je me dis Valmont est heureux; et tout disparaĂt devant cette idĂ©e, ou plutĂÂŽt elle change tout en plaisirs. C'est donc Ă votre neveu que je me suis consacrĂ©e; c'est pour lui que je me suis perdue. Il est devenu le centre unique de mes pensĂ©es, de mes sentiments, de mes actions. Tant que ma vie sera nĂ©cessaire Ă son bonheur, elle me sera prĂ©cieuse, et je la trouverai fortunĂ©e. Si quelque jour il en juge autrement ... , il n'entendra de ma part ni plainte ni reproche. J'ai dĂ©jĂ osĂ© fixer les yeux sur ce moment fatal et mon parti est pris. Vous voyez Ă prĂ©sent combien peu doit m'affecter la crainte que vous paraissez avoir, qu'un jour M. de Valmont ne me perde car avant de le vouloir, il aura donc cessĂ© de m'aimer; et que me feront alors de vains reproches que je n'entendrai pas? Seul, il sera mon juge. Comme je n'aurai vĂ©cu que pour lui, ce sera en lui que reposera ma mĂ©moire; et s'il est forcĂ© de reconnaĂtre que je l'aimais, je serai suffisamment justifiĂ©e. Vous venez, Madame, de lire dans mon cĂ âur. J'ai prĂ©fĂ©rĂ© le malheur de perdre votre estime par ma franchise, Ă celui de m'en rendre indigne par l'avilissement du mensonge. J'ai cru devoir cette entiĂšre confiance Ă vos anciennes bontĂ©s pour moi. Ajouter un mot de plus pourrait vous faire soupçonner que j'ai l'orgueil d'y compter encore, quand au contraire je me rends justice en cessant d'y prĂ©tendre. Je suis avec respect, Madame, votre trĂšs humble et trĂšs obĂ©issante servante. Paris, ce 1er novembre 17**. LETTRE CXXIX LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Dites-moi donc, ma belle amie, d'oĂÂč peut venir ce ton d'aigreur et de persiflage qui rĂšgne dans votre derniĂšre Lettre? Quel est donc ce crime que j'ai commis, apparemment sans m'en douter, et qui vous donne tant d'humeur? J'ai eu l'air, me reprochez-vous, de compter sur votre consentement avant de l'avoir obtenu mais je croyais que ce qui pourrait paraĂtre de la prĂ©somption pour tout le monde ne pouvait jamais ĂÂȘtre pris, de vous Ă moi, que pour de la confiance et depuis quand ce sentiment nuit-il Ă l'amitiĂ© ou Ă l'amour? En rĂ©unissant l'espoir au dĂ©sir, je n'ai fait que cĂ©der Ă l'impulsion naturelle, qui nous fait nous placer toujours le plus prĂšs possible du bonheur que nous cherchons; et vous avez pris pour l'effet de l'orgueil ce qui ne l'Ă©tait que de mon empressement. Je sais fort bien que l'usage a introduit, dans ce cas, un doute respectueux mais vous savez aussi que ce n'est qu'une forme, un simple protocole; et j'Ă©tais, ce me semble, autorisĂ© Ă croire que ces prĂ©cautions minutieuses n'Ă©taient plus nĂ©cessaires entre nous. Il me semble mĂÂȘme que cette marche franche et libre, quand elle est fondĂ©e sur une ancienne liaison, est bien prĂ©fĂ©rable Ă l'insipide cajolerie qui affadit si souvent l'amour. Peut-ĂÂȘtre, au reste, le prix que je trouve Ă cette maniĂšre ne vient-il que de celui que j'attache au bonheur qu'elle me rappelle mais par lĂ mĂÂȘme, il me serait plus pĂ©nible encore de vous voir en juger autrement. VoilĂ pourtant le seul tort que je me connaisse car je n'imagine pas que vous ayez pu penser sĂ©rieusement qu'il existĂÂąt une femme dans le monde qui me parĂ»t prĂ©fĂ©rable Ă vous; et encore moins que j'aie pu vous apprĂ©cier aussi mal que vous feignez de le croire. Vous vous ĂÂȘtes regardĂ©e, me dites-vous, Ă ce sujet, et vous ne vous ĂÂȘtes pas trouvĂ©e dĂ©chue Ă ce point. Je le crois bien, et cela prouve seulement que votre miroir est fidĂšle. Mais n'auriez-vous pas pu en conclure avec plus de facilitĂ© et de justice qu'Ă coup sĂ»r je n'avais pas jugĂ© ainsi de vous? Je cherche vainement une cause Ă cette Ă©trange idĂ©e. Il me semble pourtant qu'elle tient, de plus ou moins prĂšs, aux Ă©loges que je me suis permis de donner Ă d'autres femmes. Je l'infĂšre au moins de votre affectation Ă relever les Ă©pithĂštes d'adorable, de cĂ©leste, d'attachante , dont je me suis servi en vous parlant de Madame de Tourvel, ou de la petite Volanges. Mais ne savez- vous pas que ces mots, plus souvent pris au hasard que par rĂ©flexion, expriment moins le cas que l'on fait de la personne que la situation dans laquelle on se trouve quand on en parle? Et si, dans le moment mĂÂȘme oĂÂč j'Ă©tais si vivement affectĂ© ou par l'une ou par l'autre, je ne vous en dĂ©sirais pourtant pas moins; si je vous donnais une prĂ©fĂ©rence marquĂ©e sur toutes deux, puisque enfin je ne pouvais renouveler notre premiĂšre liaison qu'au prĂ©judice des deux autres, je ne crois pas qu'il y ait lĂ si grand sujet de reproche. Il ne me sera pas plus difficile de me justifier sur le charme inconnu dont vous me paraissez aussi un peu choquĂ©e car d'abord, de ce qu'il est inconnu, il ne s'ensuit pas qu'il soit plus fort. HĂ©! qui pourrait l'emporter sur les dĂ©licieux plaisirs que vous seule savez rendre toujours nouveaux, comme toujours plus vifs? J'ai donc voulu dire seulement que celui-lĂ Ă©tait d'un genre que je n'avais pas encore Ă©prouvĂ©; mais sans prĂ©tendre lui assigner de classe; et j'avais ajoutĂ©, ce que je rĂ©pĂšte aujourd'hui, que, quel qu'il soit, je saurai le combattre et le vaincre. J'y mettrai bien plus de zĂšle encore, si je peux voir dans ce lĂ©ger travail un hommage Ă vous offrir. Pour la petite CĂ©cile, je crois bien inutile de vous en parler. Vous n'avez pas oubliĂ© que c'est Ă votre demande que je me suis chargĂ© de cette enfant, et je n'attends que votre congĂ© pour m'en dĂ©faire. J'ai pu remarquer son ingĂ©nuitĂ© et sa fraĂcheur; j'ai pu mĂÂȘme la croire un moment attachante , parce que, plus ou moins, on se complaĂt toujours un peu dans son ouvrage mais assurĂ©ment, elle n'a assez de consistance en aucun genre pour fixer en rien l'attention. A prĂ©sent, ma belle amie, j'en appelle Ă votre justice, Ă vos premiĂšres bontĂ©s pour moi; Ă la longue et parfaite amitiĂ©, Ă l'entiĂšre confiance qui depuis ont resserrĂ© nos liens ai-je mĂ©ritĂ© le ton rigoureux que vous prenez avec moi? Mais qu'il vous sera facile de m'en dĂ©dommager quand vous voudrez! Dites seulement un mot, et vous verrez si tous les charmes et tous les attachements me retiendront ici, non pas un jour mais une minute. Je volerai Ă vos pieds et dans vos bras, et je vous prouverai, mille fois et de mille maniĂšres, que vous ĂÂȘtes, que vous serez toujours, la vĂ©ritable souveraine de mon cĂ âur. Adieu, ma belle amie; j'attends votre RĂ©ponse avec beaucoup d'empressement. Paris, ce 3 novembre 17**. LETTRE CXXX MADAME DE ROSEMONDE A LA PRESIDENTE DE TOURVEL Et pourquoi, ma chĂšre Belle, ne voulez-vous plus ĂÂȘtre ma fille? pourquoi semblez-vous m'annoncer que toute correspondance va ĂÂȘtre rompue entre nous? Est-ce pour me punir de n'avoir pas devinĂ© ce qui Ă©tait contre toute vraisemblance? ou me soupçonnez-vous de vous avoir affligĂ©e volontairement? Non, je connais trop bien votre cĂ âur, pour croire qu'il pense ainsi du mien. Aussi la peine que m'a faite votre lettre est-elle bien moins relative Ă moi qu'Ă vous-mĂÂȘme! Ăâ ma jeune amie! je vous le dis avec douleur; mais vous ĂÂȘtes bien trop digne d'ĂÂȘtre aimĂ©e, pour que jamais l'amour vous rende heureuse. HĂ©! quelle femme vraiment dĂ©licate et sensible n'a pas trouvĂ© l'infortune dans ce mĂÂȘme sentiment qui lui promettait tant de bonheur! Les hommes savent-ils apprĂ©cier la femme qu'ils possĂšdent? Ce n'est pas que plusieurs ne soient honnĂÂȘtes dans leurs procĂ©dĂ©s, et constants dans leur affection mais, parmi ceux-lĂ mĂÂȘme, combien peu savent encore se mettre Ă l'unisson de notre cĂ âur! Ne croyez pas, ma chĂšre Enfant, que leur amour soit semblable au nĂÂŽtre. Ils Ă©prouvent bien la mĂÂȘme ivresse; souvent mĂÂȘme ils y mettent plus d'emportement mais ils ne connaissent pas cet empressement inquiet, cette sollicitude dĂ©licate, qui produit en nous ces soins tendres et continus, et dont l'unique but est toujours l'objet aimĂ©. L'homme jouit du bonheur qu'il ressent, et la femme de celui qu'elle procure. Cette diffĂ©rence, si essentielle et si peu remarquĂ©e, influe pourtant, d'une maniĂšre bien sensible, sur la totalitĂ© de leur conduite respective. Le plaisir de l'un est de satisfaire des dĂ©sirs, celui de l'autre est surtout de les faire naĂtre. Plaire n'est pour lui qu'un moyen de succĂšs; tandis que pour elle, c'est le succĂšs lui-mĂÂȘme. Et la coquetterie, si souvent reprochĂ©e aux femmes, n'est autre chose que l'abus de cette façon de sentir, et par lĂ mĂÂȘme en prouve la rĂ©alitĂ©. Enfin, ce goĂ»t exclusif, qui caractĂ©rise particuliĂšrement l'amour, n'est dans l'homme qu'une prĂ©fĂ©rence, qui sert, au plus, Ă augmenter un plaisir, qu'un autre objet affaiblirait peut-ĂÂȘtre, mais ne dĂ©truirait pas; tandis que dans les femmes, c'est un sentiment profond, qui non seulement anĂ©antit tout dĂ©sir Ă©tranger, mais qui, plus fort que la nature, et soustrait Ă son empire, ne leur laisse Ă©prouver que rĂ©pugnance et dĂ©goĂ»t, lĂ mĂÂȘme oĂÂč semble devoir naĂtre la voluptĂ©. Et n'allez pas croire que des exceptions plus ou moins nombreuses, et qu'on peut citer, puissent s'opposer avec succĂšs Ă ces vĂ©ritĂ©s gĂ©nĂ©rales! Elles ont pour garant la voix publique, qui, pour les hommes seulement, a distinguĂ© l'infidĂ©litĂ© de l'inconstance distinction dont ils se prĂ©valent, quand ils devraient en ĂÂȘtre humiliĂ©s; et qui, pour notre sexe, n'a jamais Ă©tĂ© adoptĂ©e que par ces femmes dĂ©pravĂ©es qui en sont la honte, et Ă qui tout moyen paraĂt bon, qu'elles espĂšrent pouvoir les sauver du sentiment pĂ©nible de leur bassesse. J'ai cru, ma chĂšre Belle, qu'il pourrait vous ĂÂȘtre utile d'avoir ces rĂ©flexions Ă opposer aux idĂ©es chimĂ©riques d'un bonheur parfait dont l'amour ne manque jamais d'abuser notre imagination espoir trompeur, auquel on tient encore, mĂÂȘme alors qu'on se voit forcĂ© de l'abandonner, et dont la perte irrite et multiplie les chagrins dĂ©jĂ trop rĂ©els, insĂ©parables d'une passion vive! Cet emploi d'adoucir vos peines ou d'en diminuer le nombre est le seul que je veuille, que je puisse remplir en ce moment. Dans les maux sans remĂšdes, les conseils ne peuvent plus porter que sur le rĂ©gime. Ce que je vous demande seulement, c'est de vous souvenir que plaindre un malade, ce n'est pas le blĂÂąmer. Eh! qui sommes-nous, pour nous blĂÂąmer les uns les autres? Laissons le droit de juger Ă celui-lĂ seul qui lit dans les cĂ âurs; et j'ose mĂÂȘme croire qu'Ă ses yeux paternels une foule de vertus peut racheter une faiblesse. Mais, je vous en conjure, ma chĂšre amie, dĂ©fendez-vous surtout de ces rĂ©solutions violentes, qui annoncent moins la force qu'un entier dĂ©couragement n'oubliez pas qu'en rendant un autre possesseur de votre existence pour me servir de votre expression, vous n'avez pas pu cependant frustrer vos amis de ce qu'ils en possĂ©daient Ă l'avance, et qu'ils ne cesseront jamais de rĂ©clamer. Adieu, ma chĂšre fille; songez quelquefois Ă votre tendre mĂšre et croyez que vous serez toujours, et par-dessus tout, l'objet de ses plus chĂšres pensĂ©es. Du ChĂÂąteau de ..., ce 4 novembre 17**. LETTRE CXXXI LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT A la bonne heure, Vicomte, et je suis plus contente de vous cette fois-ci que l'autre; mais Ă prĂ©sent, causons de bonne amitiĂ© et j'espĂšre vous convaincre que, pour vous comme pour moi, l'arrangement que vous paraissez dĂ©sirer serait une vĂ©ritable folie. N'avez-vous pas encore remarquĂ© que le plaisir, qui est bien en effet l'unique mobile de la rĂ©union des deux sexes, ne suffit pourtant pas pour former une liaison entre eux? et que, s'il est prĂ©cĂ©dĂ© du dĂ©sir qui rapproche, il n'est pas moins suivi du dĂ©goĂ»t qui repousse? C'est une loi de la nature, que l'amour seul peut changer; et de l'amour, en a-t-on quand on veut? Il en faut pourtant toujours et cela serait vraiment fort embarrassant, si on ne s'Ă©tait pas aperçu qu'heureusement il suffisait qu'il en existĂÂąt d'un cĂÂŽtĂ©. La difficultĂ© est devenue par lĂ de moitiĂ© moindre, et mĂÂȘme sans qu'il y ait eu beaucoup Ă perdre; en effet, l'un jouit du bonheur d'aimer, l'autre de celui de plaire, un peu moins vif Ă la vĂ©ritĂ©, mais auquel se joint le plaisir de tromper, ce qui fait Ă©quilibre; et tout s'arrange. Mais dites-moi, Vicomte, qui de nous deux se chargera de tromper l'autre? Vous savez l'histoire de ces deux fripons qui se reconnurent en jouant " Nous ne nous ferons rien, se dirent-ils, payons les cartes par moitiĂ© " ; et ils quittĂšrent la partie. Suivons, croyez-moi, ce prudent exemple, et ne perdons pas ensemble un temps que nous pouvons si bien employer ailleurs. Pour vous prouver qu'ici votre intĂ©rĂÂȘt me dĂ©cide autant que le mien, et que je n'agis ni par humeur, ni par caprice, je ne vous refuse pas le prix convenu entre nous je sens Ă merveille que pour une seule soirĂ©e nous nous suffirons de reste; et je ne doute mĂÂȘme pas que nous ne sachions assez l'embellir pour ne la voir finir qu'Ă regret. Mais n'oublions pas que ce regret est nĂ©cessaire au bonheur; et quelque douce que soit notre illusion, n'allons pas croire qu'elle puisse ĂÂȘtre durable. Vous voyez que je m'exĂ©cute Ă mon tour, et cela, sans que vous vous soyez encore mis en rĂšgle avec moi; car enfin je devais avoir la premiĂšre Lettre de la cĂ©leste Prude; et pourtant, soit que vous y teniez encore, soit que vous ayez oubliĂ© les conditions d'un marchĂ© qui vous intĂ©resse peut-ĂÂȘtre moins que vous ne voulez me le faire croire, je n'ai rien reçu, absolument rien. Cependant, ou je me trompe, ou la tendre DĂ©vote doit beaucoup Ă©crire car que ferait-elle quand elle est seule? elle n'a sĂ»rement pas le bon esprit de se distraire. J'aurais donc, si je voulais, quelques petits reproches Ă vous faire; mais je les passe sous silence, en compensation d'un peu d'humeur que j'ai eu peut-ĂÂȘtre dans ma derniĂšre Lettre. A prĂ©sent, Vicomte, il ne me reste plus qu'Ă vous faire une demande et elle est encore autant pour vous que pour moi c'est de diffĂ©rer un moment que je dĂ©sire peut-ĂÂȘtre autant que vous, mais dont il me semble que l'Ă©poque doit ĂÂȘtre retardĂ©e jusqu'Ă mon retour Ă la Ville. D'une part, nous n'aurions pas ici la libertĂ© nĂ©cessaire; et, de l'autre, j'y aurais quelque risque Ă courir car il ne faudrait qu'un peu de jalousie, pour me rattacher de plus belle ce triste Belleroche, qui pourtant ne tient plus qu'Ă un fil. Il en est dĂ©jĂ Ă se battre les flancs pour m'aimer; c'est au point qu'Ă prĂ©sent je mets autant de malice que de prudence dans les caresses dont je le surcharge. Mais, en mĂÂȘme temps, vous voyez bien que ce ne serait pas lĂ un sacrifice Ă vous faire! une infidĂ©litĂ© rĂ©ciproque rendra le charme bien plus piquant. Savez-vous que je regrette quelquefois que nous en soyons rĂ©duits Ă ces ressources! Dans le temps oĂÂč nous nous aimions, car je crois que c'Ă©tait de l'amour, j'Ă©tais heureuse; et vous, Vicomte?... Mais pourquoi s'occuper encore d'un bonheur qui ne peut revenir? Non, quoi que vous en disiez, c'est un retour impossible. D'abord, j'exigerais des sacrifices que sĂ»rement vous ne pourriez ou ne voudriez pas me faire, et qu'il se peut bien que je ne mĂ©rite pas; et puis, comment vous fixer? Oh! non, non, je ne veux seulement pas m'occuper de cette idĂ©e; et malgrĂ© le plaisir que je trouve en ce moment Ă vous Ă©crire, j'aime mieux vous quitter brusquement. Adieu, Vicomte. Du ChĂÂąteau de ..., ce 6 novembre 17*'*. LETTRE CXXXII LA PRESIDENTE DE TOURVEL A MADAME DE ROSEMONDE PĂ©nĂ©trĂ©e, Madame, de vos bontĂ©s pour moi, je m'y livrerais tout entiĂšre, si je n'Ă©tais retenue, en quelque sorte, par la crainte de les profaner en les acceptant. Pourquoi faut-il, quand je les vois si prĂ©cieuses, que je sente en mĂÂȘme temps que je n'en suis plus digne? Ah! j'oserai du moins vous en tĂ©moigner ma reconnaissance; j'admirerai, surtout, cette indulgence de la vertu, qui ne connaĂt nos faiblesses que pour y compatir, et dont le charme puissant conserve sur les cĂ âurs un empire si doux et si fort, mĂÂȘme Ă cĂÂŽtĂ© du charme de l'amour. Mais puis-je mĂ©riter encore une amitiĂ© qui ne suffit plus Ă mon bonheur? Je dis de mĂÂȘme de vos conseils, j'en sens le prix et ne puis les suivre. Et comment ne croirais-je pas Ă un bonheur parfait, quand je l'Ă©prouve en ce moment? Oui, si les hommes sont tels que vous le dites, il faut les fuir, ils sont haĂÂŻssables; mais qu'alors Valmont est loin de leur ressembler! S'il a comme eux cette violence de passion, que vous nommez emportement, combien n'est-elle pas surpassĂ©e en lui par l'excĂšs de sa dĂ©licatesse! Ăâ mon amie! vous me parlez de partager mes peines, jouissez donc de mon bonheur; je le dois Ă l'amour, et de combien encore l'objet en augmente le prix! Vous aimez votre neveu, dites-vous, peut-ĂÂȘtre avec faiblesse? ah! si vous le connaissiez comme moi! je l'aime avec idolĂÂątrie, et bien moins encore qu'il ne le mĂ©rite. Il a pu sans doute ĂÂȘtre entraĂnĂ© dans quelques erreurs, il en convient lui-mĂÂȘme; mais qui jamais connut comme lui le vĂ©ritable amour? Que puis-je vous dire de plus? il le ressent tel qu'il l'inspire. Vous allez croire que c'est lĂ une de ces idĂ©es chimĂ©riques dont l'amour ne manque jamais d'abuser notre imagination ; mais dans ce cas, pourquoi serait-il devenu plus tendre, plus empressĂ©, depuis qu'il n'a plus rien Ă obtenir? Je l'avouerai, je lui trouvais auparavant un air de rĂ©flexion, de rĂ©serve, qui l'abandonnait rarement et qui souvent me ramenait, malgrĂ© moi, aux fausses et cruelles impressions qu'on m'avait donnĂ©es de lui. Mais depuis qu'il peut se livrer sans contrainte aux mouvements de son cĂ âur, il semble deviner tous les dĂ©sirs du mien. Qui sait si nous n'Ă©tions pas nĂ©s l'un pour l'autre, si ce bonheur ne m'Ă©tait pas rĂ©servĂ©, d'ĂÂȘtre nĂ©cessaire au sien! Ah! si c'est une illusion, que je meure donc avant qu'elle finisse. Mais non; je veux vivre pour le chĂ©rir, pour l'adorer. Pourquoi cesserait-il de m'aimer? Quelle autre femme rendrait-il plus heureuse que moi? Et, je le sens par moi-mĂÂȘme, ce bonheur qu'on fait naĂtre, est le plus fort lien, le seul qui attache vĂ©ritablement. Oui, c'est ce sentiment dĂ©licieux qui ennoblit l'amour, qui le purifie en quelque sorte, et le rend vraiment digne d'une ĂÂąme tendre et gĂ©nĂ©reuse, telle que celle de Valmont. Adieu, ma chĂšre, ma respectable, mon indulgente amie. Je voudrais en vain vous Ă©crire plus longtemps; voici l'heure oĂÂč il a promis de venir, et toute autre idĂ©e m'abandonne. Pardon! mais vous voulez mon bonheur, et il est si grand dans ce moment que je suffis Ă peine Ă le sentir. Paris, ce 7 novembre 17**. LETTRE CXXXIII LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Quels sont donc, ma belle amie, ces sacrifices que vous jugez que je ne ferais pas, et dont pourtant le prix serait de vous plaire? Faites-les-moi connaĂtre seulement, et si je balance Ă vous les offrir, je vous permets d'en refuser l'hommage. Eh! comment me jugez-vous depuis quelque temps, si, mĂÂȘme dans votre indulgence, vous doutez de mes sentiments ou de mon Ă©nergie? Des sacrifices que je ne voudrais ou ne pourrais pas faire! Ainsi, vous me croyez amoureux, subjuguĂ©? et le prix que j'ai mis au succĂšs, vous me soupçonnez de l'attacher Ă la personne? Ah! grĂÂąces au Ciel, je n'en suis pas encore rĂ©duit lĂ , et je m'offre Ă vous le prouver. Oui, je vous le prouverai, quand mĂÂȘme ce devrait ĂÂȘtre envers Madame de Tourvel. AssurĂ©ment, aprĂšs cela, il ne doit pas vous rester de doute. J'ai pu, je crois, sans me compromettre, donner quelque temps Ă une femme, qui a au moins le mĂ©rite d'ĂÂȘtre d'un genre qu'on rencontre rarement. Peut-ĂÂȘtre aussi la saison morte dans laquelle est venue cette aventure m'a fait m'y livrer davantage; et encore Ă prĂ©sent, qu'Ă peine le grand courant commence Ă reprendre, il n'est pas Ă©tonnant qu'elle m'occupe presque en entier. Mais songez donc qu'il n'y a guĂšre que huit jours que je jouis du fruit de trois mois de soins. Je me suis si souvent arrĂÂȘtĂ© davantage Ă ce qui valait bien moins, et ne m'avait pas tant coĂ»tĂ©!... et jamais vous n'en avez rien conclu contre moi. Et puis, voulez-vous savoir la vĂ©ritable cause de l'empressement que j'y mets? la voici. Cette femme est naturellement timide; dans les premiers temps, elle doutait sans cesse de son bonheur, et ce doute suffisait pour le troubler en sorte que je commence Ă peine Ă pouvoir remarquer jusqu'oĂÂč va ma puissance en ce genre. C'est une chose que j'Ă©tais pourtant curieux de savoir; et l'occasion ne s'en trouve pas si facilement qu'on le croit. D'abord, pour beaucoup de femmes, le plaisir est toujours le plaisir et n'est jamais que cela; et auprĂšs de celles-lĂ , de quelque titre qu'on nous dĂ©core, nous ne sommes jamais que des facteurs, de simples commissionnaires, dont l'activitĂ© fait tout le mĂ©rite, et parmi lesquels, celui qui fait le plus est toujours celui qui fait le mieux. Dans une autre classe, peut-ĂÂȘtre la plus nombreuse aujourd'hui, la cĂ©lĂ©britĂ© de l'Amant, le plaisir de l'avoir enlevĂ© Ă une rivale, la crainte de se le voir enlever Ă son tour, occupent les femmes presque tout entiĂšres nous entrons bien, plus ou moins, pour quelque chose dans l'espĂšce de bonheur dont elles jouissent; mais il tient plus aux circonstances qu'Ă la personne. Il leur vient par nous, et non de nous. Il fallait donc trouver, pour mon observation, une femme dĂ©licate et sensible, qui fĂt son unique affaire de l'amour, et qui, dans l'amour mĂÂȘme, ne vĂt que son Amant; dont l'Ă©motion, loin de suivre la route ordinaire, partĂt toujours du cĂ âur, pour arriver aux sens; que j'ai vue par exemple et je ne parle pas du premier jour sortir du plaisir tout Ă©plorĂ©e, et le moment d'aprĂšs retrouver la voluptĂ© dans un mot qui rĂ©pondait Ă son ĂÂąme. Enfin, il fallait qu'elle rĂ©unĂt encore cette candeur naturelle, devenue insurmontable par l'habitude de s'y livrer, et qui ne lui permet de dissimuler aucun des sentiments de son cĂ âur. Or, vous en conviendrez, de telles femmes sont rares; et je puis croire que, sans celle-ci, je n'en aurais peut-ĂÂȘtre jamais rencontrĂ©. Il ne serait donc pas Ă©tonnant qu'elle me fixĂÂąt plus longtemps qu'une autre, et si le travail que je veux faire sur elle exige que je la rende heureuse, parfaitement heureuse! pourquoi m'y refuserais-je, surtout quand cela me sert, au lieu de me contrarier? Mais de ce que l'esprit est occupĂ©, s'ensuit-il que le cĂ âur soit esclave? non, sans doute. Aussi le prix que je ne me dĂ©fends pas de mettre Ă cette aventure ne m'empĂÂȘchera pas d'en courir d'autres, ou mĂÂȘme de la sacrifier Ă de plus agrĂ©ables. Je suis tellement libre, que je n'ai seulement pas nĂ©gligĂ© la petite Volanges, Ă laquelle pourtant je tiens si peu. Sa mĂšre la ramĂšne Ă la Ville dans trois jours; et moi, depuis hier, j'ai su assurer mes communications quelque argent au portier et quelques fleurettes Ă sa femme en ont fait l'affaire. Concevez-vous que Danceny n'ait pas su trouver ce moyen si simple? et puis, qu'on dise que l'amour rend ingĂ©nieux! il abrutit au contraire ceux qu'il domine. Et je ne saurais pas m'en dĂ©fendre! Ah! soyez tranquille. DĂ©jĂ je vais, sous peu de jours, affaiblir, en la partageant, l'impression peut-ĂÂȘtre trop vive que j'ai Ă©prouvĂ©e; et si un simple partage ne suffit pas, je les multiplierai. Je n'en serai pas moins prĂÂȘt Ă remettre la jeune pensionnaire Ă son discret Amant, dĂšs que vous le jugerez Ă propos. Il me semble que vous n'avez plus de raison pour l'en empĂÂȘcher; et moi, je consens Ă rendre ce service signalĂ© au pauvre Danceny. C'est, en vĂ©ritĂ©, le moins que je lui doive pour tous ceux qu'il m'a rendus. Il est actuellement dans la grande inquiĂ©tude de savoir s'il sera reçu chez Madame de Volanges; je le calme le plus que je peux, en l'assurant que, de façon ou d'autre, je ferai son bonheur au premier jour et en attendant, je continue Ă me charger de la correspondance, qu'il veut reprendre Ă l'arrivĂ©e de sa CĂ©cile . J'ai dĂ©jĂ six Lettres de lui, et j'en aurai bien encore une ou deux avant l'heureux jour. Il faut que ce garçon-lĂ soit bien dĂ©sĂ âuvrĂ©! Mais laissons ce couple enfantin, et revenons Ă nous; que je puisse m'occuper uniquement de l'espoir si doux que m'a donnĂ© votre Lettre. Oui, sans doute vous me fixerez, et je ne vous pardonnerais pas d'en douter. Ai-je donc jamais cessĂ© d'ĂÂȘtre constant pour vous? Nos liens ont Ă©tĂ© dĂ©nouĂ©s, et non pas rompus; notre prĂ©tendue rupture ne fut qu'une erreur de notre imagination nos sentiments, nos intĂ©rĂÂȘts n'en sont pas moins restĂ©s unis. Semblable au voyageur, qui revient dĂ©trompĂ©, je reconnaĂtrai comme lui que j'avais laissĂ© le bonheur pour courir aprĂšs l'espĂ©rance et je dirai comme d'Harcourt Plus je vis d'Ă©trangers, plus j'aimai ma patrie [Du Belloi, TragĂ©die du SiĂšge de Calais] Ne combattez donc plus l'idĂ©e ou plutĂÂŽt le sentiment qui vous ramĂšne Ă moi; et aprĂšs avoir essayĂ© de tous les plaisirs dans nos courses diffĂ©rentes, jouissons du bonheur de sentir qu'aucun d'eux n'est comparable Ă celui que nous avions Ă©prouvĂ©, et que nous retrouverons plus dĂ©licieux encore! Adieu, ma charmante amie. Je consens Ă attendre votre retour mais pressez-le donc, et n'oubliez pas combien je le dĂ©sire. Paris, ce 8 novembre 17**. LETTRE CXXXIV LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT En vĂ©ritĂ©, Vicomte, vous ĂÂȘtes bien comme les enfants, devant qui il ne faut rien dire, et Ă qui on ne peut rien montrer qu'ils ne veuillent s'en emparer aussitĂÂŽt! Une simple idĂ©e qui me vient, Ă laquelle mĂÂȘme je vous avertis que je ne veux pas m'arrĂÂȘter, parce que je vous en parle, vous en abusez pour y ramener mon attention; pour m'y fixer, quand je cherche Ă m'en distraire; et me faire, en quelque sorte, partager malgrĂ© moi vos dĂ©sirs Ă©tourdis! Est-il donc gĂ©nĂ©reux Ă vous de me laisser supporter seule tout le fardeau de la prudence? Je vous le redis, et me le rĂ©pĂšte plus souvent encore, l'arrangement que vous me proposez est rĂ©ellement impossible. Quand vous y mettriez toute la gĂ©nĂ©rositĂ© que vous me montrez en ce moment, croyez-vous que je n'aie pas aussi ma dĂ©licatesse, et que je veuille accepter des sacrifices qui nuiraient Ă votre bonheur? Or, est-il vrai, Vicomte, que vous vous faites illusion sur le sentiment qui vous attache Ă Madame de Tourvel? C'est de l'amour, ou il n'en exista jamais vous le niez bien de cent façons; mais vous le prouvez de mille. Qu'est-ce, par exemple, que ce subterfuge dont vous vous servez vis-Ă -vis de vous-mĂÂȘme car je vous crois sincĂšre avec moi, qui vous fait rapporter Ă l'envie d'observer le dĂ©sir que vous ne pouvez ni cacher ni combattre, de garder cette femme? Ne dirait-on pas que jamais vous n'en avez rendu une autre heureuse, parfaitement heureuse? Ah! si vous en doutez, vous avez bien peu de mĂ©moire! Mais non, ce n'est pas cela. Tout simplement votre cĂ âur abuse votre esprit, et le fait se payer de mauvaises raisons mais moi, qui ai un grand intĂ©rĂÂȘt Ă ne pas m'y tromper, je ne suis pas si facile Ă contenter. C'est ainsi qu'en remarquant votre politesse, qui vous a fait supprimer soigneusement tous les mots que vous vous ĂÂȘtes imaginĂ© m'avoir dĂ©plu, j'ai vu cependant que, peut-ĂÂȘtre sans vous en apercevoir, vous n'en conserviez pas moins les mĂÂȘmes idĂ©es. En effet, ce n'est plus l'adorable, la cĂ©leste Madame de Tourvel, mais c'est une femme Ă©tonnante, une femme dĂ©licate et sensible , et cela, Ă l'exclusion de toutes les autres; une femme rare enfin , et telle qu'on n'en rencontrerait pas une seconde . Il en est de mĂÂȘme de ce charme inconnu qui n'est pas le plus fort . HĂ© bien! soit mais puisque vous ne l'aviez jamais trouvĂ© jusque-lĂ , il est bien Ă croire que vous ne le trouveriez pas davantage Ă l'avenir, et la perte que vous feriez n'en serait pas moins irrĂ©parable. Ou ce sont lĂ , Vicomte, des symptĂÂŽmes assurĂ©s d'amour, ou il faut renoncer Ă en trouver aucun. Soyez assurĂ© que, pour cette fois, je vous parle sans humeur. Je me suis promis de n'en plus prendre; j'ai trop bien reconnu qu'elle pouvait devenir un piĂšge dangereux. Croyez-moi, ne soyons qu'amis, et restons-en lĂ . Sachez- moi grĂ© seulement de mon courage Ă me dĂ©fendre oui, de mon courage; car il en faut quelquefois, mĂÂȘme pour ne pas prendre un parti qu'on sent ĂÂȘtre mauvais. Ce n'est donc plus que pour vous ramener Ă mon avis par persuasion que je vais rĂ©pondre Ă la demande que vous me faites sur les sacrifices que j'exigerais et que vous ne pourriez pas faire. Je me sers Ă dessein de ce mot exiger , parce que je suis sĂ»re que, dans un moment, vous m'allez en effet trouver trop exigeante; mais tant mieux! Loin de me fĂÂącher de vos refus, je vous en remercierai. Tenez, ce n'est pas avec vous que je veux dissimuler, j'en ai peut-ĂÂȘtre besoin. J'exigerais donc, voyez la cruautĂ©! que cette rare, cette Ă©tonnante Madame de Tourvel ne fĂ»t plus pour vous qu'une femme ordinaire, une femme telle qu'elle est seulement car il ne faut pas s'y tromper; ce charme qu'on croit trouver dans les autres, c'est en nous qu'il existe; et c'est l'amour seul qui embellit tant l'objet aimĂ©. Ce que je vous demande lĂ , tout impossible que cela soit, vous feriez peut-ĂÂȘtre bien l'effort de me le promettre, de me le jurer mĂÂȘme; mais, je l'avoue, je n'en croirais pas de vains discours. Je ne pourrais ĂÂȘtre persuadĂ©e que par l'ensemble de votre conduite. Ce n'est pas tout encore, je serais capricieuse. Ce sacrifice de la petite CĂ©cile, que vous m'offrez de si bonne grĂÂące, je ne m'en soucierais pas du tout. Je vous demanderais au contraire de continuer ce pĂ©nible service, jusqu'Ă nouvel ordre de ma part; soit que j'aimasse Ă abuser ainsi de mon empire; soit que, plus indulgente ou plus juste, il me suffĂt de disposer de vos sentiments, sans vouloir contrarier vos plaisirs. Quoi qu'il en soit, je voudrais ĂÂȘtre obĂ©ie; et mes ordres seraient bien rigoureux! Il est vrai qu'alors je me croirais obligĂ©e de vous remercier; que sait-on? peut- ĂÂȘtre mĂÂȘme de vous rĂ©compenser. SĂ»rement, par exemple, j'abrĂ©gerais une absence qui me deviendrait insupportable. Je vous reverrais enfin, Vicomte, et je vous reverrais... comment?... Mais vous vous souvenez que ceci n'est plus qu'une conversation, un simple rĂ©cit d'un projet impossible, et je ne veux pas l'oublier toute seule... Savez-vous que mon procĂšs m'inquiĂšte un peu? J'ai voulu enfin connaĂtre au juste quels Ă©taient mes moyens; mes Avocats me citent bien quelques Lois, et surtout beaucoup d'autoritĂ©s , comme ils les appellent mais je n'y vois pas autant de raison et de justice. J'en suis presque Ă regretter d'avoir refusĂ© l'accommodement. Cependant je me rassure en songeant que le Procureur est adroit, l'Avocat Ă©loquent, et la Plaideuse jolie. Si ces trois moyens devaient ne plus valoir, il faudrait changer tout le train des affaires, et que deviendrait le respect pour les anciens usages? Ce procĂšs est actuellement la seule chose qui me retienne ici. Celui de Belleroche est fini hors de Cour, dĂ©pens compensĂ©s. Il en est Ă regretter le bal de ce soir; c'est bien le regret d'un dĂ©sĂ âuvrĂ©! Je lui rendrai sa libertĂ© entiĂšre, Ă mon retour Ă la Ville. Je lui fais ce douloureux sacrifice, et je m'en console par la gĂ©nĂ©rositĂ© qu'il y trouve. Adieu, Vicomte, Ă©crivez-moi souvent le dĂ©tail de vos plaisirs me dĂ©dommagera au moins en partie des ennuis que j'Ă©prouve. Du ChĂÂąteau de ..., ce 11 novembre 17**. LETTRE CXXXV LA PRESIDENTE DE TOURVEL A MADAME DE ROSEMONDE J'essaie de vous Ă©crire, sans savoir encore si je le pourrai. Ah! Dieu, quand je songe qu'Ă ma derniĂšre Lettre c'Ă©tait l'excĂšs de mon bonheur qui m'empĂÂȘchait de la continuer! C'est celui de mon dĂ©sespoir qui m'accable Ă prĂ©sent; qui ne me laisse de force que pour sentir mes douleurs, et m'ĂÂŽte celles de les exprimer. Valmont... Valmont ne m'aime plus, il ne m'a jamais aimĂ©e. L'amour ne s'en va pas ainsi. Il me trompe, il me trahit, il m'outrage. Tout ce qu'on peut rĂ©unir d'infortunes, d'humiliations, je les Ă©prouve, et c'est de lui qu'elles me viennent. Et ne croyez pas que ce soit un simple soupçon j'Ă©tais si loin d'en avoir! Je n'ai pas le bonheur de pouvoir douter. Je l'ai vu que pourrait-il me dire pour se justifier?... Mais que lui importe! il ne le tentera seulement pas... Malheureuse! que lui feront tes reproches et tes larmes? c'est bien de toi qu'il s'occupe!... Il est donc vrai qu'il m'a sacrifiĂ©e, livrĂ©e mĂÂȘme... et Ă qui?... une vile crĂ©ature... Mais que dis-je? Ah! j'ai perdu jusqu'au droit de la mĂ©priser. Elle a trahi moins de devoirs, elle est moins coupable que moi. Oh! que la peine est douloureuse quand elle s'appuie sur le remords! Je sens mes tourments qui redoublent. Adieu, ma chĂšre amie; quelque indigne que je me sois rendue de votre pitiĂ©, vous en aurez cependant pour moi, si vous pouvez vous former l'idĂ©e de ce que je souffre. Je viens de relire ma Lettre, et je m'aperçois qu'elle ne peut vous instruire de rien; je vais donc tĂÂącher d'avoir le courage de vous raconter ce cruel Ă©vĂ©nement. C'Ă©tait hier; je devais pour la premiĂšre fois, depuis mon retour, souper hors de chez moi. Valmont vint me voir Ă cinq heures; jamais il ne m'avait paru si tendre. Il me fit connaĂtre que mon projet de sortir le contrariait, et vous jugez que j'eus bientĂÂŽt celui de rester chez moi. Cependant, deux heures aprĂšs, et tout Ă coup, son air et son ton changĂšrent sensiblement. Je ne sais s'il me sera Ă©chappĂ© quelque chose qui aura pu lui dĂ©plaire; quoi qu'il en soit, peu de temps aprĂšs, il prĂ©tendit se rappeler une affaire qui l'obligeait de me quitter, et il s'en alla ce ne fut pourtant pas sans m'avoir tĂ©moignĂ© des regrets trĂšs vifs, qui me parurent tendres, et qu'alors je crus sincĂšres. Rendue Ă moi-mĂÂȘme, je jugeai plus convenable de ne pas me dispenser de mes premiers engagements, puisque j'Ă©tais libre de les remplir. Je finis ma toilette, et montai en voiture. Malheureusement mon Cocher me fit passer devant l'OpĂ©ra, et je me trouvai dans l'embarras de la sortie; j'aperçus Ă quatre pas devant moi, et dans la file Ă cĂÂŽtĂ© de la mienne, la voiture de Valmont. Le cĂ âur me battit aussitĂÂŽt, mais ce n'Ă©tait pas de crainte; et la seule idĂ©e qui m'occupait Ă©tait le dĂ©sir que ma voiture avançĂÂąt. Au lieu de cela, ce fut la sienne qui fut forcĂ©e de reculer, et qui se trouva Ă cĂÂŽtĂ© de la mienne. Je m'avançai sur-le-champ quel fut mon Ă©tonnement de trouver Ă ses cĂÂŽtĂ©s une fille, bien connue pour telle! Je me retirai, comme vous pouvez penser, et c'en Ă©tait dĂ©jĂ bien assez pour navrer mon cĂ âur mais ce que vous aurez peine Ă croire, c'est que cette mĂÂȘme fille apparemment instruite par une odieuse confidence, n'a pas quittĂ© la portiĂšre de la voiture, ni cessĂ© de me regarder, avec des Ă©clats de rire Ă faire scĂšne. Dans l'anĂ©antissement oĂÂč j'en fus, je me laissai pourtant conduire dans la maison oĂÂč je devais souper mais il me fut impossible d'y rester; je me sentais, Ă chaque instant, prĂÂȘte Ă m'Ă©vanouir, et surtout je ne pouvais retenir mes larmes. En rentrant, j'Ă©crivis Ă M. de Valmont, et lui envoyai ma Lettre aussitĂÂŽt; il n'Ă©tait pas chez lui. Voulant, Ă quelque prix que ce fĂ»t, sortir de cet Ă©tat de mort, ou le confirmer Ă jamais, je renvoyai avec ordre de l'attendre mais avant minuit mon Domestique revint, en me disant que le Cocher, qui Ă©tait de retour, lui avait dit que son MaĂtre ne rentrerait pas de la nuit. J'ai cru ce matin n'avoir plus autre chose Ă faire qu'Ă lui redemander mes Lettres, et le prier de ne plus revenir chez moi. J'ai en effet donnĂ© des ordres en consĂ©quence; mais sans doute, ils Ă©taient inutiles. Il est prĂšs de midi; il ne s'est point encore prĂ©sentĂ©, et je n'ai pas mĂÂȘme reçu un mot de lui. A prĂ©sent, ma chĂšre amie, je n'ai plus rien Ă ajouter vous voilĂ instruite, et vous connaissez mon cĂ âur. Mon seul espoir est de n'avoir pas longtemps encore Ă affliger votre sensible amitiĂ©. Paris, ce 15 novembre 17**. LETTRE CXXXVI LA PRESIDENTE DE TOURVEL AU VICOMTE DE VALMONT Sans doute, Monsieur, aprĂšs ce qui s'est passĂ© hier, vous ne vous attendez plus Ă ĂÂȘtre reçu chez moi, et sans doute aussi vous le dĂ©sirez fort peu! Ce billet a donc moins pour objet de vous prier de n'y plus venir, que de vous redemander des Lettres qui n'auraient jamais dĂ» exister; et qui, si elles ont pu vous intĂ©resser un moment, comme des preuves de l'aveuglement que vous aviez fait naĂtre, ne peuvent que vous ĂÂȘtre indiffĂ©rentes Ă prĂ©sent qu'il est dissipĂ©, et qu'elles n'expriment plus qu'un sentiment que vous avez dĂ©truit. Je reconnais et j'avoue que j'ai eu tort de prendre en vous une confiance dont tant d'autres avant moi avaient Ă©tĂ© les victimes; en cela je n'accuse que moi seule mais je croyais au moins n'avoir pas mĂ©ritĂ© d'ĂÂȘtre livrĂ©e, par vous, au mĂ©pris et Ă l'insulte. Je croyais qu'en vous sacrifiant tout, et perdant pour vous seul mes droits Ă l'estime des autres et Ă la mienne, je pouvais m'attendre cependant Ă ne pas ĂÂȘtre jugĂ©e par vous plus sĂ©vĂšrement que par le public, dont l'opinion sĂ©pare encore, par un immense intervalle, la femme faible de la femme dĂ©pravĂ©e. Ces torts, qui seraient ceux de tout le monde, sont les seuls dont je vous parle. Je me tais sur ceux de l'amour; votre cĂ âur n'entendrait pas le mien. Adieu, Monsieur. Paris, ce 15 novembre 17**. LETTRE CXXXVII LE VICOMTE DE VALMONT A LA PRESIDENTE DE TOURVEL On vient seulement, Madame, de me rendre votre Lettre; j'ai frĂ©mi en la lisant, et elle me laisse Ă peine la force d'y rĂ©pondre. Quelle affreuse idĂ©e avez-vous donc de moi! Ah! sans doute, j'ai des torts; et tels que je ne me les pardonnerai de ma vie, quand mĂÂȘme vous les couvririez de votre indulgence. Mais que ceux que vous me reprochez ont toujours Ă©tĂ© loin de mon ĂÂąme! Qui, moi! vous humilier! vous avilir! quand je vous respecte autant que je vous chĂ©ris; quand je n'ai connu l'orgueil que du moment oĂÂč vous m'avez jugĂ© digne de vous. Les apparences vous ont déçue; et je conviens qu'elles ont pu ĂÂȘtre contre moi mais n'aviez-vous donc pas dans votre cĂ âur ce qu'il fallait pour les combattre? et ne s'est-il pas rĂ©voltĂ© Ă la seule idĂ©e qu'il pouvait avoir Ă se plaindre du mien? Vous l'avez cru cependant! Ainsi, non seulement vous m'avez jugĂ© capable de ce dĂ©lire atroce, mais vous avez mĂÂȘme craint de vous y ĂÂȘtre exposĂ©e par vos bontĂ©s pour moi. Ah! si vous vous trouvez dĂ©gradĂ©e Ă ce point par votre amour, je suis donc moi-mĂÂȘme bien vil Ă vos yeux? OppressĂ© par le sentiment douloureux que cette idĂ©e me cause, je perds Ă la repousser le temps que je devrais employer Ă la dĂ©truire. J'avouerai tout; une autre considĂ©ration me retient encore. Faut-il donc retracer des faits que je voudrais anĂ©antir et fixer votre attention et la mienne sur un moment d'erreur que je voudrais racheter du reste de ma vie, dont je suis encore Ă concevoir la cause, et dont le souvenir doit faire Ă jamais mon humiliation et mon dĂ©sespoir? Ah! si, en m'accusant, je dois exciter votre colĂšre, vous n'aurez pas au moins Ă chercher loin votre vengeance; il vous suffira de me livrer Ă mes remords. Cependant, qui le croirait? cet Ă©vĂ©nement a pour premiĂšre cause le charme tout-puissant que j'Ă©prouve auprĂšs de vous. Ce fut lui qui me fit oublier trop longtemps une affaire importante, et qui ne pouvait se remettre. Je vous quittai trop tard, et ne trouvai plus la personne que j'allais chercher. J'espĂ©rais la rejoindre Ă l'OpĂ©ra, et ma dĂ©marche fut pareillement infructueuse. Emilie que j'y trouvai, que j'ai connue dans un temps oĂÂč j'Ă©tais bien loin de connaĂtre ni vous ni l'amour. Emilie n'avait pas sa voiture, et me demanda de la remettre chez elle Ă quatre pas de lĂ . Je n'y vis aucune consĂ©quence, et j'y consentis. Mais ce fut alors que je vous rencontrai; et je sentis sur-le-champ que vous seriez portĂ©e Ă me juger coupable. La crainte de vous dĂ©plaire ou de vous affliger est si puissante sur moi, qu'elle dut ĂÂȘtre et fut en effet bientĂÂŽt remarquĂ©e. J'avoue mĂÂȘme qu'elle me fit tenter d'engager cette fille Ă ne pas se montrer; cette prĂ©caution de la dĂ©licatesse a tournĂ© contre l'amour. AccoutumĂ©e, comme toutes celles de son Ă©tat, Ă n'ĂÂȘtre sĂ»re d'un empire toujours usurpĂ© que par l'abus qu'elles se permettent d'en faire. Emilie se garda bien d'en laisser Ă©chapper une occasion si Ă©clatante. Plus elle voyait mon embarras s'accroĂtre, plus elle affectait de se montrer; et sa folle gaietĂ©, dont je rougis que vous ayez pu un moment vous croire l'objet, n'avait de cause que la peine cruelle que je ressentais, qui elle-mĂÂȘme venait encore de mon respect et de mon amour. Jusque-lĂ , sans doute, je suis plus malheureux que coupable; et ces torts, qui seraient ceux de tout le monde, et les seuls dont vous me parlez, ces torts n'existant pas, ne peuvent m'ĂÂȘtre reprochĂ©s. Mais vous vous taisez en vain sur ceux de l'amour je ne garderai pas sur eux le mĂÂȘme silence; un trop grand intĂ©rĂÂȘt m'oblige Ă le rompre. Ce n'est pas que, dans la confusion oĂÂč je suis de cet inconcevable Ă©garement, je puisse, sans une extrĂÂȘme douleur, prendre sur moi d'en rappeler le souvenir. PĂ©nĂ©trĂ© de mes torts, je consentirais Ă en porter la peine, ou j'attendrais mon pardon du temps, de mon Ă©ternelle tendresse et de mon repentir. Mais comment pouvoir me taire, quand ce qui me reste Ă vous dire importe Ă votre dĂ©licatesse? Ne croyez pas que je cherche un dĂ©tour pour excuser ou pallier ma faute; je m'avoue coupable. Mais je n'avoue point, je n'avouerai jamais que cette erreur humiliante puisse ĂÂȘtre regardĂ©e comme un tort de l'amour. Eh! que peut-il y avoir de commun entre une surprise des sens, entre un moment d'oubli de soi-mĂÂȘme, que suivent bientĂÂŽt la honte et le regret, et un sentiment pur, qui ne peut naĂtre que dans une ĂÂąme dĂ©licate et s'y soutenir que par l'estime, et dont enfin le bonheur est le fruit! Ah! ne profanez pas ainsi l'amour. Craignez surtout de vous profaner vous-mĂÂȘme, en rĂ©unissant sous un mĂÂȘme point de vue ce qui jamais ne peut se confondre. Laissez les femmes viles et dĂ©gradĂ©es redouter une rivalitĂ© qu'elles sentent malgrĂ© elles pouvoir s'Ă©tablir, et Ă©prouver les tourments d'une jalousie Ă©galement cruelle et humiliante mais, vous, dĂ©tournez vos yeux de ces objets qui souilleraient vos regards; et pure comme la DivinitĂ©, comme elle aussi punissez l'offense sans la ressentir. Mais quelle peine m'imposerez-vous, qui me soit plus douloureuse que celle que je ressens? qui puisse ĂÂȘtre comparĂ©e au regret de vous avoir dĂ©plu, au dĂ©sespoir de vous avoir affligĂ©e, Ă l'idĂ©e accablante de m'ĂÂȘtre rendu moins digne de vous? Vous vous occupez de punir! et moi, je vous demande des consolations non que je les mĂ©rite; mais parce qu'elles me sont nĂ©cessaires, et qu'elles ne peuvent me venir que de vous. Si, tout Ă coup, oubliant mon amour et le vĂÂŽtre, et ne mettant plus de prix Ă mon bonheur, vous voulez au contraire me livrer Ă une douleur Ă©ternelle, vous en avez le droit frappez; mais si, plus indulgente, ou plus sensible, vous vous rappelez encore ces sentiments si tendres qui unissaient nos cĂ âurs; cette voluptĂ© de l'ĂÂąme, toujours renaissante et toujours plus vivement sentie; ces jours si doux, si fortunĂ©s que chacun de nous devait Ă l'autre; tous ces biens de l'amour et que lui seul procure! peut-ĂÂȘtre prĂ©fĂ©rerez-vous le pouvoir de les faire renaĂtre Ă celui de les dĂ©truire. Que vous dirai-je enfin? j'ai tout perdu, et tout perdu par ma faute; mais je puis tout recouvrer par vos bienfaits. C'est Ă vous Ă dĂ©cider maintenant. Je n'ajoute plus qu'un mot. Hier encore vous me juriez que mon bonheur Ă©tait bien sĂ»r tant qu'il dĂ©pendrait de vous! Ah! Madame, me livrerez-vous aujourd'hui Ă un dĂ©sespoir Ă©ternel? Paris, ce 15 novembre 17**. LETTRE CXXXVIII LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Je persiste, ma belle amie non, je ne suis point amoureux; et ce n'est pas ma faute, si les circonstances me forcent d'en jouer le rĂÂŽle. Consentez seulement; et revenez; vous verrez bientĂÂŽt par vous-mĂÂȘme combien je suis sincĂšre. J'ai fait mes preuves hier, et elles ne peuvent ĂÂȘtre dĂ©truites par ce qui se passe aujourd'hui. J'Ă©tais donc chez la tendre Prude, et j'y Ă©tais bien sans aucune autre affaire car la petite Volanges, malgrĂ© son Ă©tat, devait passer toute la nuit au bal prĂ©coce de Madame V***. Le dĂ©sĂ âuvrement m'avait fait dĂ©sirer d'abord de prolonger cette soirĂ©e; et j'avais mĂÂȘme, Ă ce sujet, exigĂ© un petit sacrifice; mais Ă peine fut-il accordĂ©, que le plaisir que je me promettais fut troublĂ© par l'idĂ©e de cet amour que vous vous obstinez Ă me croire, ou au moins Ă me reprocher; en sorte que je n'Ă©prouvai plus d'autre dĂ©sir que celui de pouvoir Ă la fois m'assurer et vous convaincre que c'Ă©tait de votre part pure calomnie. Je pris donc un parti violent; et sous un prĂ©texte assez lĂ©ger je laissai lĂ ma Belle, toute surprise et sans doute encore plus affligĂ©e. Mais moi, j'allai tranquillement joindre Emilie Ă l'OpĂ©ra; et elle pourrait vous rendre compte que, jusqu'Ă ce matin que nous nous sommes sĂ©parĂ©s, aucun regret n'a troublĂ© nos plaisirs. J'avais pourtant un assez beau sujet d'inquiĂ©tude si ma parfaite indiffĂ©rence ne m'en avait sauvĂ© car vous saurez que j'Ă©tais Ă peine Ă quatre maisons de l'OpĂ©ra, et ayant Emilie dans ma voiture, que celle de l'austĂšre DĂ©vote vint exactement ranger la mienne, et qu'un embarras survenu nous laissa prĂšs d'un demi-quart d'heure Ă cĂÂŽtĂ© l'un de l'autre. On se voyait comme Ă midi, et il n'y avait pas moyen d'Ă©chapper. Mais ce n'est pas tout; je m'avisai de confier Ă Emilie que c'Ă©tait la femme Ă la Lettre. Vous vous rappellerez peut-ĂÂȘtre cette folie-lĂ , et qu'Emilie Ă©tait le pupitre [Lettres XLVII et XLVIII]. Elle qui ne l'avait pas oubliĂ©e, et qui est rieuse, n'eut de cesse qu'elle n'eĂ»t considĂ©rĂ© tout Ă son aise cette vertu , disait-elle, et cela, avec des Ă©clats de rire d'un scandale Ă en donner de l'humeur. Ce n'est pas tout encore; la jalouse femme n'envoya-t-elle pas, chez moi, dĂšs le soir mĂÂȘme? Je n'y Ă©tais pas mais, dans son obstination, elle y envoya une seconde fois, avec ordre de m'attendre. Moi, dĂšs que j'avais Ă©tĂ© dĂ©cidĂ© Ă rester chez Emilie, j'avais renvoyĂ© ma voiture, sans autre ordre au Cocher que de venir me reprendre ce matin; et comme en arrivant chez moi, il y trouva l'amoureux Messager, il crut tout simple de lui dire que je ne rentrerais pas de la nuit. Vous devinez bien l'effet de cette nouvelle, et qu'Ă mon retour j'ai trouvĂ© mon congĂ© signifiĂ© avec toute la dignitĂ© que comportait la circonstance. Ainsi cette aventure, interminable selon vous, aurait pu, comme vous voyez, ĂÂȘtre finie de ce matin; si mĂÂȘme elle ne l'est pas, ce n'est point, comme vous l'allez croire, que je mette du prix Ă la continuer c'est que, d'une part, je n'ai pas trouvĂ© dĂ©cent de me laisser quitter; et, de l'autre, que j'ai voulu vous rĂ©server l'honneur de ce sacrifice. J'ai donc rĂ©pondu au sĂ©vĂšre billet par une grande Ă©pĂtre de sentiments; j'ai donnĂ© de longues raisons, et je me suis reposĂ© sur l'amour du soin de les faire trouver bonnes. J'ai dĂ©jĂ rĂ©ussi. Je viens de recevoir un second billet, toujours bien rigoureux, et qui confirme l'Ă©ternelle rupture, comme cela devait ĂÂȘtre; mais dont le ton n'est pourtant plus le mĂÂȘme. Surtout, on ne veut plus me voir ce parti pris y est annoncĂ© quatre fois de la maniĂšre la plus irrĂ©vocable. J'en ai conclu qu'il n'y avait pas un moment Ă perdre pour me prĂ©senter. J'ai dĂ©jĂ envoyĂ© mon Chasseur, pour s'emparer du Suisse; et dans un moment, j'irai moi-mĂÂȘme faire signer mon pardon car dans les torts de cette espĂšce, il n'y a qu'une seule formule qui porte absolution gĂ©nĂ©rale, et celle-lĂ ne s'expĂ©die qu'en prĂ©sence. Adieu, ma charmante amie; je cours tenter ce grand Ă©vĂ©nement. Paris, ce 15 novembre 17**. LETTRE CXXXIX LA PRESIDENTE DE TOURVEL A MADAME DE ROSEMONDE Que je me reproche, ma sensible amie, de vous avoir parlĂ© trop et trop tĂÂŽt de mes peines passagĂšres! je suis cause que vous vous affligez Ă prĂ©sent; ces chagrins qui vous viennent de moi durent encore, et moi, je suis heureuse. Oui, tout est oubliĂ©, pardonnĂ©; disons mieux, tout est rĂ©parĂ©. A cet Ă©tat de douleur et d'angoisses, ont succĂ©dĂ© le calme et les dĂ©lices. Ăâ joie de mon cĂ âur, comment vous exprimer! Valmont est innocent; on n'est point coupable avec autant d'amour. Ces torts graves, offensants que je lui reprochais avec tant d'amertume, il ne les avait pas et si, sur un seul point, j'ai eu besoin d'indulgence, n'avais-je donc pas aussi mes injustices Ă rĂ©parer? Je ne vous ferai point le dĂ©tail des faits ou des raisons qui le justifient; peut- ĂÂȘtre mĂÂȘme l'esprit les apprĂ©cierait mal c'est au cĂ âur seul qu'il appartient de les sentir. Si pourtant vous deviez me soupçonner de faiblesse, j'appellerais votre jugement Ă l'appui du mien. Pour les hommes, dites-vous vous-mĂÂȘme, l'infidĂ©litĂ© n'est pas l'inconstance. Ce n'est pas que je ne sente que cette distinction, qu'en vain l'opinion autorise, n'en blesse pas moins la dĂ©licatesse mais de quoi se plaindrait la mienne, quand celle de Valmont en souffre plus encore? Ce mĂÂȘme tort que j'oublie, ne croyez pas qu'il se le pardonne ou s'en console; et pourtant, combien n'a-t-il pas rĂ©parĂ© cette lĂ©gĂšre faute par l'excĂšs de son amour et celui de mon bonheur! Ou ma fĂ©licitĂ© est plus grande, ou j'en sens mieux le prix depuis que j'ai craint de l'avoir perdue mais ce que je puis vous dire, c'est que, si je me sentais la force de supporter encore des chagrins aussi cruels que ceux que je viens d'Ă©prouver, je ne croirais pas en acheter trop cher le surcroĂt de bonheur que j'ai goĂ»tĂ© depuis. Ăâ ma tendre mĂšre, grondez votre fille inconsidĂ©rĂ©e de vous avoir affligĂ©e par trop de prĂ©cipitation; grondez-la d'avoir jugĂ© tĂ©mĂ©rairement et calomniĂ© celui qu'elle ne devait pas cesser d'adorer; mais en la reconnaissant imprudente, voyez-la heureuse, et augmentez sa joie en la partageant. Paris, ce 16 novembre 17**, au soir. LETTRE CXL LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL . Comment donc se fait-il, ma belle amie, que je ne reçoive point de rĂ©ponse de vous? Ma derniĂšre Lettre pourtant me paraissait en mĂ©riter une; et depuis trois jours que je devrais l'avoir reçue, je l'attends encore! Je suis fĂÂąchĂ© au moins; aussi ne vous parlerai-je pas du tout de mes grandes affaires. Que le raccommodement ait eu son plein effet; qu'au lieu de reproches et de mĂ©fiance, il n'ait produit que de nouvelles tendresses; que ce soit moi actuellement qui reçoive les excuses et les rĂ©parations dues Ă ma candeur soupçonnĂ©e; je ne vous en dirai mot et sans l'Ă©vĂ©nement imprĂ©vu de la nuit derniĂšre, je ne vous Ă©crirais pas du tout. Mais comme celui-lĂ regarde votre Pupille, et que vraisemblablement elle ne sera pas dans le cas de vous en informer elle-mĂÂȘme, au moins de quelque temps, je me charge de ce soin. Par des raisons que vous devinerez, ou que vous ne devinerez pas, Madame de Tourvel ne m'occupait plus depuis quelques jours, et comme ces raisons-lĂ ne pouvaient exister chez la petite Volanges, j'en Ă©tais devenu plus assidu auprĂšs d'elle. GrĂÂące Ă l'obligeant Portier, je n'avais aucun obstacle Ă vaincre et nous menions, votre Pupille et moi, une vie commode et bien rĂ©glĂ©e. Mais l'habitude amĂšne la nĂ©gligence les premiers jours nous n'avions jamais pris assez de prĂ©cautions pour notre sĂ»retĂ©, nous tremblions encore derriĂšre les verrous. Hier, une incroyable distraction a causĂ© l'accident dont j'ai Ă vous instruire; et si, pour mon compte, j'en ai Ă©tĂ© quitte pour la peur, il en coĂ»te plus cher Ă la petite fille. Nous ne dormions pas, mais nous Ă©tions dans le repos et l'abandon qui suivent la voluptĂ©, quand nous avons entendu la porte de la chambre s'ouvrir tout Ă coup. AussitĂÂŽt je saute Ă mon Ă©pĂ©e, tant pour ma dĂ©fense que pour celle de notre commune Pupille; je m'avance et ne vois personne mais en effet la porte Ă©tait ouverte. Comme nous avions de la lumiĂšre, j'ai Ă©tĂ© Ă la recherche, et n'ai trouvĂ© ĂÂąme qui vive. Alors je me suis rappelĂ© que nous avions oubliĂ© nos prĂ©cautions ordinaires; et sans doute la porte poussĂ©e seulement, ou mal fermĂ©e, s'Ă©tait ouverte d'elle-mĂÂȘme. En allant rejoindre ma timide compagne pour la tranquilliser, je ne l'ai plus trouvĂ©e dans son lit; elle Ă©tait tombĂ©e, ou s'Ă©tait sauvĂ©e dans sa ruelle enfin, elle y Ă©tait Ă©tendue sans connaissance, et sans autre mouvement que d'assez fortes convulsions. Jugez de mon embarras! Je parvins pourtant Ă la remettre dans son lit, et mĂÂȘme Ă la faire revenir; mais elle s'Ă©tait blessĂ©e dans sa chute, et elle ne tarda pas Ă en ressentir les effets. Des maux de reins, de violentes coliques, des symptĂÂŽmes moins Ă©quivoques encore, m'ont eu bientĂÂŽt Ă©clairĂ© sur son Ă©tat mais, pour le lui apprendre, il a fallu lui dire d'abord celui oĂÂč elle Ă©tait auparavant; car elle ne s'en doutait pas. Jamais peut-ĂÂȘtre, jusqu'Ă elle, on n'avait conservĂ© tant d'innocence, en faisant si bien tout ce qu'il fallait pour s'en dĂ©faire! Oh! celle-lĂ ne perd pas son temps Ă rĂ©flĂ©chir! Mais elle en perdait beaucoup Ă se dĂ©soler, et je sentais qu'il fallait prendre un parti. Je suis donc convenu avec elle que j'irais sur-le-champ chez le MĂ©decin et le Chirurgien de la maison, et qu'en les prĂ©venant qu'on allait venir les chercher, je leur confierais le tout, sous le secret; qu'elle, de son cĂÂŽtĂ©, sonnerait sa Femme de chambre; qu'elle lui ferait ou ne lui ferait pas sa confidence, comme elle voudrait; mais qu'elle enverrait chercher du secours, et dĂ©fendrait surtout qu'on rĂ©veillĂÂąt Madame de Volanges attention dĂ©licate et naturelle d'une fille qui craint d'inquiĂ©ter sa mĂšre. J'ai fait mes deux courses et mes deux confessions le plus lestement que j'ai pu, et de lĂ , je suis rentrĂ© chez moi, d'oĂÂč je ne suis pas encore sorti; mais le Chirurgien, que je connaissais d'ailleurs, est venu Ă midi me rendre compte de l'Ă©tat de la malade. Je ne m'Ă©tais pas trompĂ©; mais il espĂšre que, s'il ne survient pas d'accident, on ne s'apercevra de rien dans la maison. La Femme de chambre est du secret; le MĂ©decin a donnĂ© un nom Ă la maladie; et cette affaire s'arrangera comme mille autres, Ă moins que par la suite il ne nous soit utile qu'on en parle. Mais y a-t-il encore quelque intĂ©rĂÂȘt commun entre vous et moi? Votre silence m'en ferait douter; je n'y croirais mĂÂȘme plus du tout, si le dĂ©sir que j'en ai ne me faisait chercher tous les moyens d'en conserver l'espoir. Adieu, ma belle amie; je vous embrasse, rancune tenante. Paris, ce 21 novembre 17**. LETTRE CXLI LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT Mon Dieu, Vicomte, que vous me gĂÂȘnez par votre obstination! Que vous importe mon silence? croyez-vous, si je le garde, que ce soit faute de raisons pour me dĂ©fendre? Ah! plĂ»t Ă Dieu! Mais non, c'est seulement qu'il m'en coĂ»te de vous les dire. Parlez-moi vrai; vous faites-vous illusion Ă vous-mĂÂȘme, ou cherchez-vous Ă me tromper? la diffĂ©rence entre vos discours et vos actions ne me laisse de choix qu'entre ces deux sentiments lequel est le vĂ©ritable? Que voulez-vous donc que je vous dise, quand moi-mĂÂȘme je ne sais que penser? Vous paraissez vous faire un grand mĂ©rite de votre derniĂšre scĂšne avec la PrĂ©sidente; mais qu'est-ce donc qu'elle prouve pour votre systĂšme, ou contre le mien? AssurĂ©ment je ne vous ai jamais dit que vous aimiez assez cette femme pour ne pas la tromper, pour n'en pas saisir toutes les occasions qui vous paraĂtraient agrĂ©ables ou faciles; je ne doutais mĂÂȘme pas qu'il ne vous fĂ»t Ă peu prĂšs Ă©gal de satisfaire avec une autre avec la premiĂšre venue jusqu'aux dĂ©sirs que celle-ci seule aurait fait naĂtre; et je ne suis pas surprise que, pour un libertinage d'esprit qu'on aurait tort de vous disputer, vous ayez fait une fois par projet ce que vous aviez fait mille autres par occasion. Qui ne sait que c'est lĂ le simple courant du monde, et votre usage Ă tous, tant que vous ĂÂȘtes, depuis le scĂ©lĂ©rat jusqu'aux espĂšces ? Celui qui s'en abstient aujourd'hui passe pour romanesque, et ce n'est pas lĂ , je crois, le dĂ©faut que je vous reproche. Mais ce que j'ai dit, ce que j'ai pensĂ©, ce que je pense encore, c'est que vous n'en avez pas moins de l'amour pour votre PrĂ©sidente; non pas, Ă la vĂ©ritĂ©, de l'amour bien pur ni bien tendre, mais de celui que vous pouvez avoir; de celui, par exemple, qui fait trouver Ă une femme les agrĂ©ments ou les qualitĂ©s qu'elle n'a pas; qui la place dans une classe Ă part, et met toutes les autres en second ordre; qui vous tient encore attachĂ© Ă elle, mĂÂȘme alors que vous l'outragez; tel enfin que je conçois qu'un Sultan peut le ressentir pour sa Sultane favorite, ce qui ne l'empĂÂȘche pas de lui prĂ©fĂ©rer souvent une simple Odalisque. Ma comparaison me paraĂt d'autant plus juste que, comme lui, jamais vous n'ĂÂȘtes ni l'Amant ni l'ami d'une femme; mais toujours son tyran ou son esclave. Aussi suis-je bien sĂ»re que vous vous ĂÂȘtes bien humiliĂ©, bien avili, pour rentrer en grĂÂące avec ce bel objet! et trop heureux d'y ĂÂȘtre parvenu, dĂšs que vous croyez le moment arrivĂ© d'obtenir votre pardon, vous me quittez pour ce grand Ă©vĂ©nement . Encore dans votre derniĂšre Lettre, si vous ne m'y parlez pas de cette femme uniquement, c'est que vous ne voulez m'y rien dire de vos grandes affaires ; elles vous semblent si importantes que le silence que vous gardez Ă ce sujet vous semble une punition pour moi. Et c'est aprĂšs ces mille preuves de votre prĂ©fĂ©rence dĂ©cidĂ©e pour une autre que vous me demandez tranquillement s'il y a encore quelque intĂ©rĂÂȘt commun entre vous et moi ? Prenez-y garde, Vicomte! si une fois je rĂ©ponds, ma rĂ©ponse sera irrĂ©vocable; et craindre de la faire en ce moment, c'est peut-ĂÂȘtre dĂ©jĂ en dire trop. Aussi je n'en veux absolument plus parler. Tout ce que je peux faire, c'est de vous raconter une histoire. Peut-ĂÂȘtre n'aurez-vous pas le temps de la lire, ou celui d'y faire assez attention pour la bien entendre? libre Ă vous. Ce ne sera, au pis aller, qu'une histoire de perdue. Un homme de ma connaissance s'Ă©tait empĂÂȘtrĂ©, comme vous, d'une femme qui lui faisait peu d'honneur. Il avait bien, par intervalles, le bon esprit de sentir que, tĂÂŽt ou tard, cette aventure lui ferait tort mais quoiqu'il en rougĂt, il n'avait pas le courage de rompre. Son embarras Ă©tait d'autant plus grand qu'il s'Ă©tait vantĂ© Ă ses amis d'ĂÂȘtre entiĂšrement libre; et qu'il n'ignorait pas que le ridicule qu'on a augmente toujours en proportion qu'on s'en dĂ©fend. Il passait ainsi sa vie, ne cessant de faire des sottises, et ne cessant de dire aprĂšs Ce n'est pas ma faute. Cet homme avait une amie qui fut tentĂ©e un moment de le livrer au Public en cet Ă©tat d'ivresse, et de rendre ainsi son ridicule ineffaçable; mais pourtant, plus gĂ©nĂ©reuse que maligne, ou peut-ĂÂȘtre encore par quelque autre motif, elle voulut tenter un dernier moyen, pour ĂÂȘtre, Ă tout Ă©vĂ©nement, dans le cas de dire comme son ami Ce n'est pas ma faute . Elle lui fit donc parvenir sans aucun autre avis la Lettre qui suit, comme un remĂšde dont l'usage pourrait ĂÂȘtre utile Ă son mal. " On s'ennuie de tout, mon Ange, c'est une Loi de la Nature; ce n'est pas ma faute. " " Si donc je m'ennuie aujourd'hui d'une aventure qui m'a occupĂ© entiĂšrement depuis quatre mortels mois, ce n'est pas ma faute. " " Si, par exemple, j'ai eu juste autant d'amour que toi de vertu, et c'est sĂ»rement beaucoup dire, il n'est pas Ă©tonnant que l'un ait fini en mĂÂȘme temps que l'autre. Ce n'est pas ma faute. " " Il suit de lĂ que depuis quelque temps je t'ai trompĂ©e mais aussi, ton impitoyable tendresse m'y forçait en quelque sorte! Ce n'est pas ma faute. " " Aujourd'hui, une femme que j'aime Ă©perdument exige que je te sacrifie. Ce n'est pas ma faute. " " Je sens bien que voilĂ une belle occasion de crier au parjure mais si la Nature n'a accordĂ© aux hommes que la constance, tandis qu'elle donnait aux femmes l'obstination, ce n'est pas ma faute. " " Crois-moi, choisis un autre Amant, comme j'ai fait une autre MaĂtresse. Ce conseil est bon, trĂšs bon; si tu le trouves mauvais, ce n'est pas ma faute. " " Adieu, mon Ange, je t'ai prise avec plaisir, je te quitte sans regret je te reviendrai peut-ĂÂȘtre. Ainsi va le monde. Ce n'est pas ma faute. " De vous dire, Vicomte, l'effet de cette derniĂšre tentative, et ce qui s'en est suivi, ce n'est pas le moment mais je vous promets de vous le dire dans ma premiĂšre Lettre. Vous y trouverez aussi mon ultimatum sur le renouvellement du traitĂ© que vous me proposez. Jusque-lĂ , adieu tout simplement... A propos, je vous remercie de vos dĂ©tails sur la petite Volanges; c'est un article Ă rĂ©server jusqu'au lendemain du mariage, pour la Gazette de mĂ©disance. En attendant, je vous fais mon compliment de condolĂ©ances sur la perte de votre postĂ©ritĂ©. Bonsoir, Vicomte. Du ChĂÂąteau de ..., ce 24 novembre 17**. LETTRE CXLII LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Ma foi, ma belle amie, je ne sais si j'ai mal lu ou. mal entendu, et votre Lettre, et l'histoire que vous m'y faites, et le petit modĂšle Ă©pistolaire qui y Ă©tait compris. Ce que je puis vous dire, c'est que ce dernier m'a paru original et propre Ă faire de l'effet aussi je l'ai copiĂ© tout simplement, et tout simplement encore je l'ai envoyĂ© Ă la cĂ©leste PrĂ©sidente. Je n'ai pas perdu un moment, car la tendre missive a Ă©tĂ© expĂ©diĂ©e dĂšs hier au soir. Je l'ai prĂ©fĂ©rĂ© ainsi, parce que d'abord je lui avais promis de lui Ă©crire hier; et puis aussi, parce que j'ai pensĂ© qu'elle n'aurait pas trop de toute la nuit, pour se recueillir et mĂ©diter sur ce grand Ă©vĂ©nement , dussiez-vous une seconde fois me reprocher l'expression. J'espĂ©rais pouvoir vous renvoyer ce matin la rĂ©ponse de ma bien-aimĂ©e mais il est prĂšs de midi, et je n'ai encore rien reçu. J'attendrai jusqu'Ă trois heures; et si alors je n'ai pas eu de nouvelles, j'irai en chercher moi-mĂÂȘme; car, surtout en fait de procĂ©dĂ©s, il n'y a que le premier pas qui coĂ»te. A prĂ©sent, comme vous pouvez croire, je suis fort empressĂ© d'apprendre la fin de l'histoire de cet homme de votre connaissance, si. vĂ©hĂ©mentement soupçonnĂ© de ne savoir pas, au besoin, sacrifier une femme. Ne se sera-t-il pas corrigĂ©? et sa gĂ©nĂ©reuse amie ne lui aura-t-elle pas fait grĂÂące? Je ne dĂ©sire pas moins de recevoir votre ultimatum comme vous dites si politiquement! Je suis curieux, surtout, de savoir si, dans cette derniĂšre dĂ©marche, vous trouverez encore de l'amour. Ah! sans doute, il y en a, et beaucoup! Mais pour qui? Cependant, je ne prĂ©tends rien faire valoir, et j'attends tout de vos bontĂ©s. Adieu, ma charmante amie, je ne fermerai cette Lettre qu'Ă deux heures, dans l'espoir de pouvoir y joindre la rĂ©ponse dĂ©sirĂ©e. A deux heures aprĂšs-midi. Toujours rien, l'heure me presse beaucoup; je n'ai pas le temps d'ajouter un mot mais cette fois, refuserez-vous encore les plus tendres baisers de l'amour? Paris, ce 27 novembre 17**. LETTRE CXLIII LA PRESIDENTE DE TOURVEL A MADAME DE ROSEMONDE Le voile est dĂ©chirĂ©, Madame, sur lequel Ă©tait peinte l'illusion de mon bonheur. La funeste vĂ©ritĂ© m'Ă©claire, et ne me laisse voir qu'une mort assurĂ©e et prochaine, dont la route m'est tracĂ©e entre la honte et le remords. Je la suivrai... je chĂ©rirai mes tourments s'ils abrĂšgent mon existence. Je vous envoie la Lettre que j'ai reçue hier; je n'y joindrai aucune rĂ©flexion, elle les porte avec elle. Ce n'est plus le temps de se plaindre, il n'y a plus qu'Ă souffrir. Ce n'est pas de pitiĂ© que j'ai besoin, c'est de force. Recevez, Madame, le seul adieu que je ferai, et exaucez ma derniĂšre priĂšre; c'est de me laisser Ă mon sort, de m'oublier entiĂšrement, de ne plus me compter sur la terre. Il est un terme dans le malheur, oĂÂč l'amitiĂ© mĂÂȘme augmente nos souffrances et ne peut les guĂ©rir. Quand les blessures sont mortelles, tout secours devient inhumain. Tout autre sentiment m'est Ă©tranger, que celui du dĂ©sespoir. Rien ne peut plus me convenir que la nuit profonde oĂÂč je vais ensevelir ma honte. J'y pleurerai mes fautes, si je puis pleurer encore! car, depuis hier, je n'ai pas versĂ© une larme. Mon cĂ âur flĂ©tri n'en fournit plus. Adieu, Madame. Ne me rĂ©pondez point. J'ai fait le serment sur cette Lettre cruelle de n'en plus recevoir aucune. Paris, ce 27 novembre 17**. LETTRE CXLIV LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Hier, Ă trois heures du soir, ma belle amie, impatientĂ© de n'avoir pas de nouvelles, je me suis prĂ©sentĂ© chez la belle dĂ©laissĂ©e; on m'a dit qu'elle Ă©tait sortie. Je n'ai vu, dans cette phrase, qu'un refus de me recevoir, qui ne m'a ni fĂÂąchĂ© ni surpris; et je me suis retirĂ©, dans l'espĂ©rance que cette dĂ©marche engagerait au moins une femme si polie Ă m'honorer d'un mot de rĂ©ponse. L'envie que j'avais de la recevoir m'a fait passer exprĂšs chez moi vers les neuf heures, et je n'y ai rien trouvĂ©. EtonnĂ© de ce silence, auquel je ne m'attendais pas, j'ai chargĂ© mon Chasseur d'aller aux informations, et de savoir si la sensible personne Ă©tait morte ou mourante. Enfin, quand je suis rentrĂ©, il m'a appris que Madame de Tourvel Ă©tait sortie en effet Ă onze heures du matin, avec sa Femme de chambre; qu'elle s'Ă©tait fait conduire au Couvent de... , et qu'Ă sept heures du soir, elle avait renvoyĂ© sa voiture et ses gens, en faisant dire qu'on ne l'attendĂt pas chez elle. AssurĂ©ment, c'est se mettre en rĂšgle. Le Couvent est le vĂ©ritable asile d'une veuve; et si elle persiste dans une rĂ©solution si louable, je joindrai Ă toutes les obligations que je lui ai dĂ©jĂ celle de la cĂ©lĂ©britĂ© que va prendre cette aventure. Je vous le disais bien, il y a quelque temps, que malgrĂ© vos inquiĂ©tudes je ne reparaĂtrais sur la scĂšne du monde que brillant d'un nouvel Ă©clat. Qu'ils se montrent donc, ces Critiques sĂ©vĂšres, qui m'accusaient d'un amour romanesque et malheureux; qu'ils fassent des ruptures plus promptes et plus brillantes mais non, qu'ils fassent mieux; qu'ils se prĂ©sentent comme consolateurs, la route leur est tracĂ©e. HĂ© bien! qu'ils osent seulement tenter cette carriĂšre que j'ai parcourue en entier; et si l'un d'eux obtient le moindre succĂšs, je lui cĂšde la premiĂšre place. Mais ils Ă©prouveront tous que, quand j'y mets du soin, l'impression que je laisse est ineffaçable. Ah! sans doute, celle- ci le sera; et je compterais pour rien tous mes autres triomphes, si jamais je devais avoir auprĂšs de cette femme un rival prĂ©fĂ©rĂ©. Ce parti qu'elle a pris flatte mon amour-propre, j'en conviens mais je suis fĂÂąchĂ© qu'elle ait trouvĂ© en elle une force suffisante pour se sĂ©parer autant de moi. Il y aura donc entre nous deux d'autres obstacles que ceux que j'aurai mis moi-mĂÂȘme! Quoi! si je voulais me rapprocher d'elle, elle pourrait ne le plus vouloir; que dis-je? ne le pas dĂ©sirer, n'en plus faire son suprĂÂȘme bonheur! Est-ce donc ainsi qu'on aime? et croyez-vous, ma belle amie, que je doive le souffrir? Ne pourrais-je pas par exemple, et ne vaudrait-il pas mieux tenter de ramener cette femme au point de prĂ©voir la possibilitĂ© d'un raccommodement, qu'on dĂ©sire toujours tant qu'on l'espĂšre? je pourrais essayer cette dĂ©marche sans y mettre d'importance, et par consĂ©quent, sans qu'elle vous donnĂÂąt d'ombrage. Au contraire! ce serait un simple essai que nous ferions de concert; et quand mĂÂȘme je rĂ©ussirais, ce ne serait qu'un moyen de plus de renouveler, Ă votre volontĂ©, un sacrifice qui a paru vous ĂÂȘtre agrĂ©able. A prĂ©sent, ma belle amie, il me reste Ă en recevoir le prix, et tous mes vĂ âux sont pour votre retour. Venez donc vite retrouver votre Amant, vos plaisirs, vos amis, et le courant des aventures. Celle de la petite Volanges a tournĂ© Ă merveille. Hier, que mon inquiĂ©tude ne me permettait pas de rester en place, j'ai Ă©tĂ©, dans mes courses diffĂ©rentes, jusque chez Madame de Volanges. J'ai trouvĂ© votre Pupille dĂ©jĂ dans le salon, encore dans le costume de malade, mais en pleine convalescence, et n'en Ă©tant que plus fraĂche et plus intĂ©ressante. Vous autres femmes, en pareil cas, vous seriez restĂ©es un mois sur votre chaise longue ma foi, vivent les demoiselles! Celle-ci m'a en vĂ©ritĂ© donnĂ© envie de savoir si la guĂ©rison Ă©tait parfaite. J'ai encore Ă vous dire que cet accident de la petite fille a pensĂ© rendre fou votre sentimentaire Danceny. D'abord, c'Ă©tait de chagrin; aujourd'hui c'est de joie. Sa CĂ©cile Ă©tait malade! Vous jugez que la tĂÂȘte tourne dans un tel malheur. Trois fois par jour il envoyait savoir des nouvelles, et n'en passait aucun sans s'y prĂ©senter lui-mĂÂȘme; enfin il a demandĂ©, par une belle EpĂtre Ă la Maman, la permission d'aller la fĂ©liciter sur la convalescence d'un objet si cher et Madame de Volanges y a consenti si bien que j'ai trouvĂ© le jeune homme Ă©tabli comme par le passĂ©, Ă un peu de familiaritĂ© prĂšs qu'il n'osait encore se permettre. C'est de lui-mĂÂȘme que j'ai su ces dĂ©tails; car je suis sorti en mĂÂȘme temps que lui, et je l'ai fait jaser. Vous n'avez pas d'idĂ©e de l'effet que cette visite lui a causĂ©. C'est une joie, ce sont des dĂ©sirs, des transports impossibles Ă rendre. Moi qui aime les grands mouvements, j'ai achevĂ© de lui faire perdre la tĂÂȘte, en l'assurant que sous trĂšs peu de jours je le mettrais Ă mĂÂȘme de voir sa belle de plus prĂšs encore. En effet, je suis dĂ©cidĂ© Ă la lui remettre, aussitĂÂŽt aprĂšs mon expĂ©rience faite. Je veux me consacrer Ă vous tout entier; et puis, vaudrait-il la peine que votre pupille fĂ»t aussi mon Ă©lĂšve, si elle ne devait tromper que son mari? Le chef- d'Ă âuvre est de tromper son Amant et surtout son premier Amant! car pour moi, je n'ai pas Ă me reprocher d'avoir prononcĂ© le mot d'amour. Adieu, ma belle amie; revenez donc au plus tĂÂŽt jouir de votre empire sur moi, en recevoir l'hommage et m'en payer le prix. Paris, ce 28 novembre 17**. LETTRE CXLV LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT SĂ©rieusement, Vicomte, vous avez quittĂ© la PrĂ©sidente? vous lui avez envoyĂ© la Lettre que je vous avais faite pour elle? En vĂ©ritĂ©, vous ĂÂȘtes charmant; et vous avez surpassĂ© mon attente! J'avoue de bonne foi que ce triomphe me flatte plus que tous ceux que j'ai pu obtenir jusqu'Ă prĂ©sent. Vous allez trouver peut-ĂÂȘtre que j'Ă©value bien haut cette femme, que naguĂšre j'apprĂ©ciais si peu; point du tout mais c'est que ce n'est pas sur elle que j'ai remportĂ© cet avantage; c'est sur vous voilĂ le plaisant et ce qui est vraiment dĂ©licieux. Oui, Vicomte, vous aimiez beaucoup Madame de Tourvel, et mĂÂȘme vous l'aimez encore; vous l'aimez comme un fou mais parce que je m'amusais Ă vous en faire honte, vous l'avez bravement sacrifiĂ©e. Vous en auriez sacrifiĂ© mille, plutĂÂŽt que de souffrir une plaisanterie. OĂÂč nous conduit pourtant la vanitĂ©! Le Sage a bien raison, quand il dit qu'elle est l'ennemie du bonheur. OĂÂč en seriez-vous Ă prĂ©sent, si je n'avais voulu que vous faire une malice? Mais je suis incapable de tromper, vous le savez bien; et dussiez-vous, Ă mon tour, me rĂ©duire au dĂ©sespoir et au Couvent, j'en cours les risques, et je me rends Ă mon vainqueur. Cependant si je capitule, c'est en vĂ©ritĂ© pure faiblesse car si je voulais, que de chicanes n'aurais-je pas encore Ă faire! et peut-ĂÂȘtre le mĂ©riteriez-vous? J'admire, par exemple, avec quelle finesse ou quelle gaucherie vous me proposez en douceur de vous laisser renouer avec la PrĂ©sidente. Il vous conviendrait beaucoup, n'est-ce pas, de vous donner le mĂ©rite de cette rupture sans y perdre les plaisirs de la jouissance? Et comme alors cet apparent sacrifice n'en serait plus un pour vous, vous m'offrez de le renouveler Ă ma volontĂ©! Par cet arrangement, la cĂ©leste DĂ©vote se croirait toujours l'unique choix de votre cĂ âur, tandis que je m'enorgueillirais d'ĂÂȘtre la rivale prĂ©fĂ©rĂ©e; nous serions trompĂ©es toutes deux, mais vous seriez content, et qu'importe le reste? C'est dommage qu'avec tant de talent pour les projets vous en ayez si peu pour l'exĂ©cution; et que par une seule dĂ©marche inconsidĂ©rĂ©e, vous ayez mis vous-mĂÂȘme un obstacle invincible Ă ce que vous dĂ©sirez le plus. Quoi! vous aviez l'idĂ©e de renouer, et vous avez pu Ă©crire ma Lettre! Vous m'avez donc crue bien gauche Ă mon tour! Ah! croyez-moi, Vicomte, quand une femme frappe dans le cĂ âur d'une autre, elle manque rarement de trouver l'endroit sensible, et la blessure est incurable. Tandis que je frappais celle-ci, ou plutĂÂŽt que je dirigeais vos coups, je n'ai pas oubliĂ© que cette femme Ă©tait ma rivale, que vous l'aviez trouvĂ©e un moment prĂ©fĂ©rable Ă moi, et qu'enfin, vous m'aviez placĂ©e au-dessous d'elle. Si je me suis trompĂ©e dans ma vengeance, je consens Ă en porter la faute. Ainsi, je trouve bon que vous tentiez tous les moyens je vous y invite mĂÂȘme, et vous promets de ne pas me fĂÂącher de vos succĂšs, si vous parvenez Ă en avoir. Je suis si tranquille sur cet objet que je ne veux plus m'en occuper. Parlons d'autre chose. Par exemple, de la santĂ© de la petite Volanges. Vous m'en direz des nouvelles positives Ă mon retour, n'est-il pas vrai? Je serai bien aise d'en avoir. AprĂšs cela, ce sera Ă vous de juger s'il vous conviendra mieux de remettre la petite fille Ă son Amant, ou de tenter de devenir une seconde fois le fondateur d'une nouvelle branche des Valmont, sous le nom de Gercourt. Cette idĂ©e m'avait paru assez plaisante, et en vous laissant le choix je vous demande pourtant de ne pas prendre de parti dĂ©finitif, sans que nous en ayons causĂ© ensemble. Ce n'est pas vous remettre Ă un terme Ă©loignĂ©, car je serai Ă Paris incessamment. Je ne peux pas vous dire positivement le jour; mais vous ne doutez pas que, dĂšs que je serai arrivĂ©e, vous n'en soyez le premier informĂ©. Adieu, Vicomte; malgrĂ© mes querelles, mes malices et mes reproches, je vous aime toujours beaucoup, et je me prĂ©pare Ă vous le prouver. Au revoir, mon ami. Du ChĂÂąteau de ..., ce 29 novembre 17**. LETTRE CXLVI LA MARQUISE DE MERTEUIL AU CHEVALIER DANCENY Enfin, je pars, mon jeune ami, et demain au soir, je serai de retour Ă Paris. Au milieu de tous les embarras qu'entraĂne un dĂ©placement, je ne recevrai personne. Cependant, si vous avez quelque confidence bien pressĂ©e Ă me faire, je veux bien vous excepter de la rĂšgle gĂ©nĂ©rale; mais je n'excepterai que vous ainsi, je vous demande le secret sur mon arrivĂ©e. Valmont mĂÂȘme n'en sera pas instruit. Qui m'aurait dit, il y a quelque temps, que bientĂÂŽt vous auriez ma confiance exclusive, je ne l'aurais pas cru. Mais la vĂÂŽtre a entraĂnĂ© la mienne. Je serais tentĂ©e de croire que vous y avez mis de l'adresse, peut-ĂÂȘtre mĂÂȘme de la sĂ©duction. Cela serait bien mal au moins! Au reste, elle ne serait pas dangereuse Ă prĂ©sent; vous avez vraiment bien autre chose Ă faire! Quand l'HĂ©roĂÂŻne est en scĂšne on ne s'occupe guĂšre de la Confidente. Aussi n'avez-vous seulement pas eu le temps de me faire part de vos nouveaux succĂšs. Quand votre CĂ©cile Ă©tait absente, les jours n'Ă©taient pas assez longs pour Ă©couter vos tendres plaintes. Vous les auriez faites aux Ă©chos, si je n'avais pas Ă©tĂ© lĂ pour les entendre. Quand depuis elle a Ă©tĂ© malade, vous m'avez mĂÂȘme encore honorĂ©e du rĂ©cit de vos inquiĂ©tudes; vous aviez besoin de quelqu'un Ă qui les dire. Mais Ă prĂ©sent que celle que vous aimez est Ă Paris, qu'elle se porte bien, et surtout que vous la voyez quelquefois, elle suffit Ă tout, et vos amis ne vous sont plus rien. Je ne vous en blĂÂąme pas; c'est la faute de vos vingt ans. Depuis Alcibiade jusqu'Ă vous, ne sait-on pas que les jeunes gens n'ont jamais connu l'amitiĂ© que dans leurs chagrins? Le bonheur les rend quelquefois indiscrets, mais jamais confiants. Je dirai bien comme Socrate J'aime que mes amis viennent Ă moi quand ils sont malheureux [Marmontel, Conte moral d'Alcibiade] ; mais en sa qualitĂ© de Philosophe, il se passait bien d'eux quand ils ne venaient pas. En cela, je ne suis pas tout Ă fait si sage que lui, et j'ai senti votre silence avec toute la faiblesse d'une femme. N'allez pourtant pas me croire exigeante il s'en faut bien que je le sois! Le mĂÂȘme sentiment qui me fait remarquer ces privations me les fait supporter avec courage, quand elles sont la preuve ou la cause du bonheur de mes amis. Je ne compte donc sur vous pour demain au soir, qu'autant que l'amour vous laissera libre et dĂ©soccupĂ©, et je vous dĂ©fends de me faire le moindre sacrifice. Adieu, Chevalier; je me fais une vraie fĂÂȘte de vous revoir viendrez-vous? Du ChĂÂąteau de ..., ce 29 novembre 17**. LETTRE CXLVII MADAME DE VOLANGES A MADAME DE ROSEMONDE Vous serez sĂ»rement aussi affligĂ©e que je le suis, ma digne amie, en apprenant l'Ă©tat oĂÂč se trouve Madame de Tourvel; elle est malade depuis hier sa maladie a pris si vivement, et se montre avec des symptĂÂŽmes si graves, que j'en suis vraiment alarmĂ©e. Une fiĂšvre ardente, un transport violent et presque continuel, une soif qu'on ne peut apaiser, voilĂ tout ce qu'on remarque. Les MĂ©decins disent ne pouvoir rien pronostiquer encore; et le traitement sera d'autant plus difficile que la malade refuse avec obstination toute espĂšce de remĂšdes c'est au point qu'il a fallu la tenir de force pour la saigner; et il a fallu depuis en user de mĂÂȘme deux autres fois pour lui remettre sa bande, que dans son transport elle veut toujours arracher. Vous qui l'avez vue, comme moi, si peu forte, si timide et si douce, concevez- vous donc que quatre personnes puissent Ă peine la contenir, et que pour peu qu'on veuille lui reprĂ©senter quelque chose, elle entre dans des fureurs inexprimables? Pour moi, je crains qu'il n'y ait plus que du dĂ©lire, et que ce ne soit une vraie aliĂ©nation d'esprit. Ce qui augmente ma crainte Ă ce sujet, c'est ce qui s'est passĂ© avant hier. Ce jour-lĂ , elle arriva vers les onze heures du matin, avec sa Femme de chambre, au Couvent de ... Comme elle a Ă©tĂ© Ă©levĂ©e dans cette Maison, et qu'elle a conservĂ© l'habitude d'y entrer quelquefois, elle y fut reçue comme Ă l'ordinaire, et elle parut Ă tout le monde tranquille et bien portante. Environ deux heures aprĂšs, elle s'informa si la chambre qu'elle occupait, Ă©tant Pensionnaire, Ă©tait vacante, et sur ce qu'on lui rĂ©pondit qu'oui, elle demanda d'aller la revoir; la Prieure l'y accompagna avec quelques autres Religieuses. Ce fut alors qu'elle dĂ©clara qu'elle revenait s'Ă©tablir dans cette chambre, que, disait-elle, elle n'aurait jamais dĂ» quitter; et qu'elle ajouta qu'elle n'en sortirait qu'Ă la mort ce fut son expression. D'abord on ne sut que dire; mais le premier Ă©tonnement passĂ©, on lui reprĂ©senta que sa qualitĂ© de femme mariĂ©e ne permettait pas de la recevoir sans une permission particuliĂšre. Cette raison ni mille autres n'y firent rien; et dĂšs ce moment, elle s'obstina, non seulement Ă ne pas sortir du Couvent, mais mĂÂȘme de sa chambre. Enfin, de guerre lasse Ă sept heures du soir, on consentit qu'elle y passĂÂąt la nuit. On renvoya sa voiture et ses gens, et on remit au lendemain Ă prendre un parti. On assure que pendant toute la soirĂ©e, loin que son air ou son maintien eussent rien d'Ă©garĂ©, l'un et l'autre Ă©taient composĂ©s et rĂ©flĂ©chis; que seulement elle tomba quatre ou cinq fois dans une rĂÂȘverie si profonde, qu'on ne parvenait pas Ă l'en tirer en lui parlant; et que, chaque fois, avant d'en sortir, elle portait les deux mains Ă son front qu'elle avait l'air de serrer avec force sur quoi une des Religieuses qui Ă©taient prĂ©sentes lui ayant demandĂ© si elle souffrait de la tĂÂȘte, elle la fixa longtemps avant de rĂ©pondre, et lui dit enfin " Ce n'est pas lĂ qu'est le mal! " Un moment aprĂšs, elle demanda qu'on la laissĂÂąt seule, et pria qu'Ă l'avenir on ne lui fĂt plus de question. Tout le monde se retira; hors sa Femme de chambre, qui devait heureusement coucher dans la mĂÂȘme chambre qu'elle, faute d'autre place. Suivant le rapport de cette fille, sa MaĂtresse a Ă©tĂ© assez tranquille jusqu'Ă onze heures du soir. Elle a dit alors vouloir se coucher mais, avant d'ĂÂȘtre entiĂšrement dĂ©shabillĂ©e, elle se mit Ă marcher dans sa chambre, avec beaucoup d'action et de gestes frĂ©quents. Julie, qui avait Ă©tĂ© tĂ©moin de ce qui s'Ă©tait passĂ© dans la journĂ©e, n'osa lui rien dire, et attendit en silence pendant prĂšs d'une heure. Enfin, Madame de Tourvel l'appela deux fois coup sur coup; elle n'eut que le temps d'accourir, et sa MaĂtresse tomba dans ses bras, en disant " Je n'en peux plus. " Elle se laissa conduire Ă son lit, et ne voulut rien prendre, ni qu'on allĂÂąt chercher aucun secours. Elle se fit mettre seulement de l'eau auprĂšs d'elle, et elle ordonna Ă Julie de se coucher. Celle-ci assure ĂÂȘtre restĂ©e jusqu'Ă deux heures du matin sans dormir, et n'avoir entendu, pendant ce temps, ni mouvement ni plaintes. Mais elle dit avoir Ă©tĂ© rĂ©veillĂ©e Ă cinq heures par les discours de sa MaĂtresse, qui parlait d'une voix forte et Ă©levĂ©e; et qu'alors lui ayant demandĂ© si elle n'avait besoin de rien, et n'obtenant point de rĂ©ponse, elle prit de la lumiĂšre, et alla au lit de Madame de Tourvel, qui ne la reconnut point; mais qui, interrompant tout Ă coup les propos sans suite qu'elle tenait, s'Ă©cria vivement " Qu'on me laisse seule, qu'on me laisse dans les tĂ©nĂšbres; ce sont les tĂ©nĂšbres qui me conviennent. " J'ai remarquĂ© hier par moi-mĂÂȘme que cette phrase lui revient souvent. Enfin, Julie profita de cette espĂšce d'ordre pour sortir et aller chercher du monde et des secours mais Madame de Tourvel a refusĂ© l'un et l'autre, avec les fureurs et les transports qui sont revenus si souvent depuis. L'embarras oĂÂč cela a mis tout le Couvent a dĂ©cidĂ© la Prieure Ă m'envoyer chercher hier Ă sept heures du matin... Il ne faisait pas jour. Je suis accourue sur-le-champ. Quand on m'a annoncĂ©e Ă Madame de Tourvel, elle a paru reprendre sa connaissance, et a rĂ©pondu " Ah! oui, qu'elle entre. " Mais quand j'ai Ă©tĂ© prĂšs de son lit, elle m'a regardĂ©e fixement, a pris vivement ma main, qu'elle a serrĂ©e, et m'a dit d'une voix forte, mais sombre " Je meurs pour ne vous avoir pas crue. " AussitĂÂŽt aprĂšs, se cachant les yeux, elle est revenue Ă son discours le plus frĂ©quent " Qu'on me laisse seule, etc. " , et toute connaissance s'est perdue. Ce propos qu'elle m'a tenu et quelques autres Ă©chappĂ©s dans son dĂ©lire me font craindre que cette cruelle maladie n'ait une cause plus cruelle encore. Mais respectons les secrets de notre amie, et contentons-nous de plaindre son malheur. Toute la journĂ©e d'hier a Ă©tĂ© Ă©galement orageuse, et partagĂ©e entre des accĂšs de transports effrayants et des moments d'un abattement lĂ©thargique, les seuls oĂÂč elle prend et donne quelque repos. Je n'ai quittĂ© le chevet de son lit qu'Ă neuf heures du soir, et je vais y retourner ce matin pour toute la journĂ©e. SĂ»rement je n'abandonnerai pas ma malheureuse amie mais ce qui est dĂ©solant, c'est son obstination Ă refuser tous les soins et tous les secours. Je vous envoie le bulletin de cette nuit que je viens de recevoir, et qui, comme vous le verrez, n'est rien moins que consolant. J'aurai soin de vous les faire passer tous exactement. Adieu, ma digne amie, je vais retrouver la malade. Ma fille, qui heureusement est presque rĂ©tablie, vous prĂ©sente son respect. Paris, 29 novembre 17**. LETTRE CXLVIII LE CHEVALIER DANCENY A LA MARQUISE DE MERTEUIL Ăâ vous, que j'aime! ĂÂŽ toi, que j'adore! ĂÂŽ vous, qui avez commencĂ© mon bonheur! ĂÂŽ toi, qui l'as comblĂ©! Amie sensible, tendre Amante, pourquoi le souvenir de ta douleur vient-il troubler le charme que j'Ă©prouve? Ah! madame, calmez-vous, c'est l'amitiĂ© qui vous le demande. Ăâ mon amie, sois heureuse, c'est la priĂšre de l'amour. HĂ©! quels reproches avez-vous donc Ă vous faire? croyez-moi, votre dĂ©licatesse vous abuse. Les regrets qu'elle vous cause, les torts dont elle m'accuse, sont Ă©galement illusoires; et je sens dans mon cĂ âur qu'il n'y a eu entre nous deux d'autre sĂ©ducteur que l'amour. Ne crains donc plus de te livrer aux sentiments que tu inspires, de te laisser pĂ©nĂ©trer de tous les feux que tu fais naĂtre. Quoi! pour avoir Ă©tĂ© Ă©clairĂ©s plus tard, nos cĂ âurs en seraient-ils moins purs? non, sans doute. C'est au contraire la sĂ©duction, qui, n'agissant jamais que par projets, peut combiner sa marche et ses moyens, et prĂ©voir au loin les Ă©vĂ©nements. Mais l'amour vĂ©ritable ne permet pas ainsi de mĂ©diter et de rĂ©flĂ©chir il nous distrait de nos pensĂ©es par nos sentiments; son empire n'est jamais plus fort que quand il est inconnu; et c'est dans l'ombre et le silence qu'il nous entoure de liens qu'il est Ă©galement impossible d'apercevoir et de rompre. C'est ainsi qu'hier mĂÂȘme, malgrĂ© la vive Ă©motion que me causait l'idĂ©e de votre retour, malgrĂ© le plaisir extrĂÂȘme que je sentis en vous voyant, je croyais pourtant n'ĂÂȘtre encore appelĂ© ni conduit que par la paisible amitiĂ© ou plutĂÂŽt, entiĂšrement livrĂ© aux doux sentiments de mon cĂ âur, je m'occupais bien peu d'en dĂ©mĂÂȘler l'origine ou la cause. Ainsi que moi, ma tendre amie, tu Ă©prouvais, sans le connaĂtre, ce charme impĂ©rieux qui livrait nos ĂÂąmes aux douces impressions de la tendresse et tous deux nous n'avons reconnu l'Amour qu'en sortant de l'ivresse oĂÂč ce Dieu nous avait plongĂ©s. Mais cela mĂÂȘme nous justifie au lieu de nous condamner. Non, tu n'as pas trahi l'amitiĂ©, et je n'ai pas davantage abusĂ© de ta confiance. Tous deux, il est vrai, nous ignorions nos sentiments; mais cette illusion, nous l'Ă©prouvions seulement sans chercher Ă la faire naĂtre. Ah! loin de nous en plaindre, ne songeons qu'au bonheur qu'elle nous a procurĂ©; et sans le troubler par d'injustes reproches, ne nous occupons qu'Ă l'augmenter encore par le charme de la confiance et de la sĂ©curitĂ©. Ăâ mon amie! que cet espoir est cher Ă mon cĂ âur! Oui, dĂ©sormais dĂ©livrĂ©e de toute crainte, et tout entiĂšre Ă l'amour, tu partageras mes dĂ©sirs, mes transports, le dĂ©lire de mes sens, l'ivresse de mon ĂÂąme; et chaque instant de nos jours fortunĂ©s sera marquĂ© par une voluptĂ© nouvelle. Adieu, toi que j'adore! Je te verrai ce soir, mais te trouverai-je seule? Je n'ose l'espĂ©rer. Ah! tu ne le dĂ©sires pas autant que moi. Paris, ce 1er dĂ©cembre 17**. LETTRE CXLIX MADAME DE VOLANGES A MADAME DE ROSEMONDE J'ai espĂ©rĂ© hier, presque toute la journĂ©e, ma digne amie, pouvoir vous donner ce matin des nouvelles plus favorables de la santĂ© de notre chĂšre malade mais depuis hier au soir cet espoir est dĂ©truit, et il ne me reste que le regret de l'avoir perdu. Un Ă©vĂ©nement, bien indiffĂ©rent en apparence, mais bien cruel par les suites qu'il a eues, a rendu l'Ă©tat de la malade au moins aussi fĂÂącheux qu'il Ă©tait auparavant, si mĂÂȘme il n'a pas empirĂ©. Je n'aurais rien compris Ă cette rĂ©volution subite, si je n'avais reçu hier l'entiĂšre confidence de notre malheureuse amie. Comme elle ne m'a pas laissĂ© ignorer que vous Ă©tiez instruite aussi de toutes ses infortunes, je puis vous parler sans rĂ©serve sur sa triste situation. Hier matin, quand je suis arrivĂ©e au Couvent, on me dit que la malade dormait depuis plus de trois heures; et son sommeil Ă©tait si profond et si tranquille que j'eus peur un moment qu'il ne fĂ»t lĂ©thargique. Quelque temps aprĂšs elle se rĂ©veilla, et ouvrit elle-mĂÂȘme les rideaux de son lit. Elle nous regarda tous avec l'air de la surprise; et comme je me levais pour aller Ă elle, elle me reconnut, me nomma, et me pria d'approcher. Elle ne me laissa le temps de lui faire aucune question, et me demanda oĂÂč elle Ă©tait, ce que nous faisions lĂ , si elle Ă©tait malade, et pourquoi elle n'Ă©tait pas chez elle? Je crus d'abord que c'Ă©tait un nouveau dĂ©lire, seulement plus tranquille que le prĂ©cĂ©dent mais je m'aperçus qu'elle entendait fort bien mes rĂ©ponses. Elle avait en effet retrouvĂ© sa tĂÂȘte mais non pas sa mĂ©moire. Elle me questionna, avec beaucoup de dĂ©tail, sur tout ce qui lui Ă©tait arrivĂ© depuis qu'elle Ă©tait au Couvent, oĂÂč elle ne se souvenait pas d'ĂÂȘtre venue. Je lui rĂ©pondis exactement, en supprimant seulement ce qui aurait pu la trop effrayer et lorsque Ă mon tour je lui demandai comment elle se trouvait, elle me rĂ©pondit qu'elle ne souffrait pas dans ce moment; mais qu'elle avait Ă©tĂ© bien tourmentĂ©e pendant son sommeil et qu'elle se sentait fatiguĂ©e. Je l'engageai Ă se tranquilliser et Ă parler peu; aprĂšs quoi, je refermai en partie ses rideaux, que je laissai entrouverts, et je m'assis auprĂšs de son lit. Dans le mĂÂȘme temps, on lui proposa un bouillon qu'elle prit et qu'elle trouva bon. Elle resta ainsi environ une demi-heure, durant laquelle elle ne parla que pour me remercier des soins que je lui avais donnĂ©s; et elle mit dans ses remerciements l'agrĂ©ment et la grĂÂące que vous lui connaissez. Ensuite elle garda pendant quelque temps un silence absolu, qu'elle ne rompit que pour dire " Ah! oui, je me ressouviens d'ĂÂȘtre venue ici " , et un moment aprĂšs elle s'Ă©cria douloureusement " M on amie, mon amie, plaignez-moi; je retrouve tous mes malheurs. " Comme alors je m'avançai vers elle, elle saisit ma main, et s'y appuyant la tĂÂȘte " Grand Dieu! continua-t-elle, ne puis-je donc mourir? " Son expression, plus encore que ses discours, m'attendrit jusqu'aux larmes; elle s'en aperçut Ă ma voix, et me dit " Vous me plaignez! Ah! si vous connaissiez!... " Et puis s'interrompant " Faites " qu'on nous laisse seules, et je vous dirai tout. " Ainsi que je crois vous l'avoir marquĂ©, j'avais dĂ©jĂ des soupçons sur ce qui devait faire le sujet de cette confidence; et craignant que cette conversation, que je prĂ©voyais devoir ĂÂȘtre longue et triste, ne nuisĂt peut-ĂÂȘtre Ă l'Ă©tat de notre malheureuse amie, je m'y refusai d'abord, sous prĂ©texte qu'elle avait besoin de repos mais elle insista, et je me rendis Ă ses instances. DĂšs que nous fĂ»mes seules, elle m'apprit tout ce que dĂ©jĂ vous avez su d'elle, et que par cette raison je ne vous rĂ©pĂ©terai point. Enfin, en me parlant de la façon cruelle dont elle avait Ă©tĂ© sacrifiĂ©e, elle ajouta " Je me croyais bien sĂ»re d'en mourir, et j'en avais le courage; mais de survivre Ă mon malheur et Ă ma honte, c'est ce qui m'est impossible. " Je tentai de combattre ce dĂ©couragement ou plutĂÂŽt ce dĂ©sespoir, avec les armes de la Religion, jusqu'alors si puissantes sur elle; mais je sentis bientĂÂŽt que je n'avais pas assez de force pour ces fonctions augustes et je m'en tins Ă lui proposer d'appeler le PĂšre Anselme, que je sais avoir toute sa confiance. Elle y consentit et parut mĂÂȘme le dĂ©sirer beaucoup. On l'envoya chercher en effet, et il vint sur-le-champ. Il resta fort longtemps avec la malade, et dit en sortant que si les MĂ©decins en jugeaient comme lui, il croyait qu'on pouvait diffĂ©rer la cĂ©rĂ©monie des Sacrements; qu'il reviendrait le lendemain. Il Ă©tait environ trois heures aprĂšs midi, et jusqu'Ă cinq, notre amie fut assez tranquille en sorte que nous avions tous repris de l'espoir. Par malheur, on apporta alors une Lettre pour elle. Quand on voulut la lui remettre, elle rĂ©pondit d'abord n'en vouloir recevoir aucune et personne n'insista. Mais de ce moment, elle parut plus agitĂ©e. BientĂÂŽt aprĂšs, elle demanda d'oĂÂč venait cette Lettre? elle n'Ă©tait pas timbrĂ©e qui l'avait apportĂ©e? on l'ignorait de quelle part on l'avait remise? on ne l'avait pas dit aux TouriĂšres. Ensuite elle garda quelque temps le silence; aprĂšs quoi, elle recommença Ă parler, mais ses propos sans suite nous apprirent seulement que le dĂ©lire Ă©tait revenu. Cependant il y eut encore un intervalle tranquille, jusqu'Ă ce qu'enfin elle demanda qu'on lui remĂt la Lettre qu'on avait apportĂ©e pour elle. DĂšs qu'elle eut jetĂ© les yeux dessus, elle s'Ă©cria " De lui! grand Dieu! " et puis d'une voix forte mais oppressĂ©e " Reprenez-la, reprenez-la. " Elle fit sur-le-champ fermer les rideaux de son lit, et dĂ©fendit que personne approchĂÂąt mais presque aussitĂÂŽt nous fĂ»mes bien obligĂ©s de revenir auprĂšs d'elle. Le transport avait repris plus violent que jamais, et il s'y Ă©tait joint des convulsions vraiment effrayantes. Ces accidents n'ont plus cessĂ© de la soirĂ©e; et le bulletin de ce matin m'apprend que la nuit n'a pas Ă©tĂ© moins orageuse. Enfin, son Ă©tat est tel que je m'Ă©tonne qu'elle n'y ait pas dĂ©jĂ succombĂ©, et je ne vous cache point qu'il ne me reste que bien peu d'espoir. Je suppose que cette malheureuse Lettre est de M. de Valmont; mais que peut-il encore oser lui dire? Pardon, ma chĂšre amie, je m'interdis toute rĂ©flexion mais il est bien cruel de voir pĂ©rir si malheureusement une femme, jusqu'alors si heureuse et si digne de l'ĂÂȘtre. Paris, ce 2 dĂ©cembre 17**. LETTRE CL LE CHEVALIER DANCENY A LA MARQUISE DE MERTEUIL En attendant le bonheur de te voir, je me livre, ma tendre amie, au plaisir de t'Ă©crire; et c'est en m'occupant de toi, que je charme le regret d'en ĂÂȘtre Ă©loignĂ©. Te tracer mes sentiments, me rappeler les tiens est pour mon cĂ âur une vraie jouissance; et c'est par elle que le temps mĂÂȘme des privations m'offre encore mille biens prĂ©cieux Ă mon amour. Cependant, s'il faut t'en croire, je n'obtiendrai point de rĂ©ponse de toi cette Lettre mĂÂȘme sera la derniĂšre; et nous nous priverons d'un commerce qui, selon toi, est dangereux, et dont nous n'avons pas besoin . SĂ»rement je t'en croirai, si tu persistes car que peux-tu vouloir, que par cette raison mĂÂȘme je ne le veuille aussi? Mais avant de te dĂ©cider entiĂšrement, ne permettras-tu pas que nous en causions ensemble? Sur l'article des dangers, tu dois juger seule je ne puis rien calculer, et je m'en tiens Ă te prier de veiller Ă ta sĂ»retĂ©, car je ne puis ĂÂȘtre tranquille quand tu seras inquiĂšte. Pour cet objet, ce n'est pas nous deux qui ne sommes qu'un, c'est toi qui es nous deux. Il n'en est pas de mĂÂȘme sur le besoin ; ici nous ne pouvons avoir qu'une mĂÂȘme pensĂ©e; et si nous diffĂ©rons d'avis, ce ne peut ĂÂȘtre que faute de nous expliquer ou de nous entendre. Voici donc ce que je crois sentir. Sans doute, une Lettre paraĂt bien peu nĂ©cessaire, quand on peut se voir librement. Que dirait-elle, qu'un mot, un regard, ou mĂÂȘme le silence, n'exprimassent cent fois mieux encore? Cela me paraĂt si vrai que, dans le moment oĂÂč tu me parlas de ne plus nous Ă©crire, cette idĂ©e glissa facilement sur mon ĂÂąme; elle la gĂÂȘna peut-ĂÂȘtre, mais ne l'affecta point. Tel Ă peu prĂšs, quand voulant donner un baiser sur ton cĂ âur, je rencontre un ruban ou une gaze, je l'Ă©carte seulement, et n'ai cependant pas le sentiment d'un obstacle. Mais depuis, nous nous sommes sĂ©parĂ©s; et dĂšs que tu n'as plus Ă©tĂ© lĂ , cette idĂ©e de Lettre est revenue me tourmenter. Pourquoi, me suis-je dit, cette privation de plus? Quoi! pour ĂÂȘtre Ă©loignĂ©s, n'a-t-on plus rien Ă se dire? Je suppose que, favorisĂ©s par les circonstances, on passe ensemble une journĂ©e entiĂšre; faudra-t-il prendre le temps de causer sur celui de jouir? Oui, de jouir, ma tendre amie; car auprĂšs de toi, les moments mĂÂȘme du repos fournissent encore une jouissance dĂ©licieuse. Enfin, quel que soit le temps, on finit par se sĂ©parer, et puis, on est si seul! C'est alors qu'une Lettre est si prĂ©cieuse; si on ne la lit pas, du moins on la regarde... Ah! sans doute, on peut regarder une Lettre sans la lire, comme il me semble que la nuit j'aurais encore quelque plaisir Ă toucher ton portrait... Ton portrait, ai-je dit? Mais une Lettre est le portrait de l'ĂÂąme. Elle n'a pas, comme une froide image, cette stagnance si Ă©loignĂ©e de l'amour; elle se prĂÂȘte Ă tous nos mouvements tour Ă tour elle s'anime, elle jouit, elle se repose... Tes sentiments me sont tous si prĂ©cieux! me priveras-tu d'un moyen de les recueillir? Es-tu donc sĂ»re que le besoin de m'Ă©crire ne te tourmentera jamais? Si dans la solitude, ton cĂ âur se dilate ou s'oppresse, si un mouvement de joie passe jusqu'Ă ton ĂÂąme, si une tristesse involontaire vient la troubler un moment; ce ne sera donc pas dans le sein de ton ami que tu rĂ©pandras ton bonheur ou ta peine? tu auras donc un sentiment qu'il ne partagera pas? tu le laisseras donc, rĂÂȘveur et solitaire, s'Ă©garer loin de toi? Mon amie... ma tendre amie! Mais c'est Ă toi qu'il appartient de prononcer. J'ai voulu discuter seulement, et non pas te sĂ©duire; je ne t'ai dit que des raisons, j'ose croire que j'eusse Ă©tĂ© plus fort par des priĂšres. Je tĂÂącherai donc, si tu persistes, de ne pas m'affliger; je ferai mes efforts pour me dire ce que tu m'aurais Ă©crit, mais tiens, tu le dirais mieux que moi; et j'aurais surtout plus de plaisir Ă l'entendre. Adieu, ma charmante amie; l'heure approche enfin oĂÂč je pourrai te voir je te quitte bien vite, pour t'aller retrouver plus tĂÂŽt. Paris, ce 3 dĂ©cembre 17**. LETTRE CLI LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Sans doute, Marquise, que vous ne me croyez pas assez peu d'usage pour penser que j'aie pu prendre le change sur le tĂÂȘte-Ă -tĂÂȘte oĂÂč je vous ai trouvĂ©e ce soir, et sur l'Ă©tonnant hasard qui avait conduit Danceny chez vous! Ce n'est pas que votre physionomie exercĂ©e n'ait su prendre Ă merveille l'expression du calme et de la sĂ©rĂ©nitĂ©, ni que vous vous soyez trahie par aucune de ces phrases qui quelquefois Ă©chappent au trouble ou au repentir. Je conviens mĂÂȘme encore que vos regards dociles vous ont parfaitement servie; et que s'ils avaient su se faire croire aussi bien que se faire entendre, loin que j'eusse pris ou conservĂ© le moindre soupçon, je n'aurais pas doutĂ© un moment du chagrin extrĂÂȘme que vous causait ce tiers importun . Mais, pour ne pas dĂ©ployer en vain d'aussi grands talents, pour en obtenir le succĂšs que vous vous en promettiez, pour produire enfin l'illusion que vous cherchiez Ă faire naĂtre, il fallait donc auparavant former votre Amant novice avec plus de soin. Puisque vous commencez Ă faire des Ă©ducations, apprenez Ă vos Ă©lĂšves Ă ne pas rougir et se dĂ©concerter Ă la moindre plaisanterie Ă ne pas nier si vivement, pour une seule femme, les mĂÂȘmes choses dont ils se dĂ©fendent avec tant de mollesse pour toutes les autres. Apprenez-leur encore Ă savoir entendre l'Ă©loge de leur MaĂtresse, sans se croire obligĂ©s d'en faire les honneurs; et si vous leur permettez de vous regarder dans le cercle, qu'ils sachent au moins auparavant dĂ©guiser ce regard de possession si facile Ă reconnaĂtre, et qu'ils confondent si maladroitement avec celui de l'amour. Alors vous pourrez les faire paraĂtre dans vos exercices publics, sans que leur conduite fasse tort Ă leur sage institutrice et moi-mĂÂȘme, trop heureux de concourir Ă votre cĂ©lĂ©britĂ©, je vous promets de faire et de publier les programmes de ce nouveau collĂšge. Mais jusque-lĂ je m'Ă©tonne, je l'avoue, que ce soit moi que vous ayez entrepris de traiter comme un Ă©colier. Oh! qu'avec toute autre femme je serais bientĂÂŽt vengĂ©! que je m'en ferais de plaisir! et qu'il surpasserait aisĂ©ment celui qu'elle aurait cru me faire perdre! Oui, c'est bien pour vous seule que je peux prĂ©fĂ©rer la rĂ©paration Ă la vengeance; et ne croyez pas que je sois retenu par le moindre doute, par la moindre incertitude; je sais tout. Vous ĂÂȘtes Ă Paris depuis quatre jours; et chaque jour vous avez vu Danceny, et vous n'avez vu que lui seul. Aujourd'hui mĂÂȘme votre porte Ă©tait encore fermĂ©e; et il n'a manquĂ© Ă votre Suisse, pour m'empĂÂȘcher d'arriver jusqu'Ă vous, qu'une assurance Ă©gale Ă la vĂÂŽtre. Cependant je ne devais pas douter, me mandiez-vous, d'ĂÂȘtre le premier informĂ© de votre arrivĂ©e; de cette arrivĂ©e dont vous ne pouviez pas encore me dire le jour, tandis que vous m'Ă©criviez la veille de votre dĂ©part. Nierez-vous ces faits, ou tenterez-vous de vous en excuser? L'un et l'autre sont Ă©galement impossibles; et pourtant je me contiens encore! Reconnaissez lĂ votre empire; mais croyez-moi, contente de l'avoir Ă©prouvĂ©, n'en abusez pas plus longtemps. Nous nous connaissons tous deux, Marquise; ce mot doit vous suffire. Vous sortez demain toute la journĂ©e, m'avez-vous dit? A la bonne heure, si vous sortez en effet; et vous jugez que je le saurai. Mais enfin, vous rentrerez le soir; et pour notre difficile rĂ©conciliation nous n'aurons pas trop de temps jusqu'au lendemain. Faites-moi donc savoir si ce sera chez vous, ou lĂ -bas que se feront nos expiations nombreuses et rĂ©ciproques. Surtout, plus de Danceny. Votre mauvaise tĂÂȘte s'Ă©tait remplie de son idĂ©e; et je peux n'ĂÂȘtre pas jaloux de ce dĂ©lire de votre imagination mais songez que, de ce moment, ce qui n'Ă©tait qu'une fantaisie deviendrait une prĂ©fĂ©rence marquĂ©e. Je ne me crois pas fait pour cette humiliation, et je ne m'attends pas Ă la recevoir de vous. J'espĂšre mĂÂȘme que ce sacrifice ne vous en paraĂtra pas un. Mais quand il vous coĂ»terait quelque chose, il me semble que je vous ai donnĂ© un assez bel exemple! qu'une femme sensible et belle, qui n'existait que pour moi, qui dans ce moment mĂÂȘme meurt peut-ĂÂȘtre d'amour et de regret, peut bien valoir un jeune Ă©colier, qui, si vous voulez, ne manque ni de figure ni d'esprit, mais qui n'a encore ni usage ni consistance. Adieu, Marquise; je ne vous dis rien de mes sentiments pour vous. Tout ce que je puis faire en ce moment, c'est de ne pas scruter mon cĂ âur. J'attends votre rĂ©ponse. Songez en la faisant, songez bien que plus il vous est facile de me faire oublier l'offense que vous m'avez faite, plus un refus de votre part, un simple dĂ©lai, la graverait dans mon cĂ âur en traits ineffaçables. Paris, ce 3 dĂ©cembre 17**, au soir. LETTRE CLII LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT Prenez donc garde, Vicomte, et mĂ©nagez davantage mon extrĂÂȘme timiditĂ©! Comment voulez-vous que je supporte l'idĂ©e accablante d'encourir votre indignation, et surtout que je ne succombe pas Ă la crainte de votre vengeance? d'autant que, comme vous savez, si vous me faisiez une noirceur, il me serait impossible de vous la rendre. J'aurais beau parler, votre existence n'en serait ni moins brillante ni moins paisible. Au fait, qu'auriez-vous Ă redouter? d'ĂÂȘtre obligĂ© de partir, si on vous en laissait le temps. Mais ne vit-on pas chez l'Ăâ°tranger comme ici? et Ă tout prendre, pourvu que la Cour de France vous laissĂÂąt tranquille Ă celle oĂÂč vous vous fixeriez, ce ne serait pour vous que changer le lieu de vos triomphes. AprĂšs avoir tentĂ© de vous rendre votre sang-froid par ces considĂ©rations morales, revenons Ă nos affaires. Savez-vous, Vicomte, pourquoi je ne me suis jamais remariĂ©e? ce n'est assurĂ©ment pas faute d'avoir trouvĂ© assez de partis avantageux; c'est uniquement pour que personne n'ait le droit de trouver Ă redire Ă mes actions. Ce n'est mĂÂȘme pas que j'aie craint de ne pouvoir plus faire mes volontĂ©s, car j'aurais bien toujours fini par lĂ ; mais c'est qu'il m'aurait gĂÂȘnĂ©e que quelqu'un eĂ»t eu seulement le droit de s'en plaindre; c'est qu'enfin je ne voulais tromper que pour mon plaisir, et non par nĂ©cessitĂ©. Et voilĂ que vous m'Ă©crivez la Lettre la plus maritale qu'il soit possible de voir! Vous ne m'y parlez que de torts de mon cĂÂŽtĂ©, et de grĂÂąces du vĂÂŽtre! Mais comment donc peut-on manquer Ă celui Ă qui on ne doit rien? je ne saurais le concevoir! Voyons; de quoi s'agit-il tant? Vous avez trouvĂ© Danceny chez moi, et cela vous a dĂ©plu? Ă la bonne heure mais qu'avez-vous pu en conclure? ou que c'Ă©tait l'effet du hasard, comme je vous le disais, ou celui de ma volontĂ©, comme je ne vous le disais pas. Dans le premier cas, votre Lettre est injuste; dans le second, elle est ridicule c'Ă©tait bien la peine d'Ă©crire! Mais vous ĂÂȘtes jaloux, et la jalousie ne raisonne pas. HĂ© bien! je vais raisonner pour vous. Ou vous avez un rival, ou vous n'en avez pas. Si vous en avez un, il faut plaire pour lui ĂÂȘtre prĂ©fĂ©rĂ©; si vous n'en avez pas, il faut encore plaire pour Ă©viter d'en avoir. Dans tous les cas, c'est la mĂÂȘme conduite Ă tenir ainsi, pourquoi vous tourmenter? pourquoi, surtout, me tourmenter moi-mĂÂȘme? Ne savez- vous donc plus ĂÂȘtre le plus aimable? et n'ĂÂȘtes-vous plus sĂ»r de vos succĂšs? Allons donc, Vicomte, vous vous faites tort. Mais, ce n'est pas cela; c'est qu'Ă vos yeux, je ne vaux pas que vous vous donniez tant de peine. Vous dĂ©sirez moins mes bontĂ©s que vous ne voulez abuser de votre empire. Allez, vous ĂÂȘtes un ingrat. VoilĂ bien, je crois, du sentiment! et pour peu que je continuasse, cette Lettre pourrait devenir fort tendre; mais vous ne le mĂ©ritez pas. Vous ne mĂ©ritez pas davantage que je me justifie. Pour vous punir de vos soupçons, vous les garderez ainsi, sur l'Ă©poque de mon retour, comme sur les visites de Danceny, je ne vous dirai rien. Vous vous ĂÂȘtes donnĂ© bien de la peine pour vous en instruire, n'est-il pas vrai? HĂ© bien! en ĂÂȘtes-vous plus avancĂ©? Je souhaite que vous y ayez trouvĂ© beaucoup de plaisir; quant Ă moi, cela n'a pas nui au mien. Tout ce que je peux donc rĂ©pondre Ă votre menaçante Lettre, c'est qu'elle n'a eu ni le don de me plaire, ni le pouvoir de m'intimider; et que pour le moment je suis on ne peut pas moins disposĂ©e Ă vous accorder vos demandes. Au vrai, vous accepter tel que vous vous montrez aujourd'hui, ce serait vous faire une infidĂ©litĂ© rĂ©elle. Ce ne serait pas lĂ renouer avec mon ancien Amant; ce serait en prendre un nouveau, et qui ne vaut pas l'autre Ă beaucoup prĂšs. Je n'ai pas assez oubliĂ© le premier pour m'y tromper ainsi. Le Valmont que j'aimais Ă©tait charmant. Je veux bien convenir mĂÂȘme que je n'ai pas rencontrĂ© d'homme plus aimable. Ah! je vous en prie, Vicomte, si vous le retrouvez, amenez-le-moi; celui-lĂ sera toujours bien reçu. PrĂ©venez-le cependant que, dans aucun cas, ce ne serait ni pour aujourd'hui ni pour demain. Son Menechme lui a fait un peu tort; et en me pressant trop, je craindrais de m'y tromper; ou bien, peut-ĂÂȘtre ai-je donnĂ© parole Ă Danceny pour ces deux jours-lĂ ? Et votre Lettre m'a appris que vous ne plaisantiez pas, quand on manquait Ă sa parole. Vous voyez donc qu'il faut attendre. Mais que vous importe? vous vous vengerez toujours bien de votre rival. Il ne fera pas pis Ă votre MaĂtresse que vous ferez Ă la sienne, et aprĂšs tout, une femme n'en vaut-elle pas une autre? ce sont vos principes. Celle mĂÂȘme qui serait tendre et sensible, qui n'existerait que pour vous et qui mourrait enfin d'amour et de regret , n'en serait pas moins sacrifiĂ©e Ă la premiĂšre fantaisie, Ă la crainte d'ĂÂȘtre plaisantĂ© un moment; et vous voulez qu'on se gĂÂȘne? Ah! cela n'est pas juste. Adieu, Vicomte; redevenez donc aimable. Tenez, je ne demande pas mieux que de vous trouver charmant; et dĂšs que j'en serai sĂ»re, je m'engage Ă vous le prouver. En vĂ©ritĂ©, je suis trop bonne. Paris, ce 4 dĂ©cembre 17**. LETTRE CLIII LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Je rĂ©ponds sur-le-champ Ă votre Lettre, et je tĂÂącherai d'ĂÂȘtre clair; ce qui n'est pas facile avec vous, quand une fois vous avez pris le parti de ne pas entendre. De longs discours n'Ă©taient pas nĂ©cessaires pour Ă©tablir que chacun de nous ayant en main tout ce qu'il faut pour perdre l'autre, nous avons un Ă©gal intĂ©rĂÂȘt Ă nous mĂ©nager mutuellement aussi, ce n'est pas de cela dont il s'agit. Mais encore entre le parti violent de se perdre, et celui, sans doute meilleur, de rester unis comme nous l'avons Ă©tĂ©, de le devenir davantage encore en reprenant notre premiĂšre liaison, entre ces deux partis, dis-je, il y en a mille autres Ă prendre. Il n'Ă©tait donc pas ridicule de vous dire, et il ne l'est pas de vous rĂ©pĂ©ter que, de ce jour mĂÂȘme, je serai ou votre Amant ou votre ennemi. Je sens Ă merveille que ce choix vous gĂÂȘne; qu'il vous conviendrait mieux de tergiverser; et je n'ignore pas que vous n'avez jamais aimĂ© Ă ĂÂȘtre placĂ©e ainsi entre le oui et le non mais vous devez sentir aussi que je ne puis vous laisser sortir de ce cercle Ă©troit sans risquer d'ĂÂȘtre jouĂ©; et vous avez dĂ» prĂ©voir que je ne le souffrirais pas. C'est maintenant Ă vous Ă dĂ©cider je peux vous laisser le choix mais non pas rester dans l'incertitude. Je vous prĂ©viens seulement que vous ne m'abuserez pas par vos raisonnements, bons ou mauvais; que vous ne me sĂ©duirez pas davantage par quelques cajoleries dont vous chercheriez Ă parer vos refus, et qu'enfin, le moment de la franchise est arrivĂ©. Je ne demande pas mieux que de vous donner l'exemple; et je vous dĂ©clare avec plaisir que je prĂ©fĂšre la paix et l'union mais s'il faut rompre l'une ou l'autre, je crois en avoir le droit et les moyens. J'ajoute donc que le moindre obstacle mis de votre part sera pris de la mienne pour une vĂ©ritable dĂ©claration de guerre vous voyez que la rĂ©ponse que je vous demande n'exige ni longues ni belles phrases. Deux mots suffisent. Paris, ce 4 dĂ©cembre 17**. REPONSE DE LA MARQUISE DE MERTEUIL ECRITE AU BAS DE LA MEME LETTRE. HĂ© bien! la guerre. LETTRE CLIV MADAME DE VOLANGES A MADAME DE ROSEMONDE Les bulletins vous instruisent mieux que je ne pourrais le faire, ma chĂšre amie, du fĂÂącheux Ă©tat de notre malade. Tout entiĂšre aux soins que je lui donne, je ne prends sur eux le temps de vous Ă©crire qu'autant qu'il y a d'autres Ă©vĂ©nements que ceux de la maladie. En voici un, auquel certainement je ne m'attendais pas. C'est une Lettre que j'ai reçue de M. de Valmont, Ă qui il a plu de me choisir pour sa confidente, et mĂÂȘme pour sa mĂ©diatrice auprĂšs de Madame de Tourvel, pour qui il avait aussi joint une Lettre Ă la mienne. J'ai renvoyĂ© l'une en rĂ©pondant Ă l'autre. Je vous fais passer cette derniĂšre, et je crois que vous jugerez comme moi que je ne pouvais ni ne devais rien faire de ce qu'il me demande. Quand je l'aurais voulu, notre malheureuse amie n'aurait pas Ă©tĂ© en Ă©tat de m'entendre. Son dĂ©lire est continuel. Mais que direz-vous de ce dĂ©sespoir de M. de Valmont? D'abord faut-il y croire, ou veut-il seulement tromper tout le monde, et jusqu'Ă la fin [C'est parce qu'on n'a rien trouvĂ© dans la suite de cette Correspondance qui pĂ»t rĂ©soudre ce doute, qu'on a pris le parti de supprimer la Lettre de M. de Valmont]? Si pour cette fois il est sincĂšre, il peut bien dire qu'il a lui-mĂÂȘme fait son malheur. Je crois qu'il sera peu content de ma rĂ©ponse mais j'avoue que tout ce qui me fixe sur cette malheureuse aventure me soulĂšve de plus en plus contre son auteur. Adieu, ma chĂšre amie; je retourne Ă mes tristes soins, qui le deviennent bien davantage encore par le peu d'espoir que j'ai de les voir rĂ©ussir. Vous connaissez mes sentiments pour vous. Paris, ce 5 dĂ©cembre 17**. LETTRE CLV LE VICOMTE DE VALMONT AU CHEVALIER DANCENY J'ai passĂ© deux fois chez vous, mon cher Chevalier mais depuis que vous avez quittĂ© le rĂÂŽle d'Amant pour celui d'homme Ă bonnes fortunes, vous ĂÂȘtes, comme de raison, devenu introuvable. Votre Valet de chambre m'a assurĂ© cependant que vous rentreriez chez vous ce soir; qu'il avait ordre de vous attendre mais moi, qui suis instruit de vos projets, j'ai trĂšs bien compris que vous ne rentreriez que pour un moment, pour prendre le costume de la chose, et que sur-le-champ vous recommenceriez vos courses victorieuses. A la bonne heure, et je ne puis qu'y applaudir; mais peut-ĂÂȘtre, pour ce soir, allez- vous ĂÂȘtre tentĂ© de changer leur direction. Vous ne savez encore que la moitiĂ© de vos affaires; il faut vous mettre au courant de l'autre, et puis, vous vous dĂ©ciderez. Prenez donc le temps de lire ma Lettre. Ce ne sera pas vous distraire de vos plaisirs, puisque au contraire elle n'a d'autre objet que de vous donner le choix entre eux. Si j'avais eu votre confiance entiĂšre, si j'avais su par vous la partie de vos secrets que vous m'avez laissĂ©e Ă deviner, j'aurais Ă©tĂ© instruit Ă temps; et mon zĂšle, moins gauche, ne gĂÂȘnerait pas aujourd'hui votre marche. Mais partons du point oĂÂč nous sommes. Quelque parti que vous preniez, votre pis aller ferait toujours bien le bonheur d'un autre. Vous avez un rendez-vous pour cette nuit, n'est-il pas vrai? avec une femme charmante et que vous adorez? car Ă votre ĂÂąge, quelle femme n'adore-t-on pas, au moins les huit premiers jours! Le lieu de la scĂšne doit encore ajouter Ă vos plaisirs. Une petite maison dĂ©licieuse, et qu'on n'a prise que pour vous , doit embellir la voluptĂ©, des charmes de la libertĂ©, et de ceux du mystĂšre. Tout est convenu; on vous attend et vous brĂ»lez de vous y rendre! voilĂ ce que nous savons tous deux, quoique vous ne m'en ayez rien dit. Maintenant, voici ce que vous ne savez pas, et qu'il faut que je vous dise. Depuis mon retour Ă Paris, je m'occupais des moyens de vous rapprocher de Mademoiselle de Volanges, je vous l'avais promis; et encore la derniĂšre fois que je vous en parlai, j'eus lieu de juger par vos rĂ©ponses, je pourrais dire par vos transports, que c'Ă©tait m'occuper de votre bonheur. Je ne pouvais pas rĂ©ussir Ă moi seul dans cette entreprise assez difficile mais aprĂšs avoir prĂ©parĂ© les moyens, j'ai remis le reste au zĂšle de votre jeune MaĂtresse. Elle a trouvĂ©, dans son amour, des ressources qui avaient manquĂ© Ă mon expĂ©rience enfin votre malheur veut qu'elle ait rĂ©ussi. Depuis deux jours, m'a-t-elle dit ce soir, tous les obstacles sont surmontĂ©s, et votre bonheur ne dĂ©pend plus que de vous. Depuis deux jours aussi, elle se flattait de vous apprendre cette nouvelle elle- mĂÂȘme, et malgrĂ© l'absence de sa Maman, vous auriez Ă©tĂ© reçu; mais vous ne vous ĂÂȘtes seulement pas prĂ©sentĂ©! et pour vous dire tout, soit caprice ou raison, la petite personne m'a paru un peu fĂÂąchĂ©e de ce manque d'empressement de votre part. Enfin, elle a trouvĂ© le moyen de me faire aussi parvenir jusqu'Ă elle, et m'a fait promettre de vous rendre le plus tĂÂŽt possible la Lettre que je joins ici. A l'empressement qu'elle y a mis, je parierais bien qu'il y est question d'un rendez-vous pour ce soir. Quoi qu'il en soit, j'ai promis sur l'honneur et sur l'amitiĂ© que vous auriez la tendre missive dans la journĂ©e, et je ne puis ni ne veux manquer Ă ma parole. A prĂ©sent, jeune homme, quelle conduite allez-vous tenir? PlacĂ© entre la coquetterie et l'amour, entre le plaisir et le bonheur, quel va ĂÂȘtre votre choix? Si je parlais au Danceny d'il y a trois mois, seulement Ă celui d'il y a huit jours, bien sĂ»r de son cĂ âur, je le serais de ses dĂ©marches mais le Danceny d'aujourd'hui, arrachĂ© par les femmes, courant les aventures, et devenu, suivant l'usage, un peu scĂ©lĂ©rat, prĂ©fĂ©rera-t-il une jeune fille bien timide, qui n'a pour elle que sa beautĂ©, son innocence et son amour, aux agrĂ©ments d'une femme parfaitement usagĂ©e ! Pour moi, mon cher ami, il me semble que, mĂÂȘme dans vos nouveaux principes, que j'avoue bien ĂÂȘtre aussi un peu les miens, les circonstances me dĂ©cideraient pour la jeune Amante. D'abord, c'en est une de plus, et puis la nouveautĂ©, et encore la crainte de perdre le fruit de vos soins en nĂ©gligeant de le cueillir; car enfin, de ce cĂÂŽtĂ©, ce serait vĂ©ritablement l'occasion manquĂ©e, et elle ne revient pas toujours, surtout pour une premiĂšre faiblesse souvent, dans ce cas, il ne faut qu'un moment d'humeur, un soupçon jaloux, moins encore, pour empĂÂȘcher le plus beau triomphe. La vertu qui se noie se raccroche quelquefois aux branches; et une fois rĂ©chappĂ©e, elle se tient sur ses gardes, et n'est plus facile Ă surprendre. Au contraire, de l'autre cĂÂŽtĂ©, que risquez-vous? Pas mĂÂȘme une rupture; une brouillerie tout au plus, oĂÂč l'on achĂšte de quelques soins le plaisir d'un raccommodement. Quel autre parti reste-t-il Ă une femme dĂ©jĂ rendue, que celui de l'indulgence? Que gagnerait-elle Ă la sĂ©vĂ©ritĂ©? la perte de ses plaisirs, sans profit pour sa gloire. Si, comme je le suppose, vous prenez le parti de l'amour, qui me paraĂt aussi celui de la raison, je crois qu'il est de la prudence de ne point vous faire excuser au rendez-vous manquĂ©; laissez-vous attendre tout simplement si vous risquez de donner une raison, on sera peut-ĂÂȘtre tentĂ© de la vĂ©rifier. Les femmes sont curieuses et obstinĂ©es; tout peut se dĂ©couvrir je viens, comme vous savez, d'en ĂÂȘtre moi-mĂÂȘme un exemple. Mais si vous laissez l'espoir, comme il sera soutenu par la vanitĂ©, il ne sera perdu que longtemps aprĂšs l'heure propre aux informations alors demain vous aurez Ă choisir l'obstacle insurmontable qui vous aura retenu; vous aurez Ă©tĂ© malade, mort s'il le faut, ou toute autre chose dont vous serez Ă©galement dĂ©sespĂ©rĂ©, et tout se raccommodera. Au reste, pour quelque cĂÂŽtĂ© que vous vous dĂ©cidiez, je vous prie seulement de m'en instruire; et comme je n'y ai pas d'intĂ©rĂÂȘt, je trouverai toujours que vous avez bien fait. Adieu, mon cher ami. Ce que j'ajoute encore, c'est que je regrette Madame de Tourvel; c'est que je suis au dĂ©sespoir d'ĂÂȘtre sĂ©parĂ© d'elle; c'est que je paierais de la moitiĂ© de ma vie le bonheur de lui consacrer l'autre. Ah! croyez-moi, on n'est heureux que par l'amour. Paris, ce 5 dĂ©cembre 17**. LETTRE CLVI CECILE VOLANGES AU CHEVALIER DANCENY JOINTE A LA PRECEDENTE. Comment se fait-il, mon cher ami, que je cesse de vous voir, quand je ne cesse pas de le dĂ©sirer? n'en avez-vous plus autant d'envie que moi? Ah! c'est bien Ă prĂ©sent que je suis triste! plus triste que quand nous Ă©tions sĂ©parĂ©s tout Ă fait. Le chagrin que j'Ă©prouvais par les autres, c'est Ă prĂ©sent de vous qu'il me vient, et cela fait bien plus de mal. Depuis quelques jours, Maman n'est jamais chez elle, vous le savez bien; et j'espĂ©rais que vous essaieriez de profiter de ce temps de libertĂ© mais vous ne songez seulement pas Ă moi; je suis bien malheureuse! Vous me disiez tant que c'Ă©tait moi qui aimais le moins! je savais bien le contraire, et en voilĂ bien la preuve. Si vous Ă©tiez venu pour me voir, vous m'auriez vue en effet car moi, je ne suis pas comme vous; je ne songe qu'Ă ce qui peut nous rĂ©unir. Vous mĂ©riteriez bien que je ne vous dise rien de tout ce que j'ai fait pour ça, et qui m'a donnĂ© tant de peine mais je vous aime trop, et j'ai tant d'envie de vous voir que je ne peux m'empĂÂȘcher de vous le dire. Et puis, je verrai bien aprĂšs si vous m'aimez rĂ©ellement. J'ai si bien fait que le Portier est dans nos intĂ©rĂÂȘts, et qu'il m'a promis que toutes les fois que vous viendriez, il vous laisserait toujours entrer comme s'il ne vous voyait pas et nous pouvons bien nous fier Ă lui, car c'est un bien honnĂÂȘte homme. Il ne s'agit donc plus que d'empĂÂȘcher qu'on ne vous voie dans la maison; et ça, c'est bien aisĂ©, en n'y venant que le soir, et quand il n'y aura plus rien Ă craindre du tout. Par exemple, depuis que Maman sort tous les jours, elle se couche tous les soirs Ă onze heures; ainsi nous aurions bien du temps. Le Portier m'a dit que, quand vous voudriez venir comme ça, au lieu de frapper Ă la porte, vous n'auriez qu'Ă frapper Ă sa fenĂÂȘtre, et qu'il ouvrirait tout de suite; et puis, vous trouverez bien le petit escalier; et comme vous ne pourrez pas avoir de la lumiĂšre, je laisserai la porte de ma chambre entrouverte, ce qui vous Ă©clairera toujours un peu. Vous prendrez bien garde de ne pas faire de bruit; surtout en passant auprĂšs de la petite porte de Maman. Pour celle de ma Femme de chambre, c'est Ă©gal, parce qu'elle m'a promis qu'elle ne se rĂ©veillerait pas; c'est aussi une bien bonne fille! Et pour vous en aller, ça sera tout de mĂÂȘme. A prĂ©sent, nous verrons si vous viendrez. Mon Dieu, pourquoi donc le cĂ âur me bat-il si fort en vous Ă©crivant? Est-ce qu'il doit m'arriver quelque malheur ou si c'est l'espĂ©rance de vous voir qui me trouble comme ça? Ce que je sens bien, c'est que je ne vous ai jamais tant aimĂ©, et que jamais je n'ai tant dĂ©sirĂ© de vous le dire. Venez donc, mon ami, mon cher ami; que je puisse vous rĂ©pĂ©ter cent fois que je vous aime, que je vous adore, que je n'aimerai jamais que vous. J'ai trouvĂ© moyen de faire dire Ă M. de Valmont que j'avais quelque chose Ă lui dire; et lui, comme il est bien bon ami, il viendra sĂ»rement demain, et je le prierai de vous remettre ma Lettre tout de suite. Ainsi je vous attendrai demain au soir, et vous viendrez, sans faute, si vous ne voulez pas que votre CĂ©cile soit bien malheureuse. Adieu, mon cher ami; je vous embrasse de tout mon cĂ âur. Paris, ce 4 dĂ©cembre 17**, au soir. LETTRE CLVII LE CHEVALIER DANCENY AU VICOMTE DE VALMONT Ne doutez pas, mon cher Vicomte, ni de mon cĂ âur, ni de mes dĂ©marches comment rĂ©sisterais-je Ă un dĂ©sir de ma CĂ©cile? Ah! c'est bien elle, elle seule que j'aime, que j'aimerai toujours! son ingĂ©nuitĂ©, sa tendresse ont un charme pour moi, dont j'ai pu avoir la faiblesse de me laisser distraire, mais que rien n'effacera jamais. EngagĂ© dans une autre aventure, pour ainsi dire sans m'en ĂÂȘtre aperçu, souvent le souvenir de CĂ©cile est venu me troubler jusque dans les plus doux plaisirs; et peut-ĂÂȘtre mon cĂ âur ne lui a-t-il jamais rendu d'hommage plus vrai que dans le moment mĂÂȘme oĂÂč je lui Ă©tais infidĂšle. Cependant, mon ami, mĂ©nageons sa dĂ©licatesse et cachons-lui mes torts; non pour la surprendre, mais pour ne pas l'affliger. Le bonheur de CĂ©cile est le vĂ âu le plus ardent que je forme; jamais je ne me pardonnerais une faute qui lui aurait coĂ»tĂ© une larme. J'ai mĂ©ritĂ©, je le sens, la plaisanterie que vous me faites sur ce que vous appelez mes nouveaux principes; mais vous pouvez m'en croire; ce n'est point par eux que je me conduis dans ce moment; et dĂšs demain je suis dĂ©cidĂ© Ă le prouver. J'irai m'accuser Ă celle mĂÂȘme qui a causĂ© mon Ă©garement, et qui l'a partagĂ©; je lui dirai " Lisez dans mon cĂ âur; il a pour vous l'amitiĂ© la plus tendre; l'amitiĂ© unie au dĂ©sir ressemble tant Ă l'amour!... Tous deux nous nous sommes trompĂ©s; mais susceptible d'erreur, je ne suis point capable de mauvaise foi. " Je connais mon amie; elle est honnĂÂȘte autant qu'indulgente; elle fera plus que me pardonner, elle m'approuvera. Elle-mĂÂȘme se reprochait souvent d'avoir trahi l'amitiĂ©; souvent sa dĂ©licatesse effrayait son amour plus sage que moi, elle fortifiera dans mon ĂÂąme ces craintes utiles, que je cherchais tĂ©mĂ©rairement Ă Ă©touffer dans la sienne. Je lui devrai d'ĂÂȘtre meilleur, comme Ă vous d'ĂÂȘtre plus heureux. Ăâ mes amis, partagez ma reconnaissance. L'idĂ©e de vous devoir mon bonheur en augmente le prix. Adieu, mon cher Vicomte. L'excĂšs de ma joie ne m'empĂÂȘche point de songer Ă vos peines, et d'y prendre part. Que ne puis-je vous ĂÂȘtre utile! Madame de Tourvel reste donc inexorable? On la dit aussi bien malade. Mon Dieu, que je vous plains! Puisse-t-elle reprendre Ă la fois de la santĂ© et de l'indulgence, et faire Ă jamais votre bonheur! Ce sont les vĂ âux de l'amitiĂ©; j'ose espĂ©rer qu'ils seront exaucĂ©s par l'amour. Je voudrais causer plus longtemps avec vous; mais l'heure me presse, et peut- ĂÂȘtre CĂ©cile m'attend dĂ©jĂ . Paris, ce 5 dĂ©cembre 17**. LETTRE CLVIII LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL A SON REVEIL. Eh bien, Marquise, comment vous trouvez-vous des plaisirs de la nuit derniĂšre? n'en ĂÂȘtes-vous pas un peu fatiguĂ©e? Convenez donc que Danceny est charmant! Il fait des prodiges, ce garçon-lĂ . Vous n'attendiez pas cela de lui, n'est-il pas vrai? Allons, je me rends justice, un pareil rival mĂ©ritait bien que je lui fusse sacrifiĂ©. SĂ©rieusement, il est plein de bonnes qualitĂ©s! Mais surtout, que d'amour, de constance, de dĂ©licatesse! Ah! si jamais vous ĂÂȘtes aimĂ©e de lui comme l'est sa CĂ©cile, vous n'aurez point de rivales Ă craindre il vous l'a prouvĂ© cette nuit. Peut-ĂÂȘtre Ă force de coquetterie, une autre femme pourra vous l'enlever un moment; un jeune homme ne sait guĂšre se refuser Ă des agaceries provocantes mais un seul mot de l'objet aimĂ© suffit, comme vous voyez, pour dissiper cette illusion; ainsi il ne vous manque plus que d'ĂÂȘtre cet objet-lĂ pour ĂÂȘtre parfaitement heureuse. SĂ»rement vous ne vous y tromperez pas; vous avez le tact trop sĂ»r pour qu'on puisse le craindre. Cependant l'amitiĂ© qui nous unit, aussi sincĂšre de ma part que bien reconnue de la vĂÂŽtre, m'a fait dĂ©sirer pour vous l'Ă©preuve de cette nuit; c'est l'ouvrage de mon zĂšle; il a rĂ©ussi mais point de remerciements; cela n'en vaut pas la peine rien n'Ă©tait plus facile. Au fait, que m'en a-t-il coĂ»tĂ©? un lĂ©ger sacrifice, et quelque peu d'adresse. J'ai consenti Ă partager avec le jeune homme les faveurs de sa MaĂtresse mais enfin il y avait bien autant de droit que moi; et je m'en souciais si peu! La Lettre que la jeune personne lui a Ă©crite, c'est bien moi qui l'ai dictĂ©e; mais c'Ă©tait seulement pour gagner du temps, parce que nous avions Ă l'employer mieux, celle que j'y ai jointe, oh! ce n'Ă©tait rien, presque rien; quelques rĂ©flexions de l'amitiĂ© pour guider le choix du nouvel Amant mais en honneur, elles Ă©taient inutiles; il faut dire la vĂ©ritĂ©, il n'a pas balancĂ© un moment. Et puis, dans sa candeur, il doit aller chez vous aujourd'hui vous raconter tout; et sĂ»rement ce rĂ©cit-lĂ vous fera grand plaisir! il vous dira Lisez dans mon cour; il me le mande et vous voyez bien que cela raccommode tout. J'espĂšre qu'en y lisant ce qu'il voudra, vous y lirez peut-ĂÂȘtre aussi que les Amants si jeunes ont leurs dangers; et encore, qu'il vaut mieux m'avoir pour ami que pour ennemi. Adieu, Marquise; jusqu'Ă la premiĂšre occasion. Paris, ce 6 dĂ©cembre 17**. LETTRE CLIX LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT BILLET Je n'aime pas qu'on ajoute de mauvaises plaisanteries Ă de mauvais procĂ©dĂ©s; ce n'est pas plus ma maniĂšre que mon goĂ»t. Quand j'ai Ă me plaindre de quelqu'un, je ne le persifle pas; je fais mieux je me venge. Quelque content de vous que vous puissiez ĂÂȘtre en ce moment, n'oubliez point que ce ne serait pas la premiĂšre fois que vous vous seriez applaudi d'avance; et tout seul dans l'espoir d'un triomphe qui vous serait Ă©chappĂ© Ă l'instant mĂÂȘme oĂÂč vous vous en fĂ©licitiez. Adieu. Paris, ce 6 dĂ©cembre 17**. LETTRE CLX MADAME DE VOLANGES A MADAME DE ROSEMONDE Je vous Ă©cris de la chambre de notre malheureuse amie, dont l'Ă©tat est Ă peu prĂšs toujours le mĂÂȘme. Il doit y avoir cet aprĂšs-midi une consultation de quatre MĂ©decins. Malheureusement, c'est, comme vous le savez, plus souvent une preuve de danger qu'un moyen de secours. Il paraĂt cependant que la tĂÂȘte est un peu revenue la nuit derniĂšre. La Femme de chambre m'a informĂ©e ce matin qu'environ vers minuit sa MaĂtresse l'a fait appeler; qu'elle a voulu ĂÂȘtre seule avec elle, et qu'elle lui a dictĂ© une assez longue Lettre. Julie a ajoutĂ© que, tandis qu'elle Ă©tait occupĂ©e Ă en faire l'enveloppe, Madame de Tourvel avait repris le transport en sorte que cette fille, n'a pas su Ă qui il fallait mettre l'adresse. Je me suis Ă©tonnĂ©e d'abord que la Lettre elle-mĂÂȘme n'ait pas suffi pour le lui apprendre mais sur ce qu'elle m'a rĂ©pondu qu'elle craignait de se tromper, et que cependant sa MaĂtresse lui avait bien recommandĂ© de la faire partir sur-le-champ, j'ai pris sur moi d'ouvrir le paquet. J'y ai trouvĂ© l'Ă©crit que je vous envoie, qui en effet ne s'adresse Ă personne pour s'adresser Ă trop de monde. Je crois cependant que c'est Ă M, de Valmont que notre malheureuse amie a voulu Ă©crire d'abord; mais qu'elle a cĂ©dĂ© sans s'en apercevoir au dĂ©sordre de ses idĂ©es. Quoi qu'il en soit, j'ai jugĂ© que cette Lettre ne devait ĂÂȘtre rendue Ă personne. Je vous l'envoie, parce que vous y verrez mieux que je ne pourrais vous le dire quelles sont les pensĂ©es qui occupent la tĂÂȘte de notre malade. Tant qu'elle restera aussi vivement affectĂ©e, je n'aurai guĂšre d'espĂ©rance. Le corps se rĂ©tablit difficilement, quand l'esprit est si peu tranquille. Adieu, ma chĂšre et digne amie. Je vous fĂ©licite d'ĂÂȘtre Ă©loignĂ©e du triste spectacle que j'ai continuellement sous les yeux. Paris, ce 6 dĂ©cembre 17**. LETTRE CLXI LA PRESIDENTE DE TOURVEL A ... DICTEE PAR ELLE ET ECRITE PAR SA FEMME DE CHAMBRE. Etre cruel et malfaisant, ne te lasseras-tu point de me persĂ©cuter? Ne te suffit- il pas de m'avoir tourmentĂ©e, dĂ©gradĂ©e, avilie, veux-tu me ravir jusqu'Ă la paix du tombeau? Quoi! dans ce sĂ©jour de tĂ©nĂšbres oĂÂč l'ignominie m'a forcĂ©e de m'ensevelir, les peines sont-elles sans relĂÂąche, l'espĂ©rance est-elle mĂ©connue? Je n'implore point une grĂÂące que je ne mĂ©rite point pour souffrir sans me plaindre, il me suffira que mes souffrances n'excĂšdent pas mes forces. Mais ne rends pas mes tourments insupportables. En me laissant mes douleurs, ĂÂŽte-moi le cruel souvenir des biens que j'ai perdus. Quand tu me les as ravis, n'en retrace plus Ă mes yeux la dĂ©solante image. J'Ă©tais innocente et tranquille c'est pour t'avoir vu que j'ai perdu le repos; c'est en t'Ă©coutant que je suis devenue criminelle. Auteur de mes fautes, quel droit as-tu de les punir? OĂÂč sont les amis qui me chĂ©rissaient, oĂÂč sont-ils? mon infortune les Ă©pouvante. Aucun n'ose m'approcher. Je suis opprimĂ©e, et ils me laissent sans secours! Je meurs, et personne ne pleure sur moi. Toute consolation m'est refusĂ©e. La pitiĂ© s'arrĂÂȘte sur les bords de l'abĂme oĂÂč le criminel se plonge. Les remords le dĂ©chirent, et ses cris ne sont pas entendus! Et toi, que j'ai outragĂ©; toi, dont l'estime ajoute Ă mon supplice; toi, qui seul enfin aurais le droit de te venger, que fais-tu loin de moi? Viens punir une femme infidĂšle. Que je souffre enfin des tourments mĂ©ritĂ©s. DĂ©jĂ je me serais soumise Ă ta vengeance mais le courage m'a manquĂ© pour t'apprendre ta honte. Ce n'Ă©tait point dissimulation, c'Ă©tait respect. Que cette Lettre au moins t'apprenne mon repentir. Le Ciel a pris ta cause il te venge d'une injure que tu as ignorĂ©e. C'est lui qui a liĂ© ma langue et retenu mes paroles; il a craint que tu ne me remisses une faute qu'il voulait punir. Il m'a soustraite Ă ton indulgence qui aurait blessĂ© sa justice. Impitoyable dans sa vengeance, il m'a livrĂ©e Ă celui-lĂ mĂÂȘme qui m'a perdue. C'est Ă la fois pour lui et par lui que je souffre. Je veux le fuir, en vain, il me suit; il est lĂ ; il m'obsĂšde sans cesse. Mais qu'il est diffĂ©rent de lui-mĂÂȘme! Ses yeux n'expriment plus que la haine et le mĂ©pris. Sa bouche ne profĂšre que l'insulte et le reproche. Ses bras ne m'entourent que pour me dĂ©chirer. Qui me sauvera de sa barbare fureur? Mais quoi! c'est lui... Je ne me trompe pas; c'est lui que je revois. Oh! mon aimable ami! reçois-moi dans tes bras; cache-moi dans ton sein oui, c'est toi, c'est bien toi! Quelle illusion funeste m'avait fait te mĂ©connaĂtre? combien j'ai souffert dans ton absence! Ne nous sĂ©parons plus, ne nous sĂ©parons jamais! Laisse-moi respirer. Sens mon cĂ âur, comme il palpite! Oh! ce n'est plus de crainte, c'est la douce Ă©motion de l'amour. Pourquoi te refuser Ă mes tendres caresses? Tourne vers moi tes doux regards! Quels sont ces liens que tu cherches Ă rompre? pour qui prĂ©pares-tu cet appareil de mort? qui peut altĂ©rer ainsi tes traits? que fais-tu? Laisse-moi je frĂ©mis! Dieu! c'est ce monstre encore! Mes amies, ne m'abandonnez pas. Vous qui m'invitiez Ă le fuir, aidez- moi Ă le combattre; et vous qui, plus indulgente, me promettiez de diminuer mes peines, venez donc auprĂšs de moi. OĂÂč ĂÂȘtes-vous toutes deux? S'il ne m'est plus permis de vous revoir, rĂ©pondez au moins Ă cette Lettre; que je sache que vous m'aimez encore. Laisse-moi donc, cruel! quelle nouvelle fureur t'anime? Crains-tu qu'un sentiment doux ne pĂ©nĂštre jusqu'Ă mon ĂÂąme? Tu redoubles mes tourments; tu me forces de te haĂÂŻr. Oh! que la haine est douloureuse! comme elle corrode le cĂ âur qui la distille! Pourquoi me persĂ©cutez-vous? que pouvez-vous encore avoir Ă me dire? ne m'avez-vous pas mise dans l'impossibilitĂ© de vous Ă©couter, comme de vous rĂ©pondre? N'attendez plus rien de moi. Adieu, Monsieur. Paris, ce 5 dĂ©cembre 17**. LETTRE CLXII LE CHEVALIER DANCENY AU VICOMTE DE VALMONT Je suis instruit, Monsieur, de vos procĂ©dĂ©s envers moi. Je sais aussi que, non content de m'avoir indignement jouĂ©, vous ne craignez pas de vous en vanter, de vous en applaudir. J'ai vu la preuve de votre trahison Ă©crite de votre main. J'avoue que mon cĂ âur en a Ă©tĂ© navrĂ©, et que j'ai ressenti quelque honte d'avoir autant aidĂ© moi-mĂÂȘme Ă l'odieux abus que vous avez fait de mon aveugle confiance; pourtant je ne vous envie pas ce honteux avantage; je suis seulement curieux de savoir si vous les conserverez tous Ă©galement sur moi. J'en serai instruit, si, comme je l'espĂšre, vous voulez bien vous trouver demain, entre huit et neuf heures du matin, Ă la porte du bois de Vincennes, Village de Saint-MandĂ©. J'aurai soin d'y faire trouver tout ce qui sera nĂ©cessaire pour les Ă©claircissements qui me restent Ă prendre avec vous. Le Chevalier Danceny. Paris, ce 6 dĂ©cembre 17**, au soir. LETTRE CLXIII M. BERTRAND A MADAME DE ROSEMONDE Madame, C'est avec bien du regret que je remplis le triste devoir de vous annoncer une nouvelle qui va vous causer un si cruel chagrin. Permettez-moi de vous inviter d'abord Ă cette pieuse rĂ©signation que chacun a si souvent admirĂ©e en vous, et qui peut seule nous faire supporter les maux dont est semĂ©e notre misĂ©rable vie. M. votre neveu... Mon Dieu! faut-il que j'afflige tant une si respectable dame! M. votre neveu a eu le malheur de succomber dans un combat singulier qu'il a eu ce matin avec M. le Chevalier Danceny. J'ignore entiĂšrement le sujet de la querelle; mais il paraĂt par le billet que j'ai trouvĂ© encore dans la poche de M. le Vicomte, et que j'ai l'honneur de vous envoyer; il paraĂt, dis-je, qu'il n'Ă©tait pas l'agresseur. Et il faut que ce soit lui que le Ciel ait permis qui succombĂÂąt! J'Ă©tais chez M. le Vicomte Ă l'attendre, Ă l'heure mĂÂȘme oĂÂč on l'a ramenĂ© Ă l'HĂÂŽtel. Figurez-vous mon effroi, en voyant M. votre neveu portĂ© par deux de ses gens, et tout baignĂ© dans son sang. Il avait deux coups d'Ă©pĂ©e dans le corps, et il Ă©tait dĂ©jĂ bien faible. M. Danceny Ă©tait aussi lĂ , et mĂÂȘme il pleurait. Ah! sans doute, il doit pleurer mais il est bien temps de rĂ©pandre des larmes, quand on a causĂ© un malheur irrĂ©parable! Pour moi, je ne me possĂ©dais pas; et malgrĂ© le peu que je suis, je ne lui en disais pas moins ma façon de penser. Mais c'est lĂ que M. le Vicomte s'est montrĂ© vĂ©ritablement grand. Il m'a ordonnĂ© de me taire; et celui-lĂ mĂÂȘme qui Ă©tait son meurtrier, il lui a pris la main, l'a appelĂ© son ami, l'a embrassĂ© devant nous tous, et nous a dit; " Je vous ordonne d'avoir pour Monsieur tous les Ă©gards qu'on doit Ă un brave et galant homme. " Il lui a de plus fait remettre, devant moi, des papiers fort volumineux, que je ne connais pas, mais auxquels je sais bien qu'il attachait beaucoup d'importance. Ensuite il a voulu qu'on les laissĂÂąt seuls ensemble pendant un moment. Cependant j'avais envoyĂ© chercher tout de suite tous les secours, tant spirituels que temporels mais, hĂ©las! le mal Ă©tait sans remĂšde. Moins d'une demi-heure aprĂšs, M. le Vicomte Ă©tait sans connaissance. Il n'a pu recevoir que l'ExtrĂÂȘme-Onction; et la cĂ©rĂ©monie Ă©tait Ă peine achevĂ©e qu'il a rendu son dernier soupir. Bon Dieu! quand j'ai reçu dans mes bras Ă sa naissance ce prĂ©cieux appui d'une maison si illustre, aurais-je pu prĂ©voir que ce serait dans mes bras qu'il expirerait, et que j'aurais Ă pleurer sa mort? Une mort si prĂ©coce et si malheureuse! Mes larmes coulent malgrĂ© moi; je vous demande pardon, Madame, d'oser ainsi mĂÂȘler mes douleurs aux vĂÂŽtres mais dans tous les Ă©tats, on a un cĂ âur et de la sensibilitĂ©; et je serais bien ingrat, si je ne pleurais pas toute ma vie un Seigneur qui avait tant de bontĂ©s pour moi, et qui m'honorait de tant de confiance. Demain, aprĂšs l'enlĂšvement du corps, je ferai mettre les scellĂ©s partout, et vous pouvez vous en reposer entiĂšrement sur mes soins. Vous n'ignorez pas, Madame, que ce malheureux Ă©vĂ©nement finit la substitution, et rend vos dispositions entiĂšrement libres. Si je puis vous ĂÂȘtre de quelque utilitĂ©, je vous prie de vouloir bien me faire passer vos ordres je mettrai tout mon zĂšle Ă les exĂ©cuter ponctuellement. Je suis avec le plus profond respect, Madame, votre trĂšs humble, etc. Bertrand. Paris, ce 7 dĂ©cembre l7**. LETTRE CLXIV MADAME DE ROSEMONDE A M. BERTRAND Je reçois votre lettre Ă l'instant mĂÂȘme, mon cher Bertrand, et j'apprends par elle l'affreux Ă©vĂ©nement dont mon neveu a Ă©tĂ© la malheureuse victime. Oui, sans doute j'aurai des ordres Ă vous donner; et ce n'est que pour eux que je peux m'occuper d'autre chose que de ma mortelle affliction. Le billet de M. Danceny, que vous m'avez envoyĂ©, est une preuve bien convaincante que c'est lui qui a provoquĂ© le duel, et mon intention est que vous en rendiez plainte sur-le-champ, et en mon nom. En pardonnant Ă son ennemi, Ă son meurtrier, mon neveu a pu satisfaire Ă sa gĂ©nĂ©rositĂ© naturelle; mais moi, je dois venger Ă la fois sa mort, l'humanitĂ© et la religion. On ne saurait trop exciter la sĂ©vĂ©ritĂ© des Lois contre ce reste de barbarie, qui infecte encore nos mĂ âurs; et je ne crois pas que ce puisse ĂÂȘtre dans ce cas que le pardon des injures nous soit prescrit. J'attends donc que vous suiviez cette affaire avec tout le zĂšle et toute l'activitĂ© dont je vous connais capable, et que vous devez Ă la mĂ©moire de mon neveu. Vous aurez soin, avant tout, de voir M. le PrĂ©sident de *** de ma part, et d'en confĂ©rer avec lui. Je ne lui Ă©cris pas, pressĂ©e que je suis de me livrer tout entiĂšre Ă ma douleur. Vous lui ferez mes excuses et lui communiquerez cette Lettre. Adieu, mon cher Bertrand; je vous loue et vous remercie de vos bons sentiments, et suis pour la vie toute Ă vous. Du ChĂÂąteau de ..., ce 8 dĂ©cembre 17**. LETTRE CLXV MADAME DE VOLANGES A MADAME DE ROSEMONDE Je vous sais dĂ©jĂ instruite, ma chĂšre et digne amie, de la perte que vous venez de faire; je connaissais votre tendresse pour M. de Valmont, et je partage bien sincĂšrement l'affliction que vous devez ressentir. Je suis vraiment peinĂ©e d'avoir Ă ajouter de nouveaux regrets Ă ceux que vous Ă©prouvez dĂ©jĂ mais hĂ©las! il ne vous reste non plus que des larmes Ă donner Ă notre malheureuse amie. Nous l'avons perdue, hier, Ă onze heures du soir. Par une fatalitĂ© attachĂ©e Ă son sort, et qui semblait se jouer de toute prudence humaine, ce court intervalle qu'elle a survĂ©cu Ă M. de Valmont lui a suffi pour en apprendre la mort; et, comme elle a dĂt elle-mĂÂȘme, pour n'avoir pu succomber sous le poids de ses malheurs qu'aprĂšs que la mesure en a Ă©tĂ© comblĂ©e. En effet, vous avez su que depuis plus de deux jours elle Ă©tait absolument sans connaissance; et encore hier matin, quand son MĂ©decin arriva que nous approchĂÂąmes de son lit, elle ne nous reconnut ni l'un ni l'autre, et nous ne pĂ»mes en obtenir ni une parole, ni le moindre signe. HĂ© bien! Ă peine Ă©tions- nous revenus Ă la cheminĂ©e, et pendant que le MĂ©decin m'apprenait le triste Ă©vĂ©nement de la mort de M. de Valmont, cette femme infortunĂ©e a retrouvĂ© toute sa tĂÂȘte, soit que la nature seule ait produit cette rĂ©volution, soit qu'elle ait Ă©tĂ© causĂ©e par ces mots rĂ©pĂ©tĂ©s de M. de Valmont et de mort , qui ont pu rappeler Ă la malade les seules idĂ©es dont elle s'occupait depuis longtemps. Quoi qu'il en soit, elle ouvrit prĂ©cipitamment les rideaux de son lit en s'Ă©criant " Quoi! que dites vous? M. de Valmont est mort? " J'espĂ©rais lui faire croire qu'elle s'Ă©tait trompĂ©e, et je l'assurai d'abord qu'elle avait mal entendu mais loin de se laisser persuader ainsi, elle exigea du MĂ©decin qu'il recommençĂÂąt ce cruel rĂ©cit; et sur ce que je voulus essayer encore de la dissuader, elle m'appela et me dit Ă voix basse " Pourquoi vouloir me tromper? n'Ă©tait-il pas dĂ©jĂ mort pour moi! " Il a donc fallu cĂ©der. Notre malheureuse amie a Ă©coutĂ© d'abord d'un air assez tranquille, mais bientĂÂŽt aprĂšs, elle a interrompu le rĂ©cit, en disant " Assez, j'en ai assez. " Elle a demandĂ© sur-le-champ qu'on fermĂÂąt ses rideaux et lorsque le MĂ©decin a voulu s'occuper ensuite des soins de son Ă©tat, elle n'a jamais voulu souffrir qu'il approchĂÂąt d'elle. DĂšs qu'il a Ă©tĂ© sorti, elle a pareillement renvoyĂ© sa garde et sa Femme de chambre; et quand nous avons Ă©tĂ© seules, elle m'a priĂ©e de l'aider Ă se mettre Ă genoux sur son lit, et de l'y soutenir. LĂ , elle est restĂ©e quelque temps en silence, et sans autre expression que celle de ses larmes qui coulaient abondamment. Enfin, joignant ses mains et les Ă©levant vers le Ciel " Dieu tout-puissant " , a-t-elle dit d'une voix faible, mais fervente, " je me soumets Ă ta justice mais pardonne Ă Valmont. Que mes malheurs, que je reconnais avoir mĂ©ritĂ©s, ne lui soient pas un sujet de reproche, et je bĂ©nirai ta misĂ©ricorde! " Je me suis permis, ma chĂšre et digne amie, d'entrer dans ces dĂ©tails sur un sujet que je sens bien devoir renouveler et aggraver vos douleurs, parce que je ne doute pas que cette priĂšre de Madame de Tourvel ne porte cependant une grande consolation dans votre ĂÂąme. AprĂšs que notre amie eut profĂ©rĂ© ce peu de mots, elle se laissa retomber dans mes bras; et elle Ă©tait Ă peine replacĂ©e dans son lit, qu'il lui prit une faiblesse qui fut longue, mais qui cĂ©da pourtant aux secours ordinaires. AussitĂÂŽt qu'elle eut repris connaissance, elle me demanda d'envoyer chercher le PĂšre Anselme, et elle ajouta " C'est Ă prĂ©sent le seul mĂ©decin dont j'aie besoin; je sens que mes maux vont bientĂÂŽt finir. " Elle se plaignait de beaucoup d'oppression, et elle parlait difficilement. Peu de temps aprĂšs, elle me fit remettre, par sa Femme de chambre, une cassette que je vous envoie, qu'elle me dit contenir des papiers Ă elle; et qu'elle me chargea de vous faire passer aussitĂÂŽt aprĂšs sa mort [Cette cassette contenait toutes les Lettres relatives Ă son aventure avec M. de Valmont]. Ensuite elle me parla de vous, et de votre amitiĂ© pour elle, autant que sa situation le lui permettait, et avec beaucoup d'attendrissement. Le PĂšre Anselme arriva vers les quatre heures, et resta prĂšs d'une heure seul avec elle. Quand nous rentrĂÂąmes, la figure de la malade Ă©tait calme et sereine; mais il Ă©tait facile de voir que le PĂšre Anselme avait beaucoup pleurĂ©. Il resta pour assister aux derniĂšres cĂ©rĂ©monies de l'Ăâ°glise. Ce spectacle, toujours si imposant et si douloureux, le devenait encore plus par le contraste que formait la tranquille rĂ©signation de la malade, avec la douleur profonde de son vĂ©nĂ©rable Confesseur qui fondait en larmes Ă cĂÂŽtĂ© d'elle. L'attendrissement devint gĂ©nĂ©ral; et celle que tout le monde pleurait fut la seule qui ne se pleura point. Le reste de la journĂ©e se passa dans les priĂšres usitĂ©es, qui ne furent interrompues que par les frĂ©quentes faiblesses de la malade. Enfin, vers les onze heures du soir, elle me parut plus oppressĂ©e et plus souffrante. J'avançai ma main pour chercher son bras; elle eut encore la force de la prendre, et la posa sur son cĂ âur. Je n'en sentis plus le battement; et en effet, notre malheureuse amie expira dans le moment mĂÂȘme. Vous rappelez-vous, ma chĂšre amie, qu'Ă votre dernier voyage ici, il y a moins d'un an, causant ensemble de quelques personnes dont le bonheur nous paraissait plus ou moins assurĂ©, nous nous arrĂÂȘtĂÂąmes avec complaisance sur le sort de cette mĂÂȘme femme, dont aujourd'hui nous pleurons Ă la fois les malheurs et la mort? Tant de vertus, de qualitĂ©s louables et d'agrĂ©ments; un caractĂšre si doux et si facile; un mari qu'elle aimait, et dont elle Ă©tait adorĂ©e; une sociĂ©tĂ© oĂÂč elle se plaisait, et dont elle faisait les dĂ©lices; de la figure, de la jeunesse, de la fortune; tant d'avantages rĂ©unis ont donc Ă©tĂ© perdus par une seule imprudence! Ăâ Providence! sans doute il faut adorer tes dĂ©crets; mais combien ils sont incomprĂ©hensibles! Je m'arrĂÂȘte, je crains d'augmenter votre tristesse, en me livrant Ă la mienne. Je vous quitte et vais passer chez ma fille, qui est un peu indisposĂ©e. En apprenant de moi, ce matin, cette mort si prompte de deux personnes de sa connaissance, elle s'est trouvĂ©e mal, et je l'ai fait mettre au lit. J'espĂšre cependant que cette lĂ©gĂšre incommoditĂ© n'aura pas de suite. A cet ĂÂąge-lĂ , on n'a pas encore l'habitude des chagrins, et leur impression en devient plus vive et plus forte. Cette sensibilitĂ© si active est, sans doute, une qualitĂ© louable; mais combien tout ce qu'on voit chaque jour nous apprend Ă la craindre! Adieu, ma chĂšre et digne amie. Paris, ce 9 dĂ©cembre 17**. LETTRE CLXVI M. BERTRAND A MADAME DE ROSEMONDE Madame, En consĂ©quence des ordres que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser, j'ai eu celui de voir M. le PrĂ©sident de ***, et je lui ai communiquĂ© votre Lettre, en le prĂ©venant que, suivant vos dĂ©sirs, je ne ferais rien que par ses conseils. Ce respectable Magistrat m'a chargĂ© de vous observer que la plainte que vous ĂÂȘtes dans l'intention de rendre contre M. le Chevalier Danceny compromettrait Ă©galement la mĂ©moire de M. votre neveu, et que son honneur se trouverait nĂ©cessairement entachĂ© par l'arrĂÂȘt de la Cour, ce qui serait sans doute un grand malheur. Son avis est donc qu'il faut bien se garder de faire aucune dĂ©marche; et que s'il y en avait Ă faire, ce serait au contraire pour tĂÂącher de prĂ©venir que le MinistĂšre public ne prĂt connaissance de cette malheureuse aventure, qui n'a dĂ©jĂ que trop Ă©clatĂ©. Ces observations m'ont paru pleines de sagesse, et je prends le parti d'attendre de nouveaux ordres de votre part. Permettez-moi de vous prier, Madame, de vouloir bien, en me les faisant passer, y joindre un mot sur l'Ă©tat de votre santĂ© pour laquelle je redoute extrĂÂȘmement le triste effet de tant de chagrins. J'espĂšre que vous pardonnerez cette libertĂ© Ă mon attachement et Ă mon zĂšle. Je suis avec respect, Madame, votre, etc. Paris, ce 10 dĂ©cembre 17**. LETTRE CLXVII ANONYME A M. LE CHEVALIER DANCENY Monsieur, J'ai l'honneur de vous prĂ©venir que ce matin, au parquet de la Cour, il a Ă©tĂ© question parmi MM. les Gens du Roi de l'affaire que vous avez eue ces jours derniers avec M. le Vicomte de Valmont, et qu'il est Ă craindre que le MinistĂšre public n'en rende plainte. J'ai cru que cet avertissement pourrait vous ĂÂȘtre utile, soit pour que vous fassiez agir vos protections, pour arrĂÂȘter ces suites fĂÂącheuses; soit, au cas que vous n'y puissiez parvenir pour vous mettre dans le cas de prendre vos sĂ»retĂ©s personnelles. Si mĂÂȘme vous me permettez un conseil, je crois que vous feriez bien, pendant quelque temps, de vous montrer moins que vous ne l'avez fait depuis quelques jours. Quoique ordinairement on ait de l'indulgence pour ces sortes d'affaires, on doit nĂ©anmoins toujours ce respect Ă la Loi. Cette prĂ©caution devient d'autant plus nĂ©cessaire, qu'il m'est revenu qu'une madame de Rosemonde, qu'on m'a dite tante de M. de Valmont, voulait rendre plainte contre vous; et qu'alors la Partie publique ne pourrait pas se refuser Ă sa rĂ©quisition. Il serait peut-ĂÂȘtre Ă propos que vous pussiez faire parler Ă cette Dame. Des raisons particuliĂšres m'empĂÂȘchent de signer cette Lettre. Mais je compte que, pour ne pas savoir de qui elle vous vient, vous n'en rendrez pas moins justice au sentiment qui l'a dictĂ©e. J'ai l'honneur d'ĂÂȘtre, etc. Paris, ce 10 dĂ©cembre 17**. LETTRE CLXVIII MADAME DE VOLANGES A MADAME DE ROSEMONDE Il se rĂ©pand ici, ma chĂšre et digne amie, sur le compte de Madame de Merteuil, des bruits bien Ă©tonnants et bien fĂÂącheux. AssurĂ©ment, je suis loin d'y croire, et je parierais bien que ce n'est qu'une affreuse calomnie mais je sais trop combien les mĂ©chancetĂ©s, mĂÂȘme les moins vraisemblables, prennent aisĂ©ment consistance; et combien l'impression qu'elles laissent s'efface difficilement, pour ne pas ĂÂȘtre trĂšs alarmĂ©e de celles-ci, toutes faciles que je les crois Ă dĂ©truire. Je dĂ©sirerais, surtout, qu'elles pussent ĂÂȘtre arrĂÂȘtĂ©es de bonne heure, et avant d'ĂÂȘtre plus rĂ©pandues. Mais je n'ai su qu'hier, fort tard, ces horreurs qu'on commence seulement Ă dĂ©biter; et quand j'ai envoyĂ© ce matin chez Madame de Merteuil, elle venait de partir pour la campagne oĂÂč elle doit passer deux jours. On n'a pas pu me dire chez qui elle Ă©tait allĂ©e. Sa seconde Femme, que j'ai fait venir me parler, m'a dit que sa MaĂtresse lui avait seulement donnĂ© ordre de l'attendre Jeudi prochain; et aucun des Gens qu'elle a laissĂ©s ici n'en sait davantage. Moi-mĂÂȘme, je ne prĂ©sume pas oĂÂč elle peut ĂÂȘtre; je ne me rappelle personne de sa connaissance qui reste aussi tard Ă la campagne. Quoi qu'il en soit, vous pourrez, Ă ce que j'espĂšre, me procurer, d'ici Ă son retour, des Ă©claircissements qui peuvent lui ĂÂȘtre utiles, car on fonde ces odieuses histoires sur des circonstances de la mort de M. de Valmont, dont apparemment vous aurez Ă©tĂ© instruite si elles sont vraies, ou dont au moins il vous sera facile de vous faire informer, ce que je vous demande en grĂÂące. Voici ce qu'on publie, ou, pour mieux dire, ce qu'on murmure encore, mais qui ne tardera sĂ»rement pas Ă Ă©clater davantage. On dit donc que la querelle survenue entre M. de Valmont et le Chevalier Danceny est l'ouvrage de Madame de Merteuil, qui les trompait Ă©galement tous deux; que, comme il arrive presque toujours, les deux rivaux ont commencĂ© par se battre, et ne sont venus qu'aprĂšs aux Ă©claircissements; que ceux-ci ont produit une rĂ©conciliation sincĂšre; et que, pour achever de faire connaĂtre Madame de Merteuil au Chevalier Danceny, et aussi pour se justifier entiĂšrement, M. de Valmont a joint Ă ses discours une foule de Lettres, formant une correspondance rĂ©guliĂšre qu'il entretenait avec elle, et oĂÂč celle-ci raconte sur elle-mĂÂȘme, et dans le style le plus libre, les anecdotes les plus scandaleuses. On ajoute que Danceny, dans sa premiĂšre indignation, a livrĂ© ces Lettres Ă qui a voulu les voir, et qu'Ă prĂ©sent, elles courent Paris. On en cite particuliĂšrement deux [Lettres LXXXI et LXXXV de ce Recueil] l'une oĂÂč elle fait l'histoire entiĂšre de sa vie et de ses principes, et qu'on dit le comble de l'horreur; l'autre qui justifie entiĂšrement M. de PrĂ©van, dont vous vous rappelez l'histoire, par la preuve qui s'y trouve qu'il n'a fait au contraire que cĂ©der aux avances les plus marquĂ©es de Madame de Merteuil et que le rendez-vous Ă©tait convenu avec elle. J'ai heureusement les plus fortes raisons de croire que ces imputations sont aussi fausses qu'odieuses. D'abord, nous savons toutes deux que M. de Valmont n'Ă©tait sĂ»rement pas occupĂ© de Madame de Merteuil, et j'ai tout lieu de croire que Danceny ne s'en occupait pas davantage; ainsi, il me paraĂt dĂ©montrĂ© qu'elle n'a pu ĂÂȘtre, ni le sujet, ni l'auteur de la querelle. Je ne comprends pas non plus quel intĂ©rĂÂȘt aurait eu Madame de Merteuil, que l'on suppose d'accord avec M. de PrĂ©van, Ă faire une scĂšne qui ne pouvait jamais ĂÂȘtre que dĂ©sagrĂ©able par son Ă©clat, et qui pouvait devenir trĂšs dangereuse pour elle, puisqu'elle se faisait par lĂ un ennemi irrĂ©conciliable, d'un homme qui se trouvait maĂtre d'une partie de son secret, et qui avait alors beaucoup de partisans. Cependant, il est Ă remarquer que, depuis cette aventure, il ne s'est pas Ă©levĂ© une seule voix en faveur de PrĂ©van, et que, mĂÂȘme de sa part, il n'y a eu aucune rĂ©clamation. Ces rĂ©flexions me porteraient Ă le soupçonner l'auteur des bruits qui courent aujourd'hui, et Ă regarder ces noirceurs comme l'ouvrage de la haine et de la vengeance d'un homme qui, se voyant perdu, espĂšre par ce moyen rĂ©pandre au moins des doutes, et causer peut-ĂÂȘtre une diversion utile. Mais de quelque part que viennent ces mĂ©chancetĂ©s, le plus pressĂ© est de les dĂ©truire. Elles tomberaient d'elles-mĂÂȘmes, s'il se trouvait, comme il est vraisemblable, que MM. de Valmont et Danceny ne se fussent point parlĂ© depuis leur malheureuse affaire, et qu'il n'y eĂ»t pas eu de papiers remis. Dans mon impatience de vĂ©rifier ces faits, j'ai envoyĂ© ce matin chez M. Danceny; il n'est pas non plus Ă Paris. Ses Gens ont dit Ă mon Valet de chambre qu'il Ă©tait parti cette nuit, sur un avis qu'il avait reçu hier, et que le lieu de son sĂ©jour Ă©tait un secret. Apparemment il craint les suites de son affaire. Ce n'est donc que par vous, ma chĂšre et digne amie, que je puis avoir les dĂ©tails qui m'intĂ©ressent, et qui peuvent devenir si nĂ©cessaires Ă Madame de Merteuil. Je vous renouvelle ma priĂšre de me les faire parvenir le plus tĂÂŽt possible. L'indisposition de ma fille n'a eu aucune suite; elle vous prĂ©sente son respect. Paris, ce 11 dĂ©cembre 17**. LETTRE CLXIX LE CHEVALIER DANCENY A MADAME DE ROSEMONDE Madame, Peut-ĂÂȘtre trouverez-vous la dĂ©marche que je fais aujourd'hui, bien Ă©trange mais je vous en supplie, Ă©coutez-moi avant de me juger, et ne voyez ni audace ni tĂ©mĂ©ritĂ©, oĂÂč il n'y a que respect et confiance. Je ne me dissimule pas les torts que j'ai vis-Ă -vis de vous; et je ne me les pardonnerais de ma vie, si je pouvais penser un moment qu'il m'eĂ»t Ă©tĂ© possible d'Ă©viter de les avoir. Soyez mĂÂȘme bien persuadĂ©e, Madame, que pour me trouver exempt de reproches, je ne le suis pas de regrets; et je peux ajouter encore avec sincĂ©ritĂ© que ceux que je vous cause entrent pour beaucoup dans ceux que je ressens. Pour croire Ă ces sentiments dont j'ose vous assurer, il doit vous suffire de vous rendre justice, et de savoir que, sans avoir l'honneur d'ĂÂȘtre connu de vous, j'ai pourtant celui de vous connaĂtre. Cependant, quand je gĂ©mis de la fatalitĂ© qui a causĂ© Ă la fois vos chagrins et mes malheurs, on veut me faire craindre que, tout entiĂšre Ă votre vengeance, vous ne cherchiez les moyens de la satisfaire, jusque dans la sĂ©vĂ©ritĂ© des lois. Permettez-moi d'abord de vous observer Ă ce sujet, qu'ici votre douleur vous abuse, puisque mon intĂ©rĂÂȘt sur ce point est essentiellement liĂ© Ă celui de M. de Valmont, et qu'il se trouverait enveloppĂ© lui-mĂÂȘme dans la condamnation que vous auriez provoquĂ©e contre moi. Je croirais donc, Madame, pouvoir au contraire compter plutĂÂŽt de votre part sur des secours que sur des obstacles, dans les soins que je pourrais ĂÂȘtre obligĂ© de prendre pour que ce malheureux Ă©vĂ©nement restĂÂąt enseveli dans le silence. Mais cette ressource de complicitĂ©, qui convient Ă©galement au coupable et Ă l'innocent, ne peut suffire Ă ma dĂ©licatesse en dĂ©sirant de vous Ă©carter comme partie, je vous rĂ©clame comme mon Juge. L'estime des personnes qu'on respecte est trop prĂ©cieuse pour que je me laisse ravir la vĂÂŽtre sans la dĂ©fendre, et je crois en avoir les moyens. En effet, si vous convenez que la vengeance est permise, disons mieux, qu'on se la doit, quand on a Ă©tĂ© trahi dans son amour, dans son amitiĂ©, et surtout, dans sa confiance; si vous en convenez, mes torts vont disparaĂtre Ă vos yeux. N'en croyez pas mes discours mais lisez, si vous en avez le courage, la correspondance que je dĂ©pose entre vos mains [C'est de cette correspondance, de celle remise pareillement Ă la mort de Madame de Tourvel, et des Lettres confiĂ©es aussi Ă Madame de Rosemonde par Madame de Volanges qu'on a formĂ© le prĂ©sent Recueil, dont les originaux subsistent entre les mains des hĂ©ritiers de Madame de Rosemonde.]. La quantitĂ© de Lettres qui s'y trouvent en original paraĂt rendre authentiques celles dont il n'existe que des copies. Au reste, j'ai reçu ces papiers, tels que j'ai l'honneur de vous les adresser, de M. de Valmont lui-mĂÂȘme. Je n'y ai rien ajoutĂ©, et je n'en ai distrait que deux Lettres que je me suis permis de publier. L'une Ă©tait nĂ©cessaire Ă la vengeance commune de M. de Valmont et de moi, Ă laquelle nous avions droit tous deux, et dont il m'avait expressĂ©ment chargĂ©. J'ai cru de plus que c'Ă©tait rendre service Ă la sociĂ©tĂ© que de dĂ©masquer une femme aussi rĂ©ellement dangereuse que l'est Madame de Merteuil, et qui, comme vous pourrez le voir, est la seule, la vĂ©ritable cause de tout ce qui s'est passĂ© entre M. de Valmont et moi. Un sentiment de justice m'a portĂ© aussi Ă publier la seconde pour la justification de M. de PrĂ©van, que je connais Ă peine, mais qui n'avait aucunement mĂ©ritĂ© le traitement rigoureux qu'il vient d'Ă©prouver, ni la sĂ©vĂ©ritĂ© des jugements du public, plus redoutable encore, et sous laquelle il gĂ©mit depuis ce temps, sans avoir rien pour s'en dĂ©fendre. Vous ne trouverez donc que la copie de ces deux Lettres, dont je me dois de garder les originaux. Pour tout le reste, je ne crois pas pouvoir remettre en de plus sĂ»res mains un dĂ©pĂÂŽt qu'il m'importe peut-ĂÂȘtre qui ne soit pas dĂ©truit, mais dont je rougirais d'abuser. Je crois, Madame, en vous confiant ces papiers, servir aussi bien les personnes qu'ils intĂ©ressent, qu'en les leur remettant Ă elles-mĂÂȘmes; et je leur sauve l'embarras de les recevoir de moi, et de me savoir instruit d'aventures, que sans doute elles dĂ©sirent que tout le monde ignore. Je crois devoir vous prĂ©venir Ă ce sujet que cette correspondance ci-jointe n'est qu'une partie d'une collection bien plus volumineuse, dont M. de Valmont l'a tirĂ©e en ma prĂ©sence, et que vous devez retrouver Ă la levĂ©e des scellĂ©s, sous le titre, que j'ai vu, de Compte ouvert entre la Marquise de Merteuil et le Vicomte de Valmont . Vous prendrez, sur cet objet, le parti que vous suggĂ©rera votre prudence. Je suis avec respect, Madame, etc. Quelques avis que j'ai reçus, et les conseils de mes amis m'ont dĂ©cidĂ© Ă m'absenter de Paris pour quelque temps mais le lieu de ma retraite, tenu secret pour tout le monde, ne le sera pas pour vous. Si vous m'honorez d'une rĂ©ponse, je vous prie de l'adresser Ă la Commanderie de ... , par P ... , et sous le couvert de M. le Commandeur de ***. C'est de chez lui que j'ai l'honneur de vous Ă©crire. Paris, ce 12 dĂ©cembre 17**. LETTRE CLXX MADAME DE VOLANGES A MADAME DE ROSEMONDE Je marche, ma chĂšre amie, de surprise en surprise, et de chagrin en chagrin. Il faut ĂÂȘtre mĂšre, pour avoir l'idĂ©e de ce que j'ai souffert hier toute la matinĂ©e; et si mes plus cruelles inquiĂ©tudes ont Ă©tĂ© calmĂ©es depuis, il me reste encore une vive affliction, et dont je ne prĂ©vois pas la fin. Hier, vers dix heures du matin, Ă©tonnĂ©e de ne pas avoir encore vu ma fille, j'envoyai ma Femme de chambre pour savoir ce qui pouvait occasionner ce retard. Elle revint le moment d'aprĂšs fort effrayĂ©e, et m'effraya bien davantage, en m'annonçant que ma fille n'Ă©tait pas dans son appartement; et que depuis le matin sa Femme de chambre ne l'y avait pas trouvĂ©e. Jugez de ma situation! Je fis venir tous mes Gens, et surtout mon Portier tous me jurĂšrent ne rien savoir et ne pouvoir rien m'apprendre sur cet Ă©vĂ©nement. Je passai aussitĂÂŽt dans la chambre de ma fille. Le dĂ©sordre qui y rĂ©gnait m'apprit bien qu'apparemment elle n'Ă©tait sortie que le matin mais je n'y trouvai d'ailleurs aucun Ă©claircissement. Je visitai ses armoires, son secrĂ©taire; je trouvai tout Ă sa place et toutes ses hardes, Ă la rĂ©serve de la robe avec laquelle elle Ă©tait sortie. Elle n'avait seulement pas pris le peu d'argent qu'elle avait chez elle. Comme elle n'avait appris qu'hier tout ce qu'on dit de Madame de Merteuil, qu'elle lui est fort attachĂ©e, et au point mĂÂȘme qu'elle n'avait fait que pleurer toute la soirĂ©e; comme je me rappelais aussi qu'elle ne savait pas que Madame de Merteuil Ă©tait Ă la campagne, ma premiĂšre idĂ©e fut qu'elle avait voulu voir son amie, et qu'elle avait fait l'Ă©tourderie d'y aller seule. Mais le temps qui s'Ă©coulait sans qu'elle revĂnt me rendit toutes mes inquiĂ©tudes. Chaque moment augmentait ma peine, et tout en brĂ»lant de m'instruire, je n'osais pourtant prendre aucune information, dans la crainte de donner de l'Ă©clat Ă une dĂ©marche, que peut-ĂÂȘtre je voudrais aprĂšs pouvoir cacher Ă tout le monde. Non, de ma vie je n'ai tant souffert! Enfin, ce ne fut qu'Ă deux heures passĂ©es que je reçus Ă la fois une Lettre de ma fille, et une de la SupĂ©rieure du Couvent de ... La Lettre de ma fille disait seulement qu'elle avait craint que je ne m'opposasse Ă la vocation qu'elle avait de se faire Religieuse, et qu'elle n'avait pas osĂ© m'en parler le reste n'Ă©tait que des excuses sur ce qu'elle avait pris, sans ma permission, ce parti, que je ne dĂ©sapprouverais sĂ»rement pas, ajoutait-elle, si je connaissais ses motifs, que pourtant elle me priait de ne pas lui demander. La SupĂ©rieure me mandait qu'ayant vu arriver une jeune personne seule, elle avait d'abord refusĂ© de la recevoir; mais que l'ayant interrogĂ©e, et ayant appris qui elle Ă©tait, elle avait cru me rendre service, en commençant par donner asile Ă ma fille, pour ne pas l'exposer Ă de nouvelles courses, auxquelles elle paraissait dĂ©terminĂ©e. La SupĂ©rieure, en m'offrant comme de raison de me remettre ma fille, si je la redemandais, m'invite, suivant son Ă©tat, Ă ne pas m'opposer Ă une vocation qu'elle appelle si dĂ©cidĂ©e elle me disait encore n'avoir pas pu m'informer plus tĂÂŽt de cet Ă©vĂ©nement, par la peine qu'elle avait eue Ă me faire Ă©crire par ma fille, dont le projet Ă©tait que tout le monde ignorĂÂąt oĂÂč elle s'Ă©tait retirĂ©e. C'est une cruelle chose que la dĂ©raison des enfants! J'ai Ă©tĂ© sur-le-champ Ă ce Couvent; et aprĂšs avoir vu la SupĂ©rieure, je lui ai demandĂ© de voir ma fille; celle-ci n'est venue qu'avec peine, et bien tremblante. Je lui ai parlĂ© devant les Religieuses et je lui ai parlĂ© seule; tout ce que j'en ai pu tirer au milieu de beaucoup de larmes est qu'elle ne pouvait ĂÂȘtre heureuse qu'au Couvent; j'ai pris le parti de lui permettre d'y rester, mais sans ĂÂȘtre encore au rang des Postulantes, comme elle le demandait. Je crains que la mort de Madame de Tourvel et celle de M. de Valmont n'aient trop affectĂ© cette jeune tĂÂȘte. Quelque respect que j'aie pour la vocation religieuse, je ne verrais pas sans peine, et mĂÂȘme sans crainte, ma fille embrasser cet Ă©tat. Il me semble que nous avons dĂ©jĂ assez de devoirs Ă remplir sans nous en crĂ©er de nouveaux; et encore, que ce n'est guĂšre Ă cet ĂÂąge que nous savons ce qui nous convient. Ce qui redouble mon embarras, c'est le retour trĂšs prochain de M. de Gercourt; faudra-t-il rompre ce mariage si avantageux? Comment donc faire le bonheur de ses enfants, s'il ne suffit pas d'en avoir le dĂ©sir et d'y donner tous ses soins? Vous m'obligerez beaucoup de me dire ce que vous feriez Ă ma place; je ne peux m'arrĂÂȘter Ă aucun parti; je ne trouve rien de si effrayant que d'avoir Ă dĂ©cider du sort des autres, et je crains Ă©galement de mettre dans cette occasion-ci la sĂ©vĂ©ritĂ© d'un juge ou la faiblesse d'une mĂšre. Je me reproche sans cesse d'augmenter vos chagrins, en vous parlant des miens; mais je connais votre cĂ âur la consolation que vous pourriez donner aux autres deviendrait pour vous la plus grande que vous pussiez recevoir. Adieu, ma chĂšre et digne amie j'attends vos deux rĂ©ponses avec bien de l'impatience. Paris, ce 13 dĂ©cembre 17**. LETTRE CLXXI MADAME DE ROSEMONDE AU CHEVALIER DANCENY AprĂšs ce que vous m'avez fait connaĂtre, Monsieur, il ne reste qu'Ă pleurer et qu'Ă se taire. On regrette de vivre encore, quand on apprend de pareilles horreurs; on rougit d'ĂÂȘtre femme, quand on en voit une capable de semblables excĂšs. Je me prĂÂȘterai volontiers, Monsieur, pour ce qui me concerne, Ă laisser dans le silence et l'oubli tout ce qui pourrait avoir trait et donner suite Ă ces tristes Ă©vĂ©nements. Je souhaite mĂÂȘme qu'ils ne vous causent jamais d'autres chagrins que ceux insĂ©parables du malheureux avantage que vous avez remportĂ© sur mon neveu. MalgrĂ© ses torts, que je suis forcĂ©e de reconnaĂtre, je sens que je ne me consolerai jamais de sa perte mais mon Ă©ternelle affliction sera la seule vengeance que je me permettrai de tirer de vous; c'est Ă votre cĂ âur Ă en apprĂ©cier l'Ă©tendue. Si vous permettez Ă mon ĂÂąge une rĂ©flexion qu'on ne fait guĂšre au vĂÂŽtre, c'est que, si on Ă©tait Ă©clairĂ© sur son vĂ©ritable bonheur, on ne le chercherait jamais hors des bornes prescrites par les Lois et la Religion. Vous pouvez ĂÂȘtre sĂ»r que je garderai fidĂšlement et volontiers le dĂ©pĂÂŽt que vous m'avez confiĂ©; mais je vous demande de m'autoriser Ă ne le remettre Ă personne, pas mĂÂȘme Ă vous, Monsieur, Ă moins qu'il ne devienne nĂ©cessaire Ă votre justification. J'ose croire que vous ne vous refuserez pas Ă cette priĂšre et que vous n'ĂÂȘtes plus Ă sentir qu'on gĂ©mit souvent de s'ĂÂȘtre livrĂ© mĂÂȘme Ă la plus juste vengeance. Je ne m'arrĂÂȘte pas dans mes demandes, persuadĂ©e que je suis de votre gĂ©nĂ©rositĂ© et de votre dĂ©licatesse; il serait bien digne de toutes deux de remettre aussi entre mes mains les Lettres de Mademoiselle de Volanges, qu'apparemment vous avez conservĂ©es, et qui sans doute ne vous intĂ©ressent plus. Je sais que cette jeune personne a de grands torts avec vous mais je ne pense pas que vous songiez Ă l'en punir; et ne fĂ»t-ce que par respect pour vous-mĂÂȘme, vous n'avilirez pas l'objet que vous avez tant aimĂ©. Je n'ai donc pas besoin d'ajouter que les Ă©gards que la fille ne mĂ©rite pas sont au moins bien dus Ă la mĂšre, Ă cette femme respectable, vis-Ă -vis de qui vous n'ĂÂȘtes pas sans avoir beaucoup Ă rĂ©parer car enfin, quelque illusion qu'on cherche Ă se faire par une prĂ©tendue dĂ©licatesse de sentiments, celui qui le premier tente de sĂ©duire un cĂ âur encore honnĂÂȘte et simple se rend par lĂ mĂÂȘme le premier fauteur de sa corruption, et doit ĂÂȘtre Ă jamais comptable des excĂšs et des Ă©garements qui la suivent. Ne vous Ă©tonnez pas, Monsieur, de tant de sĂ©vĂ©ritĂ© de ma part; elle est la plus grande preuve que je puisse vous donner de ma parfaite estime. Vous y acquerrez de nouveaux droits encore, en vous prĂÂȘtant, comme je le dĂ©sire, Ă la sĂ»retĂ© d'un secret, dont la publicitĂ© vous ferait tort Ă vous-mĂÂȘme, et porterait la mort dans un cĂ âur maternel, que dĂ©jĂ vous avez blessĂ©. Enfin, Monsieur, je dĂ©sire de rendre ce service Ă mon amie; et si je pouvais craindre que vous me refusassiez cette consolation, je vous demanderais de songer auparavant que c'est la seule que vous m'ayez laissĂ©e. J'ai l'honneur d'ĂÂȘtre, etc. Du ChĂÂąteau de ..., ce 15 dĂ©cembre 17**. LETTRE CLXXII MADAME DE ROSEMONDE A MADAME DE VOLANGES Si j'avais Ă©tĂ© obligĂ©e, ma chĂšre amie, de faire venir et d'attendre de Paris les Ă©claircissements que vous me demandez concernant Madame de Merteuil, il ne me serait pas possible de vous les donner encore; et sans doute, je n'en aurais reçu que de vagues et d'incertains mais il m'en est venu que je n'attendais pas, que je n'avais pas lieu d'attendre; et ceux-lĂ n'ont que trop de certitude. Ăâ mon amie, combien cette femme vous a trompĂ©e! Je rĂ©pugne Ă entrer dans aucun dĂ©tail sur cet amas d'horreurs; mais quelque chose qu'on en dĂ©bite, assurez-vous qu'on est encore au-dessous de la vĂ©ritĂ©. J'espĂšre, ma chĂšre amie, que vous me connaissez assez pour me croire sur ma parole, et que vous n'exigerez de moi aucune preuve. Qu'il vous suffise de savoir qu'il en existe une foule, que j'ai dans ce moment mĂÂȘme entre les mains. Ce n'est pas sans une peine extrĂÂȘme que je vous fais la mĂÂȘme priĂšre de ne pas m'obliger Ă motiver le conseil que vous me demandez, relativement Ă Mademoiselle de Volanges. Je vous invite Ă ne pas vous opposer Ă la vocation qu'elle montre. SĂ»rement nulle raison ne peut autoriser Ă forcer de prendre cet Ă©tat, quand le sujet n'y est pas appelĂ©; mais quelquefois c'est un grand bonheur qu'il le soit; et vous voyez que votre fille elle-mĂÂȘme vous dit que vous ne la dĂ©sapprouveriez pas, si vous connaissiez ses motifs. Celui qui nous inspire nos sentiments sait mieux que notre vaine sagesse ce qui convient Ă chacun; et souvent, ce qui paraĂt un acte de sa sĂ©vĂ©ritĂ© en est au contraire un de sa clĂ©mence. Enfin, mon avis, que je sens bien qui vous affligera, et que par lĂ mĂÂȘme vous devez croire que je ne vous donne pas sans y avoir beaucoup rĂ©flĂ©chi, est que vous laissiez Mademoiselle de Volanges au Couvent, puisque ce parti est de son choix; que vous encouragiez, plutĂÂŽt que de contrarier, le projet qu'elle paraĂt avoir formĂ©; et que dans l'attente de son exĂ©cution, vous n'hĂ©sitiez pas Ă rompre le mariage que vous aviez arrĂÂȘtĂ©. AprĂšs avoir rempli ces pĂ©nibles devoirs de l'amitiĂ©, et dans l'impuissance oĂÂč je suis d'y joindre aucune consolation, la grĂÂące qui me reste Ă vous demander, ma chĂšre amie, est de ne plus m'interroger sur rien qui ait rapport Ă ces tristes Ă©vĂ©nements laissons-les dans l'oubli qui leur convient; et sans chercher d'inutiles et d'affligeantes lumiĂšres, soumettons-nous aux dĂ©crets de la Providence, et croyons Ă la sagesse de ses vues, lors mĂÂȘme qu'elle ne nous permet pas de les comprendre. Adieu, ma chĂšre amie. Du ChĂÂąteau de ..., ce 15 dĂ©cembre 17**. LETTRE CLXXIII MADAME DE VOLANGES A MADAME DE ROSEMONDE Oh! mon amie! de quel voile effrayant vous enveloppez le sort de ma fille! et vous paraissez craindre que je ne tente de le soulever! Que me cache-t-il donc qui puisse affliger davantage le cĂ âur d'une mĂšre, que les affreux soupçons auxquels vous me livrez? Plus je connais votre amitiĂ©, votre indulgence, et plus mes tourments redoublent vingt fois, depuis hier, j'ai voulu sortir de ces cruelles incertitudes, et vous demander de m'instruire sans mĂ©nagement et sans dĂ©tour; et chaque fois j'ai frĂ©mi de crainte, en songeant Ă la priĂšre que vous me faites de ne pas vous interroger. Enfin, je m'arrĂÂȘte Ă un parti qui me laisse encore quelque espoir; et j'attends de votre amitiĂ© que vous ne vous refuserez pas Ă ce que je dĂ©sire c'est de me rĂ©pondre si j'ai Ă peu prĂšs compris ce que vous pouviez avoir Ă me dire; de ne pas craindre de m'apprendre tout ce que l'indulgence maternelle peut couvrir, et qui n'est pas impossible Ă rĂ©parer. Si mes malheurs excĂšdent cette mesure, alors je consens Ă vous laisser en effet ne vous expliquer que par votre silence voici donc ce que j'ai su dĂ©jĂ , et jusqu'oĂÂč mes craintes peuvent s'Ă©tendre. Ma fille a montrĂ© avoir quelque goĂ»t pour le Chevalier Danceny, et j'ai Ă©tĂ© informĂ©e qu'elle a Ă©tĂ© jusqu'Ă recevoir des Lettres de lui, et mĂÂȘme jusqu'Ă lui rĂ©pondre; mais je croyais ĂÂȘtre parvenue Ă empĂÂȘcher que cette erreur d'un enfant n'eĂ»t aucune suite dangereuse aujourd'hui que je crains tout, je conçois qu'il serait possible que ma surveillance eĂ»t Ă©tĂ© trompĂ©e, et je redoute que ma fille, sĂ©duite, n'ait mis le comble Ă ses Ă©garements. Je me rappelle encore plusieurs circonstances qui peuvent fortifier cette crainte. Je vous ai mandĂ© que ma fille s'Ă©tait trouvĂ©e mal Ă la nouvelle du malheur arrivĂ© Ă M. de Valmont; peut-ĂÂȘtre cette sensibilitĂ© avait-elle seulement pour objet l'idĂ©e des risques que M. Danceny avait courus dans ce combat. Quand depuis elle a tant pleurĂ© en apprenant tout ce qu'on disait de Madame de Merteuil, peut-ĂÂȘtre ce que j'ai cru la douleur et l'amitiĂ© n'Ă©tait que l'effet de la jalousie, ou du regret de trouver son Amant infidĂšle. Sa derniĂšre dĂ©marche peut encore, ce me semble, s'expliquer par le mĂÂȘme motif. Souvent on se croit appelĂ©e Ă Dieu, par cela seul qu'on se sent rĂ©voltĂ©e contre les hommes. Enfin, en supposant que ces faits soient vrais, et que vous en soyez instruite, vous aurez pu, sans doute, les trouver suffisants pour autoriser le conseil rigoureux que vous me donnez. Cependant, s'il Ă©tait ainsi, en blĂÂąmant ma fille, je croirais pourtant lui devoir encore de tenter tous les moyens de lui sauver les tourments et les dangers d'une vocation illusoire et passagĂšre. Si M. Danceny n'a pas perdu tout sentiment d'honnĂÂȘtetĂ©, il ne se refusera pas Ă rĂ©parer un tort dont lui seul est l'auteur, et je peux croire enfin que le mariage de ma fille est assez avantageux, pour qu'il puisse en ĂÂȘtre flattĂ©, ainsi que sa famille. VoilĂ , ma chĂšre et digne amie, le seul espoir qui me reste; hĂÂątez-vous de le confirmer, si cela vous est possible. Vous jugez combien je dĂ©sire que vous me rĂ©pondiez, et quel coup affreux me porterait votre silence [Cette Lettre est restĂ©e sans rĂ©ponse] J'allais fermer ma Lettre, quand un homme de ma connaissance est venu me voir, et m'a racontĂ© la cruelle scĂšne que Madame de Merteuil a essuyĂ©e avant- hier. Comme je n'ai vu personne tous ces jours derniers, je n'avais rien su de cette aventure; en voilĂ le rĂ©cit, tel que je le tiens d'un tĂ©moin oculaire. Madame de Merteuil, en arrivant de la campagne, avant-hier Jeudi, s'est fait descendre Ă la ComĂ©die Italienne, oĂÂč elle avait sa loge; elle y Ă©tait seule, et, ce qui dut lui paraĂtre extraordinaire, aucun homme ne s'y prĂ©senta pendant tout le spectacle. A la sortie, elle entra, suivant son usage, au petit salon, qui Ă©tait dĂ©jĂ rempli de monde; sur-le-champ il s'Ă©leva une rumeur, mais dont apparemment elle ne se crut pas l'objet. Elle aperçut une place vide sur l'une des banquettes, et elle alla s'y asseoir; mais aussitĂÂŽt toutes les femmes qui y Ă©taient dĂ©jĂ se levĂšrent comme de concert, et l'y laissĂšrent absolument seule. Ce mouvement marquĂ© d'indignation gĂ©nĂ©rale fut applaudi de tous les hommes, et fit redoubler les murmures, qui, dit-on, allĂšrent jusqu'aux huĂ©es. Pour que rien ne manquĂÂąt Ă son humiliation, son malheur voulut que M. de PrĂ©van, qui ne s'Ă©tait montrĂ© nulle part depuis son aventure, entrĂÂąt dans le mĂÂȘme moment dans le petit salon. DĂšs qu'on l'aperçut, tout le monde, hommes et femmes, l'entoura et l'applaudit; et il se trouva, pour ainsi dire, portĂ© devant Madame de Merteuil, par le public qui faisait cercle autour d'eux. On assure que celle-ci a conservĂ© l'air de ne rien voir et de ne rien entendre, et qu'elle n'a pas changĂ© de figure! mais je. crois ce fait exagĂ©rĂ©. Quoi qu'il en soit, cette situation, vraiment ignominieuse pour elle, a durĂ© jusqu'au moment oĂÂč on a annoncĂ© sa voiture; et Ă son dĂ©part, les huĂ©es scandaleuses ont encore redoublĂ©. Il est affreux de se trouver parente de cette femme. M. de PrĂ©van a Ă©tĂ©, le mĂÂȘme soir, fort accueilli de tous ceux des Officiers de son Corps qui se trouvaient lĂ , et on ne doute pas qu'on ne lui rende bientĂÂŽt son emploi et son rang. La mĂÂȘme personne qui m'a fait ce dĂ©tail m'a dit que Madame de Merteuil avait pris la nuit suivante une trĂšs forte fiĂšvre, qu'on avait cru d'abord ĂÂȘtre l'effet de la situation violente oĂÂč elle s'Ă©tait trouvĂ©e; mais qu'on sait depuis hier au soir, que la petite vĂ©role s'est dĂ©clarĂ©e, confluente et d'un trĂšs mauvais caractĂšre. En vĂ©ritĂ©, ce serait, je crois, un bonheur pour elle d'en mourir. On dit encore que toute cette aventure lui fera peut-ĂÂȘtre beaucoup de tort pour son procĂšs, qui est prĂšs d'ĂÂȘtre jugĂ©, et dans lequel on prĂ©tend qu'elle avait besoin de beaucoup de faveur. Adieu, ma chĂšre et digne amie. Je vois bien dans tout cela les mĂ©chants punis; mais je n'y trouve nulle consolation pour leurs malheureuses victimes. Paris, ce 18 dĂ©cembre 17**. LETTRE CLXXIV LE CHEVALIER DANCENY A MADAME DE ROSEMONDE Vous avez raison, Madame, et sĂ»rement je ne vous refuserai rien de ce qui dĂ©pendra de moi, et Ă quoi vous paraĂtrez attacher quelque prix. Le paquet que j'ai l'honneur de vous adresser contient toutes les Lettres de Mademoiselle de Volanges. Si vous les lisez, vous ne verrez peut-ĂÂȘtre pas sans Ă©tonnement qu'on puisse rĂ©unir tant d'ingĂ©nuitĂ© et tant de perfidie. C'est, au moins, ce qui m'a frappĂ© le plus dans la derniĂšre lecture que je viens d'en faire. Mais surtout, peut-on se dĂ©fendre de la plus vive indignation contre Madame de Merteuil, quand on se rappelle avec quel affreux plaisir elle a mis tous ses soins Ă abuser de tant d'innocence et de candeur? Non, je n'ai plus d'amour. Je ne conserve rien d'un sentiment si indignement trahi; et ce n'est pas lui qui me fait chercher Ă justifier Mademoiselle de Volanges. Mais cependant, ce cĂ âur si simple, ce caractĂšre si doux et si facile, ne se seraient-ils pas portĂ©s au bien, plus aisĂ©ment encore qu'ils ne se sont laissĂ©s entraĂner vers le mal? Quelle jeune personne, sortant de mĂÂȘme du Couvent, sans expĂ©rience et presque sans idĂ©es, et ne portant dans le monde, comme il arrive presque toujours alors, qu'une Ă©gale ignorance du bien et du mal; quelle jeune personne, dis-je, aurait pu rĂ©sister davantage Ă de si coupables artifices? Ah! pour ĂÂȘtre indulgent, il suffit de rĂ©flĂ©chir Ă combien de circonstances indĂ©pendantes de nous tient l'alternative effrayante de la dĂ©licatesse, ou de la dĂ©pravation de nos sentiments. Vous me rendiez donc justice, Madame, en pensant que les torts de Mademoiselle de Volanges, que j'ai sentis bien vivement ne m'inspirent pourtant aucune idĂ©e de vengeance. C'est bien assez d'ĂÂȘtre obligĂ© de renoncer Ă l'aimer! il m'en coĂ»terait trop de la haĂÂŻr. Je n'ai eu besoin d'aucune rĂ©flexion pour dĂ©sirer que tout ce qui la concerne, et qui pourrait lui nuire, restĂÂąt Ă jamais ignorĂ© de tout le monde. Si j'ai paru diffĂ©rer quelque temps de remplir vos dĂ©sirs Ă cet Ă©gard, je crois pouvoir ne pas vous en cacher le motif; j'ai voulu auparavant ĂÂȘtre sĂ»r que je ne serais point inquiĂ©tĂ© sur les suites de ma malheureuse affaire. Dans un temps oĂÂč je demandais votre indulgence, oĂÂč j'osais mĂÂȘme croire y avoir quelques droits, j'aurais craint d'avoir l'air de l'acheter en quelque sorte par cette condescendance de ma part; et, sĂ»r de la puretĂ© de mes motifs, j'ai eu, je l'avoue, l'orgueil de vouloir que vous ne pussiez en douter. J'espĂšre que vous pardonnerez cette dĂ©licatesse, peut-ĂÂȘtre trop susceptible, Ă la vĂ©nĂ©ration que vous m'inspirez, au cas que je fais de votre estime. Le mĂÂȘme sentiment me fait vous demander, pour derniĂšre grĂÂące, de vouloir bien me faire savoir si vous jugez que j'aie rempli tous les devoirs qu'ont pu m'imposer les malheureuses circonstances dans lesquelles je me suis trouvĂ©. Une fois tranquille sur ce point; mon parti est pris; je pars pour Malte j'irai y faire avec plaisir, et y garder religieusement, des vĂ âux qui me sĂ©pareront d'un monde dont, si jeune encore, j'ai dĂ©jĂ eu tant Ă me plaindre; j'irai enfin chercher Ă perdre, sous un ciel Ă©tranger, l'idĂ©e de tant d'horreurs accumulĂ©es, et dont le souvenir ne pourrait qu'attrister et flĂ©trir mon ĂÂąme. Je suis avec respect, Madame, votre trĂšs humble, etc. Paris, ce 26 dĂ©cembre 17**. LETTRE CLXXV MADAME DE VOLANGES A MADAME DE ROSEMONDE Le sort de Madame de Merteuil paraĂt enfin rempli, ma chĂšre et digne amie, et il est tel que ses plus grands ennemis sont partagĂ©s entre l'indignation qu'elle mĂ©rite, et la pitiĂ© qu'elle inspire. J'avais bien raison de dire que ce serait peut- ĂÂȘtre un bonheur pour elle de mourir de sa petite vĂ©role. Elle en est revenue, il est vrai, mais affreusement dĂ©figurĂ©e; et elle y a particuliĂšrement perdu un oeil. Vous jugez bien que je ne l'ai pas revue mais on m'a dit qu'elle Ă©tait vraiment hideuse. Le Marquis de ***, qui ne perd pas l'occasion de dire une mĂ©chancetĂ©, disait hier, en parlant d'elle, que la maladie l'avait retournĂ©e, et qu'Ă prĂ©sent son ĂÂąme Ă©tait sur sa figure. Malheureusement tout le monde trouva que l'expression Ă©tait juste. Un autre Ă©vĂ©nement vient d'ajouter encore Ă ses disgrĂÂąces et Ă ses torts. Son procĂšs a Ă©tĂ© jugĂ© avant-hier, et elle l'a perdu tout d'une voix. DĂ©pens, dommages et intĂ©rĂÂȘts, restitution des fruits, tout a Ă©tĂ© adjugĂ© aux mineurs en sorte que le peu de sa fortune qui n'Ă©tait pas compromis dans ce procĂšs est absorbĂ©, et au-delĂ , par les frais. AussitĂÂŽt qu'elle a appris cette nouvelle, quoique malade encore, elle a fait ses arrangements, et est partie seule dans la nuit et en poste. Ses Gens disent, aujourd'hui, qu'aucun d'eux n'a voulu la suivre. On croit qu'elle a pris la route de la Hollande. Ce dĂ©part fait plus crier encore que tout le reste; en ce qu'elle a emportĂ© ses diamants, objet trĂšs considĂ©rable, et qui devait rentrer dans la succession de son mari; son argenterie, ses bijoux; enfin, tout ce qu'elle a pu; et qu'elle laisse aprĂšs elle pour prĂšs de 50000 livres de dettes. C'est une vĂ©ritable banqueroute. La famille doit s'assembler demain pour voir Ă prendre des arrangements avec les crĂ©anciers. Quoique parente bien Ă©loignĂ©e, j'ai offert d'y concourir mais je ne me trouverai pas Ă cette assemblĂ©e, devant assister Ă une cĂ©rĂ©monie plus triste encore. Ma fille prend demain l'habit de Postulante. J'espĂšre que vous n'oubliez pas, ma chĂšre amie, que dans ce grand sacrifice que je fais, je n'ai d'autre motif, pour m'y croire obligĂ©e, que le silence que vous avez gardĂ© vis- Ă -vis de moi. M. Danceny a quittĂ© Paris, il y a prĂšs de quinze jours. On dit qu'il va passer Ă Malte, et qu'il a le projet de s'y fixer. Il serait peut-ĂÂȘtre encore temps de le retenir?... Mon amie!... ma fille est donc bien coupable?... Vous pardonnerez sans doute Ă une mĂšre de ne cĂ©der que difficilement Ă cette affreuse certitude. Quelle fatalitĂ© s'est donc rĂ©pandue autour de moi depuis quelque temps, et m'a frappĂ©e dans les objets les plus chers! Ma fille, et mon amie! Qui pourrait ne pas frĂ©mir en songeant aux malheurs que peut causer une seule liaison dangereuse! et quelles peines ne s'Ă©viterait-on point en y rĂ©flĂ©chissant davantage! Quelle femme ne fuirait pas au premier propos d'un sĂ©ducteur? Quelle mĂšre pourrait, sans trembler, voir une autre personne qu'elle parler Ă sa fille? Mais ces rĂ©flexions tardives n'arrivent jamais qu'aprĂšs l'Ă©vĂ©nement; et l'une des plus importantes vĂ©ritĂ©s, comme aussi peut-ĂÂȘtre des plus gĂ©nĂ©ralement reconnues, reste Ă©touffĂ©e et sans usage dans le tourbillon de nos mĂ âurs inconsĂ©quentes. Adieu, ma chĂšre et digne amie; j'Ă©prouve en ce moment que notre raison, dĂ©jĂ si insuffisante pour prĂ©venir nos malheurs, l'est encore davantage pour nous en consoler. Paris, ce 14 janvier 17**. [Des raisons particuliĂšres et des considĂ©rations que nous nous ferons toujours un devoir de respecter nous forcent de nous arrĂÂȘter ici. Nous ne pouvons, dans ce moment, ni donner au Lecteur la suite des aventures de Mademoiselle de Volanges, ni lui faire connaĂtre les sinistres Ă©vĂ©nements qui ont comblĂ© les malheurs ou achevĂ© la punition de Madame de Merteuil. Peut-ĂÂȘtre quelque jour nous sera-t-il permis de complĂ©ter cet Ouvrage; mais nous ne pouvons prendre aucun engagement Ă ce sujet et quand nous le pouvons, nous croirions encore devoir auparavant consulter le goĂ»t du Public, qui n'a pas les mĂÂȘmes raisons que nous de s'intĂ©resser Ă cette lecture. Note de l'Ă©diteur] Affichepour rendez vous non honorĂ© JULIE - SMS : CrĂ©ation rappel RDV « Elle dit Oui puis non » Ă©cris lui CE SMS [ĂTUDE DE CAS] 2 008 Rendez vous; Live Demo Chirurgiens La confirmation d'un rendez-vous peut s'avĂ©rer trĂšs importante car elle valide une date d'entretien. Ce modĂšle de lettre pour confirmer un rendez-vous vous permettra de prĂ©venir votre interlocuteur et ainsi donner Ă cette entrevue un caractĂšre dĂ©finitif. La confirmation d'un rendez-vous peut ĂȘtre effectuĂ©e par courrier ou par mail. Si aujourd'hui peu de personne l'utilise, elle permet Ă l'ensemble des participants d'une rĂ©union ou d'un simple rendez-vous de renseigner prĂ©cisĂ©ment leurs agendas et ainsi bloquer les dates et heures. Il s'agit par ce courrier de valider une demande de rendez-vous, les participants sont donc avertis que le rendez-vous aura bien lieu. Ce modĂšle de confirmation de rendez-vous est Ă tĂ©lĂ©charger au format PDF et Word. Ce document est Ă utiliser si vous avez fixĂ© un rendez-vous avec une ou plusieurs personnes et que vous souhaitez confirmer celui-ci. Nous vous proposons Ă©galement de tĂ©lĂ©charger notre lettre pour annuler une rĂ©union ou un rendez-vous. Paris, le 17 aoĂ»t 2022. Objet confirmation du rendez-vous [PrĂ©cisez la date et l'heure du rendez-vous] Madame, Monsieur, Par la prĂ©sente, je fais suite Ă notre [entretien / conversation tĂ©lĂ©phonique/ Ă©change d'emails] durant lequel nous avions Ă©voquĂ© une future rencontre pour [indiquez le motif du rendez-vous]. Ainsi, je vous confirme que ce rendez-vous peut avoir lieu le [Indiquez la date et l'heure du rendez-vous] au [indiquez prĂ©cisĂ©ment l'adresse]. Cette rencontre permettra de [Indiquez l'objet exact de la rĂ©union, de l'entretien, du rendez-vous]. Je reste Ă votre disposition pour tout renseignement complĂ©mentaire concernant cette entrevue / ce rendez-vous. Dans cette attente, je vous prie de recevoir, Madame, Monsieur, nos respectueuses salutations. Notre modĂšle de lettre Lettre pour confirmer un rendez-vous » vous est proposĂ© gratuitement sur ! Modifiez ou utilisez gratuitement ce modĂšle de lettre pour rĂ©diger votre courrier. Vous pouvez aussi tĂ©lĂ©charger et imprimer la lettre Lettre pour confirmer un rendez-vous » Rendezvous non honorĂ©. Mon rendez-vous de ce matin pour installation de ma ligne internet nâa pas Ă©tĂ© honorĂ©. Les conseillers par chat nâont Ă©tĂ© dâaucune aide toute la journĂ©e, avez vous un numĂ©ro de tĂ©lĂ©phone pour que je puisse au moins prendre un nouveau rendez-vous ? En vous remerciant !
Vous ĂȘtes ici Par F. Na le 09-07-2013 La CSMF avait dĂ©jĂ alertĂ© lâopinion publique sur lâampleur des lapins des patients, ces rendez-vous non honorĂ©s. Le syndicat lance maintenant une campagne de sensibilisation avec des affiches Ă tĂ©lĂ©charger et Ă afficher dans les cabinets. "Si vous ne pouvez pas venir Ă un rendez-vous, prĂ©venez votre mĂ©decin ! Câest simple comme un coup de fil !", rappelle lâaffiche, qui souligne aussi que les rendez-vous non honorĂ©s auraient pu rendre service Ă dâautres patients. Une Ă©tude rĂ©alisĂ©e par lâURPS-ML de Franche-ComtĂ© avait permis de mettre des chiffres sur un problĂšme... LâaccĂšs Ă la totalitĂ© de lâarticle est rĂ©servĂ© aux professionnels de santĂ©. Vous ĂȘtes professionnel de santĂ© ? Rejoignez-nous ! 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Les autres informations Ă afficher En plus des tarifs de vos honoraires, vous devez aussi afficher de maniĂšre visible et lisible dans votre salle d'attente ou, Ă dĂ©faut, dans votre lieu d'exercice, un des textes suivants, correspondant Ă votre situation conventionnelle Vous devez afficher le texte suivant Votre mĂ©decin applique les tarifs de remboursement de l'Assurance Maladie. Ces tarifs ne peuvent pas ĂȘtre dĂ©passĂ©s, sauf dans deux cas exigence exceptionnelle de votre part, s'agissant de l'horaire ou du lieu de la consultation ; non-respect par vous-mĂȘme du parcours de soins. Si votre mĂ©decin vous propose de rĂ©aliser certains actes qui ne sont pas remboursĂ©s par l'Assurance Maladie, il doit obligatoirement vous en informer. Dans tous les cas citĂ©s ci-dessus oĂč votre mĂ©decin fixe librement ses honoraires ou ses dĂ©passements d'honoraires, leur montant doit ĂȘtre dĂ©terminĂ© avec tact et mesure. » Vous devez afficher le texte suivant Votre mĂ©decin dĂ©termine librement ses honoraires. Ils peuvent donc ĂȘtre supĂ©rieurs au tarif du remboursement par l'Assurance Maladie. Si votre mĂ©decin vous propose de rĂ©aliser certains actes qui ne sont pas remboursĂ©s par l'Assurance Maladie, il doit obligatoirement vous en informer. Dans tous les cas, il doit fixer ses honoraires avec tact et mesure. Si vous bĂ©nĂ©ficiez de la couverture maladie universelle complĂ©mentaire, votre mĂ©decin doit appliquer le tarif de remboursement de l'Assurance Maladie. » Vous devez afficher le texte suivant Votre mĂ©decin n'est pas conventionnĂ© ; il dĂ©termine librement le montant de ses honoraires. Le remboursement de l'Assurance Maladie se fait sur la base des tarifs d'autoritĂ©, dont le montant est trĂšs infĂ©rieur aux tarifs de remboursement pour les mĂ©decins conventionnĂ©s. Si votre mĂ©decin vous propose de rĂ©aliser certains actes qui ne sont pas remboursĂ©s par l'Assurance Maladie, il doit obligatoirement vous en informer. Dans tous les cas, il doit fixer ses honoraires avec tact et mesure. » Les sanctions en cas de non-respect PrĂ©vues par le Code de la santĂ© publique, ces dispositions sur l'obligation d'affichage des tarifs d'honoraires pratiquĂ©s vous concernent si vous recevez des patients. Le fait de ne pas afficher ces informations relatives aux tarifs d'honoraires dans les conditions prĂ©vues vous expose aux sanctions suivantes Les agents habilitĂ©s vous notifieront un rappel de la rĂ©glementation mentionnant la date du contrĂŽle, les faits constatĂ©s ainsi que le montant maximum de l'amende administrative encourue. Vous disposerez alors d'un dĂ©lai de quinze jours pour vous mettre en conformitĂ© avec la rĂ©glementation. Le reprĂ©sentant de l'Ătat dans votre dĂ©partement vous notifiera les manquements reprochĂ©s et le montant de l'amende administrative envisagĂ©e. Vous pourrez alors prĂ©senter vos observations Ă©crites ou orales, assistĂ© le cas Ă©chĂ©ant d'une personne de votre choix, dans le dĂ©lai de quinze jours francs Ă compter de la notification. Ă l'issue de ce dĂ©lai, le reprĂ©sentant de l'Ătat pourra prononcer une amende administrative dont le montant ne peut excĂ©der 3 000 âŹ. Il vous la notifiera en vous indiquant le dĂ©lai dans lequel vous devez vous en acquitter et les voies de recours qui vous sont ouvertes. Ă noter que l'amende est recouvrĂ©e conformĂ©ment aux dispositions des articles 76 Ă 79 du dĂ©cret n° 62-1587 du 29 dĂ©cembre 1962 portant rĂšglement gĂ©nĂ©ral sur la comptabilitĂ© publique.
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NotreDS9 Faubourg Saint HonorĂ© s'attaque sans aucun complexe Ă une Mercedes Maybach Pullman. Aussi pour rĂ©tablir lâĂ©quilibre et tenir la dragĂ©e haute Ă notre CitroĂ«n C5 X prĂ©sidentielle
SONDAGE - La quasi-totalitĂ© des soignants ont des patients qui ne viennent pas Ă un rendez-vous sans prĂ©venir. Des dĂ©fections qui ne sont pas sans consĂ©quences sur leur organisation de travail. Sur Twitter, ils sâen agacent, sâen amusent et sâen dĂ©solent. Alors que les professionnels manquent et quâobtenir un rendez-vous dans la journĂ©e relĂšve parfois de la gageure, les mĂ©decins comptent moins leurs heures de travail que⊠les lapins. Ces rendez-vous pris et non honorĂ©s, sans prĂ©venir ni mĂȘme sâen excuser Ă la visite suivante. Presque tous les mĂ©decins y sont confrontĂ©s, selon un sondage Odoxa rĂ©alisĂ© par Odoxa pour la Mutuelle Nationale des Hospitaliers * 97% des professionnels de santĂ© exerçant en ville dĂ©clarent avoir dĂ©jĂ subi une semblable dĂ©fection ; et ce nâest pas beaucoup mieux Ă lâhĂŽpital, oĂč 90% des soignants ont dĂ©jĂ eu une consultation non honorĂ©e par un patient. Mais si cela concerne une majoritĂ© de mĂ©decins, les lapins semblent cependant ĂȘtre la spĂ©cialitĂ© dâun petit nombre de malades Ă moins que ces derniers ne se voilent la face⊠ils ne sont que» 15% mais 31% des 25-34 ans! Ă avoir dĂ©jĂ posĂ© un lapin» Ă un professionnel de santĂ©, dont les deux cinquiĂšme plus dâune fois. » LIRE AUSSI - MĂ©decins le dĂ©lai dâattente pour obtenir un rendez-vous rĂ©gion par rĂ©gion Bien sĂ»r, il y a les impondĂ©rables une urgence qui vous empĂȘche de venir 17% des sondĂ©s ayant manquĂ© un rendez-vous, un imprĂ©vu qui vous retarde sans possibilitĂ© de prĂ©venir 14%... Mais la moitiĂ© des patients qui ont dĂ©jĂ fait dĂ©faut en conviennent ils ont tout simplement... oubliĂ© le rendez-vous. Et les victimes de ces dĂ©fections ne sont pas dupes, ils ont mĂȘme la dent dure contre les indĂ©licats pour 80% des soignants, les patients qui ne sont pas venus sâen fichaient, nâayant plus besoin de rendez-vous et nâayant pas jugĂ© utile de prĂ©venir 43%, ou ont oubliĂ© le rendez-vous 37% Est-ce un problĂšme? Oui, sans aucun doute possible, car cela reprĂ©sente un manque Ă gagner pour les soignants et a des rĂ©percussions importantes sur lâorganisation du travail de 70% dâentre eux. Ils pourront au moins se consoler en sachant que 88% des Français sondĂ©s conviennent que ne pas venir sans prĂ©venir a des consĂ©quences, en particulier parce que cela dĂ©sorganise le mĂ©decin et prive quelquâun dâautre de rendez-vous».28 millions de rendez-vous ratĂ©s par an Dans une enquĂȘte menĂ©e en 2015 auprĂšs de prĂšs de mĂ©decins par lâUnion rĂ©gionale des professionnels de santĂ© URPS Ile-de-France, ces rendez-vous non honorĂ©s reprĂ©sentaient la bagatelle de⊠40 minutes de consultation perdue en moyenne par jour et par mĂ©decin. Une autre Ă©tude menĂ©e en Franche-ComtĂ© par lâURPS, en 2013, aboutissait au chiffre vertigineux de quelque consultations non honorĂ©es par les patients dans la rĂ©gion; un chiffre qui, extrapolĂ© Ă la France entiĂšre, reviendrait Ă ... 28 millions de rendez-vous ratĂ©s chaque annĂ©e! Lâune des solutions rĂ©side-t-elle dans les plates-formes de prises de rendez-vous en ligne? Pour une majoritĂ© de français 72% et de professionnels de santĂ© 60%, celles-ci incitent les patients Ă mieux respecter leurs rendez-vous, notamment en le leur rappelant par SMS ou mail. Certaines offrent mĂȘme de bloquer» les patients habituĂ©s des lapins, en les forçant Ă passer par le secrĂ©tariat tĂ©lĂ©phonique. Ă lâAssistance publique - HĂŽpitaux de Paris AP-HP, la prise de rendez-vous par le leader du secteur, Doctolib, aurait facilitĂ© la chasse aux lapins», avec une baisse de 8% des rendez-vous non honorĂ©s au bout dâun mois, et 60% des annulations converties en nouveaux rendez-vous, selon une Ă©tude de la chaire Hospinnomics AP-HP et Ăcole dâĂ©conomie de Paris. Patients, sachez-le si vous prenez la mauvaise habitude de ne pas venir sans prĂ©venir, les mĂ©decins pourraient vous sanctionner. Le code de la santĂ© publique indique clairement que les honoraires ne peuvent ĂȘtre rĂ©clamĂ©s quâĂ lâoccasion dâactes rĂ©ellement effectuĂ©s». Mais il prĂ©cise aussi que hors le cas dâurgence et celui oĂč il manquerait Ă ses devoirs dâhumanitĂ©, un mĂ©decin a le droit de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles». * Sondage rĂ©alisĂ© auprĂšs de 1003 personnes reprĂ©sentatives de la population française ĂągĂ©e de 18 ans et plus, et de 1267 professionnels de santĂ© dont 1 065 exerçant Ă lâhĂŽpital.
CityaSaint HonorĂ© Cannes met tout en Ćuvre pour vendre au prix que vous ĂȘtes en droit dâobtenir. Si vous cherchez Ă louer un logement de type 2 en fonction de votre utilisation des transports en commun, ou de type 5 avec en ligne de mire la proximitĂ© des Ă©coles, lâagence saura trouver le cadre de vie idĂ©al selon les critĂšres que vous vous ĂȘtes fixĂ©s.COEUR DE PIRATE Spectacle musicalïCALUIRE ET CUIRE 69300ïLe 17/09/2022 Ă 2030Le concert de CÂUR DE PIRATE initialement prĂ©vu le 23 mars 2021 Ă 20h30 est reportĂ© au mercredi 15 dĂ©cembre 2021 Ă 20h30, est Ă nouveau reportĂ© au 17/09/2022 Ă 20h30. Les billets initiaux restent valables pour la nouvelle date. Douze ans aprĂšs la sor tie de son rafraĂźchissant premier opus, CÂur de Pirate occupe toujours une place majeure dans la pop francophone. A l'Ă©poque, le refrain de Comme des enfants», premiĂšre pĂ©pite piano- voix de l'ar tiste canadienne, Ă©tait sur toutes les lĂšvres. Blonde» 2011 et Roses» 2014 ont confirmĂ© un talent brut touchant au sublime avec son quatriĂšme opus, En cas de tempĂȘte, ce jardin sera fermé», publiĂ© en 2018. DĂšs le premier morceau Somnambule», on est transpor tĂ© par la vibrante mĂ©lodie et la sincĂ©ritĂ© des mots de BĂ©atrice Mar tin. Toujours aussi Ă©corchĂ©e vive, la trentenaire est une fidĂšle habituĂ©e du Radiant-Bellevue. AprĂšs avoir sor ti MontrĂ©al de sa torpeur indie-rock, CÂur de Pirate nous rĂ©ser ve un nouveau show enivrant Ă souhaitLes Escales Musicales Troiad ar C'herdin Musique, ConcertïPerros-Guirec 22700ïLe 18/09/2022"Les Escales Musicales" c'est une sĂ©rie de 7 concerts organisĂ©s en extĂ©rieur du 26 juin au 18 septembre 2022. Venez apprĂ©cier une programmation musicale variĂ©e, pleine de dĂ©couvertes et de rencontres dans diffĂ©rents lieux de Perros-Guirec. Une occasion de se rĂ©inventer pour stimuler notre imaginaire et ouvrir le champ des possibles. Profitez, partager⊠La culture est une fois de plus au rendez-vous pour vous Ă©merveiller et voir la vie en Roz ! DIMANCHE 04 SEPTEMBRE Rendez-vous square Pierre Geffroy derriĂšre l'Ă©glise Concert de Musiques Trad' de 16h Ă 17h30 GRATUITExposition de poupĂ©es anciennes ExpositionïPlouĂ©nan 29420ïDu 05/07/2022 au 08/09/2022DĂ©couvrez la riche exposition de poupĂ©es anciennes en costumes de Haute et Basse Bretagne. Tous les mardis, mercredis et jeudis. L'Association IJIN HA SPERED AR VRO savoir-faire et esprit du pays, propose les mardis, mercredis et jeudis de 14 Ă 18 heures - Le fond habituel Les coiffes en filet nouĂ©, brodĂ©, en tulle brodĂ©, en dentelles, authentiques ou recrĂ©es Ă l'identique, les costumes traditionnels du dĂ©but du siĂšcle, dont cette annĂ©e 5 robes de baptĂȘme d'Ă©poque en tulle et filet. Les piĂšces anciennes en filet, linge de maison, art religieux, etc. Les Ă©tudes sur 29 coiffes, en collaboration avec les services du patrimoine culturel rĂ©gional. et - Une exposition temporaire de poupĂ©es en costumes traditionnels, de 20 Ă 60 cm, dont d'authentiques poupĂ©es LE MINOR. La Maison Le Minor a Ă©tĂ© fondĂ©e par Marie-Anne Le Minor en 1936 Ă Pont LâAbbĂ© LâidĂ©e lui vint au dĂ©part de dĂ©velopper les PoupĂ©es de Bretagne », sa premiĂšre crĂ©ation, en sâinspirant des habits bretons et du savoir-faire local, pour en faire de vĂ©ritable poupĂ©es de collection. EntourĂ©e dâune main-dâĆuvre fĂ©minine abondante dans le Pays Bigouden, elle dĂ©cida de crĂ©er des emplois dans un atelier[...]Kermesse Bretonne Gou'Mikel Chorale - Chant, Vie associativeïMoĂ«lan-sur-Mer 29350ïLe 18/09/2022Dans le cadre des journĂ©es du patrimoine, kermesse bretonne GouâMikel » Saint Michel organisĂ©e par lâassociation Pregomp Asambles, place Lindenfelds Ă MoĂ«lan sur Mer. Jeux traditionnels bretons en libre service, exposition de costumes moĂ«lanais, concert des enfants chants en bretons, mini Fest Deiz, dĂ©monstrations de danse bretonne, petite restauration, animations diverses autour de la langue et de la culture bretonnes. AccĂšs libre. Avec la participation des associations MoĂ«lan Patrimoine et Tradition, Lagadenn, Molan Douar ar Mor, FEA, BleunioĂč Lann an AvenLe vinyle et la musique bretonne Musique, Musique traditionnelleïPaimpol 22500ïDu 06/09/2022 au 01/10/2022Bien connu des acteurs culturels de Bretagne et notamment du TrĂ©gor-GoĂ«lo Julien Cornic Ti Ar VRo, DASTUM, etc. a rĂ©uni une collection impressionnante de vinyles de musique bretonne. Avec cette collection, câest une grande partie de lâhistoire de la musique bretonne qui est retracĂ©e. AccompagnĂ©e de panneaux explicatifs 4, cette exposition met aussi en lumiĂšre lâincroyable production et Ă©dition de la musique bretonne des annĂ©e 60 Ă nos des Arts Exposition, SculptureïChĂąteaubourg 35220ïDu 01/05/2022 au 15/09/2022Une nouvelle fois, pour ses 20 ans, le parc d'Ar Milin, somptueux Ă©crin de verdure se transforme en galerie Ă ciel ouvert, peuplĂ©e d'imposantes sculptures. Un parcours semĂ© d'imprĂ©vus pour curieux et rĂȘveurs, Ă dĂ©couvrir de jour comme de nuit !Exposition Les saints celtiques ExpositionïClĂ©den-Cap-Sizun 29770ïDu 01/07/2022 au 15/09/2022Les saints bretons Entre Histoire, lĂ©gendes & mythologie Sur les pas des saints panceltiques Les saints les plus vĂ©nĂ©rĂ©s Ă©taient les vieux saints ar zent koz, venus Ă©vangĂ©liser l'Armorique au VĂšme siĂšcle. Ces saints de l'Ă©migration bretonne Ă©taient nĂ©s en Galles, Cornwall ou Irlande et sont toujours honorĂ©s des deux cĂŽtĂ©s de la / Serveuse de restaurantEmploi ïSĂ©nĂ©, 56, Morbihan, BretagneL'Ă©tablissement AR GOUELENN recherche un serveur / une serveuse pour la saison L'Ă©tablissement est ouvert du mardi au dimanche Poste Ă pourvoir dĂšs que possible. Premier contact par tĂ©lĂ©phone. N'hĂ©sitez pas Ă laisser un message tĂ©lĂ©phonique. Vous pouvez Ă©galement nous rencontrer Ă l'Ă©tablissement 4 Place de l'Ă©glise SĂ©nĂ©EmployĂ© polyvalent / EmployĂ©e polyvalente de libre-serviceEmploi ïArs-sur-Moselle, 57, Moselle, Grand EstAvec PROXI, rĂ©vĂ©lez vos talents... Nous rejoindre, c'est rejoindre une entreprise qui agit au quotidien avec l'ensemble de ses Ă©quipes, pour rĂ©inventer un commerce plus Humain au travers de la PROXI'mitĂ©. Nous vous apportons un mĂ©tier qui a du sens, un management de proximitĂ©, une responsabilisation partagĂ©e et l'opportunitĂ© d'Ă©voluer parmi nos 1400 supĂ©rettes de proximitĂ©. Nous recherchons un EmployĂ© Polyvalent N1 F/H pour notre hypermarchĂ© d'Ars-sur-Moselle en contrat d'apprentissage en CAP Vendeur Conseil. En dĂ©tails, ça donne quoi ? Vous contribuez Ă la disponibilitĂ© des produits pour les clients. Vous assurez les flux de marchandises des zones de rĂ©ception au magasin. Vous disposez et prĂ©sentez les articles ou produits et vous vous assurez que les prix affichĂ©s soient corrects. Vous maintenez un environnement accueillant et sĂ©curisant pour les clients et les collaborateurs. Vous rĂ©alisez des opĂ©rations de montage, de nettoyage, de rangement du magasin et des zones de rĂ©ception / de rĂ©serve. Vous veillez Ă la qualitĂ© des produits vendus. Vous repĂ©rez les marchandises non vendables, vous les enlevez, les triez et les enregistrez. Parce que votre[...]EmployĂ© polyvalent / EmployĂ©e polyvalente de libre-serviceEmploi ïArs-sur-Moselle, 57, Moselle, Grand EstAvec PROXI, rĂ©vĂ©lez vos talents... Nous rejoindre, c'est rejoindre une entreprise qui agit au quotidien avec l'ensemble de ses Ă©quipes, pour rĂ©inventer un commerce plus Humain au travers de la PROXI'mitĂ©. Nous vous apportons un mĂ©tier qui a du sens, un management de proximitĂ©, une responsabilisation partagĂ©e et l'opportunitĂ© d'Ă©voluer parmi nos 1400 supĂ©rettes de proximitĂ©. Nous recherchons un EmployĂ© Polyvalent N1 F/H pour notre hypermarchĂ© d'ARS SUR MOSELLE. En dĂ©tails, ça donne quoi ? Vous contribuez Ă la disponibilitĂ© des produits pour les clients. Vous assurez les flux de marchandises des zones de rĂ©ception au magasin. Vous disposez et prĂ©sentez les articles ou produits et vous vous assurez que les prix affichĂ©s soient corrects. Vous maintenez un environnement accueillant et sĂ©curisant pour les clients et les collaborateurs. Vous rĂ©alisez des opĂ©rations de montage, de nettoyage, de rangement du magasin et des zones de rĂ©ception / de rĂ©serve. Vous veillez Ă la qualitĂ© des produits vendus. Vous repĂ©rez les marchandises non vendables, vous les enlevez, les triez et les enregistrez. Parce que votre prioritĂ©, c'est la satisfaction des clients ![...]Conducteur / Conductrice de machines Ă vendangerEmploi ïArs, 16, Charente, Nouvelle-AquitaineAGEM 16 est un groupement d'employeurs dĂ©partemental en pleine expansion. Pour rĂ©pondre, tout au long de l'annĂ©e, aux besoins de main d'Ćuvre de nos adhĂ©rents, nous recherchons rĂ©guliĂšrement de nouveaux collaborateursrices. Nous garantissons jusqu'Ă 8 mois de travail sur l'annĂ©e. Si besoin, nous proposons des formations pour complĂ©ter les savoir-faire. Nous vous proposons 1 poste de Conducteur de Machine Ă vendanger H/F Ă Ars Pour les vendanges qui auront lieu dĂ©but septembre, nous vous proposons un poste de conducteur de machine Ă vendanger H/F. Vous devrez conduire la machine Ă vendanger sur plusieurs parcelles de nos adhĂ©rents. Heures supplĂ©mentaires, salaire en fonction de la grille de la convention nationale agricole et votre expĂ©rience. Une premiĂšre expĂ©rience est OBLIGATOIREAssistant / Assistante de service socialEmploi ïNancy, 54, Meurthe-et-Moselle, Grand EstDans le cadre des activitĂ©s de la Structure de Premier Accueil des Demandeurs d'Asile SPADA, l'association ARS recrute un intervenant social en CDD. ModalitĂ©s Missions gĂ©nĂ©rales - PrĂ©-accueil des personnes primo-arrivantes sur le territoire français, - Accompagnement social et administratif des demandeurs d'asile, - Assurer l'accueil, l'orientation, l'accompagnement social et administratif de personnes ayant obtenu un statut. ActivitĂ©s spĂ©cifiques - Accompagner les usagers domiciliĂ©s Ă la SPADA dans la dĂ©marche de demande d'asile, rĂ©examen et de recours, - Expliquer les courriers et avancĂ©es dans les dĂ©marches, - Orienter les personnes primo-arrivantes vers les structures susceptibles de rĂ©pondre Ă leurs besoins, - Travail en lien avec des partenaires tels l'OFII, l'OFPRA, les services de ma prĂ©fecture, Profil - exigences - Etre titulaire d'un diplĂŽme de travail social ES/AS ou Ă©quivalent, - Savoir analyser les situations sociales, - Ătre rĂ©actif et dynamique en lien avec l'Ă©volution du service, - CapacitĂ© Ă communiquer et Ă travailler en Ă©quipe, - Pouvoir apprĂ©hender la barriĂšre de la langue en utilisant des outils adaptĂ©s, - MaĂźtriser les techniques d'entretien, -[...]Enseignant / Enseignante des Ă©colesEmploi ïSaint-Brieuc, 22, CĂŽtes-d'Armor, BretagneL'EPSMS Ar Goued, Etablissement Public MĂ©dico-Social autonome, recherche pour son DISPOSITIF intĂ©grĂ© Service de Soutien Ă l'Education Familiale et Ă la Scolarisation SSEFS et Institut d'Education Sensorielle IES accompagnant 250 enfants et adolescents ĂągĂ©s de 3 Ă 25 ans prĂ©sentant une dĂ©ficience auditive ou des troubles de la communication ou spĂ©cifiques des apprentissages avec ou sans troubles associĂ©s Un/Une Enseignante SpĂ©cialisĂ©e Ă 100%. Il/elle a pour missions principales - Participer en Ă©quipe transdisciplinaire Ă l'Ă©laboration, Ă la mise en Ćuvre et Ă l'Ă©valuation des compĂ©tences du socle commun de l'Ăducation Nationale et des projets personnalisĂ©s des enfants et adolescents accompagnĂ©s en lien avec leurs parents et les partenaires, et dans ce cadre, assurer les missions de rĂ©fĂ©rent pĂ©dagogique, - Assurer un soutien spĂ©cialisĂ© auprĂšs des enfants accompagnĂ©s, des actions d'enseignement et de remĂ©diation pĂ©dagogique, prĂ©venir les difficultĂ©s et tenter d'y remĂ©dier en adaptant son enseignement, les situations d'apprentissage et les supports de communication Ă leurs besoins, en lien avec les enseignants des Ă©coles d'accueil, - Assurer des sĂ©ances d'enseignement[...]Responsable de boutique h/fEmploi AgroalimentaireïArs-en-RĂ©, 17, Charente-Maritime, Nouvelle-AquitaineNous recherchons pour l'un de nos clients basĂ© Ă ARS en RĂ© , un ou une Responsable de boutique Vos missions Vente des produits de la CoopĂ©rative Accueil des clients. PrĂ©sentation des produits, explications de notre mĂ©tier marais salants, production de sel Gestion des stocks du point de vente Approvisionnement des produits et commande auprĂšs des autres fournisseurs. RĂ©alisation des inventaires, tenue de la caisse, gestion des tarifs et des marges. GĂ©rer la communication et le site internet vente par internet. En collaboration avec notre comptable Etablir la comptabilitĂ©, gĂ©rer la trĂ©sorerie, recruter votre collaborateur en Ă©tĂ© d'avril Ă octobre. Communication Participer aux actions de communication expositions, marchĂ©s, salons locaux avec la commissions communication ReprĂ©senter la coopĂ©rative lors de certains Ă©vĂ©nements. Tenir en bon Ă©tat les locaux, ĂȘtre force de proposition des amĂ©nagements d'accueil En collaboration avec notre maintenance, ĂȘtre garant du bon Ă©tat des locaux. CompĂ©tences informatique Logiciel de caisse, Word, Excel, Power PointAdjoint responsable d'exploitation h/fEmploi AgroalimentaireïArs-en-RĂ©, 17, Charente-Maritime, Nouvelle-AquitainePour l'un de nos clients , basĂ© a Ars en RĂ©, nous recherchons un ou une adjointe d'exploitation Vos missions AprĂšs une pĂ©riode de formation Ă nos produits et Ă nos procĂ©dĂ©s, les missions seront les suivantes - Suivi des plannings et ordonnancement des productions - Approvisionnement en emballages et ingrĂ©dients - Suivi du documentaire qualitĂ© - Suivi des indicateurs production, qualitĂ© et sĂ©curitĂ© - Optimisation du fonctionnement des outils de production conditionnement du sel. - Sous la responsabilitĂ© du chef d'exploitation, management des Ă©quipes 8 personnesAssistant qualitĂ© h/fEmploi AgroalimentaireïArs-en-RĂ©, 17, Charente-Maritime, Nouvelle-AquitainePour l'un de nos client basĂ© Ă ARS en RĂ©, nous recherchons un Assistante QualitĂ© Vos missions - Seconder la responsable du service QualitĂ©-SĂ©curitĂ© - RĂ©aliser les audits internes et participer Ă la prĂ©paration des audits IFS et audits clients - Traiter les non-conformitĂ©s - Participer aux groupes de rĂ©flexion et aux prises de dĂ©cisions - Participer Ă la mise en place des certifications BIO, IGP et FAIR FOR LIFE Commerce EquitableAgent / Agente d'entretien/propretĂ© de locauxEmploi ïArs, 16, Charente, Nouvelle-AquitaineDans le cadre de l'entretien des locaux pour un de nos clients basĂ© sur la commune de ARS, nous recherchons un-e agent-e ayant la possibilitĂ© de rĂ©alisĂ© les prestations de 17h30 Ă 21h00 du lundi au vendredi. En fonction de vos rĂ©sultats, un poste en CDI peux ĂȘtre envisagĂ© dans les mois comme un chef mets et vin d'Alsace - Les Fromages Visites et circuitsïKaysersberg Vignoble 68240ïLe 06/10/2022Apprenez Ă marier mets et vins selon les thĂšmes variĂ©s, puis dĂ©gustez les produits du jour en suivant, avec un conseiller de la ConfrĂ©rie Saint-Etienne, les meilleurs accords de vins d'Alsace. Comme le peintre qui assemble les formes et les couleurs, le fromage assemble les goĂ»ts et les saveurs. Jacky Quesnot vous fera dĂ©couvrir des arĂŽmes issus de terroirs par une sĂ©lection rigoureuse des ses fromages associĂ©s aux meilleurs flacons de vins d'Alsace sĂ©lectionnĂ©s par les conseillers de la ConfrĂ©rie. Avec Jacky Quesnot de la Fromagerie Saint-Nicolas Ă Colmar. RĂ©servation obligatoire. Concert - FlorilĂšge vocal Musique, Concert, Chorale - Chant, Lecture - Conte - PoĂ©sieïPontarlier 25300ïDu 30/09/2022 au 02/10/2022ProposĂ© par l'Ensemble vocal Ars Nova et Renata CĂŽte-Szopny, avec la complicitĂ© de StĂ©phane Ganard au piano. Au programme Negra spirituals et poĂ©sies chantĂ©es qui seront interprĂ©tĂ©s par des solistes, duos en petite formation et grand choeur. Billets Ă retirer Ă l'Office de Tourisme de "Sur la route de Youenn Gwernig" de la compagnie Ar vro Bagan Théùtre, Musique, Chorale - ChantïDouarnenez 29100ïLe 07/10/2022Un nouveau spectacle mĂȘlant chants, musique, théùtre et vidĂ©o. ĂbĂ©niste et sculpteur, musicien et chanteur, Youenn Gwernig Ă©migre aux Ătats-Unis en 1957, oĂč il fait la connaissance de Jack Kerouac. De retour en Bretagne en 1969, il participe par le chant et lâĂ©criture aux luttes sociales et culturelles. Son oeuvre breton, français, anglais et son existence, pĂ©tries de valeurs humanistes et universelles, illustrent bien cette identitĂ© bretonne ouverte au de danse & spectacle Danse - Bal - CabaretïLe FaouĂ«t 22290ïLe 01/10/2022L'association Avel ar Ch'oat vous propose un week-end de danse avec le samedi un stage de hip-hop 2h animĂ© par Teddy Dacalor de Studiodanse Guingamp suivi d'une prestation chorĂ©graphiĂ©e pour 1 chorĂ©graphe et 6 danseurs. A noter le dimanche 2 octobre, dans l'enclos de la chapelle de Kergrist, la Compagnie LĂ©gendanse prĂ©sentera une performance d'improvisation pour 4 danseuses durĂ©e 35 min.Week-end danse Danse - Bal - Cabaret, FĂȘte, Vie associativeïLe FaouĂ«t 22290ïDu 01/10/2022 au 02/10/2022L'association Avel ar Ch'oat vous propose un week-end de danse. Samedi 1er octobre, Ă la salle des fĂȘtes, stage de hip-hop 2h animĂ© par Teddy Dacalor de Studiodanse Guingamp et prestation chorĂ©graphiĂ©e pour 1 chorĂ©graphe et 6 danseurs. Dimanche 2 octobre, dans l'enclos de la chapelle de Kergrist, la Compagnie LĂ©gendanse prĂ©sentera une performance d'improvisation pour 4 danseuses durĂ©e 35 min.Spectacle de danse - Compagnie Legendanse Danse - Bal - Cabaret, Vie associativeïLe FaouĂ«t 22290ïLe 02/10/2022L'association Avel ar Ch'oat vous propose un week-end de danse la Compagnie LĂ©gendanse prĂ©sentera une performance d'improvisation pour 4 danseuses durĂ©e 35 min. Horaire Ă de la gestion et des services gĂ©nĂ©rauxEmploi ï-, 973, Guyane, GuyanePilotage au cĂŽtĂ© du secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du projet de modernisation de l'ARS de Guyane Organisation et planification de la mise en Ćuvre des schĂ©mas directeurs de l'agence dans leur phase de dĂ©ploiement en s'appuyant sur les ressources internes et la coopĂ©ration avec d'autres agences de santĂ© Participation Ă la dĂ©finition et au suivi du pilotage global et accompagnement des personnes impliquĂ©es, et accĂ©lĂ©rateur des projets innovants portĂ©s par les agents Organisation et pilotage du recours Ă des fonctions d'appui dans un cadre mutualisĂ© avec d'autres ARS ou acteurs externes en lien avec le SecrĂ©taire GĂ©nĂ©ral Contribution directe Ă la mise en Ćuvre de certaines actions prĂ©vues dans les schĂ©mas directeurs dont celui des ressources humaines visant Ă IntĂ©grer - valoriser les collaborateurs PrĂ©server et amĂ©liorer les conditions de travail Diffuser une culture managĂ©riale Adapter la gestion des ressources humaines et logistiques aux Ă©volutions Ă venir Donner de la lisibilitĂ© Ă la politique des ressources humaines. Garant de la cohĂ©rence d'ensemble de la dĂ©marche et du reporting effectuĂ© au SecrĂ©taire GĂ©nĂ©ral Organisation, planification et gestion des diffĂ©rentes activitĂ©s d'appui[...]IngĂ©nieur / IngĂ©nieure achatsEmploi ï-, 972, Martinique, Martinique- Appliquer les stratĂ©gies d'achat en cohĂ©rence avec les choix budgĂ©taires - Piloter des projets d'achat calendrier, moyens, risques, dĂ©finition du juste besoin... de la publication Ă la notification du marchĂ© - Conseiller et assister les services prescripteurs dans l'Ă©laboration des Ă©lĂ©ments du dossier de consultation relatif Ă l'expression du besoin et du choix du fournisseur. Elaborer et rĂ©diger les piĂšces du marchĂ©. - Assister les services dans l'analyse, la nĂ©gociation et la sĂ©lection des offres - RĂ©diger les actes administratifs de la commande publique reconductions, avenants, courrier de pĂ©nalitĂ©s, courrier de rĂ©siliation. - Suivre l'exĂ©cution des contrats et des marchĂ©s tableaux de bord, relations fournisseurs, traitement des rĂ©clamations, rĂ©visions de prix, respect des conditions d'exĂ©cution du marchĂ©, suivi financier... - GĂ©rer le prĂ© contentieux - Animer et professionnaliser les acteurs de la politique achat - Mener la veille juridique et notamment la veille relative Ă la commande publique - Mener la veille Ă©conomique notamment en analysant les marchĂ©s fournisseurs - RĂ©aliser le sourcing fournisseur - [...]Gestionnaire administratifve ressources humainesEmploi ï-, 75, Paris, Ăle-de-FranceCe poste est Ă pourvoir au sein de la Direction de l'appui au pilotage de l'offre DAPO et au sein du PĂŽle prĂ©vention et appui Ă la transformation de la CNSA. En renfort de la Responsable de projets investissement immobilier, vos missions seront les suivantes - Appuyer le Plan d'Aide Ă l'investissement PAI PAI du quotidien aide Ă la rĂ©ussite de l'Audit - Stabiliser la liste des 3 000 EHPAD cibles par le contrĂŽle de la cohĂ©rence des dossiers, le contrĂŽle de la prĂ©sence des conventions, des paiements, des trop perçus et des piĂšces justificatives, les FINESS - Relancer des ARS et les EHPAD si nĂ©cessaires - GĂ©rer les rĂ©unions collectives et individuelles avec les ARS Fonds PAI - Aider Ă l'objectif de solder les anciens PAI gĂ©rĂ©s Ă la CNSA relance auprĂšs des ARS, transmission des paiements Ă la Direction Comptable, vĂ©rification des avenants Ă©ventuels, mise Ă jour de GALIS outil de suivi des subventions - Aider Ă l'objectif de rĂ©cupĂ©ration des crĂ©dits de paiement non consommĂ©s suite Ă la dĂ©concentration du PAI PAI immobilier - Saisir des dossiers 2022 dans GALIS - VĂ©rifier la cohĂ©rence[...]Raid Raozh Rance Courses Ă pied, Nature - EnvironnementïLe Minihic-sur-Rance 35870ïLe 09/10/2022Raid Rozh Rance est un Ă©vĂ©nement solidaire organisĂ© par Rance Sport SantĂ© 35 qui sâinscrit dans la dynamique dâoctobre rose ». LâĂ©quipe organisatrice a le plaisir de vous proposer 2 raids en duo ainsi qu'une marche nature. Les fonds seront transformĂ©s en coupons sport au bĂ©nĂ©fice de patients atteints ou en rĂ©mission de cancer, Ă utiliser auprĂšs d'une association malouine l'association Sport Mer SantĂ© agréée Maison Sport SantĂ© par l'ARS sauvetage sportif, natation, longe-cĂŽte, aquagym en mer etc... le tout, adaptĂ© Ă la pathologie de chaque adhĂ©rent Tous les bĂ©nĂ©fices sont reversĂ©s Ă lâassociation Sport Mer SantĂ© qui anime des sĂ©ances dâactivitĂ©s physiques adaptĂ©es pour les personnes touchĂ©es par un cancer. Au programme 9h15 Parcours Rance de 9 km en DUO associant Trail en Orientation 4km, Laser Run 6 sĂ©quences de tirs et 6 boucles de 100 m, Trail 1km , Paddle 2 boucles de 500 m, Trail 1km 9h15 Parcours Raid de 15 km en DUO associant Trail 4km, Trail en Orientation 4km, Laser Run 6 sĂ©quences de tirs et 6 boucles de 300 m, Trail 1km , Paddle 6 boucles de 500 m, Trail 1km A partir de 10h00 Marche nature de 7 km allure libre Ces Ă©preuves[...]Infirmier H/FEmploi Autres services aux entreprisesïAmnĂ©ville, 57, Moselle, Grand EstAdecco Medical est le leader EuropĂ©en des ressources humaines dans la SantĂ© spĂ©cialisĂ© dans lâintĂ©rim mĂ©dical et paramĂ©dical et le recrutement en CDI et en CDD. Ses 90 agences en France vous accueillent pour vous aider Ă piloter votre carriĂšre au travers de ses marques dĂ©diĂ©es Adecco Medical, Adecco Pharmacie et Recherche, PmS et RH SantĂ©. Nous recherchons une Infirmiere DiplĂŽmĂ©e d'Etat H/F pour un CDD Ă temps pleind'une durĂ©e d'un mois minimum. Vous intervenez en EHPAD. Planning Ă dĂ©finir selon le candidat. Contactez-nous pour tout renseignement au 0387211320. Aptitudes - Vous ĂȘtes impĂ©rativement DiplĂŽmĂ©e d'Etat et inscrit Ă l'ARS. Vous justifiez d'une prĂ©cĂ©dente expĂ©rience en EHPAD et ĂȘtes Ă l'aise avec l'outil informatique....Medecin Generaliste H/FEmploi Social - Services Ă la personneïLens, 62, Pas-de-Calais, Hauts-de-FranceL'Appel MĂ©dical est le n°1 de l'intĂ©rim et du recrutement mĂ©dical, paramĂ©dical, mĂ©dico-social et pharmaceutique en France et compte prĂšs de 95 agences forcĂ©ment proches de chez vous + d'infos sur IntĂ©rim, libĂ©ral, vacation, CDD, CDI... l'Appel MĂ©dical est le vĂ©ritable partenaire emploi des professionnels de santĂ©, des cadres de santĂ© et des mĂ©decins. Nos consultants CDI-CDD vous proposent d'Ă©valuer ensemble vos compĂ©tences et de trouver l'emploi qui rĂ©ponde Ă vos objectifs personnels et professionnels. Du recrutement Ă l'intĂ©gration dans votre future Ă©quipe de soins ou d'encadrement, l'Appel MĂ©dical s'occupe de vous !La maison de santĂ© est ouverte depuis mars 2015, les locaux sont neufs et prĂšs Ă ĂȘtre investi par de nouveaux collaborateurs. La structure est situĂ©e prĂšs d'une zone commerciale Ă environ Ă 20 minutes de BĂ©thune. Elle est au coeur d'une population en demande de soins. Le logiciel utilisĂ© est Weda mis Ă votre dispositionVous collaborez avec une Ă©quipe pluridisciplinaire composĂ©e de Un mĂ©decin gĂ©nĂ©raliste, une secrĂ©taire mĂ©dicale en charge de l'accueil patient et de la gestion des RDV, un chirurgien-dentiste implantologue, deux orthophonistes,[...]Medecin Pneumologue H/FEmploi Social - Services Ă la personneïVence, 6, Alpes-Maritimes, Provence-Alpes-CĂŽte d'AzurRejoignez les 30 000 collaborateurs de l'Appel MĂ©dical et bĂ©nĂ©ficiez de nombreuses missions et emplois les plus adaptĂ©s Ă vos envies et compĂ©tences tout en profitant des nombreux services et avantages exclusifs. Les fonctions ou intitulĂ©s se dĂ©clinent au fĂ©minin comme au recherchons pour le compte de notre client...Etablissement situĂ© dans le var, un mĂ©decin Pneumologue H/F pour un remplacement pour le mois de juillet 2020Centre de RĂ©adaptation Fonctionnelle Cardiologique et Pneumologique est un Ă©tablissement sanitaire privĂ© Ă but non lucratif, Ă©tablissement de santĂ© privĂ© d'intĂ©rĂȘt collectif ESPIC depuis 1977. L'Ă©tablissement spĂ©cialisĂ© dans les affections cardiovasculaires et les affections respiratoires agréées chacune par l'ARS assure une prise en charge pluridisciplinaire concourant Ă la rĂ©cupĂ©ration d'un Ă©tat de SantĂ© le meilleur possible et Ă la prĂ©vention des risques de rechute. L'Ă©tablissement accueille en hospitalisation complĂšte au sein de deux services - 42 chambres en SSR cardiologique. - 42 chambres en SSR pneumologique. Logementprise en charge des repas et des frais de transport. La rĂ©munĂ©ration est de 500⏠net la journĂ©e....Apprenti en IngĂ©nierie PĂ©dagogique H/FEmploi AĂ©ronautique - SpatialïBourges, 18, Cher, Centre-Val de LoireMBDA, au coeur de notre dĂ©fense... Rejoignez notre groupe, leader europĂ©en dans la conception, la fabrication et la commercialisation de missiles et de systĂšmes d'armes qui rĂ©pondent aux besoins prĂ©sents et futurs des armĂ©es europĂ©ennes et alliĂ©es ! AuprĂšs de nos 10 000 collaborateurs, venez prendre part Ă nos projets, en service opĂ©rationnel ou en dĂ©veloppement, dans un contexte multiculturel favorable Ă l'innovation et Ă l'excellence technique ! Rejoindre notre site de Bourges, c'est bĂ©nĂ©ficier d'un panel d'opportunitĂ©s professionnelles dans diffĂ©rents mĂ©tiers production, ingĂ©nierie, support client.... Au sein de la Direction Programme support clients, vous ĂȘtes intĂ©grĂ©e le service Formation Clients. Objectif de l'apprentissage Accompagner le service dans la transformation de la formation client industrialiser la conception et la production des formations et optimiser les phases de validation des supports de formation. GrĂące Ă vos compĂ©tences, vous - Identifiez des objectifs pĂ©dagogiques gĂ©nĂ©riques applicables du catalogue de formations clients MBDA. - Effectuez une analyse DIF DifficultĂ©, Importance, FrĂ©quence associĂ©e Ă ces objectifs. - Analysez les options[...]ChargĂ© d'Affaires H/FEmploi Auto-Moto-CyclesïVillefranche-sur-SaĂŽne, 69, RhĂŽne, Auvergne-RhĂŽne-AlpesFed IngĂ©nierie, cabinet de recrutement spĂ©cialisĂ©, recherche pour son client expert en mĂ©canique de haute prĂ©cision, un ChargĂ© d'Affaires / Deviseur H/F. Poste Ă pourvoir dĂšs que possible en CDI. Vous intĂ©grez une PME d'une cinquantaine de personnes, dans un environnement de travail agrĂ©able. Vos principales missions seront les suivantes - RĂ©pondre aux demandes de prix des clients et prospects et les relancez en vue d'obtenir les commandes. - Enregistrer les commandes, prĂ©senter les dossiers en production ou au BE. - Effectuer le suivi des commandes envoi des AR, communication sur le planning.... - DĂ©velopper le portefeuille clients. - Assurer l'interface entre les clients et la production en transfĂ©rant les informations prĂ©cises et utiles. - Assurer un bon relationnel avec le client en instaurant des Ă©changes frĂ©quents, riches et constructifs. - Suivre les rentabilitĂ©s de vos commandes....INSPECTRICE/INSPECTEUR DES INSTALLATIONS CLASSEES POUR LA PROTECTION DE L'ENVIRONNEMENTEmploi CollectivitĂ©s locales - TerritorialesïĂvry, 91, Essonne, Ăle-de-FrancePlace de l'emploi public recherche pour Direction RĂ©gionale et InterdĂ©partementale de l'Environnement et de l'Energie d'Ile-de-France DRIEE un Inspecteur ICPE 3ESP Evry Etampes Eau Sites PolluĂ©s A H/FDirection RĂ©gionale et InterdĂ©partementale de l'Environnement et de l'Energie d'Ile-de-France DRIEE Le titulaire du poste exerce l'ensemble des tĂąches liĂ©es Ă la fonction d'inspecteur des ICPE instruction de dossiers, suivi et contrĂŽle des installations ⊠pour les Ă©tablissements attachĂ©s Ă sa cellule. Le titulaire du poste peut se voir confier des missions transverses au sein de l'unitĂ© dĂ©partementale en lien avec le mĂ©tier d'inspecteur ou entrant dans le cadre du fonctionnement gĂ©nĂ©ral de l'UD. La cellule comprend deux ingĂ©nieurs, un technicien et une assistante. Le titulaire du poste est placĂ© sous l'autoritĂ© hiĂ©rarchique du chef d'UD et de son adjoint. Le poste conduit Ă avoir des Ă©changes avec une grande diversitĂ© dâinterlocuteurs tant en interne qu'en externe. Ces Ă©changes sâopĂšrent avec âą les agents de l'unitĂ© territoriale âą les exploitants des installations classĂ©es âą les agents de la prĂ©fecture et des autres services de lâĂtat DDT, ARS âą les agents de la DRIEE âą[...]CHARGEE/CHARGE DE CONCEPTION ET DEVELOPPEMENTEmploi CollectivitĂ©s locales - TerritorialesïParis, 75, Paris, Ăle-de-FrancePlace de l'emploi public recherche pour Centre national de gestion des praticiens hospitaliers de la FPH un CHARGE DE MISSION INFORMATIQUE LOGIMEDhCentre national de gestion des praticiens hospitaliers de la FPH Poste et activitĂ©s Vous ĂȘtes placĂ© auprĂšs du responsable du systĂšme dâinformation-chef de bureau des SI. Vous ĂȘtes chargĂ© de participer au dĂ©veloppement du projet LOGIMEDh en lien avec lâĂ©quipe projet dĂ©jĂ constituĂ©e. LOGIMEDh est un logiciel national en dĂ©veloppement pour la gestion et le suivi des postes mĂ©dicaux et des praticiens hospitaliers exerçant dans les Ă©tablissements publics de santĂ©. Vous devez notamment participer Ă la conception fonctionnelle de lâapplication; rĂ©diger des demandes dâĂ©volutions au prestataire de la TMA de lâapplication en charge de la rĂ©alisation des dĂ©veloppements informatiques; rĂ©aliser les tests et la recette des nouvelles versions de lâapplication; veiller Ă la conformitĂ© des livrables; assister les utilisateurs dans la prise en main de lâapplication et Ă©ventuellement les former localement Ă©tablissement de santĂ© et ARS; en fonction des prioritĂ©s, participer aux travaux sur les autres applications du bureau La mise en Ćuvre[...]CHARGEE/CHARGE DE PROMOTION DE SANTE PUBLIQUE OU DE COHESION SOCIALEEmploi CollectivitĂ©s locales - TerritorialesïVesoul, 70, Haute-SaĂŽne, Bourgogne-Franche-ComtĂ©Place de l'emploi public recherche pour Agence rĂ©gionale de santĂ© Bourgogne - Franche ComtĂ© un ChargĂ©e de mission DĂ©veloppement territorial en santĂ© »Agence rĂ©gionale de santĂ© Bourgogne - Franche ComtĂ© Le/la chargĂ©e de mission DĂ©veloppement territorial en santĂ© » mobilise l'ensemble des ressources des territoires concernĂ©s, et de lâARS pour mettre en oeuvre, dans le cadre du projet rĂ©gional de santĂ©, des actions dâaccĂšs aux soins, de prĂ©vention et promotion de la santĂ© et de rĂ©duction des inĂ©galitĂ©s territoriales de santĂ©. Missions gĂ©nĂ©rales Mobiliser l'ensemble des ressources du territoire concernĂ©, favorise le repĂ©rage des bonnes pratiques et les Ă©changes d'expĂ©riences, pour inscrire la santĂ© dans un projet global de dĂ©veloppement du territoire, en lien avec les acteurs institutionnels, politiques, de santĂ© et les usagers. Il sâagit ainsi de - Promouvoir auprĂšs des partenaires, les orientations des politiques de santĂ© nationale et rĂ©gionale, formalisĂ©es dans le Projet rĂ©gional de SantĂ© PRS2 et les dispositifs du plan dâĂ©gal accĂšs aux soins et de ma santĂ© 2022 - DĂ©cliner sur son territoire les politiques de lâAgence dans les domaines de la PrĂ©vention, Promotion[...]CHARGEE/CHARGE DE PROMOTION DE SANTE PUBLIQUE OU DE COHESION SOCIALEEmploi CollectivitĂ©s locales - TerritorialesïLons-le-Saunier, 39, Jura, Bourgogne-Franche-ComtĂ©Place de l'emploi public recherche pour Agence rĂ©gionale de santĂ© Bourgogne - Franche ComtĂ© un ChargĂ©e de mission DĂ©veloppement territorial en santĂ© » Dpt 39 H/FAgence rĂ©gionale de santĂ© Bourgogne - Franche ComtĂ© Le/la chargĂ©e de mission DĂ©veloppement territorial en santĂ© » mobilise l'ensemble des ressources des territoires concernĂ©s, et de lâARS pour mettre en Ćuvre, dans le cadre du projet rĂ©gional de santĂ©, des actions dâaccĂšs aux soins, de prĂ©vention et promotion de la santĂ© et de rĂ©duction des inĂ©galitĂ©s territoriales de santĂ©. Mobilise l'ensemble des ressources du territoire concernĂ©, favorise le repĂ©rage des bonnes pratiques et les Ă©changes d'expĂ©riences, pour inscrire la santĂ© dans un projet global de dĂ©veloppement du territoire, en lien avec les acteurs institutionnels, politiques, de santĂ© et les usagers. Il sâagit ainsi de Promouvoir auprĂšs des partenaires, les orientations des politiques de santĂ© nationale et rĂ©gionale, formalisĂ©es dans le Projet rĂ©gional de SantĂ© PRS2 et les dispositifs du plan dâĂ©gal accĂšs aux soins et de ma santĂ© 2022 - DĂ©cliner sur son territoire les politiques de lâAgence dans les domaines de la PrĂ©vention, Promotion[...]ChargĂ© d'opĂ©rationsEmploi CollectivitĂ©s locales - TerritorialesïChĂąlons-en-Champagne, 51, Marne, Grand EstPlace de l'emploi public recherche pour Agence de l'eau Seine Normandie un ChargĂ© d'opĂ©rationsAgence de l'eau Seine Normandie En matiĂšre dâinvestissement des collectivitĂ©s locales et de lâindustrie volet artisanat dans le domaine de lâeau potable et de lâassainissement, le chargĂ© dâopĂ©ration contribue Ă l'Ă©laboration, Ă la mise en Ćuvre et au suivi des prioritĂ©s territoriales dâaction de lâAgence dĂ©clinĂ© par unitĂ© hydrographique. Dans ce cadre, et sur son territoire dâintervention - Il est responsable du dĂ©veloppement et de la mise en Ćuvre de projets d'assainissement des eaux usĂ©es, d'eau potable et de protection de la ressource en eau ; ainsi que pour les projets de mise en conformitĂ© des activitĂ©s Ă©conomiques liĂ©es Ă lâartisanat ; - Il est l'interlocuteur privilĂ©giĂ© des collectivitĂ©s, maitres d'ouvrages et industriels pour les domaines liĂ©s Ă l'eau ; - Il contribue Ă l'Ă©valuation et au suivi des interactions possibles entre les projets et la ressource en eau ainsi que leurs impacts et consĂ©quences ; - Il participe Ă la dĂ©finition des prioritĂ©s des actions Ă mener au vu des documents de programmation de chaque partenaire SDAGE, programme de mesures, PAOT, SAGE,[...]ChargĂ© d'opĂ©rations spĂ©cialisĂ©Emploi CollectivitĂ©s locales - TerritorialesïChĂąlons-en-Champagne, 51, Marne, Grand EstPlace de l'emploi public recherche pour Agence de l'eau Seine Normandie un ChargĂ© d'opĂ©rations spĂ©cialisĂ©Agence de l'eau Seine Normandie En matiĂšre dâinvestissement des collectivitĂ©s locales et de lâindustrie volet artisanat dans le domaine de lâeau potable et de lâassainissement, le chargĂ© dâopĂ©ration contribue Ă l'Ă©laboration, Ă la mise en Ćuvre et au suivi des prioritĂ©s territoriales dâaction de lâAgence dĂ©clinĂ© par unitĂ© hydrographique. Dans ce cadre, et sur son territoire dâintervention - Il est responsable du dĂ©veloppement et de la mise en Ćuvre de projets d'assainissement des eaux usĂ©es schĂ©mas, zonages, rĂ©seaux, Ă©puration, d'eau potable et de protection de la ressource en eau ; - Il est l'interlocuteur privilĂ©giĂ© des collectivitĂ©s, maitres d'ouvrages et industriels pour les domaines liĂ©s Ă l'eau ; - Il contribue Ă l'Ă©valuation et au suivi des interactions possibles entre les projets et la ressource en eau ainsi que leurs impacts et consĂ©quences ; - Il participe Ă la dĂ©finition des prioritĂ©s des actions Ă mener au vu des documents de programmation de chaque partenaire SDAGE, XIe programme, masses d'eaux, SAGE, schĂ©mas directeurs, ⊠; - En prenant en compte[...]CHARGEE/CHARGE DE PROMOTION DE SANTE PUBLIQUE OU DE COHESION SOCIALEEmploi CollectivitĂ©s locales - TerritorialesïAuxerre, 89, Yonne, Bourgogne-Franche-ComtĂ©Place de l'emploi public recherche pour Agence rĂ©gionale de santĂ© Bourgogne - Franche ComtĂ© un ChargĂ©e de mission DĂ©veloppement territorial en santĂ© »Agence rĂ©gionale de santĂ© Bourgogne - Franche ComtĂ© Le/la chargĂ©e de mission DĂ©veloppement territorial en santĂ© » mobilise l'ensemble des ressources des territoires concernĂ©s, et de lâARS pour mettre en oeuvre, dans le cadre du projet rĂ©gional de santĂ©, des actions dâaccĂšs aux soins, de prĂ©vention et promotion de la santĂ© et de rĂ©duction des inĂ©galitĂ©s territoriales de santĂ©. Missions gĂ©nĂ©rales Mobiliser l'ensemble des ressources du territoire concernĂ©, favorise le repĂ©rage des bonnes pratiques et les Ă©changes d'expĂ©riences, pour inscrire la santĂ© dans un projet global de dĂ©veloppement du territoire, en lien avec les acteurs institutionnels, politiques, de santĂ© et les usagers. Il sâagit ainsi de - Promouvoir auprĂšs des partenaires, les orientations des politiques de santĂ© nationale et rĂ©gionale, formalisĂ©es dans le Projet rĂ©gional de SantĂ© PRS2 et les dispositifs du plan dâĂ©gal accĂšs aux soins et de ma santĂ© 2022 - DĂ©cliner sur son territoire les politiques de lâAgence dans les domaines de la PrĂ©vention, Promotion[...]ChargĂ© d'opĂ©ration spĂ©cialisĂ©Emploi CollectivitĂ©s locales - TerritorialesïChĂąlons-en-Champagne, 51, Marne, Grand EstPlace de l'emploi public recherche pour Agence de l'eau Seine Normandie un ChargĂ© d'opĂ©ration spĂ©cialisĂ©Agence de l'eau Seine Normandie En matiĂšre dâinvestissement des collectivitĂ©s locales et de lâindustrie volets agro-alimentaire et artisanat dans le domaine de lâeau potable et de lâassainissement, le chargĂ© dâopĂ©ration contribue Ă l'Ă©laboration, Ă la mise en Ćuvre et au suivi des prioritĂ©s territoriales dâaction de lâAgence dĂ©clinĂ© par unitĂ© hydrographique. Dans ce cadre, et sur son territoire dâintervention - Il est responsable du dĂ©veloppement et de la mise en Ćuvre de projets d'assainissement des eaux usĂ©es schĂ©mas, zonages, rĂ©seaux, Ă©puration, d'eau potable et de protection de la ressource en eau ; - Il est l'interlocuteur privilĂ©giĂ© des collectivitĂ©s, maitres d'ouvrages et industriels pour les domaines liĂ©s Ă l'eau ; - Il contribue Ă l'Ă©valuation et au suivi des interactions possibles entre les projets et la ressource en eau ainsi que leurs impacts et consĂ©quences ; - Il participe Ă la dĂ©finition des prioritĂ©s des actions Ă mener au vu des documents de programmation de chaque partenaire SDAGE, XIe programme, masses d'eaux, SAGE, schĂ©mas directeurs, ⊠; -[...]Formateur des professionnels de santĂ©Emploi HĂŽpitaux - MĂ©decineïParis, 75, Paris, Ăle-de-FrancePlace de l'emploi public recherche pour Assistance publique - hĂŽpitaux de Paris AP-HP un Cadre de santĂ© formateur 2019-235Assistance publique - hĂŽpitaux de Paris AP-HP Missions gĂ©nĂ©rales âą Collabore Ă la stratĂ©gie impulsĂ©e et au pilotage du projet de lâinstitut, âą Assure la formation initiale des Ă©tudiants en soins infirmiers ainsi que lâĂ©valuation des connaissances tout au long de la formation, âą Participe Ă la formation des aides-soignants et aux Ă©valuations thĂ©oriques et cliniques. Missions permanentes âą Assure la responsabilitĂ© dâunitĂ©s dâenseignement organisation, coordination et planification des sĂ©quences dâenseignement cours magistraux, travaux dirigĂ©s, travaux pratiques, travaux personnels guidĂ©s en relation avec les universitaires et les intervenants extĂ©rieurs, âą Participe Ă lâĂ©laboration des projets de formation, assure le suivi de leur mise en Ćuvre et participe Ă leur Ă©valuation, âą Utilise des mĂ©thodes pĂ©dagogiques innovantes en lien avec les technologies de lâinformation et de la communication, âą Participe Ă lâaccompagnement des Ă©tudiants en stage, auprĂšs des tuteurs et des professionnels, âą Organise des temps dâanalyse de pratiques et de suivi[...]-Assistant Responsable QualitĂ© Fournisseurs- Bac +3- 87 H/FEmploi Energie - PĂ©troleïLimoges, 87, Haute-Vienne, Nouvelle-AquitaineChez Schneider Electric, nous croyons que l'accĂšs Ă l'Ă©nergie et au digital est un droit fondamental. A chaque instant, nous donnons Ă chacun le pouvoir d'utiliser au mieux son Ă©nergie et ses ressources, partout dans le monde. Life is On. Nous dĂ©veloppons des solutions numĂ©riques combinant Ă©nergie et automatismes, pour plus d'efficacitĂ©, au service d'un monde plus durable. GrĂące Ă nos technologies uniques de gestion de l'Ă©nergie, d'automatismes en temps rĂ©el, de logiciels et de services, nous proposons des solutions intĂ©grĂ©es pour l'habitat rĂ©sidentiel, les bĂątiments tertiaires, les data centers, les infrastructures et les industries. Cette vision partagĂ©e, ce dĂ©sir permanent d'innover au service de notre mission, sont au coeur de nos valeurs et rassemblent notre communautĂ© de par le monde. Mission IntĂ©grĂ©e au sein du Service QualitĂ© d'un site industriel situĂ© Ă Limoges, vous accompagnerez le Responsable QualitĂ© Fournisseur sur le sujet suivant Parts Robustness 2018-2020, projet de qualification des fournisseurs et des piĂšces critiques de l'usine. Vous serez intĂ©grĂ© Ă l'Ă©quipe de 4 personnes Ă l'Inspection d'EntrĂ©e, une composante du service qualitĂ©[...]Technicien de Maintenance de Lignes de Production H/FEmploi MultimĂ©dia - Internet - SSIIïChamp-sur-Drac, 38, IsĂšre, Auvergne-RhĂŽne-AlpesOubliez les sociĂ©tĂ©s d'ingĂ©nierie qui ne font matcher qu'une compĂ©tence avec un cahier des charges. Chez STEP UP, nous recherchons Ă©galement l'adĂ©quation entre la personnalitĂ© de nos collaborateurs et la culture d'entreprise de nos clients. Et ça, ça fait toute la diffĂ©rence !!! PrĂ©curseur dans ce domaine, STEP UP est un cabinet d'ingĂ©nierie industriel et informatique en forte croissance 50% en 2018 plaçant le dĂ©veloppement du potentiel humain comme premier vecteur d'excellence en entreprise. Dans le cadre d'un de nos projets, nous recherchons un Technicien de Maintenance de lignes de production H/F Votre mission sera de garantir le maintien des Ă©quipements en Ă©tat de bon fonctionnement et rĂ©aliser des interventions spĂ©cifiques sur l'ensemble du site dans le respect des rĂšgles de sĂ©curitĂ©, de qualitĂ©, de service et de maĂźtrise des coĂ»ts. RattachĂ© au coordinateur de maintenance, vous aurez en charge de PrĂ©parer - Prendre connaissance des consignes des Ă©quipiers prĂ©cĂ©dents, historique des interventions dans la GMAO et ARS. - Prendre connaissance des interventions programmĂ©es dans la GMAO. - RĂ©aliser le tour des Ă©quipements pour en vĂ©rifier le bon fonctionnement. RĂ©aliser[...]Approvisionneur H/FEmploi Equipement industrielïBelfort, 90, Territoire de Belfort, Bourgogne-Franche-ComtĂ©Page Personnel Achats-Logistique est leader dans le recrutement et l'intĂ©rim spĂ©cialisĂ©s d'employĂ©s, d'Agents de MaĂźtrise et de Cadres de premier niveau. Experts sur les mĂ©tiers des achats et de la logistique, nous accompagnons nos clients dans le recrutement de leurs futurs talents au travers de notre rĂ©seau national et d'une Ă©quipe de Consultants spĂ©cialisĂ©s. Notre client, Groupe industriel Ă dimension internationale, recrute un Approvisionneur, dans le cadre d'une mission d'intĂ©rim de 18 mois. RattachĂ© au Service Approvisionnements, vos missions sont les suivantes - Traiter les propositions d'ordres d'achat issues de l'ERP, les transformer en ordres d'achat aprĂšs avoir confirmĂ© dĂ©lais et quantitĂ©s. - Effectuer les demandes de prix aux achats pour les nouveaux articles. - Surveiller l'avancement des dossiers d'achats et les demandes de prix. - Suivre les commandes, enregistrer les AR. - Assurer la coordination des transports. - Traiter les anomalies de rĂ©ception et de facturation....Ash H/FEmploi Autres services aux entreprisesïBrienon-sur-Armançon, 89, Yonne, Bourgogne-Franche-ComtĂ©Adecco Medical recherche rĂ©guliĂšrement pour l'un de nos clients, un ASH H/F pour intervenir sur un EHPAD sur le secteur nord de Brienon sur Armançon, via des missions d'interim rĂ©guliĂšres Vos missions - Etre responsable de la propretĂ© de l'ensemble des locaux salles, couloirs, lingerie.... - Nettoyer les chambres, entretenir et dĂ©sinfecter les sols, murs, toilettes et salles de bains. - Participer au nettoyage de la vaisselle aprĂšs le repas des rĂ©sidents. Remboursement d'1 AR par jour selon le bĂąrĂšme ACCOSS Cette offre vous intĂ©resse, contactez-nous Ă ********.** ou **.**.**.**.** Aptitudes - Vous ĂȘtes dynamique, rigoureuxpossĂ©dez une expĂ©rience sur un poste similaire....Infirmier H/FEmploi Autres services aux entreprisesïAuxerre, 89, Yonne, Bourgogne-Franche-ComtĂ©Nous recherchons rĂ©guliĂšrement un infirmier H/F sur le secteur d'Auxerre pour effectuer des missions ponctuelles de remplacement en interim, en gĂ©riatrie. Vous serez en charge des soins, auprĂšs de rĂ©sidents ĂągĂ©s, dĂ©pendants, semi-dĂ©pendants ou autonomes, atteints d'infections aigĂŒes ou d'autres problĂšmes de santĂ© gĂ©rontologiques, somatiques comme cognitifs - Soins de base Pansements, simples et complexes, prĂ©lĂšvements, prise et - analyse de constantes et injections, prĂ©paration, administration, traçabilitĂ© de la prise de mĂ©dicaments et traitements spĂ©cifiques et surveillance d'Ă©ventuels effets secondaires. - Soins d'hygiĂšne et confort. Vous surveillerez quotidiennement l'Ă©tat de santĂ© des rĂ©sidents, en tenant compte des rĂšgles d'hygiĂšne et d'asepsie, et, en fonction des diffĂ©rentes pathologies et besoins individuels - RepĂ©rage des risques de dĂ©shydratation, d'Ă©touffement et infectieux. - Mesure des capacitĂ©s, physiques, sociales et relationnels, et besoins du resident. Vous aurez une mission d'information et de prĂ©vention auprĂšs du rĂ©sident, ainsi que de son entourage - Accueil, accompagnement et Ă©coute des familles. - Ergonomie, mobilisation adaptĂ©e des patients,[...]Consultant SAP Fi - Co H/FEmploi NĂ©goce - Commerce grosïCourbevoie, 92, Hauts-de-Seine, Ăle-de-FranceAu sein de l'entitĂ© Digital Consulting du PĂŽle MatĂ©riaux Innovants de Saint-Gobain, nous recherchons une consultante FI/CO pour renforcer l'Ă©quipe existante. Vous devrez vous imprĂ©gner des processus mĂ©tier et travailler en collaboration avec les utilisateurs opĂ©rationnels afin de comprendre leurs besoins et de proposer des solutions adaptĂ©es. Vous travaillerez sur un paysage systĂšmes intĂ©grant plusieurs Business Unit du pĂŽle et plus prĂ©cisĂ©ment sur les modules FI CO de SAP. Vous aurez notamment pour mission de - Participer au dĂ©ploiement des Core solutions sur un pĂ©rimĂštre international. - Participer au support des utilisateurs en assurant la maintenance de ces applications. - Participer Ă l'Ă©volution des fonctionnalitĂ©s financiĂšres de nos systĂšmes ERP. - Participer Ă notre rĂ©flexion de transformation digitale des mĂ©tiers financiers RPA, IA, S/4 HANA... pour notre pĂŽle. Vous pourrez acquĂ©rir de nouvelles compĂ©tences techniques, mĂ©thodologiques et fonctionnelles Ă travers nos parcours de formation. Ce poste offre ensuite de rĂ©elles perspectives d'Ă©volution vers la gestion de projet, l'encadrement d'Ă©quipe et la prise de responsabilitĂ©s au sein de l'entitĂ© IM Digital[...]Responsable Approvisionnement H/FEmploi NĂ©goce - Commerce grosïPont-d'Ain, 1, Ain, Auvergne-RhĂŽne-AlpesFed Supply, cabinet de recrutement spĂ©cialisĂ©, recherche pour un de ses clients, un Responsable Approvisionnement H/F . Ce poste est Ă pourvoir en immĂ©diatement. Vous rencontrerez Soufiane El majdoubi dans un premier temps lors d'un entretien, suivi d'une rencontre avec notre client. Vous encadrez un Ă deux gestionnaires d'approvisionnement et ĂȘtes responsable des rĂ©sultats de l'ensemble de l'enseigne. Vous assurez sur l'ensemble du pĂ©rimĂštre produit les missions suivantes - Analyse des ruptures et des surstocks, optimisation de la marge plateforme. - ParamĂ©trage de l'outil d'approvisionnement gestion des Ă©vĂ©nements, ajustement des prĂ©visions, gestion des ventes exceptionnelles, gestion des paramĂštres d'appro. - Evaluation de la performance logistique des fournisseurs et mise en place de plans de progrĂšs. - FiabilitĂ© et pertinence des donnĂ©es d'approvisionnement paliers d'achat, conditionnements, franco, etc. - Analyse de la qualitĂ© des stocks avec la direction de mĂ©tier et mise en place d'actions correctives. - Coordination avec le service comptabilitĂ© pour la gestion des litiges fournisseurs. - Mise en place et suivi du reporting. Vous ĂȘtes vous-mĂȘme[...]Responsable Approvisionnement H/FEmploi NĂ©goce - Commerce grosïPont-d'Ain, 1, Ain, Auvergne-RhĂŽne-AlpesNous recherchons pour l'un de nos clients, une Responsable Approvisionnement » H/F pour un CDI, basĂ© Ă Pont d'Ain. La fourchette de rĂ©munĂ©ration varie entre 30'000⏠- 37000⏠selon le profil. WALTERS PEOPLE est une agence de Travail Temporaire spĂ©cialisĂ©e et privilĂ©giĂ©e des candidats et des entreprises du secteur de la Supply chain. Nos consultants sont hyper spĂ©cialisĂ©s dans leurs mĂ©tiers et rĂ©pondent avec justesse Ă vos attentes, que ce soit en IntĂ©rim, CDD et CDI. Nous sommes prĂ©sents avec vous Ă Paris, Saint-Quentin-en-Yvelines, Lyon et Ă Nantes. Nous accompagnons tout type de clients, de la PME aux grands groupes. En tant que responsable des rĂ©sultats, vous assurez sur l'ensemble du pĂ©rimĂštre produit les missions suivantes - Analyser les ruptures/surstocks, et optimiser de la marge plateforme, et mise en place d'actions correctives. - Assurer le paramĂ©trage de l'outil d'approvisionnement. - Evaluer la performance logistique des fournisseurs, proposer des plans de progrĂšs, gĂ©rer les litiges. - Mettre en place et suivi une activitĂ© de reporting. Vous ĂȘtes Ă©galement vous-mĂȘme responsable d'approvisionner un portefeuille de produits et assurez Ă ce titre les[...]Radiologue H/FEmploi Social - Services Ă la personneïColmar, 68, Haut-Rhin, Grand EstRejoignez les 30 000 collaborateurs de l'Appel MĂ©dical et bĂ©nĂ©ficiez de nombreuses missions et emplois les plus adaptĂ©s Ă vos envies et compĂ©tences tout en profitant des nombreux services et avantages exclusifs. Les fonctions ou intitulĂ©s se dĂ©clinent au fĂ©minin comme au client, un Ă©tablissement public de rĂ©fĂ©rence en Alsace, dispose d'une capacitĂ© d'accueil de 1200 lits et places avec un plateau technique complet et performant. Une partie de l'Ă©tablissement a Ă©tĂ© rĂ©novĂ© et vous bĂ©nĂ©ficiez de tous les atouts d'un CHU expertise, matĂ©riel et temps dĂ©diĂ© Ă la recherche. Le PĂŽle d'Imagerie Diagnostique et Interventionnelle est composĂ© de plusieurs Ă©quipements performants 2 scanners, 2 IRM 1, 5 et des salles de radiologie interventionnelles, hybride, d'angiographie, d'Ă©chographies, radiologie conventionnelles, sĂ©nologie diagnostique et interventionnelle. SystĂšme d'information radiologique XPLORE avec dictĂ©e numĂ©rique et PACS TELEMIS Renouvellement d'un IRM prĂ©vu en 2019 et implantation d'un 3e IRM autorisĂ© par l' de la radiologie gĂ©nĂ©rale diagnostique et interventionnelle, multi modalitĂ©s radiologie de projection, scanner, Ă©chographie, IRM. Vous[...]
Uneprise de rendez-vous en ligne simple et intuitive. Le module de prise de rendez-vous Imminant est accessible directement depuis votre site Internet. Vos visiteurs peuvent donc rĂ©server un rendez-vous en ligne 24h/24 et 7j/7. Le jour J, votre visiteur se prĂ©sente Ă la borne et sâidentifie grĂące Ă son nom ou son numĂ©ro de rendez-vous.PrĂšs de dix ans aprĂšs sa crĂ©ation, iDGarages, comparateur de devis automobiles, sâoffre un relooking. Lâinterface rĂ©servĂ©e aux rĂ©parateurs a Ă©galement Ă©tĂ© refondue et propose de nouveaux dĂ©voile sa nouvelle identitĂ© de fait peau neuve. Depuis le 5 juillet 2022, le comparateur de devis automobiles affiche une nouvelle identitĂ© visuelle plus Ă©purĂ©e, faisant rĂ©fĂ©rence au pictogramme de localisation Google Map. Le design du portail a Ă©tĂ© Ă©galement repensĂ© pour faciliter lâexpĂ©rience utilisateur et le "rassurer sur le prix et la qualitĂ© des prestations avec un engagement mutuel sur un tarif et un rendez-vous". Autrefois baptisĂ© MyiDGarages, lâespace de ses 4300 rĂ©parateurs partenaires a, en outre, Ă©tĂ© revu pour devenir Lâinterface offre plus de fluiditĂ© et dâintuitivitĂ©, tout permettant de garder un contrĂŽle total sur le paramĂ©trage de ses prix et de son activitĂ©. Les devis complets continuent dâĂȘtre calculĂ©s automatiquement 24h/ 7j, en rĂ©duisant le nombre de rendez-vous non honorĂ©s et les appels inutiles. Plus de 40 prestations sont activables Ă la carte et les avis clients sont toujours au cĆur du dispositif. iDGarages prĂ©cise que sa hotline dĂ©diĂ©e a Ă©tĂ© renforcĂ©e pour garantir un accompagnement personnalisĂ©. De nouveaux services pour les garagistes Ce nâest pas tout a Ă©tĂ© enrichi de nouveaux services pour les garagistes, Ă lâinstar dâune fonctionnalitĂ© dâenvoi de SMS de fin dâintervention pour les clients, ou encore dâune application mobile pour simplifier la prise en charge des vĂ©hicules. "Notre mission est dâaider les automobilistes Ă trouver les bons garagistes au prix juste, nous souhaitons que cette recherche soit la plus simple possible sur notre site. Cette simplicitĂ© et cette fluiditĂ© sont mises en avant sur notre nouveau site et au travers de notre nouvelle identitĂ©", dĂ©clare Jonathan Bloch, CEO dâ A lire aussi iDGarages lĂšve 8 millions dâeuros pour appuyer sa croissance Créé dans le giron du groupe Autodistribution, le comparateur de devis automobiles compte aujourdâhui 7 millions de visiteurs uniques pour 30 millions de devis calculĂ©s. Le comparateur de devis a affichĂ© une croissance de 35 % en 2021.
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