Jesais bien qu'il peut y avoir divers souci pour que ce rendez vous ne soit pas honoré , néanmoins la moindre des choses aurait été de prévenir . Bien sûr le souci est
Le centre hospitalier Sud-Gironde lance un appel aux personnes qui ont pris un rendez-vous Ă  un centre de vaccination et qui ne peuvent s'y rendre. Elles doivent l'annuler. Par Bernard PeyrĂ© PubliĂ© le 9 Avr 21 Ă  1226 Le RĂ©publicain Sud-Gironde Si vous ne pouvez honorer un rendez-vous au centre de vaccination, n’hĂ©sitez pas Ă  l’annuler afin de laisser la place Ă  une autre personne. ©Le RĂ©publicain Sud-GirondeLe centre hospitalier Sud-Gironde de Langon–La RĂ©ole Gironde, qui pilote les centres de vaccination du Sud-Gironde, lance un appel aux personnes qui ont pris un rendez-vous et qui ne peuvent s’y rendre. Il leur demande de ne pas oublier de l’annuler afin de permettre aux patients en attente de pouvoir profiter du vaccin contre la covid-19. Ainsi, samedi 3 avril 2021, 17 rendez-vous n’ont pas Ă©tĂ© honorĂ©s ni annulĂ©s. Mercredi 7 avril 2021, 21 rendez-vous et jeudi 8 avril 2021, pas moins de 35 rendez-vous. Annuler son rdv c'est ĂȘtre respectueux envers ceux qui sont en attente et ceux qui travaillent d'arrache-pied pour permettre la vaccination »Comment annuler son rendez-vousPour annuler son rendez-vous aux centres de vaccination de Langon, La RĂ©ole, Rions, sur le site internet de l’hĂŽpital, il faut cliquer sur le lien fait exprĂšs dans le message de confirmation », explique l’hĂŽpital. MĂȘme quelques heures avant, annuler son rendez-vous c’est permettre Ă  une autre personne d’en profiter. » Le centre hospitalier Sud-Gironde prĂ©cise qu’aucune dose n’est jetĂ©e car le personnel des centres fait des heures supplĂ©mentaires pour vacciner les personnes volontaires appelĂ©es Ă  la derniĂšre minute ». Il compte organiser une liste d’attente sur les rendez-vous non centres de vaccination sont ouverts en Sud-Gironde Ă  Langon salle Nougaro, La RĂ©ole, Rions, Bazas, ainsi que jusqu’au 16 avril 2021, un centre temporaire Ă  MonsĂ©gur est mis en place par le PĂŽle Public MĂ©dico-social ancien hĂŽpital local.Pour prendre un rendez-vous aux centres de vaccination de Langon, La RĂ©ole, Rions article vous a Ă©tĂ© utile ? Sachez que vous pouvez suivre Le RĂ©publicain Sud-Gironde dans l’espace Mon Actu . En un clic, aprĂšs inscription, vous y retrouverez toute l’actualitĂ© de vos villes et marques favorites.
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OU Lettres recueillies dans une société et publiées pour l'instruction de quelques autres. " J'ai vu les mÅ“urs de mon temps et j'ai publié ces lettres. " J. J. ROUSSEAU. Préface de La Nouvelle Héloïse TABLE DES MATIERES AVERTISSEMENT DE L'EDITEUR Nous croyons devoir prévenir le Public, que, malgré le titre de cet Ouvrage et ce qu'en dit le Rédacteur dans sa Préface, nous ne garantissons pas l'authenticité de ce Recueil, et que nous avons mÃÂȘme de fortes raisons de penser que ce n'est qu'un Roman. Il nous semble de plus que l'Auteur, qui paraÃt pourtant avoir cherché la vraisemblance, l'a détruite lui-mÃÂȘme et bien maladroitement, par l'époque oÃÂč il a placé les événements qu'il publie. En effet, plusieurs des personnages qu'il met en scÚne ont de si mauvaises mÅ“urs, qu'il est impossible de supposer qu'ils aient vécu dans notre siÚcle; dans ce siÚcle de philosophie, oÃÂč les lumiÚres, répandues de toutes parts, ont rendu, comme chacun sait, tous les hommes si honnÃÂȘtes et toutes les femmes si modestes et si réservées. Notre avis est donc que si les aventures rapportées dans cet Ouvrage ont un fond de vérité, elles n'ont pu arriver que dans d'autres lieux ou dans d'autres temps; et nous blùmons beaucoup l'Auteur, qui, séduit apparemment par l'espoir d'intéresser davantage en se rapprochant plus de son siÚcle et de son pays, a osé faire paraÃtre sous notre costume et avec nos usages, des mÅ“urs qui nous sont si étrangÚres. Pour préserver au moins, autant qu'il est en nous, le Lecteur trop crédule de toute surprise à ce sujet, nous appuierons notre opinion d'un raisonnement que nous lui proposons avec confiance, parce qu'il nous paraÃt victorieux et sans réplique; c'est que sans doute les mÃÂȘmes causes ne manqueraient pas de produire les mÃÂȘmes effets, et que cependant nous ne voyons point aujourd'hui de Demoiselle, avec soixante mille livres de rente, se faire Religieuse, ni de Présidente, jeune et jolie, mourir de chagrin. PREFACE DU REDACTEUR. Cet Ouvrage, ou plutÎt ce Recueil, que le Public trouvera peut-ÃÂȘtre encore trop volumineux, ne contient pourtant que le plus petit nombre des Lettres qui composaient la totalité de la correspondance dont il est extrait. Chargé de la mettre en ordre par les personnes à qui elle était parvenue, et que je savais dans l'intention de la publier, je n'ai demandé, pour prix de mes soins, que la permission d'élaguer tout ce qui me paraÃtrait inutile; et j'ai tùché de ne conserver en effet que les Lettres qui m'ont paru nécessaires, soit à l'intelligence des événements, soit au développement des caractÚres. Si l'on ajoute à ce léger travail, celui de replacer par ordre les Lettres que j'ai laissées subsister, ordre pour lequel j'ai mÃÂȘme presque toujours suivi celui des dates, et enfin quelques notes courtes et rares, et qui, pour la plupart, n'ont d'autre objet que d'indiquer la source de quelques citations, ou de motiver quelques- uns des retranchements que je me suis permis, on saura toute la part que j'ai eue à cet Ouvrage. Ma mission ne s'étendait pas plus loin. [Je dois prévenir aussi que j'ai supprimé ou changé tous les noms des personnes dont il est question dans ces Lettres; et que si dans le nombre de ceux que je leur ai substitués, il s'en trouvait qui appartinssent à quelqu'un, ce serait seulement une erreur de ma part et dont il ne faudrait tirer aucune conséquence.] J'avais proposé des changements plus considérables, et presque tous relatifs à la pureté de diction ou de style, contre laquelle on trouvera beaucoup de fautes. J'aurais désiré aussi ÃÂȘtre autorisé à couper quelques Lettres trop longues, et dont plusieurs traitent séparément, et presque sans transition, d'objets tout à fait étrangers l'un à l'autre. Ce travail, qui n'a pas été accepté, n'aurait pas suffi sans doute pour donner du mérite à l'Ouvrage, mais en aurait au moins Îté une partie des défauts. On m'a objecté que c'étaient les Lettres mÃÂȘmes qu'on voulait faire connaÃtre, et non pas seulement un Ouvrage fait d'aprÚs ces Lettres; qu'il serait autant contre la vraisemblance que contre la vérité, que de huit à dix personnes qui ont concouru à cette correspondance, toutes eussent écrit avec une égale pureté. Et sur ce que j'ai représenté que, loin de là , il n'y en avait au contraire aucune qui n'eût fait des fautes graves, et qu'on ne manquerait pas de critiquer, on m'a répondu que tout Lecteur raisonnable s'attendrait sûrement à trouver des fautes dans un Recueil de Lettres de quelques Particuliers, puisque dans tous ceux publiés jusqu'ici de différents Auteurs estimés, et mÃÂȘme de quelques Académiciens, on n'en trouvait aucun totalement à l'abri de ce reproche. Ces raisons ne m'ont pas persuadé, et je les ai trouvées, comme je les trouve encore, plus faciles à donner qu'à recevoir; mais je n'étais pas le maÃtre, et je me suis soumis. Seulement je me suis réservé de protester contre, et de déclarer que ce n'était pas mon avis; ce que je fais en ce moment. Quant au mérite que cet Ouvrage peut avoir, peut-ÃÂȘtre ne m'appartient-il pas de m'en expliquer, mon opinion ne devant ni ne pouvant influer sur celle de personne. Cependant ceux qui, avant de commencer une lecture, sont bien aises de savoir à peu prÚs sur quoi compter; ceux-là , dis-je, peuvent continuer les autres feront mieux de passer tout de suite à l'Ouvrage mÃÂȘme; ils en savent assez. Ce que je puis dire d'abord, c'est que si mon avis a été, comme j'en conviens, de faire paraÃtre ces Lettres, je suis pourtant bien loin d'en espérer le succÚs et qu'on ne prenne pas cette sincérité de ma part pour la modestie jouée d'un Auteur; car je déclare avec la mÃÂȘme franchise, que si ce Recueil ne m'avait pas paru digne d'ÃÂȘtre offert au Public, je ne m'en serais pas occupé. Tùchons de concilier cette apparente contradiction. Le mérite d'un Ouvrage se compose de son utilité ou de son agrément, et mÃÂȘme de tous deux, quand il en est susceptible mais le succÚs, qui ne prouve pas toujours le mérite, tient souvent davantage au choix du sujet qu'à son exécution, à l'ensemble des objets qu'il présente, qu'à la maniÚre dont ils sont traités. Or ce Recueil contenant, comme son titre l'annonce, les Lettres de toute une société, il y rÚgne une diversité d'intérÃÂȘt qui affaiblit celui du Lecteur. De plus, presque tous les sentiments qu'on y exprime, étant feints ou dissimulés, ne peuvent mÃÂȘme exciter qu'un intérÃÂȘt de curiosité toujours bien au-dessous de celui de sentiment, qui, surtout, porte moins à l'indulgence, et laisse d'autant plus apercevoir les fautes qui s'y trouvent dans les détails, que ceux-ci s'opposent sans cesse au seul désir qu'on veuille satisfaire. Ces défauts sont peut-ÃÂȘtre rachetés, en partie, par une qualité qui tient de mÃÂȘme à la nature de l'Ouvrage c'est la variété des styles; mérite qu'un Auteur atteint difficilement, mais qui se présentait ici de lui-mÃÂȘme, et qui sauve au moins l'ennui de l'uniformité. Plusieurs personnes pourront compter encore pour quelque chose un assez grand nombre d'observations, ou nouvelles, ou peu connues, et qui se trouvent éparses dans ces Lettres. C'est aussi là , je crois, tout ce qu'on y peut espérer d'agréments, en les jugeant mÃÂȘme avec la plus grande faveur. L'utilité de l'Ouvrage, qui peut-ÃÂȘtre sera encore plus contestée, me paraÃt pourtant plus facile à établir. Il me semble au moins que c'est rendre un service aux mÅ“urs, que de dévoiler les moyens qu'emploient ceux qui en ont de mauvaises pour corrompre ceux qui en ont de bonnes, et je crois que ces Lettres pourront concourir efficacement à ce but. On y trouvera aussi la preuve et l'exemple de deux vérités importantes qu'on pourrait croire méconnues, en voyant combien peu elles sont pratiquées l'une, que toute femme qui consent à recevoir dans sa société un homme sans mÅ“urs, finit par en devenir la victime; l'autre, que toute mÚre est au moins imprudente, qui souffre qu'un autre qu'elle ait la confiance de sa fille. Les jeunes gens de l'un et de l'autre sexe pourraient encore y apprendre que l'amitié que les personnes de mauvaises mÅ“urs paraissent leur accorder si facilement n'est jamais qu'un piÚge dangereux, et aussi fatal à leur bonheur qu'à leur vertu. Cependant l'abus, toujours si prÚs du bien, me paraÃt ici trop à craindre; et, loin de conseiller cette lecture à la jeunesse, il me paraÃt trÚs important d'éloigner d'elle toutes celles de ce genre. L'époque oÃÂč celle-ci peut cesser d'ÃÂȘtre dangereuse et devenir utile me paraÃt avoir été trÚs bien saisie, pour son sexe, par une bonne mÚre qui non seulement a de l'esprit, mais qui a du bon esprit. " Je croirais " , me disait-elle, aprÚs avoir lu le manuscrit de cette Correspondance, " rendre un vrai service à ma fille, en lui donnant ce Livre le jour de son mariage. " Si toutes les mÚres de famille en pensent ainsi, je me féliciterai éternellement de l'avoir publié. Mais, en partant encore de cette supposition favorable, il me semble toujours que ce Recueil doit plaire à peu de monde. Les hommes et les femmes dépravés auront intérÃÂȘt à décrier un Ouvrage qui peut leur nuire; et comme ils ne manquent pas d'adresse, peut-ÃÂȘtre auront-ils celle de mettre dans leur parti les Rigoristes, alarmés par le tableau des mauvaises mÅ“urs qu'on n'a pas craint de présenter. Les prétendus esprits forts ne s'intéresseront point à une femme dévote, que par cela mÃÂȘme ils regarderont comme une femmelette, tandis que les dévots se fùcheront de voir succomber la vertu, et se plaindront que la Religion se montre avec trop peu de puissance. D'un autre cÎté, les personnes d'un goût délicat seront dégoûtées par le style trop simple et trop fautif de plusieurs de ces Lettres, tandis que le commun des Lecteurs, séduit par l'idée que tout ce qui est imprimé est le fruit d'un travail, croira voir dans quelques autres la maniÚre peinée d'un Auteur qui se montre derriÚre le personnage qu'il fait parler. Enfin, on dira peut-ÃÂȘtre assez généralement, que chaque chose ne vaut qu'à sa place; et que si d'ordinaire le style trop chùtié des Auteurs Îte en effet de la grùce aux Lettres de société, les négligences de celles-ci deviennent de véritables fautes, et les rendent insupportables, quand on les livre à l'impression. J'avoue avec sincérité que tous ces reproches peuvent ÃÂȘtre fondés je crois aussi qu'il me serait possible d'y répondre, et mÃÂȘme sans excéder la longueur d'une Préface. Mais on doit sentir que pour qu'il fût nécessaire de répondre à tout, il faudrait que l'Ouvrage ne pût répondre à rien; et que si j'en avais jugé ainsi, j'aurais supprimé à la fois la Préface et le Livre. PREMIERE PARTIE LETTRE PREMIERE CECILE VOLANGES A SOPHIE CARNAY. AUX URSULINES DE ... Tu vois, ma bonne amie, que je tiens parole, et que les bonnets et les pompons ne prennent pas tout mon temps; il m'en restera toujours pour toi. J'ai pourtant vu plus de parures dans cette seule journée que dans les quatre ans que nous avons passés ensemble; et je crois que la superbe Tanville [Pensionnaire du mÃÂȘme Couvent] aura plus de chagrin à ma premiÚre visite, oÃÂč je compte bien la demander, qu'elle n'a cru nous en faire toutes les fois qu'elle est venue nous voir in fiocchi . Maman m'a consultée sur tout; elle me traite beaucoup moins en pensionnaire que par le passé. J'ai une Femme de chambre à moi; j'ai une chambre et un cabinet dont je dispose, et je t'écris à un Secrétaire trÚs joli, dont on m'a remis la clef, et oÃÂč je peux renfermer tout ce que je veux. Maman m'a dit que je la verrais tous les jours à son lever; qu'il suffisait que je fusse coiffée pour dÃner, parce que nous serions toujours seules, et qu'alors elle me dirait chaque jour l'heure oÃÂč je devrais l'aller joindre l'aprÚs-midi. Le reste du temps est à ma disposition, et j'ai ma harpe, mon dessin et des livres comme au Couvent; si ce n'est que la MÚre Perpétue n'est pas là pour me gronder, et qu'il ne tiendrait qu'à moi d'ÃÂȘtre toujours à rien faire mais comme je n'ai pas ma Sophie pour causer et pour rire, j'aime autant m'occuper. Il n'est pas encore cinq heures; je ne dois aller retrouver Maman qu'à sept voilà bien du temps, si j'avais quelque chose à te dire! Mais on ne m'a encore parlé de rien; et sans les apprÃÂȘts que je vois faire, et la quantité d'OuvriÚres qui viennent toutes pour moi, je croirais qu'on ne songe pas à me marier, et que c'est un radotage de plus de la bonne Joséphine [TouriÚre du Couvent]. Cependant Maman m'a dit si souvent qu'une Demoiselle devait rester au Couvent jusqu'à ce qu'elle se mariùt, que puisqu'elle m'en fait sortir, il faut bien que Joséphine ait raison. Il vient d'arrÃÂȘter un carrosse à la porte, et Maman me fait dire de passer chez elle tout de suite. Si c'était le Monsieur? Je ne suis pas habillée, la main me tremble et le cÅ“ur me bat. J'ai demandé à la Femme de chambre, si elle savait qui était chez ma mÚre " Vraiment, m'a-t-elle dit, c'est M. C**. " Et elle riait. Oh! je crois que c'est lui. Je reviendrai sûrement te raconter ce qui se sera passé. Voilà toujours son nom. Il ne faut pas se faire attendre. Adieu, jusqu'à un petit moment. Comme tu vas te moquer de la pauvre Cécile! Oh! j'ai été bien honteuse! Mais tu y aurais été attrapée comme moi. En entrant chez Maman, j'ai vu un Monsieur en noir, debout auprÚs d'elle. Je l'ai salué du mieux que j'ai pu, et suis restée sans pouvoir bouger de ma place. Tu juges combien je l'examinais! " Madame " , a-t-il dit à ma mÚre, en me saluant, " voilà une charmante Demoiselle, et je sens mieux que jamais le prix de vos bontés. " A ce propos si positif, il m'a pris un tremblement tel, que je ne pouvais me soutenir; j'ai trouvé un fauteuil, et je m'y suis assise, bien rouge et bien déconcertée. J'y étais à peine, que voilà cet homme à mes genoux. Ta pauvre Cécile alors a perdu la tÃÂȘte; j'étais, comme a dit Maman, tout effarouchée. Je me suis levée en jetant un cri perçant, ... tiens, comme ce jour du tonnerre. Maman est partie d'un éclat de rire, en me disant " Eh bien! qu'avez-vous? Asseyez-vous et donnez votre pied à Monsieur. " En effet, ma chÚre amie, le Monsieur était un Cordonnier. Je ne peux te rendre combien j'ai été honteuse par bonheur il n'y avait que Maman. Je crois que, quand je serai mariée, je ne me servirai plus de ce Cordonnier-là . Conviens que nous voilà bien savantes! Adieu. Il est prÚs de six heures, et ma Femme de chambre dit qu'il faut que je m'habille. Adieu, ma chÚre Sophie; je t'aime comme si j'étais encore au Couvent. Je ne sais par qui envoyer ma Lettre ainsi j'attendrai que Joséphine vienne. Paris, ce 3 août 17** LETTRE II LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT AU CHATEAU DE ... Revenez, mon cher Vicomte, revenez que faites-vous, que pouvez-vous faire chez une vieille tante dont tous les biens vous sont substitués? Partez sur-le- champ; j'ai besoin de vous. Il m'est venu une excellente idée, et je veux bien vous en confier l'exécution. Ce peu de mots devrait suffire; et, trop honoré de mon choix, vous devriez venir, avec empressement, prendre mes ordres à genoux mais vous abusez de mes bontés, mÃÂȘme depuis que vous n'en usez plus; et dans l'alternative d'une haine éternelle ou d'une excessive indulgence, votre bonheur veut que ma bonté l'emporte. Je veux donc bien vous instruire de mes projets mais jurez-moi qu'en fidÚle Chevalier vous ne courrez aucune aventure que vous n'ayez mis celle-ci à fin. Elle est digne d'un Héros vous servirez l'Amour et la vengeance; ce sera enfin une rouerie [Ces mots roué et rouerie , dont heureusement la bonne compagnie commence à se défaire, étaient fort en usage à l'époque oÃÂč ces Lettres ont été écrites] de plus à mettre dans vos Mémoires oui, dans vos Mémoires, car je veux qu'ils soient imprimés un jour, et je me charge de les écrire. Mais laissons cela, et revenons à ce qui m'occupe. Madame de Volanges marie sa fille c'est encore un secret; mais elle m'en a fait part hier. Et qui croyez-vous qu'elle ait choisi pour gendre? Le Comte de Gercourt. Qui m'aurait dit que je deviendrais la cousine de Gercourt? J'en suis dans une fureur! Eh bien! vous ne devinez pas encore? oh! l'esprit lourd! Lui avez-vous donc pardonné l'aventure de l'Intendante? Et moi, n'ai-je pas encore plus à me plaindre de lui, monstre que vous ÃÂȘtes? [Pour entendre ce passage, il faut savoir que le Comte de Gercourt avait quitté la Marquise de Merteuil pour l'Intendante de ***, qui lui avait sacrifié le Vicomte de Valmont, et que c'est alors que la Marquise et le Vicomte s'attachÚrent l'un à l'autre. Comme cette aventure est fort antérieure aux événements dont il est question dans ces Lettres, on a cru devoir en supprimer toute la Correspondance.] Mais je m'apaise, et l'espoir de me venger rassérÚne mon ùme. Vous avez été ennuyé cent fois, ainsi que moi, de l'importance que met Gercourt à la femme qu'il aura, et de la sotte présomption qui lui fait croire qu'il évitera le sort inévitable. Vous connaissez sa ridicule prévention pour les éducations cloÃtrées, et son préjugé, plus ridicule encore, en faveur de la retenue des blondes. En effet, je gagerais que, malgré les soixante mille livres de rente de la petite Volanges, il n'aurait jamais fait ce mariage, si elle eût été brune, ou si elle n'eût pas été au Couvent. Prouvons-lui donc qu'il n'est qu'un sot il le sera sans doute un jour; ce n'est pas là ce qui m'embarrasse mais le plaisant serait qu'il débutùt par là . Comme nous nous amuserions le lendemain en l'entendant se vanter! car il se vantera; et puis, si une fois vous formez cette petite fille, il y aura bien du malheur si le Gercourt ne devient pas, comme un autre, la fable de Paris. Au reste, l'Héroïne de ce nouveau Roman mérite tous vos soins elle est vraiment jolie; cela n'a que quinze ans, c'est le bouton de rose; gauche, à la vérité, comme on ne l'est point, et nullement maniérée mais, vous autres hommes, vous ne craignez pas cela; de plus, un certain regard langoureux qui promet beaucoup en vérité ajoutez-y que je vous la recommande; vous n'avez plus qu'à me remercier et m'obéir. Vous recevrez cette Lettre demain matin. J'exige que demain à sept heures du soir, vous soyez chez moi. Je ne recevrai personne qu'à huit, pas mÃÂȘme le régnant Chevalier; il n'a pas assez de tÃÂȘte pour une aussi grande affaire. Vous voyez que l'Amour ne m'aveugle pas. A huit heures je vous rendrai votre liberté, et vous reviendrez à dix souper avec le bel objet; car la mÚre et la fille souperont chez moi. Adieu, il est midi passé bientÎt je ne m'occuperai plus de vous. Paris, ce 4 août 17** LETTRE III CECILE VOLANGES A SOPHIE CARNAY Je ne sais encore rien, ma bonne amie. Maman avait hier beaucoup de monde à souper. Malgré l'intérÃÂȘt que j'avais à examiner, les hommes surtout, je me suis fort ennuyée. Hommes et femmes, tout le monde m'a beaucoup regardée, et puis on se parlait à l'oreille; et je voyais bien qu'on parlait de moi cela me faisait rougir; je ne pouvais m'en empÃÂȘcher. Je l'aurais bien voulu, car j'ai remarqué que quand on regardait les autres femmes, elles ne rougissaient pas; ou bien c'est le rouge qu'elles mettent, qui empÃÂȘche de voir celui que l'embarras leur cause; car il doit ÃÂȘtre bien difficile de ne pas rougir quand un homme vous regarde fixement. Ce qui m'inquiétait le plus était de ne pas savoir ce qu'on pensait sur mon compte. Je crois avoir entendu pourtant deux ou trois fois le mot de jolie mais j'ai entendu bien distinctement celui de gauche ; et il faut que cela soit bien vrai, car la femme qui le disait est parente et amie de ma mÚre; elle paraÃt mÃÂȘme avoir pris tout de suite de l'amitié pour moi. C'est la seule personne qui m'ait un peu parlé dans la soirée. Nous souperons demain chez elle. J'ai encore entendu, aprÚs souper, un homme que je suis sûre qui parlait de moi, et qui disait à un autre " Il faut laisser mûrir cela, nous verrons cet hiver. " C'est peut-ÃÂȘtre celui-là qui doit m'épouser; mais alors ce ne serait donc que dans quatre mois! Je voudrais bien savoir ce qui en est. Voilà Joséphine, et elle me dit qu'elle est pressée. Je veux pourtant te raconter encore une de mes gaucheries . Oh! je crois que cette dame a raison! AprÚs le souper on s'est mis à jouer. Je me suis placée auprÚs de Maman; je ne sais pas comment cela s'est fait, mais je me suis endormie presque tout de suite. Un grand éclat de rire m'a réveillée. Je ne sais si l'on riait de moi, mais je le crois. Maman m'a permis de me retirer et elle m'a fait grand plaisir. Figure- toi qu'il était onze heures passées. Adieu, ma chÚre Sophie; aime toujours bien ta Cécile. Je t'assure que le monde n'est pas aussi amusant que nous l'imaginions. Paris, ce 4 août l7**. LETTRE IV LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL A PARIS Vos ordres sont charmants; votre façon de les donner est plus aimable encore; vous feriez chérir le despotisme. Ce n'est pas la premiÚre fois, comme vous savez, que je regrette de ne plus ÃÂȘtre votre esclave; et tout monstre que vous dites que je suis, je ne me rappelle jamais sans plaisir le temps oÃÂč vous m'honoriez de noms plus doux. Souvent mÃÂȘme je désire de les mériter de nouveau, et de finir par donner, avec vous, un exemple de constance au monde. Mais de plus grands intérÃÂȘts nous appellent; conquérir est notre destin; il faut le suivre peut-ÃÂȘtre au bout de la carriÚre nous rencontrerons- nous encore; car, soit dit sans vous fùcher, ma trÚs belle Marquise, vous me suivez au moins d'un pas égal; et depuis que, nous séparant pour le bonheur du monde, nous prÃÂȘchons la foi chacun de notre cÎté, il me semble que dans cette mission d'amour, vous avez fait plus de prosélytes que moi. Je connais votre zÚle, votre ardente ferveur; et si ce Dieu-là nous jugeait sur nos Å’uvres, vous seriez un jour la Patronne de quelque grande ville, tandis que votre ami serait au plus un Saint de village. Ce langage vous étonne, n'est-il pas vrai? Mais depuis huit jours, je n'en entends, je n'en parle pas d'autre; et c'est pour m'y perfectionner, que je me vois forcé de vous désobéir. Ne vous fùchez pas et écoutez-moi. Dépositaire de tous les secrets de mon cÅ“ur, je vais vous confier le plus grand projet que j'aie jamais formé. Que me proposez-vous? de séduire une jeune fille qui n'a rien vu, ne connaÃt rien; qui, pour ainsi dire, me serait livrée sans défense; qu'un premier hommage ne manquera pas d'enivrer et que la curiosité mÚnera peut-ÃÂȘtre plus vite que l'Amour. Vingt autres peuvent y réussir comme moi. Il n'en est pas ainsi de l'entreprise qui m'occupe; son succÚs m'assure autant de gloire que de plaisir l'Amour qui prépare ma couronne hésite lui-mÃÂȘme entre le myrte et le laurier, ou plutÎt il les réunira pour honorer mon triomphe. Vous-mÃÂȘme, ma belle amie, vous serez saisie d'un saint respect, et vous direz avec enthousiasme " Voilà l'homme selon mon cÅ“ur. " Vous connaissez la Présidente Tourvel, sa dévotion, son amour conjugal, ses principes austÚres. Voilà ce que j'attaque; voilà l'ennemi digne de moi; voilà le but oÃÂč je prétends atteindre Et si de l'obtenir je n'emporte le prix, J'aurai du moins l'honneur de l'avoir entrepris. On peut citer de mauvais vers, quand ils sont d'un grand PoÚte [La Fontaine]. Vous saurez donc que le Président est en Bourgogne, à la suite d'un grand procÚs j'espÚre lui en faire perdre un plus important. Son inconsolable moitié doit passer ici tout le temps de cet affligeant veuvage. Une messe chaque jour, quelques visites aux Pauvres du canton, des priÚres du matin et du soir, des promenades solitaires, de pieux entretiens avec ma vieille tante, et quelquefois un triste Wisk, devaient ÃÂȘtre ses seules distractions. Je lui en prépare de plus efficaces. Mon bon Ange m'a conduit ici, pour son bonheur et pour le mien. Insensé! je regrettais vingt-quatre heures que je sacrifiais à des égards d'usage. Combien on me punirait, en me forçant de retourner à Paris! Heureusement il faut ÃÂȘtre quatre pour jouer au Wisk; et comme il n'y a ici que le Curé du lieu, mon éternelle tante m'a beaucoup pressé de lui sacrifier quelques jours. Vous devinez que j'ai consenti. Vous n'imaginez pas combien elle me cajole depuis ce moment, combien surtout elle est édifiée de me voir réguliÚrement à ses priÚres et à sa Messe. Elle ne se doute pas de la Divinité que j'y adore. Me voilà donc, depuis quatre jours, livré à une passion forte. Vous savez si je désire vivement, si je dévore les obstacles mais ce que vous ignorez, c'est combien la solitude ajoute à l'ardeur du désir. Je n'ai plus qu'une idée; j'y pense le jour, et j'y rÃÂȘve la nuit. J'ai bien besoin d'avoir cette femme, pour me sauver du ridicule d'en ÃÂȘtre amoureux car oÃÂč ne mÚne pas un désir contrarié? Ô délicieuse jouissance! Je t'implore pour mon bonheur et surtout pour mon repos. Que nous sommes heureux que les femmes se défendent si mal! nous ne serions auprÚs d'elles que de timides esclaves. J'ai dans ce moment un sentiment de reconnaissance pour les femmes faciles, qui m'amÚne naturellement à vos pieds. Je m'y prosterne pour obtenir mon pardon, et j'y finis cette trop longue Lettre. Adieu, ma trÚs belle amie sans rancune. Du Chùteau de ..., 5 août 17** LETTRE V LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT Savez-vous, Vicomte, que votre Lettre est d'une insolence rare, et qu'il ne tiendrait qu'à moi de m'en fùcher? mais elle m'a prouvé clairement que vous aviez perdu la tÃÂȘte, et cela seul vous a sauvé de mon indignation. Amie généreuse et sensible, j'oublie mon injure pour ne m'occuper que de votre danger; et quelque ennuyeux qu'il soit de raisonner, je cÚde au besoin que vous en avez dans ce moment. Vous, avoir la Présidente de Tourvel! mais quel ridicule caprice! Je reconnais bien là votre mauvaise tÃÂȘte qui ne sait désirer que ce qu'elle croit ne pas pouvoir obtenir. Qu'est-ce donc que cette femme? des traits réguliers si vous voulez, mais nulle expression passablement faite, mais sans grùces toujours mise à faire rire! avec ses paquets de fichus sur la gorge, et son corps qui remonte au menton! Je vous le dis en amie, il ne vous faudrait pas deux femmes comme celle-là , pour vous faire perdre toute votre considération. Rappelez-vous donc ce jour oÃÂč elle quÃÂȘtait à Saint-Roch, et oÃÂč vous me remerciùtes tant de vous avoir procuré ce spectacle. Je crois la voir encore, donnant la main à ce grand échalas en cheveux longs, prÃÂȘte à tomber à chaque pas, ayant toujours son panier de quatre aunes sur la tÃÂȘte de quelqu'un, et rougissant à chaque révérence. Qui vous eût dit alors vous désirerez cette femme? Allons, Vicomte, rougissez vous-mÃÂȘme, et revenez à vous. Je vous promets le secret. Et puis, voyez donc les désagréments qui vous attendent! quel rival avez-vous à combattre? un mari! Ne vous sentez-vous pas humilié à ce seul mot? Quelle honte si vous échouez! et mÃÂȘme combien peu de gloire dans le succÚs! Je dis plus; n'en espérez aucun plaisir. En est-il avec les prudes? j'entends celles de bonne foi réservées au sein mÃÂȘme du plaisir, elles ne vous offrent que des demi-jouissances. Cet entier abandon de soi-mÃÂȘme, ce délire de la volupté oÃÂč le plaisir s'épure par son excÚs, ces biens de l'Amour, ne sont pas connus d'elles. Je vous le prédis; dans la plus heureuse supposition, votre Présidente croira avoir tout fait pour vous en vous traitant comme son mari, et dans le tÃÂȘte-à -tÃÂȘte conjugal le plus tendre, on reste toujours deux. Ici c'est bien pis encore; votre prude est dévote et de cette dévotion de bonne femme qui condamne à une éternelle enfance. Peut-ÃÂȘtre surmonterez-vous cet obstacle, mais ne vous flattez pas de le détruire vainqueur de l'Amour de Dieu, vous ne le serez pas de la peur du Diable; et quand, tenant votre MaÃtresse dans vos bras, vous sentirez palpiter son cÅ“ur, ce sera de crainte et non d'amour. Peut- ÃÂȘtre, si vous eussiez connu cette femme plus tÎt, en eussiez-vous pu faire quelque chose; mais cela a vingt-deux ans, et il y en a prÚs de deux qu'elle est mariée. Croyez-moi, Vicomte, quand une femme s'est encroûtée à ce point, il faut l'abandonner à son sort; ce ne sera jamais qu'une espÚce . C'est pourtant pour ce bel objet que vous refusez de m'obéir, que vous vous enterrez dans le tombeau de votre tante, et que vous renoncez à l'aventure la plus délicieuse et la plus faite pour vous faire honneur. Par quelle fatalité faut- il donc que Gercourt garde toujours quelque avantage sur vous? Tenez, je vous en parle sans humeur mais, dans ce moment, je suis tentée de croire que vous ne méritez pas votre réputation; je suis tentée surtout de vous retirer ma confiance. Je ne m'accoutumerai jamais à dire mes secrets à l'amant de Madame de Tourvel. Sachez pourtant que la petite Volanges a déjà fait tourner une tÃÂȘte. Le jeune Danceny en raffole. Il a chanté avec elle; et en effet elle chante mieux qu'à une Pensionnaire n'appartient. Ils doivent répéter beaucoup de Duos, et je crois qu'elle se mettrait volontiers à l'unisson mais ce Danceny est un enfant qui perdra son temps à faire l'Amour, et ne finira rien. La petite personne de son cÎté est assez farouche; et, à tout événement, cela sera toujours beaucoup moins plaisant que vous n'auriez pu le rendre aussi j'ai de l'humeur, et sûrement je querellerai le Chevalier à son arrivée. Je lui conseille d'ÃÂȘtre doux; car, dans ce moment, il ne m'en coûterait rien de rompre avec lui. Je suis sûre que si j'avais le bon esprit de le quitter à présent, il en serait au désespoir; et rien ne m'amuse comme un désespoir amoureux. Il m'appellerait perfide, et ce mot de perfide m'a toujours fait plaisir; c'est, aprÚs celui de cruelle, le plus doux à l'oreille d'une femme, et il est moins pénible à mériter. Sérieusement, je vais m'occuper de cette rupture. Voilà pourtant de quoi vous ÃÂȘtes cause! aussi je le mets sur votre conscience. Adieu. Recommandez-moi aux priÚres de votre Présidente. Paris, ce 7 août 17** LETTRE VI LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Il n'est donc point de femme qui n'abuse de l'empire qu'elle a su prendre! Et vous-mÃÂȘme, vous que je nommai si souvent mon indulgente amie, vous cessez enfin de l'ÃÂȘtre, et vous ne craignez pas de m'attaquer dans l'objet de mes affections! De quels traits vous osez peindre Madame de Tourvel! quel homme n'eût point payé de sa vie cette insolente audace? à quelle autre femme qu'à vous n'eût-elle valu au moins une noirceur? De grùce, ne me mettez plus à d'aussi rudes épreuves; je ne répondrais pas de les soutenir. Au nom de l'amitié, attendez que j'aie eu cette femme, si vous voulez en médire. Ne savez-vous pas que la seule volupté a le droit de détacher le bandeau de l'Amour? Mais que dis-je? Madame de Tourvel a-t-elle besoin d'illusion? non; pour ÃÂȘtre adorable il lui suffit d'ÃÂȘtre elle-mÃÂȘme. Vous lui reprochez de se mettre mal; je le crois bien; toute parure lui nuit; tout ce qui la cache la dépare c'est dans l'abandon du négligé qu'elle est vraiment ravissante. Grùce aux chaleurs accablantes que nous éprouvons, un déshabillé de simple toile me laisse voir sa taille ronde et souple. Une seule mousseline couvre sa gorge, et mes regards furtifs, mais pénétrants, en ont déjà saisi les formes enchanteresses. Sa figure, dites-vous, n'a nulle expression. Et qu'exprimerait-elle, dans les moments oÃÂč rien ne parle à son cÅ“ur? Non, sans doute, elle n'a point, comme nos femmes coquettes, ce regard menteur qui séduit quelquefois et nous trompe toujours. Elle ne sait pas couvrir le vide d'une phrase par un sourire étudié; et quoiqu'elle ait les plus belles dents du monde, elle ne rit que de ce qui l'amuse. Mais il faut voir comme, dans les folùtres jeux, elle offre l'image d'une gaieté naïve et franche! comme, auprÚs d'un malheureux qu'elle s'empresse de secourir, son regard annonce la joie pure et la bonté compatissante! Il faut voir, surtout au moindre mot d'éloge ou de cajolerie, se peindre, sur sa figure céleste, ce touchant embarras d'une modestie qui n'est point jouée! Elle est prude et dévote, et de là vous la jugez froide et inanimée? Je pense bien différemment. Quelle étonnante sensibilité ne faut-il pas avoir pour la répandre jusque sur son mari, et pour aimer toujours un ÃÂȘtre toujours absent? Quelle preuve plus forte pourriez-vous désirer? J'ai su pourtant m'en procurer une autre. J'ai dirigé sa promenade de maniÚre qu'il s'est trouvé un fossé à franchir; et, quoique fort leste, elle est encore plus timide vous jugez bien qu'une prude craint de sauter le fossé [On reconnaÃt ici le mauvais goût des calembours, qui commençait à prendre, et qui depuis a fait tant de progrÚs]. Il a fallu se confier à moi. J'ai tenu dans mes bras cette femme modeste. Nos préparatifs et le passage de ma vieille tante avaient fait rire aux éclats la folùtre Dévote mais, dÚs que je me fus emparé d'elle, par une adroite gaucherie, nos bras s'enlacÚrent mutuellement. Je pressai son sein contre le mien; et, dans ce court intervalle, je sentis son cÅ“ur battre plus vite. L'aimable rougeur vint colorer son visage, et son modeste embarras m'apprit assez que son cÅ“ur avait palpité d'amour et non de crainte . Ma tante cependant s'y trompa comme vous, et se mit à dire " L'enfant a eu peur " ; mais la charmante candeur de l'enfant ne lui permit pas le mensonge, et elle répondit naïvement " Oh non, mais!... " Ce seul mot m'a éclairé. DÚs ce moment, le doux espoir a remplacé la cruelle inquiétude. J'aurai cette femme; je l'enlÚverai au mari qui la profane j'oserai la ravir au Dieu mÃÂȘme qu'elle adore. Quel délice d'ÃÂȘtre tour à tour l'objet et le vainqueur de ses remords! Loin de moi l'idée de détruire les préjugés qui l'assiÚgent! ils ajouteront à mon bonheur et à ma gloire. Qu'elle croie à la vertu, mais qu'elle me la sacrifie; que ses fautes l'épouvantent sans pouvoir l'arrÃÂȘter; et qu'agitée de mille terreurs, elle ne puisse les oublier, les vaincre que dans mes bras. Qu'alors, j'y consens, elle me dise " Je t'adore " , elle seule, entre toutes les femmes, sera digne de prononcer ce mot. Je serai vraiment le Dieu qu'elle aura préféré. Soyons de bonne foi; dans nos arrangements, aussi froids que faciles, ce que nous appelons bonheur est à peine un plaisir. Vous le dirai-je? je croyais mon cÅ“ur flétri, et ne me trouvant plus que des sens, je me plaignais d'une vieillesse prématurée. Madame de Tourvel m'a rendu les charmantes illusions de la jeunesse. AuprÚs d'elle, je n'ai pas besoin de jouir pour ÃÂȘtre heureux. La seule chose qui m'effraie, est le temps que va me prendre cette aventure; car je n'ose rien donner au hasard. J'ai beau me rappeler mes heureuses témérités, je ne puis me résoudre à les mettre en usage. Pour que je sois vraiment heureux, il faut qu'elle se donne; et ce n'est pas une petite affaire. Je suis sûr que vous admireriez ma prudence. Je n'ai pas encore prononcé le mot d'amour; mais déjà nous en sommes à ceux de confiance et d'intérÃÂȘt. Pour la tromper le moins possible, et surtout pour prévenir l'effet des propos qui pourraient lui revenir, je lui ai raconté moi-mÃÂȘme, et comme en m'accusant, quelques-uns de mes traits les plus connus. Vous ririez de voir avec quelle candeur elle me prÃÂȘche. Elle veut, dit-elle, me convertir. Elle ne se doute pas encore de ce qu'il lui en coûtera pour le tenter. Elle est loin de penser qu'en plaidant , pour parler comme elle, pour les infortunées que j'ai perdues , elle parle d'avance dans sa propre cause. Cette idée me vint hier au milieu d'un de ses sermons, et je ne pus me refuser au plaisir de l'interrompre, pour l'assurer qu'elle parlait comme un prophÚte. Adieu, ma trÚs belle amie. Vous voyez que je ne suis pas perdu sans ressources. A propos, ce pauvre Chevalier, s'est-il tué de désespoir? En vérité, vous ÃÂȘtes cent fois plus mauvais sujet que moi, et vous m'humilieriez si j'avais de l'amour-propre. Du Chùteau de ..., ce 9 août 17** LETTRE VII CECILE VOLANGES A SOPHIE CARNAY [Pour ne pas abuser de la patience du Lecteur, on supprime beaucoup de Lettres de cette Correspondance journaliÚre; on ne donne que celles qui ont paru nécessaires à l'intelligence des événements de cette société. C'est par le mÃÂȘme motif qu'on supprime aussi toutes les Lettres de Sophie Carnay et plusieurs de celles des autres Acteurs de ces aventures.] Si je ne t'ai rien dit de mon mariage, c'est que je ne suis pas plus instruite que le premier jour. Je m'accoutume à n'y plus penser et je me trouve assez bien de mon genre de vie. J'étudie beaucoup mon chant et ma harpe; il me semble que je les aime mieux depuis que je n'ai plus de MaÃtres, ou plutÎt c'est que j'en ai un meilleur. M. le Chevalier Danceny, ce Monsieur dont je t'ai parlé, et avec qui j'ai chanté chez Madame de Merteuil, a la complaisance de venir ici tous les jours, et de chanter avec moi des heures entiÚres. Il est extrÃÂȘmement aimable. Il chante comme un Ange, et compose de trÚs jolis airs dont il fait aussi les paroles. C'est bien dommage qu'il soit Chevalier de Malte! Il me semble que s'il se mariait, sa femme serait bien heureuse. Il a une douceur charmante. Il n'a jamais l'air de faire un compliment, et pourtant tout ce qu'il dit flatte. Il me reprend sans cesse, tant sur la musique que sur autre chose mais il mÃÂȘle à ses critiques tant d'intérÃÂȘt et de gaieté, qu'il est impossible de ne pas lui en savoir gré. Seulement quand il vous regarde, il a l'air de vous dire quelque chose d'obligeant. Il joint à tout cela d'ÃÂȘtre trÚs complaisant. Par exemple, hier, il était prié d'un grand concert; il a préféré de rester toute la soirée chez Maman. Cela m'a fait bien plaisir; car quand il n'y est pas, personne ne me parle, et je m'ennuie au lieu que quand il y est, nous chantons et nous causons ensemble. Il a toujours quelque chose à me dire. Lui et Madame de Merteuil sont les deux seules personnes que je trouve aimables. Mais adieu, ma chÚre amie j'ai promis que je saurais pour aujourd'hui une ariette dont l'accompagnement est trÚs difficile, et je ne veux pas manquer de parole. Je vais me remettre à l'étude jusqu'à ce qu'il vienne. De ..., ce 7 août 17** LETTRE VIII LA PRESIDENTE DE TOURVEL A MADAME DE VOLANGES On ne peut ÃÂȘtre plus sensible que je le suis, Madame, à la confiance que vous me témoignez, ni prendre plus d'intérÃÂȘt que moi à l'établissement de Mademoiselle de Volanges. C'est bien de toute mon ùme que je lui souhaite une félicité dont je ne doute pas qu'elle ne soit digne, et sur laquelle je m'en rapporte bien à votre prudence. Je ne connais point M. le Comte de Gercourt; mais, honoré de votre choix, je ne puis prendre de lui qu'une idée trÚs avantageuse. Je me borne, Madame, à souhaiter à ce mariage un succÚs aussi heureux qu'au mien, qui est pareillement votre ouvrage, et pour lequel chaque jour ajoute à ma reconnaissance. Que le bonheur de Mademoiselle votre fille soit la récompense de celui que vous m'avez procuré; et puisse la meilleure des amies ÃÂȘtre aussi la plus heureuse des mÚres! Je suis vraiment peinée de ne pouvoir vous offrir de vive voix l'hommage de ce vÅ“u sincÚre, et faire, aussi tÎt que je le désirerais, connaissance avec Mademoiselle de Volanges. AprÚs avoir éprouvé vos bontés vraiment maternelles, j'ai droit d'espérer d'elle l'amitié tendre d'une sÅ“ur. Je vous prie, Madame, de vouloir bien la lui demander de ma part, en attendant que je me trouve à portée de la mériter. Je compte rester à la campagne tout le temps de l'absence de M. de Tourvel. J'ai pris ce temps pour jouir et profiter de la société de la respectable Madame de Rosemonde. Cette femme est toujours charmante son grand ùge ne lui fait rien perdre; elle conserve toute sa mémoire et sa gaieté. Son corps seul a quatre-vingt-quatre ans; son esprit n'en a que vingt. Notre retraite est égayée par son neveu le Vicomte de Valmont, qui a bien voulu nous sacrifier quelques jours. Je ne le connaissais que de réputation, et elle me faisait peu désirer de le connaÃtre davantage mais il me semble qu'il vaut mieux qu'elle. Ici, oÃÂč le tourbillon du monde ne le gùte pas, il parle raison avec une facilité étonnante, et il s'accuse de ses torts avec une candeur rare. Il me parle avec beaucoup de confiance, et je le prÃÂȘche avec beaucoup de sévérité. Vous qui le connaissez, vous conviendrez que ce serait une belle conversion à faire mais je ne doute pas, malgré ses promesses, que huit jours de Paris ne lui fassent oublier tous mes sermons. Le séjour qu'il fera ici sera au moins autant de retranché sur sa conduite ordinaire et je crois que, d'aprÚs sa façon de vivre, ce qu'il peut faire de mieux est de ne rien faire du tout. Il sait que je suis occupée à vous écrire, et il m'a chargée de vous présenter ses respectueux hommages. Recevez aussi le mien avec la bonté que je vous connais, et ne doutez jamais des sentiments sincÚres avec lesquels j'ai l'honneur d'ÃÂȘtre, etc. Du Chùteau de ..., ce 9 août 17** LETTRE IX MADAME DE VOLANGES A LA PRESIDENTE DE TOURVEL Je n'ai jamais douté, ma jeune et belle amie, ni de l'amitié que vous avez pour moi, ni de l'intérÃÂȘt sincÚre que vous prenez à tout ce qui me regarde. Ce n'est pas pour éclaircir ce point, que j'espÚre convenu à jamais entre nous, que je réponds à votre Réponse mais je ne crois pas pouvoir me dispenser de causer avec vous au sujet du Vicomte de Valmont. Je ne m'attendais pas, je l'avoue, à trouver jamais ce nom-là dans vos Lettres. En effet, que peut-il y avoir de commun entre vous et lui? Vous ne connaissez pas cet homme; oÃÂč auriez-vous pris l'idée de l'ùme d'un libertin? Vous me parlez de sa rare candeur oh! oui; la candeur de Valmont doit ÃÂȘtre en effet trÚs rare. Encore plus faux et dangereux qu'il n'est aimable et séduisant, jamais depuis sa plus grande jeunesse, il n'a fait un pas ou dit une parole sans avoir un projet, et jamais il n'eut un projet qui ne fût malhonnÃÂȘte ou criminel. Mon amie, vous me connaissez; vous savez si, des vertus que je tùche d'acquérir, l'indulgence n'est pas celle que je chéris le plus. Aussi, si Valmont était entraÃné par des passions fougueuses; si, comme mille autres, il était séduit par les erreurs de son ùge, blùmant sa conduite je plaindrais sa personne, et j'attendrais, en silence, le temps oÃÂč un retour heureux lui rendrait l'estime des gens honnÃÂȘtes. Mais Valmont n'est pas cela sa conduite est le résultat de ses principes. Il sait calculer tout ce qu'un homme peut se permettre d'horreurs, sans se compromettre; et pour ÃÂȘtre cruel et méchant sans danger, il a choisi les femmes pour victimes. Je ne m'arrÃÂȘte pas à compter celles qu'il a séduites mais combien n'en a-t-il pas perdues? Dans la vie sage et retirée que vous menez, ces scandaleuses aventures ne parviennent pas jusqu'à vous. Je pourrais vous en raconter qui vous feraient frémir; mais vos regards, purs comme votre ùme, seraient souillés par de semblables tableaux sûre que Valmont ne sera jamais dangereux pour vous, vous n'avez pas besoin de pareilles armes pour vous défendre. La seule chose que j'ai à vous dire, c'est que, de toutes les femmes auxquelles il a rendu des soins, succÚs ou non, il n'en est point qui n'aient eu à s'en plaindre. La seule Marquise de Merteuil fait l'exception à cette rÚgle générale; seule, elle a su lui résister et enchaÃner sa méchanceté. J'avoue que ce trait de sa vie est celui qui lui fait le plus d'honneur à mes yeux aussi a-t-il suffi pour la justifier pleinement aux yeux de tous, de quelques inconséquences qu'on avait à lui reprocher dans le début de son veuvage. [L'erreur oÃÂč est Madame de Volanges nous fait voir qu'ainsi que les autres scélérats Valmont ne décelait pas ses complices.] Quoi qu'il en soit, ma belle amie, ce que l'ùge, l'expérience et surtout l'amitié, m'autorisent à vous représenter, c'est qu'on commence à s'apercevoir dans le monde de l'absence de Valmont; et que si on sait qu'il soit resté quelque temps en tiers entre sa tante et vous, votre réputation sera entre ses mains; malheur le plus grand qui puisse arriver à une femme. Je vous conseille donc d'engager sa tante à ne pas le retenir davantage; et s'il s'obstine à rester, je crois que vous ne devez pas hésiter à lui céder la place. Mais pourquoi resterait-il? que fait-il donc à cette campagne? Si vous faisiez épier ses démarches, je suis sûre que vous découvririez qu'il n'a fait que prendre un asile plus commode, pour quelques noirceurs qu'il médite dans les environs. Mais, dans l'impossibilité de remédier au mal, contentons-nous de nous en garantir. Adieu, ma belle amie; voilà le mariage de ma fille un peu retardé. Le Comte de Gercourt, que nous attendions d'un jour à l'autre, me mande que son Régiment passe en Corse; et comme il y a encore des mouvements de guerre, il lui sera impossible de s'absenter avant l'hiver. Cela me contrarie; mais cela me fait espérer que nous aurons le plaisir de vous voir à la noce, et j'étais fùchée qu'elle se fÃt sans vous. Adieu; je suis, sans compliment comme sans réserve, entiÚrement à vous. Rappelez-moi au souvenir de Madame de Rosemonde, que j'aime toujours autant qu'elle le mérite. De ..., ce 11 août 17** LETTRE X LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT Me boudez-vous, Vicomte? ou bien ÃÂȘtes-vous mort? ou, ce qui y ressemblerait beaucoup, ne vivez-vous plus que pour votre Présidente? Cette femme, qui vous a rendu les illusions de la jeunesse , vous en rendra bientÎt aussi les ridicules préjugés. Déjà vous voilà timide et esclave; autant vaudrait ÃÂȘtre amoureux. Vous renoncez à vos heureuses témérités . Vous voilà donc vous conduisant sans principes, et donnant tout au hasard, ou plutÎt au caprice. Ne vous souvient-il plus que l'Amour est, comme la médecine, seulement l'art d'aider la Nature ? Vous voyez que je vous bats avec vos armes mais je n'en prendrai pas d'orgueil; car c'est bien battre un homme à terre. Il faut qu'elle se donne , me dites-vous eh! sans doute, il le faut; aussi se donnera-t-elle comme les autres, avec cette différence que ce sera de mauvaise grùce. Mais, pour qu'elle finisse par se donner, le vrai moyen est de commencer par la prendre. Que cette ridicule distinction est bien un vrai déraisonnement de l'Amour! Je dis l'Amour; car vous ÃÂȘtes amoureux. Vous parler autrement, ce serait vous trahir; ce serait vous cacher votre mal. Dites-moi donc, amant langoureux, ces femmes que vous avez eues, croyez- vous les avoir violées? Mais, quelque envie qu'on ait de se donner, quelque pressée que l'on en soit, encore faut-il un prétexte; et y en a-t-il de plus commode pour nous, que celui qui nous donne l'air de céder à la force? Pour moi, je l'avoue, une des choses qui me flattent le plus, est une attaque vive et bien faite, oÃÂč tout se succÚde avec ordre quoique avec rapidité; qui ne nous met jamais dans ce pénible embarras de réparer nous-mÃÂȘmes une gaucherie dont au contraire nous aurions dû profiter; qui sait garder l'air de la violence jusque dans les choses que nous accordons, et flatter avec adresse nos deux passions favorites, la gloire de la défense et le plaisir de la défaite. Je conviens que ce talent, plus rare que l'on ne croit, m'a toujours fait plaisir, mÃÂȘme alors qu'il ne m'a pas séduite, et que quelquefois il m'est arrivé de me rendre, uniquement comme récompense. Telle dans nos anciens Tournois, la Beauté donnait le prix de la valeur et de l'adresse. Mais vous, vous qui n'ÃÂȘtes plus vous, vous vous conduisez comme si vous aviez peur de réussir. Eh! depuis quand voyagez-vous à petites journées et par des chemins de traverse? Mon ami, quand on veut arriver, des chevaux de poste et la grande route! Mais laissons ce sujet, qui me donne d'autant plus d'humeur, qu'il me prive du plaisir de vous voir. Au moins écrivez-moi plus souvent que vous ne faites, et mettez-moi au courant de vos progrÚs. Savez- vous que voilà plus de quinze jours que cette ridicule aventure vous occupe, et que vous négligez tout le monde? A propos de négligence, vous ressemblez aux gens qui envoient réguliÚrement savoir des nouvelles de leurs amis malades, mais qui ne se font jamais rendre la réponse. Vous finissez votre derniÚre Lettre par me demander si le Chevalier est mort. Je ne réponds pas, et vous ne vous en inquiétez pas davantage. Ne savez-vous plus que mon amant est votre ami-né? Mais rassurez-vous, il n'est point mort; ou s'il l'était, ce serait de l'excÚs de sa joie. Ce pauvre Chevalier, comme il est tendre! comme il est fait pour l'Amour! comme il sait sentir vivement! la tÃÂȘte m'en tourne. Sérieusement, le bonheur parfait qu'il trouve à ÃÂȘtre aimé de moi m'attache véritablement à lui. Ce mÃÂȘme jour, oÃÂč je vous écrivais que j'allais travailler à notre rupture, combien je le rendis heureux! Je m'occupais pourtant tout de bon des moyens de le désespérer, quand on me l'annonça. Soit caprice ou raison, jamais il ne me parut si bien. Je le reçus cependant avec humeur. Il espérait passer deux heures avec moi, avant celle oÃÂč ma porte serait ouverte à tout le monde. Je lui dis que j'allais sortir il me demanda oÃÂč j'allais; je refusai de le lui apprendre. Il insista; oÃÂč vous ne serez pas , repris-je, avec aigreur. Heureusement pour lui, il resta pétrifié de cette réponse; car, s'il eût dit un mot, il s'ensuivait immanquablement une scÚne qui eût amené la rupture que j'avais projetée. Etonnée de son silence, je jetai les yeux sur lui sans autre projet, je vous jure, que de voir la mine qu'il faisait. Je retrouvai sur cette charmante figure, cette tristesse, à la fois profonde et tendre, à laquelle vous-mÃÂȘme ÃÂȘtes convenu qu'il était si difficile de résister. La mÃÂȘme cause produisit le mÃÂȘme effet; je fus vaincue une seconde fois. DÚs ce moment, je ne m'occupai plus que des moyens d'éviter qu'il pût me trouver un tort. " Je sors pour affaire, lui dis-je avec un air un peu plus doux, et mÃÂȘme cette affaire vous regarde; mais ne m'interrogez pas. Je souperai chez moi; revenez, et vous serez instruit. " Alors il retrouva la parole; mais je ne lui permis pas d'en faire usage. " Je suis trÚs pressée, continuai-je. Laissez-moi; à ce soir. " Il baisa ma main et sortit. AussitÎt, pour le dédommager, peut-ÃÂȘtre pour me dédommager moi-mÃÂȘme, je me décide à lui faire connaÃtre ma petite maison dont il ne se doutait pas. J'appelle ma fidÚle Victoire . J'ai ma migraine; je me couche pour tous mes gens; et, restée enfin seule avec la véritable , tandis qu'elle se travestit en Laquais, je fais une toilette de Femme de chambre. Elle fait ensuite venir un fiacre à la porte de mon jardin, et nous voilà parties. Arrivée dans ce temple de l'Amour, je choisis le déshabillé le plus galant. Celui-ci est délicieux; il est de mon invention il ne laisse rien voir, et pourtant fait tout deviner. Je vous en promets un modÚle pour votre Présidente, quand vous l'aurez rendue digne de le porter. AprÚs ces préparatifs, pendant que Victoire s'occupe des autres détails, je lis un chapitre du Sopha , une Lettre d' Héloïse et deux Contes de La Fontaine, pour recorder les différents tons que je voulais prendre. Cependant mon Chevalier arrive à ma porte, avec l'empressement qu'il a toujours. Mon Suisse la lui refuse, et lui apprend que je suis malade premier incident. Il lui remet en mÃÂȘme temps un billet de moi, mais non de mon écriture, suivant ma prudente rÚgle. Il l'ouvre, et y trouve de la main de Victoire " A neuf heures précises, au Boulevard, devant les Cafés. " Il s'y rend; et là , un petit Laquais qu'il ne connaÃt pas, qu'il croit au moins ne pas connaÃtre, car c'était toujours Victoire, vient lui annoncer qu'il faut renvoyer sa voiture et le suivre. Toute cette marche romanesque lui échauffait la tÃÂȘte d'autant, et la tÃÂȘte échauffée ne nuit à rien. Il arrive enfin, et la surprise et l'Amour causaient en lui un véritable enchantement. Pour lui donner le temps de se remettre, nous nous promenons un moment dans le bosquet; puis je le ramÚne vers la maison. Il voit d'abord deux couverts mis ensuite un lit fait. Nous passons jusqu'au boudoir, qui était dans toute sa parure. Là , moitié réflexion, moitié sentiment, je passai mes bras autour de lui et me laissai tomber à ses genoux. " O mon ami, lui dis-je, pour vouloir te ménager la surprise de ce moment, je me reproche de t'avoir affligé par l'apparence de l'humeur, d'avoir pu un instant voiler mon cÅ“ur à tes regards. Pardonne-moi mes torts je veux les expier à force d'amour. " Vous jugez de l'effet de ce discours sentimental. L'heureux Chevalier me releva et mon pardon fut scellé sur cette mÃÂȘme ottomane oÃÂč vous et moi scellùmes si gaiement et de la mÃÂȘme maniÚre notre éternelle rupture. Comme nous avions six heures à passer ensemble, et que j'avais résolu que tout ce temps fût pour lui également délicieux, je modérai ses transports, et l'aimable coquetterie vint remplacer la tendresse. Je ne crois pas avoir jamais mis tant de soin à plaire, ni avoir été jamais aussi contente de moi. AprÚs le souper, tour à tour enfant et raisonnable, folùtre et sensible, quelquefois mÃÂȘme libertine, je me plaisais à le considérer comme un Sultan au milieu de son Sérail, dont j'étais tour à tour les Favorites différentes. En effet, ses hommages réitérés, quoique toujours reçus par la mÃÂȘme femme, le furent toujours par une MaÃtresse nouvelle. Enfin au point du jour il fallut se séparer; et, quoi qu'il dÃt, quoi qu'il fÃt mÃÂȘme pour me prouver le contraire, il en avait autant de besoin que peu d'envie. Au moment oÃÂč nous sortÃmes et pour dernier adieu, je pris la clef de cet heureux séjour, et la lui remettant entre les mains " Je ne l'ai eue que pour vous, lui dis-je; il est juste que vous en soyez maÃtre c'est au Sacrificateur à disposer du Temple. " C'est par cette adresse que j'ai prévenu les réflexions qu'aurait pu lui faire naÃtre la propriété, toujours suspecte, d'une petite maison. Je le connais assez, pour ÃÂȘtre sûre qu'il ne s'en servira que pour moi; et si la fantaisie me prenait d'y aller sans lui, il me reste bien une double clef. Il voulait à toute force prendre jour pour y revenir; mais je l'aime trop encore, pour vouloir l'user si vite. Il ne faut se permettre d'excÚs qu'avec les gens qu'on veut quitter bientÎt. Il ne sait pas cela, lui; mais, pour son bonheur, je le sais pour deux. Je m'aperçois qu'il est trois heures du matin, et que j'ai écrit un volume, ayant le projet de n'écrire qu'un mot. Tel est le charme de la confiante amitié c'est elle qui fait que vous ÃÂȘtes toujours ce que j'aime le mieux, mais, en vérité, le Chevalier est ce qui me plaÃt davantage. De ..., ce 12 août 17** LETTRE XI LA PRESIDENTE DE TOURVEL A MADAME DE VOLANGES Votre Lettre sévÚre m'aurait effrayée, Madame, si, par bonheur, je n'avais trouvé ici plus de motifs de sécurité que vous ne m'en donnez de crainte. Ce redoutable M. de Valmont, qui doit ÃÂȘtre la terreur de toutes les femmes, paraÃt avoir déposé ses armes meurtriÚres, avant d'entrer dans ce Chùteau. Loin d'y former des projets, il n'y a pas mÃÂȘme porté de prétentions; et la qualité d'homme aimable que ses ennemis mÃÂȘmes lui accordent, disparaÃt presque ici, pour ne lui laisser que celle de bon enfant. C'est apparemment l'air de la campagne qui a produit ce miracle. Ce que je vous puis assurer, c'est qu'étant sans cesse avec moi, paraissant mÃÂȘme s'y plaire, il ne lui est pas échappé un mot qui ressemble à l'Amour, pas une de ces phrases que tous les hommes se permettent, sans avoir, comme lui, ce qu'il faut pour les justifier. Jamais il n'oblige à cette réserve, dans laquelle toute femme qui se respecte est forcée de se tenir aujourd'hui, pour contenir les hommes qui l'entourent. Il sait ne point abuser de la gaieté qu'il inspire. Il est peut-ÃÂȘtre un peu louangeur; mais c'est avec tant de délicatesse qu'il accoutumerait la modestie mÃÂȘme à l'éloge. Enfin, si j'avais un frÚre, je désirerais qu'il fût tel que M. de Valmont se montre ici. Peut-ÃÂȘtre beaucoup de femmes lui désireraient une galanterie plus marquée; et j'avoue que je lui sais un gré infini d'avoir su me juger assez bien pour ne pas me confondre avec elles. Ce portrait diffÚre beaucoup sans doute de celui que vous me faites; et, malgré cela, tous deux peuvent ÃÂȘtre ressemblants en fixant les époques. Lui- mÃÂȘme convient d'avoir eu beaucoup de torts, et on lui en aura bien aussi prÃÂȘté quelques-uns. Mais j'ai rencontré peu d'hommes qui parlassent des femmes honnÃÂȘtes avec plus de respect, je dirais presque d'enthousiasme. Vous m'apprenez qu'au moins sur cet objet il ne trompe pas. Sa conduite avec Madame de Merteuil en est une preuve. Il nous en parle beaucoup; et c'est toujours avec tant d'éloges et l'air d'un attachement si vrai, que j'ai cru, jusqu'à la réception de votre Lettre, que ce qu'il appelait amitié entre eux deux était bien réellement de l'Amour. Je m'accuse de ce jugement téméraire, dans lequel j'ai eu d'autant plus de tort, que lui-mÃÂȘme a pris souvent le soin de la justifier. J'avoue que je ne regardais que comme finesse, ce qui était de sa part une honnÃÂȘte sincérité. Je ne sais; mais il me semble que celui qui est capable d'une amitié aussi suivie pour une femme aussi estimable, n'est pas un libertin sans retour. J'ignore au reste si nous devons la conduite sage qu'il tient ici à quelques projets dans les environs, comme vous le supposez. Il y a bien quelques femmes aimables à la ronde; mais il sort peu, excepté le matin, et alors il dit qu'il va à la chasse. Il est vrai qu'il rapporte rarement du gibier; mais il assure qu'il est maladroit à cet exercice. D'ailleurs, ce qu'il peut faire au- dehors m'inquiÚte peu; et si je désirais le savoir, ce ne serait que pour avoir une raison de plus de me rapprocher de votre avis ou de vous ramener au mien. Sur ce que vous me proposez de travailler à abréger le séjour que M. de Valmont compte faire ici, il me paraÃt bien difficile d'oser demander à sa tante de ne pas avoir son neveu chez elle, d'autant qu'elle l'aime beaucoup. Je vous promets pourtant, mais seulement par déférence et non par besoin, de saisir l'occasion de faire cette demande, soit à elle, soit à lui-mÃÂȘme. Quant à moi, M. de Tourvel est instruit de mon projet de rester ici jusqu'à son retour, et il s'étonnerait, avec raison, de la légÚreté qui m'en ferait changer. Voilà , Madame, de bien longs éclaircissements mais j'ai cru devoir à la vérité un témoignage avantageux à M. de Valmont, et dont il me paraÃt avoir grand besoin auprÚs de vous. Je n'en suis pas moins sensible à l'amitié qui a dicté vos conseils. C'est à elle que je dois aussi ce que vous me dites d'obligeant à l'occasion du retard du mariage de Mademoiselle votre fille. Je vous en remercie bien sincÚrement mais, quelque plaisir que je me promette à passer ces moments avec vous, je les sacrifierais de bien bon cÅ“ur au désir de savoir Mademoiselle de Volanges plus tÎt heureuse, si pourtant elle peut jamais l'ÃÂȘtre plus qu'auprÚs d'une mÚre aussi digne de toute sa tendresse et de son respect. Je partage avec elle ces deux sentiments qui m'attachent à vous, et je vous prie d'en recevoir l'assurance avec bonté. J'ai l'honneur d'ÃÂȘtre, etc. De ..., ce 13 août 17** LETTRE XII CECILE VOLANGES A LA MARQUISE DE MERTEUIL Maman est incommodée, Madame; elle ne sortira point, et il faut que je lui tienne compagnie ainsi je n'aurai pas l'honneur de vous accompagner à l'Opéra. Je vous assure que je regrette bien plus de ne pas ÃÂȘtre avec vous que le Spectacle. Je vous prie d'en ÃÂȘtre persuadée. Je vous aime tant! Voudriez- vous bien dire à M. le Chevalier Danceny que je n'ai point le Recueil dont il m'a parlé, et que s'il peut me l'apporter demain, il me fera grand plaisir. S'il vient aujourd'hui, on lui dira que nous n'y sommes pas; mais c'est que Maman ne veut recevoir personne. J'espÚre qu'elle se portera mieux demain. J'ai l'honneur d'ÃÂȘtre, etc. De ..., ce 13 août 17** LETTRE XIII LA MARQUISE DE MERTEUIL A CECILE VOLANGES Je suis trÚs fùchée, ma belle, et d'ÃÂȘtre privée du plaisir de vous voir, et de la cause de cette privation. J'espÚre que cette occasion se retrouvera. Je m'acquitterai de votre commission auprÚs du Chevalier Danceny, qui sera sûrement trÚs fùché de savoir votre Maman malade. Si elle veut me recevoir demain, j'irai lui tenir compagnie. Nous attaquerons, elle et moi, le Chevalier de Belleroche. [C'est le mÃÂȘme dont il est question dans les lettres de Madame de Merteuil] au piquet; et, en lui gagnant son argent, nous aurons, pour surcroÃt de plaisir, celui de vous entendre chanter avec votre aimable MaÃtre, à qui je le proposerai. Si cela convient à votre Maman et à vous, je réponds de moi et de mes deux Chevaliers. Adieu, ma belle; mes compliments à ma chÚre Madame de Volanges. Je vous embrasse bien tendrement. De ..., ce 13 août 17** LETTRE XIV CECILE VOLANGES A SOPHIE CARNAY Je ne t'ai pas écrit hier, ma chÚre Sophie mais ce n'est pas le plaisir qui en est cause; je t'en assure bien. Maman était malade, et je ne l'ai pas quittée de la journée. Le soir, quand je me suis retirée, je n'avais cÅ“ur à rien du tout; et je me suis couchée bien vite, pour m'assurer que la journée était finie; jamais je n'en avais passé de si longue. Ce n'est pas que je n'aime bien Maman; mais je ne sais pas ce que c'était. Je devais aller à l'Opéra avec Madame de Merteuil; le Chevalier Danceny devait y ÃÂȘtre. Tu sais bien que ce sont les deux personnes que j'aime le mieux. Quand l'heure oÃÂč j'aurais dû y ÃÂȘtre aussi est arrivée, mon cÅ“ur s'est serré malgré moi. Je me déplaisais à tout, et j'ai pleuré, pleuré, sans pouvoir m'en empÃÂȘcher. Heureusement Maman était couchée, et ne pouvait pas me voir. Je suis bien sûre que le Chevalier Danceny aura été fùché aussi; mais il aura été distrait par le Spectacle et par tout le monde c'est bien différent. Par bonheur, Maman va mieux aujourd'hui, et Madame de Merteuil viendra avec une autre personne et le Chevalier Danceny mais elle arrive toujours bien tard, Madame de Merteuil; et quand on est si longtemps toute seule, c'est bien ennuyeux. Il n'est encore qu'onze heures. Il est vrai qu'il faut que je joue de la harpe; et puis ma toilette me prendra un peu de temps, car je veux ÃÂȘtre bien coiffée aujourd'hui. Je crois que la MÚre Perpétue a raison, et qu'on devient coquette dÚs qu'on est dans le monde. Je n'ai jamais eu tant d'envie d'ÃÂȘtre jolie que depuis quelques jours, et je trouve que je ne le suis pas autant que je le croyais; et puis, auprÚs des femmes qui ont du rouge, on perd beaucoup. Madame de Merteuil, par exemple, je vois bien que tous les hommes la trouvent plus jolie que moi cela ne me fùche pas beaucoup, parce qu'elle m'aime bien; et puis elle assure que le Chevalier Danceny me trouve plus jolie qu'elle. C'est bien honnÃÂȘte à elle de me l'avoir dit! elle avait mÃÂȘme l'air d'en ÃÂȘtre bien aise. Par exemple, je ne conçois pas ça. C'est qu'elle m'aime tant! et lui!... oh! ça m'a fait bien plaisir! aussi, c'est qu'il me semble que rien que le regarder suffit pour embellir. Je le regarderais toujours, si je ne craignais de rencontrer ses yeux car, toutes les fois que cela m'arrive, cela me décontenance, et me fait comme de la peine; mais ça ne fait rien. Adieu, ma chÚre amie; je vais me mettre à ma toilette. Je t'aime toujours comme de coutume. Paris, ce 14 août 17** LETTRE XV LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Il est bien honnÃÂȘte à vous de ne pas m'abandonner à mon triste sort. La vie que je mÚne ici est réellement fatigante, par l'excÚs de son repos et son insipide uniformité. En lisant votre Lettre et le détail de votre charmante journée, j'ai été tenté vingt fois de prétexter une affaire, de voler à vos pieds, et de vous y demander, en ma faveur, une infidélité à votre Chevalier, qui, aprÚs tout, ne mérite pas son bonheur. Savez-vous que vous m'avez rendu jaloux de lui? Que me parlez-vous d'éternelle rupture? J'abjure ce serment, prononcé dans le délire nous n'aurions pas été dignes de le faire, si nous eussions dû le garder. Ah! que je puisse un jour me venger dans vos bras, du dépit involontaire que m'a causé le bonheur du Chevalier! Je suis indigné, je l'avoue, quand je songe que cet homme, sans raisonner, sans se donner la moindre peine, en suivant tout bÃÂȘtement l'instinct de son cÅ“ur, trouve une félicité à laquelle je ne puis atteindre. Oh! je la troublerai... Promettez-moi que je la troublerai. Vous-mÃÂȘme n'ÃÂȘtes-vous pas humiliée? Vous vous donnez la peine de le tromper, et il est plus heureux que vous. Vous le croyez dans vos chaÃnes! C'est bien vous qui ÃÂȘtes dans les siennes. Il dort tranquillement, tandis que vous veillez pour ses plaisirs. Que ferait de plus son esclave? Tenez, ma belle amie, tant que vous vous partagez entre plusieurs, je n'ai pas la moindre jalousie je ne vois alors dans vos Amants que les successeurs d'Alexandre, incapables de conserver entre eux tous cet empire oÃÂč je régnais seul. Mais que vous vous donniez entiÚrement à un d'eux! qu'il existe un autre homme aussi heureux que moi! je ne le souffrirai pas; n'espérez pas que je le souffre. Ou reprenez-moi, ou au moins prenez-en un autre; et ne trahissez pas, par un caprice exclusif, l'amitié inviolable que nous nous sommes jurée. C'est bien assez, sans doute, que j'aie à me plaindre de l'Amour. Vous voyez que je me prÃÂȘte à vos idées, et que j'avoue mes torts. En effet, si c'est ÃÂȘtre amoureux que de ne pouvoir vivre sans posséder ce qu'on désire, d'y sacrifier son temps, ses plaisirs, sa vie, je suis bien réellement amoureux. Je n'en suis guÚre plus avancé. Je n'aurais mÃÂȘme rien du tout à vous apprendre à ce sujet, sans un événement qui me donne beaucoup à réfléchir, et dont je ne sais encore si je dois craindre ou espérer. Vous connaissez mon Chasseur, trésor d'intrigue, et vrai valet de Comédie; vous jugez bien que ses instructions portaient d'ÃÂȘtre amoureux de la Femme de chambre, et d'enivrer les gens. Le coquin est plus heureux que moi; il a déjà réussi. Il vient de découvrir que Madame de Tourvel a chargé un de ses gens de prendre des informations sur ma conduite, et mÃÂȘme de me suivre dans mes courses du matin, autant qu'il le pourrait, sans ÃÂȘtre aperçu. Que prétend cette femme? Ainsi donc la plus modeste de toutes ose encore risquer des choses qu'à peine nous oserions nous permettre! Je jure bien. Mais, avant de songer à me venger de cette ruse féminine, occupons-nous des moyens de la tourner à notre avantage. Jusqu'ici ces courses qu'on suspecte n'avaient aucun objet; il faut leur en donner un. Cela mérite toute mon attention, et je vous quitte pour y réfléchir. Adieu, ma belle amie. Toujours du Chùteau de ..., ce 15 août 17** LETTRE XVI CECILE VOLANGES A SOPHIE CARNAY Ah! ma Sophie, voici bien des nouvelles! je ne devrais peut-ÃÂȘtre pas te les dire mais il faut bien que j'en parle à quelqu'un; c'est plus fort que moi. Ce Chevalier Danceny... Je suis dans un trouble que je ne peux pas écrire je ne sais par oÃÂč commencer. Depuis que je t'avais raconté la jolie soirée [La Lettre oÃÂč il est parlé de cette soirée ne s'est pas retrouvée. Il y a lieu de croire que c'est celle proposée dans le billet de Madame de Merteuil, et dont il est aussi question dans la précédente Lettre de Cécile Volanges.] que j'avais passée chez Maman avec lui et Madame de Merteuil, je ne t'en parlais plus c'est que je ne voulais plus en parler à personne; mais j'y pensais pourtant toujours. Depuis il était devenu si triste, mais si triste, si triste, que ça me faisait de la peine; et quand je lui demandais pourquoi, il me disait que non mais je voyais bien que si. Enfin hier il l'était encore plus que de coutume. Ça n'a pas empÃÂȘché qu'il n'ait eu la complaisance de chanter avec moi comme à l'ordinaire; mais, toutes les fois qu'il me regardait, cela me serrait le cÅ“ur. AprÚs que nous eûmes fini de chanter, il alla renfermer ma harpe dans son étui; et, en m'en rapportant la clef, il me pria d'en jouer encore le soir, aussitÎt que je serais seule. Je ne me défiais de rien du tout; je ne voulais mÃÂȘme pas mais il m'en pria tant, que je lui dis qu'oui. Il avait bien ses raisons. Effectivement, quand je fus retirée chez moi et que ma Femme de chambre fut sortie, j'allais pour prendre ma harpe. Je trouvais dans les cordes une Lettre, pliée seulement, et point cachetée, et qui était de lui. Ah! si tu savais tout ce qu'il me mande! Depuis que j'ai lu sa Lettre, j'ai tant de plaisir, que je ne peux plus songer à autre chose. Je l'ai relue quatre fois tout de suite, et puis je l'ai serrée dans mon secrétaire. Je la savais par cÅ“ur; et, quand j'ai été couchée, je l'ai tant répétée, que je ne songeais pas à dormir. DÚs que je fermais les yeux, je le voyais là , qui me disait lui-mÃÂȘme tout ce que je venais de lire. Je ne me suis endormie que bien tard; et aussitÎt que je me suis réveillée il était encore de bien bonne heure, j'ai été reprendre sa Lettre pour la relire à mon aise. Je l'ai emportée dans mon lit, et puis je l'ai baisée comme si... C'est peut-ÃÂȘtre mal fait de baiser une Lettre comme ça, mais je n'ai pas pu m'en empÃÂȘcher. A présent, ma chÚre amie, si je suis bien aise, je suis aussi bien embarrassée; car sûrement il ne faut pas que je réponde à cette Lettre-là . Je sais bien que ça ne se doit pas, et pourtant il me le demande; et, si je ne réponds pas, je suis sûre qu'il va encore ÃÂȘtre triste. C'est pourtant bien malheureux pour lui! Qu'est-ce que tu me conseilles? mais tu n'en sais pas plus que moi. J'ai bien envie d'en parler à Madame de Merteuil qui m'aime bien. Je voudrais bien le consoler; mais je ne voudrais rien faire qui fût mal. On nous recommande tant d'avoir bon cÅ“ur! et puis on nous défend de suivre ce qu'il inspire, quand c'est pour un homme! Ça n'est pas juste non plus. Est-ce qu'un homme n'est pas notre prochain comme une femme, et plus encore? car enfin n'a-t-on pas son pÚre comme sa mÚre, son frÚre comme sa sÅ“ur? il reste toujours le mari de plus. Cependant si j'allais faire quelque chose qui ne fût pas bien, peut-ÃÂȘtre que M. Danceny lui-mÃÂȘme n'aurait plus bonne idée de moi! Oh! ça, par exemple, j'aime encore mieux qu'il soit triste. Et puis, enfin, je serai toujours à temps. Parce qu'il a écrit hier, je ne suis pas obligée d'écrire aujourd'hui aussi bien je verrai Madame de Merteuil ce soir, et si j'en ai le courage, je lui conterai tout. En ne faisant que ce qu'elle me dira, je n'aurai rien à me reprocher. Et puis peut-ÃÂȘtre me dira-t-elle que je peux lui répondre un peu, pour qu'il ne soit pas si triste! Oh! je suis bien en peine. Adieu, ma bonne amie. Dis-moi toujours ce que tu penses. De ..., ce 19 août 17** LETTRE XVII LE CHEVALIER DANCENY A CECILE VOLANGES Avant de me livrer, Mademoiselle, dirai-je au plaisir ou au besoin de vous écrire, je commence par vous supplier de m'entendre. Je sens que pour oser vous déclarer mes sentiments, j'ai besoin d'indulgence; si je ne voulais que les justifier, elle me serait inutile. Que vais-je faire aprÚs tout que vous montrer mon ouvrage? Et qu'ai-je à vous dire, que mes regards, mon embarras, ma conduite et mÃÂȘme mon silence ne vous aient dit avant moi? Eh! pourquoi vous fùcheriez-vous d'un sentiment que vous avez fait naÃtre? Emané de vous, sans doute il est digne de vous ÃÂȘtre offert; s'il est brûlant comme mon ùme, il est pur comme la vÎtre. Serait-ce un crime d'avoir su apprécier votre charmante figure, vos talents séducteurs, vos grùces enchanteresses, et cette touchante candeur qui ajoute un prix inestimable à des qualités déjà si précieuses? non, sans doute; mais, sans ÃÂȘtre coupable, on peut ÃÂȘtre malheureux; et c'est le sort qui m'attend, si vous refusez d'agréer mon hommage. C'est le premier que mon cÅ“ur ait offert. Sans vous je serais encore, non pas heureux, mais tranquille. Je vous ai vue; le repos a fui loin de moi, et mon bonheur est incertain. Cependant vous vous étonnez de ma tristesse; vous m'en demandez la cause quelquefois mÃÂȘme j'ai cru voir qu'elle vous affligeait. Ah! dites un mot, et ma félicité sera votre ouvrage. Mais, avant de prononcer, songez qu'un mot peut aussi combler mon malheur. Soyez donc l'arbitre de ma destinée. Par vous je vais ÃÂȘtre éternellement heureux ou malheureux. En quelles mains plus chÚres puis-je remettre un intérÃÂȘt plus grand? Je finirai, comme j'ai commencé, par implorer votre indulgence. Je vous ai demandé de m'entendre; j'oserai plus; je vous prierai de me répondre. Le refuser, serait me laisser croire que vous vous trouvez offensée, et mon cÅ“ur m'est garant que mon respect égale mon amour. P-S. Vous pouvez vous servir, pour me répondre, du mÃÂȘme moyen dont je me sers pour vous faire parvenir cette Lettre; il me paraÃt également sûr et commode. De ..., ce 18 août 17** LETTRE XVIII CECILE VOLANGES A SOPHIE CARNAY Quoi! Sophie, tu blùmes d'avance ce que je vais faire! J'avais déjà bien assez d'inquiétudes; voilà que tu les augmentes encore. Il est clair, dis-tu, que je ne dois pas répondre. Tu en parles bien à ton aise; et d'ailleurs, tu ne sais pas au juste ce qui en est tu n'es pas là pour voir. Je suis sûre que si tu étais à ma place, tu ferais comme moi. Sûrement, en général, on ne doit pas répondre; et tu as bien vu, par ma Lettre d'hier, que je ne le voulais pas non plus mais c'est que je ne crois pas que personne se soit jamais trouvé dans le cas oÃÂč je suis. Et encore ÃÂȘtre obligée de me décider toute seule! Madame de Merteuil, que je comptais voir hier au soir, n'est pas venue. Tout s'arrange contre moi c'est elle qui est cause que je le connais. C'est presque toujours avec elle que je l'ai vu que je lui ai parlé. Ce n'est pas que je lui en veuille du mal mais elle me laisse là au moment de l'embarras. Oh! je suis bien à plaindre! Figure-toi qu'il est venu hier comme à l'ordinaire. J'étais si troublée que je n'osais le regarder. Il ne pouvait pas me parler, parce que Maman était là . Je me doutais bien qu'il serait fùché, quand il verrait que je ne lui avais pas écrit. Je ne savais quelle contenance faire. Un instant aprÚs il me demanda si je voulais qu'il allùt chercher ma harpe. Le cÅ“ur me battait si fort, que ce fut tout ce que je pus faire que de répondre qu'oui. Quand il revint, c'était bien pis. Je ne le regardai qu'un petit moment. Il ne me regardait pas, lui; mais il avait un air qu'on aurait dit qu'il était malade. Ça me faisait bien de la peine. Il se mit à accorder ma harpe, et aprÚs, en me l'apportant, il me dit " Ah! Mademoiselle! " Il ne me dit que ces deux mots-là ; mais c'était d'un ton que j'en fus toute bouleversée. Je préludais sur ma harpe, sans savoir ce que je faisais. Maman demanda si nous ne chanterions pas. Lui s'excusa, en disant qu'il était un peu malade; et moi, qui n'avais pas d'excuse, il me fallut chanter. J'aurais voulu n'avoir jamais eu de voix. Je choisis exprÚs un air que je ne savais pas; car j'étais bien sûre que je ne pourrais en chanter aucun, et on se serait aperçu de quelque chose. Heureusement il vint une visite; et, dÚs que j'entendis entrer un carrosse, je cessai, et le priai de reporter ma harpe. J'avais bien peur qu'il ne s'en allùt en mÃÂȘme temps; mais il revint. Pendant que Maman et cette Dame qui était venue causaient ensemble, je voulus le regarder encore un petit moment. Je rencontrai ses yeux, et il me fut impossible de détourner les miens. Un moment aprÚs je vis ses larmes couler, et il fut obligé de se retourner pour n'ÃÂȘtre pas vu. Pour le coup, je ne pus y tenir; je sentis que j'allais pleurer aussi. Je sortis, et tout de suite j'écrivis avec un crayon, sur un chiffon de papier " Ne soyez donc pas si triste, je vous en prie; je promets de vous répondre. " Sûrement, tu ne peux pas dire qu'il y ait du mal à cela; et puis c'était plus fort que moi. Je mis mon papier aux cordes de ma harpe, comme sa Lettre était, et je revins dans le salon. Je me sentais plus tranquille. Il me tardait bien que cette Dame s'en fût. Heureusement, elle était en visite; elle s'en alla bientÎt aprÚs. AussitÎt qu'elle fut sortie, je dis que je voulais reprendre ma harpe, et je le priai de l'aller chercher. Je vis bien, à son air, qu'il ne se doutait de rien. Mais au retour, oh! comme il était content! En posant ma harpe vis-à -vis de moi, il se plaça de façon que Maman ne pouvait voir, et il prit ma main qu'il serra, mais d'une façon! ce ne fut qu'un moment mais je ne saurais te dire le plaisir que ça m'a fait. Je la retirai pourtant; ainsi je n'ai rien à me reprocher. A présent, ma bonne amie, tu vois bien que je ne peux pas me dispenser de lui écrire, puisque je le lui ai promis; et puis, je n'irai pas lui refaire du chagrin; car j'en souffre plus que lui. Si c'était pour quelque chose de mal, sûrement je ne le ferais pas. Mais quel mal peut-il y avoir à écrire, surtout quand c'est pour empÃÂȘcher quelqu'un d'ÃÂȘtre malheureux? Ce qui m'embarrasse, c'est que je ne saurai pas bien faire ma Lettre mais il sentira bien que ce n'est pas ma faute; et puis je suis sûre que rien que de ce qu'elle sera de moi, elle lui fera toujours plaisir. Adieu, ma chÚre amie. Si tu trouves que j'ai tort, dis-le-moi; mais je ne crois pas. A mesure que le moment de lui écrire approche, mon cÅ“ur bat que ça ne se conçoit pas. Il le faut pourtant bien, puisque je l'ai promis. Adieu. De ..., ce 20 août 17** LETTRE XIX CECILE VOLANGES AU CHEVALIER DANCENY Vous étiez si triste, hier, Monsieur, et cela me faisait tant de peine, que je me suis laissée aller à vous promettre de répondre à la Lettre que vous m'avez écrite. Je n'en sens pas moins aujourd'hui que je ne le dois pas pourtant, comme je l'ai promis, je ne veux pas manquer à ma parole, et cela doit bien vous prouver l'amitié que j'ai pour vous. A présent que vous le savez, j'espÚre que vous ne me demanderez pas de vous écrire davantage. J'espÚre aussi que vous ne direz à personne que je vous ai écrit; parce que sûrement on m'en blùmerait, et que cela pourrait me causer bien du chagrin. J'espÚre surtout que vous-mÃÂȘme n'en prendrez pas mauvaise idée de moi, ce qui me ferait plus de peine que tout. Je peux bien vous assurer que je n'aurais pas eu cette complaisance-là pour tout autre que vous. Je voudrais bien que vous eussiez celle de ne plus ÃÂȘtre triste comme vous étiez; ce qui m'Îte tout le plaisir que j'ai à vous voir. Vous voyez, Monsieur, que je vous parle bien sincÚrement. Je ne demande pas mieux que notre amitié dure toujours; mais, je vous en prie, ne m'écrivez plus. J'ai l'honneur d'ÃÂȘtre, Cécile Volanges De ..., ce 20 août 17** LETTRE XX LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT Ah! fripon, vous me cajolez, de peur que je ne me moque de vous! Allons, je vous fais grùce vous m'écrivez tant de folies, qu'il faut bien que je vous pardonne la sagesse oÃÂč vous tient votre Présidente. Je ne crois pas que mon Chevalier eût autant d'indulgence que moi; il serait homme à ne pas approuver notre renouvellement de bail, et à ne rien trouver de plaisant dans votre folle idée. J'en ai pourtant bien ri, et j'étais vraiment fùchée d'ÃÂȘtre obligée d'en rire toute seule. Si vous eussiez été là , je ne sais oÃÂč m'aurait menée cette gaieté mais j'ai eu le temps de la réflexion et je me suis armée de sévérité. Ce n'est pas que je refuse pour toujours; mais je diffÚre, et j'ai raison. J'y mettrais peut-ÃÂȘtre de la vanité, et, une fois piquée au jeu, on ne sait plus oÃÂč l'on s'arrÃÂȘte. Je serais femme à vous enchaÃner de nouveau, à vous faire oublier votre Présidente; et si j'allais, moi indigne, vous dégoûter de la vertu, voyez quel scandale! Pour éviter ce danger, voici mes conditions. AussitÎt que vous aurez eu votre belle Dévote, que vous pourrez m'en fournir une preuve, venez, et je suis à vous. Mais vous n'ignorez pas que dans les affaires importantes, on ne reçoit de preuves que par écrit. Par cet arrangement, d'une part, je deviendrai une récompense au lieu d'ÃÂȘtre une consolation; et cette idée me plaÃt davantage de l'autre votre succÚs en sera plus piquant, en devenant lui-mÃÂȘme un moyen d'infidélité. Venez donc, venez au plus tÎt m'apporter le gage de votre triomphe semblable à nos preux Chevaliers qui venaient déposer aux pieds de leur Dame les fruits brillants de leur victoire. Sérieusement, je suis curieuse de savoir ce que peut écrire une Prude aprÚs un tel moment, et quel voile elle met sur ses discours, aprÚs n'en avoir plus laissé sur sa personne. C'est à vous de voir si je me mets à un prix trop haut; mais je vous préviens qu'il n'y a rien à rabattre. Jusque-là , mon cher Vicomte, vous trouverez bon que je reste fidÚle à mon Chevalier, et que je m'amuse à le rendre heureux, malgré le petit chagrin que cela vous cause. Cependant si j'avais moins de mÅ“urs, je crois qu'il aurait, dans ce moment, un rival dangereux; c'est la petite Volanges. Je raffole de cet enfant c'est une vraie passion. Ou je me trompe, ou elle deviendra une de nos femmes les plus à la mode. Je vois son petit cÅ“ur se développer, et c'est un spectacle ravissant. Elle aime déjà son Danceny avec fureur; mais elle n'en sait encore rien. Lui- mÃÂȘme, quoique trÚs amoureux, a encore la timidité de son ùge, et n'ose pas trop le lui apprendre. Tous deux sont en adoration vis-à -vis de moi. La petite surtout a grande envie de me dire son secret; particuliÚrement depuis quelques jours je l'en vois vraiment oppressée et je lui aurais rendu un grand service de l'aider un peu mais je n'oublie pas que c'est un enfant, et je ne veux pas me compromettre. Danceny m'a parlé un peu plus clairement; mais, pour lui, mon parti est pris, je ne veux pas l'entendre. Quant à la petite, je suis souvent tentée d'en faire mon élÚve; c'est un service que j'ai envie de rendre à Gercourt. Il me laisse du temps, puisque le voilà en Corse jusqu'au mois d'Octobre. J'ai dans l'idée que j'emploierai ce temps-là , et que nous lui donnerons une femme toute formée, au lieu de son innocente Pensionnaire. Quelle est donc en effet l'insolente sécurité de cet homme, qui ose dormir tranquille, tandis qu'une femme, qui a à se plaindre de lui, ne s'est pas encore vengée? Tenez, si la petite était ici dans ce moment, je ne sais ce que je ne lui dirais pas. Adieu, Vicomte; bonsoir et bon succÚs mais, pour Dieu, avancez donc. Songez que si vous n'avez pas cette femme, les autres rougiront de vous avoir eu. De ..., ce 20 août 17** LETTRE XXI LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Enfin, ma belle amie, j'ai fait un pas en avant, mais un grand pas; et qui, s'il ne m'a pas conduit jusqu'au but, m'a fait connaÃtre au moins que je suis dans la route, et a dissipé la crainte oÃÂč j'étais de m'ÃÂȘtre égaré. J'ai enfin déclaré mon amour; et quoiqu'on ait gardé le silence le plus obstiné, j'ai obtenu la réponse peut-ÃÂȘtre la moins équivoque et la plus flatteuse mais n'anticipons pas sur les événements, et reprenons plus haut. Vous vous souvenez qu'on faisait épier mes démarches. Eh bien! j'ai voulu que ce moyen scandaleux tournùt à l'édification publique, et voici ce que j'ai fait. J'ai chargé mon confident de me trouver, dans les environs, quelque malheureux qui eût besoin de secours. Cette commission n'était pas difficile à remplir. Hier aprÚs-midi, il me rendit compte qu'on devait saisir aujourd'hui, dans la matinée, les meubles d'une famille entiÚre qui ne pouvait payer la taille. Je m'assurai qu'il n'y eût dans cette maison aucune fille ou femme dont l'ùge ou la figure pussent rendre mon action suspecte; et, quand je fus bien informé, je déclarai à souper mon projet d'aller à la chasse le lendemain. Ici je dois rendre justice à ma Présidente sans doute elle eut quelques remords des ordres qu'elle avait donnés; et, n'ayant pas la force de vaincre sa curiosité, elle eut au moins celle de contrarier mon désir. Il devait faire une chaleur excessive; je risquais de me rendre malade; je ne tuerais rien et me fatiguerais en vain; et, pendant ce dialogue, ses yeux, qui parlaient peut-ÃÂȘtre mieux qu'elle ne voulait, me faisaient assez connaÃtre qu'elle désirait que je prisse pour bonnes ces mauvaises raisons. Je n'avais garde de m'y rendre, comme vous pouvez croire, et je résistai de mÃÂȘme à une petite diatribe contre la chasse et les Chasseurs, et à un petit nuage d'humeur qui obscurcit, toute la soirée, cette figure céleste. Je craignis un moment que ses ordres ne fussent révoqués, et que sa délicatesse ne me nuisÃt. Je ne calculais pas la curiosité d'une femme; aussi me trompais- je. Mon Chasseur me rassura dÚs le soir mÃÂȘme, et je me couchai satisfait. Au point du jour je me lÚve et je pars. A peine à cinquante pas du Chùteau, j'aperçois mon espion qui me suit. J'entre en chasse, et marche à travers champs vers le Village oÃÂč je voulais me rendre; sans autre plaisir, dans ma route, que de faire courir le drÎle qui me suivait, et qui, n'osant pas quitter les chemins, parcourait souvent, à toute course, un espace triple du mien. A force de l'exercer, j'ai eu moi-mÃÂȘme une extrÃÂȘme chaleur, et je me suis assis au pied d'un arbre. N'a-t-il pas eu l'insolence de se couler derriÚre un buisson qui n'était pas à vingt pas de moi, et de s'y asseoir aussi? J'ai été tenté un moment de lui envoyer mon coup de fusil, qui, quoique de petit plomb seulement, lui aurait donné une leçon suffisante sur les dangers de la curiosité heureusement pour lui, je me suis ressouvenu qu'il était utile et mÃÂȘme nécessaire à mes projets; cette réflexion l'a sauvé. Cependant j'arrive au Village; je vois de la rumeur; je m'avance j'interroge; on me raconte le fait. Je fais venir le Collecteur; et, cédant à ma généreuse compassion, je paie noblement cinquante-six livres, pour lesquelles on réduisait cinq personnes à la paille et au désespoir. AprÚs cette action si simple, vous n'imaginez pas quel chÅ“ur de bénédictions retentit autour de moi de la part des assistants! Quelles larmes de reconnaissance coulaient des yeux du vieux chef de cette famille, et embellissaient cette figure de Patriarche, qu'un moment auparavant l'empreinte farouche du désespoir rendait vraiment hideuse! J'examinais ce spectacle, lorsqu'un autre paysan, plus jeune, conduisant par la main une femme et deux enfants, et s'avançant vers moi à pas précipités, leur dit " Tombons tous aux pieds de cette image de Dieu " , et dans le mÃÂȘme instant, j'ai été entouré de cette famille, prosternée à mes genoux. J'avouerai ma faiblesse; mes yeux se sont mouillés de larmes, et j'ai senti en moi un mouvement involontaire, mais délicieux. J'ai été étonné du plaisir qu'on éprouve en faisant le bien; et je serais tenté de croire que ce que nous appelons les gens vertueux n'ont pas tant de mérite qu'on se plaÃt à nous le dire. Quoi qu'il en soit, j'ai trouvé juste de payer à ces pauvres gens le plaisir qu'ils venaient de me faire. J'avais pris dix louis sur moi; je les leur ai donnés. Ici ont recommencé les remerciements, mais ils n'avaient plus ce mÃÂȘme degré de pathétique le nécessaire avait produit le grand, le véritable effet; le reste n'était qu'une simple expression de reconnaissance et d'étonnement pour des dons superflus. Cependant, au milieu des bénédictions bavardes de cette famille, je ne ressemblais pas mal au Héros d'un Drame, dans la scÚne du dénouement. Vous remarquerez que dans cette foule était surtout le fidÚle espion. Mon but était rempli je me dégageai d'eux tous, et regagnai le Chùteau. Tout calculé, je me félicite de mon invention. Cette femme vaut bien sans doute que je me donne tant de soins; ils seront un jour mes titres auprÚs d'elle; et l'ayant, en quelque sorte, ainsi payée d'avance, j'aurai le droit d'en disposer à ma fantaisie, sans avoir de reproche à me faire. J'oubliais de vous dire que pour mettre tout à profit, j'ai demandé à ces bonnes gens de prier Dieu pour le succÚs de mes projets. Vous allez voir si déjà leurs priÚres n'ont pas été en partie exaucées... Mais on m'avertit que le souper est servi, et il serait trop tard pour que cette Lettre partÃt si je ne la fermais qu'en me retirant. Ainsi, le reste à l'ordinaire prochain . J'en suis fùché, car le reste est le meilleur. Adieu, ma belle amie. Vous me volez un moment du plaisir de la voir. De ..., ce 20 août 17** LETTRE XXII LA PRESIDENTE DE TOURVEL A MADAME DE VOLANGES Vous serez sans doute bien aise, Madame, de connaÃtre un trait de M. de Valmont, qui contraste beaucoup, ce me semble, avec tous ceux sous lesquels on vous l'a représenté. Il est si pénible de penser désavantageusement de qui que ce soit, si fùcheux de ne trouver que des vices chez ceux qui auraient toutes les qualités nécessaires pour faire aimer la vertu! Enfin vous aimez tant à user d'indulgence, que c'est vous obliger que de vous donner des motifs de revenir sur un jugement trop rigoureux. M. de Valmont me paraÃt fondé à espérer cette faveur, je dirais presque cette justice; et voici sur quoi je le pense. Il a fait ce matin une de ces courses qui pouvaient faire supposer quelque projet de sa part dans les environs, comme l'idée vous en était venue; idée que je m'accuse d'avoir saisie peut-ÃÂȘtre avec trop de vivacité. Heureusement pour lui, et surtout heureusement pour nous, puisque cela nous sauve d'ÃÂȘtre injustes, un de mes gens devait aller du mÃÂȘme cÎté que lui [Madame de Tourvel n'ose donc pas dire que c'était par son ordre?]; et c'est par là que ma curiosité répréhensible, mais heureuse, a été satisfaite. Il nous a rapporté que M. de Valmont, ayant trouvé au Village de ... une malheureuse famille dont on vendait les meubles, faute d'avoir pu payer les impositions, non seulement s'était empressé d'acquitter la dette de ces pauvres gens, mais mÃÂȘme leur avait donné une somme d'argent assez considérable. Mon Domestique a été témoin de cette vertueuse action; et il m'a rapporté de plus que les paysans, causant entre eux et avec lui, avaient dit qu'un Domestique, qu'ils ont désigné, et que le mien croit ÃÂȘtre celui de M. de Valmont, avait pris hier des informations sur ceux des habitants du Village qui pouvaient avoir besoin de secours. Si cela est ainsi, ce n'est mÃÂȘme plus seulement une compassion passagÚre, et que l'occasion détermine c'est le projet formé de faire du bien; c'est la sollicitude de la bienfaisance; c'est la plus belle vertu des plus belles ùmes; mais, soit hasard ou projet, c'est toujours une action honnÃÂȘte et louable, et dont le seul récit m'a attendrie jusqu'aux larmes. J'ajouterai de plus, et toujours par justice, que quand je lui ai parlé de cette action, de laquelle il ne disait mot, il a commencé par s'en défendre, et a eu l'air d'y mettre si peu de valeur lorsqu'il en est convenu, que sa modestie en doublait le mérite. A présent, dites-moi, ma respectable amie, si M. de Valmont est en effet un libertin sans retour? S'il n'est que cela et se conduit ainsi, que restera-t-il aux gens honnÃÂȘtes? Quoi! les méchants partageraient-ils avec les bons le plaisir sacré de la bienfaisance? Dieu permettrait-il qu'une famille vertueuse reçût, de la main d'un scélérat, des secours dont elle rendrait grùce à sa divine Providence? et pourrait-il se plaire à entendre des bouches pures répandre leurs bénédictions sur un réprouvé? Non. J'aime mieux croire que des erreurs, pour ÃÂȘtre longues, ne sont pas éternelles; et je ne puis penser que celui qui fait du bien soit l'ennemi de la vertu. M. de Valmont n'est peut-ÃÂȘtre qu'un exemple de plus du danger des liaisons. Je m'arrÃÂȘte à cette idée qui me plaÃt. Si, d'une part, elle peut servir à le justifier dans votre esprit, de l'autre, elle me rend de plus en plus précieuse l'amitié tendre qui m'unit à vous pour la vie. J'ai l'honneur d'ÃÂȘtre, etc. Madame de Rosemonde et moi nous allons, dans l'instant, voir aussi l'honnÃÂȘte et malheureuse famille, et joindre nos secours tardifs à ceux de M. de Valmont. Nous le mÚnerons avec nous. Nous donnerons au moins à ces bonnes gens le plaisir de revoir leur bienfaiteur; c'est, je crois, tout ce qu'il nous a laissé à faire. De ..., ce 20 août 17** LETTRE XXIII LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Nous en sommes restés à mon retour au Chùteau je reprends mon récit. Je n'eus que le temps de faire une courte toilette, et je me rendis au salon, oÃÂč ma Belle faisait de la tapisserie, tandis que le Curé du lieu lisait la Gazette à ma vieille tante. J'allai m'asseoir auprÚs du métier. Des regards, plus doux encore que de coutume, et presque caressants, me firent bientÎt deviner que le Domestique avait déjà rendu compte de sa mission. En effet, mon aimable Curieuse ne put garder plus longtemps le secret qu'elle m'avait dérobé; et, sans crainte d'interrompre un vénérable Pasteur dont le débit ressemblait pourtant à celui d'un prÎne " J'ai bien aussi ma nouvelle à débiter " , dit-elle; et tout de suite elle raconta mon aventure avec une exactitude qui faisait honneur à l'intelligence de son Historien. Vous jugez comme je déployai toute ma modestie mais qui pourrait arrÃÂȘter une femme qui fait, sans s'en douter, l'éloge de ce qu'elle aime? Je pris donc le parti de la laisser aller. On eût dit qu'elle prÃÂȘchait le panégyrique d'un Saint. Pendant ce temps, j'observais, non sans espoir, tout ce que promettaient à l'Amour son regard animé, son geste devenu plus libre, et surtout ce son de voix qui, par son altération déjà sensible, trahissait l'émotion de son ùme. A peine elle finissait de parler " Venez, mon neveu, me dit Madame de Rosemonde; venez, que je vous embrasse. " Je sentis aussitÎt que la jolie PrÃÂȘcheuse ne pourrait se défendre d'ÃÂȘtre embrassée à son tour. Cependant elle voulut fuir; mais elle fut bientÎt dans mes bras; et, loin d'avoir la force de résister, à peine lui restait-il celle de se soutenir. Plus j'observe cette femme, et plus elle me paraÃt désirable. Elle s'empressa de retourner à son métier, et eut l'air, pour tout le monde, de recommencer sa tapisserie; mais moi, je m'aperçus bien que sa main tremblante ne lui permettait pas de continuer son ouvrage. AprÚs le dÃner, les Dames voulurent aller voir les infortunés que j'avais si pieusement secourus; je les accompagnai. Je vous sauve l'ennui de cette seconde scÚne de reconnaissance et d'éloges. Mon cÅ“ur, pressé d'un souvenir délicieux, hùte le moment du retour au Chùteau. Pendant la route, ma belle Présidente, plus rÃÂȘveuse qu'à l'ordinaire, ne disait pas un mot. Tout occupé de trouver les moyens de profiter de l'effet qu'avait produit l'événement du jour, je gardais le mÃÂȘme silence. Madame de Rosemonde seule parlait et n'obtenait de nous que des réponses courtes et rares. Nous dûmes l'ennuyer; j'en avais le projet, et il réussit. Aussi, en descendant de voiture, elle passa dans son appartement, et nous laissa tÃÂȘte à tÃÂȘte ma Belle et moi, dans un salon mal éclairé; obscurité douce, qui enhardit l'Amour timide. Je n'eus pas la peine de diriger la conversation oÃÂč je voulais la conduire. La ferveur de l'aimable PrÃÂȘcheuse me servit mieux que n'aurait pu faire mon adresse, " Quand on est si digne de faire le bien, me dit-elle, en arrÃÂȘtant sur moi son doux regard comment passe-t-on sa vie à mal faire? - Je ne mérite, lui répondis-je, ni cet éloge, ni cette censure; et je ne conçois pas qu'avec autant d'esprit que vous en avez, vous ne m'ayez pas encore deviné. Dût ma confiance me nuire auprÚs de vous, vous en ÃÂȘtes trop digne, pour qu'il me soit possible de vous la refuser. Vous trouverez la clef de ma conduite dans un caractÚre malheureusement trop facile. Entouré de gens sans mÅ“urs, j'ai imité leurs vices; j'ai peut-ÃÂȘtre mis de l'Amour propre à les surpasser. Séduit de mÃÂȘme ici par l'exemple des vertus, sans espérer de vous atteindre, j'ai au moins essayé de vous suivre. Eh! peut-ÃÂȘtre l'action dont vous me louez aujourd'hui perdrait- elle tout son prix à vos yeux, si vous en connaissiez le véritable motif! Vous voyez, ma belle amie, combien j'étais prÚs de la vérité. Ce n'est pas à moi, continuai-je, que ces malheureux ont dû mes secours. OÃÂč vous croyez voir une action louable, je ne cherchais qu'un moyen de plaire. Je n'étais, puisqu'il faut le dire, que le faible agent de la Divinité que j'adore. Ici elle voulut m'interrompre; mais je ne lui en donnai pas le temps. Dans ce moment mÃÂȘme, ajoutai-je, mon secret ne m'échappe que par faiblesse. Je m'étais promis de vous le taire; je me faisais un bonheur de rendre à vos vertus comme à vos appas un hommage pur que vous ignoreriez toujours; mais, incapable de tromper, quand j'ai sous les yeux l'exemple de la candeur, je n'aurai point à me reprocher avec vous une dissimulation coupable. Ne croyez pas que je vous outrage par une criminelle espérance. Je serai malheureux, je le sais; mais mes souffrances me seront chÚres; elles me prouveront l'excÚs de mon amour; c'est à vos pieds, c'est dans votre sein que je déposerai mes peines. J'y puiserai des forces pour souffrir de nouveau; j'y trouverai la bonté compatissante, et je me croirai consolé, parce que vous m'aurez plaint. Ô vous que j'adore! écoutez-moi, plaignez-moi, secourez-moi! " Cependant j'étais à ses genoux, et je serrais ses mains dans les miennes mais elle, les dégageant tout à coup, et les croisant sur ses yeux avec l'expression du désespoir " Ah! malheureuse! " s'écria-t-elle; puis elle fondit en larmes. Par bonheur je m'étais livré à tel point, que je pleurais aussi; et, reprenant ses mains, je les baignais de pleurs. Cette précaution était bien nécessaire; car elle était si occupée de sa douleur, qu'elle ne se serait pas aperçue de la mienne, si je n'avais pas trouvé ce moyen de l'en avertir. J'y gagnai de plus de considérer à loisir cette charmante figure, embellie encore par l'attrait puissant des larmes. Ma tÃÂȘte s'échauffait, et j'étais si peu maÃtre de moi, que je fus tenté de profiter de ce moment. Quelle est donc notre faiblesse? quel est l'empire des circonstances, si moi- mÃÂȘme, oubliant mes projets, j'ai risqué de perdre, par un triomphe prématuré, le charme des longs combats et les détails d'une pénible défaite; si, séduit par un désir de jeune homme, j'ai pensé exposer le vainqueur de Madame de Tourvel à ne recueillir, pour fruit de ses travaux, que l'insipide avantage d'avoir eu une femme de plus! Ah! qu'elle se rende, mais qu'elle combatte; que, sans avoir la force de vaincre, elle ait celle de résister; qu'elle savoure à loisir le sentiment de sa faiblesse, et soit contrainte d'avouer sa défaite. Laissons le Braconnier obscur tuer à l'affût le cerf qu'il a surpris; le vrai Chasseur doit le forcer. Ce projet est sublime, n'est-ce pas? mais peut-ÃÂȘtre serai-je à présent au regret de ne l'avoir pas suivi, si le hasard ne fût venu au secours de ma prudence. Nous entendÃmes du bruit. On venait au salon. Madame de Tourvel, effrayée, se leva précipitamment, se saisit d'un des flambeaux, et sortit. Il fallut bien la laisser faire. Ce n'était qu'un Domestique. AussitÎt que j'en fus assuré, je la suivis. A peine eus-je fait quelques pas, que, soit qu'elle me reconnût, soit un sentiment vague d'effroi, je l'entendis précipiter sa marche, et se jeter plutÎt qu'entrer dans son appartement dont elle ferma la porte sur elle. J'y allai; mais la clef était en dedans. Je me gardai bien de frapper; c'eût été lui fournir l'occasion d'une résistance trop facile. J'eus l'heureuse et simple idée de tenter de voir à travers la serrure, et je vis en effet cette femme adorable à genoux, baignée de larmes, et priant avec ferveur. Quel Dieu osait-elle invoquer? en est-il d'assez puissant contre l'Amour? En vain cherche-t-elle à présent des secours étrangers c'est moi qui réglerai son sort. Croyant en avoir assez fait pour un jour, je me retirai aussi dans mon appartement et me mis à vous écrire. J'espérais la revoir au souper; mais elle fit dire qu'elle s'était trouvée indisposée et s'était mise au lit. Madame de Rosemonde voulut monter chez elle, mais la malicieuse malade prétexta un mal de tÃÂȘte qui ne lui permettait de voir personne. Vous jugez qu'aprÚs le souper la veillée fut courte, et que j'eus aussi mon mal de tÃÂȘte. Retiré chez moi, j'écrivis une longue Lettre pour me plaindre de cette rigueur, et je me couchai, avec le projet de la remettre ce matin. J'ai mal dormi, comme vous pouvez voir par la date de cette Lettre. Je me suis levé, et j'ai relu mon EpÃtre. Je me suis aperçu que je ne m'y étais pas assez observé, que j'y montrais plus d'ardeur que d'amour, et plus d'humeur que de tristesse. Il faudra la refaire; mais il faudrait ÃÂȘtre plus calme. J'aperçois le point du jour, et j'espÚre que la fraÃcheur qui l'accompagne m'amÚnera le sommeil. Je vais me remettre au lit; et, quel que soit l'empire de cette femme, je vous promets de ne pas m'occuper tellement d'elle, qu'il ne me reste le temps de songer beaucoup à vous. Adieu, ma belle amie. J'ai l'honneur d'ÃÂȘtre, etc., De ..., ce 21 août 17**, 4 heures du matin. LETTRE XXIV LE VICOMTE DE VALMONT A LA PRESIDENTE DE TOURVEL Ah! par pitié, Madame, daignez calmer le trouble de mon ùme; daignez m'apprendre ce que je dois espérer ou craindre. Placé entre l'excÚs du bonheur et celui de l'infortune, l'incertitude est un tourment cruel. Pourquoi vous ai-je parlé? que n'ai-je pu résister au charme impérieux qui vous livrait mes pensées? Content de vous adorer en silence, je jouissais au moins de mon amour; et ce sentiment pur, que ne troublait point alors l'image de votre douleur, suffisait à ma félicité mais cette source de bonheur en est devenue une de désespoir, depuis que j'ai vu couler vos larmes; depuis que j'ai entendu ce cruel Ah! malheureuse! Madame, ces deux mots retentiront longtemps dans mon cÅ“ur. Par quelle fatalité, le plus doux des sentiments ne peut-il vous inspirer que l'effroi? quelle est donc cette crainte? Ah! ce n'est pas celle de le partager votre cÅ“ur, que j'ai mal connu, n'est pas fait pour l'Amour; le mien, que vous calomniez sans cesse, est le seul qui soit sensible; le vÎtre est mÃÂȘme sans pitié. S'il n'en était pas ainsi, vous n'auriez pas refusé un mot de consolation au malheureux qui vous racontait ses souffrances; vous ne vous seriez pas soustraite à ses regards, quand il n'a d'autre plaisir que celui de vous voir; vous ne vous seriez pas fait un jeu cruel de son inquiétude, en lui faisant annoncer que vous étiez malade sans lui permettre d'aller s'informer de votre état; vous auriez senti que cette mÃÂȘme nuit, qui n'était pour vous que douze heures de repos, allait ÃÂȘtre pour lui un siÚcle de douleurs. Par oÃÂč, dites-moi, ai-je mérité cette rigueur désolante? Je ne crains pas de vous prendre pour juge qu'ai-je donc fait? que céder à un sentiment involontaire, inspiré par la beauté et justifié par la vertu; toujours contenu par le respect, et dont l'innocent aveu fut l'effet de la confiance et non de l'espoir la trahirez-vous cette confiance que vous-mÃÂȘme avez semblé me permettre, et à laquelle je me suis livré sans réserve? Non, je ne puis le croire; ce serait vous supposer un tort, et mon cÅ“ur se révolte à la seule idée de vous en trouver un je désavoue mes reproches; j'ai pu les écrire, mais non pas les penser. Ah! laissez-moi vous croire parfaite, c'est le seul plaisir qui me reste. Prouvez-moi que vous l'ÃÂȘtes en m'accordant vos soins généreux. Quel malheureux avez- vous secouru, qui en eût autant de besoin que moi? ne m'abandonnez pas dans le délire oÃÂč vous m'avez plongé prÃÂȘtez-moi votre raison, puisque vous avez ravi la mienne; aprÚs m'avoir corrigé, éclairez-moi pour finir votre ouvrage. Je ne veux pas vous tromper, vous ne parviendrez point à vaincre mon amour; mais vous m'apprendrez à le régler en guidant mes démarches, en dictant mes discours, vous me sauverez au moins du malheur affreux de vous déplaire. Dissipez surtout cette crainte désespérante; dites-moi que vous me pardonnez, que vous me plaignez; assurez-moi de votre indulgence. Vous n'aurez jamais toute celle que je vous désirerais; mais je réclame celle dont j'ai besoin me la refuserez-vous? Adieu, Madame, recevez avec bonté l'hommage de mes sentiments; il ne nuit point à celui de mon respect. De ..., ce 20 août 17** LETTRE XXV LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Voici le bulletin d'hier. A onze heures j'entrai chez Madame de Rosemonde et, sous ses auspices, je fus introduit chez la feinte malade, qui était encore couchée. Elle avait les yeux trÚs battus; j'espÚre qu'elle avait aussi mal dormi que moi. Je saisis un moment, oÃÂč Madame de Rosemonde s'était éloignée, pour remettre ma Lettre on refusa de la prendre; mais je la laissai sur le lit, et allai bien honnÃÂȘtement approcher le fauteuil de ma vieille tante, qui voulait ÃÂȘtre auprÚs de son cher enfant il fallut bien serrer la Lettre pour éviter le scandale. La malade dit maladroitement qu'elle croyait avoir un peu de fiÚvre. Madame de Rosemonde m'engagea à lui tùter le pouls, en vantant beaucoup mes connaissances en médecine. Ma Belle eut donc le double chagrin d'ÃÂȘtre obligée de me livrer son bras, et de sentir que son petit mensonge allait ÃÂȘtre découvert. En effet, je pris sa main que je serrai dans une des miennes, pendant que de l'autre, je parcourais son bras frais et potelé; la malicieuse personne ne répondit à rien, ce qui me fit dire en me retirant " Il n'y a pas mÃÂȘme la plus légÚre émotion. " Je me doutai que ses regards devaient ÃÂȘtre sévÚres, et, pour la punir, je ne les cherchai pas un moment aprÚs, elle dit qu'elle voulait se lever, et nous la laissùmes seule. Elle parut au dÃner qui fut triste; elle annonça qu'elle n'irait pas se promener, ce qui était me dire que je n'aurais pas l'occasion de lui parler. Je sentis bien qu'il fallait placer là un soupir et un regard douloureux sans doute elle s'y attendait, car ce fut le seul moment de la journée oÃÂč je parvins à rencontrer ses yeux. Toute sage qu'elle est, elle a ses petites ruses comme une autre. Je trouvai le moment de lui demander si elle avait eu la bonté de m'instruire de mon sort , et je fus un peu étonné de l'entendre me répondre Oui, Monsieur, je vous ai écrit . J'étais fort empressé d'avoir cette Lettre; mais soit ruse encore, ou maladresse, ou timidité, elle ne me la remit que le soir, au moment de se retirer chez elle. Je vous l'envoie ainsi que le brouillon de la mienne; lisez et jugez voyez avec quelle insigne fausseté elle affirme qu'elle n'a point d'amour, quand je suis sûr du contraire; et puis elle se plaindra si je la trompe aprÚs, quand elle ne craint pas de me tromper avant! Ma belle amie, l'homme le plus adroit ne peut encore que se tenir au niveau de la femme la plus vraie. Il faudra pourtant feindre de croire à tout ce radotage, et se fatiguer de désespoir, parce qu'il plaÃt à Madame de jouer la rigueur! Le moyen de ne pas se venger de ces noirceurs-là ... ah! patience... mais adieu. J'ai encore beaucoup à écrire. A propos, vous me renverrez la Lettre de l'inhumaine; il se pourrait faire que par la suite elle voulût qu'on mÃt du prix à ces misÚres-là , et il faut ÃÂȘtre en rÚgle. Je ne vous parle pas de la petite Volanges; nous en causerons au premier jour. Du Chùteau, ce 22 août 17** LETTRE XXVI LA PRESIDENTE DE TOURVEL AU VICOMTE DE VALMONT Sûrement, Monsieur, vous n'auriez eu aucune Lettre de moi, si ma sotte conduite d'hier au soir ne me forçait d'entrer aujourd'hui en explication avec vous. Oui, j'ai pleuré, je l'avoue peut-ÃÂȘtre aussi les deux mots que vous me citez avec tant de soin me sont-ils échappés; larmes et paroles, vous avez tout remarqué; il faut donc vous expliquer tout. Accoutumée à n'inspirer que des sentiments honnÃÂȘtes, à n'entendre que des discours que je puis écouter sans rougir, à jouir par conséquent d'une sécurité que j'ose dire que je mérite; je ne sais ni dissimuler ni combattre les impressions que j'éprouve. L'étonnement et l'embarras oÃÂč m'a jetée votre procédé; je ne sais quelle crainte, inspirée par une situation qui n'eût jamais dû ÃÂȘtre faite pour moi, peut-ÃÂȘtre l'idée révoltante de me voir confondue avec les femmes que vous méprisez, et traitée aussi légÚrement qu'elles; toutes ces causes réunies ont provoqué mes larmes, et ont pu me faire dire, avec raison je crois, que j'étais malheureuse. Cette expression, que vous trouvez si forte, serait sûrement beaucoup trop faible encore, si mes pleurs et mes discours avaient eu un autre motif; si au lieu de désapprouver des sentiments qui doivent m'offenser, j'avais pu craindre de les partager. Non, Monsieur, je n'ai pas cette crainte; si je l'avais, je fuirais à cent lieues de vous; j'irais pleurer dans un désert le malheur de vous avoir connu. Peut-ÃÂȘtre mÃÂȘme, malgré la certitude oÃÂč je suis de ne point vous aimer jamais, peut-ÃÂȘtre aurais-je mieux fait de suivre les conseils de mes amis; de ne pas vous laisser approcher de moi. J'ai cru, et c'est là mon seul tort, j'ai cru que vous respecteriez une femme honnÃÂȘte, qui ne demandait pas mieux que de vous trouver tel et de vous rendre justice; qui déjà vous défendait, tandis que vous l'outragiez par vos vÅ“ux criminels. Vous ne me connaissez pas; non, Monsieur, vous ne me connaissez pas. Sans cela, vous n'auriez pas cru vous faire un droit de vos torts parce que vous m'avez tenu des discours que je ne devais pas entendre, vous ne vous seriez pas cru autorisé à m'écrire une Lettre que je ne devais pas lire, et vous me demandez de guider vos démarches, de dicter vos discours ! Hé bien, Monsieur, le silence et l'oubli, voilà les conseils qu'il me convient de vous donner, comme à vous de les suivre; alors, vous aurez, en effet, des droits à mon indulgence il ne tiendrait qu'à vous d'en obtenir mÃÂȘme à ma reconnaissance... Mais non, je ne ferai point une demande à celui qui ne m'a point respectée; je ne donnerai point une marque de confiance à celui qui a abusé de ma sécurité. Vous me forcez à vous craindre, peut-ÃÂȘtre à vous haïr je ne le voulais pas; je ne voulais voir en vous que le neveu de ma plus respectable amie; j'opposais la voix de l'amitié à la voix publique qui vous accusait. Vous avez tout détruit; et, je le prévois, vous ne voudrez rien réparer. Je m'en tiens, Monsieur, à vous déclarer que vos sentiments m'offensent, que leur aveu m'outrage, et surtout que, loin d'en venir un jour à les partager, vous me forceriez à ne vous revoir jamais, si vous ne vous imposiez sur cet objet un silence qu'il me semble avoir droit d'attendre, et mÃÂȘme d'exiger de vous. Je joins à cette Lettre celle que vous m'avez écrite, et j'espÚre que vous voudrez bien de mÃÂȘme me remettre celle-ci; je serais vraiment peinée qu'il restùt aucune trace d'un événement qui n'eût jamais dû exister. J'ai l'honneur d'ÃÂȘtre, etc. De ..., ce 21 août 17** LETTRE XXVII CECILE VOLANGES A LA MARQUISE DE MERTEUIL Mon Dieu, que vous ÃÂȘtes bonne, Madame! comme vous avez bien senti qu'il me serait plus facile de vous écrire que de vous parler! Aussi, c'est que ce que j'ai à vous dire est bien difficile; mais vous ÃÂȘtes mon amie, n'est-il pas vrai? Oh! oui, ma bien bonne amie! Je vais tùcher de n'avoir pas peur; et puis, j'ai tant besoin de vous, de vos conseils! J'ai bien du chagrin, il me semble que tout le monde devine ce que je pense; et surtout quand il est là , je rougis dÚs qu'on me regarde. Hier, quand vous m'avez vue pleurer, c'est que je voulais vous parler, et puis, je ne sais quoi m'en empÃÂȘchait; et quand vous m'avez demandé ce que j'avais, mes larmes sont venues malgré moi. Je n'aurais pas pu dire une parole. Sans vous, Maman allait s'en apercevoir, et qu'est-ce que je serais devenue? Voilà pourtant comme je passe ma vie, surtout depuis quatre jours! C'est ce jour-là , Madame, oui je vais vous le dire, c'est ce jour-là que M. le Chevalier Danceny m'a écrit oh! je vous assure que quand j'ai trouvé sa Lettre, je ne savais pas du tout ce que c'était; mais, pour ne pas mentir, je ne peux pas dire que je n'aie eu bien du plaisir en la lisant; voyez- vous, j'aimerais mieux avoir du chagrin toute ma vie, que s'il ne me l'eût pas écrite. Mais je savais bien que je ne devais pas le lui dire, et je peux bien vous assurer mÃÂȘme que je lui ai dit que j'en étais fùchée; mais il dit que c'était plus fort que lui, et je le crois bien; car j'avais résolu de ne lui pas répondre, et pourtant je n'ai pas pu m'en empÃÂȘcher. Oh! je ne lui ai écrit qu'une fois, et mÃÂȘme c'était, en partie, pour lui dire de ne plus m'écrire mais malgré cela il m'écrit toujours; et comme je ne lui réponds pas, je vois bien qu'il est triste, et ça m'afflige encore davantage si bien que je ne sais plus que faire, ni que devenir, et que je suis bien à plaindre. Dites-moi, je vous en prie, Madame, est-ce que ce serait bien mal de lui répondre de temps en temps? seulement jusqu'à ce qu'il ait pu prendre sur lui de ne plus m'écrire lui-mÃÂȘme, et de rester comme nous étions avant car, pour moi, si cela continue, je ne sais pas ce que je deviendrai. Tenez, en lisant sa derniÚre Lettre, j'ai pleuré que ça ne finissait pas; et je suis bien sûre que si je ne lui réponds pas encore, ça nous fera bien de la peine. Je vais vous envoyer sa Lettre aussi, ou bien une copie, et vous jugerez; vous verrez bien que ce n'est rien de mal qu'il demande. Cependant si vous trouvez que ça ne se doit pas, je vous promets de m'en empÃÂȘcher; mais je crois que vous penserez comme moi, que ce n'est pas là du mal. Pendant que j'y suis, Madame, permettez-moi de vous faire encore une question on m'a bien dit que c'était mal d'aimer quelqu'un; mais pourquoi cela? Ce qui me fait vous le demander, c'est que M. le Chevalier Danceny prétend que ce n'est pas mal du tout, et que presque tout le monde aime; si cela était, je ne vois pas pourquoi je serais la seule à m'en empÃÂȘcher; ou bien est-ce que ce n'est un mal que pour les demoiselles? car j'ai entendu Maman elle-mÃÂȘme dire que Madame D... aimait M. M... et elle n'en parlait pas comme d'une chose qui serait si mal; et pourtant je suis sûre qu'elle se fùcherait contre moi, si elle se doutait seulement de mon amitié pour M. Danceny. Elle me traite toujours comme un enfant, Maman; et elle ne me dit rien du tout. Je croyais, quand elle m'a fait sortir du Couvent, que c'était pour me marier; mais à présent il me semble que non ce n'est pas que je m'en soucie, je vous assure; mais vous, qui ÃÂȘtes si amie avec elle, vous savez peut-ÃÂȘtre ce qui en est, et si vous le savez, j'espÚre que vous me le direz. Voilà une bien longue Lettre, Madame, mais puisque vous m'avez permis de vous écrire, j'en ai profité pour vous dire tout, et je compte sur votre amitié. J'ai l'honneur d'ÃÂȘtre, etc. Paris, ce 23 août 17** LETTRE XXVIII LE CHEVALIER DANCENY A CECILE VOLANGES Eh! quoi, Mademoiselle, vous refusez toujours de me répondre! rien ne peut vous fléchir; et chaque jour emporte avec lui l'espoir qu'il avait amené! Quelle est donc cette amitié que vous consentez qui subsiste entre nous, si elle n'est pas mÃÂȘme assez puissante pour vous rendre sensible à ma peine; si elle vous laisse froide et tranquille, tandis que j'éprouve les tourments d'un feu que je ne puis éteindre; si, loin de vous inspirer de la confiance, elle ne suffit pas mÃÂȘme à faire naÃtre votre pitié? Quoi! votre ami souffre et vous ne faites rien pour le secourir! Il ne vous demande qu'un mot, et vous le lui refusez! et vous voulez qu'il se contente d'un sentiment si faible, dont vous craignez encore de lui réitérer les assurances! Vous ne voudriez pas ÃÂȘtre ingrate, disiez-vous hier ah! croyez-moi, Mademoiselle, vouloir payer de l'Amour avec de l'amitié, ce n'est pas craindre l'ingratitude, c'est redouter seulement d'en avoir l'air. Cependant je n'ose plus vous entretenir d'un sentiment qui ne peut que vous ÃÂȘtre à charge, s'il ne vous intéresse pas; il faut au moins le renfermer en moi-mÃÂȘme, en attendant que j'apprenne à le vaincre. Je sens combien ce travail sera pénible; je ne me dissimule pas que j'aurai besoin de toutes mes forces; je tenterai tous les moyens il en est un qui coûtera le plus à mon cÅ“ur, ce sera celui de me répéter souvent que le vÎtre est insensible. J'essaierai mÃÂȘme de vous voir moins, et déjà je m'occupe d'en trouver un prétexte plausible. Quoi! je perdrais la douce habitude de vous voir chaque jour! Ah! du moins je ne cesserai jamais de la regretter. Un malheur éternel sera le prix de l'Amour le plus tendre; et vous l'aurez voulu, et ce sera votre ouvrage! Jamais, je le sens, je ne retrouverai le bonheur que je perds aujourd'hui; vous seule étiez faite pour mon cÅ“ur; avec quel plaisir je ferais le serment de ne vivre que pour vous. Mais vous ne voulez pas le recevoir; votre silence m'apprend assez que votre cÅ“ur ne vous dit rien pour moi; il est à la fois la preuve la plus sûre de votre indifférence, et la maniÚre la plus cruelle de me l'annoncer. Adieu, Mademoiselle. Je n'ose plus me flatter d'une réponse; l'Amour l'eût écrite avec empressement, l'amitié avec plaisir, la pitié mÃÂȘme avec complaisance mais la pitié, l'amitié et l'Amour sont également étrangers à votre cÅ“ur. Paris, ce 23 août 17** LETTRE XXIX CECILE VOLANGES A SOPHIE CARNAY Je te le disais bien, Sophie, qu'il y avait des cas oÃÂč on pouvait écrire; et je t'assure que je me reproche bien d'avoir suivi ton avis, qui nous a tant fait de peine, au Chevalier Danceny et à moi. La preuve que j'avais raison, c'est que Madame de Merteuil, qui est une femme qui sûrement le sait bien, a fini par penser comme moi. Je lui ai tout avoué. Elle m'a bien dit d'abord comme toi mais quand je lui ai eu tout expliqué, elle est convenue que c'était bien différent; elle exige seulement que je lui fasse voir toutes mes Lettres et toutes celles du Chevalier Danceny, afin d'ÃÂȘtre sûre que je ne dirai que ce qu'il faudra; ainsi, à présent, me voilà tranquille. Mon Dieu, que je l'aime Madame de Merteuil! elle est si bonne! et c'est une femme bien respectable. Ainsi il n'y a rien à dire. Comme je m'en vais écrire à M. Danceny, et comme il va ÃÂȘtre content! il le sera encore plus qu'il ne croit; car jusqu'ici je ne lui parlais que de mon amitié, et lui voulait toujours que je dise mon amour. Je crois que c'était bien la mÃÂȘme chose; mais enfin je n'osais pas, et il tenait à cela. Je l'ai dit à Madame de Merteuil; elle m'a dit que j'avais eu raison, et qu'il ne fallait convenir d'avoir de l'Amour, que quand on ne pouvait plus s'en empÃÂȘcher or je suis bien sûre que je ne pourrai pas m'en empÃÂȘcher plus longtemps; aprÚs tout c'est la mÃÂȘme chose, et cela lui plaira davantage. Madame de Merteuil m'a dit aussi qu'elle me prÃÂȘterait des Livres qui parlaient de tout cela, et qui m'apprendraient bien à me conduire, et aussi à mieux écrire que je ne fais car, vois-tu, elle me dit tous mes défauts, ce qui est une preuve qu'elle m'aime bien; elle m'a recommandé seulement de ne rien dire à Maman de ces Livres-là parce que ça aurait l'air de trouver qu'elle a trop négligé mon éducation, et ça pourrait la fùcher. Oh! je ne lui en dirai rien. C'est pourtant bien extraordinaire qu'une femme qui ne m'est presque pas parente prenne plus de soin de moi que ma mÚre! c'est bien heureux pour moi de l'avoir connue! Elle a demandé aussi à Maman de me mener aprÚs-demain à l'Opéra, dans sa loge; elle m'a dit que nous y serions toutes seules, et nous causerons tout le temps, sans craindre qu'on nous entende j'aime bien mieux cela que l'Opéra. Nous causerons aussi de mon mariage car elle m'a dit que c'était bien vrai que j'allais me marier; mais nous n'avons pas pu en dire davantage. Par exemple, n'est-ce pas encore bien étonnant que Maman ne m'en dise rien du tout? Adieu, ma Sophie, je m'en vas écrire au Chevalier Danceny. Oh! je suis bien contente. De ..., ce 24 août 17** LETTRE XXX CECILE VOLANGES AU CHEVALIER DANCENY Enfin, Monsieur, je consens à vous écrire, à vous assurer de mon amitié, de mon amour , puisque, sans cela, vous seriez malheureux. Vous dites que je n'ai pas bon cÅ“ur; je vous assure bien que vous vous trompez, et j'espÚre qu'à présent vous n'en doutez plus. Si vous avez du chagrin de ce que je ne vous écrivais pas, croyez-vous que ça ne me faisait pas de la peine aussi? Mais c'est que, pour toute chose au monde, je ne voudrais pas faire quelque chose qui fût mal; et mÃÂȘme je ne serais sûrement pas convenue de mon amour, si j'avais pu m'en empÃÂȘcher mais votre tristesse me faisait trop de peine. J'espÚre qu'à présent vous n'en aurez plus, et que nous allons ÃÂȘtre bien heureux. Je compte avoir le plaisir de vous voir ce soir, et que vous viendrez de bonne heure; ce ne sera jamais aussi tÎt que je le désire. Maman soupe chez elle, et je crois qu'elle vous proposera d'y rester j'espÚre que vous ne serez pas engagé comme avant-hier. C'était donc bien agréable, le souper oÃÂč vous alliez? car vous y avez été de bien bonne heure. Mais enfin ne parlons pas de ça à présent que vous savez que je vous aime, j'espÚre que vous resterez avec moi le plus que vous pourrez; car je ne suis contente que lorsque je suis avec vous, et je voudrais bien que vous fussiez tout de mÃÂȘme. Je suis bien fùchée que vous ÃÂȘtes encore triste à présent, mais ce n'est pas ma faute. Je demanderai à jouer de la harpe aussitÎt que vous serez arrivé, afin que vous ayez ma lettre tout de suite. Je ne peux mieux faire... Adieu, Monsieur. Je vous aime bien, de tout mon cÅ“ur; plus je vous le dis, plus je suis contente; j'espÚre que vous le serez aussi. De ..., ce 24 août 17** LETTRE XXXI LE CHEVALIER DANCENY A CECILE VOLANGES Oui, sans doute, nous serons heureux. Mon bonheur est bien sûr, puisque je suis aimé de vous; le vÎtre ne finira jamais, s'il doit durer autant que l'Amour que vous m'avez inspiré. Quoi! vous m'aimez, vous ne craignez plus de m'assurer de votre amour! Plus vous me le dites, et plus vous ÃÂȘtes contente! AprÚs avoir lu ce charmant je vous aime , écrit de votre main, j'ai entendu votre belle bouche m'en répéter l'aveu. J'ai vu se fixer sur moi ces yeux charmants qu'embellissait encore l'expression de la tendresse. J'ai reçu vos serments de vivre toujours pour moi. Ah! recevez le mien de consacrer ma vie entiÚre à votre bonheur; recevez-le, et soyez sûre que je ne le trahirai pas. Quelle heureuse journée nous avons passée hier! Ah! pourquoi Madame de Merteuil n'a-t-elle pas tous les jours des secrets à dire à votre Maman? pourquoi faut-il que l'idée de la contrainte qui nous attend vienne se mÃÂȘler au souvenir délicieux qui m'occupe? pourquoi ne puis-je sans cesse tenir cette jolie main qui m'a écrit je vous aime! la couvrir de baisers, et me venger ainsi du refus que vous m'avez fait d'une faveur plus grande! Dites-moi, ma Cécile, quand votre Maman a été rentrée; quand nous avons été forcés, par sa présence, de n'avoir plus l'un pour l'autre que des regards indifférents; quand vous ne pouviez plus me consoler, par l'assurance de votre amour, du refus que vous faisiez de m'en donner des preuves, n'avez-vous donc senti aucun regret? ne vous ÃÂȘtes-vous pas dit Un baiser l'eût rendu plus heureux, et c'est moi qui lui ai ravi ce bonheur? Promettez-moi, mon aimable amie, qu'à la premiÚre occasion vous serez moins sévÚre. A l'aide de cette promesse, je trouverai du courage pour supporter les contrariétés que les circonstances nous préparent; et les privations cruelles seront au moins adoucies par la certitude que vous en partagez le secret. Adieu, ma charmante Cécile voici l'heure oÃÂč je dois me rendre chez vous. Il me serait impossible de vous quitter, si ce n'était pour aller vous revoir. Adieu, vous que j'aime tant! vous, que j'aimerai toujours davantage! De ..., ce 25 août 17** LETTRE XXXII MADAME DE VOLANGES A LA PRESIDENTE DE TOURVEL Vous voulez donc, Madame, que je croie à la vertu de M. de Valmont? J'avoue que je ne puis m'y résoudre, et que j'aurais autant de peine à le juger honnÃÂȘte, d'aprÚs le seul fait que vous me racontez, qu'à croire vicieux un homme de bien reconnu, dont j'apprendrais une faute. L'humanité n'est parfaite dans aucun genre, pas plus dans le mal que dans le bien. Le scélérat a ses vertus, comme l'honnÃÂȘte homme a ses faiblesses. Cette vérité me paraÃt d'autant plus nécessaire à croire, que c'est d'elle que dérive la nécessité de l'indulgence pour les méchants comme pour les bons; et qu'elle préserve ceux-ci de l'orgueil, et sauve les autres du découragement. Vous trouverez sans doute que je pratique bien mal dans ce moment cette indulgence que je prÃÂȘche; mais je ne vois plus en elle qu'une faiblesse dangereuse, quand elle nous mÚne à traiter de mÃÂȘme le vicieux et l'homme de bien. Je ne me permettrai point de scruter les motifs de l'action de M. de Valmont; je veux croire qu'ils sont louables comme elle mais en a-t-il moins passé sa vie à porter dans les familles le trouble, le déshonneur et le scandale? Ecoutez, si vous voulez, la voix du malheureux qu'il a secouru; mais qu'elle ne vous empÃÂȘche pas d'entendre les cris de cent victimes qu'il a immolées. Quand il ne serait, comme vous le dites, qu'un exemple du danger des liaisons, en serait-il moins lui-mÃÂȘme une liaison dangereuse? Vous le supposez susceptible d'un retour heureux? allons plus loin; supposons ce miracle arrivé. Ne resterait-il pas contre lui l'opinion publique, et ne suffit-elle pas pour régler votre conduite? Dieu seul peut absoudre au moment du repentir; il lit dans les cÅ“urs mais les hommes ne peuvent juger les pensées que par les actions; et nul d'entre eux, aprÚs avoir perdu l'estime des autres, n'a droit de se plaindre de la méfiance nécessaire, qui rend cette perte si difficile à réparer. Songez surtout, ma jeune amie, que quelquefois il suffit, pour perdre cette estime, d'avoir l'air d'y attacher trop peu de prix; et ne taxez pas cette sévérité d'injustice car, outre qu'on est fondé à croire qu'on ne renonce pas à ce bien précieux quand on a droit d'y prétendre, celui-là est en effet plus prÚs de mal faire, qui n'est plus contenu par ce frein puissant. Tel serait cependant l'aspect sous lequel vous montrerait une liaison intime avec M. de Valmont, quelque innocente qu'elle pût ÃÂȘtre. Effrayée de la chaleur avec laquelle vous le défendez, je me hùte de prévenir les objections que je prévois. Vous me citerez Madame de Merteuil, à qui on a pardonné cette liaison; vous me demanderez pourquoi je le reçois chez moi; vous me direz que loin d'ÃÂȘtre rejeté par les gens honnÃÂȘtes, il est admis, recherché mÃÂȘme dans ce qu'on appelle la bonne compagnie. Je peux, je crois, répondre à tout. D'abord Madame de Merteuil, en effet trÚs estimable, n'a peut-ÃÂȘtre d'autre défaut que trop de confiance en ses forces; c'est un guide adroit qui se plaÃt à conduire un char entre les rochers et les précipices, et que le succÚs seul justifie il est juste de la louer, il serait imprudent de la suivre; elle-mÃÂȘme en convient et s'en accuse. A mesure qu'elle a vu davantage, ses principes sont devenus plus sévÚres; et je ne crains pas de vous assurer qu'elle penserait comme moi. Quant à ce qui me regarde, je ne me justifierai pas plus que les autres. Sans doute, je reçois M. de Valmont, et il est reçu partout; c'est une inconséquence de plus à ajouter à mille autres qui gouvernent la société. Vous savez, comme moi, qu'on passe sa vie à les remarquer, à s'en plaindre et à s'y livrer. M. de Valmont, avec un beau nom, une grande fortune, beaucoup de qualités aimables, a reconnu de bonne heure que pour avoir l'empire dans la société, il suffisait de manier, avec une égale adresse, la louange et le ridicule. Nul ne possÚde comme lui ce double talent il séduit avec l'un, et se fait craindre avec l'autre. On ne l'estime pas; mais on le flatte. Telle est son existence au milieu d'un monde qui, plus prudent que courageux, aime mieux le ménager que le combattre. Mais ni Madame de Merteuil elle-mÃÂȘme, ni aucune autre femme, n'oserait sans doute aller s'enfermer à la campagne, presque en tÃÂȘte-à -tÃÂȘte avec un tel homme. Il était réservé à la plus sage, à la plus modeste d'entre elles, de donner l'exemple de cette inconséquence; pardonnez-moi ce mot, il échappe à l'amitié. Ma belle amie, votre honnÃÂȘteté mÃÂȘme vous trahit, par la sécurité qu'elle vous inspire. Songez donc que vous aurez pour juges, d'une part, des gens frivoles, qui ne croiront pas à une vertu dont ils ne trouvent pas le modÚle chez eux; et de l'autre, des méchants qui feindront de n'y pas croire, pour vous punir de l'avoir eue. Considérez que vous faites, dans ce moment, ce que quelques hommes n'oseraient pas risquer. En effet, parmi les jeunes gens, dont M. de Valmont ne s'est que trop rendu l'oracle, je vois les plus sages craindre de paraÃtre liés trop intimement avec lui; et vous, vous ne le craignez pas! Ah! revenez, revenez, je vous en conjure... Si mes raisons ne suffisent pas pour vous persuader, cédez à mon amitié; c'est elle qui me fait renouveler mes instances, c'est à elle à les justifier. Vous la trouvez sévÚre, et je désire qu'elle soit inutile; mais j'aime mieux que vous ayez à vous plaindre de sa sollicitude que de sa négligence. De ..., ce 24 août 17** LETTRE XXXIII LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT DÚs que vous craignez de réussir, mon cher Vicomte, dÚs que votre projet est de fournir des armes contre vous, et que vous désirez moins de vaincre que de combattre, je n'ai plus rien à dire. Votre conduite est un chef-d'Å“uvre de prudence. Elle en serait un de sottise dans la supposition contraire; et pour vous parler vrai, je crains que vous ne vous fassiez illusion. Ce que je vous reproche n'est pas de n'avoir point profité du moment. D'une part, je ne vois pas clairement qu'il fût venu de l'autre, je sais assez, quoi qu'on en dise, qu'une occasion manquée se retrouve, tandis qu'on ne revient jamais d'une démarche précipitée. Mais la véritable école est de vous ÃÂȘtre laissé aller à écrire. Je vous défie à présent de prévoir oÃÂč ceci peut vous mener. Par hasard, espérez-vous prouver à cette femme qu'elle doit se rendre? Il me semble que ce ne peut ÃÂȘtre là qu'une vérité de sentiment, et non de démonstration; et que pour la faire recevoir, il s'agit d'attendrir et non de raisonner; mais à quoi vous servirait d'attendrir par Lettres, puisque vous ne seriez pas là pour en profiter? Quand vos belles phrases produiraient l'ivresse de l'Amour, vous flattez-vous qu'elle soit assez longue pour que la réflexion n'ait pas le temps d'en empÃÂȘcher l'aveu? Songez donc à celui qu'il faut pour écrire une Lettre, à celui qui se passe avant qu'on la remette; et voyez si surtout une femme à principes comme votre Dévote peut vouloir si longtemps ce qu'elle tùche de ne vouloir jamais. Cette marche peut réussir avec les enfants, qui, quand ils écrivent " je vous aime " , ne savent pas qu'ils disent " je me rends " . Mais la vertu raisonneuse de Madame de Tourvel me paraÃt fort bien connaÃtre la valeur des termes. Aussi, malgré l'avantage que vous aviez pris sur elle dans votre conversation, elle vous bat dans sa Lettre. Et puis, savez-vous ce qui arrive? par cela seul qu'on dispute, on ne veut pas céder. A force de chercher de bonnes raisons, on en trouve; on les dit; et aprÚs on y tient, non pas tant parce qu'elles sont bonnes que pour ne pas se démentir. De plus, une remarque que je m'étonne que vous n'ayez pas faite, c'est qu'il n'y a rien de si difficile en amour que d'écrire ce qu'on ne sent pas. Je dis écrire d'une façon vraisemblable ce n'est pas qu'on ne se serve des mÃÂȘmes mots; mais on ne les arrange pas de mÃÂȘme, ou plutÎt on les arrange, et cela suffit. Relisez votre Lettre il y rÚgne un ordre qui vous décÚle à chaque phrase. Je veux croire que votre Présidente est assez peu formée pour ne s'en pas apercevoir mais qu'importe? l'effet n'en est pas moins manqué. C'est le défaut des Romans; l'Auteur se bat les flancs pour s'échauffer, et le Lecteur reste froid. Héloïse est le seul qu'on en puisse excepter; et malgré le talent de l'Auteur, cette observation m'a toujours fait croire que le fond en était vrai. Il n'en est pas de mÃÂȘme en parlant. L'habitude de travailler son organe y donne de la sensibilité; la facilité des larmes y ajoute encore l'expression du désir se confond dans les yeux avec celle de la tendresse; enfin le discours moins suivi amÚne plus aisément cet air de trouble et de désordre, qui est la véritable éloquence de l'Amour; et surtout la présence de l'objet aimé empÃÂȘche la réflexion et nous fait désirer d'ÃÂȘtre vaincues. Croyez-moi, Vicomte on vous demande de ne plus écrire profitez-en pour réparer votre faute et attendez l'occasion de parler. Savez-vous que cette femme a plus de force que je ne croyais? Sa défense est bonne; et sans la longueur de sa Lettre, et le prétexte qu'elle vous donne pour rentrer en matiÚre dans sa phrase de reconnaissance, elle ne se serait pas du tout trahie. Ce qui me paraÃt encore devoir vous rassurer sur le succÚs, c'est qu'elle use trop de forces à la fois; je prévois qu'elle les épuisera pour la défense du mot, et qu'il ne lui en restera plus pour celle de la chose. Je vous renvoie vos deux Lettres, et si vous ÃÂȘtes prudent, ce seront les derniÚres jusqu'aprÚs l'heureux moment. S'il était moins tard, je vous parlerais de la petite Volanges qui avance assez vite et dont je suis fort contente. Je crois que j'aurai fini avant vous, et vous devez en ÃÂȘtre bien heureux. Adieu pour aujourd'hui. De ..., ce 24 août 17** LETTRE XXXIV LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Vous parlez à merveille, ma belle amie mais pourquoi vous tant fatiguer à prouver ce que personne n'ignore? Pour aller vite en amour, il vaut mieux parler qu'écrire; voilà , je crois, toute votre Lettre. Eh mais! ce sont les plus simples éléments de l'art de séduire. Je remarquerai seulement que vous ne faites qu'une exception à ce principe, et qu'il y en a deux. Aux enfants qui suivent cette marche par timidité et se livrent par ignorance, il faut joindre les femmes Beaux-Esprits, qui s'y laissent engager par amour-propre, et que la vanité conduit dans le piÚge. Par exemple, je suis bien sûr que la Comtesse de B... qui répondit sans difficulté à ma premiÚre Lettre, n'avait pas alors plus d'amour pour moi que moi pour elle; et qu'elle ne vit que l'occasion de traiter un sujet qui devait lui faire honneur. Quoi qu'il en soit, un Avocat vous dirait que le principe ne s'applique pas à la question. En effet, vous supposez que j'ai le choix entre écrire et parler, ce qui n'est pas. Depuis l'affaire du 19, mon inhumaine, qui se tient sur la défensive, a mis à éviter les rencontres une adresse qui a déconcerté la mienne. C'est au point que si cela continue, elle me forcera à m'occuper sérieusement des moyens de reprendre cet avantage; car assurément je ne veux ÃÂȘtre vaincu par elle en aucun genre. Mes Lettres mÃÂȘmes sont le sujet d'une petite guerre non contente de n'y pas répondre, elle refuse de les recevoir. Il faut pour chacune une ruse nouvelle, et qui ne réussit pas toujours. Vous vous rappelez par quel moyen simple j'avais remis la premiÚre; la seconde n'offrit pas plus de difficulté. Elle m'avait demandé de lui rendre sa Lettre je lui donnai la mienne en place, sans qu'elle eût le moindre soupçon. Mais soit dépit d'avoir été attrapée, soit caprice, ou enfin soit vertu, car elle me forcera d'y croire, elle refusa obstinément la troisiÚme. J'espÚre pourtant que l'embarras oÃÂč a pensé la mettre la suite de ce refus, la corrigera pour l'avenir. Je ne fus pas trÚs étonné qu'elle ne voulût pas recevoir cette Lettre que je lui offrais tout simplement; c'eût été déjà accorder quelque chose, et je m'attends à une plus longue défense. AprÚs cette tentative, qui n'était qu'un essai fait en passant, je mis une enveloppe à ma Lettre; et prenant le moment de la toilette, oÃÂč Madame de Rosemonde et la Femme de chambre étaient présentes, je la lui envoyai par mon Chasseur, avec ordre de lui dire que c'était le papier qu'elle m'avait demandé. J'avais bien deviné qu'elle craindrait l'explication scandaleuse que nécessiterait un refus en effet elle prit la Lettre; et mon Ambassadeur, qui avait ordre d'observer sa figure, et qui ne voit pas mal, n'aperçut qu'une légÚre rougeur et plus d'embarras que de colÚre. Je me félicitais donc, bien sûr, ou qu'elle garderait cette Lettre, ou que si elle voulait me la rendre, il faudrait qu'elle se trouvùt seule avec moi; ce qui me donnerait une occasion de lui parler. Environ une heure aprÚs, un de ses gens entre dans ma chambre et me remet, de la part de sa MaÃtresse, un paquet d'une autre forme que le mien, et sur l'enveloppe duquel je reconnais l'écriture tant désirée. J'ouvre avec précipitation... C'était ma Lettre elle-mÃÂȘme, non décachetée et pliée seulement en deux. Je soupçonne que la crainte que je ne fusse moins scrupuleux qu'elle sur le scandale lui a fait employer cette ruse diabolique. Vous me connaissez; je n'ai pas besoin de vous peindre ma fureur. Il fallut pourtant reprendre son sang-froid, et chercher de nouveaux moyens. Voici le seul que je trouvai. On va d'ici, tous les matins, chercher les Lettres à la Poste, qui est à environ trois quarts de lieue on se sert, pour cet objet, d'une boÃte couverte à peu prÚs comme un tronc, dont le MaÃtre de la Poste a une clef et Madame de Rosemonde l'autre. Chacun y met ses Lettres dans la journée, quand bon lui semble; on les porte le soir à la Poste, et le matin on va chercher celles qui sont arrivées. Tous les gens, étrangers ou autres, font ce service également. Ce n'était pas le tour de mon domestique; mais il se chargea d'y aller, sous le prétexte qu'il avait affaire de ce cÎté. Cependant j'écrivis ma Lettre. Je déguisai mon écriture pour l'adresse, et je contrefis assez bien, sur l'enveloppe, le timbre de Dijon . Je choisis cette Ville, parce que je trouvai plus gai, puisque je demandais les mÃÂȘmes droits que le mari, d'écrire aussi du mÃÂȘme lieu, et aussi parce que ma Belle avait parlé toute la journée du désir qu'elle avait de recevoir des Lettres de Dijon. Il me parut juste de lui procurer ce plaisir. Ces précautions une fois prises, il était facile de faire joindre cette Lettre aux autres. Je gagnais encore à cet expédient d'ÃÂȘtre témoin de la réception car l'usage est ici de se rassembler pour déjeuner et d'attendre l'arrivée des Lettres avant de se séparer. Enfin elles arrivÚrent. Madame de Rosemonde ouvrit la boÃte. " De Dijon " , dit-elle, en donnant la Lettre à Madame de Tourvel. " Ce n'est pas l'écriture de mon mari " , reprit celle-ci d'une voix inquiÚte, en rompant le cachet avec vivacité le premier coup d'oeil l'instruisit; et il se fit une telle révolution sur sa figure que Madame de Rosemonde s'en aperçut, et lui dit " Qu'avez-vous? " Je m'approchai aussi, en disant " Cette Lettre est donc bien terrible? " La timide Dévote n'osait lever les yeux, ne disait mot, et, pour sauver son embarras, feignait de parcourir l'EpÃtre, qu'elle n'était guÚre en état de lire. Je jouissais de son trouble, et n'étais pas fùché de la pousser un peu " Votre air plus tranquille, ajoutai-je, fait espérer que cette Lettre vous a causé plus d'étonnement que de douleur. " La colÚre alors l'inspira mieux que n'eût pu faire la prudence. " Elle contient, répondit-elle, des choses qui m'offensent, et que je suis étonnée qu'on ait osé m'écrire. " - " Et qui donc? " interrompit Madame de Rosemonde. " Elle n'est pas signée " , répondit la belle courroucée " mais la Lettre et son Auteur m'inspirent un égal mépris. On m'obligera de ne m'en plus parler. " En disant ces mots, elle déchira l'audacieuse missive, en mit les morceaux dans sa poche, se leva, et sortit. Malgré cette colÚre, elle n'en a pas moins eu ma Lettre; et je m'en remets bien à sa curiosité, du soin de l'avoir lue en entier. Le détail de la journée me mÚnerait trop loin. Je joins à ce récit le brouillon de mes deux Lettres vous serez aussi instruite que moi. Si vous voulez ÃÂȘtre au courant de ma correspondance, il faut vous accoutumer à déchiffrer mes minutes car pour rien au monde, je ne dévorerais l'ennui de les recopier. Adieu, ma belle amie. De ..., ce 25 août 17** LETTRE XXXV LE VICOMTE DE VALMONT A LA PRESIDENTE DE TOURVEL Il faut vous obéir, Madame, il faut vous prouver qu'au milieu des torts que vous vous plaisez à me croire, il me reste au moins assez de délicatesse pour ne pas me permettre un reproche, et assez de courage pour m'imposer les plus douloureux sacrifices. Vous m'ordonnez le silence et l'oubli! eh bien! je forcerai mon amour à se taire; et j'oublierai, s'il est possible, la façon cruelle dont vous l'avez accueilli. Sans doute le désir de vous plaire n'en donnait pas le droit, et j'avoue encore que le besoin que j'avais de votre indulgence n'était pas un titre pour l'obtenir mais vous regardez mon amour comme un outrage; vous oubliez que si ce pouvait ÃÂȘtre un tort, vous en seriez à la fois, et la cause et l'excuse. Vous oubliez aussi qu'accoutumé à vous ouvrir mon ùme, lors mÃÂȘme que cette confiance pouvait me nuire, il ne m'était plus possible de vous cacher les sentiments dont je suis pénétré; et ce qui fut l'ouvrage de ma bonne foi, vous le regardez comme le fruit de l'audace. Pour prix de l'Amour le plus tendre, le plus respectueux, le plus vrai, vous me rejetez loin de vous. Vous me parlez enfin de votre haine... Quel autre ne se plaindrait pas d'ÃÂȘtre traité ainsi? Moi seul, je me soumets; je souffre tout et ne murmure point; vous frappez et j'adore. L'inconcevable empire que vous avez sur moi vous rend maÃtresse absolue de mes sentiments; et si mon amour seul vous résiste, si vous ne pouvez le détruire, c'est qu'il est votre ouvrage et non le mien. Je ne demande point un retour dont jamais je ne me suis flatté. Je n'attends pas mÃÂȘme cette pitié, que l'intérÃÂȘt que vous m'aviez témoigné quelquefois pouvait me faire espérer. Mais je crois, je l'avoue, pouvoir réclamer votre justice. Vous m'apprenez, Madame, qu'on a cherché à me nuire dans votre esprit. Si vous en eussiez cru les conseils de vos amis, vous ne m'eussiez pas mÃÂȘme laissé approcher de vous ce sont vos termes. Quels sont donc ces amis officieux? Sans doute ces gens si sévÚres, et d'une vertu si rigide, consentent à ÃÂȘtre nommés; sans doute ils ne voudraient pas se couvrir d'une obscurité qui les confondrait avec de vils calomniateurs; et je n'ignorerai ni leur nom, ni leurs reproches. Songez, Madame, que j'ai le droit de savoir l'un et l'autre, puisque vous me jugez d'aprÚs eux. On ne condamne point un coupable sans lui dire son crime, sans lui nommer ses accusateurs. Je ne demande point d'autre grùce, et je m'engage d'avance à me justifier, à les forcer de se dédire. Si j'ai trop méprisé, peut-ÃÂȘtre, les vaines clameurs d'un Public dont je fais peu de cas, il n'en est pas ainsi de votre estime; et quand je consacre ma vie à la mériter, je ne me la laisserai pas ravir impunément. Elle me devient d'autant plus précieuse, que je lui devrai sans doute cette demande que vous craignez de me faire, et qui me donnerait, dites-vous, des droits à votre reconnaissance . Ah! loin d'en exiger, je croirai vous en devoir, si vous me procurez l'occasion de vous ÃÂȘtre agréable. Commencez donc à me rendre plus de justice, en ne me laissant plus ignorer ce que vous désirez de moi. Si je pouvais le deviner, je vous éviterais la peine de le dire. Au plaisir de vous voir, ajoutez le bonheur de vous servir, et je me louerai de votre indulgence. Qui peut donc vous arrÃÂȘter? ce n'est pas, je l'espÚre, la crainte d'un refus? je sens que je ne pourrais vous la pardonner. Ce n'en est pas un que de ne pas vous rendre votre Lettre. Je désire plus que vous, qu'elle ne me soit plus nécessaire mais accoutumé à vous croire une ùme si douce, ce n'est que dans cette Lettre que je puis vous trouver telle que vous voulez paraÃtre. Quand je forme le vÅ“u de vous rendre sensible, j'y vois que plutÎt que d'y consentir, vous fuiriez à cent lieues de moi; quand tout en vous augmente et justifie mon amour, c'est encore elle qui me répÚte que mon amour vous outrage; et lorsqu'en vous voyant, cet amour me semble le bien suprÃÂȘme, j'ai besoin de vous lire, pour sentir que ce n'est qu'un affreux tourment. Vous concevez à présent que mon plus grand bonheur serait de pouvoir vous rendre cette Lettre fatale me la demander encore serait m'autoriser à ne plus croire ce qu'elle contient; vous ne doutez pas, j'espÚre, de mon empressement à vous la remettre. De ..., ce 21 août 17** LETTRE XXXVI LE VICOMTE DE VALMONT A LA PRESIDENTE DE TOURVEL TIMBREE DE DIJON. Votre sévérité augmente chaque jour, Madame, et si je l'ose dire, vous semblez craindre moins d'ÃÂȘtre injuste que d'ÃÂȘtre indulgente. AprÚs m'avoir condamné sans m'entendre, vous avez dû sentir, en effet, qu'il vous serait plus facile de ne pas lire mes raisons que d'y répondre. Vous refusez mes Lettres avec obstination; vous me les renvoyez avec mépris. Vous me forcez enfin de recourir à la ruse, dans le moment mÃÂȘme oÃÂč mon unique but est de vous convaincre de ma bonne foi. La nécessité oÃÂč vous m'avez mis de me défendre suffira sans doute pour en excuser les moyens. Convaincu d'ailleurs par la sincérité de mes sentiments que pour les justifier à vos yeux il me suffit de vous les faire bien connaÃtre, j'ai cru pouvoir me permettre ce léger détour. J'ose croire aussi que vous me le pardonnerez; et que vous serez peu surprise que l'Amour soit plus ingénieux à se produire, que l'indifférence à l'écarter. Permettez donc, Madame, que mon cÅ“ur se dévoile entiÚrement à vous. Il vous appartient, il est juste que vous le connaissiez. J'étais bien éloigné, en arrivant chez Madame de Rosemonde, de prévoir le sort qui m'y attendait. J'ignorais que vous y fussiez; et j'ajouterai, avec la sincérité qui me caractérise, que quand je l'aurais su ma sécurité n'en eût point été troublée non que je ne rendisse à votre beauté la justice qu'on ne peut lui refuser; mais accoutumé à n'éprouver que des désirs, à ne me livrer qu'à ceux que l'espoir encourageait, je ne connaissais pas les tourments de l'Amour. Vous fûtes témoin des instances que me fit Madame de Rosemonde pour m'arrÃÂȘter quelque temps. J'avais déjà passé une journée avec vous cependant je ne me rendis, ou au moins je ne crus me rendre qu'au plaisir, si naturel et si légitime, de témoigner des égards à une parente respectable. Le genre de vie qu'on menait ici différait beaucoup sans doute de celui auquel j'étais accoutumé; il ne m'en coûta rien de m'y conformer; et, sans chercher à pénétrer la cause du changement qui s'opérait en moi, je l'attribuais uniquement encore à cette facilité de caractÚre, dont je crois vous avoir déjà parlé. Malheureusement et pourquoi faut-il que ce soit un malheur?, en vous connaissant mieux je reconnus bientÎt que cette figure enchanteresse, qui seule m'avait frappé, était le moindre de vos avantages; votre ùme céleste étonna, séduisit la mienne. J'admirais la beauté, j'adorai la vertu. Sans prétendre à vous obtenir, je m'occupai de vous mériter. En réclamant votre indulgence pour le passé, j'ambitionnai votre suffrage pour l'avenir. Je le cherchais dans vos discours, je l'épiais dans vos regards; dans ces regards d'oÃÂč partait un poison d'autant plus dangereux, qu'il était répandu sans dessein et reçu sans méfiance. Alors je connus l'Amour. Mais que j'étais loin de m'en plaindre! résolu de l'ensevelir dans un éternel silence, je me livrais sans crainte comme sans réserve à ce sentiment délicieux. Chaque jour augmentait son empire. BientÎt le plaisir de vous voir se changea en besoin. Vous absentiez-vous un moment? mon cÅ“ur se serrait de tristesse; au bruit qui m'annonçait votre retour, il palpitait de joie. Je n'existais plus que par vous, et pour vous. Cependant, c'est vous-mÃÂȘme que j'adjure jamais dans la gaieté des folùtres jeux, ou dans l'intérÃÂȘt d'une conversation sérieuse, m'échappa-t-il un mot qui pût trahir le secret de mon cÅ“ur? Enfin un jour arriva oÃÂč devait commencer mon infortune; et par une inconcevable fatalité, une action honnÃÂȘte en devint le signal. Oui, Madame, c'est au milieu des malheureux que j'avais secourus, que, vous livrant à cette sensibilité précieuse qui embellit la beauté mÃÂȘme et ajoute du prix à la vertu, vous achevùtes d'égarer un cÅ“ur que déjà trop d'amour enivrait. Vous vous rappelez, peut-ÃÂȘtre, quelle préoccupation s'empara de moi au retour! Hélas! je cherchais à combattre un penchant que je sentais devenir plus fort que moi. C'est aprÚs avoir épuisé mes forces dans ce combat inégal, qu'un hasard, que je n'avais pu prévoir, me fit trouver seul avec vous. Là , je succombai, je l'avoue. Mon cÅ“ur trop plein ne put retenir ses discours ni ses larmes. Mais est-ce donc un crime? et si c'en est un, n'est-il pas assez puni par les tourments affreux auxquels je suis livré? Dévoré par un amour sans espoir, j'implore votre pitié et ne trouve que votre haine sans autre bonheur que celui de vous voir, mes yeux vous cherchent malgré moi, et je tremble de rencontrer vos regards. Dans l'état cruel oÃÂč vous m'avez réduit, je passe les jours à déguiser mes peines et les nuits à m'y livrer; tandis que vous, tranquille et paisible, vous ne connaissez ces tourments que pour les causer et vous en applaudir. Cependant, c'est vous qui vous plaignez, et c'est moi qui m'excuse. Voilà pourtant, Madame, voilà le récit fidÚle de ce que vous nommez mes torts, et que peut-ÃÂȘtre il serait plus juste d'appeler mes malheurs. Un amour pur et sincÚre, un respect qui ne s'est jamais démenti, une soumission parfaite, tels sont les sentiments que vous m'avez inspirés. Je n'eusse pas craint d'en présenter l'hommage à la Divinité mÃÂȘme. Ô vous, qui ÃÂȘtes son plus bel ouvrage, imitez-la dans son indulgence! Songez à mes peines cruelles; songez surtout, que, placé par vous entre le désespoir et la félicité suprÃÂȘme, le premier mot que vous prononcerez décidera pour jamais de mon sort. De ..., ce 23 août 17** LETTRE XXXVII LA PRESIDENTE DE TOURVEL A MADAME DE VOLANGES Je me soumets, Madame, aux conseils que votre amitié me donne. Accoutumée à déférer en tout à vos avis, je le suis à croire qu'ils sont toujours fondés en raison. J'avouerai mÃÂȘme que M. de Valmont doit ÃÂȘtre, en effet, infiniment dangereux, s'il peut à la fois feindre d'ÃÂȘtre ce qu'il paraÃt ici, et rester tel que vous le dépeignez. Quoi qu'il en soit, puisque vous l'exigez, je l'éloignerai de moi; au moins j'y ferai mon possible car souvent les choses, qui dans le fond devraient ÃÂȘtre les plus simples, deviennent embarrassantes par la forme. Il me paraÃt toujours impraticable de faire cette demande à sa tante; elle deviendrait également désobligeante, et pour elle, et pour lui. Je ne prendrais pas non plus, sans quelque répugnance, le parti de m'éloigner moi-mÃÂȘme car outre les raisons que je vous ai déjà mandées relatives à M. de Tourvel, si mon départ contrariait M. de Valmont, comme il est possible, n'aurait-il pas la facilité de me suivre à Paris? et son retour, dont je serais, dont au moins je paraÃtrais ÃÂȘtre l'objet, ne semblerait-il pas plus étrange qu'une rencontre à la campagne, chez une personne qu'on sait ÃÂȘtre sa parente et mon amie? Il ne me reste donc d'autre ressource que d'obtenir de lui-mÃÂȘme qu'il veuille bien s'éloigner. Je sens que cette proposition est difficile à faire; cependant, comme il me paraÃt avoir à cÅ“ur de me prouver qu'il a en effet plus d'honnÃÂȘteté qu'on ne lui en suppose, je ne désespÚre pas de réussir. Je ne serai pas mÃÂȘme fùchée de le tenter; et d'avoir une occasion de juger si, comme il le dit souvent, les femmes vraiment honnÃÂȘtes n'ont jamais eu, n'auront jamais à se plaindre de ses procédés. S'il part comme je le désire, ce sera en effet par égard pour moi car je ne peux pas douter qu'il n'ait le projet de passer ici une grande partie de l'automne. S'il refuse ma demande et s'obstine à rester, je serai toujours à temps de partir moi-mÃÂȘme, et je vous le promets. Voilà , je crois, Madame, tout ce que votre amitié exigeait de moi je m'empresse d'y satisfaire, et de vous prouver que malgré la chaleur que j'ai pu mettre à défendre M. de Valmont, je n'en suis pas moins disposée, non seulement à écouter, mais mÃÂȘme à suivre les conseils de mes amis. J'ai l'honneur d'ÃÂȘtre, etc. De ..., ce 25 août 17** LETTRE XXXVIII LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT Votre énorme paquet m'arrive à l'instant, mon cher Vicomte. Si la date en est exacte, j'aurais dû le recevoir vingt-quatre heures plus tÎt; quoi qu'il en soit, si je prenais le temps de le lire, je n'aurais plus celui d'y répondre. Je préfÚre donc de vous en accuser seulement la réception, et nous causerons d'autre chose. Ce n'est pas que j'aie rien à vous dire pour mon compte; l'automne ne laisse à Paris presque point d'hommes qui aient figure humaine aussi je suis, depuis un mois, d'une sagesse à périr; et tout autre que mon Chevalier serait fatigué des preuves de ma constance. Ne pouvant m'occuper, je me distrais avec la petite Volanges; et c'est d'elle que je veux vous parler. Savez-vous que vous avez perdu plus que vous ne croyez à ne pas vous charger de cet enfant? elle est vraiment délicieuse! cela n'a ni caractÚre ni principes; jugez combien sa société sera douce et facile. Je ne crois pas qu'elle brille jamais par le sentiment; mais tout annonce en elle les sensations les plus vives. Sans esprit et sans finesse, elle a pourtant une certaine fausseté naturelle, si l'on peut parler ainsi, qui quelquefois m'étonne moi-mÃÂȘme, et qui réussira d'autant mieux, que sa figure offre l'image de la candeur et de l'ingénuité. Elle est naturellement trÚs caressante, et je m'en amuse quelquefois sa petite tÃÂȘte se monte avec une facilité incroyable; et elle est alors d'autant plus plaisante, qu'elle ne sait rien, absolument rien, de ce qu'elle désire tant de savoir. Il lui en prend des impatiences tout à fait drÎles; elle rit, elle se dépite, elle pleure, et puis elle me prie de l'instruire, avec une bonne foi réellement séduisante. En vérité, je suis presque jalouse de celui à qui ce plaisir est réservé. Je ne sais si je vous ai mandé que depuis quatre ou cinq jours j'ai l'honneur d'ÃÂȘtre sa confidente. Vous devinez bien que d'abord j'ai fait la sévÚre mais aussitÎt que je me suis aperçue qu'elle croyait m'avoir convaincue par ses mauvaises raisons, j'ai eu l'air de les prendre pour bonnes; et elle est intimement persuadée qu'elle doit ce succÚs à son éloquence; il fallait cette précaution pour ne pas me compromettre. Je lui ai permis d'écrire et de dire j'aime ; et le jour mÃÂȘme, sans qu'elle s'en doutùt, je lui ai ménagé un tÃÂȘte-à - tÃÂȘte avec son Danceny. Mais figurez-vous qu'il est si sot encore, qu'il n'en a seulement pas obtenu un baiser. Ce garçon-là fait pourtant de fort jolis vers! Mon Dieu! que ces gens d'esprit sont bÃÂȘtes! celui-ci l'est au point qu'il m'en embarrasse; car enfin, pour lui, je ne peux pas le conduire! C'est à présent que vous me seriez bien utile. Vous ÃÂȘtes assez lié avec Danceny pour avoir sa confidence, et s'il vous la donnait une fois, nous irions grand train. DépÃÂȘchez donc votre Présidente, car enfin je ne veux pas que Gercourt s'en sauve au reste, j'ai parlé de lui hier à la petite personne, et le lui ai si bien peint, que quand elle serait sa femme depuis dix ans, elle ne le haïrait pas davantage. Je l'ai pourtant beaucoup prÃÂȘchée sur la fidélité conjugale; rien n'égale ma sévérité sur ce point. Par là , d'une part, je rétablis auprÚs d'elle ma réputation de vertu, que trop de condescendance pourrait détruire; de l'autre, j'augmente en elle la haine dont je veux gratifier son mari. Et enfin, j'espÚre qu'en lui faisant accroire qu'il ne lui est permis de se livrer à l'Amour que pendant le peu de temps qu'elle a à rester fille, elle se décidera plus vite à n'en rien perdre. Adieu, Vicomte; je vais me mettre à ma toilette oÃÂč je lirai votre volume. De ..., ce 27 août 17** LETTRE XXXIX CECILE VOLANGES A SOPHIE CARNAY Je suis triste et inquiÚte, ma chÚre Sophie. J'ai pleuré presque toute la nuit. Ce n'est pas que pour le moment je ne sois bien heureuse; mais je prévois que cela ne durera pas. J'ai été hier à l'Opéra avec Madame de Merteuil; nous y avons beaucoup parlé de mon mariage, et je n'en ai rien appris de bon. C'est M. le Comte de Gercourt que je dois épouser, et ce doit ÃÂȘtre au mois d'Octobre. Il est riche, il est homme de qualité, il est Colonel du régiment de... . Jusque-là tout va fort bien. Mais d'abord il est vieux figure-toi qu'il a au moins trente-six ans! et puis, Madame de Merteuil dit qu'il est triste et sévÚre, et qu'elle craint que je ne sois pas heureuse avec lui. J'ai mÃÂȘme bien vu qu'elle en était sûre, et qu'elle ne voulait pas me le dire, pour ne pas m'affliger. Elle ne m'a presque entretenue toute la soirée que des devoirs des femmes envers leurs maris. Elle convient que M. de Gercourt n'est pas aimable du tout, et elle dit pourtant qu'il faudra que je l'aime. Ne m'a-t-elle pas dit aussi qu'une fois mariée, je ne devais plus aimer le Chevalier Danceny? comme si c'était possible! Oh! je t'assure bien que je l'aimerai toujours. Vois-tu, j'aimerais mieux, plutÎt, ne pas me marier. Que ce M. de Gercourt s'arrange, je ne l'ai pas été chercher. Il est en Corse à présent, bien loin d'ici; je voudrais qu'il y restùt dix ans. Si je n'avais pas peur de rentrer au Couvent, je dirais bien à Maman que je ne veux pas de ce mari-là ; mais ce serait encore pis. Je suis bien embarrassée. Je sens que je n'ai jamais tant aimé M. Danceny qu'à présent; et quand je songe qu'il ne me reste plus qu'un mois à ÃÂȘtre comme je suis, les larmes me viennent aux yeux tout de suite; je n'ai de consolation que dans l'amitié de Madame de Merteuil; elle a si bon cÅ“ur! elle partage tous mes chagrins comme moi-mÃÂȘme; et puis elle est si aimable que, quand je suis avec elle, je n'y songe presque plus. D'ailleurs elle m'est bien utile; car le peu que je sais, c'est elle qui me l'a appris et elle est si bonne, que je lui dis tout ce que je pense, sans ÃÂȘtre honteuse du tout. Quand elle trouve que ce n'est pas bien, elle me gronde quelquefois; mais c'est tout doucement, et puis je l'embrasse de tout mon cÅ“ur, jusqu'à ce qu'elle ne soit plus fùchée. Au moins celle-là , je peux bien l'aimer tant que je voudrai, sans qu'il y ait du mal, et ça me fait bien du plaisir. Nous sommes pourtant convenues que je n'aurais pas l'air de l'aimer tant devant le monde, et surtout devant Maman, afin qu'elle ne se méfie de rien au sujet du Chevalier Danceny. Je t'assure que si je pouvais toujours vivre comme je fais à présent, je crois que je serais bien heureuse. Il n'y a que ce vilain M. de Gercourt!... Mais je ne veux pas t'en parler davantage car je redeviendrais triste. Au lieu de cela, je vas écrire au Chevalier Danceny; je ne lui parlerai que de mon amour et non de mes chagrins, car je ne veux pas l'affliger. Adieu, ma bonne amie. Tu vois bien que tu aurais tort de te plaindre, et que j'ai beau ÃÂȘtre occupée , comme tu dis, qu'il ne m'en reste pas moins le temps de t'aimer et de t'écrire [On continue à supprimer les Lettres de Cécile Volanges et du Chevalier Danceny, qui sont peu intéressantes et n'annoncent aucun événement] De ..., ce 27 août 17** LETTRE XL LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL C'est peu pour mon inhumaine de ne pas répondre à mes Lettres, de refuser de les recevoir; elle veut me priver de sa vue, elle exige que je m'éloigne. Ce qui vous surprendra davantage, c'est que je me soumette à tant de rigueur. Vous allez me blùmer. Cependant je n'ai pas cru devoir perdre l'occasion de me laisser donner un ordre persuadé, d'une part, que qui commande s'engage; et de l'autre, que l'autorité illusoire que nous avons l'air de laisser prendre aux femmes est un des piÚges qu'elles évitent le plus difficilement. De plus, l'adresse que celle-ci a su mettre à éviter de se trouver seule avec moi me plaçait dans une situation dangereuse, dont j'ai cru devoir sortir à quelque prix que ce fût car étant sans cesse avec elle, sans pouvoir l'occuper de mon amour, il y avait lieu de craindre qu'elle ne s'accoutumùt enfin à me voir sans trouble; disposition dont vous savez assez combien il est difficile de revenir. Au reste, vous devinez que je ne me suis pas soumis sans condition. J'ai mÃÂȘme eu le soin d'en mettre une impossible à accorder; tant pour rester toujours maÃtre de tenir ma parole, ou d'y manquer, que pour engager une discussion, soit de bouche, ou par écrit, dans un moment oÃÂč ma Belle est plus contente de moi, oÃÂč elle a besoin que je le sois d'elle sans compter que je serais bien maladroit, si je ne trouvais moyen d'obtenir quelque dédommagement de mon désistement à cette prétention, tout insoutenable qu'elle est. AprÚs vous avoir exposé mes raisons dans ce long préambule, je commence l'historique de ces deux derniers jours. J'y joindrai comme piÚces justificatives la Lettre de ma Belle et ma Réponse. Vous conviendrez qu'il y a peu d'Historiens aussi exacts que moi. Vous vous rappelez l'effet que fit avant-hier matin ma Lettre de Dijon ; le reste de la journée fut trÚs orageux. La jolie Prude arriva seulement au moment du dÃner, et annonça une forte migraine; prétexte dont elle voulut couvrir un des plus violents accÚs d'humeur que femme puisse avoir. Sa figure en était vraiment altérée; l'expression de douceur que vous lui connaissez s'était changée en un air mutin qui en faisait une beauté nouvelle. Je me promets bien de faire usage de cette découverte par la suite; et de remplacer quelquefois la MaÃtresse tendre, par la MaÃtresse mutine. Je prévis que l'aprÚs-dÃner serait triste; et pour m'en sauver l'ennui, je prétextai des Lettres à écrire, et me retirai chez moi. Je revins au salon sur les six heures; Madame de Rosemonde proposa la promenade, qui fut acceptée. Mais au moment de monter en voiture, la prétendue malade, par une malice infernale, prétexta à son tour, et peut-ÃÂȘtre pour se venger de mon absence, un redoublement de douleurs, et me fit subir sans pitié le tÃÂȘte-à -tÃÂȘte de ma vieille tante. Je ne sais si les imprécations que je fis contre ce démon femelle furent exaucées, mais nous la trouvùmes couchée au retour. Le lendemain au déjeuner, ce n'était plus la mÃÂȘme femme. La douceur naturelle était revenue, et j'eus lieu de me croire pardonné. Le déjeuner était à peine fini, que la douce personne se leva d'un air dolent, et entra dans le parc; je la suivis, comme vous pouvez croire. " D'oÃÂč peut naÃtre ce désir de promenade? " lui dis-je en l'abordant. " J'ai beaucoup écrit ce matin " , me répondit-elle, " et ma tÃÂȘte est un peu fatiguée. " - " Je ne suis pas assez heureux, repris-je, pour avoir à me reprocher cette fatigue-là ? " - " Je vous ai bien écrit " , répondit-elle encore, " mais j'hésite à vous donner ma Lettre. Elle contient une demande, et vous ne m'avez pas accoutumée à en espérer le succÚs. " - " Ah! je jure que s'il m'est possible... " - " Rien n'est plus facile " , interrompit-elle; " et quoique vous dussiez peut-ÃÂȘtre l'accorder comme justice, je consens à l'obtenir comme grùce. " En disant ces mots, elle me présenta sa Lettre; en la prenant, je pris aussi sa main, qu'elle retira, mais sans colÚre et avec plus d'embarras que de vivacité. " La chaleur est plus vive que je ne croyais " , dit-elle; " il faut rentrer. " Et elle reprit la route du Chùteau. Je fis de vains efforts pour lui persuader de continuer sa promenade, et j'eus besoin de me rappeler que nous pouvions ÃÂȘtre vus, pour n'y employer que de l'éloquence. Elle rentra sans proférer une parole, et je vis clairement que cette feinte promenade n'avait eu d'autre but que de me remettre sa Lettre. Elle monta chez elle en rentrant, et je me retirai chez moi pour lire l'EpÃtre, que vous ferez bien de lire aussi, ainsi que ma Réponse, avant d'aller plus loin... LETTRE XLI LA PRESIDENTE DE TOURVEL AU VICOMTE DE VALMONT Il semble, Monsieur, par votre conduite avec moi, que vous ne cherchiez qu'à augmenter, chaque jour, les sujets de plainte que j'avais contre vous. Votre obstination à vouloir m'entretenir, sans cesse, d'un sentiment que je ne veux ni ne dois écouter, l'abus que vous n'avez pas craint de faire de ma bonne foi, ou de ma timidité, pour me remettre vos Lettres; le moyen surtout, j'ose dire peu délicat, dont vous vous ÃÂȘtes servi pour me faire parvenir la derniÚre, sans craindre au moins l'effet d'une surprise qui pouvait me compromettre; tout devrait donner lieu de ma part à des reproches aussi vifs que justement mérités. Cependant, au lieu de revenir sur ces griefs, je m'en tiens à vous faire une demande aussi simple que juste; et si je l'obtiens de vous, je consens que tout soit oublié. Vous-mÃÂȘme m'avez dit, Monsieur, que je ne devais pas craindre un refus; et quoique, par une inconséquence qui vous est particuliÚre, cette phrase mÃÂȘme soit suivie du seul refus que vous pouviez me faire [Voyez Lettre V], je veux croire que vous n'en tiendrez pas moins aujourd'hui cette parole formellement donnée il y a si peu de jours. Je désire donc que vous ayez la complaisance de vous éloigner de moi; de quitter ce Chùteau, oÃÂč un plus long séjour de votre part ne pourrait que m'exposer davantage au jugement d'un public toujours prompt à mal penser d'autrui, et que vous n'avez que trop accoutumé à fixer les yeux sur les femmes qui vous admettent dans leur société. Avertie déjà , depuis longtemps, de ce danger par mes amis, j'ai négligé, j'ai mÃÂȘme combattu leur avis tant que votre conduite à mon égard avait pu me faire croire que vous aviez bien voulu ne pas me confondre avec cette foule de femmes qui toutes ont eu à se plaindre de vous. Aujourd'hui que vous me traitez comme elles, que je ne peux plus l'ignorer, je dois au public, à mes amis, à moi-mÃÂȘme, de suivre ce parti nécessaire. Je pourrais ajouter ici que vous ne gagneriez rien à refuser ma demande, décidée que je suis à partir moi- mÃÂȘme, si vous vous obstiniez à rester mais je ne cherche point à diminuer l'obligation que je vous aurai de cette complaisance, et je veux bien que vous sachiez qu'en nécessitant mon départ d'ici vous contrarieriez mes arrangements. Prouvez-moi donc, Monsieur, que, comme vous me l'avez dit tant de fois, les femmes honnÃÂȘtes n'auront jamais à se plaindre de vous; prouvez-moi, au moins, que quand vous avez des torts avec elles, vous savez les réparer. Si je croyais avoir besoin de justifier ma demande vis-à -vis de vous, il me suffirait de vous dire que vous avez passé votre vie à la rendre nécessaire, et que pourtant il n'a pas tenu à moi de ne la jamais former. Mais ne rappelons pas des événements que je veux oublier, et qui m'obligeraient à vous juger avec rigueur, dans un moment oÃÂč je vous offre l'occasion de mériter toute ma reconnaissance. Adieu, Monsieur; votre conduite va m'apprendre avec quels sentiments je dois ÃÂȘtre, pour la vie, votre trÚs humble, etc. De ..., ce 26 août 17** LETTRE XLII LE VICOMTE DE VALMONT A LA PRESIDENTE DE TOURVEL Quelque dures que soient, Madame, les conditions que vous m'imposez, je ne refuse pas de les remplir. Je sens qu'il me serait impossible de contrarier aucun de vos désirs. Une fois d'accord sur ce point, j'ose me flatter qu'à mon tour, vous me permettrez de vous faire quelques demandes, bien plus faciles à accorder que les vÎtres, et que pourtant je ne veux obtenir que de ma soumission parfaite à votre volonté. L'une, que j'espÚre qui sera sollicitée par votre justice, est de vouloir bien me nommer mes accusateurs auprÚs de vous; ils me font, ce me semble, assez de mal pour que j'aie le droit de les connaÃtre; l'autre, que j'attends de votre indulgence, est de vouloir bien me permettre de vous renouveler quelquefois l'hommage d'un amour qui va plus que jamais mériter votre pitié. Songez, Madame, que je m'empresse de vous obéir, lors mÃÂȘme que je ne peux le faire qu'aux dépens de mon bonheur; je dirai plus, malgré la persuasion oÃÂč je suis que vous ne désirez mon départ que pour vous sauver le spectacle, toujours pénible, de l'objet de votre injustice. Convenez-en, Madame, vous craignez moins un public trop accoutumé à vous respecter pour oser porter de vous un jugement désavantageux, que vous n'ÃÂȘtes gÃÂȘnée par la présence d'un homme qu'il vous est plus facile de punir que de blùmer. Vous m'éloignez de vous comme on détourne ses regards d'un malheureux qu'on ne veut pas secourir. Mais tandis que l'absence va redoubler mes tourments, à quelle autre qu'à vous puis-je adresser mes plaintes? de quelle autre puis-je attendre des consolations qui vont me si devenir nécessaires? Me les refuserez-vous, quand vous seule causez mes peines? Sans doute vous ne serez pas étonnée non plus, qu'avant de partir j'aie à cÅ“ur de justifier auprÚs de vous les sentiments que vous m'avez inspirés; comme aussi que je ne trouve le courage de m'éloigner qu'en en recevant l'ordre de votre bouche. Cette double raison me fait vous demander un moment d'entretien. Inutilement voudrions-nous y suppléer par Lettres on écrit des volumes et l'on explique mal ce qu'un quart d'heure de conversation suffit pour faire bien entendre. Vous trouverez facilement le temps de me l'accorder car quelque empressé que je sois de vous obéir, vous savez que Madame de Rosemonde est instruite de mon projet de passer chez elle une partie de l'automne, et il faudra au moins que j'attende une Lettre pour pouvoir prétexter une affaire qui me force à partir. Adieu, Madame; jamais ce mot ne m'a tant coûté à écrire que dans ce moment oÃÂč il me ramÚne à l'idée de notre séparation. Si vous pouviez imaginer ce qu'elle me fait souffrir, j'ose croire que vous me sauriez quelque gré de ma docilité. Recevez, au moins, avec plus d'indulgence l'assurance et l'hommage de l'Amour le plus tendre et le plus respectueux. De ..., ce 26 août 17** SUITE DE LA LETTRE XL DU VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL A présent, raisonnons, ma belle amie. Vous sentez comme moi que la scrupuleuse, l'honnÃÂȘte Madame de Tourvel ne peut pas m'accorder la premiÚre de mes demandes, et trahir la confiance de ses amies, en me nommant mes accusateurs; ainsi en promettant tout à cette condition, je ne m'engage à rien. Mais vous sentez aussi que ce refus qu'elle me fera deviendra un titre pour obtenir tout le reste; et qu'alors je gagne, en m'éloignant, d'entrer avec elle, et de son aveu, en correspondance réglée car je compte pour peu le rendez-vous que je lui demande, et qui n'a presque d'autre objet que de l'accoutumer d'avance à n'en pas refuser d'autres quand ils me seront vraiment nécessaires. La seule chose qui me reste à faire avant mon départ est de savoir quels sont les gens qui s'occupent à me nuire auprÚs d'elle. Je présume que c'est son pédant de mari; je le voudrais outre qu'une défense conjugale est un aiguillon au désir, je serais sûr que du moment que ma belle aura consenti à m'écrire, je n'aurais plus rien à craindre de son mari, puisqu'elle se trouverait déjà dans la nécessité de le tromper. Mais si elle a une amie assez intime pour avoir sa confidence, et que cette amie-là soit contre moi, il me paraÃt nécessaire de les brouiller, et je compte y réussir mais avant tout il faut ÃÂȘtre instruit. J'ai bien cru que j'allais l'ÃÂȘtre hier; mais cette femme ne fait rien comme une autre. Nous étions chez elle, au moment oÃÂč l'on vint avertir que le dÃner était servi. Sa toilette se finissait seulement, et tout en se pressant, et en faisant des excuses, je m'aperçus qu'elle laissait la clef à son secrétaire; et je connais son usage de ne pas Îter celle de son appartement. J'y rÃÂȘvais pendant le dÃner, lorsque j'entendis descendre sa femme de chambre je pris mon parti aussitÎt je feignis un saignement de nez, et sortis. Je volai au secrétaire; mais je trouvai tous les tiroirs ouverts, et pas un papier écrit. Cependant on n'a pas d'occasion de les brûler dans cette saison. Que fait elle des lettres qu'elle reçoit? et elle en reçoit souvent. Je n'ai rien négligé; tout était ouvert, et j'ai cherché partout mais je n'y ai rien gagné, que de me convaincre que ce dépÎt précieux reste dans ses poches. Comment l'en tirer? Depuis hier je m'occupe inutilement d'en trouver les moyens cependant je ne peux en vaincre le désir. Je regrette de n'avoir pas le talent des filous. Ne devrait-il pas, en effet, entrer dans l'éducation d'un homme qui se mÃÂȘle d'intrigues? ne serait-il pas plaisant de dérober la lettre ou le portrait d'un rival, ou de tirer des poches d'une prude de quoi la démasquer? Mais nos parents ne songent à rien; et, moi j'ai beau songer à tout, je ne fais que m'apercevoir que je suis gauche, sans pouvoir y remédier. Quoi qu'il en soit, je revins me mettre à table, fort mécontent. Ma Belle calma pourtant un peu mon humeur, par l'air d'intérÃÂȘt que lui donna ma feinte indisposition; et je ne manquai pas de l'assurer que j'avais, depuis quelque temps, de violentes agitations qui altéraient ma santé. Persuadée comme elle est que c'est elle qui les cause, ne devait-elle pas en conscience travailler à les calmer? Mais, quoique dévote, elle est peu charitable; elle refuse toute aumÎne amoureuse, et ce refus suffit bien, ce me semble, pour en autoriser le vol. Mais adieu; car tout en causant avec vous, je ne songe qu'à ces maudites Lettres. De ..., ce 27 août 17** LETTRE XLIII LA PRESIDENTE DE TOURVEL AU VICOMTE DE VALMONT Pourquoi chercher, Monsieur, à diminuer ma reconnaissance? Pourquoi ne vouloir m'obéir qu'à demi, et marchander en quelque sorte un procédé honnÃÂȘte? Il ne vous suffit donc pas que j'en sente le prix? Non seulement vous demandez beaucoup; mais vous demandez des choses impossibles. Si en effet mes amis m'ont parlé de vous, ils ne l'ont pu faire que par intérÃÂȘt pour moi quand mÃÂȘme ils se seraient trompés, leur intention n'en était pas moins bonne; et vous me proposez de reconnaÃtre cette marque d'attachement de leur part, en vous livrant leur secret! J'ai déjà eu tort de vous en parler, et vous me le faites assez sentir en ce moment. Ce qui n'eût été que de la candeur avec tout autre, devient une étourderie avec vous, et me mÚnerait à une noirceur, si je cédais à votre demande. J'en appelle à vous-mÃÂȘme, à votre honnÃÂȘteté; m'avez-vous crue capable de ce procédé? avez-vous dû me le proposer? non sans doute; et je suis sûre qu'en y réfléchissant mieux vous ne reviendrez plus sur cette demande. Celle que vous me faites de m'écrire n'est guÚre plus facile à accorder; et si vous voulez ÃÂȘtre juste, ce n'est pas à moi que vous vous en prendrez. Je ne veux point vous offenser; mais avec la réputation que vous vous ÃÂȘtes acquise, et que, de votre aveu mÃÂȘme, vous méritez au moins en partie, quelle femme pourrait avouer ÃÂȘtre en correspondance avec vous? et quelle femme honnÃÂȘte peut se déterminer à faire ce qu'elle sent qu'elle serait obligée de cacher? Encore si j'étais assurée que vos Lettres fussent telles que je n'eusse jamais à m'en plaindre, que je pusse toujours me justifier à mes yeux de les avoir reçues! peut-ÃÂȘtre alors le désir de vous prouver que c'est la raison et non la haine qui me guide me ferait passer par-dessus ces considérations puissantes, et faire beaucoup plus que je ne devrais, en vous permettant de m'écrire quelquefois. Si en effet vous le désirez autant que vous me le dites, vous vous soumettrez volontiers à la seule condition qui puisse m'y faire consentir; et si vous avez quelque reconnaissance de ce que je fais pour vous en ce moment, vous ne différerez plus de partir. Permettez-moi de vous observer à ce sujet, que vous avez reçu une Lettre ce matin et que vous n'en avez pas profité pour annoncer votre départ à Madame de Rosemonde, comme vous me l'aviez promis. J'espÚre qu'à présent rien ne pourra vous empÃÂȘcher de tenir votre parole. Je compte surtout que vous n'attendrez pas, pour cela, l'entretien que vous me demandez, auquel je ne veux absolument pas me prÃÂȘter; et qu'au lieu de l'ordre que vous prétendez vous ÃÂȘtre nécessaire, vous vous contenterez de la priÚre que je vous renouvelle. Adieu, Monsieur. De ..., ce 27 août 17** LETTRE XLIV LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Partagez ma joie, ma belle amie; je suis aimé; j'ai triomphé de ce cÅ“ur rebelle. C'est en vain qu'il dissimule encore; mon heureuse adresse a surpris son secret. Grùce à mes soins actifs, je sais tout ce qui m'intéresse depuis la nuit, l'heureuse nuit d'hier, je me retrouve dans mon élément; j'ai repris toute mon existence; j'ai dévoilé un double mystÚre d'amour et d'iniquité je jouirai de l'un, je me vengerai de l'autre; je volerai de plaisirs en plaisirs. La seule idée que je m'en fais me transporte au point que j'ai quelque peine à rappeler ma prudence; que j'en aurai peut-ÃÂȘtre à mettre de l'ordre dans le récit que j'ai à vous faire. Essayons cependant. Hier mÃÂȘme, aprÚs vous avoir écrit ma Lettre, j'en reçus une de la céleste dévote. Je vous l'envoie; vous y verrez qu'elle me donne, le moins maladroitement qu'elle peut, la permission de lui écrire mais elle y presse mon départ, et je sentais bien que je ne pouvais le différer trop longtemps sans me nuire. Tourmenté cependant du désir de savoir qui pouvait avoir écrit contre moi, j'étais encore incertain du parti que je prendrais. Je tentai de gagner la Femme de chambre, et je voulus obtenir d'elle de me livrer les poches de sa MaÃtresse, dont elle pouvait s'emparer aisément le soir, et qu'il lui était facile de replacer le matin, sans donner le moindre soupçon. J'offris dix louis pour ce léger service mais je ne trouvai qu'une bégueule, scrupuleuse ou timide, que mon éloquence ni mon argent ne purent vaincre. Je la prÃÂȘchais encore, quand le souper sonna. Il fallut la laisser trop heureux qu'elle voulût bien me promettre le secret, sur lequel mÃÂȘme vous jugez que je ne comptais guÚre. Jamais je n'eus plus d'humeur. Je me sentais compromis; et je me reprochais, toute la soirée, ma démarche imprudente. Retiré chez moi, non sans inquiétude, je parlai à mon Chasseur qui, en sa qualité d'Amant heureux, devait avoir quelque crédit. Je voulais, ou qu'il obtÃnt de cette fille de faire ce que je lui avais demandé, ou au moins qu'il s'assurùt de sa discrétion mais lui, qui d'ordinaire ne doute de rien, parut douter du succÚs de cette négociation, et me fit à ce sujet une réflexion qui m'étonna par sa profondeur. " Monsieur sait sûrement mieux que moi " , me dit-il, " que coucher avec une fille, ce n'est que lui faire faire ce qui lui plaÃt de là à lui faire faire ce que nous voulons, il y a souvent bien loin. " Le bon sens du Maraud quelquefois m'épouvante . [PIRON, Métromanie] " Je réponds d'autant moins de celle-ci " , ajouta-t-il, " que j'ai lieu de croire qu'elle a un Amant, et que je ne la dois qu'au désÅ“uvrement de la campagne. Aussi, sans mon zÚle pour le service de Monsieur, je n'aurais eu cela qu'une fois. " C'est un vrai trésor que ce garçon! " Quant au secret " , ajouta-t-il encore, " à quoi servira-t-il de lui faire promettre, puisqu'elle ne risquera rien à nous tromper? lui en reparler ne ferait que lui mieux apprendre qu'il est important, et par là lui donner plus d'envie d'en faire sa cour à sa MaÃtresse. " Plus ces réflexions étaient justes, plus mon embarras augmentait. Heureusement le drÎle était en train de jaser; et comme j'avais besoin de lui, je le laissais faire. Tout en me racontant son histoire avec cette fille, il m'apprit que comme la chambre qu'elle occupe n'est séparée de celle de sa MaÃtresse que par une simple cloison, qui pouvait laisser entendre un bruit suspect, c'était dans la sienne qu'ils se rassemblaient chaque nuit. AussitÎt je formai mon plan, je le lui communiquai, et nous l'exécutùmes avec succÚs. J'attendis deux heures du matin; et alors je me rendis, comme nous en étions convenus, à la chambre du rendez-vous, portant de la lumiÚre avec moi, et sous prétexte d'avoir sonné plusieurs fois inutilement. Mon confident, qui joue ses rÎles à merveille, donna une petite scÚne de surprise, de désespoir et d'excuse, que je terminai en l'envoyant me faire chauffer de l'eau, dont je feignis avoir besoin; tandis que la scrupuleuse ChambriÚre était d'autant plus honteuse, que le drÎle qui avait voulu renchérir sur mes projets l'avait déterminée à une toilette que la saison comportait, mais qu'elle n'excusait pas. Comme je sentais que plus cette fille serait humiliée, plus j'en disposerais facilement, je ne lui permis de changer ni de situation ni de parure; et aprÚs avoir ordonné à mon Valet de m'attendre chez moi, je m'assis à cÎté d'elle sur le lit qui était fort en désordre, et je commençai ma conversation. J'avais besoin de garder l'empire que la circonstance me donnait sur elle aussi conservai-je un sang-froid qui eût fait honneur à la continence de Scipion; et sans prendre la plus petite liberté avec elle, ce que pourtant sa fraÃcheur et l'occasion semblaient lui donner le droit d'espérer, je lui parlai d'affaires aussi tranquillement que j'aurais pu faire avec un Procureur. Mes conditions furent que je garderais fidÚlement le secret, pourvu que le lendemain, à pareille heure à peu prÚs, elle me livrùt les poches de sa MaÃtresse. " Au reste " , ajoutai-je, " je vous avais offert dix louis hier; je vous les promets encore aujourd'hui. Je ne veux pas abuser de votre situation. " Tout fut accordé, comme vous pouvez croire; alors je me retirai, et permis à l'heureux couple de réparer le temps perdu. J'employai le mien à dormir; et à mon réveil, voulant avoir un prétexte pour ne pas répondre à la Lettre de ma Belle avant d'avoir visité ses papiers, ce que je ne pouvais faire que la nuit suivante, je me décidai à aller à la chasse, oÃÂč je restai presque tout le jour. A mon retour, je fus reçu assez froidement. J'ai lieu de croire qu'on fut un peu piqué du peu d'empressement que je mettais à profiter du temps qui me restait; surtout aprÚs la Lettre plus douce que l'on m'avait écrite. J'en juge ainsi, sur ce que Madame de Rosemonde m'ayant fait quelques reproches sur cette longue absence, ma Belle reprit avec un peu d'aigreur " Ah! ne reprochons pas à M. de Valmont de se livrer au seul plaisir qu'il peut trouver ici. " Je me plaignis de cette injustice, et j'en profitai pour assurer que je me plaisais tant avec ces Dames, que j'y sacrifiais une Lettre trÚs intéressante que j'avais à écrire. J'ajoutai que, ne pouvant trouver le sommeil depuis plusieurs nuits, j'avais voulu essayer si la fatigue me le rendrait; et mes regards expliquaient assez et le sujet de ma Lettre, et la cause de mon insomnie. J'eus soin d'avoir toute la soirée une douceur mélancolique qui me parut réussir assez bien, et sous laquelle je masquai l'impatience oÃÂč j'étais de voir arriver l'heure qui devait me livrer le secret qu'on s'obstinait à me cacher. Enfin nous nous séparùmes, et quelque temps aprÚs, la fidÚle Femme de chambre vint m'apporter le prix convenu de ma discrétion. Une fois maÃtre de ce trésor, je procédai à l'inventaire avec la prudence que vous me connaissez car il était important de remettre tout en place. Je tombai d'abord sur deux Lettres du mari, mélange indigeste de détails de procÚs et de tirades d'amour conjugal, que j'eus la patience de lire en entier, et oÃÂč je ne trouvai pas un mot qui eût rapport à moi. Je les replaçai avec humeur mais elle s'adoucit, en trouvant sous ma main les morceaux de ma fameuse Lettre de Dijon, soigneusement rassemblés. Heureusement il me prit fantaisie de la parcourir. Jugez de ma joie, en y apercevant les traces bien distinctes des larmes de mon adorable Dévote. Je l'avoue, je cédai à un mouvement de jeune homme, et baisai cette Lettre avec un transport dont je ne me croyais plus susceptible. Je continuai l'heureux examen; je retrouvai toutes mes Lettres de suite, et par ordre de dates; et ce qui me surprit plus agréablement encore, fut de retrouver la premiÚre de toutes, celle que je croyais m'avoir été rendue par une ingrate, fidÚlement copiée de sa main; et d'une écriture altérée et tremblante, qui témoignait assez la douce agitation de son cÅ“ur pendant cette occupation. Jusque-là j'étais tout entier à l'Amour; bientÎt il fit place à la fureur. Qui croyez-vous qui veuille me perdre auprÚs de cette femme que j'adore? quelle Furie supposez-vous assez méchante pour tramer une pareille noirceur? Vous la connaissez c'est votre amie, votre parente; c'est Madame de Volanges. Vous n'imaginez pas quel tissu d'horreurs l'infernale MégÚre lui a écrit sur mon compte. C'est elle, elle seule, qui a troublé la sécurité de cette femme angélique; c'est par ses conseils, par ses avis pernicieux, que je me vois forcé de m'éloigner; c'est à elle enfin que l'on me sacrifie. Ah! sans doute il faut séduire sa fille mais ce n'est pas assez, il faut la perdre; et puisque l'ùge de cette maudite femme la met à l'abri de mes coups, il faut la frapper dans l'objet de ses affections. Elle veut donc que je revienne à Paris! elle m'y force! soit, j'y retournerai, mais elle gémira de mon retour. Je suis fùché que Danceny soit le héros de cette aventure, il a un fond d'honnÃÂȘteté qui nous gÃÂȘnera cependant il est amoureux, et je le vois souvent; on pourra peut-ÃÂȘtre en tirer parti. Je m'oublie dans ma colÚre, et je ne songe pas que je vous dois le récit de ce qui s'est passé aujourd'hui. Revenons. Ce matin j'ai revu ma sensible Prude. Jamais je ne l'avais trouvée si belle. Cela devait ÃÂȘtre ainsi le plus beau moment d'une femme, le seul oÃÂč elle puisse produire cette ivresse de l'ùme, dont on parle toujours, et qu'on éprouve si rarement, est celui oÃÂč, assurés de son amour, nous ne le sommes pas de ses faveurs; et c'est précisément le cas oÃÂč je me trouvais. Peut-ÃÂȘtre aussi l'idée que j'allais ÃÂȘtre privé du plaisir de la voir servait-elle à l'embellir. Enfin, à l'arrivée du Courrier, on m'a remis votre Lettre du 27; et pendant que je la lisais, j'hésitais encore pour savoir si je tiendrais ma parole mais j'ai rencontré les yeux de ma Belle, et il m'aurait été impossible de lui rien refuser. J'ai donc annoncé mon départ. Un moment aprÚs, Madame de Rosemonde nous a laissés seuls mais j'étais encore à quatre pas de la farouche personne, que se levant avec l'air de l'effroi " Laissez-moi, laissez-moi, Monsieur " , m'a- t-elle dit; " au nom de Dieu, laissez-moi. " Cette priÚre fervente, qui décelait son émotion, ne pouvait que m'animer davantage. Déjà j'étais auprÚs d'elle, et je tenais ses mains qu'elle avait jointes avec une expression tout à fait touchante; là , je commençais de tendres plaintes, quand un démon ennemi ramena Madame de Rosemonde. La timide Dévote, qui a en effet quelques raisons de craindre, en a profité pour se retirer. Je lui ai pourtant offert la main qu'elle a acceptée; et augurant bien de cette douceur, qu'elle n'avait pas eue depuis longtemps, tout en recommençant mes plaintes j'ai essayé de serrer la sienne. Elle a d'abord voulu la retirer; mais sur une instance plus vive, elle s'est livrée d'assez bonne grùce, quoique sans répondre ni à ce geste, ni à mes discours. Arrivés à la porte de son appartement, j'ai voulu baiser cette main, avant de la quitter. La défense a commencé par ÃÂȘtre franche; mais un songez donc que je pars , prononcé bien tendrement, l'a rendue gauche et insuffisante. A peine le baiser a-t-il été donné, que la main a retrouvé sa force pour échapper, et que la Belle est entrée dans son appartement oÃÂč était sa Femme de chambre. Ici finit mon histoire. Comme je présume que vous serez demain chez la Maréchale de ... , oÃÂč sûrement je n'irai pas vous trouver; comme je me doute bien aussi qu'à notre premiÚre entrevue nous aurons plus d'une affaire à traiter, et notamment celle de la petite Volanges, que je ne perds pas de vue, j'ai pris le parti de me faire précéder par cette Lettre; et toute longue qu'elle est, je ne la fermerai qu'au moment de l'envoyer à la Poste, car au terme oÃÂč j'en suis, tout peut dépendre d'une occasion; et je vous quitte pour aller l'épier. à huit heures du soir. Rien de nouveau; pas le plus petit moment de liberté du soin mÃÂȘme pour l'éviter. Cependant, autant de tristesse que la décence en permettait, pour le moins. Un autre événement qui peut ne pas ÃÂȘtre indifférent, c'est que je suis chargé d'une invitation de Madame de Rosemonde à Madame de Volanges, pour venir passer quelque temps chez elle à la campagne. Adieu, ma belle amie; à demain ou aprÚs-demain au plus tard. De ..., ce 28 août 17** LETTRE XLV LA PRESIDENTE DE TOURVEL A MADAME DE VOLANGES M. de Valmont est parti ce matin, Madame; vous m'avez paru tant désirer ce départ, que j'ai cru devoir vous en instruire. Madame de Rosemonde regrette beaucoup son neveu, dont il faut convenir qu'en effet la société est agréable elle a passé toute la matinée à m'en parler avec la sensibilité que vous lui connaissez; elle ne tarissait pas sur son éloge. J'ai cru lui devoir la complaisance de l'écouter sans la contredire, d'autant qu'il faut avouer qu'elle avait raison sur beaucoup de points. Je sentais de plus que j'avais à me reprocher d'ÃÂȘtre la cause de cette séparation, et je n'espÚre pas pouvoir la dédommager du plaisir dont je l'ai privée. Vous savez que j'ai naturellement peu de gaieté, et le genre de vie que nous allons mener ici n'est pas fait pour l'augmenter. Si je ne m'étais pas conduite d'aprÚs vos avis, je craindrais d'avoir agi un peu légÚrement car j'ai été vraiment peinée de la douleur de ma respectable amie; elle m'a touchée au point que j'aurais volontiers mÃÂȘlé mes larmes aux siennes. Nous vivons à présent dans l'espoir que vous accepterez l'invitation que M. de Valmont doit vous faire, de la part de Madame de Rosemonde, de venir passer quelque temps chez elle. J'espÚre que vous ne doutez pas du plaisir que j'aurai à vous y voir; et en vérité vous nous devez ce dédommagement. Je serai fort aise de trouver cette occasion de faire une connaissance plus prompte avec Mademoiselle de Volanges, et d'ÃÂȘtre à portée de vous convaincre de plus en plus des sentiments respectueux, etc. De ..., ce 29 août 17** LETTRE XLVI LE CHEVALIER DANCENY A CECILE VOLANGES Que vous est-il donc arrivé, mon adorable Cécile? qui a pu causer en vous un changement si prompt et si cruel? que sont devenus vos serments de ne jamais changer? Hier encore, vous les réitériez avec tant de plaisir! qui peut aujourd'hui vous les faire oublier? J'ai beau m'examiner, je ne puis en trouver la cause en moi, et il m'est affreux d'avoir à la chercher en vous. Ah! sans doute vous n'ÃÂȘtes ni légÚre, ni trompeuse; et mÃÂȘme dans ce moment de désespoir, un soupçon outrageant ne flétrira point mon ùme. Cependant, par quelle fatalité n'ÃÂȘtes-vous plus la mÃÂȘme? Non, cruelle, vous ne l'ÃÂȘtes plus! La tendre Cécile, la Cécile que j'adore, et dont j'ai reçu les serments, n'aurait point évité mes regards, n'aurait point contrarié le hasard heureux qui me plaçait auprÚs d'elle; ou si quelque raison que je ne peux concevoir l'avait forcée à me traiter avec tant de rigueur, elle n'eût pas au moins dédaigné de m'en instruire. Ah! vous ne savez pas, vous ne saurez jamais, ma Cécile, ce que vous m'avez fait souffrir aujourd'hui, ce que je souffre encore en ce moment. Croyez-vous donc que je puisse vivre et ne plus ÃÂȘtre aimé de vous? Cependant, quand je vous ai demandé un mot, un seul mot, pour dissiper mes craintes, au lieu de me répondre, vous avez feint de craindre d'ÃÂȘtre entendue; et cet obstacle qui n'existait pas alors vous l'avez fait naÃtre aussitÎt, par la place que vous avez choisie dans le cercle. Quand, forcé de vous quitter, je vous ai demandé l'heure à laquelle je pourrais vous revoir demain, vous avez feint de l'ignorer, et il a fallu que ce fût Madame de Volanges qui m'en instruisÃt. Ainsi ce moment toujours si désiré qui doit me rapprocher de vous, demain ne fera naÃtre en moi que de l'inquiétude; et le plaisir de vous voir, jusqu'alors si cher à mon cÅ“ur, sera remplacé par la crainte de vous ÃÂȘtre importun. Déjà , je le sens, cette crainte m'arrÃÂȘte, et je n'ose vous parler de mon amour. Ce je vous aime , que j'aimais tant à répéter quand je pouvais l'entendre à mon tour, ce mot si doux, qui suffisait à ma félicité, ne m'offre plus, si vous ÃÂȘtes changée, que l'image d'un désespoir éternel. Je ne puis croire pourtant que ce talisman de l'Amour ait perdu toute sa puissance, et j'essaie de m'en servir encore [Ceux qui n'ont pas eu l'occasion de sentir quelquefois le prix d'un mot d'une expression, consacrés par l'Amour, ne trouveront aucun sens dans cette phrase]. Oui, ma Cécile, je vous aime. Répétez donc avec moi cette expression de mon bonheur. Songez que vous m'avez accoutumé à l'entendre, et que m'en priver, c'est me condamner à un tourment qui, de mÃÂȘme que mon amour, ne finira qu'avec ma vie. De ..., ce 29 août 17** LETTRE XLVII LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Je ne vous verrai pas encore aujourd'hui, ma belle amie, et voici mes raisons, que je vous prie de recevoir avec indulgence. Au lieu de revenir hier directement, je me suis arrÃÂȘté chez la Comtesse de ***, dont le chùteau se trouvait presque sur ma route, et à qui j'ai demandé à dÃner. Je ne suis arrivé à Paris que vers les sept heures, et je suis descendu à l'Opéra, oÃÂč j'espérais que vous pouviez ÃÂȘtre. L'Opéra fini, j'ai été revoir mes amies du foyer; j'y ai retrouvé mon ancienne Emilie, entourée d'une cour nombreuse, tant en femmes qu'en hommes, à qui elle donnait le soir mÃÂȘme à souper à P... Je ne fus pas plus tÎt entré dans ce cercle, que je fus prié du souper, par acclamation. Je le fus aussi par une petite figure grosse et courte qui me baragouina une invitation en français de Hollande, et que je reconnus pour le véritable héros de la fÃÂȘte. J'acceptai. J'appris, dans ma route, que la maison oÃÂč nous allions était le prix convenu des bontés d'Emilie pour cette figure grotesque, et que ce souper était un véritable repas de noces. Le petit homme ne se possédait pas de joie, dans l'attente du bonheur dont il allait jouir; il m'en parut si satisfait, qu'il me donna envie de le troubler; ce que je fis en effet. La seule difficulté que j'éprouvai fut de décider Emilie que la richesse du Bourgmestre rendait un peu scrupuleuse. Elle se prÃÂȘta pourtant, aprÚs quelques façons, au projet que je donnai, de remplir de vin ce petit tonneau à biÚre, et de le mettre ainsi hors de combat pour toute la nuit. L'idée sublime que nous nous étions formée d'un buveur Hollandais nous fit employer tous les moyens connus. Nous réussÃmes si bien, qu'au dessert il n'avait déjà plus la force de tenir son verre mais la secourable Emilie et moi l'entonnions à qui mieux mieux. Enfin, il tomba sous la table, dans une ivresse telle, qu'elle doit au moins durer huit jours. Nous nous décidùmes alors à le renvoyer à Paris; et comme il n'avait pas gardé sa voiture, je le fis charger dans la mienne, et je restai à sa place. Je reçus ensuite les compliments de l'assemblée, qui se retira bientÎt aprÚs, et me laissa maÃtre du champ de bataille. Cette gaieté, et peut-ÃÂȘtre ma longue retraite, m'ont fait trouver Emilie si désirable, que je lui ai promis de rester avec elle jusqu'à la résurrection du Hollandais. Cette complaisance de ma part est le prix de celle qu'elle vient d'avoir, de me servir de pupitre pour écrire à ma belle Dévote, à qui j'ai trouvé plaisant d'envoyer une Lettre écrite du lit et presque d'entre les bras d'une fille, interrompue mÃÂȘme pour une infidélité complÚte, et dans laquelle je lui rends un compte exact de ma situation et de ma conduite. Emilie, qui a lu l'EpÃtre, en a ri comme une folle, et j'espÚre que vous en rirez aussi. Comme il faut que ma Lettre soit timbrée de Paris, je vous l'envoie; je la laisse ouverte. Vous voudrez bien la lire, la cacheter, et la faire mettre à la Poste. Surtout n'allez pas vous servir de votre cachet, ni mÃÂȘme d'aucun emblÚme amoureux; une tÃÂȘte seulement. Adieu, ma belle amie. Je rouvre ma Lettre; j'ai décidé Emilie à aller aux Italiens. Je profiterai de ce temps pour aller vous voir. Je serai chez vous à six heures au plus tard; et si cela vous convient, nous irons ensemble sur les sept heures chez Madame de Volanges. Il sera décent que je ne diffÚre pas l'invitation que j'ai à lui faire de la part de Madame de Rosemonde; de plus, je serai bien aise de voir la petite Volanges. Adieu, la trÚs belle dame. Je veux avoir tant de plaisir à vous embrasser que le Chevalier puisse en ÃÂȘtre jaloux. De P. . , ce 30 août 17** LETTRE XLVIII LE VICOMTE DE VALMONT A LA PRESIDENTE DE TOURVEL TIMBREE DE PARIS. C'est aprÚs une nuit orageuse, et pendant laquelle je n'ai pas fermé l'oeil; c'est aprÚs avoir été sans cesse ou dans l'agitation d'une ardeur dévorante, ou dans l'entier anéantissement de toutes les facultés de mon ùme, que je viens chercher auprÚs de vous, Madame, un calme dont j'ai besoin, et dont pourtant je n'espÚre pas jouir encore. En effet, la situation oÃÂč je suis en vous écrivant me fait connaÃtre plus que jamais la puissance irrésistible de l'Amour; j'ai peine à conserver assez d'empire sur moi pour mettre quelque ordre dans mes idées; et déjà je prévois que je ne finirai pas cette Lettre sans ÃÂȘtre obligé de l'interrompre. Quoi! ne puis-je donc espérer que vous partagerez quelque jour le trouble que j'éprouve en ce moment? J'ose croire cependant que, si vous le connaissiez bien, vous n'y seriez pas entiÚrement insensible. Croyez-moi, Madame, la froide tranquillité, le sommeil de l'ùme, image de la mort, ne mÚnent point au bonheur; les passions actives peuvent seules y conduire; et malgré les tourments que vous me faites éprouver, je crois pouvoir assurer sans crainte, que, dans ce moment, je suis plus heureux que vous. En vain m'accablez-vous de vos rigueurs désolantes, elles ne m'empÃÂȘchent point de m'abandonner entiÚrement à l'Amour et d'oublier, dans le délire qu'il me cause, le désespoir auquel vous me livrez. C'est ainsi que je veux me venger de l'exil auquel vous me condamnez. Jamais je n'eus tant de plaisir en vous écrivant; jamais je ne ressentis, dans cette occupation, une émotion si douce et cependant si vive. Tout semble augmenter mes transports l'air que je respire est plein de volupté; la table mÃÂȘme sur laquelle je vous écris, consacrée pour la premiÚre fois à cet usage, devient pour moi l'autel sacré de l'Amour; combien elle va s'embellir à mes yeux! j'aurai tracé sur elle le serment de vous aimer toujours! Pardonnez, je vous en supplie, au désordre de mes sens. Je devrais peut-ÃÂȘtre m'abandonner moins à des transports que vous ne partagez pas il faut vous quitter un moment pour dissiper une ivresse qui s'augmente à chaque instant, et qui devient plus forte que moi. Je reviens à vous, Madame, et sans doute j'y reviens toujours avec le mÃÂȘme empressement. Cependant le sentiment du bonheur a fui loin de moi; il a fait place à celui des privations cruelles. A quoi me sert-il de vous parler de mes sentiments, si je cherche en vain les moyens de vous convaincre? aprÚs tant d'efforts réitérés, la confiance et la force m'abandonnent à la fois. Si je me retrace encore les plaisirs de l'Amour, c'est pour sentir plus vivement le regret d'en ÃÂȘtre privé. Je ne me vois de ressource que dans votre indulgence, et je sens trop, dans ce moment, combien j'en ai besoin pour espérer de l'obtenir. Cependant, jamais mon amour ne fut plus respectueux, jamais il ne dut moins vous offenser; il est tel, j'ose le dire, que la vertu la plus sévÚre ne devrait pas le craindre mais je crains moi-mÃÂȘme de vous entretenir plus longtemps de la peine que j'éprouve. Assuré que l'objet qui la cause ne la partage pas, il ne faut pas au moins abuser de ses bontés; et ce serait le faire, que d'employer plus de temps à vous retracer cette douloureuse image. Je ne prends plus que celui de vous supplier de me répondre, et de ne jamais douter de la vérité de mes sentiments. Ecrite de P ..., datée de Paris, ce 30 août l7**. LETTRE XLIX CECILE VOLANGES AU CHEVALIER DANCENY Sans ÃÂȘtre ni légÚre, ni trompeuse, il me suffit, Monsieur, d'ÃÂȘtre éclairée sur ma conduite, pour sentir la nécessité d'en changer; j'en ai promis le sacrifice à Dieu, jusqu'à ce que je puisse lui offrir aussi celui de mes sentiments pour vous, que l'état Religieux dans lequel vous ÃÂȘtes rend plus criminels encore. Je sens bien que cela me fera de la peine, et je ne vous cacherai mÃÂȘme pas que depuis avant-hier j'ai pleuré toutes les fois que j'ai songé à vous. Mais j'espÚre que Dieu me fera la grùce de me donner la force nécessaire pour vous oublier, comme je la lui demande soir et matin. J'attends mÃÂȘme de votre amitié, et de votre honnÃÂȘteté, que vous ne chercherez pas à me troubler dans la bonne résolution qu'on m'a inspirée, et dans laquelle je tùche de me maintenir. En conséquence, je vous demande d'avoir la complaisance de ne me plus écrire, d'autant que je vous préviens que je ne vous répondrais plus, et que vous me forceriez d'avertir Maman de tout ce qui se passe ce qui me priverait tout à fait du plaisir de vous voir. Je n'en conserverai pas moins pour vous tout l'attachement qu'on puisse avoir sans qu'il y ait du mal; et c'est bien de toute mon ùme que je vous souhaite toute sorte de bonheur. Je sens bien que vous allez ne plus m'aimer autant, et que peut-ÃÂȘtre vous en aimerez bientÎt une autre mieux que moi. Mais ce sera une pénitence de plus, de la faute que j'ai commise en vous donnant mon cÅ“ur, que je ne devais donner qu'à Dieu, et à mon mari quand j'en aurai un. J'espÚre que la miséricorde divine aura pitié de ma faiblesse, et qu'elle ne me donnera de peine que ce que j'en pourrai supporter. Adieu, Monsieur; je peux bien vous assurer que s'il m'était permis d'aimer quelqu'un, ce ne serait jamais que vous que j'aimerais. Mais voilà tout ce que je peux vous dire, et c'est peut-ÃÂȘtre mÃÂȘme plus que je ne devrais. De ..., ce 31 août 17** LETTRE L LA PRESIDENTE DE TOURVEL AU VICOMTE DE VALMONT Est-ce donc ainsi, Monsieur, que vous remplissez les conditions auxquelles j'ai consenti à recevoir quelquefois de vos Lettres? Et puis-je ne pas avoir à m'en plaindre , quand vous ne m'y parlez que d'un sentiment auquel je craindrais encore de me livrer, quand mÃÂȘme je le pourrais sans blesser tous mes devoirs? Au reste, si j'avais besoin de nouvelles raisons pour conserver cette crainte salutaire, il me semble que je pourrais les trouver dans votre derniÚre Lettre. En effet, dans le moment mÃÂȘme oÃÂč vous croyez faire l'apologie de l'Amour, que faites-vous au contraire que m'en montrer les orages redoutables? qui peut vouloir d'un bonheur acheté au prix de la raison, et dont les plaisirs peu durables sont au moins suivis des regrets, quand ils ne le sont pas des remords? Vous-mÃÂȘme, chez qui l'habitude de ce délire dangereux doit en diminuer l'effet, n'ÃÂȘtes-vous pas cependant obligé de convenir qu'il devient souvent plus fort que vous, et n'ÃÂȘtes-vous pas le premier à vous plaindre du trouble involontaire qu'il vous cause? Quel ravage effrayant ne ferait-il donc pas sur un cÅ“ur neuf et sensible, qui ajouterait encore à son empire par la grandeur des sacrifices qu'il serait obligé de lui faire? Vous croyez, Monsieur, ou vous feignez de croire que l'Amour mÚne au bonheur; et moi, je suis si persuadée qu'il me rendrait malheureuse, que je voudrais n'entendre jamais prononcer son nom. Il me semble que d'en parler seulement altÚre la tranquillité; et c'est autant par goût que par devoir, que je vous prie de vouloir bien garder le silence sur ce point. AprÚs tout, cette demande doit vous ÃÂȘtre bien facile à m'accorder à présent. De retour à Paris, vous y trouverez assez d'occasions d'oublier un sentiment qui peut-ÃÂȘtre n'a dû sa naissance qu'à l'habitude oÃÂč vous ÃÂȘtes de vous occuper de semblables objets, et sa force qu'au désÅ“uvrement de la campagne. N'ÃÂȘtes- vous donc pas dans ce mÃÂȘme lieu, oÃÂč vous m'aviez vue avec tant d'indifférence? Y pouvez-vous faire un pas sans y rencontrer un exemple de votre facilité à changer et n'y ÃÂȘtes-vous pas entouré de femmes, qui toutes, plus aimables que moi, ont plus de droits à vos hommages? Je n'ai pas la vanité qu'on reproche à mon sexe; j'ai encore moins cette fausse modestie qui n'est qu'un raffinement de l'orgueil; et c'est de bien bonne foi que je vous dis ici que je me connais bien peu de moyens de plaire je les aurais tous, que je ne les croirais pas suffisants pour vous fixer. Vous demander de ne plus vous occuper de moi, ce n'est donc que vous prier de faire aujourd'hui ce que déjà vous aviez fait, et ce qu'à coup sûr vous feriez encore dans peu de temps, quand mÃÂȘme je vous demanderais le contraire. Cette vérité, que je ne perds pas de vue, serait, à elle seule, une raison assez forte pour ne pas vouloir vous entendre. J'en ai mille autres encore mais sans entrer dans cette longue discussion, je m'en tiens à vous prier, comme je l'ai déjà fait, de ne plus m'entretenir d'un sentiment que je ne dois pas écouter, et auquel je dois encore moins répondre. De ..., ce 1er septembre 17** SECONDE PARTIE LETTRE LI LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT En vérité, Vicomte, vous ÃÂȘtes insupportable. Vous me traitez avec autant de légÚreté que si j'étais votre MaÃtresse. Savez-vous que je me fùcherai, et que j'ai dans ce moment une humeur effroyable? Comment! vous devez voir Danceny demain matin; vous savez combien il est important que je vous parle avant cette entrevue; et sans vous inquiéter davantage, vous me laissez vous attendre toute la journée, pour aller courir je ne sais oÃÂč? Vous ÃÂȘtes cause que je suis arrivée indécemment tard chez Madame de Volanges, et que toutes les vieilles femmes m'ont trouvée merveilleuse. Il m'a fallu leur faire des cajoleries toute la soirée pour les apaiser car il ne faut pas fùcher les vieilles femmes; ce sont elles qui font la réputation des jeunes. A présent il est une heure du matin, et au lieu de me coucher, comme j'en meurs d'envie, il faut que je vous écrive une longue Lettre, qui va redoubler mon sommeil par l'ennui qu'elle me causera. Vous ÃÂȘtes bien heureux que je n'aie pas le temps de vous gronder davantage. N'allez pas croire pour cela que je vous pardonne; c'est seulement que je suis pressée. Ecoutez-moi donc, je me dépÃÂȘche. Pour peu que vous soyez adroit, vous devez avoir demain la confidence de Danceny. Le moment est favorable pour la confiance c'est celui du malheur. La petite fille a été à confesse; elle a tout dit, comme un enfant; et depuis, elle est tourmentée à un tel point de la peur du diable, qu'elle veut rompre absolument. Elle m'a raconté tous ses petits scrupules, avec une vivacité qui m'apprenait assez combien sa tÃÂȘte était montée. Elle m'a montré sa Lettre de rupture, qui est une vraie capucinade. Elle a babillé une heure avec moi, sans me dire un mot qui ait le sens commun. Mais elle ne m'en a pas moins embarrassée; car vous jugez que je ne pouvais risquer de m'ouvrir vis-à -vis d'une aussi mauvaise tÃÂȘte. J'ai vu pourtant au milieu de tout ce bavardage qu'elle n'en aime pas moins son Danceny; j'ai remarqué mÃÂȘme une de ces ressources qui ne manquent jamais à l'Amour, et dont la petite fille est assez plaisamment la dupe. Tourmentée par le désir de s'occuper de son Amant, et par la crainte de se damner en s'en occupant, elle a imaginé de prier Dieu de le lui faire oublier; et comme elle renouvelle cette priÚre à chaque instant du jour, elle trouve le moyen d'y penser sans cesse. Avec quelqu'un de plus usagé que Danceny, ce petit événement serait peut-ÃÂȘtre plus favorable que contraire, mais le jeune homme est si Céladon, que, si nous ne l'aidons pas, il lui faudra tant de temps pour vaincre les plus légers obstacles qu'il ne nous laissera pas celui d'effectuer notre projet. Vous avez bien raison; c'est dommage, et je suis aussi fùchée que vous qu'il soit le héros de cette aventure mais que voulez-vous? ce qui est fait est fait; et c'est votre faute. J'ai demandé à voir sa Réponse [Cette Lettre ne s'est pas retrouvée]; elle m'a fait pitié. Il lui fait des raisonnements à perte d'haleine, pour lui prouver qu'un sentiment involontaire ne peut pas ÃÂȘtre un crime comme s'il ne cessait pas d'ÃÂȘtre involontaire, du moment qu'on cesse de le combattre! Cette idée est si simple, qu'elle est venue mÃÂȘme à la petite fille. Il se plaint de son malheur d'une maniÚre assez touchante mais sa douleur est si douce et paraÃt si forte et si sincÚre, qu'il me semble impossible qu'une femme qui trouve l'occasion de désespérer un homme à ce point, et avec aussi peu de danger, ne soit pas tentée de s'en passer la fantaisie. Il lui explique enfin qu'il n'est pas Moine comme la petite le croyait; et c'est, sans contredit, ce qu'il fait de mieux car, pour faire tant que de se livrer à l'Amour Monastique, assurément MM. les Chevaliers de Malte ne mériteraient pas la préférence. Quoi qu'il en soit, au lieu de perdre mon temps en raisonnements qui m'auraient compromise, et peut-ÃÂȘtre sans persuader, j'ai approuvé le projet de rupture mais j'ai dit qu'il était plus honnÃÂȘte, en pareil cas, de dire ses raisons que de les écrire; qu'il était d'usage aussi de rendre les Lettres et les autres bagatelles qu'on pouvait avoir reçues; et paraissant entrer ainsi dans les vues de la petite personne, je l'ai décidée à donner un rendez-vous à Danceny. Nous en avons sur-le-champ concerté les moyens, et je me suis chargée de décider la mÚre à sortir sans sa fille; c'est demain aprÚs-midi que sera cet instant décisif. Danceny en est déjà instruit; mais, pour Dieu, si vous en trouvez l'occasion, décidez donc ce beau Berger à ÃÂȘtre moins langoureux; et apprenez-lui, puisqu'il faut lui tout dire, que la vraie façon de vaincre les scrupules est de ne laisser rien à perdre à ceux qui en ont. Au reste, pour que cette ridicule scÚne ne se renouvelùt pas, je n'ai pas manqué d'élever quelques doutes dans l'esprit de la petite fille sur la discrétion des Confesseurs; et je vous assure qu'elle paie à présent la peur qu'elle m'a faite, par celle qu'elle a que le sien n'aille tout dire à sa mÚre. J'espÚre qu'aprÚs que j'en aurai causé encore une fois ou deux avec elle, elle n'ira plus raconter ainsi ses sottises au premier venu [Le lecteur a dû deviner depuis longtemps, par les mÅ“urs de Madame de Merteuil, combien peu elle respectait la Religion. On aurait supprimé tout cet alinéa, mais on a cru qu'en montrant les effets, on ne devait pas négliger d'en faire connaÃtre les causes.]. Adieu, Vicomte; emparez-vous de Danceny, et conduisez-le. Il serait honteux que nous ne fissions pas ce que nous voulons de deux enfants. Si nous y trouvons plus de peine que nous ne l'avions cru d'abord, songeons, pour animer notre zÚle, vous, qu'il s'agit de la fille de Madame de Volanges, et moi, qu'elle doit devenir la femme de Gercourt. Adieu. De ..., ce 2 septembre l7**. LETTRE LII LE VICOMTE DE VALMONT A LA PRESIDENTE DE TOURVEL Vous me défendez, Madame, de vous parler de mon amour; mais oÃÂč trouver le courage nécessaire pour vous obéir? Uniquement occupé d'un sentiment qui devrait ÃÂȘtre si doux, et que vous rendez si cruel; languissant dans l'exil oÃÂč vous m'avez condamné; ne vivant que de privations et de regrets; en proie à des tourments d'autant plus douloureux, qu'ils me rappellent sans cesse votre indifférence; me faudra-t-il encore perdre la seule consolation qui me reste? et puis-je en avoir d'autre, que de vous ouvrir quelquefois une ùme que vous remplissez de trouble et d'amertume? Détournerez-vous vos regards, pour ne pas voir les pleurs que vous faites répandre? Refuserez-vous jusqu'à l'hommage des sacrifices que vous exigez? Ne serait-il donc pas plus digne de vous, de votre ùme honnÃÂȘte et douce, de plaindre un malheureux, qui ne l'est que par vous, que de vouloir encore aggraver ses peines, par une défense à la fois injuste et rigoureuse. Vous feignez de craindre l'Amour, et vous ne voulez pas voir que vous seule causez les maux que vous lui reprochez. Ah! sans doute, ce sentiment est pénible, quand l'objet qui l'inspire ne le partage point; mais oÃÂč trouver le bonheur, si un amour réciproque ne le procure pas? L'amitié tendre, la douce confiance et la seule qui soit sans réserve, les peines adoucies, les plaisirs augmentés, l'espoir enchanteur, les souvenirs délicieux, oÃÂč les trouver ailleurs que dans l'Amour? Vous le calomniez, vous qui, pour jouir de tous les biens qu'il vous offre, n'avez qu'à ne plus vous y refuser; et moi j'oublie les peines que j'éprouve, pour m'occuper à le défendre. Vous me forcez aussi à me défendre moi-mÃÂȘme; car tandis que je consacre ma vie à vous adorer, vous passez la vÎtre à me chercher des torts déjà vous me supposez léger et trompeur; et abusant, contre moi, de quelques erreurs, dont moi-mÃÂȘme je vous ai fait l'aveu, vous vous plaisez à confondre ce que j'étais alors, avec ce que je suis à présent. Non contente de m'avoir livré au tourment de vivre loin de vous, vous y joignez un persiflage cruel, sur des plaisirs auxquels vous savez assez combien vous m'avez rendu insensible. Vous ne croyez ni à mes promesses, ni à mes serments eh bien! il me reste un garant à vous offrir, qu'au moins vous ne suspecterez pas; c'est vous- mÃÂȘme. Je ne vous demande que de vous interroger de bonne foi; si vous ne croyez pas à mon amour, si vous doutez un moment de régner seule sur mon ùme, si vous n'ÃÂȘtes pas assurée d'avoir fixé ce cÅ“ur, en effet, jusqu'ici trop volage, je consens à porter la peine de cette erreur; j'en gémirai, mais n'en appellerai point mais si au contraire, nous rendant justice à tous deux, vous ÃÂȘtes forcée de convenir avec vous-mÃÂȘme que vous n'avez, que vous n'aurez jamais de rivale, ne m'obligez plus, je vous supplie, à combattre des chimÚres, et laissez-moi au moins cette consolation de vous voir ne plus douter d'un sentiment qui, en effet, ne finira, ne peut finir qu'avec ma vie. Permettez-moi, Madame, de vous prier de répondre positivement à cet article de ma Lettre. Si j'abandonne cependant cette époque de ma vie, qui paraÃt me nuire si cruellement auprÚs de vous, ce n'est pas qu'au besoin les raisons me manquassent pour la défendre. Qu'ai-je fait, aprÚs tout, que ne pas résister au tourbillon dans lequel j'avais été jeté? Entré dans le monde, jeune et sans expérience; passé, pour ainsi dire, de mains en mains, par une foule de femmes, qui toutes se hùtent de prévenir par leur facilité une réflexion qu'elles sentent devoir leur ÃÂȘtre défavorable; était-ce donc à moi de donner l'exemple d'une résistance qu'on ne m'opposait point? ou devais-je me punir d'un moment d'erreur, et que souvent on avait provoqué par une constance à coup sûr inutile, et dans laquelle on n'aurait vu qu'un ridicule? Eh! quel autre moyen qu'une prompte rupture peut justifier d'un choix honteux! Mais, je puis le dire, cette ivresse des sens, peut-ÃÂȘtre mÃÂȘme ce délire de la vanité, n'a point passé jusqu'à mon cÅ“ur. Né pour l'Amour, l'intrigue pouvait le distraire, et ne suffisait pas pour l'occuper; entouré d'objets séduisants, mais méprisables, aucun n'allait jusqu'à mon ùme on m'offrait des plaisirs, je cherchais des vertus; et moi-mÃÂȘme enfin je me crus inconstant, parce que j'étais délicat et sensible. C'est en vous voyant que je me suis éclairé bientÎt j'ai reconnu que le charme de l'Amour tenait aux qualités de l'ùme; qu'elles seules pouvaient en causer l'excÚs, et le justifier. Je sentis enfin qu'il m'était également impossible et de ne pas vous aimer, et d'en aimer une autre que vous. Voilà , Madame, quel est ce cÅ“ur auquel vous craignez de vous livrer, et sur le sort de qui vous avez à prononcer mais quel que soit le destin que vous lui réservez, vous ne changerez rien aux sentiments qui l'attachent à vous; ils sont inaltérables comme les vertus qui les ont fait naÃtre. De ..., ce 3 septembre 17** LETTRE LIII LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL J'ai vu Danceny, mais je n'en ai obtenu qu'une demi-confidence; il s'est obstiné, surtout, à me taire le nom de la petite Volanges, dont il ne m'a parlé que comme d'une femme trÚs sage, et mÃÂȘme un peu dévote à cela prÚs, il m'a raconté avec assez de vérité son aventure, et surtout le dernier événement. Je l'ai échauffé autant que j'ai pu, et l'ai beaucoup plaisanté sur sa délicatesse et ses scrupules; mais il paraÃt qu'il y tient, et je ne puis pas répondre de lui au reste, je pourrai vous en dire davantage aprÚs-demain. Je le mÚne demain à Versailles, et je m'occuperai à le scruter pendant la route. Le rendez-vous qui doit avoir eu lieu aujourd'hui me donne aussi quelque espérance il se pourrait que tout s'y fût passé à notre satisfaction; et peut-ÃÂȘtre ne nous reste-t-il à présent qu'à en arracher l'aveu, et à en recueillir les preuves. Cette besogne vous sera plus facile qu'à moi car la petite personne est plus confiante, ou, ce qui revient au mÃÂȘme, plus bavarde, que son discret Amoureux. Cependant j'y ferai mon possible. Adieu, ma belle amie, je suis fort pressé; je ne vous verrai ni ce soir, ni demain si de votre cÎté vous avez su quelque chose, écrivez-moi un mot pour mon retour. Je reviendrai sûrement coucher à Paris. De ..., ce 3 septembre 17**, au soir. LETTRE LIV LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT Oh! oui! c'est bien avec Danceny qu'il y a quelque chose à savoir! S'il vous l'a dit, il s'est vanté. Je ne connais personne si bÃÂȘte en amour, et je me reproche de plus en plus les bontés que nous avons pour lui. Savez-vous que j'ai pensé ÃÂȘtre compromise par rapport à lui! et que ce soit en pure perte! Oh! je m'en vengerai, je le promets. Quand j'arrivai hier pour prendre Madame de Volanges, elle ne voulait plus sortir; elle se sentait incommodée; il me fallut toute mon éloquence pour la décider, et je vis le moment que Danceny serait arrivé avant notre départ; ce qui eût été d'autant plus gauche que Madame de Volanges lui avait dit la veille qu'elle ne serait pas chez elle. Sa fille et moi, nous étions sur les épines. Nous sortÃmes enfin; et la petite me serra la main si affectueusement en me disant adieu, que malgré son projet de rupture, dont elle croyait de bonne foi s'occuper encore, j'augurai des merveilles de la soirée. Je n'étais pas au bout de mes inquiétudes. Il y avait à peine une demi-heure que nous étions chez Madame de *** que Madame de Volanges se trouva mal en effet, mais sérieusement mal; et comme de raison, elle voulait rentrer chez elle moi, je le voulais d'autant moins que j'avais peur, si nous surprenions les jeunes gens, comme il y avait tout à parier, que mes instances auprÚs de la mÚre, pour la faire sortir, ne lui devinssent suspectes. Je pris le parti de l'effrayer sur sa santé, ce qui heureusement n'est pas difficile; et je la tins une heure et demie, sans consentir à la ramener chez elle, dans la crainte que je feignis d'avoir du mouvement dangereux de la voiture. Nous ne rentrùmes enfin qu'à l'heure convenue. A l'air honteux que je remarquai en arrivant, j'avoue que j'espérai qu'au moins mes peines n'auraient pas été perdues. Le désir que j'avais d'ÃÂȘtre instruite me fit rester auprÚs de Madame de Volanges, qui se coucha aussitÎt, et aprÚs avoir soupé auprÚs de son lit, nous la laissùmes de trÚs bonne heure, sous le prétexte qu'elle avait besoin de repos; et nous passùmes dans l'appartement de sa fille. Celle-ci a fait de son cÎté tout ce que j'attendais d'elle; scrupules évanouis, nouveaux serments d'aimer toujours, etc., elle s'est enfin exécutée de bonne grùce mais le sot Danceny n'a pas passé d'une ligne le point oÃÂč il était auparavant. Oh! l'on peut se brouiller avec celui-là ; les raccommodements ne sont pas dangereux. La petite assure pourtant qu'il voulait davantage, mais qu'elle a su se défendre. Je parierais bien qu'elle se vante, ou qu'elle l'excuse; je m'en suis mÃÂȘme presque assurée. En effet, il m'a pris fantaisie de savoir à quoi m'en tenir sur la défense dont elle était capable; et moi, simple femme, de propos en propos, j'ai monté sa tÃÂȘte au point... Enfin vous pouvez m'en croire, jamais personne ne fut plus susceptible d'une surprise des sens. Elle est vraiment aimable, cette chÚre petite! Elle méritait un autre Amant; elle aura au moins une bonne amie, car je m'attache sincÚrement à elle. Je lui ai promis de la former et je crois que je lui tiendrai parole. Je me suis souvent aperçue du besoin d'avoir une femme dans ma confidence, et j'aimerais mieux celle-là qu'une autre; mais je ne puis en rien faire, tant qu'elle ne sera pas ce qu'il faut qu'elle soit; et c'est une raison de plus d'en vouloir à Danceny. Adieu, Vicomte; ne venez pas chez moi demain, à moins que ce ne soit le matin. J'ai cédé aux instances du Chevalier, pour une soirée de petite Maison. De ..., ce 4 septembre 17** LETTRE LV CECILE VOLANGES A SOPHIE CARNAY Tu avais raison, ma chÚre Sophie; tes prophéties réussissent mieux que tes conseils. Danceny, comme tu l'avais prédit, a été plus fort que le Confesseur, que toi, que moi-mÃÂȘme; et nous voilà revenus exactement oÃÂč nous en étions. Ah! je ne m'en repens pas; et toi, si tu m'en grondes ce sera faute de savoir le plaisir qu'il y a à aimer Danceny. Il t'est bien aisé de dire comme il faut faire, rien ne t'en empÃÂȘche; mais si tu avais éprouvé combien le chagrin de quelqu'un qu'on aime nous fait mal, comment sa joie devient la nÎtre, et comment il est difficile de dire non, quand c'est oui que l'on veut dire, tu ne t'étonnerais plus de rien moi-mÃÂȘme qui l'ai senti, bien vivement senti, je ne le comprends pas encore. Crois-tu, par exemple, que je puisse voir pleurer Danceny sans pleurer moi-mÃÂȘme? Je t'assure bien que cela m'est impossible; et quand il est content, je suis heureuse comme lui. Tu auras beau dire; ce qu'on dit ne change pas ce qui est, et je suis bien sûre que c'est comme ça. Je voudrais te voir à ma place... Non, ce n'est pas là ce que je veux dire, car sûrement je ne voudrais céder ma place à personne mais je voudrais que tu aimasses aussi quelqu'un; ce ne serait pas seulement pour que tu m'entendisses mieux, et que tu me grondasses moins; car c'est qu'aussi tu serais plus heureuse, ou, pour mieux dire, tu commencerais seulement alors à le devenir. Nos amusements, nos rires, tout cela, vois-tu, ce ne sont que des jeux d'enfants; il n'en reste rien aprÚs qu'ils sont passés. Mais l'Amour, ah! l'Amour!... un mot, un regard, seulement de le savoir là , eh bien! c'est le bonheur. Quand je vois Danceny, je ne désire plus rien; quand je ne le vois pas, je ne désire que lui. Je ne sais comment cela se fait mais on dirait que tout ce qui me plaÃt lui ressemble. Quand il n'est pas avec moi, j'y songe; et quand je peux y songer tout à fait, sans distraction, quand je suis toute seule, par exemple, je suis encore heureuse; je ferme les yeux, et tout de suite je crois le voir; je me rappelle ses discours, et je crois l'entendre; cela me fait soupirer; et puis je sens un feu, une agitation... Je ne saurais tenir en place. C'est comme un tourment, et ce tourment-là fait un plaisir inexprimable. Je crois mÃÂȘme que quand une fois on a de l'Amour, cela se répand jusque sur l'amitié. Celle que j'ai pour toi n'a pourtant pas changé; c'est toujours comme au Couvent mais ce que je te dis, je l'éprouve avec Madame de Merteuil. Il me semble que je l'aime plus comme Danceny que comme toi, et quelquefois je voudrais qu'elle fût lui. Cela vient peut-ÃÂȘtre de ce que ce n'est pas une amitié d'enfant comme la nÎtre; ou bien de ce que je les vois si souvent ensemble, ce qui fait que je me trompe. Enfin, ce qu'il y a de vrai, c'est qu'à eux deux, ils me rendent bien heureuse; et aprÚs tout, je ne crois pas qu'il y ait grand mal à ce que je fais. Aussi je ne demanderais qu'à rester comme je suis; et il n'y a que l'idée de mon mariage qui me fasse de la peine car si M. de Gercourt est comme on me l'a dit, et je n'en doute pas, je ne sais pas ce que je deviendrai. Adieu, ma Sophie; je t'aime toujours bien tendrement. De ..., ce 4 septembre 17** LETTRE LVI LA PRESIDENTE DE TOURVEL AU VICOMTE DE VALMONT A quoi vous servirait, Monsieur, la réponse que vous me demandez? Croire à vos sentiments, ne serait-ce pas une raison de plus pour les craindre? et sans attaquer ni défendre leur sincérité, ne me suffit-il pas, ne doit-il pas vous suffire à vous-mÃÂȘme, de savoir que je ne veux ni ne dois y répondre? Supposé que vous m'aimiez véritablement et c'est seulement pour ne plus revenir sur cet objet que je consens à cette supposition, les obstacles qui nous séparent en seraient-ils moins insurmontables? et aurais-je autre chose à faire qu'à souhaiter que vous puissiez bientÎt vaincre cet amour, et surtout à vous y aider de tout mon pouvoir, en me hùtant de vous Îter toute espérance? Vous convenez vous-mÃÂȘme que ce sentiment est pénible quand l'objet qui l'inspire ne le partage point . Or, vous savez assez qu'il m'est impossible de le partager, et quand mÃÂȘme ce malheur m'arriverait, j'en serais plus à plaindre, sans que vous en fussiez plus heureux. J'espÚre que vous m'estimez assez pour n'en pas douter un instant. Cessez donc, je vous en conjure, cessez de vouloir troubler un cÅ“ur à qui la tranquillité est si nécessaire; ne me forcez pas à regretter de vous avoir connu. Chérie et estimée d'un mari que j'aime et respecte, mes devoirs et mes plaisirs se rassemblent dans le mÃÂȘme objet. Je suis heureuse, je dois l'ÃÂȘtre. S'il existe des plaisirs plus vifs, je ne les désire pas; je ne veux point les connaÃtre. En est-il de plus doux que d'ÃÂȘtre en paix avec soi-mÃÂȘme, de n'avoir que des jours sereins, de s'endormir sans trouble, et de s'éveiller sans remords? Ce que vous appelez le bonheur n'est qu'un tumulte des sens, un orage des passions dont le spectacle est effrayant, mÃÂȘme à le regarder du rivage. Eh! comment affronter ces tempÃÂȘtes? comment oser s'embarquer sur une mer couverte des débris de mille et mille naufrages? Et avec qui? Non, Monsieur, je reste à terre; je chéris les liens qui m'y attachent. Je pourrais les rompre, que je ne le voudrais pas; si je ne les avais, je me hùterais de les prendre. Pourquoi vous attacher à mes pas? pourquoi vous obstiner à me suivre? Vos Lettres, qui devaient ÃÂȘtre rares, se succÚdent avec rapidité. Elles devaient ÃÂȘtre sages, et vous ne m'y parlez que de votre fol amour. Vous m'entourez de votre idée, plus que vous ne le faisiez de votre personne. Ecarté sous une forme, vous vous reproduisez sous une autre. Les choses qu'on vous demande de ne plus dire, vous les redites seulement d'une autre maniÚre. Vous vous plaisez à m'embarrasser par des raisonnements captieux; vous échappez aux miens. Je ne veux plus vous répondre, je ne vous répondrai plus... Comme vous traitez les femmes que vous avez séduites! avec quel mépris vous en parlez! Je veux croire que quelques-unes le méritent mais toutes sont-elles donc si méprisables? Ah! sans doute, puisqu'elles ont trahi leurs devoirs pour se livrer à un amour criminel. De ce moment, elles ont tout perdu, jusqu'à l'estime de celui à qui elles ont tout sacrifié. Ce supplice est juste, mais l'idée seule en fait frémir. Que m'importe, aprÚs tout? pourquoi m'occuperais-je d'elles ou de vous? de quel droit venez-vous troubler ma tranquillité? Laissez-moi, ne me voyez plus; ne m'écrivez plus, je vous en prie; je l'exige. Cette Lettre est la derniÚre que vous recevrez de moi. De ..., ce 5 septembre 17** LETTRE LVII LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL J'ai trouvé votre Lettre hier à mon arrivée. Votre colÚre m'a tout à fait réjoui. Vous ne sentiriez pas plus vivement les torts de Danceny, quand il les aurait eus vis-à -vis de vous. C'est sans doute par vengeance, que vous accoutumez sa MaÃtresse à lui faire de petites infidélités; vous ÃÂȘtes un bien mauvais sujet! Oui, vous ÃÂȘtes charmante, et je ne m'étonne pas qu'on vous résiste moins qu'à Danceny. Enfin je le sais par cÅ“ur, ce beau héros de Roman! il n'a plus de secret pour moi. Je lui ai tant dit que l'Amour honnÃÂȘte était le bien suprÃÂȘme, qu'un sentiment valait mieux que dix intrigues, que j'étais moi-mÃÂȘme, dans ce moment, amoureux et timide; il m'a trouvé enfin une façon de penser si conforme à la sienne, que dans l'enchantement oÃÂč il était de ma candeur, il m'a tout dit, et m'a juré une amitié sans réserve. Nous n'en sommes guÚre plus avancés pour notre projet. D'abord, il m'a paru que son systÚme était qu'une demoiselle mérite beaucoup plus de ménagements qu'une femme, comme ayant plus à perdre. Il trouve, surtout, que rien ne peut justifier un homme de mettre une fille dans la nécessité de l'épouser ou de vivre déshonorée, quand la fille est infiniment plus riche que l'homme, comme dans le cas oÃÂč il se trouve. La sécurité de la mÚre, la candeur de la fille, tout l'intimide et l'arrÃÂȘte. L'embarras ne serait point de combattre ses raisonnements, quelque vrais qu'ils soient. Avec un peu d'adresse et aidé par la passion, on les aurait bientÎt détruits; d'autant qu'ils prÃÂȘtent au ridicule, et qu'on aurait pour soi l'autorité de l'usage. Mais ce qui empÃÂȘche qu'il n'y ait de prise sur lui, c'est qu'il se trouve heureux comme il est. En effet, si les premiers amours paraissent, en général, plus honnÃÂȘtes, et comme on dit plus purs; s'ils sont au moins plus lents dans leur marche, ce n'est pas, comme on le pense, délicatesse ou timidité, c'est que le cÅ“ur, étonné par un sentiment inconnu, s'arrÃÂȘte pour ainsi dire à chaque pas, pour jouir du charme qu'il éprouve, et que ce charme est si puissant sur un cÅ“ur neuf, qu'il l'occupe au point de lui faire oublier tout autre plaisir. Cela est si vrai, qu'un libertin amoureux, si un libertin peut l'ÃÂȘtre, devient de ce moment mÃÂȘme moins pressé de jouir; et qu'enfin, entre la conduite de Danceny avec la petite Volanges, et la mienne avec la prude Madame de Tourvel, il n'y a que la différence du plus au moins. Il aurait fallu, pour échauffer notre jeune homme, plus d'obstacles qu'il n'en a rencontrés; surtout qu'il eût eu besoin de plus de mystÚre, car le mystÚre mÚne à l'audace. Je ne suis pas éloigné de croire que vous nous avez nui en le servant si bien; votre conduite eût été excellente avec un homme usagé , qui n'eût eu que des désirs mais vous auriez pu prévoir que pour un homme jeune, honnÃÂȘte et amoureux, le plus grand prix des faveurs est d'ÃÂȘtre la preuve de l'Amour; et que par conséquent, plus il serait sûr d'ÃÂȘtre aimé, moins il serait entreprenant. Que faire à présent? Je n'en sais rien; mais je n'espÚre pas que la petite soit prise avant le mariage, et nous en serons pour nos frais; j'en suis fùché, mais je n'y vois pas de remÚde. Pendant que je disserte ici, vous faites mieux avec votre Chevalier. Cela me fait songer que vous m'avez promis une infidélité en ma faveur, j'en ai votre promesse par écrit et je ne veux pas en faire un billet de la Chùtre. Je conviens que l'échéance n'est pas encore arrivée mais il serait généreux à vous de ne pas l'attendre; et de mon cÎté, je vous tiendrais compte des intérÃÂȘts. Qu'en dites-vous, ma belle amie? est-ce que vous n'ÃÂȘtes pas fatiguée de votre constance? Ce Chevalier est donc bien merveilleux? Oh! laissez-moi faire; je veux vous forcer de convenir que si vous lui avez trouvé quelque mérite, c'est que vous m'aviez oublié. Adieu, ma belle amie; je vous embrasse comme je vous désire; je défie tous les baisers du Chevalier d'avoir autant d'ardeur. De ..., ce 5 septembre 17** LETTRE LVIII LE VICOMTE DE VALMONT A LA PRESIDENTE DE TOURVEL Par oÃÂč ai-je donc mérité, Madame, et les reproches que vous me faites, et la colÚre que vous me témoignez? L'attachement le plus vif et pourtant le plus respectueux, la soumission la plus entiÚre à vos moindres volontés; voilà en deux mots l'histoire de mes sentiments et de ma conduite. Accablé par les peines d'un amour malheureux, je n'avais d'autre consolation que celle de vous voir vous m'avez ordonné de m'en priver; j'ai obéi sans me permettre un murmure. Pour prix de ce sacrifice, vous m'avez permis de vous écrire, et aujourd'hui vous voulez m'Îter cet unique plaisir. Me le laisserai-je ravir, sans essayer de le défendre? Non, sans doute eh! comment ne serait-il pas cher à mon cÅ“ur? c'est le seul qui me reste, et je le tiens de vous. Mes Lettres, dites-vous, sont trop fréquentes! Songez donc, je vous prie, que depuis dix jours que dure mon exil, je n'ai passé aucun moment sans m'occuper de vous, et que cependant vous n'avez reçu que deux Lettres de moi. Je ne vous y parle que de mon amour ! eh! que puis-je dire, que ce que je pense? tout ce que j'ai pu faire a été d'en affaiblir l'expression; et vous pouvez m'en croire, je ne vous en ai laissé voir que ce qu'il m'a été impossible d'en cacher. Vous me menacez enfin de ne plus me répondre. Ainsi l'homme qui vous préfÚre à tout et qui vous respecte encore plus qu'il ne vous aime, non contente de le traiter avec rigueur, vous voulez y joindre le mépris! Et pourquoi ces menaces et ce courroux? qu'en avez-vous besoin? n'ÃÂȘtes-vous pas sûre d'ÃÂȘtre obéie, mÃÂȘme dans vos ordres injustes? m'est-il donc possible de contrarier aucun de vos désirs, et ne l'ai-je pas déjà prouvé? Mais abuserez- vous de cet empire que vous avez sur moi? AprÚs m'avoir rendu malheureux, aprÚs ÃÂȘtre devenue injuste, vous sera-t-il donc bien facile de jouir de cette tranquillité que vous assurez vous ÃÂȘtre si nécessaire? ne vous direz-vous jamais Il m'a laissée maÃtresse de son sort, et j'ai fait son malheur? il implorait mes secours, et je l'ai regardé sans pitié? Savez-vous jusqu'oÃÂč peut aller mon désespoir? non. Pour calculer mes maux, il faudrait savoir à quel point je vous aime, et vous ne connaissez pas mon cÅ“ur. A quoi me sacrifiez-vous? à des craintes chimériques. Et qui vous les inspire? un homme qui vous adore; un homme sur qui vous ne cesserez jamais d'avoir un empire absolu. Que craignez-vous, que pouvez-vous craindre d'un sentiment que vous serez toujours maÃtresse de diriger à votre gré? Mais votre imagination se crée des monstres, et l'effroi qu'ils vous causent, vous l'attribuez à l'Amour. Un peu de confiance, et ces fantÎmes disparaÃtront. Un Sage a dit que pour dissiper ses craintes il suffisait presque toujours d'en approfondir la cause [On croit que c'est Rousseau dans Emile, mais la citation n'est pas exacte, et l'application qu'en fait Valmont est bien fausse; et puis, Madame de Tourvel avait-elle lu Emile?]. C'est surtout en amour que cette vérité trouve son application. Aimez, et vos craintes s'évanouiront. A la place des objets qui vous effrayent, vous trouverez un sentiment délicieux, un Amant tendre et soumis; et tous vos jours, marqués par le bonheur, ne vous laisseront d'autre regret que d'en avoir perdu quelques-uns dans l'indifférence. Moi-mÃÂȘme, depuis que, revenu de mes erreurs, je n'existe plus que pour l'Amour, je regrette un temps que je croyais avoir passé dans les plaisirs; et je sens que c'est à vous seule qu'il appartient de me rendre heureux. Mais, je vous en supplie, que le plaisir que je trouve à vous écrire ne soit plus troublé par la crainte de vous déplaire. Je ne veux pas vous désobéir; mais je suis à vos genoux, j'y réclame le bonheur que vous voulez me ravir, le seul que vous m'avez laissé; je vous crie écoutez mes priÚres, et voyez mes larmes; ah! Madame, me refuserez-vous? De ..., ce 7 septembre 17** LETTRE LIX LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Apprenez-moi, si vous savez, ce que signifie ce radotage de Danceny. Qu'est- il donc arrivé, et qu'est-ce qu'il a perdu? Sa Belle s'est peut-ÃÂȘtre fùchée de son respect éternel? Il faut ÃÂȘtre juste, on se fùcherait à moins. Que lui dirai-je ce soir, au rendez-vous qu'il me demande, et que je lui ai donné à tout hasard? Assurément je ne perdrai pas mon temps à écouter ses doléances, si cela ne doit nous mener à rien. Les complaintes amoureuses ne sont bonnes à entendre qu'en récitatifs obligés, ou en grandes ariettes. Instruisez-moi donc de ce qui est et de ce que je dois faire; ou bien je déserte, pour éviter l'ennui que je prévois. Pourrai-je causer avec vous ce matin? Si vous ÃÂȘtes occupée , au moins écrivez-moi un mot, et donnez-moi les réclames de mon rÎle. OÃÂč étiez-vous donc hier? Je ne parviens plus à vous voir. En vérité, ce n'était pas la peine de me retenir à Paris au mois de Septembre. Décidez-vous pourtant, car je viens de recevoir une invitation fort pressante de la Comtesse de B**, pour aller la voir à la campagne; et, comme elle me le mande assez plaisamment, " son mari a le plus beau bois du monde, qu'il conserve soigneusement pour les plaisirs de ses amis " . Or, vous savez que j'ai bien quelques droits, sur ce bois-là ; et j'irai le revoir si je ne vous suis pas utile. Adieu, songez que Danceny sera chez moi sur les quatre heures. De ..., ce 8 septembre 17** LETTRE LX LE CHEVALIER DANCENY AU VICOMTE DE VALMONT INCLUSE DANS LA PRECEDENTE. Ah! Monsieur, je suis désespéré, j'ai tout perdu. Je n'ose confier au papier le secret de mes peines mais j'ai besoin de les répandre dans le sein d'un ami fidÚle et sûr. A quelle heure pourrais-je vous voir, et aller chercher auprÚs de vous des consolations et des conseils? J'étais si heureux le jour oÃÂč je vous ouvris mon ùme! A présent, quelle différence! tout est changé pour moi. Ce que je souffre pour mon compte n'est encore que la moindre partie de mes tourments; mon inquiétude sur un objet bien plus cher, voilà ce que je ne puis supporter. Plus heureux que moi, vous pourrez la voir, et j'attends de votre amitié que vous ne me refuserez pas cette démarche mais il faut que je vous parle, que je vous instruise. Vous me plaindrez, vous me secourrez; je n'ai d'espoir qu'en vous. Vous ÃÂȘtes sensible, vous connaissez l'Amour, et vous ÃÂȘtes le seul à qui je puisse me confier; ne me refusez pas vos secours. Adieu, Monsieur; le seul soulagement que j'éprouve dans ma douleur est de songer qu'il me reste un ami tel que vous. Faites-moi savoir, je vous prie, à quelle heure je pourrai vous trouver. Si ce n'est pas ce matin, je désirerais que ce fût de bonne heure dans l'aprÚs-midi. De ..., ce 8 septembre 17** LETTRE LXI CECILE VOLANGES A SOPHIE CARNAY Ma chÚre Sophie, plains ta Cécile, ta pauvre Cécile; elle est bien malheureuse! Maman sait tout. Je ne conçois pas comment elle a pu se douter de quelque chose, et pourtant elle a tout découvert. Hier au soir, Maman me parut bien avoir un peu d'humeur; mais je n'y fis pas grande attention; et mÃÂȘme en attendant que sa partie fût finie, je causai trÚs gaiement avec Madame de Merteuil qui avait soupé ici, et nous parlùmes beaucoup de Danceny. Je ne crois pourtant pas qu'on ait pu nous entendre. Elle s'en alla, et je me retirai dans mon appartement. Je me déshabillais, quand Maman entra et fit sortir ma Femme de chambre; elle me demanda la clef de mon secrétaire. Le ton dont elle me fit cette demande me causa un tremblement si fort que je pouvais à peine me soutenir. Je faisais semblant de ne la pas trouver, mais enfin il fallut obéir. Le premier tiroir qu'elle ouvrit fut justement celui oÃÂč étaient les Lettres du Chevalier Danceny. J'étais si troublée, que quand elle me demanda ce que c'était, je ne sus lui répondre autre chose, sinon que ce n'était rien; mais quand je la vis commencer à lire celle qui se présentait la premiÚre, je n'eus que le temps de gagner un fauteuil, et je me trouvai mal au point que je perdis connaissance. AussitÎt que je revins à moi, ma mÚre, qui avait appelé ma Femme de chambre, se retira, en me disant de me coucher. Elle a emporté toutes les Lettres de Danceny. Je frémis toutes les fois que je songe qu'il me faudra reparaÃtre devant elle. Je n'ai fait que pleurer toute la nuit. Je t'écris au point du jour, dans l'espoir que Joséphine viendra. Si je peux lui parler seule, je la prierai de remettre chez Madame de Merteuil un petit billet que je vas lui écrire; sinon, je le mettrai dans ta Lettre, et tu voudras bien l'envoyer comme de toi. Ce n'est que d'elle que je puis recevoir quelque consolation. Au moins, nous parlerons de lui, car je n'espÚre plus le voir. Je suis bien malheureuse! Elle aura peut-ÃÂȘtre la bonté de se charger d'une Lettre pour Danceny. Je n'ose pas me confier à Joséphine pour cet objet, et encore moins à ma Femme de chambre; car c'est peut-ÃÂȘtre elle qui aura dit à ma mÚre que j'avais des Lettres dans mon secrétaire. Je ne t'écrirai pas plus longuement, parce que je veux avoir le temps d'écrire à Madame de Merteuil, et aussi à Danceny, pour avoir ma Lettre toute prÃÂȘte, si elle veut bien s'en charger. AprÚs cela, je me recoucherai, pour qu'on me trouve au lit quand on entrera dans ma chambre. Je dirai que je suis malade, pour me dispenser de passer chez Maman. Je ne mentirai pas beaucoup; sûrement je souffre plus que si j'avais la fiÚvre. Les yeux me brûlent à force d'avoir pleuré; et j'ai un poids sur l'estomac, qui m'empÃÂȘche de respirer. Quand je songe que je ne verrai plus Danceny, je voudrais ÃÂȘtre morte. Adieu, ma chÚre Sophie. Je ne peux t'en dire davantage; les larmes me suffoquent. De ..., ce 7 septembre 17** Nota. On a supprimé la Lettre de Cécile Volanges à la Marquise, parce qu'elle ne contenait que les mÃÂȘmes faits de la Lettre précédente, et avec moins de détails. Celle au Chevalier Danceny ne s'est point retrouvée on en verra la raison dans la Lettre LXIII, de Madame de Merteuil au Vicomte. LETTRE LXII MADAME DE VOLANGES AU CHEVALIER DANCENY AprÚs avoir abusé, Monsieur, de la confiance d'une mÚre et de l'innocence d'un enfant, vous ne serez pas surpris, sans doute, de ne plus ÃÂȘtre reçu dans une maison oÃÂč vous n'avez répondu aux preuves de l'amitié la plus sincÚre, que par l'oubli de tous les procédés. Je préfÚre de vous prier de ne plus venir chez moi, à donner des ordres à ma porte, qui nous compromettraient tous également, par les remarques que les Valets ne manqueraient pas de faire. J'ai droit d'espérer que vous ne me forcerez pas de recourir à ce moyen. Je vous préviens aussi que si vous faites à l'avenir la moindre tentative pour entretenir ma fille dans l'égarement oÃÂč vous l'avez plongée, une retraite austÚre et éternelle la soustraira à vos poursuites. C'est à vous de voir, Monsieur, si vous craindrez aussi peu de causer son infortune, que vous avez peu craint de tenter son déshonneur. Quant à moi, mon choix est fait, et je l'en ai instruite. Vous trouverez ci-joint le paquet de vos Lettres. Je compte que vous me renverrez en échange toutes celles de ma fille; et que vous vous prÃÂȘterez à ne laisser aucune trace d'un événement dont nous ne pourrions garder le souvenir, moi sans indignation, elle sans honte, et vous sans remords. J'ai l'honneur d'ÃÂȘtre, etc. De ..., ce 7 septembre 17** LETTRE LXIII LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT Vraiment, oui, je vous expliquerai le billet de Danceny. L'événement qui le lui a fait écrire est mon ouvrage, et c'est, je crois, mon chef-d'Å“uvre. Je n'ai pas perdu mon temps depuis votre derniÚre lettre, et j'ai dit comme l'Architecte Athénien " Ce qu'il a dit, je le ferai. " Il lui faut donc des obstacles à ce beau Héros de Roman, et il s'endort dans la félicité! oh! qu'il s'en rapporte à moi, je lui donnerai de la besogne; et je me trompe, ou son sommeil ne sera plus tranquille. Il fallait bien lui apprendre le prix du temps, et je me flatte qu'à présent il regrette celui qu'il a perdu. Il fallait, dites-vous aussi, qu'il eût besoin de plus de mystÚre; eh bien! ce besoin-là ne lui manquera plus. J'ai cela de bon, moi, c'est qu'il ne faut que me faire apercevoir de mes fautes; je ne prends point de repos que je n'aie tout réparé. Apprenez donc ce que j'ai fait. En rentrant chez moi avant-hier matin, je lus votre Lettre; je la trouvai lumineuse. Persuadée que vous aviez trÚs bien indiqué la cause du mal, je ne m'occupai plus qu'à trouver le moyen de le guérir. Je commençai pourtant par me coucher; car l'infatigable Chevalier ne m'avait pas laissée dormir un moment, et je croyais avoir sommeil mais point du tout; tout entiÚre à Danceny, le désir de le tirer de son indolence, ou de l'en punir, ne me permit pas de fermer l'oeil, et ce ne fut qu'aprÚs avoir bien concerté mon plan, que je pus trouver deux heures de repos. J'allai le soir mÃÂȘme chez Madame de Volanges, et, suivant mon projet, je lui fis confidence que je me croyais sûre qu'il existait entre sa fille et Danceny une liaison dangereuse. Cette femme, si clairvoyante contre vous, était aveuglée au point qu'elle me répondit d'abord qu'à coup sûr je me trompais; que sa fille était un enfant, etc. Je ne pouvais pas lui dire tout ce que j'en savais; mais je citai des regards, des propos, dont ma vertu et mon amitié s'alarmaient . Je parlai enfin presque aussi bien qu'aurait pu faire une Dévote, et, pour frapper le coup décisif, j'allai jusqu'à dire que je croyais avoir vu donner et recevoir une Lettre. Cela me rappelle, ajoutai-je, qu'un jour elle ouvrit devant moi un tiroir de son secrétaire, dans lequel je vis beaucoup de papiers, que sans doute elle conserve. Lui connaissez-vous quelque correspondance fréquente? Ici la figure de Madame de Volanges changea, et je vis quelques larmes rouler dans ses yeux. Je vous remercie, ma digne amie, me dit-elle, en me serrant la main, je m'en éclaircirai. AprÚs cette conversation, trop courte pour ÃÂȘtre suspecte, je me rapprochai de la jeune personne. Je la quittai bientÎt aprÚs, pour demander à la mÚre de ne pas me compromettre vis-à -vis de sa fille, ce qu'elle me promit d'autant plus volontiers, que je lui fis observer combien il serait heureux que cet enfant prÃt assez de confiance en moi pour m'ouvrir son cÅ“ur et me mettre à portée de lui donner mes sages conseils. Ce qui m'assure qu'elle tiendra sa promesse, c'est que je ne doute pas qu'elle ne veuille se faire honneur de sa pénétration auprÚs de sa fille. Je me trouvais, par là , autorisée à garder mon ton d'amitié avec la petite, sans paraÃtre fausse aux yeux de Madame de Volanges; ce que je voulais éviter. J'y gagnais encore d'ÃÂȘtre, par la suite, aussi longtemps et aussi secrÚtement que je voudrais, avec la jeune personne, sans que la mÚre en prÃt jamais d'ombrage. J'en profitai dÚs le soir mÃÂȘme; et aprÚs ma partie finie, je chambrai la petite dans un coin, et la mis sur le chapitre de Danceny, sur lequel elle ne tarit jamais. Je m'amusais à lui monter la tÃÂȘte sur le plaisir qu'elle aurait à le voir le lendemain; il n'est sorte de folies que je ne lui aie fait dire. Il fallait bien lui rendre en espérance ce que je lui Îtais en réalité; et puis, tout cela devait lui rendre le coup plus sensible, et je suis persuadée que plus elle aura souffert, plus elle sera pressée de s'en dédommager à la premiÚre occasion. Il est bon, d'ailleurs, d'accoutumer aux grands événements quelqu'un qu'on destine aux grandes aventures. AprÚs tout, ne peut-elle pas payer de quelques larmes le plaisir d'avoir son Danceny? elle en raffole! eh bien, je lui promets qu'elle l'aura, et plus tÎt mÃÂȘme qu'elle ne l'aurait eu sans cet orage. C'est un mauvais rÃÂȘve dont le réveil sera délicieux; et, à tout prendre, il me semble qu'elle me doit de la reconnaissance au fait, quand j'y aurais mis un peu de malice, il faut bien s'amuser Les sots sont ici-bas pour nos menus plaisirs. [Gresset. Le Méchant, Comédie] Je me retirai enfin, fort contente de moi. Ou Danceny, me disais-je, animé par les obstacles, va redoubler d'amour, et alors je le servirai de tout mon pouvoir; ou si ce n'est qu'un sot comme je suis tentée quelquefois de le croire, il sera désespéré, et se tiendra pour battu or, dans ce cas, au moins me serai-je vengée de lui, autant qu'il était en moi; chemin faisant j'aurai augmenté pour moi l'estime de la mÚre, l'amitié de la fille, et la confiance de toutes deux. Quant à Gercourt, premier objet de mes soins, je serais bien malheureuse ou bien maladroite, si, maÃtresse de l'esprit de sa femme, comme je le suis et vas l'ÃÂȘtre plus encore, je ne trouvais pas mille moyens d'en faire ce que je veux qu'il soit. Je me couchai dans ces douces idées aussi je dormis, et me réveillai fort tard. A mon réveil, je trouvai deux billets, un de la mÚre, et un de la fille; et je ne pus m'empÃÂȘcher de rire, en trouvant dans tous deux littéralement cette mÃÂȘme phrase C'est de vous seule que j'attends quelque consolation . N'est-il pas plaisant, en effet, de consoler pour et contre, et d'ÃÂȘtre le seul agent de deux intérÃÂȘts directement contraires? Me voilà comme la Divinité; recevant les vÅ“ux opposés des aveugles mortels, et ne changeant rien à mes décrets immuables. J'ai quitté pourtant ce rÎle auguste, pour prendre celui d'Ange consolateur; et j'ai été, suivant le précepte, visiter mes amis dans leur affliction. J'ai commencé par la mÚre; je l'ai trouvée d'une tristesse, qui déjà vous venge en partie des contrariétés qu'elle vous a fait éprouver de la part de votre belle Prude. Tout a réussi à merveille ma seule inquiétude était que Madame de Volanges ne profitùt de ce moment pour gagner la confiance de sa fille; ce qui eût été bien facile, en n'employant, avec elle, que le langage de la douceur et de l'amitié; et en donnant aux conseils de la raison, l'air et le ton de la tendresse indulgente. Par bonheur, elle s'est armée de sévérité; elle s'est enfin si mal conduite, que je n'ai eu qu'à applaudir. Il est vrai qu'elle a pensé rompre tous nos projets, par le parti qu'elle avait pris de faire rentrer sa fille au Couvent mais j'ai paré ce coup; et je l'ai engagée à en faire seulement la menace, dans le cas oÃÂč Danceny continuerait ses poursuites afin de les forcer tous deux à une circonspection que je crois nécessaire pour le succÚs. Ensuite j'ai été chez la fille. Vous ne sauriez croire combien la douleur l'embellit! Pour peu qu'elle prenne de coquetterie, je vous garantis qu'elle pleurera souvent pour cette fois, elle pleurait sans malice... Frappée de ce nouvel agrément que je ne lui connaissais pas, et que j'étais bien aise d'observer, je ne lui donnai d'abord que de ces consolations gauches, qui augmentent plus les peines qu'elles ne les soulagent; et, par ce moyen, je l'amenai au point d'ÃÂȘtre véritablement suffoquée. Elle ne pleurait plus, et je craignis un moment les convulsions. Je lui conseillai de se coucher, ce qu'elle accepta; je lui servis de Femme de chambre elle n'avait point fait de toilette, et bientÎt ses cheveux épars tombÚrent sur ses épaules et sur sa gorge entiÚrement découvertes; je l'embrassai; elle se laissa aller dans mes bras, et ses larmes recommencÚrent à couler sans effort. Dieu! qu'elle était belle! Ah! si Madeleine était ainsi, elle dut ÃÂȘtre bien plus dangereuse pénitente que pécheresse. Quand la belle désolée fut au lit, je me mis à la consoler de bonne foi. Je la rassurai d'abord sur la crainte du Couvent. Je fis naÃtre en elle l'espoir de voir Danceny en secret; et m'asseyant sur le lit " S'il était là " , lui dis-je; puis brodant sur ce thÚme, je la conduisis, de distraction en distraction, à ne plus se souvenir du tout qu'elle était affligée. Nous nous serions séparées parfaitement contentes l'une et l'autre, si elle n'avait voulu me charger d'une Lettre pour Danceny; ce que j'ai constamment refusé. En voici les raisons, que vous approuverez sans doute. D'abord, celle que c'était me compromettre vis-à -vis de Danceny; et si c'était la seule dont je pus me servir avec la petite, il y en avait beaucoup d'autres de vous à moi. Ne serait-ce pas risquer le fruit de mes travaux que de donner sitÎt à nos jeunes gens un moyen si facile d'adoucir leurs peines? Et puis, je ne serais pas fùchée de les obliger à mÃÂȘler quelques domestiques dans cette aventure; car enfin si elle se conduit à bien, comme je l'espÚre, il faudra qu'elle se sache immédiatement aprÚs le mariage; et il y a peu de moyens plus sûrs pour la répandre; ou, si par miracle ils ne parlaient pas, nous parlerions, nous, et il sera plus commode de mettre l'indiscrétion sur leur compte. Il faudra donc que vous donniez aujourd'hui cette idée à Danceny; et comme je ne suis pas sûre de la Femme de chambre de la petite Volanges, dont elle- mÃÂȘme paraÃt se défier, indiquez-lui la mienne, ma fidÚle Victoire. J'aurai soin que la démarche réussisse. Cette idée me plaÃt d'autant plus, que la confidence ne sera utile qu'à nous, et point à eux car je ne suis pas à la fin de mon récit. Pendant que je me défendais de me charger de la Lettre de la petite, je craignais à tout moment qu'elle ne me proposùt de la mettre à la Petite-Poste; ce que je n'aurais guÚre pu refuser. Heureusement, soit trouble, soit ignorance de sa part, ou encore qu'elle tÃnt moins à la Lettre qu'à la Réponse, qu'elle n'aurait pas pu avoir par ce moyen, elle ne m'en a point parlé mais pour éviter que cette idée ne lui vÃnt, ou au moins qu'elle ne pût s'en servir, j'ai pris mon parti sur-le-champ; et en rentrant chez la mÚre, je l'ai décidée à éloigner sa fille pour quelque temps, à la mener à la Campagne... Et oÃÂč? Le cÅ“ur ne vous bat pas de joie?... Chez votre tante, chez la vieille Rosemonde. Elle doit l'en prévenir aujourd'hui ainsi vous voilà autorisé à aller retrouver votre Dévote qui n'aura plus à vous objecter le scandale du tÃÂȘte-à -tÃÂȘte, et grùce à mes soins, Madame de Volanges réparera elle-mÃÂȘme le tort qu'elle vous a fait. Mais écoutez-moi, et ne vous occupez pas si vivement de vos affaires, que vous perdiez celle-ci de vue; songez qu'elle m'intéresse. Je veux que vous vous rendiez le correspondant et le conseil des deux jeunes gens. Apprenez donc ce voyage à Danceny, et offrez-lui vos services. Ne trouvez de difficulté qu'à faire parvenir entre les mains de la Belle votre Lettre de créance; et levez cet obstacle sur-le-champ, en lui indiquant la voie de ma Femme de chambre. Il n'y a point de doute qu'il n'accepte; et vous aurez pour prix de vos peines la confidence d'un cÅ“ur neuf, qui est toujours intéressante. La pauvre petite! comme elle rougira en vous remettant sa premiÚre Lettre! Au vrai, ce rÎle de confident, contre lequel il s'est établi des préjugés, me paraÃt un trÚs joli délassement, quand on est occupé d'ailleurs; et c'est le cas oÃÂč vous serez. C'est de vos soins que va dépendre le dénouement de cette intrigue. Jugez du moment oÃÂč il faudra réunir les Acteurs. La Campagne offre mille moyens; et Danceny à coup sûr, sera prÃÂȘt à s'y rendre à votre premier signal. Une nuit, un déguisement, une fenÃÂȘtre... que sais-je, moi? Mais enfin, si la petite fille en revient telle qu'elle y aura été, je m'en prendrai à vous. Si vous jugez qu'elle ait besoin de quelque encouragement de ma part, mandez-le-moi. Je crois lui avoir donné une assez bonne leçon sur le danger de garder des Lettres, pour oser lui écrire à présent; et je suis toujours dans le dessein d'en faire mon élÚve. Je crois avoir oublié de vous dire que ses soupçons au sujet de sa correspondance trahie s'étaient portés d'abord sur sa Femme de chambre, et que je les ai détournés sur le Confesseur. C'est faire d'une pierre deux coups. Adieu, Vicomte; voilà bien longtemps que je suis à vous écrire, et mon dÃner en a été retardé mais l'amour-propre et l'amitié dictaient ma Lettre, et tous deux sont bavards. Au reste, elle sera chez vous à trois heures, et c'est tout ce qu'il vous faut. Plaignez-vous de moi à présent, si vous l'osez; et allez revoir, si vous en ÃÂȘtes tenté, le bois du Comte de B***. Vous dites qu'il le garde pour le plaisir de ses amis! Cet homme est donc l'ami de tout le monde? Mais adieu, j'ai faim. De ..., ce 9 septembre 17** LETTRE LXIV LE CHEVALIER DANCENY A MADAME DE VOLANGES MINUTE JOINTE A LA LETTRE LXVI DU VICOMTE A LA MARQUISE. Sans chercher, Madame, à justifier ma conduite, et sans me plaindre de la vÎtre, je ne puis que m'affliger d'un événement qui fait le malheur de trois personnes, toutes trois dignes d'un sort plus heureux. Plus sensible encore au chagrin d'en ÃÂȘtre la cause qu'à celui d'en ÃÂȘtre victime, j'ai souvent essayé, depuis hier, d'avoir l'honneur de vous répondre sans pouvoir en trouver la force. J'ai cependant tant de choses à vous dire qu'il faut bien faire un effort sur soi-mÃÂȘme; et si cette Lettre a peu d'ordre et de suite, vous devez sentir assez combien ma situation est douloureuse, pour m'accorder quelque indulgence. Permettez-moi d'abord de réclamer contre la premiÚre phrase de votre Lettre. Je n'ai abusé, j'ose le dire, ni de votre confiance ni de l'innocence de Mademoiselle de Volanges; j'ai respecté l'une et l'autre dans mes actions. Elles seules dépendaient de moi; et quand vous me rendriez responsable d'un sentiment involontaire, je ne crains pas d'ajouter que celui que m'a inspiré Mademoiselle votre fille est tel qu'il peut vous déplaire, mais non vous offenser. Sur cet objet qui me touche plus que je ne puis vous dire, je ne veux que vous pour juge, et mes Lettres pour témoins. Vous me défendez de me présenter chez vous à l'avenir, et sans doute je me soumettrai à tout ce qu'il vous plaira d'ordonner à ce sujet mais cette absence subite et totale ne donnera-t-elle donc pas autant de prise aux remarques que vous voulez éviter, que l'ordre que, par cette raison mÃÂȘme, vous n'avez point voulu donner à votre porte? J'insisterai d'autant plus sur ce point, qu'il est bien plus important pour Mademoiselle de Volanges que pour moi. Je vous supplie donc de peser attentivement toutes choses, et de ne pas permettre que votre sévérité altÚre votre prudence. Persuadé que l'intérÃÂȘt seul de Mademoiselle votre fille dictera vos résolutions, j'attendrai de nouveaux ordres de votre part. Cependant, dans le cas oÃÂč vous me permettriez de vous faire ma cour quelquefois, je m'engage, Madame et vous pouvez compter sur ma promesse, à ne point abuser de ces occasions pour tenter de parler en particulier à Mademoiselle de Volanges, ou de lui faire tenir aucune Lettre. La crainte de ce qui pourrait compromettre sa réputation m'engage à ce sacrifice; et le bonheur de la voir quelquefois m'en dédommagera. Cet article de ma Lettre est aussi la seule réponse que je puisse faire à ce que vous me dites sur le sort que vous destinez à Mademoiselle de Volanges, et que vous voulez rendre dépendant de ma conduite. Ce serait vous tromper que de vous promettre davantage. Un vil séducteur peut plier ses projets aux circonstances, et calculer avec les événements mais l'Amour qui m'anime ne me permet que deux sentiments le courage et la constance. Qui, moi! consentir à ÃÂȘtre oublié de Mademoiselle de Volanges, à l'oublier moi-mÃÂȘme? non, non jamais! Je lui serai fidÚle; elle en a reçu le serment, et je le renouvelle en ce jour. Pardon, Madame, je m'égare, il faut revenir. Il me reste un autre objet à traiter avec vous, celui des Lettres que vous me demandez. Je suis vraiment peiné d'ajouter un refus aux torts que vous me trouvez déjà mais, je vous en supplie, écoutez mes raisons, et daignez vous souvenir, pour les apprécier, que la seule consolation au malheur d'avoir perdu votre amitié est l'espoir de conserver votre estime. Les Lettres de Mademoiselle de Volanges, toujours si précieuses pour moi, me le deviennent bien plus dans ce moment. Elles sont l'unique bien qui me reste; elles seules me retracent encore un sentiment qui fait tout le charme de ma vie. Cependant, vous pouvez m'en croire, je ne balancerais pas un instant à vous en faire le sacrifice, et le regret d'en ÃÂȘtre privé céderait au désir de vous prouver ma déférence respectueuse; mais des considérations puissantes me retiennent, et je m'assure que vous-mÃÂȘme ne pourrez les blùmer. Vous avez, il est vrai, le secret de Mademoiselle de Volanges; mais permettez- moi de le dire, je suis autorisé à croire que c'est l'effet de la surprise, et non de la confiance. Je ne prétends pas blùmer une démarche qu'autorise, peut-ÃÂȘtre, la sollicitude maternelle. Je respecte vos droits, mais ils ne vont pas jusqu'à me dispenser de mes devoirs. Le plus sacré de tous est de ne jamais trahir la confiance qu'on nous accorde. Ce serait y manquer, que d'exposer aux yeux d'un autre les secrets d'un cÅ“ur qui n'a voulu les dévoiler qu'aux miens. Si Mademoiselle votre fille consent à vous les confier, qu'elle parle; ses Lettres vous sont inutiles. Si elle veut, au contraire, renfermer son secret en elle- mÃÂȘme, vous n'attendez pas, sans doute, que ce soit moi qui vous en instruise. Quant au mystÚre dans lequel vous désirez que cet événement reste enseveli, soyez tranquille, Madame; sur tout ce qui intéresse Mademoiselle de Volanges, je peux défier le cÅ“ur mÃÂȘme d'une mÚre. Pour achever de vous Îter toute inquiétude, j'ai tout prévu. Ce dépÎt précieux, qui portait jusqu'ici pour suscription papiers à brûler porte à présent papiers appartenant à Madame de Volanges . Ce parti que je prends doit vous prouver ainsi que mes refus ne portent pas sur la crainte que vous trouviez dans ces lettres un seul sentiment dont vous ayez personnellement à vous plaindre. Voilà , Madame, une bien longue Lettre. Elle ne le serait pas encore assez, si elle vous laissait le moindre doute de l'honnÃÂȘteté de mes sentiments, du regret bien sincÚre de vous avoir déplu, et du profond respect avec lequel j'ai l'honneur d'ÃÂȘtre, etc. De ..., ce 9 septembre17** LETTRE LXV LE CHEVALIER DANCENY A CECILE VOLANGES ENVOYEE OUVERTE A LA MARQUISE DE MERTEUIL DANS LA LETTRE LXVI DU VICOMTE. Ô ma Cécile, qu'allons-nous devenir? quel Dieu nous sauvera des malheurs qui nous menacent? Que l'Amour nous donne au moins le courage de les supporter! Comment vous peindre mon étonnement, mon désespoir à la vue de mes Lettres, à la lecture du billet de Madame de Volanges? qui a pu nous trahir? sur qui tombent vos soupçons? auriez-vous commis quelque imprudence? que faites-vous à présent? que vous a-t-on dit? Je voudrais tout savoir, et j'ignore tout. Peut-ÃÂȘtre vous-mÃÂȘme n'ÃÂȘtes-vous pas plus instruite que moi. Je vous envoie le billet de votre maman, et la copie de ma Réponse. J'espÚre que vous approuverez ce que je lui dis. J'ai bien besoin que vous approuviez aussi les démarches que j'ai faites depuis ce fatal événement, elles ont toutes pour but d'avoir de vos nouvelles, de vous donner des miennes; et, que sait- on? peut-ÃÂȘtre de vous revoir encore, et plus librement que jamais. Concevez-vous, ma Cécile, quel plaisir de nous retrouver ensemble, de pouvoir nous jurer de nouveau un amour éternel, et de voir dans nos yeux, de sentir dans nos ùmes que ce serment ne sera pas trompeur? Quelles peines un moment si doux ne ferait-il pas oublier? Hé bien! j'ai l'espoir de le voir naÃtre, et je le dois à ces mÃÂȘmes démarches que je vous supplie d'approuver. Que dis-je? je le dois aux soins consolateurs de l'ami le plus tendre; et mon unique demande est que vous permettiez que cet ami soit aussi le vÎtre. Peut-ÃÂȘtre ne devais-je pas donner votre confiance sans votre aveu? mais j'ai pour excuse le malheur et la nécessité. C'est l'amour qui m'a conduit; c'est lui qui réclame votre indulgence, qui vous demande de pardonner une confidence nécessaire, et sans laquelle nous restions peut-ÃÂȘtre à jamais séparés [M. Danceny n'accuse pas vrai. Il avait déjà fait sa confidence à M. de Valmont avant cet événement. Voyez la Lettre LVII]. Vous connaissez l'ami dont je vous parle; il est celui de la femme que vous aimez le mieux. C'est le Vicomte de Valmont. Mon projet, en m'adressant à lui, était d'abord de le prier d'engager Madame de Merteuil à se charger d'une Lettre pour vous. Il n'a pas cru que ce moyen pût réussir; mais au défaut de la MaÃtresse, il répond de la Femme de chambre, qui lui a des obligations. Ce sera elle qui vous remettra cette Lettre, et vous pourrez lui donner votre Réponse. Ce secours ne nous sera guÚre utile, si, comme le croit M. de Valmont, vous partez incessamment pour la campagne. Mais alors c'est lui-mÃÂȘme qui veut nous servir. La femme chez qui vous allez est sa parente. Il profitera de ce prétexte pour s'y rendre dans le mÃÂȘme temps que vous; et ce sera par lui que passera notre correspondance mutuelle. Il assure mÃÂȘme que, si vous voulez vous laisser conduire, il nous procurera les moyens de nous y voir sans risquer de vous compromettre en rien. A présent, ma Cécile, si vous m'aimez, si vous plaignez mon malheur, si, comme je l'espÚre, vous partagez mes regrets, refuserez-vous votre confiance à un homme qui sera notre ange tutélaire? Sans lui, je serais réduit au désespoir de ne pouvoir mÃÂȘme adoucir les chagrins que je vous cause. Ils finiront, je l'espÚre mais, ma tendre amie, promettez-moi de ne pas trop vous y livrer, de ne point vous en laisser abattre. L'idée de votre douleur m'est un tourment insupportable. Je donnerais ma vie pour vous rendre heureuse! Vous le savez bien. Puisse la certitude d'ÃÂȘtre adorée porter quelque consolation dans votre ùme! La mienne a besoin que vous m'assuriez que vous pardonnez à l'amour les maux qu'il vous fait souffrir. Adieu, ma Cécile, adieu, ma tendre amie. De ..., ce 9 septembre 17** LETTRE LXVI LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Vous verrez, ma belle amie, en lisant les deux Lettres ci-jointes, si j'ai bien rempli votre projet. Quoique toutes deux soient datées d'aujourd'hui, elles ont été écrites hier, chez moi, et sous mes yeux celle à la petite fille dit tout ce que nous voulions. On ne peut que s'humilier devant la profondeur de vos vues, si on en juge par le succÚs de vos démarches. Danceny est tout de feu; et sûrement à la premiÚre occasion, vous n'aurez plus de reproches à lui faire. Si sa belle ingénue veut ÃÂȘtre docile, tout sera terminé peu de temps aprÚs son arrivée à la campagne; j'ai cent moyens tout prÃÂȘts. Grùce à vos soins me voilà bien décidément l'ami de Danceny ; il ne lui manque plus que d'ÃÂȘtre Prince [Expression relative à un passage d'un PoÚme de M. de Voltaire]. Il est encore bien jeune, ce Danceny! croiriez-vous que je n'ai jamais pu obtenir de lui qu'il promÃt à la mÚre de renoncer à son amour; comme s'il était bien gÃÂȘnant de promettre, quand on est décidé à ne pas tenir! Ce serait tromper, me répétait-il sans cesse ce scrupule n'est-il pas édifiant, surtout en voulant séduire la fille? Voilà bien les hommes! tous également scélérats dans leurs projets, ce qu'ils mettent de faiblesse dans l'exécution, ils l'appellent probité. C'est votre affaire d'empÃÂȘcher que Madame de Volanges ne s'effarouche des petites échappées que notre jeune homme s'est permises dans sa Lettre; préservez-nous du Couvent; tùchez aussi de faire abandonner la demande des Lettres de la petite. D'abord il ne les rendra point, il ne le veut pas, et je suis de son avis; ici l'amour et la raison sont d'accord. Je les ai lues ces Lettres, j'en ai dévoré l'ennui. Elles peuvent devenir utiles. Je m'explique. Malgré la prudence que nous y mettrons, il peut arriver un éclat; il ferait manquer le mariage, n'est-il pas vrai, et échouer tous nos projets Gercourt? Mais comme, pour mon compte, j'ai aussi à me venger de la mÚre, je me réserve en ce cas de déshonorer la fille. En choisissant bien dans cette correspondance, et n'en produisant qu'une partie, la petite Volanges paraÃtrait avoir fait toutes les premiÚres démarches, et s'ÃÂȘtre absolument jetée à la tÃÂȘte. Quelques-unes des Lettres pourraient mÃÂȘme compromettre la mÚre, et l'entacheraient au moins d'une négligence impardonnable. Je sens bien que le scrupuleux Danceny se révolterait d'abord; mais comme il serait personnellement attaqué, je crois qu'on en viendrait à bout. Il y a mille à parier contre un que la chance ne tournera pas ainsi; mais il faut tout prévoir. Adieu, ma belle amie; vous seriez bien aimable de venir souper demain chez la Maréchale de ***; je n'ai pas pu refuser. J'imagine que je n'ai pas besoin de vous recommander le secret, vis-à -vis de Madame de Volanges, sur mon projet de Campagne; elle aurait bientÎt celui de rester à la Ville au lieu qu'une fois arrivée, elle ne repartira pas le lendemain; et si elle nous donne seulement huit jours, je réponds de tout. De ..., ce 9 septembre 17** LETTRE LXVII LA PRESIDENTE DE TOURVEL AU VICOMTE DE VALMONT Je ne voulais plus vous répondre, Monsieur, et peut-ÃÂȘtre l'embarras que j'éprouve en ce moment est-il lui-mÃÂȘme une preuve qu'en effet je ne le devrais pas. Cependant je ne veux vous laisser aucun sujet de plainte contre moi; je veux vous convaincre que j'ai fait pour vous tout ce que je pouvais faire. Je vous ai permis de m'écrire, dites-vous? j'en conviens; mais quand vous me rappelez cette permission, croyez-vous que j'oublie à quelles conditions elle vous fut donnée? Si j'y eusse été aussi fidÚle que vous l'avez été peu, auriez- vous reçu une seule réponse de moi? Voilà pourtant la troisiÚme; et quand vous faites tout ce qu'il faut pour m'obliger à rompre cette correspondance, c'est moi qui m'occupe des moyens de l'entretenir. Il en est un, mais c'est le seul; et si vous refusez de le prendre, ce sera, quoi que vous puissiez dire, me prouver assez combien peu vous y mettez de prix. Quittez donc un langage que je ne puis ni ne veux entendre; renoncez à un sentiment qui m'offense et m'effraie, et auquel, peut-ÃÂȘtre, vous devriez ÃÂȘtre moins attaché en songeant qu'il est l'obstacle qui nous sépare. Ce sentiment est-il donc le seul que vous puissiez connaÃtre, et l'amour aura-t-il ce tort de plus à mes yeux, d'exclure l'amitié? vous-mÃÂȘme, auriez-vous celui de ne pas vouloir pour votre amie celle en qui vous avez désiré des sentiments plus tendres? Je ne veux pas le croire cette idée humiliante me révolterait, m'éloignerait de vous sans retour. En vous offrant mon amitié, Monsieur, je vous donne tout ce qui est à moi, tout ce dont je puis disposer. Que pouvez-vous désirer davantage? Pour me livrer à ce sentiment si doux, si bien fait pour mon cÅ“ur, je n'attends que votre aveu; et la parole que j'exige de vous, que cette amitié suffira à votre bonheur. J'oublierai tout ce qu'on a pu me dire; je me reposerai sur vous du soin de justifier mon choix. Vous voyez ma franchise, elle doit vous prouver ma confiance; il ne tiendra qu'à vous de l'augmenter encore mais je vous préviens que le premier mot d'amour la détruit à jamais, et me rend toutes mes craintes; que surtout il deviendra pour moi le signal d'un silence éternel vis-à -vis de vous. Si, comme vous le dites, vous ÃÂȘtes revenu de vos erreurs , n'aimerez-vous pas mieux ÃÂȘtre l'objet de l'amitié d'une femme honnÃÂȘte, que celui des remords d'une femme coupable? Adieu, Monsieur; vous sentez qu'aprÚs avoir parlé ainsi je ne puis plus rien dire que vous ne m'ayez répondu. De ..., ce 9 septembre 17** LETTRE LXVIII LE VICOMTE DE VALMONT A LA PRESIDENTE DE TOURVEL Comment répondre, Madame, à votre derniÚre Lettre? Comment oser ÃÂȘtre vrai, quand ma sincérité peut me perdre auprÚs de vous? N'importe, il le faut; j'en aurai le courage. Je me dis, je me répÚte, qu'il vaut mieux vous mériter que vous obtenir; et dussiez-vous me refuser toujours un bonheur que je désirerai sans cesse, il faut vous prouver au moins que mon cÅ“ur en est digne. Quel dommage que, comme vous le dites, je sois revenu de mes erreurs ! avec quels transports de joie j'aurais lu cette mÃÂȘme Lettre à laquelle je tremble de répondre aujourd'hui! Vous m'y parlez avec franchise , vous me témoignez de la confiance , vous m'offrez enfin votre amitié que de biens, Madame, et quels regrets de ne pouvoir en profiter! Pourquoi ne suis-je plus le mÃÂȘme? Si je l'étais en effet; si je n'avais pour vous qu'un goût ordinaire, que ce goût léger, enfant de la séduction et du plaisir, qu'aujourd'hui pourtant on nomme amour, je me hùterais de tirer avantage de tout ce que je pourrais obtenir. Peu délicat sur les moyens, pourvu qu'ils me procurassent le succÚs, j'encouragerais votre franchise par le besoin de vous deviner; je désirerais votre confiance, dans le dessein de la trahir; j'accepterais votre amitié dans l'espoir de l'égarer. Quoi! Madame, ce tableau vous effraie? hé bien! il serait pourtant tracé d'aprÚs moi, si je vous disais que je consens à n'ÃÂȘtre que votre ami. Qui, moi! je consentirais à partager avec quelqu'un un sentiment émané de votre ùme? Si jamais je vous le dis, ne me croyez plus. De ce moment je chercherai à vous tromper; je pourrai vous désirer encore, mais à coup sûr je ne vous aimerai plus. Ce n'est pas que l'aimable franchise, la douce confiance, la sensible amitié, soient sans prix à mes yeux... Mais l'amour! l'amour véritable, et tel que vous l'inspirez, en réunissant tous ces sentiments, en leur donnant plus d'énergie, ne saurait se prÃÂȘter, comme eux, à cette tranquillité, à cette froideur de l'ùme, qui permet des comparaisons, qui souffre mÃÂȘme des préférences. Non, Madame, je ne serai point votre ami; je vous aimerai de l'amour le plus tendre, et mÃÂȘme le plus ardent, quoique le plus respectueux. Vous pourrez le désespérer, mais non l'anéantir. De quel droit prétendez-vous disposer d'un cÅ“ur dont vous refusez l'hommage? Par quel raffinement de cruauté, m'enviez-vous jusqu'au bonheur de vous aimer? Celui-là est à moi, il est indépendant de vous; je saurai le défendre. S'il est la source de mes maux, il en est aussi le remÚde. Non, encore une fois, non. Persistez dans vos refus cruels; mais laissez-moi mon amour. Vous vous plaisez à me rendre malheureux! eh bien! soit; essayez de lasser mon courage, je saurai vous forcer au moins à décider de mon sort; et peut-ÃÂȘtre, quelque jour, vous me rendrez plus de justice. Ce n'est pas que j'espÚre vous rendre jamais sensible mais sans ÃÂȘtre persuadée, vous serez convaincue, vous vous direz Je l'avais mal jugé. Disons mieux, c'est à vous que vous faites injustice. Vous connaÃtre sans vous aimer, vous aimer sans ÃÂȘtre constant, sont tous deux également impossibles; et malgré la modestie qui vous pare, il doit vous ÃÂȘtre plus facile de vous plaindre, que de vous étonner de sentiments que vous faites naÃtre. Pour moi, dont le seul mérite est d'avoir su vous apprécier, je ne veux pas le perdre; et loin de consentir à vos offres insidieuses, je renouvelle à vos pieds le serment de vous aimer toujours. De ..., ce 10 septembre 17** LETTRE LXIX CECILE VOLANGES AU CHEVALIER DANCENY BILLET ECRIT AU CRAYON, ET RECOPIE PAR DANCENY. Vous me demandez ce que je fais; je vous aime, et je pleure. Ma mÚre ne me parle plus; elle m'a Îté papier, plumes et encre; je me sers d'un crayon, qui par bonheur m'est resté, et je vous écris sur un morceau de votre Lettre. Il faut bien que j'approuve tout ce que vous avez fait; je vous aime trop pour ne pas prendre tous les moyens d'avoir de vos nouvelles et de vous donner des miennes. Je n'aimais pas M. de Valmont, et je ne le croyais pas tant votre ami; je tùcherai de m'accoutumer à lui, et je l'aimerai à cause de vous. Je ne sais pas qui est-ce qui nous a trahis; ce ne peut ÃÂȘtre que ma Femme de chambre ou mon Confesseur. Je suis bien malheureuse nous partons demain pour la campagne; j'ignore pour combien de temps. Mon Dieu! ne plus vous voir! Je n'ai plus de place. Adieu; tùchez de me lire. Ces mots tracés au crayons effaceront peut-ÃÂȘtre, mais jamais les sentiments gravés dans mon cÅ“ur. De ..., ce 10 septembre 17** LETTRE LXX LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL J'ai un avis important à vous donner, ma chÚre amie. Je soupai hier, comme vous savez, chez la Maréchale de ***, on y parla de vous, et j'en dis, non pas tout le bien que j'en pense, mais tout celui que je n'en pense pas. Tout le monde paraissait ÃÂȘtre de mon avis, et la conversation languissait, comme il arrive toujours, quand on ne dit que du bien de son prochain, lorsqu'il s'éleva un contradicteur c'était Prévan. " A Dieu ne plaise, dit-il en se levant, que je doute de la sagesse de Madame de Merteuil! mais j'oserais croire qu'elle la doit plus à sa légÚreté qu'à ses principes. Il est peut-ÃÂȘtre plus difficile de la suivre que de lui plaire; et comme on ne manque guÚre, en courant aprÚs une femme, d'en rencontrer d'autres sur son chemin, comme, à tout prendre, ces autres-là peuvent valoir autant et plus qu'elle; les uns sont distraits par un goût nouveau, les autres s'arrÃÂȘtent de lassitude; et c'est peut-ÃÂȘtre la femme de Paris qui a eu le moins à se défendre. Pour moi, ajouta-t-il encouragé par le sourire de quelques femmes, je ne croirai à la vertu de Madame de Merteuil, qu'aprÚs avoir crevé six chevaux à lui faire ma cour. " Cette mauvaise plaisanterie réussit, comme toutes celles qui tiennent à la médisance; et pendant le rire qu'elle excitait, Prévan reprit sa place, et la conversation générale changea. Mais les deux Comtesses de P. , auprÚs de qui était notre incrédule, en firent avec lui leur conversation particuliÚre, qu'heureusement je me trouvais à portée d'entendre. Le défi de vous rendre sensible a été accepté; la parole de tout dire a été donnée; et de toutes celles qui se donneraient dans cette aventure, ce serait sûrement la plus religieusement gardée. Mais vous voilà bien avertie, et vous savez le proverbe. Il me reste à vous dire que ce Prévan, que vous ne connaissez pas, est infiniment aimable, et encore plus adroit. Que si quelquefois vous m'avez entendu dire le contraire, c'est seulement que je ne l'aime pas, que je me plais à contrarier ses succÚs et que je n'ignore pas de quel poids est mon suffrage auprÚs d'une trentaine de nos femmes les plus à la mode. En effet, je l'ai empÃÂȘché longtemps, par ce moyen, de paraÃtre sur ce que nous appelons le grand théùtre; et il faisait des prodiges, sans en avoir plus de réputation. Mais l'éclat de sa triple aventure, en fixant les yeux sur lui, lui a donné cette confiance qui lui manquait jusque-là , et l'a rendu vraiment redoutable. C'est enfin aujourd'hui le seul homme, peut-ÃÂȘtre, que je craindrais de rencontrer sur mon chemin; et votre intérÃÂȘt à part, vous me rendrez un vrai service de lui donner quelque ridicule chemin faisant. Je le laisse en bonnes mains; et j'ai l'espoir qu'à mon retour, ce sera un homme noyé. Je vous promets, en revanche, de mener à bien l'aventure de votre pupille, et de m'occuper d'elle autant que de ma belle Prude. Celle-ci vient de m'envoyer un projet de capitulation. Toute sa Lettre annonce le désir d'ÃÂȘtre trompée. Il est impossible d'en offrir un moyen plus commode et aussi plus usé. Elle veut que je sois son ami . Mais moi, qui aime les méthodes nouvelles et difficiles, je ne prétends pas l'en tenir quitte à si bon marché; et assurément je n'aurai pas pris tant de peine auprÚs d'elle, pour terminer par une séduction ordinaire. Mon projet, au contraire, est qu'elle sente, qu'elle sente bien la valeur et l'étendue de chacun des sacrifices qu'elle me fera; de ne pas la conduire si vite que le remords ne puisse la suivre; de faire expirer sa vertu dans une lente agonie; de la fixer sans cesse sur ce désolant spectacle; et de ne lui accorder le bonheur de m'avoir dans ses bras, qu'aprÚs l'avoir forcée à n'en plus dissimuler le désir. Au fait, je vaux bien peu, si je ne vaux pas la peine d'ÃÂȘtre demandé. Et puis-je me venger moins d'une femme hautaine, qui semble rougir d'avouer qu'elle adore? J'ai donc refusé la précieuse amitié, et m'en suis tenu à mon titre d'Amant. Comme je ne me dissimule point que ce titre, qui ne paraÃt d'abord qu'une dispute de mots, est pourtant d'une importance réelle à obtenir, j'ai mis beaucoup de soin à ma Lettre, et j'ai tùché d'y répandre ce désordre, qui peut seul peindre le sentiment. J'ai enfin déraisonné le plus qu'il m'a été possible car sans déraisonnement, point de tendresse; et c'est, je crois, par cette raison que les femmes nous sont si supérieures dans les Lettres d'Amour. J'ai fini la mienne par une cajolerie, et c'est encore une suite de mes profondes observations. AprÚs que le cÅ“ur d'une femme a été exercé quelque temps, il a besoin de repos; et j'ai remarqué qu'une cajolerie était, pour toutes, l'oreiller le plus doux à leur offrir. Adieu, ma belle amie. Je pars demain. Si vous avez des ordres à me donner pour la Comtesse de ***, je m'arrÃÂȘterai chez elle, au moins pour dÃner. Je suis fùché de partir sans vous voir. Faites-moi passer vos sublimes instructions, et aidez-moi de vos sages conseils, dans ce moment décisif. Surtout, défendez-vous de Prévan; et puissé-je un jour vous dédommager de ce sacrifice! Adieu. De ..., ce 11 septembre 17** LETTRE LXXI LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Mon étourdi de Chasseur n'a-t-il pas laissé mon portefeuille à Paris! Les lettres de ma Belle, celles de Danceny pour la petite Volanges, tout est resté, et j'ai besoin de tout. Il va partir pour réparer sa sottise; et tandis qu'il selle son cheval, je vous raconterai mon histoire de cette nuit car je vous prie de croire que je ne perds pas mon temps. L'aventure, par elle-mÃÂȘme, est bien peu de chose; ce n'est qu'un réchauffé avec la Vicomtesse de M... Mais elle m'a intéressé par les détails. Je suis bien aise d'ailleurs de vous faire voir que si j'ai le talent de perdre les femmes, je n'ai pas moins, quand je veux, celui de les sauver. Le parti le plus difficile, ou le plus gai, est toujours celui que je prends; et je ne me reproche pas une bonne action, pourvu qu'elle m'exerce ou m'amuse. J'ai donc trouvé la Vicomtesse ici, et comme elle joignait ses instances aux persécutions qu'on me faisait pour passer la nuit au chùteau " Eh bien! j'y consens, lui dis-je, à condition que je la passerai avec vous. " - " Cela m'est impossible, me répondit-elle, Vressac est ici. " Jusque-là je n'avais cru que lui dire une honnÃÂȘteté mais ce mot d'impossible, me révolta comme de coutume. Je me sentis humilié d'ÃÂȘtre sacrifié à Vressac, et je résolus de ne le pas souffrir j'insistai donc. Les circonstances ne m'étaient pas favorables. Ce Vressac a eu la gaucherie de donner de l'ombrage au Vicomte; en sorte que la Vicomtesse ne peut plus le recevoir chez elle et ce voyage chez la bonne Comtesse avait été concerté entre eux, pour tùcher d'y dérober quelques nuits. Le Vicomte avait mÃÂȘme d'abord montré de l'humeur d'y rencontrer Vressac; mais comme il est encore plus Chasseur que jaloux, il n'en est pas moins resté et la Comtesse, toujours telle que vous la connaissez, aprÚs avoir logé la femme dans le grand corridor, a mis le mari d'un cÎté et l'Amant de l'autre, et les a laissés s'arranger entre eux. Le mauvais destin de tous deux a voulu que je fusse logé vis-à -vis. Ce jour-là mÃÂȘme, c'est-à -dire hier, Vressac, qui, comme vous pouvez croire, cajole le Vicomte, chassait avec lui, malgré son peu de goût pour la chasse, et comptait bien se consoler la nuit, entre les bras de la femme, de l'ennui que le mari lui causait tout le jour mais moi, je jugeai qu'il aurait besoin de repos, et je m'occupai des moyens de décider sa MaÃtresse à lui laisser le temps d'en prendre. Je réussis, et j'obtins qu'elle lui ferait une querelle de cette mÃÂȘme partie de chasse, à laquelle, bien évidemment, il n'avait consenti que pour elle. On ne pouvait prendre un plus mauvais prétexte mais nulle femme n'a mieux que la Vicomtesse ce talent, commun à toutes, de mettre l'humeur à la place de la raison, et de n'ÃÂȘtre jamais si difficile à apaiser que quand elle a tort. Le moment d'ailleurs n'était pas commode pour les explications; et ne voulant qu'une nuit, je consentais qu'ils se raccommodassent le lendemain. Vressac fut donc boudé à son retour. Il voulut en demander la cause, on le querella. Il essaya de se justifier; le mari qui était présent, servit de prétexte pour rompre la conversation; il tenta enfin de profiter d'un moment oÃÂč le mari était absent, pour demander qu'on voulût bien l'entendre le soir ce fut alors que la Vicomtesse devint sublime. Elle s'indigna contre l'audace des hommes qui, parce qu'ils ont éprouvé les bontés d'une femme, croient avoir le droit d'en abuser encore, mÃÂȘme alors qu'elle a à se plaindre d'eux; et ayant changé de thÚse par cette adresse, elle parla si bien délicatesse et sentiment, que Vressac resta muet et confus; et que moi-mÃÂȘme je fus tenté de croire qu'elle avait raison car vous saurez que comme ami de tous deux, j'étais en tiers dans cette conversation. Enfin, elle déclara positivement qu'elle n'ajouterait pas les fatigues de l'amour à celles de la chasse, et qu'elle se reprocherait de troubler d'aussi doux plaisirs. Le mari rentra. Le désolé Vressac, qui n'avait plus la liberté de répondre, s'adressa à moi; et aprÚs m'avoir fort longuement conté ses raisons, que je savais aussi bien que lui, il me pria de parler à la Vicomtesse, et je le lui promis. Je lui parlai en effet; mais ce fut pour la remercier, et convenir avec elle de l'heure et des moyens de notre rendez-vous. Elle me dit que logée entre son mari et son Amant elle avait trouvé plus prudent d'aller chez Vressac, que de le recevoir dans son appartement; et que, puisque je logeais vis-à -vis d'elle, elle croyait plus sûr aussi de venir chez moi; qu'elle s'y rendrait aussitÎt que sa Femme de chambre l'aurait laissée seule; que je n'avais qu'à tenir ma porte entrouverte, et l'attendre. Tout s'exécuta comme nous en étions convenus; et elle arriva chez moi vers une heure du matin ... dans le simple appareil D'une beauté qu'on vient d'arracher au sommeil [Racine. Tragédie de Britannicus]. Comme je n'ai point de vanité, je ne m'arrÃÂȘte pas aux détails de la nuit mais vous me connaissez, et j'ai été content de moi. Au point du jour, il a fallu se séparer. C'est ici que l'intérÃÂȘt commence. L'étourdie avait cru laisser sa porte entrouverte, nous la trouvùmes fermée, et la clef était restée en dedans vous n'avez pas d'idée de l'expression de désespoir avec laquelle la Vicomtesse me dit aussitÎt " Ah! je suis perdue. " Il faut convenir qu'il eût été plaisant de la laisser dans cette situation mais pouvais-je souffrir qu'une femme fût perdue pour moi, sans l'ÃÂȘtre par moi? Et devais-je, comme le commun des hommes, me laisser maÃtriser par les circonstances? Il fallait donc trouver un moyen. Qu'eussiez-vous fait, ma belle amie? Voici ma conduite, et elle a réussi. J'eus bientÎt reconnu que la porte en question pouvait s'enfoncer, en se permettant de faire beaucoup de bruit. J'obtins donc de la Vicomtesse, non sans peine, qu'elle jetterait des cris perçants et d'effroi, comme au voleur, à l'assassin, etc. Et nous convÃnmes qu'au premier cri, j'enfoncerais la porte, et qu'elle courrait à son lit. Vous ne sauriez croire combien il fallut de temps pour la décider, mÃÂȘme aprÚs qu'elle eut consenti. Il fallut pourtant finir par là , et au premier coup de pied la porte céda. La Vicomtesse fit bien de ne pas perdre de temps; car au mÃÂȘme instant, le Vicomte et Vressac furent dans le corridor; et la Femme de chambre accourut aussi à la chambre de sa MaÃtresse. J'étais seul de sang-froid, et j'en profitai pour aller éteindre une veilleuse qui brûlait encore et la renverser par terre; car jugez combien il eût été ridicule de feindre cette terreur panique, en ayant de la lumiÚre dans sa chambre. Je querellai ensuite le mari et l'Amant sur leur sommeil léthargique, en les assurant que les cris auxquels j'étais accouru, et mes efforts pour enfoncer la porte, avaient duré au moins cinq minutes. La Vicomtesse qui avait retrouvé son courage dans son lit, me seconda assez bien, et jura ses grands Dieux qu'il y avait un voleur dans son appartement; elle protesta avec plus de sincérité que de la vie elle n'avait eu tant de peur. Nous cherchions partout et nous ne trouvions rien, lorsque je fis apercevoir la veilleuse renversée, et conclus que, sans doute, un rat avait causé le dommage et la frayeur; mon avis passa tout d'une voix, et aprÚs quelques plaisanteries rebattues sur les rats, le Vicomte s'en alla le premier regagner sa chambre et son lit, en priant sa femme d'avoir à l'avenir des rats plus tranquilles. Vressac, resté seul avec nous, s'approcha de la Vicomtesse pour lui dire tendrement que c'était une vengeance de l'Amour; à quoi elle répondit en me regardant " Il était donc bien en colÚre, car il s'est beaucoup vengé, mais, ajouta-t-elle, je suis rendue de fatigue et je veux dormir. " J'étais dans un moment de bonté; en conséquence, avant de nous séparer, je plaidai la cause de Vressac, et j'amenai le raccommodement. Les deux Amants s'embrassÚrent, et je fus, à mon tour, embrassé par tous deux. Je ne me souciais plus des baisers de la Vicomtesse mais j'avoue que celui de Vressac me fit plaisir. Nous sortÃmes ensemble; et aprÚs avoir reçu ses longs remerciements, nous allùmes chacun nous remettre au lit. Si vous trouvez cette histoire plaisante, je ne vous en demande pas le secret. A présent que je m'en suis amusé, il est juste que le Public ait son tour. Pour le moment, je ne parle que de l'histoire, peut-ÃÂȘtre bientÎt en dirons-nous autant de l'héroïne? Adieu, il y a une heure que mon Chasseur attend; je ne prends plus que le moment de vous embrasser, et de vous recommander surtout de vous garder de Prévan. Du Chùteau de ..., ce 13 septembre 17** LETTRE LXXII LE CHEVALIER DANCENY A CECILE VOLANGES REMISE SEULEMENT LE 14. Ô ma Cécile! que j'envie le sort de Valmont! demain il vous verra. C'est lui qui vous remettra cette Lettre; et moi, languissant loin de vous, je traÃnerai ma pénible existence entre les regrets et le malheur. Mon amie, ma tendre amie, plaignez-moi de mes maux; surtout plaignez-moi des vÎtres; c'est contre eux que le courage m'abandonne. Qu'il m'est affreux de causer votre malheur! sans moi, vous seriez heureuse et tranquille. Me pardonnez-vous? dites! ah! dites que vous me pardonnez; dites-moi aussi que vous m'aimez, que vous m'aimerez toujours. J'ai besoin que vous me le répétiez. Ce n'est pas que j'en doute mais il me semble que plus on en est sûr, et plus il est doux de se l'entendre dire. Vous m'aimez, n'est-ce pas? oui, vous m'aimez de toute votre ùme. Je n'oublie pas que c'est la derniÚre parole que je vous ai entendue prononcer. Comme je l'ai recueillie dans mon cÅ“ur! comme elle s'y est profondément gravée! et avec quels transports le mien y a répondu! Hélas! dans ce moment de bonheur, j'étais loin de prévoir le sort affreux qui nous attendait. Occupons-nous, ma Cécile, des moyens de l'adoucir. Si j'en crois mon ami il suffira, pour y parvenir, que vous preniez en lui une confiance qu'il mérite. J'ai été peiné, je l'avoue, de l'idée désavantageuse que vous paraissez avoir de lui. J'y ai reconnu les préventions de votre Maman c'était pour m'y soumettre que j'avais négligé, depuis quelque temps, cet homme vraiment aimable, qui aujourd'hui fait tout pour moi; qui enfin travaille à nous réunir, lorsque votre Maman nous a séparés. Je vous en conjure, ma chÚre amie, voyez-le d'un oeil plus favorable. Songez qu'il est mon ami, qu'il veut ÃÂȘtre le vÎtre, qu'il peut me rendre le bonheur de vous voir. Si ces raisons ne vous ramÚnent pas, ma Cécile, vous ne m'aimez pas autant que je vous aime, vous ne m'aimez plus autant que vous m'aimiez. Ah! si jamais vous deviez m'aimer moins... Mais non, le cÅ“ur de ma Cécile est à moi; il y est pour la vie; et si j'ai à craindre les peines d'un amour malheureux, sa constance au moins me sauvera des tourments d'un amour trahi. Adieu, ma charmante amie; n'oubliez pas que je souffre, et qu'il ne tient qu'à vous de me rendre heureux, parfaitement heureux. Ecoutez le vÅ“u de mon cÅ“ur, et recevez les plus tendres baisers de l'amour. Paris, ce 11 septembre 17**. LETTRE LXXIII LE VICOMTE DE VALMONT A CECILE VOLANGES Jointe à la précédente. L'ami qui vous sert a su que vous n'aviez rien de ce qu'il vous fallait pour écrire, et il y a déjà pourvu. Vous trouverez dans l'antichambre de l'appartement que vous occupez, sous la grande armoire à main gauche, une provision de papier, de plumes et d'encre, qu'il renouvellera quand vous voudrez, et qu'il lui semble que vous pouvez laisser à cette mÃÂȘme place si vous n'en trouvez pas de plus sûre. Il vous demande de ne pas vous offenser, s'il a l'air de ne faire aucune attention à vous dans le cercle, et de ne vous y regarder que comme un enfant. Cette conduite lui paraÃt nécessaire pour inspirer la sécurité dont il a besoin, et pouvoir travailler plus efficacement au bonheur de son ami et au vÎtre. Il tùchera de faire naÃtre les occasions de vous parler, quand il aura quelque chose à vous apprendre ou à vous remettre; et il espÚre y parvenir, si vous mettez du zÚle à le seconder. Il vous conseille aussi de lui rendre, à mesure, les Lettres que vous aurez reçues, afin de risquer moins de vous compromettre. Il finit par vous assurer que si vous voulez lui donner votre confiance, il mettra tous ses soins à adoucir la persécution qu'une mÚre trop cruelle fait éprouver à deux personnes, dont l'une est déjà son meilleur ami et l'autre lui paraÃt mériter l'intérÃÂȘt le plus tendre. Du Chùteau de ..., ce 14 septembre 17** LETTRE LXXIV LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT Eh! depuis quand, mon ami, vous effrayez-vous si facilement? ce Prévan est donc bien redoutable? Mais voyez combien je suis simple et modeste! Je l'ai rencontré souvent, ce superbe vainqueur; à peine l'avais-je regardé! Il ne fallait pas moins que votre Lettre pour m'y faire faire attention. J'ai réparé mon injustice hier. Il était à l'Opéra, presque vis-à -vis de moi, et je m'en suis occupée. Il est joli au moins, mais trÚs joli; des traits fins et délicats! il doit gagner à ÃÂȘtre vu de prÚs. Et vous dites qu'il veut m'avoir! assurément il me fera honneur et plaisir. Sérieusement, j'en ai fantaisie, et je vous confie ici que j'ai fait les premiÚres démarches. Je ne sais pas si elles réussiront. Voilà le fait. Il était à deux pas de moi, à la sortie de l'Opéra, et j'ai donné, trÚs haut, rendez-vous à la Marquise de *** pour souper le Vendredi chez la Maréchale. C'est, je crois, la seule maison oÃÂč je peux le rencontrer. Je ne doute pas qu'il m'ait entendue. Si l'ingrat allait n'y pas venir? Mais, dites-moi donc, croyez- vous qu'il vienne? Savez-vous que, s'il n'y vient pas, j'aurai de l'humeur toute la soirée? Vous voyez qu'il ne trouvera pas tant de difficulté à me suivre; et ce qui vous étonnera davantage, c'est qu'il en trouvera moins encore à me plaire. Il veut, dit-il, crever six chevaux à me faire sa cour! Oh! je sauverai la vie à ces chevaux-là . Je n'aurai jamais la patience d'attendre si longtemps. Vous savez qu'il n'est pas dans mes principes de faire languir, quand une fois je suis décidée, et je le suis pour lui. Oh! ça, convenez qu'il y a plaisir à me parler raison! Votre avis important n'a-t-il pas un grand succÚs? Mais que voulez-vous? je végÚte depuis si longtemps! il y a plus de six semaines que je ne me suis pas permis une gaieté. Celle-là se présente; puis-je me la refuser? le sujet n'en vaut-il pas la peine? en est-il de plus agréable, dans quelque sens que vous preniez ce mot? Vous-mÃÂȘme, vous ÃÂȘtes forcé de lui rendre justice; vous faites plus que le louer, vous en ÃÂȘtes jaloux. Eh bien! je m'établis juge entre vous deux mais d'abord, il faut s'instruire, et c'est ce que je veux faire. Je serai juge intÚgre, et vous serez pesés tous deux dans la mÃÂȘme balance. Pour vous, j'ai déjà vos mémoires, et votre affaire est parfaitement instruite. N'est-il pas juste que je m'occupe à présent de votre adversaire? Allons, exécutez-vous de bonne grùce; et, pour commencer, apprenez-moi je vous prie, quelle est cette triple aventure dont il est le héros. Vous m'en parlez, comme si je ne connaissais autre chose, et je n'en sais pas le premier mot. Apparemment elle se sera passée pendant mon voyage à GenÚve, et votre jalousie vous aura empÃÂȘché de me l'écrire. Réparez cette faute au plus tÎt; songez que rien de ce qui l'intéresse ne m'est étranger . Il me semble bien qu'on en parlait encore à mon retour mais j'étais occupée d'autre chose, et j'écoute rarement en ce genre tout ce qui n'est pas du jour ou de la veille. Quand ce que je vous demande vous contrarierait un peu, n'est-ce pas le moindre prix que vous deviez aux soins que je me suis donnés pour vous? ne sont-ce pas eux qui vous ont rapproché de votre Présidente, quand vos sottises vous en avaient éloigné? n'est-ce pas encore moi qui ai remis entre vos mains de quoi vous venger du zÚle amer de Madame de Volanges? Vous vous ÃÂȘtes plaint si souvent du temps que vous perdiez à aller chercher vos aventures. A présent vous les avez sous la main. L'amour, la haine, vous n'avez qu'à choisir, tout couche sous le mÃÂȘme toit; et vous pouvez, doublant, votre existence, caresser d'une main et frapper de l'autre. C'est mÃÂȘme encore à moi que vous devez l'aventure de la Vicomtesse. J'en suis assez contente mais, comme vous dites, il faut qu'on en parle car si l'occasion a pu vous engager, comme je le conçois, à préférer pour le moment le mystÚre à l'éclat, il faut convenir pourtant que cette femme ne méritait pas un procédé si honnÃÂȘte. J'ai d'ailleurs à m'en plaindre. Le Chevalier de Belleroche la trouve plus jolie que je ne voudrais; et par beaucoup de raisons, je serai bien aise d'avoir un prétexte pour rompre avec elle or, il n'en est pas de plus commode, que d'avoir à dire On ne peut plus voir cette femme-là . Adieu, Vicomte; songez que, placé oÃÂč vous ÃÂȘtes, le temps est précieux je vais employer le mien à m'occuper du bonheur de Prévan. Paris, ce 15 septembre l7**. LETTRE LXXV Nota Dans cette Lettre, Cécile Volanges rend compte avec le plus grand détail de tout ce qui est relatif à elle dans les événements que le Lecteur a vus Lettre LIX et suivantes. On a cru devoir supprimer cette répétition. Elle parle enfin du Vicomte de Valmont, et elle exprime ainsi CECILE VOLANGES A SOPHIE CARNAY Je t'assure que c'est un homme bien extraordinaire. Maman en dit beaucoup de mal; mais le Chevalier Danceny en dit beaucoup de bien, et je crois que c'est lui qui a raison. Je n'ai jamais vu d'homme aussi adroit. Quand il m'a rendu la Lettre de Danceny, c'était au milieu de tout le monde, et personne n'en a rien vu; il est vrai que j'ai eu bien peur parce que je n'étais prévenue de rien mais à présent je m'y attendrai. J'ai déjà fort bien compris comment il voulait que je fisse pour lui remettre ma Réponse. Il est bien facile de s'entendre avec lui, car il a un regard qui dit tout ce qu'il veut. Je ne sais pas comment il fait il me disait dans le billet dont je t'ai parlé qu'il n'aurait pas l'air de s'occuper de moi devant Maman en effet, on dirait toujours qu'il n'y songe pas; et pourtant toutes les fois que je cherche ses yeux, je suis sûre de les rencontrer tout de suite. Il y a ici une bonne amie de Maman, que je ne connaissais pas, qui a aussi l'air de ne guÚre aimer M. de Valmont, quoiqu'il ait bien des attentions pour elle. J'ai peur qu'il ne s'ennuie bientÎt de la vie qu'on mÚne ici, et qu'il ne s'en retourne à Paris; cela serait bien fùcheux. Il faut qu'il ait bien bon cÅ“ur d'ÃÂȘtre venu exprÚs pour rendre service à son ami et à moi! Je voudrais bien lui en témoigner ma reconnaissance, mais je ne sais comment faire pour lui parler; et quand j'en trouverais l'occasion, je serais si honteuse, que je ne saurais peut-ÃÂȘtre que lui dire. Il n'y a que Madame de Merteuil avec qui je parle librement, quand je parle de mon amour. Peut-ÃÂȘtre mÃÂȘme qu'avec toi, à qui je dis tout, si c'était en causant, je serais embarrassée. Avec Danceny lui-mÃÂȘme, j'ai souvent senti, comme malgré moi, une certaine crainte qui m'empÃÂȘchait de lui dire tout ce que je pensais. Je me le reproche bien à présent, et je donnerais tout au monde pour trouver le moment de lui dire une fois, une seule fois, combien je l'aime. M. de Valmont lui a promis que, si je me laissais conduire, il nous procurerait l'occasion de nous revoir. Je ferai bien assez ce qu'il voudra; mais je ne peux pas concevoir que cela soit possible. Adieu, ma bonne amie, je n'ai plus de place [Mademoiselle de Volanges ayant, peu de temps aprÚs, changé de confidente, comme on le verra par la suite de ces Lettres, on ne trouvera plus dans ce Recueil aucune de celles qu'elle a continué d'écrire à son amie du Couvent, elles n'apprendraient rien au Lecteur]. Du Chùteau de ..., ce 14 septembre 17** LETTRE LXXVI LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Ou votre Lettre est un persiflage, que je n'ai pas compris; ou vous étiez, en me l'écrivant, dans un délire trÚs dangereux. Si je vous connaissais moins, ma belle amie, je serais vraiment trÚs effrayé; et quoi que vous en puissiez dire, je ne m'effraierais pas trop facilement. J'ai beau vous lire et vous relire, je n'en suis pas plus avancé; car, de prendre votre Lettre dans le sens naturel qu'elle présente, il n'y a pas moyen. Qu'avez- vous donc voulu dire? Est-ce seulement qu'il était inutile de se donner tant de soins contre un ennemi si peu redoutable? mais, dans ce cas, vous pourriez avoir tort. Prévan est réellement aimable; il l'est plus que vous ne le croyez; il a surtout le talent trÚs utile d'occuper beaucoup de son amour, par l'adresse qu'il a d'en parler dans le cercle, et devant tout le monde, en se servant de la premiÚre conversation qu'il trouve. Il est peu de femmes qui se sauvent alors du piÚge d'y répondre, parce que toutes ayant des prétentions à la finesse, aucune ne veut perdre l'occasion d'en montrer. Or, vous savez assez que femme qui consent à parler d'amour, finit bientÎt par en prendre, ou au moins par se conduire comme si elle en avait. Il gagne encore à cette méthode, qu'il a réellement perfectionnée, d'appeler souvent les femmes elles-mÃÂȘmes en témoignage de leur défaite; et cela, je vous en parle pour l'avoir vu. Je n'étais dans le secret que de la seconde main; car jamais je n'ai été lié avec Prévan mais enfin nous y étions six et la Comtesse de P***, tout en se croyant bien fine, et ayant l'air en effet, pour tout ce qui n'était pas instruit, de tenir une conversation générale, nous raconta dans le plus grand détail, et comme quoi elle s'était rendue à Prévan, et tout ce qui s'était passé entre eux. Elle faisait ce récit avec une telle sécurité, qu'elle ne fut pas mÃÂȘme troublée par un fou rire qui nous prit à tous six en mÃÂȘme temps; et je me souviendrai toujours qu'un de nous ayant voulu, pour s'excuser, feindre de douter de ce qu'elle disait, ou plutÎt de ce qu'elle avait l'air de dire, elle répondit gravement qu'à coup sûr nous n'étions aucun aussi bien instruits qu'elle; et elle ne craignit pas mÃÂȘme de s'adresser à Prévan, pour lui demander si elle s'était trompée d'un mot. J'ai donc pu croire cet homme dangereux pour tout le monde mais pour vous, Marquise, ne suffisait-il pas qu'il fût joli, trÚs joli , comme vous le dites vous-mÃÂȘme? ou qu'il vous fÃt une de ces attaques, que vous vous plaisiez quelquefois à récompenser, sans autre motif que de les trouver bien faites ? ou que vous eussiez trouvé plaisant de vous rendre par une raison quelconque? ou que sais-je? puis-je deviner les mille caprices qui gouvernent la tÃÂȘte d'une femme, et par qui seuls vous tenez encore à votre sexe? A présent que vous ÃÂȘtes avertie du danger, je ne doute pas que vous ne vous en sauviez facilement mais pourtant fallait-il vous avertir. Je reviens donc à mon texte; qu'avez-vous voulu dire? Si ce n'est qu'un persiflage sur Prévan, outre qu'il est bien long, ce n'était pas vis-à -vis de moi qu'il était utile; c'est dans le monde qu'il faut lui donner quelque bon ridicule, et je vous renouvelle ma priÚre à ce sujet. Ah! je crois tenir le mot de l'énigme! votre Lettre est une prophétie, non de ce que vous ferez, mais de ce qu'il vous croira prÃÂȘte à faire au moment de la chute que vous lui préparez. J'approuve assez ce projet; il exige pourtant de grands ménagements. Vous savez comme moi que, pour l'effet public, avoir un homme ou recevoir ses soins, est absolument la mÃÂȘme chose, à moins que cet homme ne soit un sot; et Prévan ne l'est pas, à beaucoup prÚs. S'il peut gagner seulement une apparence, il se vantera, et tout sera dit. Les sots y croiront, les méchants auront l'air d'y croire quelles seront vos ressources? Tenez, j'ai peur. Ce n'est pas que je doute de votre adresse mais ce sont les bons nageurs qui se noient. Je ne me crois pas plus bÃÂȘte qu'un autre; des moyens de déshonorer une femme, j'en ai trouvé cent, j'en ai trouvé mille mais quand je me suis occupé de chercher comment elle pourrait s'en sauver, je n'en ai jamais vu la possibilité. Vous-mÃÂȘme, ma belle amie, dont la conduite est un chef-d'Å“uvre, cent fois j'ai cru vous voir plus de bonheur que de bien joué. Mais aprÚs tout, je cherche peut-ÃÂȘtre une raison à ce qui n'en a point. J'admire comment, depuis une heure, je traite sérieusement ce qui n'est, à coup sûr, qu'une plaisanterie de votre part. Vous allez vous moquer de moi! Hé bien! soit; mais dépÃÂȘchez-vous, et parlons d'autre chose. D'autre chose! je me trompe, c'est toujours de la mÃÂȘme; toujours des femmes à avoir ou à perdre, et souvent tous les deux. J'ai ici, comme vous l'avez fort bien remarqué, de quoi m'exercer dans les deux genres, mais non pas avec la mÃÂȘme facilité. Je prévois que la vengeance ira plus vite que l'amour. La petite Volanges est rendue, j'en réponds; elle ne dépend plus que de l'occasion, et je me charge de la faire naÃtre. Mais il n'en est pas de mÃÂȘme de Madame de Tourvel cette femme est désolante, je ne la conçois pas; j'ai cent preuves de son amour, mais j'en ai mille de sa résistance; et en vérité, je crains qu'elle ne m'échappe. Le premier effet qu'avait produit mon retour me faisait espérer davantage. Vous devinez que je voulais en juger par moi-mÃÂȘme; et pour m'assurer de voir les premiers mouvements, je ne m'étais fait précéder par personne, et j'avais calculé ma route pour arriver pendant qu'on serait à table. En effet, je tombai des nues, comme une Divinité d'Opéra qui vient faire un dénouement. Ayant fait assez de bruit en entrant pour fixer les regards sur moi, je pus voir du mÃÂȘme coup d'oeil la joie de ma vieille tante, le dépit de Madame de Volanges, et le plaisir décontenancé de sa fille. Ma Belle, par la place qu'elle occupait, tournait le dos à la porte. Occupée dans ce moment à couper quelque chose, elle ne tourna seulement pas la tÃÂȘte mais j'adressai la parole à Madame de Rosemonde; et au premier mot, la sensible Dévote ayant reconnu ma voix, il lui échappa un cri dans lequel je crus reconnaÃtre plus d'amour que de surprise et d'effroi. Je m'étais alors assez avancé pour voir sa figure le tumulte de son ùme, le combat de ses idées et de ses sentiments, s'y peignirent de vingt façons différentes. Je me mis à table à cÎté d'elle; elle ne savait exactement rien de ce qu'elle faisait ni de ce qu'elle disait. Elle essaya de continuer de manger; il n'y eut pas moyen enfin, moins d'un quart d'heure aprÚs, son embarras et son plaisir devenant plus forts qu'elle, elle n'imagina rien de mieux que de demander permission de sortir de table, et elle se sauva dans le parc, sous le prétexte d'avoir besoin de prendre l'air. Madame de Volanges voulut l'accompagner; la tendre Prude ne le permit pas trop heureuse, sans doute, de trouver un prétexte pour ÃÂȘtre seule, et se livrer sans contrainte à la douce émotion de son cÅ“ur. J'abrégeai le dÃner le plus qu'il me fut possible. A peine avait-on servi le dessert, que l'infernale Volanges, pressée apparemment du besoin de me nuire, se leva de sa place pour aller trouver la charmante malade mais j'avais prévu ce projet, et je le traversai. Je feignis donc de prendre ce mouvement particulier pour le mouvement général; et m'étant levé en mÃÂȘme temps, la petite Volanges et le Curé du lieu se laissÚrent entraÃner par ce double exemple; en sorte que Madame de Rosemonde se trouva seule à table avec le vieux Commandeur de T. , et tous deux prirent aussi le parti d'en sortir. Nous allùmes donc tous rejoindre ma Belle, que nous trouvùmes dans le bosquet prÚs du Chùteau; et comme elle avait besoin de solitude et non de promenade, elle aima autant revenir avec nous, que nous faire rester avec elle. DÚs que je fus assuré que Madame de Volanges n'aurait pas l'occasion de lui parler seule, je songeai à exécuter vos ordres, et je m'occupai des intérÃÂȘts de votre pupille. AussitÎt aprÚs le café, je montai chez moi, et j'entrai aussi chez les autres, pour reconnaÃtre le terrain; je fis mes dispositions pour assurer la correspondance de la petite; et aprÚs ce premier bienfait, j'écrivis un mot pour l'en instruire et lui demander sa confiance; je joignis mon billet à la Lettre de Danceny. Je revins au salon. J'y trouvai ma Belle établie sur une chaise longue dans un abandon délicieux. Ce spectacle, en éveillant mes désirs, anima mes regards; je sentis qu'ils devaient ÃÂȘtre tendres et pressants, et je me plaçai de maniÚre à pouvoir en faire usage. Leur premier effet fut de faire baisser les grands yeux modestes de la céleste Prude. Je considérai quelque temps cette figure angélique; puis, parcourant toute sa personne je m'amusais à deviner les contours et les formes à travers un vÃÂȘtement léger, mais toujours importun. AprÚs ÃÂȘtre descendu de la tÃÂȘte aux pieds, je remontais des pieds à la tÃÂȘte. Ma belle amie, le doux regard était fixé sur moi; sur-le-champ il se baissa de nouveau, mais voulant en favoriser le retour, je détournai mes yeux. Alors s'établit entre nous cette convention tacite, premier traité de l'amour timide, qui, pour satisfaire le besoin mutuel de se voir, permet aux regards de se succéder en attendant qu'ils se confondent. Persuadé que ce nouveau plaisir occupait ma Belle tout entiÚre, je me chargeai de veiller à notre commune sûreté mais aprÚs m'ÃÂȘtre assuré qu'une conversation assez vive nous sauvait des remarques du cercle, je tùchai d'obtenir de ses yeux qu'ils parlassent franchement leur langage. Pour cela je surpris d'abord quelques regards; mais avec tant de réserve, que la modestie n'en pouvait ÃÂȘtre alarmée; et pour mettre la timide personne plus à son aise, je paraissais moi-mÃÂȘme aussi embarrassé qu'elle. Peu à peu nos yeux, accoutumés à se rencontrer, se fixÚrent plus longtemps; enfin ils ne se quittÚrent plus, et j'aperçus dans les siens cette douce langueur, signal heureux de l'amour et du désir; mais ce ne fut qu'un moment; et bientÎt revenue à elle-mÃÂȘme, elle changea, non sans quelque honte, son maintien et son regard. Ne voulant pas qu'elle pût douter que j'eusse remarqué ses divers mouvements, je me levai avec vivacité, en lui demandant, avec l'air de l'effroi, si elle se trouvait mal. AussitÎt tout le monde vint l'entourer. Je les laissai tous passer devant moi; et comme la petite Volanges, qui travaillait à la tapisserie auprÚs d'une fenÃÂȘtre, eut besoin de quelque temps pour quitter son métier, je saisis ce moment pour lui remettre la Lettre de Danceny. J'étais un peu loin d'elle; je jetai l'EpÃtre sur ses genoux. Elle ne savait en vérité qu'en faire. Vous auriez trop ri de son air de surprise et d'embarras; pourtant, je ne riais point, car je craignais que tant de gaucherie ne nous trahÃt. Mais un coup d'oeil et un geste fortement prononcés lui firent enfin comprendre qu'il fallait mettre le paquet dans sa poche. Le reste de la journée n'eut rien d'intéressant. Ce qui s'est passé depuis amÚnera peut-ÃÂȘtre des événements dont vous serez contente, au moins pour ce qui regarde votre pupille; mais il vaut mieux employer son temps à exécuter ses projets qu'à les raconter. Voilà d'ailleurs la huitiÚme page que j'écris, et j'en suis fatigué; ainsi, adieu. Vous vous doutez bien, sans que je vous le dise, que la petite a répondu à Danceny [Cette Lettre ne s'est pas retrouvée]. J'ai eu aussi une Réponse de ma Belle, à qui j'avais écrit le lendemain de mon arrivée. Je vous envoie les deux Lettres. Vous les lirez ou vous ne les lirez pas car ce perpétuel rabùchage, qui déjà ne m'amuse pas trop, doit ÃÂȘtre bien insipide, pour toute personne désintéressée. Encore une fois, adieu. Je vous aime toujours beaucoup; mais je vous en prie, si vous me reparlez de Prévan, faites en sorte que je vous entende. Du Chùteau de ..., ce 17 septembre 17** LETTRE LXXVII LE VICOMTE DE VALMONT A LA PRESIDENTE DE TOURVEL D'oÃÂč peut venir, Madame, le soin cruel que vous mettez à me fuir? comment se peut-il que l'empressement le plus tendre de ma part n'obtienne de la vÎtre que des procédés qu'on se permettrait à peine envers l'homme dont on aurait le plus à se plaindre? Quoi! l'amour me ramÚne à vos pieds; et quand un heureux hasard me place à cÎté de vous, vous aimez mieux feindre une indisposition, alarmer vos amis, que de consentir à rester prÚs de moi! Combien de fois hier n'avez-vous pas détourné vos yeux pour me priver de la faveur d'un regard? et si un seul instant j'ai pu y voir moins de sévérité, ce moment a été si court qu'il semble que vous ayez voulu moins m'en faire jouir que me faire sentir ce que je perdais à en ÃÂȘtre privé. Ce n'est là , j'ose le dire, ni le traitement que mérite l'amour, ni celui que peut se permettre l'amitié; et toutefois, de ces deux sentiments, vous savez si l'un m'anime, et j'étais, ce me semble, autorisé à croire que vous ne vous refusiez pas à l'autre. Cette amitié précieuse, dont sans doute vous m'avez cru digne, puisque vous avez bien voulu me l'offrir, qu'ai-je donc fait pour l'avoir perdue depuis? me serais-je nui par ma confiance, et me puniriez-vous de ma franchise? ne craignez-vous pas au moins d'abuser de l'une et de l'autre? En effet, n'est-ce pas dans le sein de mon amie, que j'ai déposé le secret de mon cÅ“ur? n'est-ce pas vis-à -vis d'elle seule, que j'ai pu me croire obligé de refuser des conditions qu'il me suffisait d'accepter, pour me donner la facilité de ne les pas tenir, et peut-ÃÂȘtre celle d'en abuser utilement? Voudriez-vous enfin, par une rigueur si peu méritée, me forcer à croire qu'il n'eût fallu que vous tromper pour obtenir plus d'indulgence? Je ne me repens point d'une conduite que je vous devais, que je me devais à moi-mÃÂȘme; mais par quelle fatalité, chaque action louable devient-elle pour moi le signal d'un malheur nouveau? C'est aprÚs avoir donné lieu au seul éloge que vous ayez encore daigné faire de ma conduite, que j'ai eu, pour la premiÚre fois, à gémir du malheur de vous avoir déplu. C'est aprÚs vous avoir prouvé ma soumission parfaite, en me privant du bonheur de vous voir, uniquement pour rassurer votre délicatesse, que vous avez voulu rompre toute correspondance avec moi, m'Îter ce faible dédommagement d'un sacrifice que vous aviez exigé, et me ravir jusqu'à l'amour qui seul avait pu vous en donner le droit. C'est enfin aprÚs vous avoir parlé avec une sincérité que l'intérÃÂȘt mÃÂȘme de cet amour n'a pu affaiblir, que vous me fuyez aujourd'hui comme un séducteur dangereux, dont vous auriez reconnu la perfidie. Ne vous lasserez-vous donc jamais d'ÃÂȘtre injuste? Apprenez-moi du moins quels nouveaux torts ont pu vous porter à tant de sévérité, et ne refusez pas de me dicter les ordres que vous voulez que je suive; quand je m'engage à les exécuter, est-ce trop prétendre que de demander à les connaÃtre? De ..., ce 15 septembre 17** LETTRE LXXVIII LA PRESIDENTE DE TOURVEL AU VICOMTE DE VALMONT Vous paraissez, Monsieur, surpris de ma conduite, et peu s'en faut mÃÂȘme que vous ne m'en demandiez compte, comme ayant le droit de la blùmer. J'avoue que je me serais crue plus autorisée que vous à m'étonner et à me plaindre; mais depuis le refus contenu dans votre derniÚre réponse, j'ai pris le parti de me renfermer dans une indifférence qui ne laisse plus lieu aux remarques ni aux reproches. Cependant, comme vous me demandez des éclaircissements, et que, grùces au Ciel, je ne sens rien en moi qui puisse m'empÃÂȘcher de vous les donner, je veux bien entrer encore une fois en explication avec vous. Qui lirait vos Lettres me croirait injuste ou bizarre. Je crois mériter que personne n'ait cette idée de moi; il me semble surtout que vous étiez moins qu'un autre dans le cas de la prendre. Sans doute, vous avez senti qu'en nécessitant ma justification vous me forciez à rappeler tout ce qui s'est passé entre nous. Apparemment vous avez cru n'avoir qu'à gagner à cet examen comme, de mon cÎté, je ne crois pas avoir à y perdre, au moins à vos yeux, je ne crains pas de m'y livrer. Peut-ÃÂȘtre est-ce, en effet, le seul moyen de connaÃtre qui de nous deux a le droit de se plaindre de l'autre. A compter, Monsieur, du jour de votre arrivée dans ce Chùteau, vous avouerez, je crois, qu'au moins votre réputation m'autorisait à user de quelque réserve avec vous, et que j'aurais pu, sans craindre d'ÃÂȘtre taxée d'un excÚs de pruderie, m'en tenir aux seules expressions de la politesse la plus froide. Vous-mÃÂȘme m'eussiez traitée avec indulgence, et vous eussiez trouvé simple qu'une femme aussi peu formée n'eût pas mÃÂȘme le mérite nécessaire pour apprécier le vÎtre. C'était sûrement là le parti de la prudence; et il m'eût d'autant moins coûté à suivre, que je ne vous cacherai pas que, quand Madame de Rosemonde vint me faire part de votre arrivée, j'eus besoin de me rappeler mon amitié pour elle, et celle qu'elle a pour vous, pour ne pas lui laisser voir combien cette nouvelle me contrariait. Je conviens volontiers que vous vous ÃÂȘtes montré d'abord sous un aspect plus favorable que je ne l'avais imaginé; mais vous conviendrez à votre tour qu'il a bien peu duré, et que vous vous ÃÂȘtes bientÎt lassé d'une contrainte, dont apparemment vous ne vous ÃÂȘtes pas cru suffisamment dédommagé par l'idée avantageuse qu'elle m'avait fait prendre de vous. C'est alors qu'abusant de ma bonne foi, de ma sécurité, vous n'avez pas craint de m'entretenir d'un sentiment dont vous ne pouviez pas douter que je ne me trouvasse offensée; et moi, tandis que vous ne vous occupiez qu'à aggraver vos torts en les multipliant, je cherchais un motif pour les oublier, en vous offrant l'occasion de les réparer, au moins en partie. Ma demande était si juste que vous-mÃÂȘme ne crûtes pas devoir vous y refuser mais vous faisant un droit de mon indulgence, vous en profitùtes pour me demander une permission, que, sans doute, je n'aurais pas dû accorder, et que pourtant vous avez obtenue. Des conditions qui y furent mises, vous n'en avez tenu aucune; et votre correspondance a été telle, que chacune de vos Lettres me faisait un devoir de ne plus vous répondre. C'est dans le moment mÃÂȘme oÃÂč votre obstination me forçait à vous éloigner de moi que, par une condescendance peut-ÃÂȘtre blùmable, j'ai tenté le seul moyen qui pouvait me permettre de vous en rapprocher mais de quel prix est à vos yeux un sentiment honnÃÂȘte? Vous méprisez l'amitié; et dans votre folle ivresse, comptant pour rien les malheurs et la honte, vous ne cherchez que des plaisirs et des victimes. Aussi léger dans vos démarches qu'inconséquent dans vos reproches, vous oubliez vos promesses, ou plutÎt vous vous faites un jeu de les violer, et aprÚs avoir consenti à vous éloigner de moi, vous revenez ici sans y ÃÂȘtre rappelé; sans égard pour mes priÚres, pour mes raisons, sans avoir mÃÂȘme l'attention de m'en prévenir, vous n'avez pas craint de m'exposer à une surprise dont l'effet, quoique bien simple assurément, aurait pu ÃÂȘtre interprété défavorablement pour moi, par les personnes qui nous entouraient. Ce moment d'embarras que vous aviez fait naÃtre, loin de chercher à en distraire, ou à le dissiper, vous avez paru mettre tous vos soins à l'augmenter encore. A table, vous choisissez précisément votre place à cÎté de la mienne une légÚre indisposition me force d'en sortir avant les autres; et au lieu de respecter ma solitude, vous engagez tout le monde à venir la troubler. Rentrée au salon, si je fais un pas, je vous trouve à cÎté de moi; si je dis une parole, c'est toujours vous qui me répondez. Le mot le plus indifférent vous sert de prétexte pour ramener une conversation que je ne voulais pas entendre, qui pouvait mÃÂȘme me compromettre car enfin, Monsieur, quelque adresse que vous y mettiez, ce que je comprends, je crois que les autres peuvent aussi le comprendre. Forcée ainsi par vous à l'immobilité et au silence, vous n'en continuez pas moins de me poursuivre; je ne puis lever les yeux sans rencontrer les vÎtres. Je suis sans cesse obligée de détourner mes regards; et par une inconséquence bien incompréhensible, vous fixez sur moi ceux du cercle, dans un moment oÃÂč j'aurais voulu pouvoir mÃÂȘme me dérober aux miens. Et vous vous plaignez de mes procédés! et vous vous étonnez de mon empressement à vous fuir! Ah! blùmez-moi plutÎt de mon indulgence, étonnez-vous que je ne sois pas partie au moment de votre arrivée. Je l'aurais dû peut-ÃÂȘtre, et vous me forcerez à ce parti violent mais nécessaire, si vous ne cessez enfin des poursuites offensantes. Non, je n'oublie point, je n'oublierai jamais ce que je me dois, ce que je dois à des nÅ“uds que j'ai formés, que je respecte et que je chéris; et je vous prie de croire que, si jamais je me trouvais réduite à ce choix malheureux de les sacrifier ou de me sacrifier moi-mÃÂȘme, je ne balancerais pas un instant. Adieu, Monsieur. De ..., ce 16 septembre l7**. LETTRE LXXIX LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Je comptais aller à la chasse ce matin mais il fait un temps détestable. Je n'ai pour toute lecture qu'un Roman nouveau, qui ennuierait mÃÂȘme une Pensionnaire. On déjeunera au plus tÎt dans deux heures ainsi malgré ma longue Lettre d'hier, je vais encore causer avec vous. Je suis bien sûr de ne pas vous ennuyer, car je vous parlerai du trÚs joli Prévan . Comment n'avez-vous pas su sa fameuse aventure, celle qui a séparé les inséparables . Je parie que vous vous la rappellerez au premier mot. La voici pourtant, puisque vous la désirez. Vous vous souvenez que tout Paris s'étonnait que trois femmes, toutes trois jolies, ayant toutes trois les mÃÂȘmes talents, et pouvant avoir les mÃÂȘmes prétentions, restassent intimement liées entre elles depuis le moment de leur entrée dans le monde. On crut d'abord en trouver la raison dans leur extrÃÂȘme timidité mais bientÎt, entourées d'une cour nombreuse dont elles partageaient les hommages, et éclairées sur leur valeur par l'empressement et les soins dont elles étaient l'objet, leur union n'en devint pourtant que plus forte; et l'on eût dit que le triomphe de l'une était toujours celui des deux autres. On espérait au moins que le moment de l'amour amÚnerait quelque rivalité. Nos agréables se disputaient l'honneur d'ÃÂȘtre la pomme de discorde; et moi-mÃÂȘme, je me serais mis alors sur les rangs, si la grande faveur oÃÂč la Comtesse de ... s'éleva dans ce mÃÂȘme temps, m'eût permis de lui ÃÂȘtre infidÚle avant d'avoir obtenu l'agrément que je demandais. Cependant nos trois Beautés, dans le mÃÂȘme carnaval, firent leur choix comme de concert; et loin qu'il excitùt les orages qu'on s'en était promis, il ne fit que rendre leur amitié plus intéressante, par le charme des confidences. La foule des prétendants malheureux se joignit alors à celle des femmes jalouses, et la scandaleuse constance fut soumise à la censure publique. Les uns prétendaient que dans cette société des inséparables ainsi la nommait-on alors, la loi fondamentale était la communauté de biens, et que l'amour mÃÂȘme y était soumis; d'autres assuraient que les trois Amants, exempts de rivaux, ne l'étaient pas de rivales on alla mÃÂȘme jusqu'à dire qu'ils n'avaient été admis que par décence, et n'avaient obtenu qu'un titre sans fonction. Ces bruits, vrais ou faux, n'eurent pas l'effet qu'on s'en était promis. Les trois couples, au contraire, sentirent qu'ils étaient perdus s'ils se séparaient dans ce moment; ils prirent le parti de faire tÃÂȘte à l'orage. Le public, qui se lasse de tout, se lassa bientÎt d'une satire infructueuse. Emporté par sa légÚreté naturelle, il s'occupa d'autres objets puis, revenant à celui-ci avec son inconséquence ordinaire, il changea la critique en éloge. Comme ici tout est de mode, l'enthousiasme gagna; il devenait un vrai délire, lorsque Prévan entreprit de vérifier ces prodiges, et de fixer sur eux l'opinion publique et la sienne. Il rechercha donc ces modÚles de perfection. Admis facilement dans leur société, il en tira un favorable augure. Il savait assez que les gens heureux ne sont pas d'un accÚs si facile. Il vit bientÎt, en effet, que ce bonheur si vanté était, comme celui des Rois, plus envié que désirable. Il remarqua que, parmi ces prétendus inséparables, on commençait à rechercher les plaisirs du dehors, qu'on s'y occupait mÃÂȘme de distraction; et il en conclut que les liens d'amour ou d'amitié étaient déjà relùchés ou rompus, et que ceux de l'amour- propre et de l'habitude conservaient seuls quelque force. Cependant les femmes, que le besoin rassemblait, conservaient entre elles l'apparence de la mÃÂȘme intimité mais les hommes, plus libres dans leurs démarches, retrouvaient des devoirs à remplir ou des affaires à suivre; ils s'en plaignaient encore, mais ne s'en dispensaient plus, et rarement les soirées étaient complÚtes. Cette conduite de leur part fut profitable à l'assidu Prévan, qui, placé naturellement auprÚs de la délaissée du jour, trouvait à offrir alternativement, et selon les circonstances, le mÃÂȘme hommage aux trois amies. Il sentit facilement que faire un choix entre elles, c'était se perdre; que la fausse honte de se trouver la premiÚre infidÚle effaroucherait la préférée; que la vanité blessée des deux autres les rendrait ennemies du nouvel Amant, et qu'elles ne manqueraient pas de déployer contre lui la sévérité des grands principes; enfin, que la jalousie ramÚnerait à coup sûr les soins d'un rival qui pouvait ÃÂȘtre encore à craindre. Tout fût devenu obstacle; tout devenait facile dans son triple projet; chaque femme était indulgente, parce qu'elle y était intéressée, chaque homme, parce qu'il croyait ne pas l'ÃÂȘtre. Prévan, qui n'avait alors qu'une seule femme à sacrifier, fut assez heureux pour qu'elle prÃt de la célébrité. Sa qualité d'étrangÚre et l'hommage d'un grand Prince assez adroitement, refusé avaient fixé sur elle l'attention de la Cour et de la Ville; son Amant en partageait l'honneur, et en profita auprÚs de ses nouvelles MaÃtresses. La seule difficulté était de mener de front ces trois intrigues, dont la marche devait forcément se régler sur la plus tardive; en effet, je tiens d'un de ses confidents que sa plus grande peine fut d'en arrÃÂȘter une, qui se trouva prÃÂȘte à éclore prÚs de quinze jours avant les autres. Enfin le grand jour arriva. Prévan, qui avait obtenu les trois aveux, se trouvait déjà maÃtre des démarches, et les régla comme vous allez voir. Des trois maris, l'un était absent, l'autre partait le lendemain au point du jour, le troisiÚme était à la Ville. Les inséparables amies devaient souper chez la veuve future; mais le nouveau MaÃtre n'avait pas permis que les anciens Serviteurs y fussent invités. Le matin mÃÂȘme de ce jour, il fait trois lots des Lettres de sa Belle, il accompagne l'un du portrait qu'il avait reçu d'elle le second d'un chiffre amoureux qu'elle-mÃÂȘme avait peint, le troisiÚme d'une boucle de ses cheveux; chacune reçut pour complet ce tiers de sacrifice, et consentit, en échange, à envoyer à l'Amant disgracié une Lettre éclatante de rupture. C'était beaucoup; ce n'était pas assez. Celle dont le mari était à la Ville ne pouvait disposer que de la journée; il fut convenu qu'une feinte indisposition la dispenserait d'aller souper chez son amie, et que la soirée serait toute à Prévan la nuit fut accordée par celle dont le mari fut absent et le point du jour, moment du départ du troisiÚme époux, fut marqué par la derniÚre, pour l'heure du Berger. Prévan qui ne néglige rien, court ensuite chez la belle étrangÚre, y porte et y fait naÃtre l'humeur dont il avait besoin, et n'en sort qu'aprÚs avoir établi une querelle qui lui assure vingt-quatre heures de liberté. Ses dispositions ainsi faites, il rentra chez lui, comptant prendre quelque repos; d'autres affaires l'y attendaient. Les Lettres de rupture avaient été un coup de lumiÚre pour les Amants disgraciés chacun d'eux ne pouvait douter qu'il n'eût été sacrifié à Prévan; et le dépit d'avoir été joué, se joignant à l'humeur que donne presque toujours la petite humiliation d'ÃÂȘtre quitté, tous trois, sans se communiquer, mais comme de concert, avaient résolu d'en avoir raison, et pris le parti de la demander à leur fortuné rival. Celui-ci trouva donc chez lui les trois cartels; il les accepta loyalement mais ne voulant perdre ni les plaisirs, ni l'éclat de cette aventure, il fixa les rendez- vous au lendemain matin, et les assigna tous les trois au mÃÂȘme lieu et à la mÃÂȘme heure. Ce fut à une des portes du bois de Boulogne. Le soir venu, il courut sa triple carriÚre avec un succÚs égal; au moins s'est-il vanté depuis que chacune de ses nouvelles MaÃtresses avait reçu trois fois le gage et le serment de son amour. Ici, comme vous le jugez bien, les preuves manquent à l'histoire; tout ce que peut faire l'Historien impartial, c'est de faire remarquer au Lecteur incrédule que la vanité et l'imagination exaltées peuvent enfanter des prodiges, et de plus, que la matinée qui devait suivre une si brillante nuit, paraissait devoir dispenser de ménagement pour l'avenir. Quoi qu'il en soit, les faits suivants ont plus de certitude. Prévan se rendit exactement au rendez-vous qu'il avait indiqué; il y trouva ses trois rivaux, un peu surpris de leur rencontre, et peut-ÃÂȘtre chacun d'eux déjà consolé en partie, en se voyant des compagnons d'infortune. Il les aborda d'un air affable et cavalier, et leur tint ce discours, qu'on m'a rendu fidÚlement " Messieurs, leur dit-il, en vous trouvant rassemblés ici, vous avez deviné sans doute que vous aviez tous trois le mÃÂȘme sujet de plainte contre moi. Je suis prÃÂȘt à vous rendre raison. Que le sort décide, entre vous, qui des trois tentera le premier une vengeance à laquelle vous avez tous un droit égal. Je n'ai amené ici ni second, ni témoins. Je n'en ai point pris pour l'offense; je n'en demande point pour la réparation. " Puis cédant à son caractÚre joueur " Je sais, ajouta-t-il, qu'on gagne rarement le sept et le va ; mais quel que soit le sort qui m'attend, on a toujours assez vécu, quand on a eu le temps d'acquérir l'amour des femmes et l'estime des hommes. " Pendant que ses adversaires étonnés se regardaient en silence, et que leur délicatesse calculait peut-ÃÂȘtre que ce triple combat ne laissait pas la partie égale, Prévan reprit la parole " Je ne vous cache pas, continua-t-il donc, que la nuit que je viens de passer m'a cruellement fatigué. Il serait généreux à vous de me permettre de réparer mes forces. J'ai donné mes ordres pour qu'on tÃnt ici un déjeuner prÃÂȘt; faites-moi l'honneur de l'accepter. Déjeunons ensemble, et surtout déjeunons gaiement. On peut se battre pour de semblables bagatelles; mais elles ne doivent pas, je crois, altérer notre humeur. " Le déjeuner fut accepté. Jamais, dit-on, Prévan ne fut plus aimable. Il eut l'adresse de n'humilier aucun de ses rivaux; de leur persuader que tous eussent eu facilement les mÃÂȘmes succÚs, et surtout de les faire convenir qu'ils n'en eussent pas plus que lui laissé échapper l'occasion. Ces faits une fois avoués, tout s'arrangeait de soi-mÃÂȘme. Aussi le déjeuner n'était-il pas fini, qu'on y avait déjà répété dix fois que de pareilles femmes ne méritaient pas que d'honnÃÂȘtes gens se battissent pour elles. Cette idée amena la cordialité; le vin la fortifia; si bien que peu de moments aprÚs, ce ne fut pas assez de n'avoir plus de rancune, on se jura amitié sans réserve. Prévan, qui sans doute aimait bien autant ce dénouement que l'autre, ne voulait pourtant y rien perdre de sa célébrité. En conséquence, pliant adroitement ses projets aux circonstances " En effet, dit-il aux trois offensés, ce n'est pas de moi, mais de vos infidÚles MaÃtresses que vous avez à vous venger. Je vous en offre l'occasion. Déjà je ressens, comme vous-mÃÂȘmes, une injure que bien tÎt je partagerai car si chacun de vous n'a pu parvenir à en fixer une seule, puis-je espérer de les fixer toutes trois? Votre querelle devient la mienne. Acceptez pour ce soir un souper dans ma petite maison, et j'espÚre ne pas différer plus long temps votre vengeance. " On voulut le faire expliquer mais lui, avec ce ton de supériorité que la circonstance l'autorisait à prendre " Messieurs, répondit-il, je crois vous avoir prouvé que j'avais quelque esprit de conduite; reposez-vous sur moi. " Tous consentirent; et aprÚs avoir embrassé leur nouvel ami, ils se séparÚrent jusqu'au soir, en attendant l'effet de ses promesses. Celui-ci, sans perdre de temps, retourne à Paris, et va, suivant l'usage, visiter ses nouvelles conquÃÂȘtes. Il obtint de toutes trois qu'elles viendraient le soir mÃÂȘme souper en tÃÂȘte-à -tÃÂȘte à sa petite maison. Deux d'entre elles firent bien quelques difficultés, mais que reste-t-il à refuser le lendemain? Il donna le rendez-vous à une heure de distance, temps nécessaire à ses projets. AprÚs ces préparatifs, il se retira, fit avertir les trois autres conjurés, et tous quatre allÚrent gaiement attendre leurs victimes. On entend arriver la premiÚre. Prévan se présente seul, la reçoit avec l'air de l'empressement, la conduit jusque dans le sanctuaire dont elle se croyait la Divinité; puis, disparaissant sur un léger prétexte, il se fait remplacer aussitÎt par l'Amant outragé. Vous jugez que la confusion d'une femme qui n'a point encore l'usage des aventures rendait, en ce moment, le triomphe bien facile tout reproche qui ne fut pas fait fut compté pour une grùce; et l'esclave fugitive, livrée de nouveau à son ancien maÃtre, fut trop heureuse de pouvoir espérer son pardon, en reprenant sa premiÚre chaÃne. Le traité de paix se ratifia dans un lieu plus solitaire, et la scÚne, restée vide, fut alternativement remplie par les autres Acteurs, à peu prÚs de la mÃÂȘme maniÚre, et surtout avec le mÃÂȘme dénouement. Chacune des femmes pourtant se croyait encore seule en jeu. Leur étonnement et leur embarras augmentÚrent, quand, au moment du souper, les trois couples se réunirent; mais la confusion fut au comble, quand Prévan, qui reparut au milieu de tous, eut la cruauté de faire aux trois infidÚles des excuses, qui, en livrant leur secret, leur apprenaient entiÚrement jusqu'à quel point elles avaient été jouées. Cependant on se mit à table, et peu aprÚs la contenance revint les hommes se livrÚrent, les femmes se soumirent. Tous avaient la haine dans le cÅ“ur; mais les propos n'en étaient pas moins tendres la gaieté éveilla le désir, qui, à son tour, lui prÃÂȘta de nouveaux charmes. Cette étonnante orgie dura jusqu'au matin; et quand on se sépara, les femmes durent se croire pardonnées mais les hommes, qui avaient conservé leur ressentiment, firent dÚs le lendemain une rupture qui n'eut point de retour; et non contents de quitter leurs légÚres MaÃtresses, ils achevÚrent leur vengeance, en publiant leur aventure. Depuis ce temps, une d'elles est au Couvent, et les deux autres languissent exilées dans leurs Terres. Voilà l'histoire de Prévan; c'est à vous de voir si vous voulez ajouter à sa gloire, et vous atteler à son char de triomphe. Votre Lettre m'a vraiment donné de l'inquiétude, et j'attends avec impatience une réponse plus sage et plus claire à la derniÚre que je vous ai écrite. Adieu, ma belle amie, méfiez-vous des idées plaisantes ou bizarres qui vous séduisent toujours trop facilement. Songez que, dans la carriÚre que vous courez, l'esprit ne suffit pas, qu'une seule imprudence y devient un mal sans remÚde. Souffrez enfin que la prudente amitié soit quelquefois le guide de vos plaisirs. Adieu. Je vous aime pourtant comme si vous étiez raisonnable. De ..., ce 18 septembre 17** LETTRE LXXX LE CHEVALIER DANCENY A CECILE VOLANGES Cécile, ma chÚre Cécile, quand viendra le temps de nous revoir? qui m'apprendra à vivre loin de vous? qui m'en donnera la force et le courage? Jamais, non, jamais, je ne pourrai supporter cette fatale absence. Chaque jour ajoute à mon malheur et n'y point voir de terme! Valmont qui m'avait promis des secours, des consolations, Valmont me néglige, et peut-ÃÂȘtre m'oublie. Il est auprÚs de ce qu'il aime; il ne sait plus ce qu'on souffre quand on en est éloigné. En me faisant passer votre derniÚre Lettre, il ne m'a point écrit. C'est lui pourtant qui doit m'apprendre quand je pourrai vous voir et par quel moyen. N'a-t-il donc rien à me dire? Vous-mÃÂȘme, vous ne m'en parlez pas, serait-ce que vous n'en partagez plus le désir? Ah! Cécile, Cécile, je suis bien malheureux. Je vous aime plus que jamais mais cet amour, qui fait le charme de ma vie, en devient le tourment. Non, je ne peux plus vivre ainsi, il faut que je vous voie, il le faut, ne fût-ce qu'un moment. Quand je me lÚve, je me dis; " Je ne la verrai pas. " Je me couche en disant " Je ne l'ai point vue. " Les journées si longues n'ont pas un moment pour le bonheur. Tout est privation, tout est regret, tout est désespoir; et tous ces maux me viennent d'oÃÂč j'attendais tous mes plaisirs! Ajoutez à ces peines mortelles mon inquiétude sur les vÎtres, et vous aurez une idée de ma situation. Je pense à vous sans cesse, et n'y pense jamais sans trouble. Si je vous vois affligée, malheureuse, je souffre de tous vos chagrins; si je vous vois tranquille et consolée, ce sont les miens qui redoublent. Partout je trouve le malheur. Ah! qu'il n'en était pas ainsi, quand vous habitiez les mÃÂȘmes lieux que moi! Tout alors était plaisir. La certitude de vous voir embellissait mÃÂȘme les moments de l'absence; le temps qu'il fallait passer loin de vous m'approchait de vous en s'écoulant. L'emploi que j'en faisais ne vous était jamais étranger. Si je remplissais des devoirs, ils me rendaient plus digne de vous; si je cultivais quelque talent, j'espérais vous plaire davantage. Lors mÃÂȘme que les distractions du monde m'emportaient loin de vous, je n'en étais point séparé. Au Spectacle, je cherchais à deviner ce qui vous aurait plu; un concert me rappelait vos talents et nos si douces occupations. Dans le cercle, comme aux promenades, je saisissais la plus légÚre ressemblance. Je vous comparais à tout; partout vous aviez l'avantage. Chaque moment du jour était marqué par un hommage nouveau, et chaque soir j'en apportais le tribut à vos pieds. A présent, que me reste-t-il? des regrets douloureux, des privations éternelles, et un léger espoir que le silence de Valmont diminue, que le vÎtre change en inquiétude. Dix lieues seulement nous séparent, et cet espace si facile à franchir devient pour moi seul un obstacle insurmontable! et quand, pour m'aider à le vaincre, j'implore mon ami, ma MaÃtresse, tous deux restent froids et tranquilles! Loin de me secourir, ils ne me répondent mÃÂȘme pas. Qu'est donc devenue l'amitié active de Valmont? que sont devenus, surtout, vos sentiments si tendres, et qui vous rendaient si ingénieuse pour trouver les moyens de nous voir tous les jours? Quelquefois, je m'en souviens, sans cesser d'en avoir le désir, je me trouvais forcé de le sacrifier à des considérations, à des devoirs; que ne me disiez-vous pas alors? par combien de prétextes ne combattiez-vous pas mes raisons! Et qu'il vous en souvienne, ma Cécile, toujours mes raisons cédaient à vos désirs. Je ne m'en fais point un mérite! je n'avais pas mÃÂȘme celui du sacrifice. Ce que vous désiriez d'obtenir, je brûlais de l'accorder. Mais enfin je demande à mon tour et quelle est cette demande? de vous voir un moment, de vous renouveler et de recevoir le serment d'un amour éternel. N'est-ce donc plus votre bonheur comme le mien? Je repousse cette idée désespérante, qui mettrait le comble à mes maux. Vous m'aimez, vous m'aimerez toujours; je le crois, j'en suis sûr, je ne veux jamais en douter mais ma situation est affreuse et je ne puis la soutenir plus longtemps. Adieu, Cécile. Paris, ce 18 septembre 17** LETTRE LXXXI LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT Que vos craintes me causent de pitié! Combien elles me prouvent ma supériorité sur vous! et vous voulez m'enseigner, me conduire? Ah! mon pauvre Valmont, quelle distance il y a encore de vous à moi! Non, tout l'orgueil de votre sexe ne suffirait pas pour remplir l'intervalle qui nous sépare. Parce que vous ne pourriez exécuter mes projets, vous les jugez impossibles! Etre orgueilleux et faible, il te sied bien de vouloir calculer mes moyens et juger de mes ressources! Au vrai, Vicomte, vos conseils m'ont donné de l'humeur, et je ne puis vous le cacher. Que pour masquer votre incroyable gaucherie auprÚs de votre Présidente, vous m'étaliez comme un triomphe d'avoir déconcerté un moment cette femme timide et qui vous aime, j'y consens; d'en avoir obtenu un regard, un seul regard, je souris et vous le passe. Que sentant, malgré vous, le peu de valeur de votre conduite, vous espériez la dérober à mon attention, en me flattant de l'effort sublime de rapprocher deux enfants qui, tous deux, brûlent de se voir, et qui, soit dit en passant, doivent à moi seule l'ardeur de ce désir, je le veux bien encore. Qu'enfin vous vous autorisiez de ces actions d'éclat, pour me dire d'un ton doctoral qu'il vaut mieux employer son temps à exécuter ses projets qu'à les raconter ; cette vanité ne me nuit pas, et je la pardonne. Mais que vous puissiez croire que j'aie besoin de votre prudence, que je m'égarerais en ne déférant pas à vos avis, que je dois leur sacrifier un plaisir, une fantaisie en vérité, Vicomte, c'est aussi vous trop enorgueillir de la confiance que je veux bien avoir en vous! Et qu'avez-vous donc fait que je n'aie surpassé mille fois? Vous avez séduit, perdu mÃÂȘme beaucoup de femmes mais quelles difficultés avez-vous eues à vaincre? quels obstacles à surmonter? oÃÂč est le mérite qui soit véritablement à vous? Une belle figure, pur effet du hasard; des grùces, que l'usage donne presque toujours, de l'esprit à la vérité, mais auquel du jargon suppléerait au besoin; une impudence assez louable, mais peut-ÃÂȘtre uniquement due à la facilité de vos premiers succÚs; si je ne me trompe, voilà tous vos moyens car, pour la célébrité que vous avez pu acquérir, vous n'exigerez pas, je crois, que je compte pour beaucoup l'art de faire naÃtre ou de saisir l'occasion d'un scandale. Quant à la prudence, à la finesse, je ne parle pas de moi mais quelle femme n'en aurait pas plus que vous? Eh! votre Présidente vous mÚne comme un enfant. Croyez-moi, Vicomte, on acquiert rarement les qualités dont on peut se passer. Combattant sans risque, vous devez agir sans précaution. Pour vous autres hommes, les défaites ne sont que des succÚs de moins. Dans cette partie si inégale, notre fortune est de ne pas perdre, et votre malheur de ne pas gagner. Quand je vous accorderais autant de talents qu'à nous, de combien encore ne devrions-nous pas vous surpasser, par la nécessité oÃÂč nous sommes d'en faire un continuel usage! Supposons, j'y consens, que vous mettiez autant d'adresse à nous vaincre, que nous à nous défendre ou à céder, vous conviendrez au moins qu'elle vous devient inutile aprÚs le succÚs. Uniquement occupé de votre nouveau goût, vous vous y livrez sans crainte, sans réserve ce n'est pas à vous que sa durée importe. En effet, ces liens réciproquement donnés et reçus, pour parler le jargon de l'amour, vous seul pouvez, à votre choix, les resserrer ou les rompre heureuses encore, si dans votre légÚreté, préférant le mystÚre à l'éclat, vous vous contentez d'un abandon humiliant, et ne faites pas de l'idole de la veille la victime du lendemain. Mais qu'une femme infortunée sente la premiÚre le poids de sa chaÃne, quels risques n'a-t-elle pas à courir, si elle tente de s'y soustraire, si elle ose seulement la soulever? Ce n'est qu'en tremblant qu'elle essaie d'éloigner d'elle l'homme que son cÅ“ur repousse avec effort. S'obstine-t-il à rester, ce qu'elle accordait à l'amour, il faut le livrer à la crainte Ses bras s'ouvrent encor, quand son cÅ“ur est fermé. Sa prudence doit dénouer avec adresse ces mÃÂȘmes liens que vous auriez rompus. A la merci de son ennemi, elle est sans ressource, s'il est sans générosité et comment en espérer de lui, lorsque, si quelquefois on le loue d'en avoir, jamais pourtant on ne le blùme d'en manquer? Sans doute, vous ne nierez pas ces vérités que leur évidence a rendues triviales. Si cependant vous m'avez vue, disposant des événements et des opinions, faire de ces hommes si redoutables le jouet de mes caprices ou de mes fantaisies; Îter aux uns la volonté, aux autres la puissance de me nuire; si j'ai su tour à tour, et suivant mes goûts mobiles, attacher à ma suite ou rejeter loin de moi Ces Tyrans détrÎnés devenus mes esclaves [On ne sait si ce vers, ainsi que celui qui se trouve plus haut, Ses bras s'ouvrent encor, quand son cÅ“ur est fermé , sont des citations d'Ouvrages peu connus; ou s'ils font partie de la prose de Madame de Merteuil. Ce qui le ferait croire, c'est la multitude de fautes de ce genre qui se trouvent dans toutes les Lettres de cette correspondance. Celles du Chevalier Danceny sont les seules qui en soient exemptes peut-ÃÂȘtre que, comme il s'occupait quelquefois de Poésie, son oreille plus exercée lui faisait éviter plus facilement ce défaut.] si, au milieu de ces révolutions fréquentes, ma réputation s'est pourtant conservée pure; n'avez-vous pas dû en conclure que, née pour venger mon sexe et maÃtriser le vÎtre, j'avais su me créer des moyens inconnus jusqu'à moi? Ah! gardez vos conseils et vos craintes pour ces femmes à délire, et qui se disent à sentiment; dont l'imagination exaltée ferait croire que la nature a placé leurs sens dans leur tÃÂȘte; qui, n'ayant jamais réfléchi, confondent sans cesse l'amour et l'Amant; qui, dans leur folle illusion, croient que celui-là seul avec qui elles ont cherché le plaisir en est l'unique dépositaire; et vraies superstitieuses, ont pour le PrÃÂȘtre le respect et la foi qui n'est dû qu'à la Divinité. Craignez encore pour celles qui, plus vaines que prudentes, ne savent pas au besoin consentir à se faire quitter. Tremblez surtout pour ces femmes actives dans leur oisiveté, que vous nommez sensibles, et dont l'amour s'empare si facilement et avec tant de puissance; qui sentent le besoin de s'en occuper encore, mÃÂȘme lorsqu'elles n'en jouissent pas; et s'abandonnant sans réserve à la fermentation de leurs idées, enfantent par elles ces Lettres si douces, mais si dangereuses à écrire; et ne craignent pas de confier ces preuves de leur faiblesse à l'objet qui les cause imprudentes, qui, dans leur Amant actuel, ne savent pas voir leur ennemi futur. Mais moi, qu'ai-je de commun avec ces femmes inconsidérées? quand m'avez-vous vue m'écarter des rÚgles que je me suis prescrites, et manquer à mes principes? je dis mes principes, et je le dis à dessein car ils ne sont pas comme ceux des autres femmes, donnés au hasard, reçus sans examen et suivis par habitude, ils sont le fruit de mes profondes réflexions; je les ai créés, et je puis dire que je suis mon ouvrage. Entrée dans le monde dans le temps oÃÂč, fille encore, j'étais vouée par état au silence et à l'inaction, j'ai su en profiter pour observer et réfléchir. Tandis qu'on me croyait étourdie ou distraite, écoutant peu à la vérité les discours qu'on s'empressait à me tenir, je recueillais avec soin ceux qu'on cherchait à me cacher. Cette utile curiosité, en servant à m'instruire, m'apprit encore à dissimuler forcée souvent de cacher les objets de mon attention aux yeux de ceux qui m'entouraient, j'essayai de guider les miens à mon gré; j'obtins dÚs lors de prendre à volonté ce regard distrait que vous avez loué si souvent. Encouragée par ce premier succÚs, je tùchai de régler de mÃÂȘme les divers mouvements de ma figure. Ressentais-je quelque chagrin, je m'étudiais à prendre l'air de la sérénité, mÃÂȘme celui de la joie; j'ai porté le zÚle jusqu'à me causer des douleurs volontaires, pour chercher pendant ce temps l'expression du plaisir. Je me suis travaillée avec le mÃÂȘme soin et plus de peine, pour réprimer les symptÎmes d'une joie inattendue. C'est ainsi que j'ai su prendre sur ma physionomie cette puissance dont je vous ai vu quelquefois si étonné. J'étais bien jeune encore, et presque sans intérÃÂȘt mais je n'avais à moi que ma pensée, et je m'indignais qu'on pût me la ravir ou me la surprendre contre ma volonté. Munie de ces premiÚres armes, j'en essayai l'usage non contente de ne plus me laisser pénétrer, je m'amusais à me montrer sous des formes différentes; sûre de mes gestes, j'observais mes discours; je réglai les uns et les autres, suivant les circonstances, ou mÃÂȘme seulement suivant mes fantaisies dÚs ce moment, ma façon de penser fut pour moi seule, et je ne montrai plus que celle qu'il m'était utile de laisser voir. Ce travail sur moi-mÃÂȘme avait fixé mon attention sur l'expression des figures et le caractÚre des physionomies; et j'y gagnai ce coup d'oeil pénétrant, auquel l'expérience m'a pourtant appris à ne pas me fier entiÚrement; mais qui, en tout, m'a rarement trompée. Je n'avais pas quinze ans, je possédais déjà les talents auxquels la plus grande partie de nos Politiques doivent leur réputation, et je ne me trouvais encore qu'aux premiers éléments de la science que je voulais acquérir. Vous jugez bien que, comme toutes les jeunes filles, je cherchais à deviner l'amour et ses plaisirs mais n'ayant jamais été au Couvent, n'ayant point de bonne amie, et surveillée par une mÚre vigilante, je n'avais que des idées vagues et que je ne pouvais fixer; la nature mÃÂȘme, dont assurément je n'ai eu qu'à me louer depuis, ne me donnait encore aucun indice. On eût dit qu'elle travaillait en silence à perfectionner son ouvrage. Ma tÃÂȘte seule fermentait; je ne désirais pas de jouir, je voulais savoir; le désir de m'instruire m'en suggéra les moyens. Je sentis que le seul homme avec qui je pouvais parler sur cet objet, sans me compromettre, était mon Confesseur. AussitÎt je pris mon parti; je surmontai ma petite honte; et me vantant d'une faute que je n'avais pas commise, je m'accusai d'avoir fait tout ce que font les femmes . Ce fut mon expression; mais en parlant ainsi je ne savais en vérité quelle idée j'exprimais. Mon espoir ne fut ni tout à fait trompé, ni entiÚrement rempli, la crainte de me trahir m'empÃÂȘchait de m'éclairer mais le bon PÚre me fit le mal si grand que j'en conclus que le plaisir devait ÃÂȘtre extrÃÂȘme; et au désir de le connaÃtre succéda celui de le goûter. Je ne sais oÃÂč ce désir m'aurait conduite; et alors dénuée d'expérience, peut- ÃÂȘtre une seule occasion m'eût perdue heureusement pour moi, ma mÚre m'annonça peu de jours aprÚs que j'allais me marier; sur-le-champ la certitude de savoir éteignit ma curiosité, et j'arrivai vierge entre les bras de M. de Merteuil. J'attendais avec sécurité le moment qui devait m'instruire, et j'eus besoin de réflexion pour montrer de l'embarras et de la crainte. Cette premiÚre nuit, dont on se fait pour l'ordinaire une idée si cruelle ou si douce ne me présentait qu'une occasion d'expérience douleur et plaisir, j'observai tout exactement, et ne voyais dans ces diverses sensations que des faits à recueillir et à méditer. Ce genre d'étude parvint bientÎt à me plaire mais fidÚle à mes principes, et sentant peut-ÃÂȘtre par instinct, que nul ne devait ÃÂȘtre plus loin de ma confiance que mon mari, je résolus, par cela seul que j'étais sensible, de me montrer impassible à ses yeux. Cette froideur apparente fut par la suite le fondement inébranlable de son aveugle confiance j'y joignis, par une seconde réflexion, l'air d'étourderie qu'autorisait mon ùge; et jamais il ne me jugea plus enfant que dans les moments oÃÂč je le jouais avec plus d'audace. Cependant, je l'avouerai, je me laissai d'abord entraÃner par le tourbillon du monde, et je me livrai tout entiÚre à ses distractions futiles. Mais au bout de quelques mois, M. de Merteuil m'ayant menée à sa triste campagne, la crainte de l'ennui fit revenir le goût de l'étude; et ne m'y trouvant entourée que de gens dont la distance avec moi me mettait à l'abri de tout soupçon, j'en profitai pour donner un champ plus vaste à mes expériences. Ce fut là , surtout, que je m'assurai que l'amour que l'on nous vante comme la cause de nos plaisirs n'en est au plus que le prétexte. La maladie de M. de Merteuil vint interrompre de si douces occupations; il fallut le suivre à la Ville, oÃÂč il venait chercher des secours. Il mourut, comme vous savez, peu de temps aprÚs; et quoique à tout prendre, je n'eusse pas à me plaindre de lui, je n'en sentis pas moins vivement le prix de la liberté qu'allait me donner mon veuvage, et je me promis bien d'en profiter. Ma mÚre comptait que j'entrerais au Couvent, ou reviendrais vivre avec elle. Je refusai l'un et l'autre parti; et tout ce que j'accordai à la décence fut de retourner dans cette mÃÂȘme campagne oÃÂč il me restait bien encore quelques observations à faire. Je les fortifiai par le secours de la lecture mais ne croyez pas qu'elle fût toute du genre que vous la supposez. J'étudiai nos mÅ“urs dans les Romans; nos opinions dans les Philosophes; je cherchai mÃÂȘme dans les Moralistes les plus sévÚres ce qu'ils exigeaient de nous, et je m'assurai ainsi de ce qu'on pouvait faire, de ce qu'on devait penser et de ce qu'il fallait paraÃtre. Une fois fixée sur ces trois objets, le dernier seul présentait quelques difficultés dans son exécution; j'espérai les vaincre et j'en méditai les moyens. Je commençais à m'ennuyer de mes plaisirs rustiques, trop peu variés pour ma tÃÂȘte active; je sentais un besoin de coquetterie qui me raccommoda avec l'amour; non pour le ressentir à la vérité, mais pour l'inspirer et le feindre. En vain m'avait-on dit et avais-je lu qu'on ne pouvait feindre ce sentiment, je voyais pourtant que, pour y parvenir, il suffisait de joindre à l'esprit d'un Auteur le talent d'un Comédien. Je m'exerçai dans les deux genres, et peut- ÃÂȘtre avec quelque succÚs mais au lieu de rechercher les vains applaudissements du Théùtre, je résolus d'employer à mon bonheur ce que tant d'autres sacrifiaient à la vanité. Un an se passa dans ces occupations différentes. Mon deuil me permettant alors de reparaÃtre, je revins à la Ville avec mes grands projets; je ne m'attendais pas au premier obstacle que j'y rencontrai. Cette longue solitude, cette austÚre retraite avaient jeté sur moi un vernis de pruderie qui effrayait nos plus agréables; ils se tenaient à l'écart, et me laissaient livrée à une foule d'ennuyeux, qui tous prétendaient à ma main. L'embarras n'était pas de les refuser; mais plusieurs de ces refus déplaisaient à ma famille, et je perdais dans ces tracasseries intérieures le temps dont je m'étais promis un si charmant usage. Je fus donc obligée, pour rappeler les uns et éloigner les autres, d'afficher quelques inconséquences, et d'employer à nuire à ma réputation le soin que je comptais mettre à la conserver. Je réussis facilement, comme vous pouvez croire. Mais n'étant emportée par aucune passion, je ne fis que ce que je jugeai nécessaire et mesurai avec prudence les doses de mon étourderie. DÚs que j'eus touché le but que je voulais atteindre, je revins sur mes pas, et fis honneur de mon amendement à quelques-unes de ces femmes qui, dans l'impuissance d'avoir des prétentions à l'agrément, se rejettent sur celles du mérite et de la vertu. Ce fut un coup de partie qui me valut plus que je n'avais espéré. Ces reconnaissantes DuÚgnes s'établirent mes apologistes; et leur zÚle aveugle pour ce qu'elles appelaient leur ouvrage fut porté au point qu'au moindre propos qu'on se permettait sur moi, tout le parti Prude criait au scandale et à l'injure. Le mÃÂȘme moyen me valut encore le suffrage de nos femmes à prétentions, qui, persuadées que je renonçais à courir la mÃÂȘme carriÚre qu'elles, me choisirent pour l'objet de leurs éloges, toutes les fois qu'elles voulaient prouver qu'elles ne médisaient pas de tout le monde. Cependant ma conduite précédente avait ramené les Amants; et pour me ménager entre eux et mes fidÚles protectrices, je me montrai comme une femme sensible, mais difficile, à qui l'excÚs de sa délicatesse fournissait des armes contre l'amour. Alors je commençai à déployer sur le grand Théùtre les talents que je m'étais donnés. Mon premier soin fut d'acquérir le renom d'invincible. Pour y parvenir, les hommes qui ne me plaisaient point furent toujours les seuls dont j'eus l'air d'accepter les hommages. Je les employais utilement à me procurer les honneurs de la résistance, tandis que je me livrais sans crainte à l'Amant préféré. Mais, celui-là , ma feinte timidité ne lui a jamais permis de me suivre dans le monde; et les regards du cercle ont été, ainsi, toujours fixés sur l'Amant malheureux. Vous savez combien je me décide vite c'est pour avoir observé que ce sont presque toujours les soins antérieurs qui livrent le secret des femmes. Quoi qu'on puisse faire, le ton n'est jamais le mÃÂȘme, avant ou aprÚs le succÚs. Cette différence n'échappe point à l'observateur attentif et j'ai trouvé moins dangereux de me tromper dans le choix, que de le laisser pénétrer. Je gagne encore par là d'Îter les vraisemblances, sur lesquelles seules on peut nous juger. Ces précautions et celle de ne jamais écrire, de ne livrer jamais aucune preuve de ma défaite, pouvaient paraÃtre excessives, et ne m'ont jamais paru suffisantes. Descendue dans mon cÅ“ur, j'y ai étudié celui des autres. J'y ai vu qu'il n'est personne qui n'y conserve un secret qu'il lui importe qui ne soit point dévoilé vérité que l'Antiquité paraÃt avoir mieux connue que nous, et dont l'histoire de Samson pourrait n'ÃÂȘtre qu'un ingénieux emblÚme. Nouvelle Dalila, j'ai toujours, comme elle, employé ma puissance à surprendre ce secret important. Hé! de combien de nos Samsons modernes, ne tiens-je pas la chevelure sous le ciseau! et ceux-là , j'ai cessé de les craindre; ce sont les seuls que je me sois permis d'humilier quelquefois. Plus souple avec les autres, l'art de les rendre infidÚles pour éviter de leur paraÃtre volage, une feinte amitié, une apparente confiance, quelques procédés généreux, l'idée flatteuse et que chacun conserve d'avoir été mon seul Amant, m'ont obtenu leur discrétion. Enfin, quand ces moyens m'ont manqué, j'ai su, prévoyant mes ruptures, étouffer d'avance, sous le ridicule ou la calomnie, la confiance que ces hommes dangereux auraient pu obtenir. Ce que je vous dis là , vous me le voyez pratiquer sans cesse; et vous doutez de ma prudence! Hé bien! rappelez-vous le temps oÃÂč vous me rendÃtes vos premiers soins jamais hommage ne me flatta autant; je vous désirais avant de vous avoir vu. Séduite par votre réputation, il me semblait que vous manquiez à ma gloire; je brûlais de vous combattre corps à corps. C'est le seul de mes goûts qui ait jamais pris un moment d'empire sur moi. Cependant, si vous eussiez voulu me perdre; quels moyens eussiez-vous trouvés? de vains discours qui ne laissent aucune trace aprÚs eux, que votre réputation mÃÂȘme eût aidé à rendre suspects, et une suite de faits sans vraisemblance, dont le récit sincÚre aurait eu l'air d'un Roman mal tissu. A la vérité, je vous ai depuis livré tous mes secrets mais vous savez quels intérÃÂȘts nous unissent, et si de nous deux, c'est moi qu'on doit taxer d'imprudence. [On saura dans la suite, Lettre CLII, non pas le secret de M. de Valmont à peu prÚs de quel genre il était; et le Lecteur sentira qu'on n'a pas pu l'éclaircir davantage sur cet objet] Puisque je suis en train de vous rendre compte, je veux le faire exactement. Je vous entends d'ici me dire que je suis au moins à la merci de ma Femme de chambre; en effet, si elle n'a pas le secret de mes sentiments, elle a celui de mes actions. Quand vous m'en parlùtes jadis, je vous répondis seulement que j'étais sûre d'elle; et la preuve que cette réponse suffit alors à votre tranquillité, c'est que vous lui avez confié depuis, et pour votre compte, des secrets assez dangereux. Mais à présent que Prévan vous donne de l'ombrage, et que la tÃÂȘte vous en tourne, je me doute bien que vous ne me croyez plus sur parole. Il faut donc vous édifier. PremiÚrement, cette fille est ma sÅ“ur de lait, et ce lien qui ne nous en paraÃt pas un, n'est pas sans force pour les gens de cet état de plus, j'ai son secret, et mieux encore; victime d'une folie de l'amour, elle était perdue si je ne l'eusse sauvée. Ses parents, tout hérissés d'honneur, ne voulaient pas moins que la faire enfermer. Ils s'adressÚrent à moi. Je vis, d'un coup d'oeil, combien leur courroux pouvait m'ÃÂȘtre utile. Je le secondai, et sollicitai l'ordre, que j'obtins. Puis passant tout à coup au parti de la clémence auquel j'amenai ses parents, et profitant de mon crédit auprÚs du vieux Ministre, je les fis tous consentir à me laisser dépositaire de cet ordre, et maÃtresse d'en arrÃÂȘter ou demander l'exécution, suivant que je jugerais du mérite de la conduite future de cette fille. Elle sait donc que j'ai son sort entre les mains, et quand, par impossible, ces moyens puissants ne l'arrÃÂȘteraient point, n'est-il pas évident que sa conduite dévoilée et sa punition authentique Îteraient bientÎt toute créance à ses discours? A ces précautions que j'appelle fondamentales, s'en joignent mille autres, ou locales ou d'occasion, que la réflexion et l'habitude font trouver au besoin; dont le détail serait minutieux, mais dont la pratique est importante, et qu'il faut vous donner la peine de recueillir dans l'ensemble de ma conduite, si vous voulez parvenir à les connaÃtre. Mais de prétendre que je me sois donné tant de soins pour n'en pas retirer de fruits; qu'aprÚs m'ÃÂȘtre autant élevée au-dessus des autres femmes par mes travaux pénibles, je consente à ramper comme elles dans ma marche, entre l'imprudence et la timidité; que surtout je pusse redouter un homme au point de ne plus voir mon salut que dans la fuite? Non, Vicomte; jamais. Il faut vaincre ou périr. Quant à Prévan, je veux l'avoir et je l'aurai; il veut le dire, et il ne le dira pas en deux mots, voilà notre Roman. Adieu. De ..., ce 20 septembre 17** LETTRE LXXXII CECILE VOLANGES AU CHEVALIER DANCENY Mon Dieu, que votre Lettre m'a fait de peine! J'avais bien besoin d'avoir tant d'impatience de la recevoir! J'espérais y trouver de la consolation, et voilà que je suis plus affligée qu'avant de l'avoir reçue. J'ai bien pleuré en la lisant ce n'est pas cela que je vous reproche; j'ai déjà bien pleuré des fois à cause de vous, sans que ça me fasse de la peine. Mais cette fois-ci, ce n'est pas la mÃÂȘme chose. Qu'est-ce donc que vous voulez dire, que votre amour devient un tourment pour vous, que vous ne pouvez plus vivre ainsi, ni soutenir plus longtemps votre situation? Est-ce que vous allez cesser de m'aimer, parce que cela n'est pas si agréable qu'autrefois? Il me semble que je ne suis pas plus heureuse que vous, bien au contraire; et pourtant je ne vous aime que davantage. Si M. de Valmont ne vous a pas écrit, ce n'est pas ma faute; je n'ai pas pu l'en prier, parce que je n'ai pas été seule avec lui, et que nous sommes convenus que nous ne nous parlerions jamais devant le monde et ça, c'est encore pour vous; afin qu'il puisse faire le plus tÎt ce que vous désirez. Je ne dis pas que je ne le désire pas aussi, et vous devez en ÃÂȘtre bien sûr mais comment voulez- vous que je fasse? Si vous croyez que c'est facile, trouvez donc le moyen, je ne demande pas mieux. Croyez-vous qu'il me soit bien agréable d'ÃÂȘtre grondée tous les jours par Maman, elle qui auparavant ne me disait jamais rien, bien au contraire? A présent, c'est pis que si j'étais au Couvent. Je m'en consolais pourtant en songeant que c'était pour vous; il y avait mÃÂȘme des moments oÃÂč je trouvais que j'en étais bien aise; mais quand je vois que vous ÃÂȘtes fùché aussi, et ça sans qu'il y ait du tout de ma faute, je deviens plus chagrine que pour tout ce qui vient de m'arriver jusqu'ici. Rien que pour recevoir vos Lettres, c'est un embarras, que si M. de Valmont n'était pas aussi complaisant et aussi adroit qu'il l'est, je ne saurais comment faire; et pour vous écrire, c'est plus difficile encore. De toute la matinée, je n'ose pas, parce que Maman est tout prÚs de moi, et qu'elle vient à tout moment dans ma chambre. Quelquefois je le peux l'aprÚs-midi; sous prétexte de chanter ou de jouer de la harpe; encore faut-il que j'interrompe à chaque ligne pour qu'on entende que j'étudie. Heureusement ma Femme de chambre s'endort quelquefois le soir, et je lui dis que je me coucherai bien toute seule, afin qu'elle s'en aille et me laisse de la lumiÚre. Et puis, il faut que je me mette sous mon rideau, pour qu'on ne puisse pas voir de clarté, et puis que j'écoute au moindre bruit pour pouvoir tout cacher dans mon lit, si on venait. Je voudrais que vous y fussiez, pour voir! Vous verriez bien qu'il faut bien aimer pour faire ça. Enfin, il est bien vrai que je fais tout ce que je peux, et que je voudrais en pouvoir faire davantage. Assurément, je ne refuse pas de vous dire que je vous aime et que je vous aimerai toujours; jamais je ne l'ai dit de meilleur cÅ“ur; et vous ÃÂȘtes fùché! Vous m'aviez pourtant bien assuré, avant que je vous l'eusse dit, que cela suffisait pour vous rendre heureux. Vous ne pouvez pas le nier c'est dans vos Lettres. Quoique je ne les aie plus, je m'en souviens comme quand je les lisais tous les jours. Et parce que nous voilà absents, vous ne pensez plus de mÃÂȘme! Mais cette absence ne durera pas toujours, peut-ÃÂȘtre? Mon Dieu, que je suis malheureuse! et c'est bien vous qui en ÃÂȘtes cause! A propos de vos Lettres, j'espÚre que vous avez gardé celles que Maman m'a prises, et qu'elle vous a renvoyées; il faudra bien qu'il vienne un temps oÃÂč je ne serai plus si gÃÂȘnée qu'à présent, et vous me les rendrez toutes. Comme je serai heureuse, quand je pourrai les garder toujours, sans que personne ait rien à y voir! A présent, je les remets à M. de Valmont, parce qu'il y aurait trop à risquer autrement malgré cela je ne lui en rends jamais, que cela ne me fasse bien de la peine. Adieu, mon cher ami. Je vous aime de tout mon cÅ“ur. Je vous aimerai toute ma vie. J'espÚre qu'à présent vous n'ÃÂȘtes plus fùché; et si j'en étais sûre, je ne le serais plus moi-mÃÂȘme. Ecrivez-moi le plus tÎt que vous pourrez, car je sens que jusque-là je serai toujours triste. Du Chùteau de ce 21 septembre 17** LETTRE LXXXIII LE VICOMTE DE VALMONT A LA PRESIDENTE DE TOURVEL De grùce, Madame, renouons cet entretien si malheureusement rompu! Que je puisse achever de vous prouver combien je diffÚre de l'odieux portrait qu'on vous avait fait de moi; que je puisse, surtout, jouir encore de cette aimable confiance que vous commenciez à me témoigner! Que de charmes vous savez prÃÂȘter à la vertu! comme vous embellissez et faites chérir tous les sentiments honnÃÂȘtes! Ah! c'est là votre séduction; c'est la plus forte; c'est la seule qui soit, à la fois, puissante et respectable. Sans doute il suffit de vous voir, pour désirer de vous plaire; de vous entendre dans le cercle, pour que ce désir augmente. Mais celui qui a le bonheur de vous connaÃtre davantage, qui peut quelquefois lire dans votre ùme, cÚde bientÎt à un plus noble enthousiasme, et pénétré de vénération comme d'amour, adore en vous l'image de toutes les vertus. Plus fait qu'un autre, peut-ÃÂȘtre, pour les aimer et les suivre, entraÃné par quelques erreurs qui m'avaient éloigné d'elles, c'est vous qui m'en avez rapproché, qui m'en avez de nouveau fait sentir tout le charme me ferez-vous un crime de ce nouvel amour? blùmerez-vous votre ouvrage? Vous reprocheriez-vous mÃÂȘme l'intérÃÂȘt que vous pourriez y prendre? Quel mal peut-on craindre d'un sentiment si pur, et quelles douceurs n'y aurait-il pas à le goûter? Mon amour vous effraie, vous le trouvez violent, effréné? Tempérez-le par un amour plus doux; ne refusez pas l'empire que je vous offre, auquel je jure de ne jamais me soustraire, et qui, j'ose le croire, ne serait pas entiÚrement perdu pour la vertu. Quel sacrifice pourrait me paraÃtre pénible, sûr que votre cÅ“ur m'en garderait le prix? Quel est donc l'homme assez malheureux pour ne pas savoir jouir des privations qu'il s'impose; pour ne pas préférer un mot, un regard accordés, à toutes les jouissances qu'il pourrait ravir ou surprendre! et vous avez cru que j'étais cet homme-là ! et vous m'avez craint! Ah! pourquoi votre bonheur ne dépend-il pas de moi? comme je me vengerais de vous, en vous rendant heureuse! Mais ce doux empire, la stérile amitié ne le produit pas; il n'est dû qu'à l'amour. Ce mot vous intimide! et pourquoi? un attachement plus tendre, une union plus forte, une seule pensée; le mÃÂȘme bonheur comme les mÃÂȘmes peines, qu'y a-t-il donc là d'étranger à votre ùme? Tel est pourtant l'amour! tel est au moins celui que vous inspirez et que je ressens! C'est lui surtout, qui, calculant sans intérÃÂȘt, sait apprécier les actions sur leur mérite et non sur leur valeur; trésor inépuisable des ùmes sensibles, tout devient précieux, fait par lui ou pour lui. Ces vérités si faciles à saisir, si douces à pratiquer, qu'ont-elles donc d'effrayant? Quelles craintes peut aussi vous causer un homme sensible, à qui l'amour ne permet plus un autre bonheur que le vÎtre? C'est aujourd'hui l'unique vÅ“u que je forme je sacrifierai tout pour le remplir, excepté le sentiment qui l'inspire; et ce sentiment lui-mÃÂȘme, consentez à le partager, et vous le réglerez à votre choix. Mais ne souffrons plus qu'il nous divise, lorsqu'il devrait nous réunir. Si l'amitié que vous m'avez offerte n'est pas un vain mot; si, comme vous me le disiez hier, c'est le sentiment le plus doux que votre ùme connaisse; que ce soit elle qui stipule entre nous, je ne la récuserai point mais juge de l'amour, qu'elle consente à l'écouter; le refus de l'entendre deviendrait une injustice, et l'amitié n'est point injuste. Un second entretien n'aura pas plus d'inconvénients que le premier le hasard peut encore en fournir l'occasion; vous pourriez vous-mÃÂȘme en indiquer le moment. Je veux croire que j'ai tort; n'aimerez-vous pas mieux me ramener que me combattre, et doutez-vous de ma docilité? Si ce tiers importun ne fût pas venu nous interrompre, peut-ÃÂȘtre serais-je déjà entiÚrement revenu à votre avis; qui sait jusqu'oÃÂč peut aller votre pouvoir? Vous le dirai-je? cette puissance invincible, à laquelle je me livre sans oser la calculer, ce charme irrésistible, qui vous rend souveraine de mes pensées comme de mes actions, il m'arrive quelquefois de les craindre. Hélas! cet entretien que je vous demande, peut-ÃÂȘtre est-ce à moi à le redouter! peut-ÃÂȘtre aprÚs, enchaÃné par mes promesses, me verrai-je réduit à brûler d'un amour que je sens bien qui ne pourra s'éteindre, sans oser mÃÂȘme implorer votre secours! Ah! Madame, de grùce, n'abusez pas de votre empire! Mais quoi! si vous devez en ÃÂȘtre plus heureuse, si je dois vous en paraÃtre plus digne de vous, quelles peines ne sont pas adoucies par ces idées consolantes! Oui, je le sens; vous parler encore, c'est vous donner contre moi de plus fortes armes; c'est me soumettre plus entiÚrement à votre volonté. Il est plus aisé de se défendre contre vos Lettres; ce sont bien vos mÃÂȘmes discours, mais vous n'ÃÂȘtes pas là pour leur prÃÂȘter des forces. Cependant, le plaisir de vous entendre m'en fait braver le danger au moins aurai-je ce bonheur d'avoir tout fait pour vous, mÃÂȘme contre moi; et mes sacrifices deviendront un hommage. Trop heureux de vous prouver de mille maniÚres, comme je le sens de mille façons, que, sans m'en excepter, vous ÃÂȘtes, vous serez toujours l'objet le plus cher à mon cÅ“ur. Du Chùteau de ce 23 septembre 17** LETTRE LXXXIV LE VICOMTE DE VALMONT A CECILE VOLANGES Vous avez vu combien nous avons été contrariés hier. De toute la journée je n'ai pas pu vous remettre la Lettre que j'avais pour vous; j'ignore si j'y trouverai plus de facilité aujourd'hui. Je crains de vous compromettre, en y mettant plus de zÚle que d'adresse; et je ne me pardonnerais pas une imprudence qui vous deviendrait si fatale, et causerait le désespoir de mon ami, en vous rendant éternellement malheureuse. Cependant je connais les impatiences de l'amour; je sens combien il doit ÃÂȘtre pénible, dans votre situation, d'éprouver quelque retard à la seule consolation que vous puissiez goûter dans ce moment. A force de m'occuper des moyens d'écarter les obstacles, j'en ai trouvé un dont l'exécution sera aisée, si vous y mettez quelque soin. Je crois avoir remarqué que la clef de la porte de votre Chambre, qui donne sur le corridor, est toujours sur la cheminée de votre Maman. Tout deviendrait facile avec cette clef, vous devez bien le sentir; mais à son défaut, je vous en procurerai une semblable, et qui la suppléera. Il me suffira, pour y parvenir, d'avoir l'autre une heure ou deux à ma disposition. Vous devez trouver aisément l'occasion de la prendre, et pour qu'on ne s'aperçoive pas qu'elle manque, j'en joins ici une à moi, qui est assez semblable, pour qu'on n'en voie pas la différence, à moins qu'on ne l'essaie; ce qu'on ne tentera pas. Il faudra seulement que vous ayez soin d'y mettre un ruban, bleu et passé, comme celui qui est à la vÎtre. Il faudrait tùcher d'avoir cette clef pour demain ou aprÚs-demain, à l'heure du déjeuner; parce qu'il vous sera plus facile de me la donner alors, et qu'elle pourra ÃÂȘtre remise à sa place pour le soir, temps oÃÂč votre Maman pourrait y faire plus d'attention. Je pourrai vous la rendre au moment du dÃner, si nous nous entendons bien. Vous savez que quand on passe du salon à la salle à manger, c'est toujours Madame de Rosemonde qui marche la derniÚre. Je lui donnerai la main. Vous n'aurez qu'à quitter votre métier de tapisserie lentement, ou bien laisser tomber quelque chose, de façon à rester en arriÚre vous saurez bien alors prendre la clef, que j'aurai soin de tenir derriÚre moi. Il ne faudra pas négliger, aussitÎt aprÚs l'avoir prise, de rejoindre ma vieille tante, et de lui faire quelques caresses. Si par hasard vous laissiez tomber cette clef, n'allez pas vous déconcerter; je feindrai que c'est moi, et je vous réponds de tout. Le peu de confiance que vous témoigne votre Maman et ses procédés si durs envers vous autorisent de reste cette petite supercherie. C'est au surplus le seul moyen de continuer à recevoir les Lettres de Danceny, et à lui faire passer les vÎtres; tout autre est réellement trop dangereux, et pourrait vous perdre tous deux sans ressource aussi ma prudente amitié se reprocherait-elle de les employer davantage. Une fois maÃtres de la clef, il nous restera quelques précautions à prendre contre le bruit de la porte et de la serrure mais elles sont bien faciles. Vous trouverez, sous la mÃÂȘme armoire oÃÂč j'avais mis votre papier, de l'huile et une plume. Vous allez quelquefois chez vous à des heures oÃÂč vous y ÃÂȘtes seule il faut en profiter pour huiler la serrure et les gonds. La seule attention à avoir, est de prendre garde aux taches qui déposeraient contre vous. Il faudra aussi attendre que la nuit soit venue, parce que, si cela se fait avec l'intelligence dont vous ÃÂȘtes capable, il n'y paraÃtra plus le lendemain matin. Si pourtant on s'en aperçoit, n'hésitez pas à dire que c'est le Frotteur du Chùteau. Il faudrait, dans ce cas, spécifier le temps, mÃÂȘme les discours qu'il vous aura tenus comme par exemple, qu'il prend ce soin contre la rouille, pour toutes les serrures dont on ne fait pas usage. Car vous sentez qu'il ne serait pas vraisemblable que vous eussiez été témoin de ce tracas sans en demander la cause. Ce sont ces petits détails qui donnent la vraisemblance, et la vraisemblance rend les mensonges sans conséquence, en Îtant le désir de les vérifier. AprÚs que vous aurez lu cette Lettre, je vous prie de la relire, et mÃÂȘme de vous en occuper d'abord, c'est qu'il faut bien savoir ce qu'on veut bien faire; ensuite, pour vous assurer que je n'ai rien omis. Peu accoutumé à employer la finesse pour mon compte, je n'en ai pas grand usage; il n'a pas mÃÂȘme fallu moins que ma vive amitié pour Danceny, et l'intérÃÂȘt que vous inspirez, pour me déterminer à me servir de ces moyens, quelque innocents qu'ils soient. Je hais tout ce qui a l'air de la tromperie; c'est là mon caractÚre. Mais vos malheurs m'ont touché au point que je tenterai tout pour les adoucir. Vous pensez bien que, cette communication une fois établie entre nous, il me sera bien plus facile de vous procurer, avec Danceny, l'entretien qu'il désire. Cependant ne lui parlez pas encore de tout ceci; vous ne feriez qu'augmenter son impatience, et le moment de la satisfaire n'est pas encore tout à fait venu. Vous lui devez, je crois, de la calmer plutÎt que de l'aigrir. Je m'en rapporte là - dessus à votre délicatesse. Adieu, ma belle pupille car vous ÃÂȘtes ma pupille. Aimez un peu votre tuteur, et surtout ayez avec lui de la docilité; vous vous en trouverez bien. Je m'occupe de votre bonheur, et soyez sûre que j'y trouverai le mien. De ..., ce 24 septembre 17** LETTRE LXXXV LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT Enfin vous serez tranquille et surtout vous me rendrez justice. Ecoutez, et ne me confondez plus avec les autres femmes. J'ai mis à fin mon aventure avec Prévan; à fin ! entendez-vous bien ce que cela veut dire? A présent vous allez juger qui de lui ou de moi pourra se vanter. Le récit ne sera pas si plaisant que l'action aussi ne serait-il pas juste que, tandis que vous n'avez fait que raisonner bien ou mal sur cette affaire, il vous en revÃnt autant de plaisir qu'à moi, qui y donnais mon temps et ma peine. Cependant, si vous avez quelque grand coup à faire, si vous devez tenter quelque entreprise oÃÂč ce Rival dangereux vous paraisse à craindre, arrivez. Il vous laisse le champ libre, au moins pour quelque temps; peut-ÃÂȘtre mÃÂȘme ne se relÚvera-t-il jamais du coup que je lui ai porté. Que vous ÃÂȘtes heureux de m'avoir pour amie! Je suis pour vous une Fée bienfaisante. Vous languissez loin de la Beauté qui vous engage; je dis un mot, et vous vous retrouvez auprÚs d'elle. Vous voulez vous venger d'une femme qui vous nuit; je vous marque l'endroit oÃÂč vous devez frapper et la livre à votre discrétion. Enfin, pour écarter de la lice un concurrent redoutable, c'est encore moi que vous invoquez, et je vous exauce. En vérité, si vous ne passez pas votre vie à me remercier, c'est que vous ÃÂȘtes un ingrat. Je reviens à mon aventure et la reprends d'origine. Le rendez-vous, donné si haut, à la sortie de l'Opéra [Voyez la Lettre LXXIV], fut entendu comme je l'avais espéré. Prévan s'y rendit; et quand la Maréchale lui dit obligeamment qu'elle se félicitait de le voir deux fois de suite à ses jours, il eut soin de répondre que depuis Mardi soir il avait défait mille arrangements, pour pouvoir ainsi disposer de cette soirée. A bon entendeur, salut! Comme je voulais pourtant savoir, avec plus de certitude, si j'étais ou non le véritable objet de cet empressement flatteur, je voulus forcer le soupirant nouveau de choisir entre moi et son goût dominant. Je déclarai que je ne jouerais point; en effet, il trouva, de son cÎté, mille prétextes pour ne pas jouer; et mon premier triomphe fut sur le lansquenet. Je m'emparai de l'EvÃÂȘque de ... pour ma conversation; je le choisis à cause de sa liaison avec le héros du jour, à qui je voulais donner toute facilité de m'aborder. J'étais bien aise aussi d'avoir un témoin respectable qui pût, au besoin, déposer de ma conduite et de mes discours. Cet arrangement réussit. AprÚs les propos vagues et d'usage, Prévan, s'étant bientÎt rendu maÃtre de la conversation, prit tour à tour différents tons, pour essayer celui qui pourrait me plaire. Je refusai celui du sentiment, comme n'y croyant pas; j'arrÃÂȘtai par mon sérieux sa gaieté qui me parut trop légÚre pour un début; il se rabattit sur la délicate amitié; et ce fut sous ce drapeau banal que nous commençùmes notre attaque réciproque. Au moment du souper, l'EvÃÂȘque, ne descendait pas; Prévan me donna donc la main, et se trouva naturellement placé à table à cÎté de moi. Il faut ÃÂȘtre juste; il soutint avec beaucoup d'adresse notre conversation particuliÚre, en ne paraissant s'occuper que de la conversation générale, dont il eut l'air de faire tous les frais. Au dessert, on parla d'une PiÚce nouvelle qu'on devait donner le Lundi suivant aux Français. Je témoignai quelques regrets de n'avoir pas ma loge; il m'offrit la sienne que je refusai d'abord, comme cela se pratique à quoi il répondit assez plaisamment que je ne l'entendais pas, qu'à coup sûr il ne ferait pas le sacrifice de sa loge à quelqu'un qu'il ne connaissait pas, mais qu'il m'avertissait seulement que Madame la Maréchale en disposerait. Elle se prÃÂȘta à cette plaisanterie, et j'acceptai. Remonté au salon, il demanda, comme vous pouvez croire, une place dans cette loge; et comme la Maréchale, qui le traite avec beaucoup de bonté, la lui promit s'il était sage , il en prit l'occasion d'une de ces conversations à double entente, pour lesquelles vous m'avez vanté son talent. En effet, s'étant mis à ses genoux, comme un enfant soumis, disait-il, sous prétexte de lui demander ses avis et d'implorer sa raison, il dit beaucoup de choses flatteuses et assez tendres, dont il m'était facile de me faire l'application. Plusieurs personnes ne s'étant pas remises au jeu l'aprÚs-souper, la conversation fut plus générale et moins intéressante mais nos yeux parlÚrent beaucoup. Je dis nos yeux je devrais dire les siens; car les miens n'eurent qu'un langage, celui de la surprise. Il dut penser que je m'étonnais et m'occupais excessivement de l'effet prodigieux qu'il faisait sur moi. Je crois que je le laissai fort satisfait; je n'étais pas moins contente. Le Lundi suivant, je fus aux Français, comme nous en étions convenus. Malgré votre curiosité littéraire, je ne puis vous rien dire du Spectacle, sinon que Prévan a un talent merveilleux pour la cajolerie, et que la PiÚce est tombée voilà tout ce que j'y ai appris. Je voyais avec peine finir cette soirée, qui réellement me plaisait beaucoup; et pour la prolonger, j'offris à la Maréchale de venir souper chez moi ce qui me fournit le prétexte de le proposer à l'aimable Cajoleur, qui ne demanda que le temps de courir, pour se dégager, jusque chez les Comtesses de P. [Voyez la lettre LXX]. Ce nom me rendit toute ma colÚre; je vis clairement qu'il allait commencer les confidences je me rappelai vos sages conseils et me promis bien de poursuivre l'aventure; sûre que je le guérirais de cette dangereuse indiscrétion. Etranger dans ma société, qui ce soir-là était peu nombreuse, il me devait les soins d'usage; aussi, quand on alla souper, m'offrit-il la main. J'eus la malice, en l'acceptant, de mettre dans la mienne un léger frémissement, et d'avoir, pendant ma marche, les yeux baissés et la respiration haute. J'avais l'air de pressentir ma défaite, et de redouter mon vainqueur. Il le remarqua à merveille; aussi le traÃtre changea-t-il sur-le-champ de ton et de maintien. Il était galant, il devint tendre. Ce n'est pas que les propos ne fussent à peu prÚs les mÃÂȘmes; la circonstance y forçait mais son regard, devenu moins vif, était plus caressant; l'inflexion de sa voix plus douce; son sourire n'était plus celui de la finesse, mais du contentement. Enfin dans ses discours, éteignant peu à peu le feu de la saillie, l'esprit fit place à la délicatesse. Je vous le demande, qu'eussiez-vous fait de mieux? De mon cÎté, je devins rÃÂȘveuse, à tel point qu'on fut forcé de s'en apercevoir, et quand on m'en fit le reproche, j'eus l'adresse de m'en défendre maladroitement, et de jeter sur Prévan un coup d'oeil prompt, mais timide et déconcerté, et propre à lui faire croire que toute ma crainte était qu'il ne devinùt la cause de mon trouble. AprÚs souper, je profitai du temps oÃÂč la bonne Maréchale contait une de ces histoires qu'elle conte toujours, pour me placer sur mon Ottomane, dans cet abandon que donne une tendre rÃÂȘverie. Je n'étais pas fùchée que Prévan me vÃt ainsi; il m'honora, en effet, d'une attention toute particuliÚre. Vous jugez bien que mes timides regards n'osaient chercher les yeux de mon vainqueur mais dirigés vers lui d'une maniÚre plus humble, ils m'apprirent bientÎt que j'obtenais l'effet que je voulais produire. Il fallait encore lui persuader que je le partageais aussi, quand la Maréchale annonça qu'elle allait se retirer, je m'écriai d'une voix molle et tendre " Ah Dieu! j'étais si bien là ! " Je me levai pourtant mais avant de me séparer d'elle, je lui demandai ses projets, pour avoir un prétexte de dire les miens et de faire savoir que je resterais chez moi le surlendemain. Là -dessus tout le monde se sépara. Alors je me mis à réfléchir. Je ne doutais pas que Prévan ne profitùt de l'espÚce de rendez-vous que je venais de lui donner; qu'il n'y vÃnt d'assez bonne heure pour me trouver seule, et que l'attaque ne fût vive mais j'étais bien sûre aussi, d'aprÚs ma réputation, qu'il ne me traiterait pas avec cette légÚreté que, pour peu qu'on ait d'usage, on n'emploie qu'avec les femmes à aventures, ou celles qui n'ont aucune expérience; et je voyais mon succÚs certain s'il prononçait le mot d'amour, s'il avait la prétention, surtout, de l'obtenir de moi. Qu'il est commode d'avoir affaire à vous autres gens à principes ! quelquefois un brouillon d'Amoureux vous déconcerte par sa timidité ou vous embarrasse par ses fougueux transports; c'est une fiÚvre qui, comme l'autre, a ses frissons et son ardeur, et quelquefois varie dans ses symptÎmes. Mais votre marche réglée se devine si facilement! L'arrivée, le maintien, le ton, les discours, je savais tout dÚs la veille. Je ne vous rendrai donc pas notre conversation que vous suppléerez aisément. Observez seulement que, dans ma feinte défense, je l'aidais de tout mon pouvoir embarras, pour lui donner le temps de parler; mauvaises raisons, pour ÃÂȘtre combattues; crainte et méfiance, pour ramener les protestations; et ce refrain perpétuel de sa part, je ne vous demande qu'un mot ; et ce silence de la mienne, qui semble ne le laisser attendre que pour le faire désirer davantage; au travers de tout cela, une main cent fois prise, qui se retire toujours et ne se refuse jamais. On passerait ainsi tout un jour; nous y passùmes une mortelle heure nous y serions peut-ÃÂȘtre encore si nous n'avions entendu entrer un carrosse dans ma cour. Cet heureux contretemps rendit, comme de raison, ses instances plus vives; et moi, voyant le moment arrivé, oÃÂč j'étais à l'abri de toute surprise, aprÚs m'ÃÂȘtre préparée par un long soupir, j'accordai le mot précieux. On annonça, et peu de temps aprÚs, j'eus un cercle assez nombreux. Prévan me demanda de venir le lendemain matin, et j'y consentis mais soigneuse de me défendre, j'ordonnai à ma Femme de chambre de rester tout le temps de cette visite dans ma chambre à coucher, d'oÃÂč vous savez qu'on voit tout ce qui se passe dans mon cabinet de toilette, et ce fut là que je le reçus. Libres dans notre conversation, et ayant tous deux le mÃÂȘme désir, nous fûmes bientÎt d'accord mais il fallait se défaire de ce spectateur importun; c'était oÃÂč je l'attendais. Alors, lui faisant à mon gré le tableau de ma vie intérieure, je lui persuadai aisément que nous ne trouverions jamais un moment de liberté; et qu'il fallait regarder comme une espÚce de miracle, celle dont nous avions joui hier, qui mÃÂȘme laisserait encore des dangers trop grands pour m'y exposer, puisque à tout moment on pouvait entrer dans mon salon. Je ne manquai pas d'ajouter que tous ces usages s'étaient établis, parce que, jusqu'à ce jour, ils ne m'avaient jamais contrariée; et j'insistai en mÃÂȘme temps sur l'impossibilité de les changer, sans me compromettre aux yeux de mes Gens. Il essaya de s'attrister, de prendre de l'humeur, de me dire que j'avais peu d'amour; et vous devinez combien tout cela me touchait! Mais voulant frapper le coup décisif, j'appelai les larmes à mon secours. Ce fut exactement le Zaïre, vous pleurez . Cet empire qu'il se crut sur moi, et l'espoir qu'il en conçut de me perdre à son gré, lui tinrent lieu de tout l'amour d'Orosmane. Ce coup de théùtre passé, nous revÃnmes aux arrangements. Au défaut du jour, nous nous occupùmes de la nuit mais mon Suisse devenait un obstacle insurmontable, et je ne permettais pas qu'on essayùt de le gagner. Il me proposa la petite porte de mon jardin mais je l'avais prévu, et j'y créai un chien qui, tranquille et silencieux le jour, était un vrai démon la nuit. La facilité avec laquelle j'entrai dans tous ces détails était bien propre à l'enhardir; aussi vint-il à me proposer l'expédient le plus ridicule, et ce fut celui que j'acceptai. D'abord, son Domestique était sûr comme lui-mÃÂȘme en cela il ne trompait guÚre, l'un l'était bien autant que l'autre. J'aurais un grand souper chez moi; il y serait, il prendrait son temps pour sortir seul. L'adroit confident appellerait la voiture, ouvrirait la portiÚre; et lui Prévan, au lieu de monter, s'esquiverait adroitement. Son cocher ne pouvait s'en apercevoir en aucune façon; ainsi sorti pour tout le monde, et cependant resté chez moi, il s'agissait de savoir s'il pourrait parvenir à mon appartement. J'avoue que d'abord mon embarras fut de trouver, contre ce projet, d'assez mauvaises raisons pour qu'il pût avoir l'air de les détruire; il y répondit par des exemples. A l'entendre, rien n'était plus ordinaire que ce moyen; lui-mÃÂȘme s'en était beaucoup servi; c'était mÃÂȘme celui dont il faisait le plus d'usage, comme le moins dangereux. Subjuguée par ces autorités irrécusables, je convins, avec candeur, que j'avais bien un escalier dérobé qui conduisait trÚs prÚs de mon boudoir; que je pouvais y laisser la clef, et qu'il lui serait possible de s'y enfermer, et d'attendre, sans beaucoup de risques, que mes Femmes fussent retirées; et puis, pour donner plus de vraisemblance à mon consentement, le moment d'aprÚs je ne voulais plus, je ne revenais à consentir qu'à condition d'une soumission parfaite, d'une sagesse... Ah! quelle sagesse! Enfin je voulais bien lui prouver mon amour, mais non pas satisfaire le sien. La sortie, dont j'oubliais de vous parler, devait se faire par la petite porte du jardin il ne s'agissait que d'attendre le point du jour, le CerbÚre ne dirait plus mot. Pas une ùme ne passe à cette heure-là , et les gens sont dans le plus fort du sommeil. Si vous vous étonnez de ce tas de mauvais raisonnements, c'est que vous oubliez notre situation réciproque. Qu'avions-nous besoin d'en faire de meilleurs? Il ne demandait pas mieux que tout cela se sût, et moi, j'étais bien sûre qu'on ne le saurait pas. Le jour fixé fut au surlendemain. Remarquez que voilà une affaire arrangée, et que personne n'a encore vu Prévan dans ma société. Je le rencontre à souper chez une de mes amies, il lui offre sa loge pour une piÚce nouvelle, et j'y accepte une place. J'invite cette femme à souper, pendant le Spectacle et devant Prévan; je ne puis presque pas me dispenser de lui proposer d'en ÃÂȘtre. Il accepte et me fait, deux jours aprÚs, une visite que l'usage exige. Il vient, à la vérité, me voir le lendemain matin mais, outre que les visites du matin ne marquent plus, il ne tient qu'à moi de trouver celle-ci trop leste; et je le mets en effet dans la classe des gens moins liés avec moi, par une invitation écrite, pour un souper de cérémonie. Je puis bien dire comme Annette Mais voilà tout, pourtant! Le jour fatal arrivé, ce jour oÃÂč je devais perdre ma vertu et ma réputation, je donnai mes instructions à ma fidÚle Victoire, et elle les exécuta comme vous le verrez bientÎt. Cependant le soir vint. J'avais déjà beaucoup de monde chez moi, quand on y annonça Prévan. Je le reçus avec une politesse marquée, qui constatait mon peu de liaison avec lui; et je le mis à la partie de la Maréchale, comme étant celle par qui j'avais fait cette connaissance. La soirée ne produisit rien qu'un trÚs petit billet, que le discret Amoureux trouva moyen de me remettre, et que j'ai brûlé suivant ma coutume. Il m'y annonçait que je pouvais compter sur lui; et ce mot essentiel était entouré de tous les mots parasites, d'amour, de bonheur, etc., qui ne manquent jamais de se trouver à pareille fÃÂȘte. A minuit, les parties étant finies, je proposai une courte macédoine [Quelques personnes ignorent peut-ÃÂȘtre qu'une macédoine est un assemblage de plusieurs jeux de hasard, parmi lesquels chaque Coupeur a droit de choisir lorsque c'est à lui à tenir la main. C'est une des inventions du siÚcle.]. J'avais le double projet de favoriser l'évasion de Prévan, et en mÃÂȘme temps de la faire remarquer; ce qui ne pouvait pas manquer d'arriver, vu sa réputation de Joueur. J'étais bien aise aussi qu'on pût se rappeler au besoin que je n'avais pas été pressée de rester seule. Le jeu dura plus que je n'avais pensé. Le Diable me tentait, et je succombai au désir d'aller consoler l'impatient prisonnier. Je m'acheminais ainsi à ma perte, quand je réfléchis qu'une fois rendue tout à fait, je n'aurais plus sur lui l'empire de le tenir dans le costume de décence nécessaire à mes projets. J'eus la force de résister. Je rebroussai chemin, et revins, non sans humeur, reprendre place à ce jeu éternel. Il finit pourtant, et chacun s'en alla. Pour moi, je sonnai mes femmes, je me déshabillai fort vite, et les renvoyai de mÃÂȘme. Me voyez-vous, Vicomte, dans ma toilette légÚre, marcher d'un pas timide et circonspect, et d'une main mal assurée ouvrir la porte à mon vainqueur? Il m'aperçut, l'éclair n'est pas plus prompt. Que vous dirai-je? je fus vaincue, tout à fait vaincue, avant d'avoir pu dire un mot pour l'arrÃÂȘter ou me défendre. Il voulut ensuite prendre une situation plus commode et plus convenable aux circonstances. Il maudissait sa parure, qui, disait-il, l'éloignait de moi, il voulait me combattre à armes égales mais mon extrÃÂȘme timidité s'opposa à ce projet, et mes tendres caresses ne lui en laissÚrent pas le temps. Il s'occupa d'autre chose. Ses droits étaient doublés, et ses prétentions revinrent; mais alors " Ecoutez- moi, lui dis-je; vous aurez jusqu'ici un assez agréable récit à faire aux deux Comtesses de P***, et à mille autres mais je suis curieuse de savoir comment vous raconterez la fin de l'aventure. " En parlant ainsi, je sonnais de toutes mes forces. Pour le coup j'eus mon tour, et mon action fut plus vive que sa parole. Il n'avait encore que balbutié, quand j'entendis Victoire accourir, et appeler les Gens qu'elle avait gardés chez elle, comme je le lui avais ordonné. Là , prenant mon ton de Reine, et élevant la voix " Sortez, Monsieur, continuai-je, et ne reparaissez jamais devant moi. " Là -dessus, la foule de mes gens entra. Le pauvre Prévan perdit la tÃÂȘte, et croyant voir un guet-apens dans ce qui n'était au fond qu'une plaisanterie, il se jeta sur son épée. Mal lui en prit car mon Valet de chambre, brave et vigoureux, le saisit au corps et le terrassa. J'eus, je l'avoue, une frayeur mortelle. Je criai qu'on arrÃÂȘtùt, et ordonnai qu'on laissùt sa retraite libre, en s'assurant seulement qu'il sortÃt de chez moi. Mes gens m'obéirent mais la rumeur était grande parmi eux ils s'indignaient qu'on eût osé manquer à leur vertueuse MaÃtresse . Tous accompagnÚrent le malheureux Chevalier, avec bruit et scandale, comme je le souhaitais. La seule Victoire resta, et nous nous occupùmes pendant ce temps à réparer le désordre de mon lit. Mes gens remontÚrent toujours en tumulte; et moi, encore tout émue , je leur demandai par quel bonheur ils s'étaient encore trouvés levés; et Victoire me raconta qu'elle avait donné à souper à deux de ses amies, qu'on avait veillé chez elle, et enfin tout ce dont nous étions convenues ensemble. Je les remerciai tous, et les fis retirer, en ordonnant pourtant à l'un d'eux d'aller sur- le-champ chercher mon Médecin. Il me parut que j'étais autorisée à craindre l'effet de mon saisissement mortel ; et c'était un moyen sûr de donner du cours et de la célébrité à cette nouvelle. Il vint en effet, me plaignit beaucoup, et ne m'ordonna que du repos. Moi, j'ordonnai de plus à Victoire d'aller le matin de bonne heure bavarder dans le voisinage. Tout a si bien réussi qu'avant midi, et aussitÎt qu'il a été jour chez moi, ma dévote Voisine était déjà au chevet de mon lit, pour savoir la vérité et les détails de cette horrible aventure. J'ai été obligée de me désoler avec elle, pendant une heure, sur la corruption du siÚcle. Un moment aprÚs, j'ai reçu de la Maréchale le billet que je joins ici. Enfin, avant cinq heures, j'ai vu arriver, à mon grand étonnement, M... [Le Commandant du corps dans lequel M. de Prévan servait]. Il venait, m'a-t-il dit, me faire ses excuses, de ce qu'un Officier de son corps avait pu me manquer à ce point. Il ne l'avait appris qu'à dÃner chez la Maréchale, et avait sur-le-champ envoyé ordre à Prévan de se rendre en prison. J'ai demandé grùce, et il me l'a refusée. Alors j'ai pensé que, comme complice, il fallait m'exécuter de mon cÎté, et garder au moins de rigides arrÃÂȘts. J'ai fait fermer ma porte, et dire que j'étais incommodée. C'est à ma solitude que vous devez cette longue Lettre. J'en écrirai une à Madame de Volanges, dont sûrement elle fera lecture publique et oÃÂč vous verrez cette histoire telle qu'il faut la raconter. J'oubliais de vous dire que Belleroche est outré, et veut absolument se battre avec Prévan. Le pauvre garçon! heureusement j'aurai le temps de calmer sa tÃÂȘte. En attendant, je vais reposer la mienne, qui est fatiguée d'écrire. Adieu, Vicomte. Paris, ce 25 septembre 17**, au soir. LETTRE LXXXVI LA MARECHALE DE *** A LA MARQUISE DE MERTEUIL BILLET INCLUS DANS LA PRECEDENTE. Mon Dieu! qu'est-ce donc que j'apprends, ma chÚre Madame? est-il possible que ce petit Prévan fasse de pareilles abominations? et encore vis-à -vis de vous! A quoi on est exposé! on ne sera donc plus en sûreté chez soi! En vérité, ces événements-là consolent d'ÃÂȘtre vieille. Mais de quoi je ne me consolerai jamais, c'est d'avoir été en partie cause de ce que vous avez reçu un pareil monstre chez vous. Je vous promets bien que si ce qu'on m'en a dit est vrai, il ne remettra plus les pieds chez moi; c'est le parti que tous les honnÃÂȘtes gens prendront avec lui, s'ils font ce qu'ils doivent. On m'a dit que vous vous étiez trouvée bien mal, et je suis inquiÚte de votre santé. Donnez-moi, je vous prie, de vos chÚres nouvelles; ou faites-m'en donner par une de vos Femmes, si vous ne le pouvez pas vous-mÃÂȘme. Je ne vous demande qu'un mot pour me tranquilliser. Je serais accourue chez vous ce matin, sans mes bains que mon Docteur ne me permet pas d'interrompre; et il faut que j'aille cet aprÚs-midi à Versailles, toujours pour l'affaire de mon neveu. Adieu, ma chÚre Madame; comptez pour la vie sur ma sincÚre amitié. Paris, ce 25 septembre 17** LETTRE LXXXVII LA MARQUISE DE MERTEUIL A MADAME DE VOLANGES Je vous écris de mon lit, ma chÚre bonne amie. L'événement le plus désagréable et le plus impossible à prévoir, m'a rendue malade de saisissement et de chagrin. Ce n'est pas qu'assurément j'aie rien à me reprocher mais il est toujours si pénible pour une femme honnÃÂȘte et qui conserve la modestie convenable à son sexe, de fixer sur elle l'attention publique, que je donnerais tout au monde pour avoir pu éviter cette malheureuse aventure, et que je ne sais encore si je ne prendrai pas le parti d'aller à la campagne, attendre qu'elle soit oubliée. Voici ce dont il s'agit. J'ai rencontré chez la Maréchale de ... un M. de Prévan que vous connaissez sûrement de nom, et que je ne connaissais pas autrement. Mais en le trouvant dans cette maison, j'étais bien autorisée, ce me semble, à le croire bonne compagnie. Il est assez bien fait de sa personne, et m'a paru ne pas manquer d'esprit. Le hasard et l'ennui du jeu me laissÚrent seule de femme entre lui et l'EvÃÂȘque de ... , tandis que tout le monde était occupé au lansquenet. Nous causùmes tous trois jusqu'au moment du souper. A table, une nouveauté dont on parla lui donna l'occasion d'offrir sa loge à la Maréchale, qui l'accepta; et il fut convenu que j'y aurais une place. C'était pour Lundi dernier, aux Français. Comme la Maréchale venait souper chez moi au sortir du Spectacle, je proposai à ce Monsieur de l'y accompagner, et il y vint. Le surlendemain il me fit une visite qui se passa en propos d'usage, et sans qu'il y eût du tout rien de marqué. Le lendemain il vint me voir le matin, ce qui me parut bien un peu leste mais je crus qu'au lieu de le lui faire sentir par ma façon de le recevoir, il valait mieux l'avertir par une politesse, que nous n'étions pas encore aussi intimement liés qu'il paraissait le croire. Pour cela je lui envoyai, le jour mÃÂȘme, une invitation bien sÚche et bien cérémonieuse, pour un souper que je donnais avant-hier. Je ne lui adressai pas la parole quatre fois dans toute la soirée; et lui de son cÎté se retira aussitÎt sa partie finie. Vous conviendrez que jusque-là rien n'a moins l'air de conduire à une aventure on fit, aprÚs les parties, une macédoine qui nous mena jusqu'à prÚs de deux heures; et enfin je me mis au lit. Il y avait au moins une mortelle demi-heure que mes femmes étaient retirées, quand j'entendis du bruit dans mon appartement. J'ouvris mon rideau avec beaucoup de frayeur, et vis un homme entrer par la porte qui conduit à mon boudoir. Je jetai un cri perçant; et je reconnus, à la clarté de ma veilleuse, ce M. de Prévan, qui, avec une effronterie inconcevable, me dit de ne pas m'alarmer; qu'il allait m'éclaircir le mystÚre de sa conduite, et qu'il me suppliait de ne faire aucun bruit. En parlant ainsi, il allumait une bougie; j'étais saisie au point que je ne pouvais parler. Son air aisé et tranquille me pétrifiait, je crois, encore davantage. Mais il n'eut pas dit deux mots, que je vis quel était ce prétendu mystÚre; et ma seule réponse fut, comme vous pouvez le croire, de me pendre à ma sonnette. Par un bonheur incroyable, tous les Gens de l'office avaient veillé chez une de mes Femmes, et n'étaient pas encore couchés. Ma Femme de chambre, qui, en venant chez moi, m'entendit parler avec beaucoup de chaleur, fut effrayée, et appela tout ce monde-là . Vous jugez quel scandale! Mes Gens étaient furieux; je vis le moment oÃÂč mon Valet de chambre tuait Prévan. J'avoue que, pour l'instant, je fus fort aise de me voir en force en y réfléchissant aujourd'hui, j'aimerais mieux qu'il ne fût venu que ma Femme de chambre; elle aurait suffi, et j'aurais peut-ÃÂȘtre évité cet éclat qui m'afflige. Au lieu de cela, le tumulte a réveillé les voisins, les Gens ont parlé, et c'est depuis hier la nouvelle de tout Paris. M. de Prévan est en prison par ordre du Commandant de son corps, qui a eu l'honnÃÂȘteté de passer chez moi, pour me faire des excuses, m'a-t-il dit. Cette prison va encore augmenter le bruit mais je n'ai jamais pu obtenir que cela fût autrement. La Ville et la Cour se sont fait écrire à ma porte, que j'ai fermée à tout le monde. Le peu de personnes que j'ai vues m'a dit qu'on me rendait justice, et que l'indignation publique était au comble contre M. de Prévan assurément, il le mérite bien, mais cela n'Îte pas le désagrément de cette aventure. De plus, cet homme a sûrement quelques amis, et ses amis doivent ÃÂȘtre méchants qui sait, qui peut savoir ce qu'ils inventeront pour me nuire? Mon Dieu, qu'une jeune femme est malheureuse! elle n'a rien fait encore, quand elle s'est mise à l'abri de la médisance; il faut qu'elle en impose mÃÂȘme à la calomnie. Mandez-moi, je vous prie, ce que vous auriez fait, ce que vous feriez à ma place; enfin tout ce que vous pensez. C'est toujours de vous que j'ai reçu les consolations les plus douces et les avis les plus sages; c'est de vous aussi que j'aime le mieux à en recevoir. Adieu, ma chÚre et bonne amie; vous connaissez les sentiments qui m'attachent à vous pour jamais. J'embrasse votre aimable fille. Paris, ce 26 septembre 17** TROISIEME PARTIE LETTRE LXXXVIII CECILE VOLANGES AU VICOMTE DE VALMONT Malgré tout le plaisir que j'ai, Monsieur, à recevoir les Lettres de M. le Chevalier Danceny, et quoique je ne désire pas moins que lui que nous puissions nous voir encore, sans qu'on puisse nous en empÃÂȘcher, je n'ai pas osé cependant faire ce que vous me proposez. PremiÚrement, c'est trop dangereux; cette clef que vous voulez que je mette à la place de l'autre lui ressemble bien assez à la vérité mais pourtant, il ne laisse pas d'y avoir encore de la différence, et Maman regarde à tout, et s'aperçoit de tout. De plus, quoiqu'on ne s'en soit pas encore servi depuis que nous sommes ici, il ne faut qu'un malheur; et si on s'en apercevait, je serais perdue pour toujours. Et puis, il me semble aussi que ce serait bien mal; faire comme cela une double clef c'est bien fort! Il est vrai que c'est vous qui auriez la bonté de vous en charger; mais malgré cela, si on le savait, je n'en porterais pas moins le blùme et la faute, puisque ce serait pour moi que vous l'auriez faite. Enfin, j'ai voulu essayer deux fois de la prendre, et certainement cela serait bien facile, si c'était toute autre chose mais je ne sais pas pourquoi je me suis toujours mise à trembler, et n'en ai jamais eu le courage. Je crois donc qu'il vaut mieux rester comme nous sommes. Si vous avez toujours la bonté d'ÃÂȘtre aussi complaisant que jusqu'ici, vous trouverez toujours bien le moyen de me remettre une Lettre. MÃÂȘme pour la derniÚre, sans le malheur qui a voulu que vous vous retourniez tout de suite dans un certain moment, nous aurions eu bien aisé. Je sens bien que vous ne pouvez pas, comme moi, ne songer qu'à ça; mais j'aime mieux avoir plus de patience et ne pas tant risquer. Je suis sûre que M. Danceny dirait comme moi car toutes les fois qu'il voulait quelque chose qui me faisait trop de peine, il consentait toujours que cela ne fût pas. Je vous remettrai, Monsieur, en mÃÂȘme temps que cette Lettre, la vÎtre, celle de M. Danceny, et votre clef. Je n'en suis pas moins reconnaissante de toutes vos bontés et je vous prie bien de me les continuer. Il est bien vrai que je suis bien malheureuse, et que sans vous je le serais encore bien davantage mais, aprÚs tout, c'est ma mÚre; il faut bien prendre patience. Et pourvu que M. Danceny m'aime toujours, et que vous ne m'abandonniez pas, il viendra peut- ÃÂȘtre un temps plus heureux. J'ai l'honneur d'ÃÂȘtre, Monsieur, avec bien de la reconnaissance, votre trÚs humble et trÚs obéissante servante. De ..., ce 26 septembre 17** LETTRE LXXXIX LE VICOMTE DE VALMONT AU CHEVALIER DANCENY Si vos affaires ne vont pas toujours aussi vite que vous le voudriez, mon ami, ce n'est pas tout à fait à moi qu'il faut vous en prendre. J'ai ici plus d'un obstacle à vaincre. La vigilance et la sévérité de Madame de Volanges ne sont pas les seuls; votre jeune amie m'en oppose aussi quelques-uns. Soit froideur, ou timidité, elle ne fait pas toujours ce que je lui conseille; et je crois cependant savoir mieux qu'elle ce qu'il faut faire. J'avais trouvé un moyen simple, commode et sûr de lui remettre vos Lettres, et mÃÂȘme de faciliter, par la suite, les entrevues que vous désirez mais je n'ai pu la décider à s'en servir. J'en suis d'autant plus affligé, que je n'en vois pas d'autre pour vous rapprocher d'elle; et que mÃÂȘme pour votre correspondance, je crains sans cesse de nous compromettre tous trois. Or, vous jugez que je ne veux ni courir ce risque-là , ni vous y exposer l'un et l'autre. Je serais pourtant vraiment peiné que le peu de confiance de votre petite amie m'empÃÂȘchùt de vous ÃÂȘtre utile; peut-ÃÂȘtre feriez-vous bien de lui en écrire. Voyez ce que vous voulez faire, c'est à vous seul à décider; car ce n'est pas assez de servir ses amis, il faut encore les servir à leur maniÚre. Ce pourrait ÃÂȘtre aussi une façon de plus de vous assurer de ses sentiments pour vous; car la femme qui garde une volonté à elle n'aime pas autant qu'elle le dit. Ce n'est pas que je soupçonne votre MaÃtresse d'inconstance mais elle est bien jeune elle a grand-peur de sa Maman, qui, comme vous le savez, ne cherche qu'à vous nuire; et peut-ÃÂȘtre serait-il dangereux de rester trop longtemps sans l'occuper de vous. N'allez pas cependant vous inquiéter à un certain point de ce que je vous dis là . Je n'ai dans le fond nulle raison de méfiance; c'est uniquement la sollicitude de l'amitié. Je ne vous écris pas plus longuement, parce que j'ai bien aussi quelques affaires pour mon compte. Je ne suis pas aussi avancé que vous mais j'aime autant, et cela console; et quand je ne réussirais pas pour moi, si je parviens à vous ÃÂȘtre utile, je trouverai que j'ai bien employé mon temps. Adieu, mon ami. Du Chùteau de ..., ce 26 septembre 17** LETTRE XC LA PRESIDENTE DE TOURVEL AU VICOMTE DE VALMONT Je désire beaucoup, Monsieur, que cette Lettre ne vous fasse aucune peine; ou, si elle doit vous en causer, qu'au moins elle puisse ÃÂȘtre adoucie par celle que j'éprouve en vous l'écrivant. Vous devez me connaÃtre assez à présent pour ÃÂȘtre bien sûr que ma volonté n'est pas de vous affliger; mais vous, sans doute, vous ne voudriez pas non plus me plonger dans un désespoir éternel. Je vous conjure donc, au nom de l'amitié tendre que je vous ai promise, au nom mÃÂȘme des sentiments peut-ÃÂȘtre plus vifs, mais à coup sûr pas plus sincÚres, que vous avez pour moi, ne nous voyons plus; partez; et, jusque-là , fuyons surtout ces entretiens particuliers et trop dangereux, oÃÂč, par une inconcevable puissance, sans jamais parvenir à vous dire ce que je veux, je passe mon temps à écouter ce que je ne devrais pas entendre. Hier encore, quand vous vÃntes me joindre dans le parc, j'avais bien pour unique objet de vous dire ce que je vous écris aujourd'hui; et cependant qu'ai- je fait? que m'occuper de votre amour;... de votre amour, auquel jamais je ne dois répondre! Ah! de grùce, éloignez-vous de moi. Ne craignez pas que votre absence altÚre jamais mes sentiments pour vous; comment parviendrais-je à les vaincre, quand je n'ai plus le courage de les combattre? Vous le voyez, je vous dis tout, je crains moins d'avouer ma faiblesse, que d'y succomber mais cet empire que j'ai perdu sur mes sentiments, je le conserverai sur mes actions; oui, je le conserverai, j'y suis résolue; fût-ce aux dépens de ma vie. Hélas! le temps n'est pas loin, oÃÂč je me croyais bien sûre de n'avoir jamais de pareils combats à soutenir. Je m'en félicitais; je m'en glorifiais peut-ÃÂȘtre trop. Le Ciel a puni, cruellement puni cet orgueil mais plein de miséricorde au moment mÃÂȘme qu'il nous frappe, il m'avertit encore avant ma chute; et je serais doublement coupable, si je continuais à manquer de prudence, déjà prévenue que je n'ai plus de force. Vous m'avez dit cent fois que vous ne voudriez pas d'un bonheur acheté par mes larmes. Ah! ne parlons plus de bonheur, mais laissez-moi reprendre quelque tranquillité. En accordant ma demande, quels nouveaux droits n'acquerrez-vous pas sur mon cÅ“ur? Et ceux-là , fondés sur la vertu, je n'aurai point à m'en défendre. Combien je me plairai dans ma reconnaissance! Je vous devrai la douceur de goûter sans remords un sentiment délicieux. A présent, au contraire, effrayée de mes sentiments, de mes pensées, je crains également de m'occuper de vous et de moi; votre idée mÃÂȘme m'épouvante quand je ne peux la fuir, je la combats; je ne l'éloigne pas, mais je la repousse. Ne vaut-il pas mieux pour tous deux faire cesser cet état de trouble et d'anxiété? Ô vous, dont l'ùme toujours sensible, mÃÂȘme au milieu de ses erreurs, est restée amie de la vertu, vous aurez égard à ma situation douloureuse, vous ne rejetterez pas ma priÚre! Un intérÃÂȘt plus doux, mais non moins , ces agitations violentes alors respirant par vos bienfaits, je chérirai mon existence, et je dirai dans la joie de mon cÅ“ur " Ce calme que je ressens, je le dois à mon ami " . En vous soumettant à quelques privations légÚres, que je ne vous impose point, mais que je vous demande, croirez-vous donc acheter trop cher la fin de mes tourments? Ah! si, pour vous rendre heureux, il ne fallait que consentir à ÃÂȘtre malheureuse, vous pouvez m'en croire, je n'hésiterais pas un moment... Mais devenir coupable!... non, mon ami, non, plutÎt mourir mille fois. Déjà assaillie par la honte, à la veille des remords, je redoute et les autres et moi-mÃÂȘme; je rougis dans le cercle, et frémis dans la solitude; je n'ai plus qu'une vie de douleur; je n'aurai de tranquillité que par votre consentement. Mes résolutions les plus louables ne suffisent pas pour me rassurer; j'ai formé celle-ci dÚs hier, et cependant j'ai passé la nuit dans les larmes. Voyez votre amie, celle que vous aimez, confuse et suppliante, vous demander le repos et l'innocence. Ah Dieu! sans vous, eût-elle jamais été réduite à cette humiliante demande? Je ne vous reproche rien; je sens trop par moi-mÃÂȘme combien il est difficile de résister à un sentiment impérieux. Une plainte n'est pas un murmure. Faites par générosité ce que je fais par devoir; et à tous les sentiments que vous m'avez inspirés, je joindrai celui d'une éternelle reconnaissance. Adieu, adieu, Monsieur. De ..., ce 27 septembre 17** LETTRE XCI LE VICOMTE DE VALMONT A LA PRESIDENTE DE TOURVEL Consterné par votre Lettre, j'ignore encore, Madame, comment je pourrai y répondre. Sans doute, s'il faut choisir entre votre malheur et le mien, c'est à moi à me sacrifier, et je ne balance pas; mais de si grands intérÃÂȘts méritent bien, ce me semble, d'ÃÂȘtre avant tout discutés et éclaircis; et comment y parvenir, si nous ne devons plus nous parler ni nous voir? Quoi! tandis que les sentiments les plus doux nous unissent, une vaine terreur suffira pour nous séparer, peut-ÃÂȘtre sans retour! En vain l'amitié tendre, l'ardent amour, réclameront leurs droits; leurs voix ne seront point entendues et pourquoi? quel est donc ce danger pressant qui vous menace? Ah! croyez- moi, de pareilles craintes, et si légÚrement conçues, sont déjà , ce me semble, d'assez puissants motifs de sécurité. Permettez-moi de vous le dire, je retrouve ici la trace des impressions défavorables qu'on vous a données sur moi. On ne tremble point auprÚs de l'homme qu'on estime; on n'éloigne pas, surtout, celui qu'on a jugé digne de quelque amitié c'est l'homme dangereux qu'on redoute et qu'on fuit. Cependant, qui fut jamais plus respectueux et plus soumis que moi? Déjà , vous le voyez, je m'observe dans mon langage; je ne me permets plus ces noms si doux, si chers à mon cÅ“ur, et qu'il ne cesse de vous donner en secret. Ce n'est plus l'amant fidÚle et malheureux, recevant les conseils et les consolations d'une amie tendre et sensible; c'est l'accusé devant son juge, l'esclave devant son maÃtre. Ces nouveaux titres imposent sans doute de nouveaux devoirs; je m'engage à les remplir tous. Ecoutez-moi, et si vous me condamnez, j'y souscris et je pars. Je promets davantage; préférez-vous ce despotisme qui juge sans entendre? vous sentez-vous le courage d'ÃÂȘtre injuste? ordonnez et j'obéis encore. Mais ce jugement, ou cet ordre, que je l'entende de votre bouche. Et pourquoi? m'allez-vous dire à votre tour. Ah! que si vous faites cette question, vous connaissez peu l'amour et mon cÅ“ur! N'est-ce donc rien que de vous voir encore une fois? Eh! quand vous porterez le désespoir dans mon ùme, peut-ÃÂȘtre un regard consolateur l'empÃÂȘchera d'y succomber. Enfin s'il me faut renoncer à l'amour, à l'amitié, pour qui seuls j'existe, au moins vous verrez votre ouvrage, et votre pitié me restera cette faveur légÚre, quand mÃÂȘme je ne la mériterais pas, je me soumets, ce me semble, à la payer assez cher, pour espérer de l'obtenir. Quoi! vous allez m'éloigner de vous! Vous consentez donc à ce que nous devenions étrangers l'un à l'autre! que dis-je? vous le désirez; et tandis que vous m'assurez que mon absence n'altérera point vos sentiments, vous ne pressez mon départ que pour travailler plus facilement à les détruire. Déjà , vous me parlez de les remplacer par de la reconnaissance. Ainsi le sentiment qu'obtiendrait de vous un inconnu pour le plus léger service, votre ennemi mÃÂȘme en cessant de vous nuire, voilà ce que vous m'offrez! et vous voulez que mon cÅ“ur s'en contente! Interrogez le vÎtre si votre amant, si votre ami, venaient un jour vous parler de leur reconnaissance, ne leur diriez-vous pas avec indignation " Retirez-vous, vous ÃÂȘtes des ingrats " ? Je m'arrÃÂȘte et réclame votre indulgence. Pardonnez l'expression d'une douleur que vous faites naÃtre elle ne nuira point à ma soumission parfaite. Mais je vous en conjure à mon tour, au nom de ces sentiments si doux, que vous- mÃÂȘme vous réclamez, ne refusez pas de m'entendre; et par pitié du moins pour le trouble mortel oÃÂč vous m'avez plongé, n'en éloignez pas le moment. Adieu, Madame. De ..., ce 27 septembre 17**, au soir. LETTRE XCII LE CHEVALIER DANCENY AU VICOMTE DE VALMONT Ô mon ami! votre Lettre m'a glacé d'effroi. Cécile... Ô Dieu! est-il possible? Cécile ne m'aime plus. Oui, je vois cette affreuse vérité à travers le voile dont votre amitié l'entoure. Vous avez voulu me préparer à recevoir ce coup mortel. Je vous remercie de vos soins, mais peut-on en imposer à l'amour? Il court au-devant de ce qui l'intéresse; il n'apprend pas son sort, il le devine. Je ne doute plus du mien parlez-moi sans détour, vous le pouvez, et je vous en prie. Mandez-moi tout; ce qui a fait naÃtre vos soupçons, ce qui les a confirmés. Les moindres détails sont précieux. Tùchez, surtout, de vous rappeler ses paroles. Un mot pour l'autre peut changer toute une phrase; le mÃÂȘme a quelquefois deux sens... Vous pouvez vous ÃÂȘtre trompé hélas, je cherche à me flatter encore. Que vous a-t-elle dit? me fait-elle quelque reproche? au moins ne se défend-elle pas de ses torts? J'aurais dû prévoir ce changement, par les difficultés que, depuis un temps, elle trouve à tout. L'amour ne connaÃt pas tant d'obstacles. Quel parti dois-je prendre? que me conseillez-vous? Si je tentais de la voir? cela est-il donc impossible? L'absence est si cruelle, si funeste... et elle a refusé un moyen de me voir! Vous ne me dites pas quel il était; s'il y avait en effet trop de danger, elle sait bien que je ne veux pas qu'elle se risque trop. Mais aussi je connais votre prudence; et pour mon malheur, je ne peux pas ne pas y croire. Que vais-je faire à présent? comment lui écrire? Si je lui laisse voir mes soupçons, ils la chagrineront peut-ÃÂȘtre; et s'ils sont injustes, me pardonnerais- je de l'avoir affligée? Si je les lui cache, c'est la tromper, et je ne sais point dissimuler avec elle. Oh! si, elle pouvait savoir ce que je souffre, ma peine la toucherait. Je la connais sensible; elle a le cÅ“ur excellent et j'ai mille preuves de son amour. Trop de timidité, quelque embarras, elle est si jeune! et sa mÚre la traite avec tant de sévérité! Je vais lui écrire; je me contiendrai; je lui demanderai seulement de s'en remettre entiÚrement à vous. Quand mÃÂȘme elle refuserait encore, elle ne pourra pas au moins se fùcher de ma priÚre, et peut-ÃÂȘtre elle consentira. Vous, mon ami, je vous fais mille excuses, et pour elle et pour moi. Je vous assure qu'elle sent le prix de vos soins, qu'elle en est reconnaissante. Ce n'est pas méfiance, c'est timidité. Ayez de l'indulgence; c'est le plus beau caractÚre de l'amitié. La vÎtre m'est bien précieuse, et je ne sais comment reconnaÃtre tout ce que vous faites pour moi. Adieu, je vais écrire tout de suite. Je sens toutes mes craintes revenir; qui m'eût dit que jamais il m'en coûterait de lui écrire! Hélas! hier encore, c'était mon plaisir le plus doux. Adieu, mon ami; continuez-moi vos soins, et plaignez-moi beaucoup. Paris, ce 27 septembre 17** LETTRE XCIII LE CHEVALIER DANCENY A CECILE VOLANGES JOINTE A LA PRECEDENTE. Je ne puis vous dissimuler combien j'ai été affligé en apprenant de Valmont le peu de confiance que vous continuez à avoir en lui. Vous n'ignorez pas qu'il est mon ami, qu'il est la seule personne qui puisse nous rapprocher l'un de l'autre j'avais cru que ces titres seraient suffisants auprÚs de vous; je vois avec peine que je me suis trompé. Puis-je espérer qu'au moins vous m'instruirez de vos raisons? Ne trouverez-vous pas encore quelques difficultés qui vous en empÃÂȘcheront? Je ne puis cependant deviner, sans vous, le mystÚre de cette conduite. Je n'ose soupçonner votre amour, sans doute aussi vous n'oseriez trahir le mien. Ah! Cécile!... Il est donc vrai que vous avez refusé un moyen de me voir? un moyen simple, commode et sûr [Danceny ne sait pas quel était ce moyen; il répÚte seulement l'expression de Valmont]? Et c'est ainsi que vous m'aimez! Une si courte absence a bien changé vos sentiments. Mais pourquoi me tromper? pourquoi me dire que vous m'aimez toujours, que vous m'aimez davantage? Votre Maman, en détruisant votre amour, a-t-elle aussi détruit votre candeur? Si au moins elle vous a laissé quelque pitié, vous n'apprendrez pas sans peine les tourments affreux que vous me causez. Ah! je souffrirais moins pour mourir. Dites-moi donc, votre cÅ“ur m'est-il fermé sans retour? m'avez-vous entiÚrement oublié? Grùce à vos refus, je ne sais, ni quand vous entendrez mes plaintes, ni quand vous y répondrez. L'amitié de Valmont avait assuré notre correspondance mais vous, vous n'avez pas voulu; vous la trouviez pénible, vous avez préféré qu'elle fût rare. Non, je ne croirai plus à l'amour, à la bonne foi. Eh! qui peut-on croire, si Cécile m'a trompé? Répondez-moi donc est-il vrai que vous ne m'aimez plus? Non cela n'est pas possible; vous vous faites illusion; vous calomniez votre cÅ“ur. Une crainte passagÚre, un moment de découragement, mais que l'amour a bientÎt fait disparaÃtre; n'est-il pas vrai, ma Cécile? ah! sans doute, et j'ai tort de vous accuser. Que je serais heureux d'avoir tort! que j'aimerais à vous faire de tendres excuses, à réparer ce moment d'injustice par une éternité d'amour! Cécile, Cécile, ayez pitié de moi! Consentez à me voir, prenez-en tous les moyens! Voyez ce que produit l'absence! des craintes, des soupçons, peut- ÃÂȘtre de la froideur! un seul regard, un seul mot et nous serons heureux. Mais quoi! puis-je encore parler de bonheur? peut-ÃÂȘtre est-il perdu pour moi, perdu pour jamais. Tourmenté par la crainte, cruellement pressé entre les soupçons injustes et la vérité plus cruelle, je ne puis m'arrÃÂȘter à aucune pensée; je ne conserve d'existence que pour souffrir et vous aimer. Ah! Cécile! vous seule avez le droit de me la rendre chÚre; et j'attends du premier mot que vous prononcerez le retour du bonheur ou la certitude d'un désespoir éternel. Paris, ce 27 septembre 17** LETTRE XCIV CECILE VOLANGES AU CHEVALIER DANCENY Je ne conçois rien à votre Lettre, sinon la peine qu'elle me cause. Qu'est-ce que M. de Valmont vous a donc mandé, et qu'est-ce qui a pu vous faire croire que je ne vous aimais plus? Cela serait peut-ÃÂȘtre bien heureux pour moi, car sûrement j'en serais moins tourmentée; et il est bien dur, quand je vous aime comme je fais, de voir que vous croyez toujours que j'ai tort, et qu'au lieu de me consoler, ce soit de vous que me viennent toujours les peines qui me font le plus de chagrin. Vous croyez que je vous trompe, et que je vous dis ce qui n'est pas! vous avez là une jolie idée de moi! Mais quand je serais menteuse comme vous me le reprochez, quel intérÃÂȘt y aurais-je? Assurément, si je ne vous aimais plus je n'aurais qu'à le dire, et tout le monde m'en louerait; mais, par malheur, c'est plus fort que moi; et il faut que ce soit pour quelqu'un qui ne m'en a pas d'obligation du tout! Qu'est-ce que j'ai donc fait pour vous tant fùcher? Je n'ai pas osé prendre une clef, parce que je craignais que Maman ne s'en aperçût, et que cela ne me causùt encore du chagrin, et à vous aussi à cause de moi; et puis encore, parce qu'il me semble que c'est mal fait. Mais ce n'était que M. de Valmont qui m'en avait parlé; je ne pouvais pas savoir si vous le vouliez ou non, puisque vous n'en saviez rien. A présent que je sais que vous le désirez, est-ce que je refuse de la prendre, cette clef? je la prendrai dÚs demain; et puis nous verrons ce que vous aurez, encore à dire. M. de Valmont a beau ÃÂȘtre votre ami, je crois que je vous aime bien autant qu'il peut vous aimer, pour le moins; et cependant c'est toujours lui qui a raison, et moi j'ai toujours tort. Je vous assure que je suis bien fùchée. Ça vous est bien égal, parce que vous savez que je m'apaise tout de suite mais à présent que j'aurai la clef, je pourrai vous voir quand je voudrai; et je vous assure que je ne voudrai pas quand vous agirez comme ça. J'aime mieux avoir du chagrin qui me vienne de moi, que s'il me venait de vous voyez ce que vous voulez faire. Si vous vouliez, nous nous aimerions tant! et au moins n'aurions-nous de peines que celles qu'on nous fait! Je vous assure bien que si j'étais maÃtresse, vous n'auriez jamais à vous plaindre de moi mais si vous ne me croyez pas, nous serons toujours bien malheureux, et ce ne sera pas ma faute. J'espÚre que bientÎt nous pourrons nous voir, et qu'alors nous n'aurons plus d'occasions de nous chagriner comme à présent. Si j'avais pu prévoir ça, j'aurais pris cette clef tout de suite mais, en vérité, je croyais bien faire. Ne m'en voulez donc pas, je vous en prie. Ne soyez plus triste, et aimez-moi toujours autant que je vous aime; alors je serai bien contente. Adieu, mon cher ami. Du Chùteau de ..., ce 28 septembre 17** LETTRE XCV CECILE VOLANGES AU VICOMTE DE VALMONT Je vous prie, Monsieur, de vouloir bien avoir la bonté de me remettre cette clef que vous m'aviez donnée pour mettre à la place de l'autre; puisque tout le monde le veut, il faut bien que j'y consente aussi. Je ne sais pas pourquoi vous avez mandé à M. Danceny que je ne l'aimais plus je ne crois pas vous avoir jamais donné lieu de le penser; et cela lui a fait bien de la peine, et à moi aussi. Je sais bien que vous ÃÂȘtes son ami; mais ce n'est pas une raison pour le chagriner, ni moi non plus. Vous me feriez bien plaisir de lui mander le contraire, la premiÚre fois que vous lui écrirez, et que vous en ÃÂȘtes sûr car c'est en vous qu'il a le plus confiance; et moi, quand j'ai dit une chose, et qu'on ne la croit pas, je ne sais plus comment faire. Pour ce qui est de la clef, vous pouvez ÃÂȘtre tranquille; j'ai bien retenu tout ce que vous me recommandiez dans votre Lettre. Cependant, si vous l'avez encore, et que vous vouliez me la donner en mÃÂȘme temps, je vous promets que j'y ferai bien attention. Si ce pouvait ÃÂȘtre demain en allant dÃner, je vous donnerais l'autre clef aprÚs-demain à déjeuner, et vous me la remettriez de la mÃÂȘme façon que la premiÚre. Je voudrais bien que cela ne fût pas long, parce qu'il y aurait moins de temps à risquer que Maman ne s'en aperçût. Et puis, quand une fois vous aurez cette clef-là , vous aurez bien la bonté de vous en servir aussi pour prendre mes Lettres; et comme cela, M. Danceny aura plus souvent de mes nouvelles. Il est vrai que ce sera bien plus commode qu'à présent; mais c'est que d'abord, cela m'a fait trop peur je vous prie de m'excuser, et j'espÚre que vous n'en continuerez pas moins d'ÃÂȘtre aussi complaisant que par le passé. J'en serai aussi toujours bien reconnaissante. J'ai l'honneur d'ÃÂȘtre, Monsieur, votre trÚs humble et trÚs obéissante servante. De ..., ce 28 septembre 17**LETTRE XCVI LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Je parie bien que, depuis votre aventure, vous attendez chaque jour mes compliments et mes éloges; je ne doute mÃÂȘme pas que vous n'ayez pris un peu d'humeur de mon long silence mais que voulez-vous? j'ai toujours pensé que quand il n'y avait plus que des louanges à donner à une femme, on pouvait s'en reposer sur elle, et s'occuper d'autre chose. Cependant je vous remercie pour mon compte, et vous félicite pour le vÎtre. Je veux bien mÃÂȘme, pour vous rendre parfaitement heureuse, convenir que pour cette fois vous avez surpassé mon attente. AprÚs cela, voyons si de mon cÎté j'aurai du moins rempli la vÎtre en partie. Ce n'est pas de Madame de Tourvel dont je veux vous parler; sa marche trop lente vous déplaÃt. Vous n'aimez que les affaires faites. Les scÚnes filées vous ennuient; et moi, jamais je n'avais goûté le plaisir que j'éprouve dans ces lenteurs prétendues. Oui, j'aime à voir, à considérer cette femme prudente, engagée, sans s'en ÃÂȘtre aperçue, dans un sentier qui ne permet plus de retour, et dont la pente rapide et dangereuse l'entraÃne malgré elle, et la force à me suivre. Là , effrayée du péril qu'elle court, elle voudrait s'arrÃÂȘter et ne peut se retenir. Ses soins et son adresse peuvent bien rendre ses pas moins grands; mais il faut qu'ils se succÚdent. Quelquefois, n'osant fixer le danger, elle ferme les yeux, et se laissant aller, s'abandonne à mes soins. Plus souvent, une nouvelle crainte ranime ses efforts dans son effroi mortel, elle veut tenter encore de retourner en arriÚre; elle épuise ses forces pour gravir péniblement un court espace; et bientÎt un magique pouvoir la replace plus prÚs de ce danger, que vainement elle avait voulu fuir. Alors n'ayant plus que moi pour guide et pour appui, sans songer à me reprocher davantage une chute inévitable, elle m'implore pour la retarder. Les ferventes priÚres, les humbles supplications, tout ce que les mortels, dans leur crainte, offrent à la Divinité, c'est moi qui les reçois d'elle; et vous voulez que, sourd à ses vÅ“ux, et détruisant moi-mÃÂȘme le culte qu'elle me rend, j'emploie à la précipiter la puissance qu'elle invoque pour la soutenir! Ah! laissez-moi du moins le temps d'observer ces touchants combats entre l'amour et la vertu. Eh quoi! ce mÃÂȘme spectacle qui vous fait courir au Théùtre avec empressement, que vous y applaudissez avec fureur, le croyez-vous moins attachant dans la réalité? Ces sentiments d'une ùme pure et tendre, qui redoute le bonheur qu'elle désire, et ne cesse pas de se défendre, mÃÂȘme alors qu'elle cesse de résister, vous les écoutez avec enthousiasme ne seraient-ils sans prix que pour celui qui les fait naÃtre? Voilà pourtant, voilà les délicieuses jouissances que cette femme céleste m'offre chaque jour; et vous me reprochez d'en savourer les douceurs! Ah! le temps ne viendra que trop tÎt, oÃÂč, dégradée par sa chute, elle ne sera plus pour moi qu'une femme ordinaire. Mais j'oublie, en vous parlant d'elle, que je ne voulais pas vous en parler. Je ne sais quelle puissance m'y attache, m'y ramÚne sans cesse, mÃÂȘme alors que je l'outrage. Ecartons sa dangereuse idée; que je redevienne moi-mÃÂȘme pour traiter un sujet plus gai. Il s'agit de votre pupille, à présent devenue la mienne, et j'espÚre qu'ici vous allez me reconnaÃtre. Depuis quelques jours, mieux traité par ma tendre Dévote, et par conséquent moins occupé d'elle, j'avais remarqué que la petite Volanges était en effet fort jolie; et que s'il y avait de la sottise à en ÃÂȘtre amoureux comme Danceny, peut-ÃÂȘtre n'y en avait-il pas moins de ma part à ne pas chercher auprÚs d'elle une distraction que ma solitude me rendait nécessaire. Il me parut juste aussi de me payer des soins que je me donnais pour elle je me rappelais en outre que vous me l'aviez offerte, avant que Danceny eût rien à y prétendre; et je me trouvais fondé à réclamer quelques droits sur un bien qu'il ne possédait qu'à mon refus et par mon abandon. La jolie mine de la petite personne, sa bouche si fraÃche, son air enfantin, sa gaucherie mÃÂȘme fortifiaient ces sages réflexions; je résolus d'agir en conséquence, et le succÚs a couronné l'entreprise. Déjà vous cherchez par quel moyen j'ai supplanté si tÎt l'amant chéri; quelle séduction convient à cet ùge, à cette inexpérience. Epargnez-vous tant de peine, je n'en ai employé aucune. Tandis que, maniant avec adresse les armes de votre sexe, vous triomphiez par la finesse; moi, rendant à l'homme ses droits imprescriptibles, je subjuguais par l'autorité. Sûr de saisir ma proie si je pouvais la joindre, je n'avais besoin de ruse que pour m'en approcher, et mÃÂȘme celle dont je me suis servi ne mérite presque pas ce nom. Je profitai de la premiÚre lettre que je reçus de Danceny pour sa Belle, et aprÚs l'en avoir avertie par le signal convenu entre nous, au lieu de mettre mon adresse à la lui rendre, je la mis à n'en pas trouver le moyen cette impatience que je faisais naÃtre, je feignais de la partager, et aprÚs avoir causé le mal, j'indiquai le remÚde. La jeune personne habite une chambre dont une porte donne sur le corridor; mais comme de raison, la mÚre en avait pris la clef. Il ne s'agissait que de s'en rendre maÃtre. Rien de plus facile dans l'exécution; je ne demandais que d'en disposer deux heures, et je répondais d'en avoir une semblable. Alors correspondances, entrevues, rendez-vous nocturnes; tout devenait commode et sûr cependant, le croiriez-vous? l'enfant timide prit peur et refusa. Un autre s'en serait désolé; moi, je n'y vis que l'occasion d'un plaisir plus piquant. J'écrivis à Danceny pour me plaindre de ce refus, et je fis si bien que notre étourdi n'eut de cesse qu'il n'eût obtenu, exigé mÃÂȘme de sa craintive MaÃtresse, qu'elle accordùt ma demande et se livrùt toute à ma discrétion. J'étais bien aise, je l'avoue, d'avoir ainsi changé de rÎle, et que le jeune homme fÃt pour moi ce qu'il comptait que je ferais pour lui. Cette idée doublait, à mes yeux, le prix de l'aventure aussi dÚs que j'ai eu la précieuse clef, me suis-je hùté d'en faire usage, c'était la nuit derniÚre. AprÚs m'ÃÂȘtre assuré que tout était tranquille dans le Chùteau; armé de ma lanterne sourde, et dans la toilette que comportait l'heure et qu'exigeait la circonstance, j'ai rendu ma premiÚre visite à votre pupille. J'avais tout fait préparer et cela par elle-mÃÂȘme, pour pouvoir entrer sans bruit. Elle était dans son premier sommeil, et dans celui de son ùge; de façon que je suis arrivé jusqu'à son lit, sans qu'elle se soit réveillée. J'ai d'abord été tenté d'aller plus avant, et d'essayer de passer pour un songe; mais craignant l'effet de la surprise et le bruit qu'elle entraÃne, j'ai préféré d'éveiller avec précaution la jolie dormeuse, et suis en effet parvenu à prévenir le cri que je redoutais. AprÚs avoir calmé ses premiÚres craintes, comme je n'étais pas venu là pour causer, j'ai risqué quelques libertés. Sans doute on ne lui a pas bien appris dans son Couvent à combien de périls divers est exposée la timide innocence, et tout ce qu'elle a à garder pour n'ÃÂȘtre pas surprise car, portant toute son attention, toutes ses forces à se défendre d'un baiser, qui n'était qu'une fausse attaque, tout le reste était laissé sans défense; le moyen de n'en pas profiter! J'ai donc changé ma marche, et sur le champ j'ai pris poste. Ici nous avons pensé ÃÂȘtre perdus tous deux la petite fille, tout effarouchée, a voulu crier de bonne foi; heureusement sa voix s'est éteinte dans les pleurs. Elle s'était jetée aussi au cordon de sa sonnette, mais mon adresse a retenu son bras à temps. " Que voulez-vous faire lui ai-je dit alors, vous perdre pour toujours? Qu'on vienne, et que m'importe? à qui persuaderez-vous que je ne sois pas ici de votre aveu? Quel autre que vous m'aura fourni le moyen de m'y introduire? et cette clef que je tiens de vous, que je n'ai pu avoir que par vous, vous chargerez-vous d'en indiquer l'usage? " Cette courte harangue n'a calmé ni la douleur, ni la colÚre, mais elle a amené la soumission. Je ne sais si j'avais le ton de l'éloquence; au moins est-il vrai que je n'en avais pas le geste. Une main occupée pour la force, l'autre pour l'amour, quel Orateur pourrait prétendre à la grùce en pareille situation? Si vous vous la peignez bien, vous conviendrez qu'au moins elle était favorable à l'attaque mais moi, je n'entends rien à rien, et comme vous dites, la femme la plus simple, une pensionnaire, me mÚne comme un enfant. Celle-ci, tout en se désolant, sentait qu'il fallait prendre un parti, et entrer en composition. Les priÚres me trouvant inexorable, il a fallu passer aux offres. Vous croyez que j'ai vendu bien cher ce poste important non, j'ai tout promis pour un baiser. Il est vrai que, le baiser pris, je n'ai pas tenu ma promesse mais j'avais de bonnes raisons. Etions-nous convenus qu'il serait pris ou donné? A force de marchander, nous sommes tombés d'accord pour un second, et celui-là , il était dit qu'il serait reçu. Alors ayant guidé ses bras timides autour de mon corps, et la pressant de l'un des miens plus amoureusement, le doux baiser a été reçu en effet; mais bien, mais parfaitement reçu tellement enfin que l'Amour n'aurait pas pu mieux faire. Tant de bonne foi méritait récompense, aussi ai-je aussitÎt accordé la demande. La main s'est retirée; mais je ne sais par quel hasard je me suis trouvé moi-mÃÂȘme à sa place. Vous me supposez là bien empressé, bien actif, n'est-il pas vrai? point du tout. J'ai pris goût aux lenteurs, vous dis-je. Une fois sûr d'arriver, pourquoi tant presser le voyage? Sérieusement, j'étais bien aise d'observer une fois la puissance de l'occasion, et je la trouvais ici dénuée de tout secours étranger. Elle avait pourtant à combattre l'amour, et l'amour soutenu par la pudeur ou la honte, et fortifié surtout par l'humeur que j'avais donnée, et dont on avait beaucoup pris. L'occasion était seule; mais elle était là , toujours offerte, toujours présente, et l'Amour était absent. Pour assurer mes observations, j'avais la malice de n'employer de force que ce qu'on en pouvait combattre. Seulement si ma charmante ennemie, abusant de ma facilité, se trouvait prÃÂȘte à m'échapper, je la contenais par cette mÃÂȘme crainte, dont j'avais déjà éprouvé les heureux effets. Hé bien! sans autre soin, la tendre amoureuse, oubliant ses serments, a cédé d'abord et fini par consentir non pas qu'aprÚs ce premier moment les reproches et les larmes ne soient revenus de concert; j'ignore s'ils étaient vrais ou feints mais, comme il arrive toujours, ils ont cessé, dÚs que je me suis occupé à y donner lieu de nouveau. Enfin, de faiblesse en reproche, et de reproche en faiblesse, nous ne nous sommes séparés que satisfaits l'un de l'autre, et également d'accord pour le rendez-vous de ce soir. Je ne me suis retiré chez moi qu'au point du jour, et j'étais rendu de fatigue et de sommeil cependant j'ai sacrifié l'un et l'autre au désir de me trouver ce matin au déjeuner j'aime, de passion, les mines de lendemain. Vous n'avez pas d'idée de celle-ci. C'était un embarras dans le maintien! une difficulté dans la marche! des yeux toujours baissés, et si gros et si battus! Cette figure si ronde s'était tant allongée! rien n'était si plaisant. Et pour la premiÚre fois, sa mÚre, alarmée de ce changement extrÃÂȘme, lui témoignait un intérÃÂȘt assez tendre! et la Présidente aussi, qui s'empressait autour d'elle! Oh! pour ces soins-là ils ne sont que prÃÂȘtés; un jour viendra oÃÂč on pourra les lui rendre, et ce jour n'est pas loin. Adieu, ma belle amie. Du Chùteau de ..., ce 1er octobre 17** LETTRE XCVII CECILE VOLANGES A LA MARQUISE DE MERTEUIL Ah! mon Dieu, Madame, que je suis affligée! que je suis malheureuse! Qui me consolera dans mes peines? qui me conseillera dans l'embarras oÃÂč je me trouve? Ce M. de Valmont... et Danceny! non, l'idée de Danceny me met au désespoir... Comment vous raconter? comment vous dire?... Je ne sais comment faire. Cependant mon cÅ“ur est plein... Il faut que je parle à quelqu'un, et vous ÃÂȘtes la seule à qui je puisse, à qui j'ose me confier. Vous avez tant de bonté pour moi! Mais n'en ayez pas dans ce moment-ci; je n'en suis pas digne que vous dirai-je? je ne le désire point. Tout le monde ici m'a témoigné de l'intérÃÂȘt aujourd'hui... ils ont tous augmenté ma peine. Je sentais tant que je ne le méritais pas! Grondez-moi au contraire; grondez-moi bien, car je suis bien coupable mais aprÚs, sauvez-moi; si vous n'avez pas la bonté de me conseiller, je mourrai de chagrin. Apprenez donc... ma main tremble, comme vous voyez, je ne peux presque pas écrire, je me sens le visage tout en feu... Ah! c'est bien le rouge de la honte. Hé bien! je la souffrirai; ce sera la premiÚre punition de ma faute. Oui, je vous dirai tout. Vous saurez donc que M. de Valmont, qui m'a remis jusqu'ici les Lettres de M. Danceny, a trouvé tout d'un coup que c'était trop difficile; il a voulu avoir une clef de ma chambre. Je puis bien vous assurer que je ne voulais pas; mais il a été en écrire à Danceny, et Danceny l'a voulu aussi; et moi, ça me fait tant de peine quand je lui refuse quelque chose, surtout depuis mon absence qui le rend si malheureux, que j'ai fini par y consentir. Je ne prévoyais pas le malheur qui en arriverait. Hier, M. de Valmont s'est servi de cette clef pour venir dans ma chambre, comme j'étais endormie; je m'y attendais si peu, qu'il m'a fait bien peur en me réveillant; mais comme il m'a parlé tout de suite, je l'ai reconnu, et je n'ai pas crié; et puis l'idée m'est venue d'abord qu'il venait peut-ÃÂȘtre m'apporter une Lettre de Danceny. C'en était bien loin. Un petit moment aprÚs, il a voulu m'embrasser; et pendant que je me défendais, comme c'est naturel, il a si bien fait, que je n'aurais pas voulu pour toute chose au monde... mais, lui voulait un baiser auparavant. Il a bien fallu, car comment faire? d'autant que j'avais essayé d'appeler, mais outre que je n'ai pas pu, il a bien su me dire que, s'il venait quelqu'un, il saurait bien rejeter toute la faute sur moi; et, en effet, c'était bien facile, à cause de cette clef. Ensuite il ne s'est pas retiré davantage. Il en a voulu un second; et celui-là , je ne savais pas ce qui en était, mais il m'a toute troublée; et aprÚs, c'était encore pis qu'auparavant. Oh! par exemple, c'est bien mal ça. Enfin aprÚs... , vous m'exempterez bien de dire le reste; mais je suis malheureuse autant qu'on puisse l'ÃÂȘtre. Ce que je me reproche le plus, et dont pourtant il faut que je vous parle, c'est que j'ai peur de ne pas m'ÃÂȘtre défendue autant que je le pouvais. Je ne sais pas comment cela se faisait sûrement, je n'aime pas M. de Valmont, bien au contraire; et il y avait des moments oÃÂč j'étais comme si je l'aimais... Vous jugez bien que ça ne m'empÃÂȘchait pas de lui dire toujours que non mais je sentais bien que je ne faisais pas comme je disais; et ça, c'était comme malgré moi; et puis aussi, j'étais bien troublée! S'il est toujours aussi difficile que ça de se défendre, il faut y ÃÂȘtre bien accoutumée! Il est vrai que M. de Valmont a des façons de dire, qu'on ne sait pas comment faire pour lui répondre enfin, croiriez-vous que quand il s'en est allé, j'en étais comme fùchée, et que j'ai eu la faiblesse de consentir qu'il revÃnt ce soir ça me désole encore plus que tout le reste. Oh! malgré ça, je vous promets bien que je l'empÃÂȘcherai d'y venir. Il n'a pas été sorti, que j'ai bien senti que j'avais eu bien tort de lui promettre. Aussi, j'ai pleuré tout le reste du temps. C'est surtout Danceny qui me faisait de la peine! toutes les fois que je songeais à lui, mes pleurs redoublaient que j'en étais suffoquée, et j'y songeais toujours... et à présent encore, vous en voyez l'effet; voilà mon papier tout trempé. Non, je ne me consolerai jamais, ne fût-ce qu'à cause de lui... Enfin, je n'en pouvais plus, et pourtant je n'ai pas pu dormir une minute. Et ce matin en me levant, quand je me suis regardée au miroir, je faisais peur, tant j'étais changée. Maman s'en est aperçue dÚs qu'elle m'a vue et elle m'a demandé ce que j'avais. Moi, je me suis mise à pleurer tout de suite. Je croyais qu'elle m'allait gronder, et peut-ÃÂȘtre ça m'aurait fait moins de peine mais, au contraire. Elle m'a parlé avec douceur! Je ne le méritais guÚre. Elle m'a dit de ne pas m'affliger comme ça. Elle ne savait pas le sujet de mon affliction. Que je me rendrais malade! Il y a des moments oÃÂč je voudrais ÃÂȘtre morte. Je n'ai pas pu y tenir. Je me suis jetée dans ses bras en sanglotant, et en lui disant " Ah! Maman, votre fille est bien malheureuse! " Maman n'a pu s'empÃÂȘcher de pleurer un peu; et tout cela n'a fait qu'augmenter mon chagrin heureusement elle ne m'a pas demandé pourquoi j'étais si malheureuse, car je n'aurais su que lui dire. Je vous en supplie, Madame, écrivez-moi le plus tÎt que vous pourrez, et dites-moi ce que je dois faire, car je n'ai le courage de songer à rien, et je ne fais que m'affliger. Vous voudrez bien m'adresser votre Lettre par M. de Valmont; mais je vous en prie, si vous lui écrivez en mÃÂȘme temps, ne lui parlez pas que je vous aie rien dit. J'ai l'honneur d'ÃÂȘtre, Madame, avec toujours bien de l'amitié, votre trÚs humble et trÚs obéissante servante... Je n'ose pas signer cette Lettre. Du Chùteau de ..., ce 1er octobre 17**. LETTRE XCVIII MADAME DE VOLANGES A LA MARQUISE DE MERTEUIL Il y a bien peu de jours, ma charmante amie, que c'était vous qui me demandiez des consolations et des conseils aujourd'hui, c'est mon tour; et je vous fais pour moi la mÃÂȘme demande que vous me faisiez pour vous. Je suis bien réellement affligée, et je crains de n'avoir pas pris les meilleurs moyens pour éviter les chagrins que j'éprouve. C'est ma fille qui cause mon inquiétude. Depuis mon départ je l'avais bien vue toujours triste et chagrine; mais je m'y attendais, et j'avais armé mon cÅ“ur d'une sévérité que je jugeais nécessaire. J'espérais que l'absence, les distractions détruiraient bientÎt un amour que je regardais plutÎt comme une erreur de l'enfance que comme une véritable passion. Cependant, loin d'avoir rien gagné depuis mon séjour ici, je m'aperçois que cet enfant se livre de plus en plus à une mélancolie dangereuse; et je crains, tout de bon, que sa santé ne s'altÚre. ParticuliÚrement depuis quelques jours elle change à vue d'oeil. Hier, surtout, elle me frappa, et tout le monde ici en fut vraiment alarmé. Ce qui me prouve encore combien elle est affectée vivement, c'est que je la vois prÃÂȘte à surmonter la timidité qu'elle a toujours eue avec moi. Hier matin, sur la simple demande que je lui fis si elle était malade, elle se précipita dans mes bras en me disant qu'elle était bien malheureuse; et elle pleura aux sanglots. Je ne puis vous rendre la peine qu'elle m'a faite; les larmes me sont venues aux yeux tout de suite et je n'ai eu que le temps de me détourner, pour empÃÂȘcher qu'elle ne me vÃt. Heureusement j'ai eu la prudence de ne lui faire aucune question, et elle n'a pas osé m'en dire davantage mais il n'en est pas moins clair que c'est cette malheureuse passion qui la tourmente. Quel parti prendre pourtant, si cela dure? ferai-je le malheur de ma fille? tournerai-je contre elle les qualités les plus précieuses de l'ùme, la sensibilité et la constance? est-ce pour cela que je suis sa mÚre? et quand j'étoufferais ce sentiment si naturel qui nous fait vouloir le bonheur de nos enfants; quand je regarderais comme une faiblesse ce que je crois, au contraire, le premier, le plus sacré de nos devoirs; si je force son choix, n'aurai-je pas à répondre des suites funestes qu'il peut avoir? Quel usage à faire de l'autorité maternelle que de placer sa fille entre le crime et le malheur! Mon amie, je n'imiterai pas ce que j'ai blùmé si souvent. J'ai pu, sans doute, tenter de faire un choix pour ma fille; je ne faisais en cela que l'aider de mon expérience ce n'était pas un droit que j'exerçais, je remplissais un devoir. J'en trahirais un, au contraire, en disposant d'elle au mépris d'un penchant que je n'ai pas su empÃÂȘcher de naÃtre et dont ni elle, ni moi ne pouvons connaÃtre ni l'étendue ni la durée. Non, je ne souffrirai point qu'elle épouse celui-ci pour aimer celui-là , et j'aime mieux compromettre mon autorité que sa vertu. Je crois donc que je vais prendre le parti le plus sage de retirer la parole que j'ai donnée à M. de Gercourt. Vous venez d'en voir les raisons; elles me paraissent devoir l'emporter sur mes promesses. Je dis plus dans l'état oÃÂč sont les choses, remplir mon engagement, ce serait véritablement le violer. Car enfin, si je dois à ma fille de ne pas livrer son secret à M. de Gercourt, je dois au moins à celui-ci de ne pas abuser de l'ignorance oÃÂč je le laisse, et de faire pour lui tout ce que je crois qu'il ferait lui-mÃÂȘme, s'il était instruit. Irai-je, au contraire, le trahir indignement, quand il se livre à ma foi, et, tandis qu'il m'honore en me choisissant pour sa seconde mÚre, le tromper dans le choix qu'il veut faire de la mÚre de ses enfants? Ces réflexions si vraies et auxquelles je ne peux me refuser m'alarment plus que je ne puis vous dire. Aux malheurs qu'elles me font redouter, je compare ma fille, heureuse avec l'époux que son cÅ“ur a choisi, ne connaissant ses devoirs que par la douceur qu'elle trouve à les remplir; mon gendre également satisfait et se félicitant, chaque jour, de son choix; chacun d'eux ne trouvant de bonheur que dans le bonheur de l'autre, et celui de tous deux se réunissant pour augmenter le mien. L'espoir d'un avenir si doux doit-il ÃÂȘtre sacrifié à de vaines considérations? Et quelles sont celles qui me retiennent? uniquement des vues d'intérÃÂȘt. De quel avantage sera-t-il donc pour ma fille d'ÃÂȘtre née riche, si elle n'en doit pas moins ÃÂȘtre esclave de la fortune? Je conviens que M. de Gercourt est un parti meilleur, peut-ÃÂȘtre, que je ne devais l'espérer pour ma fille; j'avoue mÃÂȘme que j'ai été extrÃÂȘmement flattée du choix qu'il a fait d'elle. Mais enfin, Danceny est d'une aussi bonne maison que lui; il ne lui cÚde en rien pour les qualités personnelles; il a sur M. de Gercourt l'avantage d'aimer et d'ÃÂȘtre aimé il n'est pas riche à la vérité; mais ma fille ne l'est-elle pas assez pour eux deux? Ah! pourquoi lui ravir la satisfaction si douce d'enrichir ce qu'elle aime! Ces mariages qu'on calcule au lieu de les assortir, qu'on appelle de convenance, et oÃÂč tout se convient en effet, hors les goûts et les caractÚres, ne sont-ils pas la source la plus féconde de ces éclats scandaleux qui deviennent tous les jours plus fréquents? J'aime mieux différer au moins j'aurai le temps d'étudier ma fille que je ne connais pas. Je me sens bien le courage de lui causer un chagrin passager, si elle en doit recueillir un bonheur plus solide mais de risquer de la livrer à un désespoir éternel, cela n'est pas dans mon cÅ“ur. Voilà , ma chÚre amie, les idées qui me tourmentent, et sur quoi je réclame vos conseils. Ces objets sévÚres contrastent beaucoup avec votre aimable gaieté, et ne paraissent guÚre de votre ùge mais votre raison l'a tant devancé! Votre amitié d'ailleurs aidera votre prudence; et je ne crains point que l'une ou l'autre se refusent à la sollicitude maternelle qui les implore. Adieu, ma charmante amie; ne doutez jamais de la sincérité de mes sentiments. Du Chùteau de ..., ce 2 octobre 17**. LETTRE XCIX LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Encore de petits événements, ma belle amie; mais des scÚnes seulement, point d'actions. Ainsi, armez-vous de patience; prenez-en mÃÂȘme beaucoup car tandis que ma Présidente marche à si petits pas, votre pupille recule, et c'est bien pis encore. Hé bien! j'ai le bon esprit de m'amuser de ces misÚres-là . Véritablement je m'accoutume fort bien à mon séjour ici; et je puis dire que dans le triste Chùteau de ma vieille tante, je n'ai pas éprouvé un moment d'ennui. Au fait, n'y ai-je pas jouissances, privations, espoir, incertitude? Qu'a- t-on de plus sur un plus grand théùtre? des spectateurs? Hé! laissez faire, ils ne me manqueront pas. S'ils ne me voient pas à l'ouvrage, je leur montrerai ma besogne faite; ils n'auront plus qu'à admirer et applaudir. Oui, ils applaudiront; car je puis enfin prédire, avec certitude, le moment de la chute de mon austÚre Dévote. J'ai assisté ce soir à l'agonie de la vertu. La douce faiblesse va régner à sa place. Je n'en fixe pas l'époque plus tard qu'à notre premiÚre entrevue mais déjà je vous entends crier à l'orgueil. Annoncer sa victoire, se vanter à l'avance. Hé, là , là , calmez-vous! Pour vous prouver ma modestie, je vais commencer par l'histoire de ma défaite. En vérité, votre pupille est une petite personne bien ridicule! C'est bien un enfant qu'il faudrait traiter comme tel, et à qui on ferait grùce en ne le mettant qu'en pénitence! Croiriez-vous qu'aprÚs ce qui s'est passé avant-hier entre elle et moi, aprÚs la façon amicale dont nous nous sommes quittés hier matin; lorsque j'ai voulu y retourner le soir, comme elle en était convenue, j'ai trouvé sa porte fermée en dedans? Qu'en dites-vous? on éprouve quelquefois de ces enfantillages-là la veille mais le lendemain! cela n'est-il pas plaisant? Je n'en ai pourtant pas ri d'abord, jamais je n'avais autant senti l'empire de mon caractÚre. Assurément j'allais à ce rendez-vous sans plaisir, et uniquement par procédé. Mon lit, dont j'avais grand besoin, me semblait, pour le moment, préférable à celui de tout autre, et je ne m'en étais éloigné qu'à regret. Cependant je n'ai pas eu plutÎt trouvé un obstacle que je brûlais de le franchir; j'étais humilié, surtout, qu'un enfant m'eût joué. Je me retirai donc avec beaucoup d'humeur et dans le projet de ne plus me mÃÂȘler de ce sot enfant, ni de ses affaires, je lui avais écrit, sur-le-champ, un billet que je comptais lui remettre aujourd'hui, et oÃÂč je l'évaluais à son juste prix. Mais, comme on dit, la nuit porte conseil; j'ai trouvé ce matin que, n'ayant pas ici le choix des distractions, il fallait garder celle-là ; j'ai donc supprimé le sévÚre billet. Depuis que j'y ai réfléchi, je ne reviens pas d'avoir eu l'idée de finir une aventure, avant d'avoir en main de quoi en perdre l'Héroïne. OÃÂč nous mÚne pourtant un premier mouvement! Heureux, ma belle amie, qui a su, comme vous, s'accoutumer à n'y jamais céder. Enfin j'ai différé ma vengeance; j'ai fait ce sacrifice à vos vues sur Gercourt. A présent que je ne suis plus en colÚre, je ne vois plus que du ridicule dans la conduite de votre pupille. En effet, je voudrais bien savoir ce qu'elle espÚre gagner par là ! pour moi je m'y perds si ce n'est que pour se défendre, il faut convenir qu'elle s'y prend un peu tard. Il faudra bien qu'un jour elle me dise le mot de cette énigme! J'ai grande envie de le savoir. C'est peut-ÃÂȘtre seulement qu'elle se trouvait fatiguée? franchement cela se pourrait; car sans doute elle ignore encore que les flÚches de l'Amour, comme la lance d'Achille, portent avec elles le remÚde aux blessures qu'elles font. Mais non, à sa petite grimace de toute la journée, je parierais qu'il entre là -dedans du repentir... là ... quelque chose... comme de la vertu... De la vertu!... c'est bien à elle qu'il convient d'en avoir! Ah! qu'elle la laisse à la femme véritablement née pour elle, la seule qui sache l'embellir, qui la ferait aimer!... Pardon, ma belle amie mais c'est ce soir mÃÂȘme que s'est passée, entre Madame de Tourvel et moi, la scÚne dont j'ai à vous rendre compte, et j'en conserve encore quelque émotion. J'ai besoin de me faire violence pour me distraire de l'impression qu'elle m'a faite, c'est mÃÂȘme pour m'y aider, que je me suis mis à vous écrire. Il faut pardonner quelque chose à ce premier moment. Il y a déjà quelques jours que nous sommes d'accord, Madame de Tourvel et moi, sur nos sentiments; nous ne disputons plus que sur les mots. C'était toujours, à la vérité, son amitié qui répondait à mon amour mais ce langage de convention ne changeait pas le fond des choses; et quand nous serions restés ainsi, j'en aurais peut-ÃÂȘtre été moins vite, mais non pas moins sûrement. Déjà mÃÂȘme il n'était plus question de m'éloigner, comme elle le voulait d'abord; et pour les entretiens que nous avons journellement, si je mets mes soins à lui en offrir l'occasion, elle met les siens à la saisir. Comme c'est ordinairement à la promenade que se passent nos petits rendez- vous, le temps affreux qu'il a fait tout aujourd'hui ne me laissait rien espérer j'en étais mÃÂȘme vraiment contrarié; je ne prévoyais pas combien je devais gagner à ce contretemps. Ne pouvant se promener, on s'est mis à jouer en sortant de table; et comme je joue peu, et que je ne suis plus nécessaire, j'ai pris ce temps pour monter chez moi, sans autre projet que d'y attendre, à peu prÚs, la fin de la partie. Je retournais joindre le cercle, quand j'ai trouvé la charmante femme qui entrait dans son appartement, et qui, soit imprudence ou faiblesse, m'a dit de sa douce voix " OÃÂč allez-vous donc? Il n'y a personne au salon. " Il ne m'en a pas fallu davantage, comme vous pouvez croire, pour essayer d'entrer chez elle; j'y ai trouvé moins de résistance que je ne m'y attendais. Il est vrai que j'avais eu la précaution de commencer la conversation à la porte, et de la commencer indifférente; mais à peine avons-nous été établis, que j'ai ramené la véritable, et que j'ai parlé de mon amour à mon amie . Sa premiÚre réponse, quoique simple, m'a paru assez expressive " Oh! tenez, m'a-t-elle dit, ne parlons pas de cela ici " , et elle tremblait. La pauvre femme! elle se voit mourir. Pourtant elle avait tort de craindre. Depuis quelque temps, assuré du succÚs un jour ou l'autre, et la voyant user tant de force dans d'inutiles combats, j'avais résolu de ménager les miennes, et d'attendre sans effort qu'elle se rendÃt de lassitude. Vous sentez bien qu'ici il faut un triomphe complet, et que je ne veux rien devoir à l'occasion. C'était mÃÂȘme d'aprÚs ce plan formé, et pour pouvoir ÃÂȘtre pressant, sans m'engager trop, que je suis revenu à ce mot d'amour, si obstinément refusé; sûr qu'on me croyait assez d'ardeur, j'ai essayé un ton plus tendre. Ce refus ne me fùchait plus, il m'affligeait; ma sensible amie ne me devait-elle pas quelques consolations? Tout en me consolant, une main était restée dans la mienne; le joli corps était appuyé sur mon bras, et nous étions extrÃÂȘmement rapprochés. Vous avez sûrement remarqué combien, dans cette situation, à mesure que la défense mollit, les demandes et les refus se passent de plus prÚs; comment la tÃÂȘte se détourne et les regards se baissent, tandis que les discours, toujours prononcés d'une voix faible, deviennent rares et entrecoupés. Ces symptÎmes précieux annoncent, d'une maniÚre non équivoque, le consentement de l'ùme mais rarement a-t-il encore passé jusqu'aux sens; je crois mÃÂȘme qu'il est toujours dangereux de tenter alors quelque entreprise trop marquée; parce que cet état d'abandon n'étant jamais sans un plaisir trÚs doux, on ne saurait forcer d'en sortir, sans causer une humeur qui tourne infailliblement au profit de la défense. Mais, dans le cas présent, la prudence m'était d'autant plus nécessaire, que j'avais surtout à redouter l'effroi que cet oubli d'elle-mÃÂȘme ne manquerait pas de causer à ma tendre rÃÂȘveuse. Aussi cet aveu que je demandais, je n'exigeais pas mÃÂȘme qu'il fût prononcé; un regard pouvait suffire; un seul regard, et j'étais heureux. Ma belle amie, les beaux yeux se sont en effet levés sur moi, la bouche céleste a mÃÂȘme prononcé " Eh bien! oui, je... " Mais tout à coup le regard s'est éteint, la voix a manqué, et cette femme adorable est tombée dans mes bras. A peine avais-je eu le temps de l'y recevoir, que se dégageant avec une force convulsive, la vue égarée, et les mains élevées vers le Ciel... " Dieu... Î mon Dieu, sauvez-moi " , s'est-elle écriée; et sur-le-champ, plus prompte que l'éclair, elle était à genoux à dix pas de moi. Je l'entendais prÃÂȘte à suffoquer. Je me suis avancé pour la secourir; mais elle, prenant mes mains qu'elle baignait de pleurs, quelquefois mÃÂȘme embrassant mes genoux " Oui, ce sera vous, disait-elle, ce sera vous qui me sauverez! Vous ne voulez pas ma mort, laissez-moi; sauvez-moi; laissez-moi; au nom de Dieu, laissez-moi! " Et ces discours peu suivis s'échappaient à peine à travers des sanglots redoublés. Cependant elle me tenait avec une force qui ne m'aurait pas permis de m'éloigner; alors rassemblant les miennes, je l'ai soulevée dans mes bras. Au mÃÂȘme instant les pleurs ont cessé; elle ne parlait plus; tous ses membres se sont roidis, et de violentes convulsions ont succédé à cet orage. J'étais, je l'avoue, vivement ému, et je crois que j'aurais consenti à sa demande, quand les circonstances ne m'y auraient pas forcé. Ce qu'il y a de vrai, c'est qu'aprÚs lui avoir donné quelques secours, je l'ai laissée comme elle m'en priait, et que je m'en félicite. Déjà j'en ai presque reçu le prix. Je m'attendais qu'ainsi que le jour de ma premiÚre déclaration, elle ne se montrerait pas de la soirée. Mais vers les huit heures, elle est descendue au salon, et a seulement annoncé au cercle qu'elle s'était trouvée fort incommodée. Sa figure était abattue, sa voix faible, et son maintien composé; mais son regard était doux, et souvent il s'est fixé sur moi. Son refus de jouer m'ayant mÃÂȘme obligé de prendre sa place, elle a pris la sienne à mon cÎté. Pendant le souper, elle est restée seule dans le salon. Quand on y est revenu, j'ai cru m'apercevoir qu'elle avait pleuré pour m'en éclaircir, je lui ai dit qu'il me semblait qu'elle s'était encore ressentie de son incommodité; à quoi elle m'a obligeamment répondu " Ce mal-là ne s'en va pas si vite qu'il vient! " Enfin quand on s'est retiré, je lui ai donné la main; et à la porte de son appartement elle a serré la mienne avec force. Il est vrai que ce mouvement m'a paru avoir quelque chose d'involontaire mais tant mieux; c'est une preuve de plus de mon empire. Je parierais qu'à présent elle est enchantée d'en ÃÂȘtre là tous les frais sont faits; il ne reste plus qu'à jouir. Peut-ÃÂȘtre, pendant que je vous écris, s'occupe-t-elle déjà de cette douce idée! et quand mÃÂȘme elle s'occuperait, au contraire, d'un nouveau projet de défense, ne savons-nous pas bien ce que deviennent tous ces projets-là ? Je vous le demande, cela peut-il aller plus loin que notre prochaine entrevue? Je m'attends bien, par exemple, qu'il y aura quelques façons pour l'accorder, mais bon! le premier pas franchi, ces Prudes austÚres savent-elles s'arrÃÂȘter? leur amour est une véritable explosion; la résistance y donne plus de force. Ma farouche Dévote courrait aprÚs moi, si je cessais de courir aprÚs elle. Enfin, ma belle amie, incessamment j'arriverai chez vous, pour vous sommer de votre parole. Vous n'avez pas oublié sans doute ce que vous m'avez promis aprÚs le succÚs; cette infidélité à votre Chevalier? ÃÂȘtes-vous prÃÂȘte? pour moi je le désire comme si nous ne nous étions jamais connus. Au reste, vous connaÃtre est peut-ÃÂȘtre une raison pour le désirer davantage Je suis juste, et ne suis point galant [VOLTAIRE, Comédie de Nanine]. Aussi ce sera la premiÚre infidélité que je ferai à ma grave conquÃÂȘte; et je vous promets de profiter du premier prétexte pour m'absenter vingt-quatre heures d'auprÚs d'elle. Ce sera sa punition, de m'avoir tenu si longtemps éloigné de vous. Savez-vous que voilà plus de deux mois que cette aventure m'occupe? oui, deux mois et trois jours; il est vrai que je compte demain, puisqu'elle ne sera véritablement consommée qu'alors. Cela me rappelle que Mademoiselle de B*** a résisté les trois mois complets. Je suis bien aise de voir que la franche coquetterie a plus de défense que l'austÚre vertu. Adieu, ma belle amie; il faut vous quitter, car il est fort tard. Cette Lettre m'a mené plus loin que je ne comptais; mais comme j'envoie demain matin à Paris, j'ai voulu en profiter, pour vous faire partager un jour plus tÎt la joie de votre ami. Du Chùteau de ..., ce 2 octobre 17**, au soir. LETTRE C LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Mon amie, je suis joué, trahi, perdu; je suis au désespoir Madame de Tourvel est partie. Elle est partie, et je ne l'ai pas su! et je n'étais pas là pour m'opposer à son départ, pour lui reprocher son indigne trahison! Ah! ne croyez pas que je l'eusse laissée partir, elle serait restée; oui, elle serait restée, eussé-je dû employer la violence. Mais quoi! dans ma crédule sécurité, je dormais tranquillement; je dormais, et la foudre est tombée sur moi. Non, je ne conçois rien à ce départ il faut renoncer à connaÃtre les femmes. Quand je me rappelle la journée d'hier! que dis-je? la soirée mÃÂȘme! Ce regard si doux, cette voix si tendre! et cette main serrée! et pendant ce temps, elle projetait de me fuir! Ô femmes, femmes! Plaignez-vous donc, si l'on vous trompe! Mais oui, toute perfidie qu'on emploie est un vol qu'on vous fait. Quel plaisir j'aurai à me venger! je la retrouverai, cette femme perfide; je reprendrai mon empire sur elle. Si l'amour m'a suffi pour en trouver les moyens, que ne fera-t-il pas, aidé de la vengeance? Je la verrai encore à mes genoux, tremblante et baignée de pleurs, me criant merci de sa trompeuse voix; et moi, je serai sans pitié. Que fait-elle à présent? que pense-t-elle? Peut-ÃÂȘtre elle s'applaudit de m'avoir trompé; et fidÚle aux goûts de son sexe, ce plaisir lui paraÃt le plus doux. Ce que n'a pu la vertu tant vantée, l'esprit de ruse l'a produit sans effort. Insensé! je redoutais sa sagesse; c'était sa mauvaise foi que je devais craindre. Et ÃÂȘtre obligé de dévorer mon ressentiment! n'oser montrer qu'une tendre douleur, quand j'ai le cÅ“ur rempli de rage! me voir réduit à supplier encore une femme rebelle, qui s'est soustraite à mon empire! devais-je donc ÃÂȘtre humilié à ce point? et par qui? par une femme timide, et qui jamais ne s'est exercée à combattre. A quoi me sert de m'ÃÂȘtre établi dans son cÅ“ur, de l'avoir embrasé de tous les feux de l'amour, d'avoir porté jusqu'au délire le trouble de ses sens; si tranquille dans sa retraite, elle peut aujourd'hui s'enorgueillir de sa fuite plus que moi de mes victoires? Et je le souffrirais? mon amie, vous ne le croyez pas; vous n'avez pas de moi cette humiliante idée! Mais quelle fatalité m'attache à cette femme? cent autres ne désirent-elles pas mes soins? ne s'empresseront-elles pas d'y répondre? quand mÃÂȘme aucune ne vaudrait celle-ci, l'attrait de la variété, le charme des nouvelles conquÃÂȘtes, l'éclat de leur nombre, n'offrent-ils pas des plaisirs assez doux? Pourquoi courir aprÚs celui qui nous fuit, et négliger ceux qui se présentent? Ah! pourquoi?... Je l'ignore, mais je l'éprouve fortement. Il n'est plus pour moi de bonheur, de repos, que par la possession de cette femme que je hais et que j'aime avec une égale fureur. Je ne supporterai mon sort que du moment oÃÂč je disposerai du sien. Alors tranquille et satisfait, je la verrai, à son tour, livrée aux orages que j'éprouve en ce moment, j'en exciterai mille autres encore. L'espoir et la crainte, la méfiance et la sécurité, tous les maux inventés par la haine, tous les biens accordés par l'amour, je veux qu'ils remplissent son cÅ“ur, qu'ils s'y succÚdent à ma volonté. Ce temps viendra... Mais que de travaux encore! que j'en étais prÚs hier, et qu'aujourd'hui je m'en vois éloigné! Comment m'en rapprocher? je n'ose tenter aucune démarche; je sens que pour prendre un parti il faudrait ÃÂȘtre plus calme, et mon sang bout dans mes veines. Ce qui redouble mon tourment, c'est le sang-froid avec lequel chacun répond ici à mes questions sur cet événement, sur sa cause, sur tout ce qu'il offre d'extraordinaire. Personne ne sait rien, personne ne désire de rien savoir à peine en aurait-on parlé, si j'avais consenti qu'on parlùt d'autre chose. Madame de Rosemonde, chez qui j'ai couru ce matin quand j'ai appris cette nouvelle, m'a répondu avec le froid de son ùge que c'était la suite naturelle de l'indisposition que Madame de Tourvel avait eue hier; qu'elle avait craint une maladie, et qu'elle avait préféré d'ÃÂȘtre chez elle elle trouve cela tout simple, elle en aurait fait autant, m'a-t-elle dit, comme s'il pouvait y avoir quelque chose de commun entre elles deux! entre elle, qui n'a plus qu'à mourir; et l'autre, qui fait le charme et le tourment de ma vie! Madame de Volanges, que d'abord j'avais soupçonnée d'ÃÂȘtre complice, ne paraÃt affectée que de n'avoir pas été consultée sur cette démarche. Je suis bien aise, je l'avoue, qu'elle n'ait pas eu le plaisir de me nuire. Cela me prouve encore qu'elle n'a pas, autant que je le craignais, la confiance de cette femme; c'est toujours une ennemie de moins. Comme elle se féliciterait, si elle savait que c'est moi qu'on a fui! comme elle se serait gonflée d'orgueil, si c'eût été par ses conseils! comme son importance en aurait redoublé! Mon Dieu! que je la hais! Oh! je renouerai avec sa fille; je veux la travailler à ma fantaisie aussi bien, je crois que je resterai ici quelque temps; au moins, le peu de réflexions que j'ai pu faire me porte à ce parti. Ne croyez-vous pas, en effet, qu'aprÚs une démarche aussi marquée, mon ingrate doit redouter ma présence? Si donc l'idée lui est venue que je pourrais la suivre, elle n'aura pas manqué de me fermer sa porte; et je ne veux pas plus l'accoutumer à ce moyen, qu'en souffrir l'humiliation. J'aime mieux lui annoncer au contraire que je reste ici; je lui ferai mÃÂȘme des instances pour qu'elle y revienne; et quand elle sera bien persuadée de mon absence, j'arriverai chez elle nous verrons comment elle supportera cette entrevue. Mais il faut la différer pour en augmenter l'effet, et je ne sais encore si j'en aurai la patience j'ai eu, vingt fois dans la journée, la bouche ouverte pour demander mes chevaux. Cependant je prendrai sur moi; je m'engage à recevoir votre réponse ici; je vous demande seulement, ma belle amie, de ne pas me la faire attendre. Ce qui me contrarierait le plus serait de ne pas savoir ce qui se passe mais mon Chasseur, qui est à Paris, a des droits à quelque accÚs auprÚs de la Femme de chambre il pourra me servir. Je lui envoie une instruction et de l'argent. Je vous prie de trouver bon que je joigne l'un et l'autre à cette Lettre, et aussi d'avoir soin de les lui envoyer par un de vos gens, avec ordre de les lui remettre à lui-mÃÂȘme. Je prends cette précaution, parce que le drÎle a l'habitude de n'avoir jamais reçu les Lettres que je lui écris, quand elles lui prescrivent quelque chose qui le gÃÂȘne; et que, pour le moment, il ne me paraÃt pas aussi épris de sa conquÃÂȘte que je voudrais qu'il le fût. Adieu, ma belle amie; s'il vous vient quelque idée heureuse, quelque moyen de hùter ma marche, faites-m'en part. J'ai éprouvé plus d'une fois combien votre amitié pouvait ÃÂȘtre utile; je l'éprouve encore en ce moment; car je me sens plus calme depuis que je vous écris; au moins, je parle à quelqu'un qui m'entend, et non aux automates prÚs de qui je végÚte depuis ce matin. En vérité, plus je vais, et plus je suis tenté de croire qu'il n'y a que vous et moi dans le monde, qui valions quelque chose. Du Chùteau de ..., ce 3 octobre 17**. LETTRE CI LE VICOMTE DE VALMONT A AZOLAN, SON CHASSEUR. JOINTE A LA PRECEDENTE. Il faut que vous soyez bien imbécile, vous qui ÃÂȘtes parti d'ici ce matin, de n'avoir pas su que Madame de Tourvel en partait aussi; ou, si vous l'avez su, de n'ÃÂȘtre pas venu m'en avertir. A quoi sert-il donc que vous dépensiez mon argent à vous enivrer avec les Valets; que le temps que vous devriez employer à me servir, vous le passiez à faire l'agréable auprÚs des Femmes de chambre, si je n'en suis pas mieux informé de ce qui se passe? Voilà pourtant de vos négligences! Mais je vous préviens que s'il vous en arrive une seule dans cette affaire-ci, ce sera la derniÚre que vous aurez à mon service. Il faut que vous m'instruisiez de tout ce qui se passe chez Madame de Tourvel de sa santé, si elle dort; si elle est triste ou gaie; si elle sort souvent, et chez qui elle va; si elle reçoit du monde chez elle, et qui y vient; à quoi elle passe son temps, si elle a de l'humeur avec ses Femmes, particuliÚrement avec celle qu'elle avait amenée ici; ce qu'elle fait, quand elle est seule; si, quand elle lit, elle lit de suite, ou si elle interrompt sa lecture pour rÃÂȘver; de mÃÂȘme quand elle écrit. Songez aussi à vous rendre l'ami de celui qui porte ses Lettres à la Poste. Offrez-vous souvent à lui pour faire cette commission à sa place et quand il acceptera, ne faites partir que celles qui vous paraÃtront indifférentes, et envoyez-moi les autres, surtout celles à Madame de Volanges, si vous en rencontrez. Arrangez-vous pour ÃÂȘtre encore quelque temps l'amant heureux de votre Julie. Si elle en a un autre, comme vous l'avez cru, faites-la consentir à se partager; et n'allez pas vous piquer d'une ridicule délicatesse vous serez dans le cas de bien d'autres, qui valent mieux que vous. Si pourtant votre second se rendait trop importun; si vous vous aperceviez, par exemple, qu'il occupùt trop Julie pendant la journée, et qu'elle en fût moins souvent auprÚs de sa MaÃtresse, écartez-le par quelque moyen, ou cherchez-lui querelle n'en craignez pas les suites, je vous soutiendrai. Surtout ne quittez pas cette maison. C'est par l'assiduité qu'on voit tout, et qu'on voit bien. Si mÃÂȘme le hasard faisait renvoyer quelqu'un des Gens, présentez-vous pour le remplacer, comme n'étant plus à moi. Dites, dans ce cas, que vous m'avez quitté pour chercher une maison plus tranquille et plus réglée. Tùchez enfin de vous faire accepter. Je ne vous en garderai pas moins à mon service pendant ce temps; ce sera comme chez la Duchesse de ***; et par la suite, Madame de Tourvel vous en récompensera de mÃÂȘme. Si vous aviez assez d'adresse et de zÚle, cette instruction devrait suffire; mais pour suppléer à l'un et à l'autre, je vous envoie de l'argent. Le billet ci-joint vous autorise, comme vous verrez, à toucher vingt-cinq louis chez mon homme d'affaires; car je ne doute pas que vous ne soyez sans le sou. Vous emploierez de cette somme ce qui sera nécessaire pour décider Julie à établir une correspondance avec moi. Le reste servira à faire boire les Gens. Ayez soin, autant que cela se pourra, que ce soit chez le Suisse de la maison, afin qu'il aime à vous y voir venir. Mais n'oubliez pas que ce ne sont pas vos plaisirs que je veux payer, mais vos services. Accoutumez Julie à observer tout et à tout rapporter, mÃÂȘme ce qui lui paraÃtrait minutieux. Il vaut mieux qu'elle écrive dix phrases inutiles, que d'en omettre une intéressante; et souvent ce qui paraÃt indifférent ne l'est pas. Comme il faut que je puisse ÃÂȘtre instruit sur-le-champ, s'il arrivait quelque chose qui vous parût mériter attention, aussitÎt cette Lettre reçue, vous enverrez Philippe, sur le cheval de commission, s'établir à ... [Village à moitié chemin de Paris au chùteau de Madame de Rosemonde]; il y restera jusqu'à nouvel ordre; ce sera un relais en cas de besoin. Pour la correspondance courante, la Poste suffira. Prenez garde de perdre cette Lettre. Relisez-la tous les jours, tant pour vous assurer de ne rien oublier, que pour ÃÂȘtre sûr de l'avoir encore. Faites enfin tout ce qu'il faut faire, quand on est honoré de ma confiance. Vous savez que, si je suis content de vous, vous le serez de moi. Du Chùteau de ..., ce 3 octobre 17**. LETTRE CII LA PRESIDENTE DE TOURVEL A MADAME DE ROSEMONDE Vous serez bien étonnée, Madame, en apprenant que je pars de chez vous aussi précipitamment. Cette démarche va vous paraÃtre bien extraordinaire mais que votre surprise va redoubler encore quand vous en saurez les raisons! Peut-ÃÂȘtre trouverez-vous qu'en vous les confiant, je ne respecte pas assez la tranquillité nécessaire à votre ùge; que je m'écarte mÃÂȘme des sentiments de vénération qui vous sont dus à tant de titres? Ah! Madame, pardon mais mon cÅ“ur est oppressé; il a besoin d'épancher sa douleur dans le sein d'une amie également douce et prudente quelle autre que vous pouvait-il choisir? Regardez-moi comme votre enfant. Ayez pour moi les bontés maternelles; je les implore. J'y ai peut-ÃÂȘtre quelques droits par mes sentiments pour vous. OÃÂč est le temps oÃÂč, tout entiÚre à ces sentiments louables, je ne connaissais point ceux qui, portant dans l'ùme le trouble mortel que j'éprouve, Îtent la force de les combattre en mÃÂȘme temps qu'ils en imposent le devoir? Ah! ce fatal voyage m'a perdue... Que vous dirai-je enfin? j'aime, oui, j'aime éperdument. Hélas! ce mot que j'écris pour la premiÚre fois, ce mot si souvent demandé sans ÃÂȘtre obtenu, je payerais de ma vie la douceur de pouvoir une fois seulement le faire entendre à celui qui l'inspire; et pourtant il faut le refuser sans cesse! Il va douter encore de mes sentiments; il croira avoir à s'en plaindre. Je suis bien malheureuse! Que ne lui est-il aussi facile de lire dans mon cÅ“ur que d'y régner? Oui, je souffrirais moins, s'il savait tout ce que je souffre; mais vous-mÃÂȘme, à qui je le dis, vous n'en aurez encore qu'une faible idée. Dans peu de moments, je vais le fuir et l'affliger. Tandis qu'il se croira encore prÚs de moi, je serai déjà loin de lui à l'heure oÃÂč j'avais coutume de le voir chaque jour, je serai dans des lieux oÃÂč il n'est jamais venu, oÃÂč je ne dois pas permettre qu'il vienne. Déjà tous mes préparatifs sont faits; tout est là , sous mes yeux; je ne puis les reposer sur rien qui ne m'annonce ce cruel départ. Tout est prÃÂȘt, excepté moi!... et plus mon cÅ“ur s'y refuse, plus il me prouve la nécessité de m'y soumettre. Je m'y soumettrai sans doute, il vaut mieux mourir que de vivre coupable. Déjà , je le sens, je ne le suis que trop; je n'ai sauvé que ma sagesse, la vertu s'est évanouie. Faut-il vous l'avouer, ce qui me reste encore, je le dois à sa générosité. Enivrée du plaisir de le voir, de l'entendre, de la douceur de le sentir auprÚs de moi, du bonheur plus grand de pouvoir faire le sien, j'étais sans puissance et sans force; à peine m'en restait-il pour combattre, je n'en avais plus pour résister; je frémissais de mon danger, sans pouvoir le fuir. Hé bien! il a vu ma peine, et il a eu pitié de moi. Comment ne le chérirais-je pas? Je lui dois bien plus que la vie. Ah! si en restant auprÚs de lui je n'avais à trembler que pour elle, ne croyez pas que jamais je consentisse à m'éloigner. Que m'est-elle sans lui, ne serais-je pas trop heureuse de la perdre? Condamnée à faire éternellement son malheur et le mien; à n'oser ni me plaindre, ni le consoler; à me défendre chaque jour contre lui, contre moi-mÃÂȘme; à mettre mes soins à causer sa peine, quand je voudrais les consacrer tous à son bonheur. Vivre ainsi n'est-ce pas mourir mille fois? Voilà pourtant quel va ÃÂȘtre mon sort. Je le supporterai cependant, j'en aurai le courage. Ô vous, que je choisis pour ma mÚre, recevez-en le serment! Recevez aussi celui que je fais de ne vous dérober aucune de mes actions; recevez-le, je vous en conjure; je vous le demande comme un secours dont j'ai besoin ainsi, engagée à vous dire tout, je m'accoutumerai à me croire toujours en votre présence. Votre vertu remplacera la mienne. Jamais, sans doute, je ne consentirai à rougir à vos yeux; et retenue par ce frein puissant, tandis que je chérirai en vous l'indulgente amie, confidente de ma faiblesse, j'y honorerai encore l'Ange tutélaire qui me sauvera de la honte. C'est bien en éprouver assez que d'avoir à faire cette demande. Fatal effet d'une présomptueuse confiance! pourquoi n'ai-je pas redouté plus tÎt ce penchant que j'ai senti naÃtre? Pourquoi me suis-je flattée de pouvoir à mon gré le maÃtriser ou le vaincre? Insensée! je connaissais bien peu l'amour! Ah! si je l'avais combattu avec plus de soin, peut-ÃÂȘtre eût-il pris moins d'empire! peut-ÃÂȘtre alors ce départ n'eût pas été nécessaire; ou mÃÂȘme, en me soumettant à ce parti douloureux, j'aurais pu ne pas rompre entiÚrement une liaison qu'il eût suffi de rendre moins fréquente! Mais tout perdre à la fois! et pour jamais! Ô mon amie!... Mais quoi! mÃÂȘme en vous écrivant, je m'égare encore dans des vÅ“ux criminels. Ah! partons, partons, et que du moins ces torts involontaires soient expiés par mes sacrifices. Adieu, ma respectable amie; aimez-moi comme votre fille, adoptez-moi pour telle; et soyez sûre que, malgré ma faiblesse, j'aimerais mieux mourir que de me rendre indigne de votre choix. De ..., ce 3 octobre 17**, à une heure du matin. LETTRE CIII MADAME DE ROSEMONDE A LA PRESIDENTE DE TOURVEL J'ai été, ma chÚre Belle, plus affligée de votre départ que surprise de sa cause; une longue expérience et l'intérÃÂȘt que vous inspirez avaient suffi pour m'éclairer sur l'état de votre cÅ“ur; et s'il faut tout dire, vous ne m'avez rien ou presque rien appris par votre Lettre. Si je n'avais été instruite que par elle, j'ignorerais encore quel est celui que vous aimez; car en me parlant de lui tout le temps, vous n'avez pas écrit son nom une seule fois. Je n'en avais pas besoin; je sais bien qui c'est. Mais je le remarque, parce que je me suis rappelé que c'est toujours là le style de l'amour. Je vois qu'il en est encore comme au temps passé. Je ne croyais guÚre ÃÂȘtre jamais dans le cas de revenir sur des souvenirs si éloignés de moi, et si étrangers à mon ùge. Pourtant, depuis hier, je m'en suis vraiment beaucoup occupée, par le désir que j'avais d'y trouver quelque chose qui pût vous ÃÂȘtre utile. Mais que puis-je faire, que vous admirer et vous plaindre? Je loue le parti sage que vous avez pris mais il m'effraie, parce que j'en conclus que vous l'avez jugé nécessaire; et quand on en est là , il est bien difficile de se tenir toujours éloignée de celui dont notre cÅ“ur nous rapproche sans cesse. Cependant ne vous découragez pas. Rien ne doit ÃÂȘtre impossible à votre belle ùme; et quand vous devriez un jour avoir le malheur de succomber ce qu'à Dieu ne plaise!, croyez-moi, ma chÚre Belle, réservez-vous au moins la consolation d'avoir combattu de toute votre puissance. Et puis, ce que ne peut la sagesse humaine, la grùce divine l'opÚre quand il lui plaÃt. Peut-ÃÂȘtre ÃÂȘtes- vous à la veille de ses secours; et votre vertu, éprouvée dans ces combats terribles, en sortira plus pure, et plus brillante. La force que vous n'avez pas aujourd'hui, espérez que vous la recevrez demain. N'y comptez pas pour vous en reposer sur elle, mais pour vous encourager à user de toutes les vÎtres. En laissant à la Providence le soin de vous secourir dans un danger contre lequel je ne peux rien, je me réserve de vous soutenir et vous consoler autant qu'il sera en moi. Je ne soulagerai pas vos peines, mais je les partagerai. C'est à ce titre que je recevrai volontiers vos confidences. Je sens que votre cÅ“ur doit avoir besoin de s'épancher. Je vous ouvre le mien; l'ùge ne l'a pas encore refroidi au point d'ÃÂȘtre insensible à l'amitié. Vous le trouverez toujours prÃÂȘt à vous recevoir. Ce sera un faible soulagement à vos douleurs, mais au moins vous ne pleurerez pas seule et quand ce malheureux amour, prenant trop d'empire sur vous, vous forcera d'en parler, il vaut mieux que ce soit avec moi qu'avec lui . Voilà que je parle comme vous; et je crois qu'à nous deux nous ne parviendrons pas à le nommer; au reste, nous nous entendons. Je ne sais si je fais bien de vous dire qu'il m'a paru vivement affecté de votre départ; il serait peut-ÃÂȘtre plus sage de ne vous en pas parler mais je n'aime pas cette sagesse qui afflige ses amis. Je suis pourtant forcée de n'en pas parler plus longtemps. Ma vue débile et ma main tremblante ne me permettent pas de longues Lettres, quand il faut les écrire moi-mÃÂȘme. Adieu donc, ma chÚre Belle; adieu, mon aimable enfant; oui, je vous adopte volontiers pour ma fille, et vous avez bien tout ce qu'il faut pour faire l'orgueil et le plaisir d'une mÚre. Du Chùteau de ..., ce 3 octobre 17**. LETTRE CIV LA MARQUISE DE MERTEUIL A MADAME DE VOLANGES En vérité, ma chÚre et bonne amie, j'ai eu peine à me défendre d'un mouvement d'orgueil, en lisant votre Lettre. Quoi! vous m'honorez de votre entiÚre confiance! vous allez mÃÂȘme jusqu'à me demander des conseils! Ah! je suis bien heureuse, si je mérite cette opinion favorable de votre part si je ne la dois pas seulement à la prévention de l'amitié. Au reste, quel qu'en soit le motif, elle n'en est pas moins précieuse à mon cÅ“ur; et l'avoir obtenue n'est à mes yeux qu'une raison de plus pour travailler davantage à la mériter. Je vais donc mais sans prétendre vous donner un avis vous dire librement ma façon de penser. Je m'en méfie, parce qu'elle diffÚre de la vÎtre; mais quand je vous aurai exposé mes raisons, vous les jugerez; et si vous les condamnez, je souscris d'avance à votre jugement. J'aurai au moins cette sagesse de ne pas me croire plus sage que vous. Si pourtant, et pour cette seule fois, mon avis se trouvait préférable, il faudrait en chercher la cause dans les illusions de l'amour maternel. Puisque ce sentiment est louable, il doit se trouver en vous. Qu'il se reconnaÃt bien en effet dans le parti que vous ÃÂȘtes tentée de prendre! c'est ainsi que, s'il vous arrive d'errer quelquefois, ce n'est jamais que dans le choix des vertus. La prudence est, à ce qu'il me semble, celle qu'il faut préférer, quand on dispose du sort des autres, et surtout quand il s'agit de le fixer par un lien indissoluble et sacré, tel que celui du mariage. C'est alors qu'une mÚre, également sage et tendre, doit comme vous le dites si bien, aider sa fille de son expérience . Or, je vous le demande, qu'a-t-elle à faire pour y parvenir? sinon de distinguer pour elle, entre ce qui plaÃt et ce qui convient. Ne serait-ce donc pas avilir l'autorité maternelle, ne serait-ce pas l'anéantir, que de la subordonner à un goût frivole dont la puissance illusoire ne se fait sentir qu'à ceux qui la redoutent, et disparaÃt sitÎt qu'on la méprise? Pour moi, je l'avoue, je n'ai jamais cru à ces passions entraÃnantes et irrésistibles, dont il semble qu'on soit convenu de faire l'excuse générale de nos dérÚglements. Je ne conçois point comment un goût, qu'un moment voit naÃtre et qu'un autre voit mourir, peut avoir plus de force que les principes inaltérables de pudeur, d'honnÃÂȘteté et de modestie; et je n'entends pas plus qu'une femme qui les trahit puisse ÃÂȘtre justifiée par sa passion prétendue, qu'un voleur ne le serait par la passion de l'argent, ou un assassin par celle de la vengeance. Eh! qui peut dire n'avoir jamais eu à combattre? Mais j'ai toujours cherché à me persuader que, pour résister, il suffisait de le vouloir, et jusqu'alors au moins, mon expérience a confirmé mon opinion. Que serait la vertu, sans les devoirs qu'elle impose? son culte est dans nos sacrifices, sa récompense dans nos cÅ“urs. Ces vérités ne peuvent ÃÂȘtre niées que par ceux qui ont intérÃÂȘt de les méconnaÃtre; et qui, déjà dépravés, espÚrent faire un moment illusion, en essayant de justifier leur mauvaise conduite par de mauvaises raisons. Mais pourrait-on le craindre d'un enfant simple et timide; d'un enfant né de vous, et dont l'éducation modeste et pure n'a pu que fortifier l'heureux naturel? C'est pourtant à cette crainte, que j'ose dire humiliante pour votre fille, que vous voulez sacrifier le mariage avantageux que votre prudence avait ménagé pour elle! J'aime beaucoup Danceny; et depuis longtemps, comme vous savez, je vois peu M. de Gercourt; mais mon amitié pour l'un, mon indifférence pour l'autre, ne m'empÃÂȘchent point de sentir l'énorme différence qui se trouve entre ces deux partis. Leur naissance est égale, j'en conviens; mais l'un est sans fortune, et celle de l'autre est telle que, mÃÂȘme sans naissance, elle aurait suffi pour le mener à tout. J'avoue bien que l'argent ne fait pas le bonheur; mais il faut avouer aussi qu'il le facilite beaucoup. Mademoiselle de Volanges est, comme vous le dites, assez riche pour deux cependant, soixante mille livres de rente dont elle va jouir ne sont pas déjà tant quand on porte le nom de Danceny, quand il faut monter et soutenir une maison qui y réponde. Nous ne sommes plus au temps de Madame de Sévigné. Le luxe absorbe tout on le blùme, mais il faut l'imiter, et le superflu finit par priver du nécessaire. Quant aux qualités personnelles que vous comptez pour beaucoup, et avec beaucoup de raison, assurément M. de Gercourt est sans reproche de ce cÎté; et à lui, ses preuves sont faites. J'aime à croire, et je crois qu'en effet Danceny ne lui cÚde en rien; mais en sommes-nous aussi sûres? Il est vrai qu'il a paru jusqu'ici exempt des défauts de son ùge, et que malgré le ton du jour il montre un goût pour la bonne compagnie qui fait augurer favorablement de lui mais qui sait si cette sagesse apparente, il ne la doit pas à la médiocrité de sa fortune? Pour peu qu'on craigne d'ÃÂȘtre fripon ou crapuleux, il faut de l'argent pour ÃÂȘtre joueur et libertin, et l'on peut encore aimer les défauts dont on redoute les excÚs. Enfin il ne serait pas le milliÚme qui aurait vu la bonne compagnie uniquement faute de pouvoir mieux faire. Je ne dis pas à Dieu ne plaise! que je croie tout cela de lui mais ce serait toujours un risque à courir; et quels reproches n'auriez-vous pas à vous faire, si l'événement n'était pas heureux! Que répondriez-vous à votre fille, qui vous dirait " Ma mÚre, j'étais jeune et sans expérience; j'étais mÃÂȘme séduite par une erreur pardonnable à mon ùge mais le Ciel, qui avait prévu ma faiblesse, m'avait accordé une mÚre sage, pour y remédier et m'en garantir. Pourquoi donc, oubliant votre prudence, avez-vous consenti à mon malheur? était-ce à moi à me choisir un époux, quand je ne connaissais rien de l'état du mariage? Quand je l'aurais voulu, n'était-ce pas à vous à vous y opposer? Mais je n'ai jamais eu cette folle volonté. Décidée à vous obéir, j'ai attendu votre choix avec une respectueuse résignation; jamais je ne me suis écartée de la soumission que je vous devais, et cependant je porte aujourd'hui la peine qui n'est due qu'aux enfants rebelles. Ah! votre faiblesse m'a perdue ... " Peut-ÃÂȘtre son respect étoufferait-il ces plaintes; mais l'amour maternel les devinerait et les larmes de votre fille, pour ÃÂȘtre dérobées, n'en couleraient pas moins sur votre cÅ“ur. OÃÂč chercherez-vous alors vos consolations? Sera-ce dans ce fol amour, contre lequel vous auriez dû l'armer, et par qui au contraire vous vous serez laissé séduire? J'ignore, ma chÚre amie, si j'ai contre cette passion une prévention trop forte; mais je la crois redoutable, mÃÂȘme dans le mariage. Ce n'est pas que je désapprouve qu'un sentiment honnÃÂȘte et doux vienne embellir le lien conjugal, et adoucir en quelque sorte les devoirs qu'il impose; mais ce n'est pas à lui qu'il appartient de le former; ce n'est pas à l'illusion d'un moment à régler le choix de notre vie. En effet, pour choisir, il faut comparer; et comment le pouvoir, quand un seul objet nous occupe; quand celui-là mÃÂȘme on ne peut le connaÃtre, plongé que l'on est dans l'ivresse et l'aveuglement? J'ai rencontré, comme vous pouvez croire, plusieurs femmes atteintes de ce mal dangereux; j'ai reçu les confidences de quelques-unes. A les entendre, il n'en est point dont l'Amant ne soit un ÃÂȘtre parfait mais ces perfections chimériques n'existent que dans leur imagination. Leur tÃÂȘte exaltée ne rÃÂȘve qu'agréments et vertus; elles en parent à plaisir celui qu'elles préfÚrent c'est la draperie d'un Dieu, portée souvent par un modÚle abject mais quel qu'il soit, à peine l'en ont-elles revÃÂȘtu, que, dupes de leur propre ouvrage, elles se prosternent pour l'adorer. Ou votre fille n'aime pas Danceny, ou elle éprouve cette mÃÂȘme illusion; elle est commune à tous deux, si leur amour est réciproque. Ainsi votre raison pour les unir à jamais se réduit à la certitude qu'ils ne se connaissent pas, qu'ils ne peuvent se connaÃtre. Mais me direz-vous, M. de Gercourt et ma fille se connaissent-ils davantage? Non, sans doute; mais au moins ne s'abusent-ils pas, ils s'ignorent seulement. Qu'arrive-t-il dans ce cas entre deux époux que je suppose honnÃÂȘtes? c'est que chacun d'eux étudie l'autre, s'observe vis-à -vis de lui, cherche et reconnaÃt bientÎt ce qu'il faut qu'il cÚde de ses goûts et de ses volontés, pour la tranquillité commune. Ces légers sacrifices se font sans peine, parce qu'ils sont réciproques et qu'on les a prévus bientÎt ils font naÃtre une bienveillance mutuelle; et l'habitude, qui fortifie tous les penchants qu'elle ne détruit pas, amÚne peu à peu cette douce amitié, cette tendre confiance, qui, jointes à l'estime, forment, ce me semble, le véritable, le solide bonheur des mariages. Les illusions de l'amour peuvent ÃÂȘtre plus douces; mais qui ne sait aussi qu'elles sont moins durables? et quels dangers n'amÚne pas le moment qui les détruit! C'est alors que les moindres défauts paraissent choquants et insupportables, par le contraste qu'ils forment avec l'idée de perfection qui nous avait séduits. Chacun des deux époux croit cependant que l'autre seul a changé, et que lui vaut toujours ce qu'un moment d'erreur l'avait fait apprécier. Le charme qu'il n'éprouve plus, il s'étonne de ne le plus faire naÃtre; il en est humilié la vanité blessée aigrit les esprits, augmente les torts, produit l'humeur, enfante la haine; et de frivoles plaisirs sont payés enfin par de longues infortunes. Voilà , ma chÚre amie, ma façon de penser sur l'objet qui nous occupe; je ne la défends pas, je l'expose seulement; c'est à vous à décider. Mais si vous persistez dans votre avis, je vous demande de me faire connaÃtre les raisons qui auront combattu les miennes je serai bien aise de m'éclairer auprÚs de vous, et surtout d'ÃÂȘtre rassurée sur le sort de votre aimable enfant, dont je désire bien ardemment le bonheur, et par mon amitié pour elle, et par celle qui m'unit à vous pour la vie. Paris, ce 4 octobre 17**. LETTRE CV LA MARQUISE DE MERTEUIL A CECILE VOLANGES Hé bien! Petite, vous voilà donc bien fùchée, bien honteuse, et ce M. de Valmont est un méchant homme, n'est-ce pas? Comment! il ose vous traiter comme la femme qu'il aimerait le mieux! Il vous apprend ce que vous mouriez d'envie de savoir! En vérité, ces procédés-là sont impardonnables. Et vous, de votre cÎté, vous voulez garder votre sagesse pour votre Amant qui n'en abuse pas; vous ne chérissez de l'amour que les peines, et non les plaisirs! Rien de mieux, et vous figurerez à merveille dans un Roman. De la passion, de l'infortune, de la vertu par-dessus tout, que de belles choses! Au milieu de ce brillant cortÚge, on s'ennuie quelquefois à la vérité, mais on le rend bien. Voyez donc, la pauvre enfant, comme elle est à plaindre! Elle avait les yeux battus le lendemain! Et que diriez-vous donc, quand ce seront ceux de votre Amant? Allez, mon bel Ange, vous ne les aurez pas toujours ainsi; tous les hommes ne sont pas des Valmont. Et puis, ne plus oser lever ces yeux-là ! Oh! par exemple, vous avez eu bien raison; tout le monde y aurait lu votre aventure. Croyez-moi cependant, s'il en était ainsi, nos Femmes et mÃÂȘme nos Demoiselles auraient le regard plus modeste. Malgré les louanges que je suis forcée de vous donner, comme vous voyez, il faut convenir pourtant que vous avez manqué votre chef-d'Å“uvre; c'était de tout dire à votre Maman. Vous aviez si bien commencé! déjà vous vous étiez jetée dans ses bras, vous sanglotiez, elle pleurait aussi; quelle scÚne pathétique! et quel dommage de ne l'avoir pas achevée! Votre tendre mÚre, toute ravie d'aise, et pour aider à votre vertu, vous aurait cloÃtrée, pour toute votre vie; et là vous auriez aimé Danceny tant que vous auriez voulu, sans rivaux et sans péché; vous vous seriez désolée tout à votre aise; et Valmont, à coup sûr, n'aurait pas été troubler votre douleur par de contrariants plaisirs. Sérieusement peut-on, à quinze ans passés, ÃÂȘtre enfant comme vous l'ÃÂȘtes? Vous avez bien raison de dire que vous ne méritez pas mes bontés. Je voulais pourtant ÃÂȘtre votre amie vous en avez besoin peut-ÃÂȘtre avec la mÚre que vous avez, et le mari qu'elle veut vous donner! Mais si vous ne vous formez pas davantage, que voulez-vous qu'on fasse de vous? Que peut-on espérer, si ce qui fait venir l'esprit aux filles semble au contraire vous l'Îter? Si vous pouviez prendre sur vous de raisonner un moment, vous trouveriez bientÎt que vous devez vous féliciter au lieu de vous plaindre. Mais vous ÃÂȘtes honteuse, et cela vous gÃÂȘne! Hé! tranquillisez-vous; la honte que cause l'amour est comme sa douleur on ne l'éprouve qu'une fois. On peut encore la feindre aprÚs; mais on ne la sent plus. Cependant le plaisir reste, et c'est bien quelque chose. Je crois mÃÂȘme avoir démÃÂȘlé, à travers votre petit bavardage, que vous pourriez le compter pour beaucoup. Allons, un peu de bonne foi. Là , ce trouble qui vous empÃÂȘchait de faire comme vous disiez , qui vous faisait trouver si difficile de se défendre , qui vous rendait comme fùchée , quand Valmont s'en est allé, était-ce bien la honte qui le causait? ou si c'était le plaisir? et ses façons de dire auxquelles on ne sait comment répondre , cela ne viendrait-il pas de ses façons de faire? Ah! petite fille, vous mentez, et vous mentez à votre amie! Cela n'est pas bien. Mais brisons là . Ce qui pour tout le monde serait un plaisir, et pourrait n'ÃÂȘtre que cela, devient dans votre situation un véritable bonheur. En effet, placée entre une mÚre dont il vous importe d'ÃÂȘtre aimée, et un Amant dont vous désirez de l'ÃÂȘtre toujours, comment ne voyez-vous pas que le seul moyen d'obtenir ces succÚs opposés est de vous occuper d'un tiers? Distraite par cette nouvelle aventure, tandis que vis-à -vis de votre Maman vous aurez l'air de sacrifier à votre soumission pour elle un goût qui lui déplaÃt, vous acquerrez vis-à -vis de votre Amant l'honneur d'une belle défense. En l'assurant sans cesse de votre amour, vous ne lui en accorderez pas les derniÚres preuves. Ces refus, si peu pénibles dans le cas oÃÂč vous serez, il ne manquera pas de les mettre sur le compte de votre vertu; il s'en plaindra peut-ÃÂȘtre, mais il vous en aimera davantage, et pour avoir le double mérite, aux yeux de l'un de sacrifier l'amour, à ceux de l'autre, d'y résister, il ne vous en coûtera que d'en goûter les plaisirs. Oh! combien de femmes ont perdu leur réputation, qui l'eussent conservée avec soin, si elles avaient pu la soutenir par de pareils moyens! Ce parti que je vous propose, ne vous paraÃt-il pas le plus raisonnable, comme le plus doux? Savez-vous ce que vous avez gagné à celui que vous avez pris? c'est que votre Maman a attribué votre redoublement de tristesse à un redoublement d'amour, qu'elle en est outrée, et que pour vous en punir elle n'attend que d'en ÃÂȘtre plus sûre. Elle vient de m'en écrire; elle tentera tout pour obtenir cet aveu de vous-mÃÂȘme. Elle ira, peut-ÃÂȘtre, me dit-elle, jusqu'à vous proposer Danceny pour époux; et cela pour vous engager à parler. Et si, vous laissant séduire par cette trompeuse tendresse, vous répondiez, selon votre cÅ“ur, bientÎt renfermée pour longtemps, peut-ÃÂȘtre pour toujours, vous pleureriez à loisir votre aveugle crédulité. Cette ruse qu'elle veut employer contre vous, il faut la combattre par une autre. Commencez donc, en lui montrant moins de tristesse, à lui faire croire que vous songez moins à Danceny. Elle se le persuadera d'autant plus facilement, que c'est l'effet ordinaire de l'absence; et elle vous en saura d'autant plus de gré, qu'elle y trouvera une occasion de s'applaudir de sa prudence, qui lui a suggéré ce moyen. Mais si, conservant quelque doute, elle persistait pourtant à vous éprouver, et qu'elle vÃnt à vous parler de mariage, renfermez-vous, en fille bien née, dans une parfaite soumission. Au fait, qu'y risquez-vous? Pour ce qu'on fait d'un mari, l'un vaut toujours bien l'autre; et le plus incommode est encore moins gÃÂȘnant qu'une mÚre. Une fois plus contente de vous, votre Maman vous mariera enfin; et alors, plus libre dans vos démarches, vous pourrez, à votre choix, quitter Valmont pour prendre Danceny, ou mÃÂȘme les garder tous deux. Car, prenez-y garde, votre Danceny est gentil mais c'est un de ces hommes qu'on a quand on veut et tant qu'on veut; on peut donc se mettre à l'aise avec lui. Il n'en est pas de mÃÂȘme de Valmont on le garde difficilement; et il est dangereux de le quitter. Il faut avec lui beaucoup d'adresse, ou, quand on n'en a pas, beaucoup de docilité. Mais, aussi, si vous pouviez parvenir à vous l'attacher comme ami, ce serait là un bonheur! il vous mettrait tout de suite au premier rang de nos femmes à la mode. C'est comme cela qu'on acquiert une consistance dans le monde, et non pas à rougir et à pleurer, comme quand vos Religieuses vous faisaient dÃner à genoux. Vous tùcherez donc, si vous ÃÂȘtes sage, de vous raccommoder avec Valmont, qui doit ÃÂȘtre trÚs en colÚre contre vous; et comme il faut savoir réparer ses sottises, ne craignez pas de lui faire quelques avances; aussi bien apprendrez- vous bientÎt, que si les hommes nous font les premiÚres, nous sommes presque toujours obligées de faire les secondes. Vous avez un prétexte pour celles-ci car il ne faut pas que vous gardiez cette Lettre; et j'exige de vous de la remettre à Valmont aussitÎt que vous l'aurez lue. N'oubliez pas pourtant de la recacheter auparavant. D'abord, c'est qu'il faut vous laisser le mérite de la démarche que vous ferez vis-à -vis de lui, et qu'elle n'ait pas l'air de vous avoir été conseillée; et puis, c'est qu'il n'y a que vous au monde dont je sois assez l'amie pour vous parler comme je fais. Adieu, bel Ange, suivez mes conseils, et vous me manderez si vous vous en trouvez bien. A propos, j'oubliais... un mot encore. Voyez donc à soigner davantage votre style. Vous écrivez toujours comme un enfant. Je vois bien d'oÃÂč cela vient; c'est que vous dites tout ce que vous pensez, et rien de ce que vous ne pensez pas. Cela peut passer ainsi de vous à moi, qui devons n'avoir rien de caché l'une pour l'autre mais avec tout le monde! avec votre Amant surtout! vous auriez toujours l'air d'une petite sotte. Vous voyez bien que, quand vous écrivez à quelqu'un, c'est pour lui et non pas pour vous vous devez donc moins chercher à lui dire ce que vous pensez, que ce qui lui plaÃt davantage. Adieu, mon cÅ“ur je vous embrasse au lieu de vous gronder dans l'espérance que vous serez plus raisonnable. Paris, ce 4 octobre 17**. LETTRE CVI LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT A merveille, Vicomte, et pour le coup, je vous aime à la fureur! Au reste, aprÚs la premiÚre de vos deux Lettres, on pouvait s'attendre à la seconde aussi ne m'a-t-elle point étonnée; et tandis que déjà fier de vos succÚs à venir, vous en sollicitiez la récompense, et que vous me demandiez si j'étais prÃÂȘte, je voyais bien que je n'avais pas tant besoin de me presser. Oui, d'honneur, en lisant le beau récit de cette scÚne tendre, et qui vous avait si vivement ému ; en voyant votre retenue, digne des plus beaux temps de notre Chevalerie, j'ai dit vingt fois " Voilà une affaire manquée! " Mais c'est que cela ne pouvait pas ÃÂȘtre autrement. Que voulez-vous que fasse une pauvre femme qui se rend et qu'on ne prend pas? Ma foi, dans ce cas-là , il faut au moins sauver l'honneur; et c'est ce qu'a fait votre Présidente. Je sais bien que pour moi, qui ai senti que la marche qu'elle a prise n'est vraiment pas sans quelque effet, je me propose d'en faire usage, pour mon compte, à la premiÚre occasion un peu sérieuse qui se présentera mais je promets bien que si celui pour qui j'en ferai les frais n'en profite pas mieux que vous, il peut assurément renoncer à moi pour toujours. Vous voilà donc absolument réduit à rien et cela entre deux femmes, dont l'une était déjà au lendemain, et l'autre ne demandait pas mieux que d'y ÃÂȘtre! Hé bien! vous allez croire que je me vante, et dire qu'il est facile de prophétiser aprÚs l'événement; mais je peux vous jurer que je m'y attendais. C'est que réellement vous n'avez pas le génie de votre état; vous n'en savez que ce que vous en avez appris, et vous n'inventez rien. Aussi, dÚs que les circonstances ne se prÃÂȘtent plus à vos formules d'usage, et qu'il vous faut sortir de la route ordinaire, vous restez court comme un Ecolier. Enfin, un enfantillage, d'une part; de l'autre, un retour de pruderie, parce qu'on ne les éprouve pas tous les jours suffisent pour vous déconcerter et vous ne savez ni les prévenir, ni y remédier. Ah! Vicomte! Vicomte! vous m'apprenez à ne pas juger les hommes par leurs succÚs; et bientÎt, il faudra dire de vous; " Il fut brave un tel jour. " Et quand vous avez fait sottises sur sottises, vous recourez à moi! Il semble que je n'aie rien autre chose à faire que de les réparer. Il est vrai que ce serait bien assez d'ouvrage. Quoi qu'il en soit, de ces deux aventures, l'une est entreprise contre mon gré, et je ne m'en mÃÂȘle point; pour l'autre, comme vous y avez mis quelque complaisance pour moi, j'en fais mon affaire. La Lettre que je joins ici, que vous lirez d'abord, et que vous remettrez ensuite à la petite Volanges, est plus que suffisante pour vous la ramener mais, je vous en prie, donnez quelques soins à cet enfant, et faisons-en, de concert, le désespoir de sa mÚre et de Gercourt. Il n'y a pas à craindre de forcer les doses. Je vois clairement que la petite personne n'en sera point effrayée; et nos vues sur elle une fois remplies, elle deviendra ce qu'elle pourra. Je me désintéresse entiÚrement sur son compte. J'avais eu quelque envie d'en faire au moins une intrigante subalterne, et de la prendre pour jouer les seconds sous moi mais je vois qu'il n'y a pas d'étoffe; elle a une sotte ingénuité qui n'a pas cédé mÃÂȘme au spécifique que vous avez employé, lequel pourtant n'en manque guÚre; et c'est selon moi la maladie la plus dangereuse que femme puisse avoir. Elle dénote, surtout, une faiblesse de caractÚre presque toujours incurable et qui s'oppose à tout; de sorte que, tandis que nous nous occuperions à former cette petite fille pour l'intrigue, nous n'en ferions qu'une femme facile. Or, je ne connais rien de si plat que cette facilité de bÃÂȘtise, qui se rend sans savoir ni comment ni pourquoi, uniquement parce qu'on l'attaque et qu'elle ne sait pas résister. Ces sortes de femmes ne sont absolument que des machines à plaisir. Vous me direz qu'il n'y a qu'à n'en faire que cela, et que c'est assez pour nos projets. A la bonne heure! mais n'oublions pas que de ces machines-là , tout le monde parvient bientÎt à en connaÃtre les ressorts et les moteurs; ainsi, que pour se servir de celle-ci sans danger, il faut se dépÃÂȘcher, s'arrÃÂȘter de bonne heure, et la briser ensuite. A la vérité, les moyens ne nous manqueront pas pour nous en défaire, et Gercourt la fera toujours bien enfermer quand nous voudrons. Au fait, quand il ne pourra plus douter de sa déconvenue, quand elle sera bien publique et bien notoire, que nous importe qu'il se venge, pourvu qu'il ne se console pas? Ce que je dis du mari, vous le pensez sans doute de la mÚre; ainsi cela vaut fait. Ce parti que je crois le meilleur, et auquel je me suis arrÃÂȘtée, m'a décidée à mener la jeune personne un peu vite, comme vous verrez par ma Lettre; cela rend aussi trÚs important de ne rien laisser entre ses mains qui puisse nous compromettre, et je vous prie d'y avoir attention. Cette précaution une fois prise, je me charge du moral, le reste vous regarde. Si pourtant nous voyons par la suite que l'ingénuité se corrige, nous serons toujours à temps de changer de projet. Il n'en aurait pas moins fallu, un jour ou l'autre, nous occuper de ce que nous allons faire dans aucun cas, nos soins ne seront perdus. Savez-vous que les miens ont risqué de l'ÃÂȘtre, et que l'étoile de Gercourt a pensé l'emporter sur ma prudence? Madame de Volanges n'a-t-elle pas eu un moment de faiblesse maternelle? ne voulait-elle pas donner sa fille à Danceny? C'était là ce qu'annonçait cet intérÃÂȘt plus tendre, que vous aviez remarqué le lendemain . C'est encore vous qui auriez été cause de ce beau chef-d'Å“uvre! Heureusement la tendre mÚre m'en a écrit, et j'espÚre que ma réponse l'en dégoûtera. J'y parle tant de vertu, et surtout je la cajole tant, qu'elle doit trouver que j'ai raison. Je suis fùchée de n'avoir pas eu le temps de prendre copie de ma Lettre, pour vous édifier sur l'austérité de ma morale. Vous verriez comme je méprise les femmes assez dépravées pour avoir un Amant! Il est si commode d'ÃÂȘtre rigoriste dans ses discours! cela ne nuit jamais qu'aux autres, et ne nous gÃÂȘne aucunement... Et puis je n'ignore pas que la bonne Dame a eu ses petites faiblesses comme une autre, dans son jeune temps, et je n'étais pas fùchée de l'humilier au moins dans sa conscience; cela me consolait un peu des louanges que je lui donnais contre la mienne. C'est ainsi que dans la mÃÂȘme Lettre, l'idée de nuire à Gercourt m'a donné le courage d'en dire du bien. Adieu, Vicomte; j'approuve beaucoup le parti que vous prenez de rester quelque temps oÃÂč vous ÃÂȘtes. Je n'ai point de moyens pour hùter votre marche; mais je vous invite à vous désennuyer avec notre commune Pupille. Pour ce qui est de moi, malgré votre citation polie, vous voyez bien qu'il faut encore attendre; et vous conviendrez, sans doute, que ce n'est pas ma faute. Paris, ce 4 octobre 17**. LETTRE CVII AZOLAN AU VICOMTE DE VALMONT Monsieur, Conformément à vos ordres, j'ai été, aussitÎt la réception de votre Lettre, chez M. Bertrand, qui m'a remis les vingt-cinq louis, comme vous lui aviez ordonné. Je lui en avais demandé deux de plus pour Philippe, à qui j'avais dit de partir sur-le-champ, comme Monsieur me l'avait mandé, et qui n'avait pas d'argent; mais Monsieur votre homme d'affaires n'a pas voulu, en disant qu'il n'avait pas d'ordre de ça de vous. J'ai donc été obligé de les donner de moi et Monsieur m'en tiendra compte, si c'est sa bonté. Philippe est parti hier au soir. Je lui ai bien recommandé de ne pas quitter le cabaret, afin qu'on puisse ÃÂȘtre sûr de le trouver si on en a besoin. J'ai été tout de suite aprÚs chez Madame la Présidente pour voir Mademoiselle Julie mais elle était sortie, et je n'ai parlé qu'à La Fleur, de qui je n'ai pu rien savoir, parce que depuis son arrivée il n'avait été à l'hÎtel qu'à l'heure des repas. C'est le second qui a fait tout le service, et Monsieur sait bien que je ne connaissais pas celui-là . Mais j'ai commencé aujourd'hui. Je suis retourné ce matin chez Mademoiselle Julie, et elle a paru bien aise de me voir. Je l'ai interrogée sur la cause du retour de sa MaÃtresse; mais elle m'a dit n'en rien savoir, et je crois qu'elle a dit vrai. Je lui ai reproché de ne pas m'avoir averti de son départ, et elle m'a assuré qu'elle ne l'avait su que le soir mÃÂȘme en allant coucher Madame si bien qu'elle a passé toute la nuit à ranger, et que la pauvre fille n'a pas dormi deux heures. Elle n'est sortie ce soir-là de la chambre de sa MaÃtresse qu'à une heure passée, et elle l'a laissée qui se mettait seulement à écrire. Le matin, Madame de Tourvel, en partant, a remis une Lettre au Concierge du Chùteau. Mademoiselle Julie ne sait pas pour qui elle dit que c'était peut-ÃÂȘtre pour Monsieur; mais Monsieur ne m'en parle pas. Pendant tout le voyage, Madame a eu un grand capuchon sur sa figure, ce qui faisait qu'on ne pouvait la voir; mais Mademoiselle Julie croit ÃÂȘtre sûre qu'elle a pleuré souvent. Elle n'a pas dit une parole pendant la route, et elle n'a pas voulu s'arrÃÂȘter à ... [Toujours le mÃÂȘme village, à moitié chemin de la route], comme elle avait fait en allant, ce qui n'a pas fait trop de plaisir à Mademoiselle Julie, qui n'avait pas déjeuné. Mais, comme je lui ai dit, les MaÃtres sont les MaÃtres. En arrivant, Madame s'est couchée; mais elle n'est restée au lit que deux heures. En se levant, elle a fait venir son Suisse, et lui a donné ordre de ne laisser entrer personne. Elle n'a point fait de toilette du tout. Elle s'est mise à table pour dÃner; mais elle n'a mangé qu'un peu de potage, et elle en est sortie tout de suite. On lui a porté son café chez elle et Mademoiselle Julie est entrée en mÃÂȘme temps. Elle a trouvé sa MaÃtresse qui rangeait des papiers dans son secrétaire, et elle a vu que c'était des Lettres. Je parierais bien que ce sont celles de Monsieur; et des trois qui lui sont arrivées dans l'aprÚs-midi, il y en a une qu'elle avait encore devant elle tout au soir! Je suis bien sûr que c'est encore une de Monsieur. Mais pourquoi donc est-ce qu'elle s'en est allée comme ça? ça m'étonne, moi! au reste, sûrement que Monsieur le sait bien? Et ce ne sont pas mes affaires. Madame la Présidente est allée l'aprÚs-midi dans la BibliothÚque, et elle y a pris deux Livres qu'elle a emportés dans son boudoir mais Mademoiselle Julie assure qu'elle n'a pas lu dedans un quart d'heure dans toute la journée, et qu'elle n'a fait que lire cette Lettre, rÃÂȘver et ÃÂȘtre appuyée sur sa main. Comme j'ai imaginé que Monsieur serait bien aise de savoir quels sont ces Livres-là , et que Mademoiselle Julie ne le savait pas, je me suis fait mener aujourd'hui dans la BibliothÚque, sous prétexte de la voir. Il n'y a de vide que pour deux livres l'un est le second volume des Pensées chrétiennes et l'autre le premier d'un Livre qui a pour titre Clarisse . J'écris bien comme il y a Monsieur saura peut-ÃÂȘtre ce que c'est. Hier au soir, Madame n'a pas soupé; elle n'a pris que du thé. Elle a sonné de bonne heure ce matin; elle a demandé ses chevaux tout de suite, et elle a été avant neuf heures aux Feuillants, oÃÂč elle a entendu la Messe. Elle a voulu se confesser; mais son Confesseur était absent, et il ne reviendra pas de huit à dix jours. J'ai cru qu'il était bon de mander cela à Monsieur. Elle est rentrée ensuite, elle a déjeuné, et puis s'est mise à écrire, et elle y est restée jusqu'à prÚs d'une heure. J'ai trouvé occasion de faire bientÎt ce que Monsieur désirait le plus car c'est moi qui ai porté les Lettres à la poste. Il n'y en avait pas pour Madame de Volanges; mais j'en envoie une à Monsieur, qui était pour M. le Président il m'a paru que ça devait ÃÂȘtre la plus intéressante. Il y en avait une aussi pour Madame de Rosemonde; mais j'ai imaginé que Monsieur la verrait toujours bien quand il voudrait, et je l'ai laissée partir. Au reste, Monsieur saura bien tout, puisque Madame la Présidente lui écrit aussi. J'aurai par la suite toutes celles qu'il voudra; car c'est presque toujours Mademoiselle Julie qui les remet aux Gens, et elle m'a assuré que, par amitié pour moi, et puis aussi pour Monsieur, elle ferait volontiers ce que je voudrais. Elle n'a pas mÃÂȘme voulu de l'argent que je lui ai offert mais je pense bien que Monsieur voudra lui faire quelque petit présent; et si c'est sa volonté, et qu'il veuille m'en charger, je saurai aisément ce qui lui fera plaisir. J'espÚre que Monsieur ne trouvera pas que j'aie mis de la négligence à le servir, et j'ai bien à cÅ“ur de me justifier des reproches qu'il me fait. Si je n'ai pas su le départ de Madame la Présidente, c'est au contraire mon zÚle pour le service de Monsieur qui en est cause, puisque c'est lui qui m'a fait partir à trois heures du matin; ce qui fait que je n'ai pas vu Mademoiselle Julie la veille, au soir, comme de coutume, ayant été coucher au Tournebride, pour ne pas réveiller dans le Chùteau. Quant à ce que Monsieur me reproche d'ÃÂȘtre souvent sans argent, d'abord c'est que j'aime à me tenir proprement, comme Monsieur peut voir; et puis, il faut bien soutenir l'honneur de l'habit qu'on porte; je sais bien que je devrais peut-ÃÂȘtre un peu épargner pour la suite; mais je me confie entiÚrement dans la générosité de Monsieur, qui est si bon MaÃtre. Pour ce qui est d'entrer au service de Madame de Tourvel, en restant à celui de Monsieur, j'espÚre que Monsieur ne l'exigera pas de moi. C'était bien différent chez Madame la Duchesse; mais assurément je n'irai pas porter la livrée, et encore une livrée de Robe, aprÚs avoir eu l'honneur d'ÃÂȘtre Chasseur de Monsieur. Pour tout ce qui est du reste, Monsieur peut disposer de celui qui a l'honneur d'ÃÂȘtre, avec autant de respect que d'affection, son trÚs humble. Serviteur. Roux Azolan, Chasseur. Paris, ce 5 octobre 17**, à onze heures du soir. LETTRE CVIII LA PRESIDENTE DE TOURVEL A MADAME DE ROSEMONDE Ô mon indulgente mÚre! que j'ai de grùces à vous rendre, et que j'avais besoin de votre Lettre! Je l'ai lue et relue sans cesse; je ne pouvais pas m'en détacher. Je lui dois les seuls moments moins pénibles que j'aie passés depuis mon départ. Comme vous ÃÂȘtes bonne! la sagesse, la vertu savent donc compatir à la faiblesse! vous avez pitié de mes maux! ah! si vous les connaissiez... ils sont affreux. Je croyais avoir éprouvé les peines de l'amour, mais le tourment inexprimable, celui qu'il faut avoir senti pour en avoir l'idée, c'est de se séparer de ce qu'on aime, de s'en séparer pour toujours!... Oui, la peine qui m'accable aujourd'hui reviendra demain, aprÚs-demain, toute ma vie! Mon Dieu, que je suis jeune encore, et qu'il me reste de temps à souffrir! Etre soi-mÃÂȘme l'artisan de son malheur; se déchirer le cÅ“ur de ses propres mains; et tandis qu'on souffre ces douleurs insupportables, sentir à chaque instant qu'on peut les faire cesser d'un mot et que ce mot soit un crime! ah! mon amie!... Quand j'ai pris ce parti si pénible de m'éloigner de lui, j'espérais que l'absence augmenterait mon courage et mes forces combien je me suis trompée! il semble au contraire qu'elle ait achevé de les détruire. J'avais plus à combattre, il est vrai mais mÃÂȘme en résistant, tout n'était pas privation; au moins je le voyais quelquefois; souvent mÃÂȘme, sans oser porter mes regards sur lui, je sentais les siens fixés sur moi oui, mon amie, je les sentais, il semblait qu'ils réchauffassent mon ùme; et sans passer par mes yeux, ils n'en arrivaient pas moins à mon cÅ“ur. A présent, dans ma pénible solitude, isolée de tout ce qui m'est cher, tÃÂȘte à tÃÂȘte avec mon infortune, tous les moments de ma triste existence sont marqués par mes larmes, et rien n'en adoucit l'amertume, nulle consolation ne se mÃÂȘle à mes sacrifices; et ceux que j'ai faits jusqu'à présent n'ont servi qu'à me rendre plus douloureux ceux qui me restent à faire. Hier encore, je l'ai bien vivement senti. Dans les Lettres qu'on m'a remises, il y en avait une de lui; on était encore à deux pas de moi, que je l'avais reconnue entre les autres. Je me suis levée involontairement je tremblais, j'avais peine à cacher mon émotion; et cet état n'était pas sans plaisir. Restée seule le moment d'aprÚs, cette trompeuse douceur s'est bientÎt évanouie, et ne m'a laissé qu'un sacrifice de plus à faire. En effet, pouvais-je ouvrir cette Lettre, que pourtant je brûlais de lire? Par la fatalité qui me poursuit, les consolations qui paraissent se présenter à moi ne font, au contraire, que m'imposer de nouvelles privations; et celles-ci deviennent plus cruelles encore, par l'idée que M. de Valmont les partage. Le voilà enfin, ce nom qui m'occupe sans cesse, et que j'ai eu tant de peine à écrire; l'espÚce de reproche que vous m'en faites m'a véritablement alarmée. Je vous supplie de croire qu'une fausse honte n'a point altéré ma confiance en vous; et pourquoi craindrais-je de le nommer? ah! je rougis de mes sentiments, et non de l'objet qui les cause. Quel autre que lui est plus digne de les inspirer! Cependant je ne sais pourquoi ce nom ne se présente point naturellement sous ma plume; et cette fois encore, j'ai eu besoin de réflexion pour le placer. Je reviens à lui. Vous me mandez qu'il vous a paru vivement affecté de mon départ . Qu'a- t-il donc fait? qu'a-t-il dit? a-t-il parlé de revenir à Paris? Je vous prie de l'en détourner autant que vous pourrez. S'il m'a bien jugée, il ne doit pas m'en vouloir de cette démarche mais il doit sentir aussi que c'est un parti pris sans retour. Un de mes plus grands tourments est de ne pas savoir ce qu'il pense. J'ai bien encore là sa Lettre... , mais vous ÃÂȘtes sûrement de mon avis, je ne dois pas l'ouvrir. Ce n'est que par vous, mon indulgente amie, que je puis ne pas ÃÂȘtre entiÚrement séparée de lui. Je ne veux pas abuser de vos bontés; je sens à merveille que vos Lettres ne peuvent pas ÃÂȘtre longues mais vous ne refuserez pas deux mots à votre enfant; un pour soutenir son courage, et l'autre pour l'en consoler. Adieu, ma respectable amie. Paris, ce 5 octobre 17**. LETTRE CIX CECILE VOLANGES A LA MARQUISE DE MERTEUIL Ce n'est que d'aujourd'hui, Madame, que j'ai remis à M. de Valmont la Lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire. Je l'ai gardée quatre jours, malgré les frayeurs que j'avais souvent qu'on ne la trouvùt, mais je la cachais avec bien du soin; et quand le chagrin me reprenait, je m'enfermais pour la relire. Je vois bien que ce que je croyais un si grand malheur n'en est presque pas un; et il faut avouer qu'il y a bien du plaisir; de façon que je ne m'afflige presque plus. Il n'y a que l'idée de M. Danceny qui me tourmente toujours quelquefois. Mais il y a déjà tout plein de moments oÃÂč je n'y songe pas du tout! aussi c'est que M. de Valmont est bien aimable! Je me suis raccommodée avec lui depuis deux jours ça m'a été bien facile; car je ne lui avais encore dit que deux paroles, qu'il m'a dit que si j'avais quelque chose à lui dire, il viendrait le soir dans ma chambre, et je n'ai eu qu'à répondre que je le voulais bien. Et puis, dÚs qu'il y a été, il n'a pas paru plus fùché que si je ne lui avais jamais rien fait. Il ne m'a grondée qu'aprÚs, et encore bien doucement, et c'était d'une maniÚre... Tout comme vous; ce qui m'a prouvé qu'il avait aussi bien de l'amitié pour moi. Je ne saurais vous dire combien il m'a raconté de drÎles de choses et que je n'aurais jamais crues, particuliÚrement sur Maman. Vous me feriez bien plaisir de me mander si tout cela est vrai. Ce qui est bien sûr, c'est que je ne pouvais pas me retenir de rire; si bien qu'une fois j'ai ri aux éclats, ce qui nous a fait bien peur; car Maman aurait pu entendre; et si elle était venue voir, qu'est-ce que je serais devenue? C'est bien pour le coup qu'elle m'aurait remise au Couvent! Comme il faut ÃÂȘtre prudent, et que, comme M. de Valmont m'a dit lui-mÃÂȘme, pour rien au monde il ne voudrait risquer de me compromettre, nous sommes convenus que dorénavant il viendrait seulement ouvrir la porte, et que nous irions dans sa chambre. Pour là , il n'y a rien à craindre; j'y ai déjà été hier, et actuellement que je vous écris, j'attends encore qu'il vienne. A présent, Madame, j'espÚre que vous ne me gronderez plus. Il y a pourtant une chose qui m'a bien surprise dans votre Lettre; c'est ce que vous me mandez pour quand je serai mariée, au sujet de Danceny et de M. de Valmont. Il me semble qu'un jour à l'Opéra vous me disiez au contraire qu'une fois mariée, je ne pourrais plus aimer que mon mari, et qu'il me faudrait mÃÂȘme oublier Danceny au reste, peut-ÃÂȘtre que j'avais mal entendu, et j'aime bien mieux que cela soit autrement, parce qu'à présent je ne craindrai plus tant le moment de mon mariage. Je le désire mÃÂȘme, puisque j'aurai plus de liberté; et j'espÚre qu'alors je pourrai m'arranger de façon à ne plus songer qu'à Danceny. Je sens bien que je ne serai véritablement heureuse qu'avec lui; car à présent son idée me tourmente toujours et je n'ai de bonheur que quand je peux ne pas penser à lui, ce qui est bien difficile; et dÚs que j'y pense, je redeviens chagrine tout de suite. Ce qui me console un peu c'est que vous m'assurez que Danceny m'en aimera davantage; mais en ÃÂȘtes-vous bien sûre?... Oh! oui, vous ne voudriez pas me tromper. C'est pourtant plaisant que ce soit Danceny que j'aime et que M. de Valmont... Mais, comme vous dites, c'est peut-ÃÂȘtre un bonheur! Enfin, nous verrons. Je n'ai pas trop entendu ce que vous me marquez au sujet de ma façon d'écrire. Il me semble que Danceny trouve mes Lettres bien comme elles sont. Je sens pourtant bien que je ne dois rien lui dire de tout ce qui se passe avec M. de Valmont; ainsi vous n'avez que faire de craindre. Maman ne m'a point encore parlé de mon mariage mais laissez faire; quand elle m'en parlera, puisque c'est pour m'attraper, je vous promets que je saurai mentir. Adieu, ma bien bonne amie; je vous remercie bien, et je vous promets que je n'oublierai jamais toutes vos bontés pour moi. Il faut que je finisse, car il est prÚs d'une heure; ainsi M. de Valmont ne doit pas tarder. Du Chùteau de .. , ce 10 octobre 17**. LETTRE CX LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Puissances du Ciel, j'avais une ùme pour la douleur donnez-m'en une pour la félicité [Nouvelle Héloïse]! C'est, je crois, le tendre Saint-Preux qui s'exprime ainsi. Mieux partagé que lui, je possÚde à la fois les deux existences. Oui, mon amie, je suis, en mÃÂȘme temps, trÚs heureux et trÚs malheureux; et puisque vous avez mon entiÚre confiance, je vous dois le double récit de mes peines et de mes plaisirs. Sachez donc que mon ingrate Dévote me tient toujours rigueur. J'en suis à ma quatriÚme Lettre renvoyée. J'ai peut-ÃÂȘtre tort de dire la quatriÚme; car ayant bien deviné dÚs le premier renvoi qu'il serait suivi de beaucoup d'autres, et ne voulant pas perdre ainsi mon temps, j'ai pris le parti de mettre mes doléances en lieux communs, et de ne point dater et depuis le second Courrier, c'est toujours la mÃÂȘme Lettre qui va et vient; je ne fais que changer d'enveloppe. Si ma Belle finit comme finissent ordinairement les Belles, et s'attendrit un jour, au moins de lassitude, elle gardera enfin la missive, et il sera temps alors de me remettre au courant. Vous voyez qu'avec ce nouveau genre de correspondance, je ne peux pas ÃÂȘtre parfaitement instruit. J'ai découvert pourtant que la légÚre personne a changé de Confidente, au moins me suis-je assuré que, depuis son départ du Chùteau, il n'y est venu aucune Lettre d'elle pour Madame de Volanges, tandis qu'il en est venu deux pour la vieille Rosemonde; et comme celle-ci ne nous en a rien dit, comme elle n'ouvre plus la bouche de sa chÚre Belle , dont auparavant elle parlait sans cesse, j'en ai conclu que c'était elle qui avait la confidence. Je présume que d'une part, le besoin de parler de moi, et de l'autre, la petite honte de revenir vis-à -vis de Madame de Volanges sur un sentiment si longtemps désavoué, ont produit cette grande révolution. Je crains d'avoir encore perdu au change car plus les femmes vieillissent, et plus elles deviennent rÃÂȘches et sévÚres. La premiÚre lui aurait dit bien plus de mal de moi; mais celle-ci lui en dira plus de l'amour; et la sensible Prude a bien plus de frayeur du sentiment que de la personne. Le seul moyen de me mettre au fait, est, comme vous voyez, d'intercepter le commerce clandestin. J'en ai déjà envoyé l'ordre à mon Chasseur; et j'en attends l'exécution de jour en jour. Jusque-là , je ne puis rien faire qu'au hasard aussi, depuis huit jours, je repasse inutilement tous les moyens connus, tous ceux des Romans et de mes Mémoires secrets; je n'en trouve aucun qui convienne, ni aux circonstances de l'aventure, ni au caractÚre de l'Héroïne. La difficulté ne serait pas de m'introduire chez elle, mÃÂȘme la nuit, mÃÂȘme encore de l'endormir, et d'en faire une nouvelle Clarisse mais aprÚs plus de deux mois de soins et de peines, recourir à des moyens qui me soient étrangers! me traÃner servilement sur la trace des autres, et triompher sans gloire!... Non, elle n'aura pas les plaisirs du vice et les honneurs de la vertu [Nouvelle Héloïse]. Ce n'est pas assez pour moi de la posséder, je veux qu'elle se livre. Or, il faut pour cela non seulement pénétrer jusqu'à elle, mais y arriver de son aveu; la trouver seule et dans l'intention de m'écouter; surtout, lui fermer les yeux sur le danger, car si elle le voit, elle saura le surmonter ou mourir. Mais mieux je sais ce qu'il faut faire, plus j'en trouve l'exécution difficile; et dussiez-vous encore vous moquer de moi, je vous avouerai que mon embarras redouble à mesure que je m'en occupe davantage. La tÃÂȘte m'en tournerait, je crois, sans les heureuses distractions que me donne notre commune Pupille; c'est à elle que je dois d'avoir encore à faire autre chose que des Elégies. Croiriez-vous que cette petite fille était tellement effarouchée, qu'il s'est passé trois grands jours avant que votre Lettre ait produit tout son effet? Voilà comme une seule idée fausse peut gùter le plus heureux naturel! Enfin, ce n'est que Samedi qu'on est venu tourner autour de moi et me balbutier quelques mots; encore prononcés si bas et tellement étouffés par la honte, qu'il était impossible de les entendre. Mais la rougeur qu'ils causÚrent m'en fit deviner le sens. Jusque-là , je m'étais tenu fier mais fléchi par un si plaisant repentir je voulus bien promettre d'aller trouver le soir mÃÂȘme la jolie Pénitente; et cette grùce de ma part fut reçue avec toute la reconnaissance due à un si grand bienfait. Comme je ne perds jamais de vue ni vos projets ni les miens, j'ai résolu de profiter de cette occasion pour connaÃtre au juste la valeur de cette enfant, et aussi pour accélérer son éducation. Mais pour suivre ce travail avec plus de liberté j'avais besoin de changer le lieu de nos rendez-vous; car un simple cabinet, qui sépare la chambre de votre Pupille de celle de sa mÚre, ne pouvait lui inspirer assez de sécurité, pour la laisser se déployer à l'aise. Je m'étais donc promis de faire innocemment quelque bruit, qui pût lui causer assez de crainte pour la décider à prendre, à l'avenir, un asile plus sûr; elle m'a encore épargné ce soin. La petite personne est rieuse; et, pour favoriser sa gaieté, je m'avisai, dans nos entractes, de lui raconter toutes les aventures scandaleuses qui me passaient par la tÃÂȘte; et pour les rendre plus piquantes et fixer davantage son attention, je les mettais toutes sur le compte de sa Maman, que je me plaisais à chamarrer ainsi de vices et de ridicules. Ce n'était pas sans motif que j'avais fait ce choix; il encourageait mieux que tout autre ma timide écoliÚre, et je lui inspirais en mÃÂȘme temps le plus profond mépris pour sa mÚre. J'ai remarqué depuis longtemps, que si ce moyen n'est pas toujours nécessaire à employer pour séduire une jeune fille, il est indispensable, et souvent mÃÂȘme le plus efficace, quand on veut la dépraver; car celle qui ne respecte pas sa mÚre ne se respectera pas elle-mÃÂȘme vérité morale que je crois si utile que j'ai été bien aise de fournir un exemple à l'appui du précepte. Cependant votre Pupille, qui ne songeait pas à la morale, étouffait de rire à chaque instant; et enfin, une fois, elle pensa éclater. Je n'eus pas de peine à lui faire croire qu'elle avait fait un bruit affreux . Je feignis une grande frayeur, qu'elle partagea facilement. Pour qu'elle s'en ressouvÃnt mieux, je ne permis plus au plaisir de reparaÃtre, et la laissai seule trois heures plus tÎt que de coutume aussi convÃnmes-nous, en nous séparant, que dÚs le lendemain ce serait dans ma chambre que nous nous rassemblerions. Je l'y ai déjà reçue deux fois, et dans ce court intervalle l'écoliÚre est devenue presque aussi savante que le maÃtre. Oui, en vérité, je lui ai tout appris, jusqu'aux complaisances! je n'ai excepté que les précautions. Ainsi occupé toute la nuit, j'y gagne de dormir une grande partie du jour; et, comme la société actuelle du Chùteau n'a rien qui m'attire, à peine parais-je une heure au salon dans la journée. J'ai mÃÂȘme, d'aujourd'hui, pris le parti de manger dans ma chambre, et je ne compte plus la quitter que pour de courtes promenades. Ces bizarreries passent sur le compte de ma santé. J'ai déclaré que j'étais perdu de vapeurs ; j'ai annoncé aussi un peu de fiÚvre. Il ne m'en coûte que de parler d'une voix lente et éteinte. Quant au changement de ma figure, fiez-vous-en à votre Pupille. L'amour y pourvoira . [Regnard, Folies amoureuses] J'occupe mon loisir en rÃÂȘvant aux moyens de reprendre sur mon ingrate les avantages que j'ai perdus, et aussi à composer une espÚce de catéchisme de débauche, à l'usage de mon écoliÚre. Je m'amuse à n'y rien nommer que par le mot technique; et je ris d'avance de l'intéressante conversation que cela doit fournir entre elle et Gercourt la premiÚre nuit de leur mariage. Rien n'est plus plaisant que l'ingénuité avec laquelle elle se sert déjà du peu qu'elle sait de cette langue! elle n'imagine pas qu'on puisse parler autrement. Cette enfant est réellement séduisante! Ce contraste de la candeur naïve avec le langage de l'effronterie ne laisse pas de faire de l'effet; et, je ne sais pourquoi, il n'y a plus que les choses bizarres qui me plaisent. Peut-ÃÂȘtre je me livre trop à celle-ci, puisque j'y compromets mon temps et ma santé mais j'espÚre que ma feinte maladie, outre qu'elle me sauvera de l'ennui du salon, pourra m'ÃÂȘtre encore de quelque utilité auprÚs de l'austÚre Dévote, dont la vertu tigresse s'allie pourtant avec la douce sensibilité! Je ne doute pas qu'elle ne soit déjà instruite de ce grand événement, et j'ai beaucoup d'envie de savoir ce qu'elle en pense; d'autant plus que je parierais bien qu'elle ne manquera pas de s'en attribuer l'honneur. Je réglerai l'état de ma santé sur l'impression qu'il fera sur elle. Vous voilà , ma belle amie, au courant de mes affaires comme moi-mÃÂȘme. Je désire avoir bientÎt des nouvelles plus intéressantes à vous apprendre; et je vous prie de croire que, dans le plaisir que je m'en promets, je compte pour beaucoup la récompense que j'attends de vous. Du Chùteau de .. , ce 11 octobre 17**. LETTRE CXI LE COMTE DE GERCOURT A MADAME DE VOLANGES Tout paraÃt, Madame, devoir ÃÂȘtre tranquille dans ce pays; et nous attendons, de jour en jour, la permission de rentrer en France. J'espÚre que vous ne douterez pas que je n'aie toujours le mÃÂȘme empressement à m'y rendre, et à y former les nÅ“uds qui doivent m'unir à vous et à Mademoiselle de Volanges. Cependant M. le Duc de ***, mon cousin, et à qui vous savez que j'ai tant d'obligations, vient de me faire part de son rappel de Naples. Il me mande qu'il compte passer par Rome, et voir, dans sa route, la partie d'Italie qui lui reste à connaÃtre. Il m'engage à l'accompagner dans ce voyage, qui sera environ de six semaines ou deux mois. Je ne vous cache pas qu'il me serait agréable de profiter de cette occasion; sentant bien qu'une fois marié, je prendrai difficilement le temps de faire d'autres absences que celles que mon service exigera. Peut-ÃÂȘtre aussi serait-il plus convenable d'attendre l'hiver pour ce mariage; puisque ce ne peut ÃÂȘtre qu'alors que tous mes parents seront rassemblés à Paris; et nommément M. le Marquis de *** à qui je dois l'espoir de vous appartenir. Malgré ces considérations, mes projets à cet égard seront absolument subordonnés aux vÎtres; et pour peu que vous préfériez vos premiers arrangements, je suis prÃÂȘt à renoncer aux miens. Je vous prie seulement de me faire savoir le plus tÎt possible vos intentions à ce sujet. J'attendrai votre réponse ici, et elle seule réglera ma conduite. Je suis avec respect, Madame, et avec tous les sentiments qui conviennent à un fils, votre trÚs humble, etc, Le Comte de Gercourt. Bastia, ce 10 octobre 17**. LETTRE CXII MADAME DE ROSEMONDE A LA PRESIDENTE DE TOURVEL DICTEE SEULEMENT. Je ne reçois qu'à l'instant mÃÂȘme, ma chÚre Belle, votre Lettre du 11 [Cette Lettre ne s'est pas retrouvée] et les doux reproches qu'elle contient. Convenez que vous aviez bien envie de m'en faire davantage; et que si vous ne vous étiez pas ressouvenue que vous étiez ma fille , vous m'auriez réellement grondée. Vous auriez été pourtant bien injuste! C'était le désir et l'espoir de pouvoir vous répondre moi-mÃÂȘme, qui me faisait différer chaque jour, et vous voyez qu'encore aujourd'hui, je suis obligée d'emprunter la main de ma Femme de chambre. Mon malheureux rhumatisme m'a reprise, il, s'est niché cette fois sur le bras droit, et je suis absolument manchote. Voilà ce que c'est, jeune et fraÃche comme vous ÃÂȘtes, d'avoir une si vieille amie! on souffre de ses incommodités. AussitÎt que mes douleurs me donneront un peu de relùche, je me promets bien de causer longuement avec vous. En attendant, sachez seulement que j'ai reçu vos deux Lettres; qu'elles auraient redoublé, s'il était possible, ma tendre amitié pour vous; et que je ne cesserai jamais de prendre part, bien vivement, à tout ce qui vous intéresse. Mon neveu est aussi un peu indisposé, mais sans aucun danger et sans qu'il faille en prendre aucune inquiétude; c'est une incommodité légÚre, qui, à ce qu'il me semble, affecte plus son humeur que sa santé. Nous ne le voyons presque plus. Sa retraite et votre départ ne rendent pas notre petit cercle plus gai. La petite Volanges, surtout, vous trouve furieusement à dire, et baille, tant que la journée dure, à avaler ses poings. ParticuliÚrement depuis quelques jours, elle nous fait l'honneur de s'endormir profondément toutes les aprÚs-dÃners. Adieu, ma chÚre Belle; je suis pour toujours votre bien bonne amie, votre maman, votre sÅ“ur mÃÂȘme, si mon grand ùge me permettait ce titre. Enfin je vous suis attachée par tous les plus tendres sentiments. Signé Adélaïde, pour Madame de Rosemonde. Du Chùteau de .. , ce 14 octobre 17**. LETTRE CXIII LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT Je crois devoir vous prévenir, Vicomte, qu'on commence à s'occuper de vous à Paris; qu'on y remarque votre absence, et que déjà on en devine la cause. J'étais hier à un souper fort nombreux; il y fut dit positivement que vous étiez retenu au Village par un amour romanesque et malheureux aussitÎt la joie se peignit sur le visage de tous les envieux de vos succÚs et de toutes les femmes que vous avez négligées. Si vous m'en croyez, vous ne laisserez pas prendre consistance à ces bruits dangereux, et vous viendrez sur-le-champ les détruire par votre présence. Songez que si une fois vous laissez perdre l'idée qu'on ne vous résiste pas, vous éprouverez bientÎt qu'on vous résistera en effet plus facilement; que vos rivaux vont aussi perdre de leur respect pour vous, et oser vous combattre car lequel d'entre eux ne se croit pas plus fort que la vertu? Songez surtout que dans la multitude des femmes que vous avez affichées, toutes celles que vous n'avez pas eues vont tenter de détromper le Public, tandis que les autres s'efforceront de l'abuser. Enfin, il faut vous attendre à ÃÂȘtre apprécié peut-ÃÂȘtre autant au-dessous de votre valeur, que vous l'avez été au-dessus jusqu'à présent. Revenez donc, Vicomte, et ne sacrifiez pas votre réputation à un caprice puéril. Vous avez fait tout ce que nous voulions de la petite Volanges; et pour votre Présidente, ce ne sera pas apparemment en restant à dix lieues d'elle, que vous vous en passerez la fantaisie. Croyez-vous qu'elle ira vous chercher? Peut-ÃÂȘtre ne songe-t-elle déjà plus à vous, ou ne s'en occupe-t-elle encore que pour se féliciter de vous avoir humilié. Au moins ici, pourrez-vous trouver quelque occasion de reparaÃtre avec éclat, et vous en avez besoin; et quand vous vous obstineriez à votre ridicule aventure, je ne vois pas que votre retour y puisse nuire... ; au contraire. En effet, si votre Présidente vous adore , comme vous me l'avez tant dit et si peu prouvé, son unique consolation, son seul plaisir, doivent ÃÂȘtre à présent de parler de vous, et de savoir ce que vous faites, ce que vous dites, ce que vous pensez, et jusqu'à la moindre des choses qui vous intéressent. Ces misÚres-là prennent du prix, en raison des privations qu'on éprouve. Ce sont les miettes de pain tombantes de la table du riche celui-ci les dédaigne; mais le pauvre les recueille avidement et s'en nourrit. Or, la pauvre Présidente reçoit à présent toutes ces miettes-là et plus elle en aura, moins elle sera pressée de se livrer à l'appétit du reste. De plus, depuis que vous connaissez sa Confidente, vous ne doutez pas que chaque Lettre d'elle ne contienne au moins un petit sermon, et tout ce qu'elle croit propre à corroborer sa sagesse et fortifier sa vertu [On ne s'avise jamais de tout! Comédie]. Pourquoi donc laisser à l'une des ressources pour se défendre, et à l'autre pour vous nuire? Ce n'est pas que je sois du tout de votre avis sur la perte que vous croyez avoir faite au changement de Confidente. D'abord, Madame de Volanges vous hait, et la haine est toujours plus clairvoyante et plus ingénieuse que l'amitié. Toute la vertu de votre vieille tante ne l'engagera pas à médire un seul instant de son cher neveu; car la vertu a aussi ses faiblesses. Ensuite vos craintes portent sur une remarque absolument fausse. Il n'est pas vrai que plus les femmes vieillissent, et plus elles deviennent rÃÂȘches et sévÚres . C'est de quarante à cinquante ans que le désespoir de voir leur figure se flétrir, la rage de se sentir obligées d'abandonner des prétentions et des plaisirs auxquels elles tiennent encore, rendent presque toutes les femmes bégueules et acariùtres. Il leur faut ce long intervalle pour faire en entier ce grand sacrifice mais dÚs qu'il est consommé, toutes se partagent en deux classes. La plus nombreuse, celle des femmes qui n'ont eu pour elles que leur figure et leur jeunesse, tombe dans une imbécile apathie, et n'en sort plus que pour le jeu et pour quelques pratiques de dévotion; celle-là est toujours ennuyeuse, souvent grondeuse, quelquefois un peu tracassiÚre, mais rarement méchante. On ne peut pas dire non plus que ces femmes soient ou ne soient pas sévÚres sans idées et sans existence, elles répÚtent, sans le comprendre et indifféremment, tout ce qu'elles entendent dire, et restent par elles-mÃÂȘmes absolument nulles. L'autre classe, beaucoup plus rare, mais véritablement précieuse, est celle des femmes qui, ayant eu un caractÚre et n'ayant pas négligé de nourrir leur raison, savent se créer une existence, quand celle de la nature leur manque, et prennent le parti de mettre à leur esprit les parures qu'elles employaient avant pour leur figure. Celles-ci ont pour l'ordinaire le jugement trÚs sain, et l'esprit à la fois solide, gai et gracieux. Elles remplacent les charmes séduisants par l'attachante bonté, et encore par l'enjouement dont le charme augmente en proportion de l'ùge c'est ainsi qu'elles parviennent en quelque sorte à se rapprocher de la jeunesse en s'en faisant aimer. Mais alors, loin d'ÃÂȘtre, comme vous le dites, rÃÂȘches et sévÚres , l'habitude de l'indulgence, leurs longues réflexions sur la faiblesse humaine, et surtout les souvenirs de leur jeunesse, par lesquels seuls elles tiennent encore à la vie, les placeraient plutÎt peut-ÃÂȘtre trop prÚs de la facilité. Ce que je peux vous dire enfin, c'est qu'ayant toujours recherché les vieilles femmes, dont j'ai reconnu de bonne heure l'utilité des suffrages, j'ai rencontré plusieurs d'entre elles auprÚs de qui l'inclination me ramenait autant que l'intérÃÂȘt. Je m'arrÃÂȘte là ; car à présent que vous vous enflammez si vite et si moralement, j'aurais peur que vous ne devinssiez subitement amoureux de votre vieille tante, et que vous ne vous enterrassiez avec elle dans le tombeau oÃÂč vous vivez déjà depuis si longtemps. Je reviens donc. Malgré l'enchantement oÃÂč vous me paraissez ÃÂȘtre de votre petite écoliÚre, je ne peux pas croire qu'elle entre pour quelque chose dans vos projets. Vous l'avez trouvée sous la main, vous l'avez prise à la bonne heure! mais ce ne peut pas ÃÂȘtre là un goût. Ce n'est mÃÂȘme pas, à vrai dire, une entiÚre jouissance vous ne possédez absolument que sa personne! je ne parle pas de son cÅ“ur, dont je me doute bien que vous ne vous souciez guÚre mais vous n'occupez seulement pas sa tÃÂȘte. Je ne sais pas si vous vous en ÃÂȘtes aperçu, mais moi j'en ai la preuve dans la derniÚre Lettre qu'elle m'a écrite [Voyez la Lettre CIX]; je vous l'envoie pour que vous en jugiez. Voyez donc que quand elle y parle de vous, c'est toujours M. de Valmont ; que toutes ses idées, mÃÂȘme celles que vous lui faites naÃtre, n'aboutissent jamais qu'à Danceny; et lui, elle ne l'appelle pas Monsieur, c'est bien toujours Danceny seulement. Par là , elle le distingue de tous les autres; et mÃÂȘme en se livrant à vous, elle ne se familiarise qu'avec lui. Si une telle conquÃÂȘte vous paraÃt séduisante , si les plaisirs qu'elle donne vous attachent , assurément vous ÃÂȘtes modeste et peu difficile! Que vous la gardiez, j'y consens; cela entre mÃÂȘme dans mes projets. Mais il me semble que cela ne vaut pas de se déranger un quart d'heure; qu'il faudrait aussi avoir quelque empire, et ne lui permettre, par exemple, de se rapprocher de Danceny qu'aprÚs le lui avoir fait un peu plus oublier. Avant de cesser de m'occuper de vous, pour venir à moi, je veux encore vous dire que ce moyen de maladie que vous m'annoncez vouloir prendre est bien connu et bien usé. En vérité, Vicomte, vous n'ÃÂȘtes pas inventif! Moi, je me répÚte aussi quelquefois, comme vous allez voir; mais je tùche de me sauver par les détails, et surtout le succÚs me justifie. Je vais encore en tenter un, et courir une nouvelle aventure. Je conviens qu'elle n'aura pas le mérite de la difficulté; mais au moins sera-ce une distraction, et je m'ennuie à périr. Je ne sais pourquoi, depuis l'aventure de Prévan, Belleroche m'est devenu insupportable. Il a tellement redoublé d'attention, de tendresse, de vénération , que je n'y peux plus tenir. Sa colÚre, dans le premier moment, m'avait paru plaisante; il a pourtant bien fallu la calmer, car c'eût été me compromettre que de le laisser faire; et il n'y avait pas moyen de lui faire entendre raison. J'ai donc pris le parti de lui montrer plus d'amour, pour en venir à bout plus facilement mais lui a pris cela au sérieux; et depuis ce temps il m'excÚde par son enchantement éternel. Je remarque surtout l'insultante confiance qu'il prend en moi, et la sécurité avec laquelle il me regarde comme à lui pour toujours. J'en suis vraiment humiliée. Il me prise donc bien peu, s'il croit valoir assez pour me fixer! Ne me disait-il pas derniÚrement que je n'aurais jamais aimé un autre que lui? Oh! pour le coup, j'ai eu besoin de toute ma prudence, pour ne pas le détromper sur-le-champ, en lui disant ce qui en était. Voilà , certes, un plaisant Monsieur, pour avoir un droit exclusif! Je conviens qu'il est bien fait et d'une assez belle figure mais, à tout prendre, ce n'est, au fait, qu'un ManÅ“uvre d'amour. Enfin le moment est venu, il faut nous séparer. J'essaie déjà depuis quinze jours, et j'ai employé, tour à tour, la froideur, le caprice, l'humeur, les querelles; mais le tenace personnage ne quitte pas prise ainsi il faut donc prendre un parti plus violent; en conséquence je l'emmÚne à ma campagne. Nous partons aprÚs-demain. Il n'y aura avec nous que quelques personnes désintéressées et peu clairvoyantes, et nous y aurons presque autant de liberté que si nous y étions seuls. Là , je le surchargerai à tel point d'amour et de caresses, nous y vivrons si bien l'un pour l'autre uniquement, que je parie bien qu'il désirera plus que moi la fin de ce voyage, dont il se fait un si grand bonheur; et s'il n'en revient pas plus ennuyé de moi que je ne le suis de lui, dites, j'y consens, que je n'en sais pas plus que vous. Le prétexte de cette espÚce de retraite est de m'occuper sérieusement de mon grand procÚs, qui en effet se jugera enfin au commencement de l'hiver. J'en suis bien aise; car il est vraiment désagréable d'avoir ainsi toute sa fortune en l'air. Ce n'est pas que je sois inquiÚte de l'événement; d'abord j'ai raison, tous mes Avocats me l'assurent; et quand je ne l'aurais pas! je serais donc bien maladroite, si je ne savais pas gagner un procÚs, oÃÂč je n'ai pour adversaires que des mineures encore en bas ùge, et leur vieux tuteur! Comme il ne faut pourtant rien négliger dans une affaire si importante, j'aurai effectivement avec moi deux Avocats. Ce voyage ne vous paraÃt-il pas gai? cependant s'il me fait gagner mon procÚs et perdre Belleroche, je ne regretterai pas mon temps. A présent, Vicomte, devinez le successeur; je vous le donne en cent. Mais bon! ne sais-je pas que vous ne devinez jamais rien? hé bien, c'est Danceny. Vous ÃÂȘtes étonné, n'est-ce pas? car enfin je ne suis pas encore réduite à l'éducation des enfants! Mais celui-ci mérite d'ÃÂȘtre excepté; il n'a que les grùces de la jeunesse, et non la frivolité. Sa grande réserve dans le cercle est trÚs propre à éloigner tous les soupçons, et on ne l'en trouve que plus aimable, quand il se livre, dans le tÃÂȘte-à -tÃÂȘte. Ce n'est pas que j'en aie déjà eu avec lui pour mon compte, je ne suis encore que sa confidente; mais sous ce voile de l'amitié, je crois lui voir un goût trÚs vif pour moi, et je sens que j'en prends beaucoup pour lui. Ce serait bien dommage que tant d'esprit et de délicatesse allassent se sacrifier et s'abrutir auprÚs de cette petite imbécile de Volanges! J'espÚre qu'il se trompe en croyant l'aimer elle est si loin de le mériter! Ce n'est pas que je sois jalouse d'elle; mais c'est que ce serait un meurtre, et je veux en sauver Danceny. Je vous prie donc, Vicomte, de mettre vos soins à ce qu'il ne puisse se rapprocher de sa Cécile comme il a encore la mauvaise habitude de la nommer. Un premier goût a toujours plus d'empire qu'on ne croit et je ne serais sûre de rien s'il la revoyait à présent; surtout pendant mon absence. A mon retour, je me charge de tout et j'en réponds. J'ai bien songé à emmener le jeune homme avec moi mais j'en ai fait le sacrifice à ma prudence ordinaire; et puis, j'aurais craint qu'il ne s'aperçût de quelque chose entre Belleroche et moi, et je serais au désespoir qu'il eût la moindre idée de ce qui se passe. Je veux au moins m'offrir à son imagination, pure et sans tache; telle enfin qu'il faudrait ÃÂȘtre, pour ÃÂȘtre vraiment digne de lui. Paris, ce 15 octobre 17**. LETTRE CXIV LA PRESIDENTE DE TOURVEL A MADAME DE ROSEMONDE Ma chÚre amie, je cÚde à ma vive inquiétude; et sans savoir si vous serez en état de me répondre, je ne puis m'empÃÂȘcher de vous interroger. L'état de M. de Valmont, que vous me dites sans danger , ne me laisse pas autant de sécurité que vous paraissez en avoir. Il n'est pas rare que la mélancolie et le dégoût du monde soient des symptÎmes avant-coureurs de quelque maladie grave; les souffrances du corps, comme celles de l'esprit, font désirer la solitude; et souvent on reproche de l'humeur à celui dont on devrait seulement plaindre les maux. Il me semble qu'il devrait au moins consulter quelqu'un. Comment, étant malade vous-mÃÂȘme, n'avez-vous pas un Médecin auprÚs de vous? Le mien, que j'ai vu ce matin, et que je ne vous cache pas que j'ai consulté indirectement, est d'avis que, dans les personnes naturellement actives, cette espÚce d'apathie subite n'est jamais à négliger; et, comme il me disait encore, les maladies ne cÚdent plus au traitement, quand elles n'ont pas été prises à temps. Pourquoi faire courir ce risque à quelqu'un qui vous est si cher? Ce qui redouble mon inquiétude, c'est que, depuis quatre jours, je ne reçois plus de nouvelles de lui. Mon Dieu! ne me trompez-vous point sur son état? Pourquoi aurait-il cessé de m'écrire tout à coup? Si c'était seulement l'effet de mon obstination à lui renvoyer ses Lettres, je crois qu'il aurait pris ce parti plus tÎt. Enfin, sans croire aux pressentiments, je suis depuis quelques jours d'une tristesse qui m'effraie. Ah! peut-ÃÂȘtre suis-je à la veille du plus grand des malheurs! Vous ne sauriez croire, et j'ai honte de vous dire, combien je suis peinée de ne plus recevoir ces mÃÂȘmes Lettres, que pourtant je refuserais encore de lire. J'étais sûre au moins qu'il était occupé de moi! et je voyais quelque chose qui venait de lui. Je ne les ouvrais pas, ces Lettres, mais je pleurais en les regardant mes larmes étaient plus douces et plus faciles; et celles-là seules dissipaient en partie l'oppression habituelle que j'éprouve depuis mon retour. Je vous en conjure, mon indulgente amie, écrivez-moi, vous-mÃÂȘme, aussitÎt que vous le pourrez, et en attendant, faites-moi donner chaque jour de vos nouvelles et des siennes. Je m'aperçois qu'à peine je vous ai dit un mot pour vous mais vous connaissez mes sentiments, mon attachement sans réserve, ma tendre reconnaissance pour votre sensible amitié; vous pardonnerez au trouble oÃÂč je suis, à mes peines mortelles, au tourment affreux d'avoir à redouter des maux dont peut-ÃÂȘtre je suis la cause. Grand Dieu! cette idée désespérante me poursuit et déchire mon cÅ“ur; ce malheur me manquait, et je sens que je suis née pour les éprouver tous. Adieu, ma chÚre amie, aimez-moi, plaignez-moi. Aurai-je une Lettre de vous aujourd'hui? Paris, ce 16 octobre 17**. LETTRE CXV LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL C'est une chose inconcevable, ma belle amie, comme aussitÎt qu'on s'éloigne, on cesse facilement de s'entendre. Tant que j'étais auprÚs de vous, nous n'avions jamais qu'un mÃÂȘme sentiment, une mÃÂȘme façon de voir; et parce que, depuis prÚs de trois mois, je ne vous vois plus, nous ne sommes plus du mÃÂȘme avis sur rien. Qui de nous deux a tort? sûrement vous n'hésiteriez pas sur la réponse mais moi, plus sage, ou plus poli, je ne décide pas. Je vais seulement répondre à votre Lettre, et continuer de vous exposer ma conduite. D'abord, je vous remercie de l'avis que vous me donnez des bruits qui courent sur mon compte; mais je ne m'en inquiÚte pas encore je me crois sûr d'avoir bientÎt de quoi les faire cesser. Soyez tranquille, je ne reparaÃtrai dans le monde que plus célÚbre que jamais, et toujours plus digne de vous. J'espÚre qu'on me comptera mÃÂȘme pour quelque chose l'aventure de la petite Volanges, dont vous paraissez faire si peu de cas comme si ce n'était rien que d'enlever en une soirée une jeune fille à son Amant aimé, d'en user ensuite tant qu'on le veut et absolument comme de son bien, et sans plus d'embarras; d'en obtenir ce qu'on n'ose pas mÃÂȘme exiger de toutes les filles dont c'est le métier; et cela, sans la déranger en rien de son tendre amour; sans la rendre inconstante, pas mÃÂȘme infidÚle car, en effet, je n'occupe seulement pas sa tÃÂȘte! en sorte qu'aprÚs ma fantaisie passée, je la remettrai entre les bras de son Amant, pour ainsi dire, sans qu'elle se soit aperçue de rien. Est-ce donc là une marche si ordinaire? et puis croyez-moi, une fois sortie de mes mains, les principes que je lui donne ne s'en développeront pas moins; et je prédis que la timide écoliÚre prendra bientÎt un essor propre à faire honneur à son maÃtre. Si pourtant on aime mieux le genre héroïque, je montrerai la Présidente, ce modÚle cité de toutes les vertus! respectée mÃÂȘme de nos plus libertins! telle enfin qu'on avait perdu jusqu'à l'idée de l'attaquer! je la montrerai, dis-je, oubliant ses devoirs et sa vertu, sacrifiant sa réputation et deux ans de sagesse, pour courir aprÚs le bonheur de me plaire, pour s'enivrer de celui de m'aimer, se trouvant suffisamment dédommagée de tant de sacrifices, par un mot, par un regard qu'encore elle n'obtiendra pas toujours. Je ferai plus, je la quitterai; et je ne connais pas cette femme, ou je n'aurai point de successeur. Elle résistera au besoin de consolation, à l'habitude du plaisir, au désir mÃÂȘme de la vengeance. Enfin, elle n'aura existé que pour moi; et que sa carriÚre soit plus ou moins longue, j'en aurai seul ouvert et fermé la barriÚre. Une fois parvenu à ce triomphe, je dirai à mes rivaux " Voyez mon ouvrage, et cherchez-en dans le siÚcle un second exemple! " Vous allez me demander d'oÃÂč vient aujourd'hui cet excÚs de confiance? c'est que depuis huit jours je suis dans la confidence de ma Belle; elle ne me dit pas ses secrets, mais je les surprends. Deux Lettres d'elle à Madame de Rosemonde m'ont suffisamment instruit, et je ne lirai plus les autres que par curiosité. Je n'ai absolument besoin, pour réussir, que de me rapprocher d'elle, et mes moyens sont trouvés. Je vais incessamment les mettre en usage. Vous ÃÂȘtes curieuse, je crois?... Mais non, pour vous punir de ne pas croire à mes inventions, vous ne les saurez pas. Tout de bon, vous mériteriez que je vous retirasse ma confiance, au moins pour cette aventure; en effet, sans le doux prix attaché par vous à ce succÚs, je ne vous en parlerais plus. Vous voyez que je suis fùché. Cependant, dans l'espoir que vous vous corrigerez, je veux bien m'en tenir à cette punition légÚre; et revenant à l'indulgence, j'oublie un moment mes grands projets, pour raisonner des vÎtres avec vous. Vous voilà donc à la campagne, ennuyeuse comme le sentiment, et triste comme la fidélité! Et ce pauvre Belleroche! vous ne vous contentez pas de lui faire boire l'eau d'oubli, vous lui en donnez la question! Comment s'en trouve- t-il? supporte-t-il bien les nausées de l'amour? Je voudrais pour beaucoup qu'il ne vous en devÃnt que plus attaché; je suis curieux de voir quel remÚde plus efficace vous parviendriez à employer. Je vous plains, en vérité, d'avoir été obligée de recourir à celui-là . Je n'ai fait qu'une fois, dans ma vie, l'amour par procédé. J'avais certainement un grand motif, puisque c'était à la Comtesse de ***; et vingt fois, entre ses bras, j'ai été tenté de lui dire " Madame, je renonce à la place que je sollicite, et permettez-moi de quitter celle que j'occupe. " Aussi, de toutes les femmes que j'ai eues, c'est la seule dont j'ai vraiment plaisir à dire du mal. Pour votre motif à vous, je le trouve, à vrai dire, d'un ridicule rare; et vous aviez raison de croire que je ne devinerais pas le successeur. Quoi! c'est pour Danceny que vous vous donnez toute cette peine-là ! Eh! ma chÚre amie, laissez-le adorer sa vertueuse Cécile , et ne vous compromettez pas dans ces jeux d'enfants. Laissez les écoliers se former auprÚs des Bonnes , ou jouer avec les pensionnaires à de petits jeux innocents . Comment allez- vous vous charger d'un novice qui ne saura ni vous prendre, ni vous quitter, et avec qui il vous faudra tout faire? Je vous le dis sérieusement, je désapprouve ce choix, et quelque secret qu'il restùt, il vous humilierait au moins à mes yeux et dans votre conscience. Vous prenez, dites-vous, beaucoup de goût pour lui allons donc, vous vous trompez sûrement, et je crois mÃÂȘme avoir trouvé la cause de votre erreur. Ce beau dégoût de Belleroche vous est venu dans un temps de disette, et Paris ne vous offrant pas de choix, vos idées, toujours trop vives, se sont portées sur le premier objet que vous avez rencontré. Mais songez qu'à votre retour, vous pourrez choisir entre mille; et si enfin vous redoutez l'inaction dans laquelle vous risquez de tomber en différant, je m'offre à vous pour amuser vos loisirs. D'ici à votre arrivée, mes grandes affaires seront terminées de maniÚre ou d'autre; et sûrement, ni la petite Volanges, ni la Présidente elle-mÃÂȘme, ne m'occuperont pas assez alors pour que je ne sois pas à vous autant que vous le désiriez. Peut-ÃÂȘtre mÃÂȘme, d'ici là , aurai-je déjà remis la petite fille aux mains de son discret Amant. Sans convenir, quoi que vous en disiez, que ce ne soit pas une jouissance attachante , comme j'ai le projet qu'elle garde de moi toute sa vie une idée supérieure à celle de tous les autres hommes, je me suis mis, avec elle, sur un ton que je ne pourrais soutenir longtemps sans altérer ma santé; et dÚs ce moment, je ne tiens plus à elle que par le soin qu'on doit aux affaires de famille... Vous ne m'entendez pas? C'est que j'attends une seconde époque pour confirmer mon espoir, et m'assurer que j'ai pleinement réussi dans mes projets. Oui, ma belle amie, j'ai déjà un premier indice que le mari de mon écoliÚre ne courra pas le risque de mourir sans postérité; et que le Chef de la maison de Gercourt ne sera à l'avenir qu'un Cadet de celle de Valmont. Mais laissez-moi finir, à ma fantaisie, cette aventure que je n'ai entreprise qu'à votre priÚre. Songez que si vous rendez Danceny inconstant, vous Îtez tout le piquant de cette histoire. Considérez enfin que, m'offrant pour le représenter auprÚs de vous, j'ai, ce me semble, quelques droits à la préférence. J'y compte si bien, que je n'ai pas craint de contrarier vos vues, en concourant moi-mÃÂȘme à augmenter la tendre passion du discret Amoureux, pour le premier et digne objet de son choix. Ayant donc trouvé hier votre Pupille occupée à lui écrire, et l'ayant dérangée d'abord de cette douce occupation pour une autre plus douce encore, je lui ai demandé, aprÚs, de voir sa Lettre; et comme je l'ai trouvée froide et contrainte, je lui ai fait sentir que ce n'était pas ainsi qu'elle consolerait son Amant, et je l'ai décidée à en écrire une autre sous ma dictée; oÃÂč, en imitant du mieux que j'ai pu son petit radotage, j'ai tùché de nourrir l'amour du jeune homme par un espoir plus certain. La petite personne était toute ravie, me disait-elle, de se trouver parler si bien; et dorénavant, je serai chargé de la correspondance. Que n'aurai-je pas fait pour ce Danceny? J'aurai été à la fois son ami, son confident, son rival et sa maÃtresse! Encore, en ce moment, je lui rends le service de le sauver de vos liens dangereux; oui, sans doute, dangereux, car vous posséder et vous perdre, c'est acheter un moment de bonheur par une éternité de regrets. Adieu, ma belle amie; ayez le courage de dépÃÂȘcher Belleroche le plus que vous pourrez. Laissez là Danceny, et préparez-vous à retrouver, et à me rendre, les délicieux plaisirs de notre premiÚre liaison. Je vous fais compliment sur le jugement prochain du grand procÚs. Je serai fort aise que cet heureux événement arrive sous mon rÚgne. Du Chùteau de ..., ce 19 octobre 17**. LETTRE CXVI LE CHEVALIER DANCENY A CECILE VOLANGES Madame de Merteuil est partie ce matin pour la campagne; ainsi, ma charmante Cécile, me voilà privé du seul plaisir qui me restait en votre absence, celui de parler de vous à votre amie et à la mienne. Depuis quelque temps, elle m'a permis de lui donner ce titre; et j'en ai profité avec d'autant plus d'empressement, qu'il me semblait, par là , me rapprocher de vous davantage. Mon Dieu! que cette femme est aimable et quel charme flatteur elle sait donner à l'amitié! Il semble que ce doux sentiment s'embellisse et se fortifie chez elle de tout ce qu'elle refuse à l'amour. Si vous saviez comme elle vous aime, comme elle se plaÃt à m'entendre lui parler de vous!... C'est là sans doute ce qui m'attache autant à elle. Quel bonheur de pouvoir vivre uniquement pour vous deux, de passer sans cesse des délices de l'amour aux douceurs de l'amitié, d'y consacrer toute mon existence, d'ÃÂȘtre en quelque sorte le point de réunion de votre attachement réciproque; et de sentir toujours que, m'occupant du bonheur de l'une, je travaillerais également à celui de l'autre! Aimez, aimez beaucoup, ma charmante amie, cette femme adorable. L'attachement que j'ai pour elle, donnez-y plus de prix encore, en le partageant. Depuis que j'ai goûté le charme de l'amitié, je désire que vous l'éprouviez à votre tour. Les plaisirs que je ne partage pas avec vous, il me semble n'en jouir qu'à moitié. Oui, ma Cécile, je voudrais entourer votre cÅ“ur de tous les sentiments les plus doux; que chacun de ses mouvements vous fÃt éprouver une sensation de bonheur; et je croirais encore ne pouvoir jamais vous rendre qu'une partie de la félicité que je tiendrais de vous. Pourquoi faut-il que ces projets charmants ne soient qu'une chimÚre de mon imagination, et que la réalité ne m'offre au contraire que des privations douloureuses et indéfinies? L'espoir que vous m'aviez donné de vous voir à cette campagne, je m'aperçois bien qu'il faut y renoncer. Je n'ai plus de consolation que celle de me persuader qu'en effet cela ne vous est pas possible. Et vous négligez de me le dire, de vous en affliger avec moi! Déjà , deux fois, mes plaintes à ce sujet sont restées sans réponse. Ah! Cécile! Cécile, je crois bien que vous m'aimez de toutes les facultés de votre ùme, mais votre ùme n'est pas brûlante comme la mienne! Que n'est-ce à moi à lever les obstacles? Pourquoi ne sont-ce pas mes intérÃÂȘts qu'il me faille ménager, au lieu des vÎtres? je saurais bientÎt vous prouver que rien n'est impossible à l'amour. Vous ne me mandez pas non plus quand doit finir cette absence cruelle au moins, ici, peut-ÃÂȘtre vous verrais-je. Vos charmants regards ranimeraient mon ùme abattue; leur touchante expression rassurerait mon cÅ“ur, qui quelquefois en a besoin. Pardon, ma Cécile; cette crainte n'est pas un soupçon. Je crois à votre amour, à votre constance. Ah! je serais trop malheureux, si j'en doutais. Mais tant d'obstacles! et toujours renouvelés! Mon amie, je suis triste, bien triste. Il semble que ce départ de Madame de Merteuil ait renouvelé en moi le sentiment de tous mes malheurs. Adieu, ma Cécile; adieu, ma bien-aimée. Songez que votre Amant s'afflige, et que vous pouvez seule lui rendre le bonheur. Paris, ce 17 octobre 17**. LETTRE CXVII CECILE VOLANGES AU CHEVALIER DANCENY DICTEE PAR VALMONT. Croyez-vous donc, mon bon ami, que j'aie besoin d'ÃÂȘtre grondée pour ÃÂȘtre triste, quand je sais que vous vous affligez? et doutez-vous que je ne souffre autant que vous de toutes vos peines? Je partage mÃÂȘme celles que je vous cause volontairement; et j'ai de plus que vous, de voir que vous ne me rendez pas justice. Oh! cela n'est pas bien. Je vois bien ce qui vous fùche; c'est que les deux derniÚres fois que vous m'avez demandé de venir ici je ne vous ai pas répondu à cela mais cette réponse est-elle donc si aisée à faire? Croyez-vous que je ne sache pas que ce que vous voulez est bien mal? Et pourtant, si j'ai déjà tant de peine à vous refuser de loin, que serait-ce donc si vous étiez là ? Et puis pour avoir voulu vous consoler un moment, je resterais affligée toute ma vie. Tenez, je n'ai rien de caché pour vous, moi voilà mes raisons, jugez vous- mÃÂȘme. J'aurais peut-ÃÂȘtre fait ce que vous voulez, sans ce que je vous ai mandé, que ce M. de Gercourt, qui cause tout notre chagrin, n'arrivera pas encore de sitÎt; et comme, depuis quelque temps, Maman me témoigne beaucoup plus d'amitié; comme, de mon cÎté, je la caresse le plus que je peux; qui sait ce que je pourrai obtenir d'elle? Et si nous pouvions ÃÂȘtre heureux sans que j'aie rien à me reprocher, est-ce que cela ne vaudrait pas bien mieux? Si j'en crois ce qu'on m'a dit souvent, les hommes mÃÂȘme n'aiment plus tant leurs femmes, quand elles les ont trop aimés avant de l'ÃÂȘtre. Cette crainte-là me retient encore plus que tout le reste. Mon ami, n'ÃÂȘtes-vous pas sûr de mon cÅ“ur, et ne sera-t-il pas toujours temps? Ecoutez, je vous promets que, si je ne peux pas éviter le malheur d'épouser M. de Gercourt, que je hais déjà tant avant de le connaÃtre, rien ne me retiendra plus pour ÃÂȘtre à vous autant que je pourrai, et mÃÂȘme avant tout. Comme je ne me soucie d'ÃÂȘtre aimée que de vous, et que vous verrez bien si je fais mal, il n'y aura pas de ma faute, le reste me sera bien égal; pourvu que vous me promettiez de m'aimer toujours autant que vous faites. Mais, mon ami, jusque-là , laissez-moi continuer comme je fais; et ne me demandez plus une chose que j'ai de bonnes raisons pour ne pas faire, et que pourtant il me fùche de vous refuser. Je voudrais bien aussi que M. de Valmont ne fût pas si pressant pour vous; cela ne sert qu'à me rendre plus chagrine encore. Oh! vous avez là un bien bon ami, je vous assure! Il fait tout comme vous feriez vous-mÃÂȘme. Mais adieu, mon cher ami; j'ai commencé bien tard à vous écrire, et j'y ai passé une partie de la nuit. Je vas me coucher et réparer le temps perdu. Je vous embrasse, mais ne me grondez plus. Du Chùteau de ..., ce 18 octobre 17**. LETTRE CXVIII LE CHEVALIER DANCENY A LA MARQUISE DE MERTEUIL Si j'en crois mon Almanach, il n'y a, mon adorable amie, que deux jours que vous ÃÂȘtes absente; mais si j'en crois mon cÅ“ur, il y a deux siÚcles. Or, je le tiens de vous-mÃÂȘme, c'est toujours son cÅ“ur qu'il faut croire; il est donc bien temps que vous reveniez, et toutes vos affaires doivent ÃÂȘtre plus que finies. Comment voulez-vous que je m'intéresse à votre procÚs, si, perte ou gain, j'en dois également payer les frais par l'ennui de votre absence? Oh! que j'aurais envie de quereller! et qu'il est triste, avec un si beau sujet d'avoir de l'humeur, de n'avoir pas le droit d'en montrer! N'est-ce pas cependant une véritable infidélité, une noire trahison, que de laisser votre ami loin de vous, aprÚs l'avoir accoutumé à ne pouvoir plus se passer de votre présence? Vous aurez beau consulter vos Avocats, ils ne vous trouveront pas de justification pour ce mauvais procédé et puis, ces gens-là ne disent que des raisons, et des raisons ne suffisent pas pour répondre à des sentiments. Pour moi, vous m'avez tant dit que c'était par raison que vous faisiez ce voyage, que vous m'avez tout à fait brouillé avec elle. Je ne veux plus du tout l'entendre; pas mÃÂȘme quand elle me dit de vous oublier. Cette raison-là est pourtant bien raisonnable; et au fait, cela ne serait pas si difficile que vous pourriez le croire. Il suffirait seulement de perdre l'habitude de penser toujours à vous, et rien ici, je vous assure, ne vous rappellerait à moi. Nos plus jolies femmes, celles qu'on dit les plus aimables, sont encore si loin de vous qu'elles ne pourraient en donner qu'une bien faible idée. Je crois mÃÂȘme qu'avec des yeux exercés, plus on a cru d'abord qu'elles vous ressemblaient, plus on y trouve aprÚs de différence elles ont beau faire, beau y mettre tout ce qu'elles savent, il leur manque toujours d'ÃÂȘtre vous, et c'est positivement là qu'est le charme. Malheureusement, quand les journées sont si longues, et qu'on est désoccupé, on rÃÂȘve, on fait des chùteaux en Espagne, on se crée sa chimÚre; peu à peu l'imagination s'exalte on veut embellir son ouvrage, on rassemble tout ce qui peut plaire, on arrive enfin à la perfection; et dÚs qu'on en est là , le portrait ramÚne au modÚle, et on est tout étonné de voir qu'on n'a fait que songer à vous. Dans ce moment mÃÂȘme, je suis encore la dupe d'une erreur à peu prÚs semblable. Vous croyez peut-ÃÂȘtre que c'était pour m'occuper de vous, que je me suis mis à vous écrire? point du tout c'était pour m'en distraire. J'avais cent choses à vous dire dont vous n'étiez pas l'objet, qui, comme vous savez, m'intéressent bien vivement; et ce sont celles-là pourtant dont j'ai été distrait. Et depuis quand le charme de l'amitié distrait-il donc de celui de l'amour? Ah! si j'y regardais de bien prÚs, peut-ÃÂȘtre aurais-je un petit reproche à me faire! Mais chut! oublions cette légÚre faute de peur d'y retomber; et que mon amie elle-mÃÂȘme l'ignore. Aussi pourquoi n'ÃÂȘtes-vous pas là pour me répondre, pour me ramener si je m'égare; pour me parler de ma Cécile, pour augmenter, s'il est possible, le bonheur que je goûte à l'aimer, par l'idée si douce que c'est votre amie que j'aime? Oui, je l'avoue, l'amour qu'elle m'inspire m'est devenu plus précieux encore, depuis que vous avez bien voulu en recevoir la confidence. J'aime tant à vous ouvrir mon cÅ“ur, à occuper le vÎtre de mes sentiments, à les y déposer sans réserve! il me semble que je les chéris davantage, à mesure que vous daignez les recueillir; et puis, je vous regarde et je me dis C'est en elle qu'est renfermé tout mon bonheur. Je n'ai rien de nouveau à vous apprendre sur ma situation. La derniÚre Lettre que j'ai reçue d'elle augmente et assure mon espoir, mais le retarde encore. Cependant ses motifs sont si tendres et si honnÃÂȘtes que je ne puis l'en blùmer ni m'en plaindre. Peut-ÃÂȘtre n'entendrez-vous pas trop bien ce que je vous dis là ; mais pourquoi n'ÃÂȘtes-vous pas ici? Quoiqu'on dise tout à son amie, on n'ose pas tout écrire. Les secrets de l'amour, surtout, sont si délicats qu'on ne peut les laisser aller ainsi sur leur bonne foi. Si quelquefois on leur permet de sortir, il ne faut pas au moins les perdre de vue; il faut en quelque sorte les voir entrer dans leur nouvel asile. Ah! revenez donc, mon adorable amie; vous voyez bien que votre retour est nécessaire. Oubliez enfin les mille raisons qui vous retiennent oÃÂč vous ÃÂȘtes, ou apprenez-moi à vivre oÃÂč vous n'ÃÂȘtes pas. J'ai l'honneur d'ÃÂȘtre, etc. Paris, ce 19 octobre 17**. LETTRE CXIX MADAME DE ROSEMONDE A LA PRESIDENTE DE TOURVEL Quoique je souffre encore beaucoup, ma chÚre Belle, j'essaie de vous écrire moi-mÃÂȘme, afin de pouvoir vous parler de ce qui vous intéresse. Mon neveu garde toujours sa misanthropie. Il envoie fort réguliÚrement savoir de mes nouvelles tous les jours; mais il n'est pas venu une fois s'en informer lui- mÃÂȘme, quoique je l'en aie fait prier en sorte que je ne le vois pas plus que s'il était à Paris. Je l'ai pourtant rencontré ce matin, oÃÂč je ne l'attendais guÚre. C'est dans ma Chapelle, oÃÂč je suis descendue pour la premiÚre fois depuis ma douloureuse incommodité. J'ai appris aujourd'hui que depuis quatre jours il y va réguliÚrement entendre la Messe. Dieu veuille que cela dure! Quand je suis entrée, il est venu à moi, et m'a félicitée fort affectueusement sur le meilleur état de ma santé. Comme la Messe commençait, j'ai abrégé la conversation, que je comptais bien reprendre aprÚs; mais il a disparu avant que j'aie pu le joindre. Je ne vous cacherai pas que je l'ai trouvé un peu changé. Mais, ma chÚre Belle, ne me faites pas repentir de ma confiance en votre raison, par des inquiétudes trop vives; et surtout soyez sûre que j'aimerais encore mieux vous affliger, que vous tromper. Si mon neveu continue à me tenir rigueur, je prendrai le parti, aussitÎt que je serai mieux, de l'aller voir dans sa chambre; et je tùcherai de pénétrer la cause de cette singuliÚre manie, dans laquelle je crois bien que vous ÃÂȘtes pour quelque chose. Je vous manderai ce que j'aurai appris. Je vous quitte, ne pouvant plus remuer les doigts et puis, si Adélaïde savait que j'ai écrit, elle me gronderait toute la soirée. Adieu, ma chÚre Belle. Du Chùteau de ..., ce 20 octobre 17**. LETTRE CXX LE VICOMTE DE VALMONT AU PERE ANSELME FEUILLANT DU COUVENT DE LA RUE SAINT-HONORE. Je n'ai pas l'honneur d'ÃÂȘtre connu de vous, Monsieur mais je sais la confiance entiÚre qu'a en vous Madame la Présidente de Tourvel, et je sais de plus combien cette confiance est dignement placée. Je crois donc pouvoir sans indiscrétion m'adresser à vous, pour en obtenir un service bien essentiel, vraiment digne de votre saint ministÚre, et oÃÂč l'intérÃÂȘt de Madame de Tourvel se trouve joint au mien. J'ai entre les mains des papiers importants qui la concernent, qui ne peuvent ÃÂȘtre confiés à personne, et que je ne dois ni ne veux remettre qu'entre ses mains. Je n'ai aucun moyen de l'en instruire, parce que des raisons, que peut- ÃÂȘtre vous aurez sues d'elle, mais dont je ne crois pas qu'il me soit permis de vous instruire, lui ont fait prendre le parti de refuser toute correspondance avec moi parti que j'avoue volontiers aujourd'hui ne pouvoir blùmer, puisqu'elle ne pouvait prévoir des événements auxquels j'étais moi-mÃÂȘme bien loin de m'attendre, et qui n'étaient possibles qu'à la force plus qu'humaine qu'on est forcé d'y reconnaÃtre. Je vous prie donc, Monsieur, de vouloir bien l'informer de mes nouvelles résolutions, et de lui demander pour moi une entrevue particuliÚre, oÃÂč je puisse au moins réparer, en partie, mes torts par mes excuses; et, pour dernier sacrifice, anéantir à ses yeux les seules traces existantes d'une erreur ou d'une faute qui m'avait rendu coupable envers elle. Ce ne sera qu'aprÚs cette expiation préliminaire, que j'oserai déposer à vos pieds l'humiliant aveu de mes longs égarements; et implorer votre médiation pour une réconciliation bien plus importante encore, et malheureusement plus difficile. Puis-je espérer, Monsieur, que vous ne me refuserez pas des soins si nécessaires et si précieux? et que vous daignerez soutenir ma faiblesse, et guider mes pas dans un sentier nouveau, que je désire bien ardemment de suivre, mais que j'avoue en rougissant ne pas connaÃtre encore? J'attends votre réponse avec l'impatience du repentir qui désire de réparer, et je vous prie de me croire avec autant de reconnaissance que de vénération. Votre trÚs humble, etc. Je vous autorise, Monsieur, au cas que vous le jugiez convenable, à communiquer cette Lettre en entier à Madame de Tourvel, que je me ferai toute ma vie un devoir de respecter, et en qui je ne cesserai jamais d'honorer celle dont le Ciel s'est servi pour ramener mon ùme à la vertu, par le touchant spectacle de la sienne. Du Chùteau de ..., ce 22 octobre 17** LETTRE CXXI LA MARQUISE DE MERTEUIL AU CHEVALIER DANCENY J'ai reçu votre Lettre, mon trop jeune ami; mais avant de vous remercier, il faut que je vous gronde, et je vous préviens que si vous ne vous corrigez pas, vous n'aurez plus de réponse de moi. Quittez donc, si vous m'en croyez, ce ton de cajolerie, qui n'est plus que du jargon, dÚs qu'il n'est pas l'expression de l'amour. Est-ce donc là le style de l'amitié? non, mon ami, chaque sentiment a son langage qui lui convient; et se servir d'un autre, c'est déguiser la pensée que l'on exprime. Je sais bien que nos petites femmes n'entendent rien de ce qu'on peut leur dire, s'il n'est traduit, en quelque sorte, dans ce jargon d'usage; mais je croyais mériter, je l'avoue, que vous me distinguassiez d'elles. Je suis vraiment fùchée, et peut-ÃÂȘtre plus que je ne devrais l'ÃÂȘtre, que vous m'ayez si mal jugée. Vous ne trouverez donc dans ma Lettre que ce qui manque à la vÎtre, franchise et simplesse. Je vous dirai bien, par exemple, que j'aurais grand plaisir à vous voir, et que je suis contrariée de n'avoir auprÚs de moi que des gens qui m'ennuient, au lieu de gens qui me plaisent; mais vous, cette mÃÂȘme phrase, vous la traduisez ainsi Apprenez-moi à vivre oÃÂč vous n'ÃÂȘtes pas ; en sorte que quand vous serez, je suppose, auprÚs de votre MaÃtresse, vous ne sauriez pas y vivre que je n'y sois en tiers. Quelle pitié! et ces femmes, à qui il manque toujours d'ÃÂȘtre moi , vous trouvez peut-ÃÂȘtre aussi que cela manque à votre Cécile! voilà pourtant oÃÂč conduit un langage qui, par l'abus qu'on en fait aujourd'hui, est encore au-dessous du jargon des compliments, et ne devient plus qu'un simple protocole, auquel on ne croit pas davantage qu'au trÚs humble serviteur! Mon ami, quand vous m'écrivez, que ce soit pour me dire votre façon de penser et de sentir, et non pour m'envoyer des phrases que je trouverai, sans vous, plus ou moins bien dites dans le premier Roman du jour. J'espÚre que vous ne vous fùcherez pas de ce que je vous dis là , quand mÃÂȘme vous y verriez un peu d'humeur; car je ne nie pas d'en avoir mais pour éviter jusqu'à l'air du défaut que je vous reproche, je ne vous dirai pas que cette humeur est peut-ÃÂȘtre un peu augmentée par l'éloignement oÃÂč je suis de vous. Il me semble qu'à tout prendre vous valez mieux qu'un procÚs et deux Avocats, et peut-ÃÂȘtre mÃÂȘme encore que l'attentif Belleroche. Vous voyez qu'au lieu de vous désoler de mon absence, vous devriez vous en féliciter; car jamais je ne vous avais fait un aussi beau compliment. Je crois que l'exemple me gagne, et que je veux vous dire aussi des cajoleries mais non, j'aime mieux m'en tenir à ma franchise; c'est donc elle seule qui vous assure de ma tendre amitié, et de l'intérÃÂȘt qu'elle m'inspire. Il est fort doux d'avoir un jeune ami, dont le cÅ“ur est occupé ailleurs. Ce n'est pas là le systÚme de toutes les femmes; mais c'est le mien. Il me semble qu'on se livre, avec plus de plaisir, à un sentiment dont on ne peut rien avoir à craindre aussi j'ai passé pour vous, d'assez bonne heure peut-ÃÂȘtre, au rÎle de confidente. Mais vous choisissez vos MaÃtresses si jeunes, que vous m'avez fait apercevoir pour la premiÚre fois que je commence à ÃÂȘtre vieille! C'est bien fait à vous de vous préparer ainsi une longue carriÚre de constance, et je vous souhaite de tout mon cÅ“ur qu'elle soit réciproque. Vous avez raison de vous rendre aux motifs tendres et honnÃÂȘtes qui, à ce que vous me mandez, retardent votre bonheur . La longue défense est le seul mérite qui reste à celles qui ne résistent pas toujours; et ce que je trouverais impardonnable à toute autre qu'à un enfant comme la petite Volanges, serait de ne pas savoir fuir un danger dont elle a été suffisamment avertie par l'aveu qu'elle a fait de son amour. Vous autres hommes, vous n'avez pas d'idées de ce qu'est la vertu, et de ce qu'il en coûte pour la sacrifier! Mais pour peu qu'une femme raisonne, elle doit savoir qu'indépendamment de la faute qu'elle commet, une faiblesse est pour elle le plus grand des malheurs; et je ne conçois pas qu'aucune s'y laisse jamais prendre, quand elle peut avoir un moment pour y réfléchir. N'allez pas combattre cette idée, car c'est elle qui m'attache principalement à vous. Vous me sauverez des dangers de l'amour; et quoique j'aie bien su sans vous m'en défendre jusqu'à présent, je consens à en avoir de la reconnaissance, et je vous en aimerai mieux et davantage. Sur ce, mon cher Chevalier, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde. Du Chùteau de ..., ce 22 octobre 17**. LETTRE CXXII MADAME DE ROSEMONDE A LA PRESIDENTE DE TOURVEL J'espérais, mon aimable fille, pouvoir enfin calmer vos inquiétudes, et je vois au contraire avec chagrin que je vais les augmenter encore! Calmez-vous cependant; mon neveu n'est pas en danger on ne peut pas mÃÂȘme dire qu'il soit réellement malade. Mais il se passe sûrement en lui quelque chose d'extraordinaire. Je n'y comprends rien; mais je suis sortie de sa chambre avec un sentiment de tristesse, peut-ÃÂȘtre mÃÂȘme d'effroi, que je me reproche de vous faire partager, et dont cependant je ne puis m'empÃÂȘcher de causer avec vous. Voici le récit de ce qui s'est passé vous pouvez ÃÂȘtre sûre qu'il est fidÚle; car je vivrais quatre-vingts autres années, que je n'oublierais pas l'impression que m'a faite cette triste scÚne. J'ai donc été ce matin chez mon neveu; je l'ai trouvé écrivant, et entouré de différents tas de papiers, qui avaient l'air d'ÃÂȘtre l'objet de son travail. Il s'en occupait au point que j'étais déjà au milieu de sa chambre qu'il n'avait pas encore tourné la tÃÂȘte pour savoir qui entrait. AussitÎt qu'il m'a aperçue, j'ai trÚs bien remarqué qu'en se levant, il s'efforçait de composer sa figure, et peut-ÃÂȘtre mÃÂȘme est-ce là ce qui m'y a fait faire plus d'attention. Il était, à la vérité, sans toilette et sans poudre; mais je l'ai trouvé pùle et défait, et ayant surtout la physionomie altérée. Son regard que nous avons vu si vif et si gai, était triste et abattu; enfin, soit dit entre nous, je n'aurais pas voulu que vous le vissiez ainsi car il avait l'air trÚs touchant et trÚs propre, à ce que je crois, à inspirer cette tendre pitié qui est un des plus dangereux piÚges de l'amour. Quoique frappée de mes remarques, j'ai pourtant commencé la conversation comme si je ne m'étais aperçue de rien. Je lui ai d'abord parlé de sa santé, et sans me dire qu'elle soit bonne, il ne m'a point articulé pourtant qu'elle fût mauvaise. Alors je me suis plainte de sa retraite, qui avait un peu l'air d'une manie, et je tùchais de mÃÂȘler un peu de gaieté à ma petite réprimande; mais lui m'a répondu seulement, d'un ton pénétré " C'est un tort de plus, je l'avoue; mais il sera réparé avec les autres. " Son air, plus encore que ses discours, a un peu dérangé mon enjouement, et je me suis hùtée de lui dire qu'il mettait trop d'importance à un simple reproche de l'amitié. Nous nous sommes donc remis à causer tranquillement. Il m'a dit, peu de temps aprÚs, que peut-ÃÂȘtre une affaire, la plus grande affaire de sa vie, le rappellerait bientÎt à Paris mais comme j'avais peur de la deviner, ma chÚre Belle, et que ce début ne me menùt à une confidence dont je ne voulais pas, je ne lui ai fait aucune question, et je me suis contentée de lui répondre que plus de dissipation serait utile à sa santé. J'ai ajouté que, pour cette fois, je ne lui ferais aucune instance, aimant mes amis pour eux-mÃÂȘmes; c'est à cette phrase si simple, que serrant mes mains, et parlant avec une véhémence que je ne puis vous rendre " Oui, ma tante, m'a-t-il dit, aimez, aimez beaucoup un neveu qui vous respecte et vous chérit; et, comme vous dites, aimez-le pour lui-mÃÂȘme. Ne vous affligez pas de son bonheur, et ne troublez, par aucun regret, l'éternelle tranquillité dont il espÚre jouir bientÎt. Répétez-moi que vous m'aimez, que vous me pardonnez; oui, vous me pardonnerez; je connais votre bonté mais comment espérer la mÃÂȘme indulgence de ceux que j'ai tant offensés? " Alors il s'est baissé sur moi, pour me cacher, je crois, des marques de douleur, que le son de sa voix me décelait malgré lui. Emue plus que je ne puis vous dire, je me suis levée précipitamment; et sans doute il a remarqué mon effroi; car sur-le-champ, se composant davantage " Pardon, a-t-il repris; pardon, Madame, je sens que je m'égare malgré moi. Je vous prie d'oublier mes discours, et de vous souvenir seulement de mon profond respect. Je ne manquerai pas, a-t-il ajouté, d'aller vous en renouveler l'hommage avant mon départ. " Il m'a semblé que cette derniÚre phrase m'engageait à terminer ma visite; et je me suis en allée, en effet. Mais plus j'y réfléchis, et moins je devine ce qu'il a voulu dire. Quelle est cette affaire, la plus grande de sa vie ? à quel sujet me demande-t-il pardon? d'oÃÂč lui est venu cet attendrissement, involontaire en me parlant? Je me suis déjà fait ces questions mille fois, sans pouvoir y répondre. Je ne vois mÃÂȘme rien là qui ait rapport à vous cependant, comme les yeux de l'amour sont plus clairvoyants que ceux de l'amitié, je n'ai voulu vous laisser rien ignorer de ce qui s'est passé entre mon neveu et moi. Je me suis reprise à quatre fois pour écrire cette longue Lettre, que je ferais plus longue encore, sans la fatigue que je ressens. Adieu, ma chÚre Belle. Du Chùteau de ..., ce 25 octobre 17**. LETTRE CXXIII LE PERE ANSELME AU VICOMTE DE VALMONT J'ai reçu, Monsieur le Vicomte, la Lettre dont vous m'avez honoré; et dÚs hier, je me suis transporté, suivant vos désirs, chez la personne en question. Je lui ai exposé l'objet et les motifs de la démarche que vous demandiez de faire auprÚs d'elle. Quelque attachée que je l'aie trouvée au parti sage qu'elle avait pris d'abord, sur ce que je lui ai remontré qu'elle risquait peut-ÃÂȘtre par son refus de mettre obstacle à votre heureux retour, et de s'opposer ainsi, en quelque sorte, aux vues miséricordieuses de la Providence, elle a consenti à recevoir votre visite, à condition toutefois que ce sera la derniÚre, et m'a chargé de vous annoncer qu'elle serait chez elle Jeudi prochain, 28. Si ce jour ne pouvait pas vous convenir, vous voudrez bien l'en informer et lui en indiquer un autre. Votre Lettre sera reçue. Cependant, Monsieur le Vicomte, permettez-moi de vous inviter à ne pas différer sans de fortes raisons, afin de pouvoir vous livrer plus tÎt et plus entiÚrement aux dispositions louables que vous me témoignez. Songez que celui qui tarde à profiter du moment de la grùce s'expose à ce qu'elle lui soit retirée; que si la bonté divine est infinie, l'usage en est pourtant réglé par la justice; et qu'il peut venir un moment oÃÂč le Dieu de miséricorde se change en un Dieu de vengeance. Si vous continuez à m'honorer de votre confiance, je vous prie de croire que tous mes soins vous seront acquis, aussitÎt que vous le désirerez quelques grandes que soient mes occupations, mon affaire la plus importante sera toujours de remplir les devoirs du saint MinistÚre, auquel je me suis particuliÚrement dévoué; et le moment le plus beau de ma vie, celui oÃÂč je verrai mes efforts prospérer par la bénédiction du Tout-Puissant. Faibles pécheurs que nous sommes, nous ne pouvons rien par nous-mÃÂȘmes! Mais le Dieu qui vous rappelle peut tout; et nous devrons également à sa bonté, vous, le désir constant de vous rejoindre à lui, et moi, les moyens de vous y conduire. C'est avec son secours que j'espÚre vous convaincre bientÎt que la Religion sainte peut donner seule, mÃÂȘme en ce monde, le bonheur solide et durable qu'on cherche vainement dans l'aveuglement des passions humaines. J'ai l'honneur d'ÃÂȘtre, avec une respectueuse considération, etc. Paris, ce 25 octobre 17**. LETTRE CXXIV LA PRESIDENTE DE TOURVEL A MADAME DE ROSEMONDE Au milieu de l'étonnement oÃÂč m'a jetée, Madame, la nouvelle que j'ai apprise hier, je n'oublie pas la satisfaction qu'elle doit vous causer, et je me hùte de vous en faire part. M. de Valmont ne s'occupe plus ni de moi ni de son amour; et ne veut plus que réparer, par une vie plus édifiante, les fautes ou plutÎt les erreurs de sa jeunesse. J'ai été informée de ce grand événement par le PÚre Anselme, auquel il s'est adressé pour le diriger à l'avenir, et aussi pour lui ménager une entrevue avec moi, dont je juge que l'objet principal est de me rendre mes Lettres qu'il avait gardées jusqu'ici, malgré la demande contraire que je lui en avais faite. Je ne puis, sans doute, qu'applaudir à cet heureux changement, et m'en féliciter, si, comme il le dit, j'ai pu y concourir en quelque chose. Mais pourquoi fallait-il que j'en fusse l'instrument, et qu'il m'en coûtùt le repos de ma vie? Le bonheur de M. de Valmont ne pouvait-il arriver jamais que par mon infortune? Oh! mon indulgente amie, pardonnez-moi cette plainte. Je sais qu'il ne m'appartient pas de sonder les décrets de Dieu; mais tandis que je lui demande sans cesse, et toujours vainement, la force de vaincre mon malheureux amour, il la prodigue à celui qui ne la lui demandait pas, et me laisse, sans secours, entiÚrement livrée à ma faiblesse. Mais étouffons ce coupable murmure. Ne sais-je pas que l'Enfant prodigue, à son retour, obtint plus de grùces de son pÚre que le fils qui ne s'était jamais absenté? Quel compte avons-nous à demander à celui qui ne nous doit rien? Et quand il serait possible que nous eussions quelques droits auprÚs de lui, quels pourraient ÃÂȘtre les miens? Me vanterais-je d'une sagesse que déjà je ne dois qu'à Valmont? Il m'a sauvée, et j'oserais me plaindre en souffrant pour lui! Non mes souffrances me seront chÚres, si son bonheur en est le prix. Sans doute il fallait qu'il revÃnt à son tour au PÚre commun. Le Dieu qui l'a formé devait chérir son ouvrage. Il n'avait point créé cet ÃÂȘtre charmant, pour n'en faire qu'un réprouvé. C'est à moi de porter la peine de mon audacieuse imprudence; ne devais-je pas sentir que, puisqu'il m'était défendu de l'aimer, je ne devais pas me permettre de le voir? Ma faute ou mon malheur est de m'ÃÂȘtre refusée trop longtemps à cette vérité. Vous m'ÃÂȘtes témoin, ma chÚre et digne amie, que je me suis soumise à ce sacrifice, aussitÎt que j'en ai reconnu la nécessité mais, pour qu'il fût entier, il y manquait que M. de Valmont ne le partageùt point. Vous avouerai-je que cette idée est à présent ce qui me tourmente le plus? Insupportable orgueil, qui adoucit les maux que nous éprouvons par ceux que nous faisons souffrir! Ah! je vaincrai ce cÅ“ur rebelle, je l'accoutumerai aux humiliations. C'est surtout pour y parvenir que j'ai enfin consenti à recevoir Jeudi prochain la pénible visite de M. de Valmont. Là , je l'entendrai me dire lui-mÃÂȘme que je ne lui suis plus rien, que l'impression faible et passagÚre que j'avais faite sur lui est entiÚrement effacée! Je verrai ses regards se porter sur moi, sans émotion, tandis que la crainte de déceler la mienne me fera baisser les yeux. Ces mÃÂȘmes Lettres qu'il refusa si longtemps à mes demandes réitérées, je les recevrai de son indifférence; il me les remettra comme des objets inutiles, et qui ne l'intéressent plus; et mes mains tremblantes, en recevant ce dépÎt honteux, sentiront qu'il leur est remis d'une main ferme et tranquille! Enfin, je le verrai s'éloigner... s'éloigner pour jamais, et mes regards, qui le suivront ne verront pas les siens se retourner sur moi! Et j'étais réservée à tant d'humiliations! Ah! que du moins je me la rende utile, en me pénétrant par elle du sentiment de ma faiblesse. Oui, ces Lettres qu'il ne se soucie plus de garder, je les conserverai précieusement. Je m'imposerai la honte de les relire chaque jour, jusqu'à ce que mes larmes en aient effacé les derniÚres traces; et les siennes, je les brûlerai comme infectées du poison dangereux qui a corrompu mon ùme. Oh! qu'est-ce donc que l'amour, s'il nous fait regretter jusqu'aux dangers auxquels il nous expose; si surtout on peut craindre de le ressentir encore, mÃÂȘme alors qu'on ne l'inspire plus! Fuyons cette passion funeste, qui ne laisse de choix qu'entre la honte et le malheur, et souvent mÃÂȘme les réunit tous deux, et qu'au moins la prudence remplace la vertu. Que ce Jeudi est encore loin! que ne puis-je consommer à l'instant ce douloureux sacrifice, et en oublier à la fois et la cause et l'objet! Cette visite m'importune; je me repens d'avoir promis. Hé! qu'a-t-il besoin de me revoir encore? que sommes-nous à présent l'un à l'autre? S'il m'a offensée, je le lui pardonne. Je le félicite mÃÂȘme de vouloir réparer ses torts; je l'en loue. Je ferai plus, je l'imiterai; et séduite par les mÃÂȘmes erreurs, son exemple me ramÚnera. Mais quand son projet est de me fuir, pourquoi commencer par me chercher? Le plus pressé pour chacun de nous n'est-il pas d'oublier l'autre? Ah! sans doute, et ce sera dorénavant mon unique soin. Si vous le permettez, mon aimable amie, ce sera auprÚs de vous que j'irai m'occuper de ce travail difficile. Si j'ai besoin de secours, peut-ÃÂȘtre mÃÂȘme de consolation, je n'en veux recevoir que de vous. Vous seule savez m'entendre et parler à mon cÅ“ur. Votre précieuse amitié remplira toute mon existence. Rien ne me paraÃtra difficile pour seconder les soins que vous voudrez bien vous donner. Je vous devrai ma tranquillité, mon bonheur, ma vertu; et le fruit de vos bontés pour moi sera de m'en avoir enfin rendue digne. Je me suis, je crois, beaucoup égarée dans cette Lettre; je le présume au moins par le trouble oÃÂč je n'ai pas cessé d'ÃÂȘtre en vous écrivant. S'il s'y trouvait quelques sentiments dont j'aie à rougir, couvrez-les de votre indulgente amitié. Je m'en remets entiÚrement à elle. Ce n'est pas à vous que je veux dérober aucun des mouvements de mon cÅ“ur. Adieu, ma respectable amie. J'espÚre, sous peu de jours, vous annoncer celui de mon arrivée. Paris, ce 25 octobre 17**. QUATRIEME PARTIE LETTRE CXXV LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL La voilà donc vaincue, cette femme superbe qui avait osé croire qu'elle pourrait me résister! Oui, mon amie, elle est à moi, entiÚrement à moi; et depuis hier, elle n'a plus rien à m'accorder. Je suis encore trop plein de mon bonheur, pour pouvoir l'apprécier, mais je m'étonne du charme inconnu que j'ai ressenti. Serait-il donc vrai que la vertu augmentùt le prix d'une femme, jusque dans le moment mÃÂȘme de sa faiblesse? Mais reléguons cette idée puérile avec les contes de bonnes femmes. Ne rencontre-t-on pas presque partout une résistance plus ou moins bien feinte au premier triomphe? et ai-je trouvé nulle part le charme dont je parle? ce n'est pourtant pas non plus celui de l'amour; car enfin, si j'ai eu quelquefois auprÚs de cette femme étonnante des moments de faiblesse qui ressemblaient à cette passion pusillanime, j'ai toujours su les vaincre et revenir à mes principes. Quand mÃÂȘme la scÚne d'hier m'aurait, comme je le crois, emporté un peu plus loin que je ne comptais; quand j'aurais, un moment, partagé le trouble et l'ivresse que je faisais naÃtre cette illusion passagÚre serait dissipée à présent; et cependant le mÃÂȘme charme subsiste. J'aurais mÃÂȘme, je l'avoue, un plaisir assez doux à m'y livrer, s'il ne me causait quelque inquiétude. Serai-je donc, à mon ùge, maÃtrisé comme un écolier, par un sentiment involontaire et inconnu? Non il faut, avant tout, le combattre et l'approfondir. Peut-ÃÂȘtre, au reste, en ai-je déjà entrevu la cause! Je me plais au moins dans cette idée, et je voudrais qu'elle fût vraie. Dans la foule des femmes auprÚs desquelles j'ai rempli jusqu'à ce jour le rÎle et les fonctions d'Amant, je n'en avais encore rencontré aucune qui n'eût, au moins, autant d'envie de se rendre que j'en avais de l'y déterminer; je m'étais mÃÂȘme accoutumé à appeler prudes celles qui ne faisaient que la moitié du chemin, par opposition à tant d'autres, dont la défense provocante ne couvre jamais qu'imparfaitement les premiÚres avances qu'elles ont faites. Ici, au contraire, j'ai trouvé une premiÚre prévention défavorable et fondée depuis sur les conseils et les rapports d'une femme haineuse, mais clairvoyante; une timidité naturelle et extrÃÂȘme, que fortifiait une pudeur éclairée; un attachement à la vertu, que la Religion dirigeait, et qui comptait déjà deux années de triomphe, enfin des démarches éclatantes, inspirées par ces différents motifs et qui toutes n'avaient pour but que de se soustraire à mes poursuites. Ce n'est donc pas, comme dans mes autres aventures, une simple capitulation plus ou moins avantageuse, et dont il est plus facile de profiter que de s'enorgueillir; c'est une victoire complÚte, achetée par une campagne pénible, et décidée par de savantes manÅ“uvres. Il n'est donc pas surprenant que ce succÚs, dû à moi seul, m'en devienne plus précieux; et le surcroÃt de plaisir que j'ai éprouvé dans mon triomphe, et que je ressens encore, n'est que la douce impression du sentiment de la gloire. Je chéris cette façon de voir, qui me sauve l'humiliation de penser que je puisse dépendre en quelque maniÚre de l'esclave mÃÂȘme que je me serais asservie; que je n'aie pas en moi seul la plénitude de mon bonheur; et que la faculté de m'en faire jouir dans toute son énergie soit réservée à telle ou telle femme, exclusivement à toute autre. Ces réflexions sensées régleront ma conduite dans cette importante occasion; et vous pouvez ÃÂȘtre sûre que je ne me laisserai pas tellement enchaÃner, que je ne puisse toujours briser ces nouveaux liens, en me jouant et à ma volonté. Mais déjà je vous parle de ma rupture; et vous ignorez encore par quels moyens j'en ai acquis le droit; lisez donc, et voyez à quoi s'expose la sagesse, en essayant de secourir la folie. J'étudiais si attentivement mes discours et les réponses que j'obtenais, que j'espÚre vous rendre les uns et les autres avec une exactitude dont vous serez contente. Vous verrez par les deux copies des Lettres ci-jointes, quel médiateur j'avais choisi pour me rapprocher de ma Belle, et avec quel zÚle le saint personnage s'est employé pour nous réunir. Ce qu'il faut vous dire encore, et que j'avais appris par une Lettre interceptée suivant l'usage, c'est que la crainte et la petite humiliation d'ÃÂȘtre quittée avaient un peu dérangé la pruderie de l'austÚre Dévote; et avaient rempli son cÅ“ur et sa tÃÂȘte de sentiments et d'idées, qui, pour n'avoir pas le sens commun, n'en étaient pas moins intéressants. C'est aprÚs ces préliminaires, nécessaires à savoir, qu'hier Jeudi 28, jour préfix et donné par l'ingrate, je me suis présenté chez elle en esclave timide et repentant, pour en sortir en vainqueur couronné. Il était six heures du soir quand j'arrivai chez la belle Recluse, car depuis son retour, sa porte était restée fermée à tout le monde. Elle essaya de se lever quand on m'annonça; mais ses genoux tremblants ne lui permirent pas de rester dans cette situation elle se rassit sur-le-champ. Comme le Domestique qui m'avait introduit eut quelque service à faire dans l'appartement, elle en parut impatientée. Nous remplÃmes cet intervalle par les compliments d'usage. Mais pour ne rien perdre d'un temps dont tous les moments étaient précieux, j'examinais soigneusement le local; et dÚs lors, je marquai de l'oeil le théùtre de ma victoire. J'aurais pu en choisir un plus commode car, dans cette mÃÂȘme chambre, il se trouvait une ottomane. Mais je remarquai qu'en face d'elle était un portrait du mari; et j'eus peur, je l'avoue, qu'avec une femme si singuliÚre, un seul regard que le hasard dirigerait de ce cÎté ne détruisÃt en un moment l'ouvrage de tant de soins. Enfin, nous restùmes seuls et j'entrai en matiÚre. AprÚs avoir exposé, en peu de mots, que le PÚre Anselme l'avait dû informer des motifs de ma visite, je me suis plaint du traitement rigoureux que j'avais éprouvé; et j'ai particuliÚrement appuyé sur le mépris qu'on m'avait témoigné. On s'en est défendu, comme je m'y attendais; et, comme vous vous y attendiez bien aussi, j'en ai fondé la preuve sur la méfiance et l'effroi que j'avais inspirés, sur la fuite scandaleuse qui s'en était suivie, le refus de répondre à mes Lettres, celui mÃÂȘme de les recevoir, etc. Comme on commençait une justification qui aurait été bien facile, j'ai cru devoir l'interrompre; et pour me faire pardonner cette maniÚre brusque je l'ai couverte aussitÎt par une cajolerie. - " Si tant de charmes, ai-je donc repris, ont fait sur mon cÅ“ur une impression si profonde, tant de vertus n'en ont pas moins fait sur mon ùme. Séduit, sans doute, par le désir de m'en rapprocher, j'avais osé m'en croire digne. Je ne vous reproche point d'en avoir jugé autrement; mais je me punis de mon erreur. " Comme on gardait le silence de l'embarras, j'ai continué. - " J ai désiré, Madame, ou de me justifier à vos yeux, ou d'obtenir de vous le pardon des torts que vous me supposez; afin de pouvoir au moins terminer, avec quelque tranquillité, des jours auxquels je n'attache plus de prix, depuis que vous avez refusé de les embellir. " Ici, on a pourtant essayé de répondre. - " Mon devoir ne me permettait pas... " - Et la difficulté d'achever le mensonge que le devoir exigeait n'a pas permis de finir la phrase. J'ai donc repris du ton le plus tendre - " Il est donc vrai que c'est moi que vous avez fui? - Ce départ était nécessaire. - Et que vous m'éloignez de vous? - Il le faut. - Et pour toujours? - Je le dois. " Je n'ai pas besoin de vous dire que pendant ce court dialogue, la voix de la tendre Prude était oppressée, et que ses yeux ne s'élevaient pas jusqu'à moi. Je jugeai devoir animer un peu cette scÚne languissante; ainsi, me levant avec l'air du dépit " Votre fermeté, dis-je alors, me rend toute la mienne. Hé bien! oui, Madame, nous serons séparés, séparés mÃÂȘme plus que vous ne pensez et vous vous féliciterez à loisir de votre ouvrage. " Un peu surprise de ce ton de reproche, elle voulut répliquer. - " La résolution que vous avez prise... , dit- elle, - n'est que l'effet de mon désespoir, repris-je avec emportement. Vous avez voulu que je sois malheureux; je vous prouverai que vous avez réussi au-delà de vos souhaits. - Je désire votre bonheur " , répondit-elle. Et le son de sa voix commençait à annoncer une émotion assez forte. Aussi me précipitant à ses genoux, et du ton dramatique que vous me connaissez - " Ah! cruelle, me suis-je écrié, peut-il exister pour moi un bonheur que vous ne partagiez pas? OÃÂč donc le trouver loin de vous? Ah! jamais! jamais! " J'avoue qu'en me livrant à ce point j'avais beaucoup compté sur le secours des larmes mais soit mauvaise disposition, soit peut-ÃÂȘtre seulement l'effet de l'attention pénible et continuelle que je mettais à tout, il me fut impossible de pleurer. Par bonheur je me ressouvins que pour subjuguer une femme tout moyen était également bon; et qu'il suffisait de l'étonner par un grand mouvement, pour que l'impression en restùt profonde et favorable. Je suppléai donc, par la terreur, à la sensibilité qui se trouvait en défaut; et pour cela, changeant seulement l'inflexion de ma voix, et gardant la mÃÂȘme posture - " Oui, continuai-je, j'en fais le serment à vos pieds, vous posséder ou mourir. " En prononçant ces derniÚres paroles, nos regards se rencontrÚrent. Je ne sais ce que la timide personne vit ou crut voir dans les miens, mais elle se leva d'un air effrayé, et s'échappa de mes bras dont je l'avais entourée. Il est vrai que je ne fis rien pour la retenir; car j'avais remarqué plusieurs fois que les scÚnes de désespoir menées trop vivement tombaient dans le ridicule dÚs qu'elles devenaient longues, ou ne laissaient que des ressources vraiment tragiques et que j'étais fort éloigné de vouloir prendre. Cependant, tandis qu'elle se dérobait à moi, j'ajoutai d'un ton bas et sinistre, mais de façon qu'elle pût m'entendre - " Hé bien! la mort! " Je me relevai alors; et gardant un moment le silence, je jetais sur elle, comme au hasard, des regards farouches qui, pour avoir l'air d'ÃÂȘtre égarés, n'en étaient pas moins clairvoyants et observateurs. Le maintien mal assuré, la respiration haute, la contraction de tous les muscles, les bras tremblants, et à demi élevés, tout me prouvait assez que l'effet était tel que j'avais voulu le produire; mais, comme en amour rien ne se finit que de trÚs prÚs, et que nous étions alors assez loin l'un de l'autre, il fallait avant tout se rapprocher. Ce fut pour y parvenir que je passai le plus tÎt possible à une apparente tranquillité, propre à calmer les effets de cet état violent, sans en affaiblir l'impression. Ma transition fut " Je suis bien malheureux. J'ai voulu vivre pour votre bonheur, et je l'ai troublé. Je me dévoue pour votre tranquillité, et je la trouble encore. " Ensuite d'un air composé, mais contraint - " Pardon, Madame; peu accoutumé aux orages des passions, je sais mal en réprimer les mouvements. Si j'ai eu tort de m'y livrer, songez au moins que c'est pour la derniÚre fois. Ah! calmez-vous, calmez-vous, je vous en conjure. " Et pendant ce long discours je me rapprochais insensiblement. - " Si vous voulez que je me calme, répondit la Belle effarouchée, vous-mÃÂȘme soyez donc plus tranquille. - Hé bien! oui, je vous le promets " , lui dis-je. J'ajoutai d'une voix plus faible - " Si l'effort est grand, au moins ne doit-il pas ÃÂȘtre long. Mais, repris-je aussitÎt d'un air égaré, je suis venu, n'est-il pas vrai, pour vous rendre vos Lettres? De grùce, daignez les reprendre. Ce douloureux sacrifice me reste à faire ne me laissez rien qui puisse affaiblir mon courage. " Et tirant de ma poche le précieux recueil - " Le voilà , dis-je, ce dépÎt trompeur des assurances de votre amitié! Il m'attachait à la vie, reprenez-le. Donnez ainsi vous-mÃÂȘme le signal qui doit me séparer de vous pour jamais. " Ici l'Amante craintive céda entiÚrement à sa tendre inquiétude. - " Mais, Monsieur de Valmont, qu'avez-vous, et que voulez-vous dire? la démarche que vous faites aujourd'hui n'est-elle pas volontaire? n'est-ce pas le fruit de vos propres réflexions? et ne sont-ce pas elles qui vous ont fait approuver vous-mÃÂȘme le parti nécessaire que j'ai suivi par devoir? - Hé bien, ai-je repris, ce parti a décidé le mien. - Et quel est-il? - Le seul qui puisse, en me séparant de vous, mettre un terme à mes peines. - Mais, répondez-moi, quel est-il? " Là , je la pressai de mes bras, sans qu'elle se défendÃt aucunement; et jugeant par cet oubli des bienséances combien l'émotion était forte et puissante - " Femme adorable, lui dis-je en risquant l'enthousiasme, vous n'avez pas d'idée de l'amour que vous inspirez; vous ne saurez jamais jusqu'à quel point vous fûtes adorée, et de combien ce sentiment m'était plus cher que l'existence! Puissent tous vos jours ÃÂȘtre fortunés et tranquilles; puissent-ils s'embellir de tout le bonheur dont vous m'avez privé! Payez au moins ce vÅ“u sincÚre par un regret, par une larme; et croyez que le dernier de mes sacrifices ne sera pas le plus pénible à mon cÅ“ur. Adieu. " Tandis que je parlais ainsi, je sentais son cÅ“ur palpiter avec violence; j'observais l'altération de sa figure; je voyais, surtout, les larmes la suffoquer, et ne couler cependant que rares et pénibles. Ce ne fut qu'alors que je pris le parti de feindre de m'éloigner; aussi, me retenant avec force - " Non, écoutez- moi, dit-elle vivement. - Laissez-moi, répondis-je. - Vous m'écouterez, je le veux. - Il faut vous fuir, il le faut! - Non! " s'écria-t-elle... A ce dernier mot, elle se précipita ou plutÎt tomba évanouie entre mes bras. Comme je doutais encore d'un si heureux succÚs, je feignis un grand effroi; mais tout en m'effrayant, je la conduisais, ou la portais vers le lieu précédemment désigné pour le champ de ma gloire; et en effet elle ne revint à elle que soumise et déjà livrée à son heureux vainqueur. Jusque-là , ma belle amie, vous me trouverez, je crois, une pureté de méthode qui vous fera plaisir; et vous verrez que je ne me suis écarté en rien des vrais principes de cette guerre, que nous avons remarqué souvent ÃÂȘtre si semblable à l'autre. Jugez-moi donc comme Turenne ou Frédéric. J'ai forcé à combattre l'ennemi qui ne voulait que temporiser; je me suis donné, par de savantes manÅ“uvres, le choix du terrain et celui des dispositions; j'ai su inspirer la sécurité à l'ennemi, pour le joindre plus facilement dans sa retraite; j'ai su y faire succéder la terreur, avant d'en venir au combat; je n'ai rien mis au hasard, que par la considération d'un grand avantage en cas de succÚs, et la certitude des ressources en cas de défaite; enfin, je n'ai engagé l'action qu'avec une retraite assurée, par oÃÂč je pusse couvrir et conserver tout ce que j'avais conquis précédemment. C'est, je crois, tout ce qu'on peut faire; mais je crains, à présent, de m'ÃÂȘtre amolli comme Annibal dans les délices de Capoue. Voilà ce qui s'est passé depuis. Je m'attendais bien qu'un si grand événement ne se passerait pas sans les larmes et le désespoir d'usage; et si je remarquai d'abord un peu plus de confusion, et une sorte de recueillement, j'attribuai l'un et l'autre à l'état de Prude aussi, sans m'occuper de ces légÚres différences que je croyais purement locales, je suivais simplement la grande route des consolations, bien persuadé que, comme il arrive d'ordinaire, les sensations aideraient le sentiment et qu'une seule action ferait plus que tous les discours, que pourtant je ne négligeais pas. Mais je trouvai une résistance vraiment effrayante, moins encore par son excÚs que par la forme sous laquelle elle se montrait. Figurez-vous une femme assise, d'une raideur immobile, et d'une figure invariable; n'ayant l'air ni de penser, ni d'écouter, ni d'entendre; dont les yeux fixes laissent échapper des larmes assez continues, mais qui coulent sans effort. Telle était Madame de Tourvel, pendant mes discours; mais si j'essayais de ramener son attention vers moi par une caresse, par le geste mÃÂȘme le plus innocent, à cette apparente apathie succédaient aussitÎt la terreur, la suffocation, les convulsions, les sanglots, et quelques cris par intervalles, mais sans un mot articulé. Ces crises revinrent plusieurs fois, et toujours plus fortes; la derniÚre mÃÂȘme fut si violente que j'en fus entiÚrement découragé et craignis un moment d'avoir remporté une victoire inutile. Je me rabattis sur les lieux communs d'usage; et dans le nombre se trouva celui-ci " Et vous ÃÂȘtes dans le désespoir, parce que vous avez fait mon bonheur? " A ce mot, l'adorable femme se tourna vers moi; et sa figure, quoique encore un peu égarée, avait pourtant déjà repris son expression céleste. " Votre bonheur " , me dit-elle. Vous devinez ma réponse. - Vous ÃÂȘtes donc heureux? " Je redoublai les protestations. - " Et heureux par moi! " J'ajoutai les louanges et les tendres propos. Tandis que je parlais, tous ses membres s'assouplirent; elle retomba avec mollesse, appuyée sur son fauteuil; et m'abandonnant une main que j'avais osé prendre - " Je sens, dit-elle, que cette idée me console et me soulage. " Vous jugez qu'ainsi remis sur la voie, je ne la quittai plus; c'était réellement la bonne, et peut-ÃÂȘtre la seule. Aussi quand je voulus tenter un second succÚs, j'éprouvai d'abord quelque résistance, et ce qui s'était passé auparavant me rendait circonspect mais ayant appelé à mon secours cette mÃÂȘme idée de mon bonheur, j'en ressentis bientÎt les favorables effets - " Vous avez raison, me dit la tendre personne et je ne puis plus supporter mon existence qu'autant qu'elle servira à vous rendre heureux. Je m'y consacre tout entiÚre dÚs ce moment je me donne à vous, et vous n'éprouverez de ma part ni refus, ni regrets. " Ce fut avec cette candeur naïve ou sublime qu'elle me livra sa personne et ses charmes, et qu'elle augmenta mon bonheur en le partageant. L'ivresse fut complÚte et réciproque; et, pour la premiÚre fois, la mienne survécut au plaisir. Je ne sortis de ses bras que pour tomber à ses genoux, pour lui jurer un amour éternel; et, il faut tout avouer, je pensais ce que je disais. Enfin, mÃÂȘme aprÚs nous ÃÂȘtre séparés, son idée ne me quittait point, et j'ai eu besoin de me travailler pour m'en distraire. Ah! pourquoi n'ÃÂȘtes-vous pas ici, pour balancer au moins le charme de l'action par celui de la récompense? Mais je ne perdrai rien pour attendre, n'est-il pas vrai? et j'espÚre pouvoir regarder, comme convenu entre nous, l'heureux arrangement que je vous ai proposé dans ma derniÚre Lettre. Vous voyez que je m'exécute, et que, comme je vous l'ai promis, mes affaires seront assez avancées pour pouvoir vous donner une partie de mon temps. DépÃÂȘchez-vous donc de renvoyer votre pesant Belleroche et laissez là le doucereux Danceny, pour ne vous occuper que de moi. Mais que faites-vous donc tant à cette campagne que vous ne me répondez seulement pas? Savez- vous que je vous gronderais volontiers? Mais le bonheur porte à l'indulgence. Et puis je n'oublie pas qu'en me replaçant au nombre de vos soupirants je dois me soumettre, de nouveau, à vos petites fantaisies. Souvenez-vous cependant que le nouvel Amant ne veut rien perdre des anciens droits de l'ami. Adieu, comme autrefois... Oui, adieu, mon Ange! Je t'envoie tous les baisers de l'amour. Savez-vous que Prévan, au bout de son mois de prison, a été obligé de quitter son Corps? C'est aujourd'hui la nouvelle de tout Paris. En vérité, le voilà cruellement puni d'un tort qu'il n'a pas eu, et votre succÚs est complet! Paris, ce 29 octobre 17**. LETTRE CXXVI MADAME DE ROSEMONDE A LA PRESIDENTE DE TOURVEL Je vous aurais répondu plus tÎt, mon aimable Enfant, si la fatigue de ma derniÚre Lettre ne m'avait rendu mes douleurs, ce qui m'a encore privée tous ces jours-ci de l'usage de mon bras. J'étais bien pressée de vous remercier des bonnes nouvelles que vous m'avez données de mon neveu, et je ne l'étais pas moins de vous en faire pour votre compte de sincÚres félicitations. On est forcé de reconnaÃtre véritablement là un coup de la Providence, qui, en touchant l'un, a aussi sauvé l'autre. Oui, ma chÚre Belle, Dieu, qui ne voulait que vous éprouver, vous a secourue au moment oÃÂč vos forces étaient épuisées; et malgré votre petit murmure, vous avez, je crois, quelques actions de grùces à lui rendre. Ce n'est pas que je ne sente fort bien qu'il vous eût été plus agréable que cette résolution vous fût venue la premiÚre, et que celle de Valmont n'en eût été que la suite; il semble mÃÂȘme, humainement parlant, que les droits de notre sexe en eussent été mieux conservés, et nous ne voulons en perdre aucun! Mais qu'est-ce que ces considérations légÚres, auprÚs des objets importants qui se trouvent remplis? Voit-on celui qui se sauve du naufrage se plaindre de n'avoir pas eu le choix des moyens? Vous éprouverez bientÎt, ma chÚre fille, que les peines que vous redoutez s'allégeront d'elles-mÃÂȘmes; et quand elles devraient subsister toujours et dans leur entier, vous n'en sentiriez pas moins qu'elles seraient encore plus faciles à supporter, que les remords du crime et le mépris de soi-mÃÂȘme. Inutilement vous aurais-je parlé plus tÎt avec cette apparente sévérité l'amour est un sentiment indépendant, que la prudence peut faire éviter, mais qu'elle ne saurait vaincre; et qui, une fois né, ne meurt que de sa belle mort ou du défaut absolu d'espoir. C'est ce dernier cas, dans lequel vous ÃÂȘtes, qui me rend le courage et le droit de vous dire librement mon avis. Il est cruel d'effrayer un malade désespéré, qui n'est plus susceptible que de consolations et de palliatifs mais il est sage d'éclairer un convalescent sur les dangers qu'il a courus, pour lui inspirer la prudence dont il a besoin, et la soumission aux conseils qui peuvent encore lui ÃÂȘtre nécessaires. Puisque vous me choisissez pour votre Médecin, c'est comme tel que je vous parle, et que je vous dis que les petites incommodités que vous ressentez à présent, et qui peut-ÃÂȘtre exigent quelques remÚdes, ne sont pourtant rien en comparaison de la maladie effrayante dont voilà la guérison assurée. Ensuite comme votre amie, comme l'amie d'une femme raisonnable et vertueuse, je me permettrai d'ajouter que cette passion, qui vous avait subjuguée, déjà si malheureuse par elle-mÃÂȘme, le devenait encore plus par son objet. Si j'en crois ce qu'on m'en dit, mon neveu, que j'avoue aimer peut-ÃÂȘtre avec faiblesse, et qui réunit en effet beaucoup de qualités louables à beaucoup d'agréments, n'est ni sans danger pour les femmes, ni sans torts vis-à -vis d'elles, et met presque un prix égal à les séduire et à les perdre. Je crois bien que vous l'auriez converti. Jamais personne sans doute n'en fut plus digne mais tant d'autres s'en sont flattées de mÃÂȘme, dont l'espoir a été déçu, que j'aime bien mieux que vous n'en soyez pas réduite à cette ressource. Considérez à présent, ma chÚre Belle, qu'au lieu de tant de dangers que vous auriez eu à courir, vous aurez, outre le repos de votre conscience et votre propre tranquillité, la satisfaction d'avoir été la principale cause de l'heureux retour de Valmont. Pour moi, je ne doute pas que ce ne soit en grande partie l'ouvrage de votre courageuse résistance, et qu'un moment de faiblesse de votre part n'eût peut-ÃÂȘtre laissé mon neveu dans un égarement éternel. J'aime à penser ainsi, et désire vous voir penser de mÃÂȘme; vous y trouverez vos premiÚres consolations, et moi, de nouvelles raisons de vous aimer davantage. Je vous attends ici sous peu de jours, mon aimable fille, comme vous me l'annoncez. Venez retrouver le calme et le bonheur dans les mÃÂȘmes lieux oÃÂč vous l'aviez perdu; venez surtout vous réjouir avec votre tendre mÚre d'avoir si heureusement tenu la parole que vous lui aviez donnée, de ne rien faire qui ne fût digne d'elle et de vous! Du Chùteau de ..., ce 30 octobre 17**. LETTRE CXXVII LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT Si je n'ai pas répondu, Vicomte, à votre Lettre du 19, ce n'est pas que je n'en aie eu le temps; c'est tout simplement qu'elle m'a donné de l'humeur, et que je ne lui ai pas trouvé le sens commun. J'avais donc cru n'avoir rien de mieux à faire que de la laisser dans l'oubli; mais puisque vous revenez sur elle, que vous paraissez tenir aux idées qu'elle contient, et que vous prenez mon silence pour un consentement, il faut vous dire clairement mon avis. J'ai pu avoir quelquefois la prétention de remplacer à moi seule tout un sérail; mais il ne m'a jamais convenu d'en faire partie. Je croyais que vous saviez cela. Au moins à présent que vous ne pouvez plus l'ignorer, vous jugerez facilement combien votre proposition a dû me paraÃtre ridicule. Qui, moi! je sacrifierais un goût, et encore un goût nouveau, pour m'occuper de vous? Et pour m'en occuper comment? en attendant à mon tour, et en esclave soumise, les sublimes faveurs de votre Hautesse . Quand, par exemple, vous voudrez vous distraire un moment de ce charme inconnu que l'adorable, la céleste Madame de Tourvel vous a fait seule éprouver, ou quand vous craindrez de compromettre, auprÚs de l'attachante Cécile , l'idée supérieure que vous ÃÂȘtes bien aise qu'elle conserve de vous alors descendant jusqu'à moi, vous y viendrez chercher des plaisirs, moins vifs à la vérité, mais sans conséquence; et vos précieuses bontés, quoique un peu rares, suffiront de reste à mon bonheur! Certes, vous ÃÂȘtes riche en bonne opinion de vous-mÃÂȘme mais apparemment je ne le suis pas en modestie; car j'ai beau me regarder, je ne peux pas me trouver déchue jusque-là . C'est peut-ÃÂȘtre un tort que j'ai; mais je vous préviens que j'en ai beaucoup d'autres encore. J'ai surtout celui de croire que l'écolier, le doucereux Danceny, uniquement occupé de moi, me sacrifiant, sans s'en faire un mérite, une premiÚre passion, avant mÃÂȘme qu'elle ait été satisfaite, et m'aimant enfin comme on aime à son ùge, pourrait, malgré ses vingt ans, travailler plus efficacement que vous à mon bonheur et à mes plaisirs. Je me permettrai mÃÂȘme d'ajouter que, s'il me venait en fantaisie de lui donner un adjoint, ce ne serait pas vous, au moins pour le moment. Et par quelles raisons, m'allez-vous demander? Mais d'abord il pourrait fort bien n'y en avoir aucune car le caprice qui vous ferait préférer peut également vous faire exclure. Je veux pourtant bien, par politesse, vous motiver mon avis. Il me semble que vous auriez trop de sacrifices à me faire; et moi, au lieu d'en avoir la reconnaissance que vous ne manqueriez pas d'en attendre, je serais capable de croire que vous m'en devriez encore! Vous voyez bien, qu'aussi éloignés l'un de l'autre par notre façon de penser, nous ne pouvons nous rapprocher d'aucune maniÚre; et je crains qu'il ne me faille beaucoup de temps, mais beaucoup, avant de changer de sentiment. Quand je serai corrigée, je vous promets de vous avertir. Jusque-là croyez-moi, faites d'autres arrangements, et gardez vos baisers, vous avez tant à les placer mieux!... Adieu, comme autrefois , dites-vous? Mais autrefois, ce me semble, vous faisiez un peu plus de cas de moi; vous ne m'aviez pas destinée tout à fait aux troisiÚmes RÎles; et surtout vous vouliez bien attendre que j'eusse dit oui, avant d'ÃÂȘtre sûr de mon consentement. Trouvez donc bon qu'au lieu de vous dire aussi adieu comme autrefois, je vous dise adieu comme à présent. Votre servante, Monsieur le Vicomte. Du Chùteau de ..., ce 31 octobre 17**. LETTRE CXXVIII LA PRESIDENTE DE TOURVEL A MADAME DE ROSEMONDE Je n'ai reçu qu'hier, Madame, votre tardive réponse. Elle m'aurait tuée sur-le- champ, si j'avais eu encore mon existence en moi mais un autre en est possesseur, et cet autre est M. de Valmont. Vous voyez que je ne vous cache rien. Si vous devez ne me plus trouver digne de votre amitié, je crains moins encore de la perdre que de la surprendre. Tout ce que je puis vous dire, c'est que, placée par M. de Valmont entre sa mort ou son bonheur, je me suis décidée pour ce dernier parti. Je ne m'en vante, ni ne m'en accuse je dis simplement ce qui est. Vous sentirez aisément, d'aprÚs cela, quelle impression a dû me faire votre Lettre, et les vérités sévÚres qu'elle contient. Ne croyez pas cependant qu'elle ait pu faire naÃtre un regret en moi, ni qu'elle puisse jamais me faire changer de sentiment ni de conduite. Ce n'est pas que je n'aie des moments cruels mais quand mon cÅ“ur est le plus déchiré, quand je crains de ne pouvoir plus supporter mes tourments, je me dis Valmont est heureux; et tout disparaÃt devant cette idée, ou plutÎt elle change tout en plaisirs. C'est donc à votre neveu que je me suis consacrée; c'est pour lui que je me suis perdue. Il est devenu le centre unique de mes pensées, de mes sentiments, de mes actions. Tant que ma vie sera nécessaire à son bonheur, elle me sera précieuse, et je la trouverai fortunée. Si quelque jour il en juge autrement ... , il n'entendra de ma part ni plainte ni reproche. J'ai déjà osé fixer les yeux sur ce moment fatal et mon parti est pris. Vous voyez à présent combien peu doit m'affecter la crainte que vous paraissez avoir, qu'un jour M. de Valmont ne me perde car avant de le vouloir, il aura donc cessé de m'aimer; et que me feront alors de vains reproches que je n'entendrai pas? Seul, il sera mon juge. Comme je n'aurai vécu que pour lui, ce sera en lui que reposera ma mémoire; et s'il est forcé de reconnaÃtre que je l'aimais, je serai suffisamment justifiée. Vous venez, Madame, de lire dans mon cÅ“ur. J'ai préféré le malheur de perdre votre estime par ma franchise, à celui de m'en rendre indigne par l'avilissement du mensonge. J'ai cru devoir cette entiÚre confiance à vos anciennes bontés pour moi. Ajouter un mot de plus pourrait vous faire soupçonner que j'ai l'orgueil d'y compter encore, quand au contraire je me rends justice en cessant d'y prétendre. Je suis avec respect, Madame, votre trÚs humble et trÚs obéissante servante. Paris, ce 1er novembre 17**. LETTRE CXXIX LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Dites-moi donc, ma belle amie, d'oÃÂč peut venir ce ton d'aigreur et de persiflage qui rÚgne dans votre derniÚre Lettre? Quel est donc ce crime que j'ai commis, apparemment sans m'en douter, et qui vous donne tant d'humeur? J'ai eu l'air, me reprochez-vous, de compter sur votre consentement avant de l'avoir obtenu mais je croyais que ce qui pourrait paraÃtre de la présomption pour tout le monde ne pouvait jamais ÃÂȘtre pris, de vous à moi, que pour de la confiance et depuis quand ce sentiment nuit-il à l'amitié ou à l'amour? En réunissant l'espoir au désir, je n'ai fait que céder à l'impulsion naturelle, qui nous fait nous placer toujours le plus prÚs possible du bonheur que nous cherchons; et vous avez pris pour l'effet de l'orgueil ce qui ne l'était que de mon empressement. Je sais fort bien que l'usage a introduit, dans ce cas, un doute respectueux mais vous savez aussi que ce n'est qu'une forme, un simple protocole; et j'étais, ce me semble, autorisé à croire que ces précautions minutieuses n'étaient plus nécessaires entre nous. Il me semble mÃÂȘme que cette marche franche et libre, quand elle est fondée sur une ancienne liaison, est bien préférable à l'insipide cajolerie qui affadit si souvent l'amour. Peut-ÃÂȘtre, au reste, le prix que je trouve à cette maniÚre ne vient-il que de celui que j'attache au bonheur qu'elle me rappelle mais par là mÃÂȘme, il me serait plus pénible encore de vous voir en juger autrement. Voilà pourtant le seul tort que je me connaisse car je n'imagine pas que vous ayez pu penser sérieusement qu'il existùt une femme dans le monde qui me parût préférable à vous; et encore moins que j'aie pu vous apprécier aussi mal que vous feignez de le croire. Vous vous ÃÂȘtes regardée, me dites-vous, à ce sujet, et vous ne vous ÃÂȘtes pas trouvée déchue à ce point. Je le crois bien, et cela prouve seulement que votre miroir est fidÚle. Mais n'auriez-vous pas pu en conclure avec plus de facilité et de justice qu'à coup sûr je n'avais pas jugé ainsi de vous? Je cherche vainement une cause à cette étrange idée. Il me semble pourtant qu'elle tient, de plus ou moins prÚs, aux éloges que je me suis permis de donner à d'autres femmes. Je l'infÚre au moins de votre affectation à relever les épithÚtes d'adorable, de céleste, d'attachante , dont je me suis servi en vous parlant de Madame de Tourvel, ou de la petite Volanges. Mais ne savez- vous pas que ces mots, plus souvent pris au hasard que par réflexion, expriment moins le cas que l'on fait de la personne que la situation dans laquelle on se trouve quand on en parle? Et si, dans le moment mÃÂȘme oÃÂč j'étais si vivement affecté ou par l'une ou par l'autre, je ne vous en désirais pourtant pas moins; si je vous donnais une préférence marquée sur toutes deux, puisque enfin je ne pouvais renouveler notre premiÚre liaison qu'au préjudice des deux autres, je ne crois pas qu'il y ait là si grand sujet de reproche. Il ne me sera pas plus difficile de me justifier sur le charme inconnu dont vous me paraissez aussi un peu choquée car d'abord, de ce qu'il est inconnu, il ne s'ensuit pas qu'il soit plus fort. Hé! qui pourrait l'emporter sur les délicieux plaisirs que vous seule savez rendre toujours nouveaux, comme toujours plus vifs? J'ai donc voulu dire seulement que celui-là était d'un genre que je n'avais pas encore éprouvé; mais sans prétendre lui assigner de classe; et j'avais ajouté, ce que je répÚte aujourd'hui, que, quel qu'il soit, je saurai le combattre et le vaincre. J'y mettrai bien plus de zÚle encore, si je peux voir dans ce léger travail un hommage à vous offrir. Pour la petite Cécile, je crois bien inutile de vous en parler. Vous n'avez pas oublié que c'est à votre demande que je me suis chargé de cette enfant, et je n'attends que votre congé pour m'en défaire. J'ai pu remarquer son ingénuité et sa fraÃcheur; j'ai pu mÃÂȘme la croire un moment attachante , parce que, plus ou moins, on se complaÃt toujours un peu dans son ouvrage mais assurément, elle n'a assez de consistance en aucun genre pour fixer en rien l'attention. A présent, ma belle amie, j'en appelle à votre justice, à vos premiÚres bontés pour moi; à la longue et parfaite amitié, à l'entiÚre confiance qui depuis ont resserré nos liens ai-je mérité le ton rigoureux que vous prenez avec moi? Mais qu'il vous sera facile de m'en dédommager quand vous voudrez! Dites seulement un mot, et vous verrez si tous les charmes et tous les attachements me retiendront ici, non pas un jour mais une minute. Je volerai à vos pieds et dans vos bras, et je vous prouverai, mille fois et de mille maniÚres, que vous ÃÂȘtes, que vous serez toujours, la véritable souveraine de mon cÅ“ur. Adieu, ma belle amie; j'attends votre Réponse avec beaucoup d'empressement. Paris, ce 3 novembre 17**. LETTRE CXXX MADAME DE ROSEMONDE A LA PRESIDENTE DE TOURVEL Et pourquoi, ma chÚre Belle, ne voulez-vous plus ÃÂȘtre ma fille? pourquoi semblez-vous m'annoncer que toute correspondance va ÃÂȘtre rompue entre nous? Est-ce pour me punir de n'avoir pas deviné ce qui était contre toute vraisemblance? ou me soupçonnez-vous de vous avoir affligée volontairement? Non, je connais trop bien votre cÅ“ur, pour croire qu'il pense ainsi du mien. Aussi la peine que m'a faite votre lettre est-elle bien moins relative à moi qu'à vous-mÃÂȘme! Ô ma jeune amie! je vous le dis avec douleur; mais vous ÃÂȘtes bien trop digne d'ÃÂȘtre aimée, pour que jamais l'amour vous rende heureuse. Hé! quelle femme vraiment délicate et sensible n'a pas trouvé l'infortune dans ce mÃÂȘme sentiment qui lui promettait tant de bonheur! Les hommes savent-ils apprécier la femme qu'ils possÚdent? Ce n'est pas que plusieurs ne soient honnÃÂȘtes dans leurs procédés, et constants dans leur affection mais, parmi ceux-là mÃÂȘme, combien peu savent encore se mettre à l'unisson de notre cÅ“ur! Ne croyez pas, ma chÚre Enfant, que leur amour soit semblable au nÎtre. Ils éprouvent bien la mÃÂȘme ivresse; souvent mÃÂȘme ils y mettent plus d'emportement mais ils ne connaissent pas cet empressement inquiet, cette sollicitude délicate, qui produit en nous ces soins tendres et continus, et dont l'unique but est toujours l'objet aimé. L'homme jouit du bonheur qu'il ressent, et la femme de celui qu'elle procure. Cette différence, si essentielle et si peu remarquée, influe pourtant, d'une maniÚre bien sensible, sur la totalité de leur conduite respective. Le plaisir de l'un est de satisfaire des désirs, celui de l'autre est surtout de les faire naÃtre. Plaire n'est pour lui qu'un moyen de succÚs; tandis que pour elle, c'est le succÚs lui-mÃÂȘme. Et la coquetterie, si souvent reprochée aux femmes, n'est autre chose que l'abus de cette façon de sentir, et par là mÃÂȘme en prouve la réalité. Enfin, ce goût exclusif, qui caractérise particuliÚrement l'amour, n'est dans l'homme qu'une préférence, qui sert, au plus, à augmenter un plaisir, qu'un autre objet affaiblirait peut-ÃÂȘtre, mais ne détruirait pas; tandis que dans les femmes, c'est un sentiment profond, qui non seulement anéantit tout désir étranger, mais qui, plus fort que la nature, et soustrait à son empire, ne leur laisse éprouver que répugnance et dégoût, là mÃÂȘme oÃÂč semble devoir naÃtre la volupté. Et n'allez pas croire que des exceptions plus ou moins nombreuses, et qu'on peut citer, puissent s'opposer avec succÚs à ces vérités générales! Elles ont pour garant la voix publique, qui, pour les hommes seulement, a distingué l'infidélité de l'inconstance distinction dont ils se prévalent, quand ils devraient en ÃÂȘtre humiliés; et qui, pour notre sexe, n'a jamais été adoptée que par ces femmes dépravées qui en sont la honte, et à qui tout moyen paraÃt bon, qu'elles espÚrent pouvoir les sauver du sentiment pénible de leur bassesse. J'ai cru, ma chÚre Belle, qu'il pourrait vous ÃÂȘtre utile d'avoir ces réflexions à opposer aux idées chimériques d'un bonheur parfait dont l'amour ne manque jamais d'abuser notre imagination espoir trompeur, auquel on tient encore, mÃÂȘme alors qu'on se voit forcé de l'abandonner, et dont la perte irrite et multiplie les chagrins déjà trop réels, inséparables d'une passion vive! Cet emploi d'adoucir vos peines ou d'en diminuer le nombre est le seul que je veuille, que je puisse remplir en ce moment. Dans les maux sans remÚdes, les conseils ne peuvent plus porter que sur le régime. Ce que je vous demande seulement, c'est de vous souvenir que plaindre un malade, ce n'est pas le blùmer. Eh! qui sommes-nous, pour nous blùmer les uns les autres? Laissons le droit de juger à celui-là seul qui lit dans les cÅ“urs; et j'ose mÃÂȘme croire qu'à ses yeux paternels une foule de vertus peut racheter une faiblesse. Mais, je vous en conjure, ma chÚre amie, défendez-vous surtout de ces résolutions violentes, qui annoncent moins la force qu'un entier découragement n'oubliez pas qu'en rendant un autre possesseur de votre existence pour me servir de votre expression, vous n'avez pas pu cependant frustrer vos amis de ce qu'ils en possédaient à l'avance, et qu'ils ne cesseront jamais de réclamer. Adieu, ma chÚre fille; songez quelquefois à votre tendre mÚre et croyez que vous serez toujours, et par-dessus tout, l'objet de ses plus chÚres pensées. Du Chùteau de ..., ce 4 novembre 17**. LETTRE CXXXI LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT A la bonne heure, Vicomte, et je suis plus contente de vous cette fois-ci que l'autre; mais à présent, causons de bonne amitié et j'espÚre vous convaincre que, pour vous comme pour moi, l'arrangement que vous paraissez désirer serait une véritable folie. N'avez-vous pas encore remarqué que le plaisir, qui est bien en effet l'unique mobile de la réunion des deux sexes, ne suffit pourtant pas pour former une liaison entre eux? et que, s'il est précédé du désir qui rapproche, il n'est pas moins suivi du dégoût qui repousse? C'est une loi de la nature, que l'amour seul peut changer; et de l'amour, en a-t-on quand on veut? Il en faut pourtant toujours et cela serait vraiment fort embarrassant, si on ne s'était pas aperçu qu'heureusement il suffisait qu'il en existùt d'un cÎté. La difficulté est devenue par là de moitié moindre, et mÃÂȘme sans qu'il y ait eu beaucoup à perdre; en effet, l'un jouit du bonheur d'aimer, l'autre de celui de plaire, un peu moins vif à la vérité, mais auquel se joint le plaisir de tromper, ce qui fait équilibre; et tout s'arrange. Mais dites-moi, Vicomte, qui de nous deux se chargera de tromper l'autre? Vous savez l'histoire de ces deux fripons qui se reconnurent en jouant " Nous ne nous ferons rien, se dirent-ils, payons les cartes par moitié " ; et ils quittÚrent la partie. Suivons, croyez-moi, ce prudent exemple, et ne perdons pas ensemble un temps que nous pouvons si bien employer ailleurs. Pour vous prouver qu'ici votre intérÃÂȘt me décide autant que le mien, et que je n'agis ni par humeur, ni par caprice, je ne vous refuse pas le prix convenu entre nous je sens à merveille que pour une seule soirée nous nous suffirons de reste; et je ne doute mÃÂȘme pas que nous ne sachions assez l'embellir pour ne la voir finir qu'à regret. Mais n'oublions pas que ce regret est nécessaire au bonheur; et quelque douce que soit notre illusion, n'allons pas croire qu'elle puisse ÃÂȘtre durable. Vous voyez que je m'exécute à mon tour, et cela, sans que vous vous soyez encore mis en rÚgle avec moi; car enfin je devais avoir la premiÚre Lettre de la céleste Prude; et pourtant, soit que vous y teniez encore, soit que vous ayez oublié les conditions d'un marché qui vous intéresse peut-ÃÂȘtre moins que vous ne voulez me le faire croire, je n'ai rien reçu, absolument rien. Cependant, ou je me trompe, ou la tendre Dévote doit beaucoup écrire car que ferait-elle quand elle est seule? elle n'a sûrement pas le bon esprit de se distraire. J'aurais donc, si je voulais, quelques petits reproches à vous faire; mais je les passe sous silence, en compensation d'un peu d'humeur que j'ai eu peut-ÃÂȘtre dans ma derniÚre Lettre. A présent, Vicomte, il ne me reste plus qu'à vous faire une demande et elle est encore autant pour vous que pour moi c'est de différer un moment que je désire peut-ÃÂȘtre autant que vous, mais dont il me semble que l'époque doit ÃÂȘtre retardée jusqu'à mon retour à la Ville. D'une part, nous n'aurions pas ici la liberté nécessaire; et, de l'autre, j'y aurais quelque risque à courir car il ne faudrait qu'un peu de jalousie, pour me rattacher de plus belle ce triste Belleroche, qui pourtant ne tient plus qu'à un fil. Il en est déjà à se battre les flancs pour m'aimer; c'est au point qu'à présent je mets autant de malice que de prudence dans les caresses dont je le surcharge. Mais, en mÃÂȘme temps, vous voyez bien que ce ne serait pas là un sacrifice à vous faire! une infidélité réciproque rendra le charme bien plus piquant. Savez-vous que je regrette quelquefois que nous en soyons réduits à ces ressources! Dans le temps oÃÂč nous nous aimions, car je crois que c'était de l'amour, j'étais heureuse; et vous, Vicomte?... Mais pourquoi s'occuper encore d'un bonheur qui ne peut revenir? Non, quoi que vous en disiez, c'est un retour impossible. D'abord, j'exigerais des sacrifices que sûrement vous ne pourriez ou ne voudriez pas me faire, et qu'il se peut bien que je ne mérite pas; et puis, comment vous fixer? Oh! non, non, je ne veux seulement pas m'occuper de cette idée; et malgré le plaisir que je trouve en ce moment à vous écrire, j'aime mieux vous quitter brusquement. Adieu, Vicomte. Du Chùteau de ..., ce 6 novembre 17*'*. LETTRE CXXXII LA PRESIDENTE DE TOURVEL A MADAME DE ROSEMONDE Pénétrée, Madame, de vos bontés pour moi, je m'y livrerais tout entiÚre, si je n'étais retenue, en quelque sorte, par la crainte de les profaner en les acceptant. Pourquoi faut-il, quand je les vois si précieuses, que je sente en mÃÂȘme temps que je n'en suis plus digne? Ah! j'oserai du moins vous en témoigner ma reconnaissance; j'admirerai, surtout, cette indulgence de la vertu, qui ne connaÃt nos faiblesses que pour y compatir, et dont le charme puissant conserve sur les cÅ“urs un empire si doux et si fort, mÃÂȘme à cÎté du charme de l'amour. Mais puis-je mériter encore une amitié qui ne suffit plus à mon bonheur? Je dis de mÃÂȘme de vos conseils, j'en sens le prix et ne puis les suivre. Et comment ne croirais-je pas à un bonheur parfait, quand je l'éprouve en ce moment? Oui, si les hommes sont tels que vous le dites, il faut les fuir, ils sont haïssables; mais qu'alors Valmont est loin de leur ressembler! S'il a comme eux cette violence de passion, que vous nommez emportement, combien n'est-elle pas surpassée en lui par l'excÚs de sa délicatesse! Ô mon amie! vous me parlez de partager mes peines, jouissez donc de mon bonheur; je le dois à l'amour, et de combien encore l'objet en augmente le prix! Vous aimez votre neveu, dites-vous, peut-ÃÂȘtre avec faiblesse? ah! si vous le connaissiez comme moi! je l'aime avec idolùtrie, et bien moins encore qu'il ne le mérite. Il a pu sans doute ÃÂȘtre entraÃné dans quelques erreurs, il en convient lui-mÃÂȘme; mais qui jamais connut comme lui le véritable amour? Que puis-je vous dire de plus? il le ressent tel qu'il l'inspire. Vous allez croire que c'est là une de ces idées chimériques dont l'amour ne manque jamais d'abuser notre imagination ; mais dans ce cas, pourquoi serait-il devenu plus tendre, plus empressé, depuis qu'il n'a plus rien à obtenir? Je l'avouerai, je lui trouvais auparavant un air de réflexion, de réserve, qui l'abandonnait rarement et qui souvent me ramenait, malgré moi, aux fausses et cruelles impressions qu'on m'avait données de lui. Mais depuis qu'il peut se livrer sans contrainte aux mouvements de son cÅ“ur, il semble deviner tous les désirs du mien. Qui sait si nous n'étions pas nés l'un pour l'autre, si ce bonheur ne m'était pas réservé, d'ÃÂȘtre nécessaire au sien! Ah! si c'est une illusion, que je meure donc avant qu'elle finisse. Mais non; je veux vivre pour le chérir, pour l'adorer. Pourquoi cesserait-il de m'aimer? Quelle autre femme rendrait-il plus heureuse que moi? Et, je le sens par moi-mÃÂȘme, ce bonheur qu'on fait naÃtre, est le plus fort lien, le seul qui attache véritablement. Oui, c'est ce sentiment délicieux qui ennoblit l'amour, qui le purifie en quelque sorte, et le rend vraiment digne d'une ùme tendre et généreuse, telle que celle de Valmont. Adieu, ma chÚre, ma respectable, mon indulgente amie. Je voudrais en vain vous écrire plus longtemps; voici l'heure oÃÂč il a promis de venir, et toute autre idée m'abandonne. Pardon! mais vous voulez mon bonheur, et il est si grand dans ce moment que je suffis à peine à le sentir. Paris, ce 7 novembre 17**. LETTRE CXXXIII LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Quels sont donc, ma belle amie, ces sacrifices que vous jugez que je ne ferais pas, et dont pourtant le prix serait de vous plaire? Faites-les-moi connaÃtre seulement, et si je balance à vous les offrir, je vous permets d'en refuser l'hommage. Eh! comment me jugez-vous depuis quelque temps, si, mÃÂȘme dans votre indulgence, vous doutez de mes sentiments ou de mon énergie? Des sacrifices que je ne voudrais ou ne pourrais pas faire! Ainsi, vous me croyez amoureux, subjugué? et le prix que j'ai mis au succÚs, vous me soupçonnez de l'attacher à la personne? Ah! grùces au Ciel, je n'en suis pas encore réduit là , et je m'offre à vous le prouver. Oui, je vous le prouverai, quand mÃÂȘme ce devrait ÃÂȘtre envers Madame de Tourvel. Assurément, aprÚs cela, il ne doit pas vous rester de doute. J'ai pu, je crois, sans me compromettre, donner quelque temps à une femme, qui a au moins le mérite d'ÃÂȘtre d'un genre qu'on rencontre rarement. Peut-ÃÂȘtre aussi la saison morte dans laquelle est venue cette aventure m'a fait m'y livrer davantage; et encore à présent, qu'à peine le grand courant commence à reprendre, il n'est pas étonnant qu'elle m'occupe presque en entier. Mais songez donc qu'il n'y a guÚre que huit jours que je jouis du fruit de trois mois de soins. Je me suis si souvent arrÃÂȘté davantage à ce qui valait bien moins, et ne m'avait pas tant coûté!... et jamais vous n'en avez rien conclu contre moi. Et puis, voulez-vous savoir la véritable cause de l'empressement que j'y mets? la voici. Cette femme est naturellement timide; dans les premiers temps, elle doutait sans cesse de son bonheur, et ce doute suffisait pour le troubler en sorte que je commence à peine à pouvoir remarquer jusqu'oÃÂč va ma puissance en ce genre. C'est une chose que j'étais pourtant curieux de savoir; et l'occasion ne s'en trouve pas si facilement qu'on le croit. D'abord, pour beaucoup de femmes, le plaisir est toujours le plaisir et n'est jamais que cela; et auprÚs de celles-là , de quelque titre qu'on nous décore, nous ne sommes jamais que des facteurs, de simples commissionnaires, dont l'activité fait tout le mérite, et parmi lesquels, celui qui fait le plus est toujours celui qui fait le mieux. Dans une autre classe, peut-ÃÂȘtre la plus nombreuse aujourd'hui, la célébrité de l'Amant, le plaisir de l'avoir enlevé à une rivale, la crainte de se le voir enlever à son tour, occupent les femmes presque tout entiÚres nous entrons bien, plus ou moins, pour quelque chose dans l'espÚce de bonheur dont elles jouissent; mais il tient plus aux circonstances qu'à la personne. Il leur vient par nous, et non de nous. Il fallait donc trouver, pour mon observation, une femme délicate et sensible, qui fÃt son unique affaire de l'amour, et qui, dans l'amour mÃÂȘme, ne vÃt que son Amant; dont l'émotion, loin de suivre la route ordinaire, partÃt toujours du cÅ“ur, pour arriver aux sens; que j'ai vue par exemple et je ne parle pas du premier jour sortir du plaisir tout éplorée, et le moment d'aprÚs retrouver la volupté dans un mot qui répondait à son ùme. Enfin, il fallait qu'elle réunÃt encore cette candeur naturelle, devenue insurmontable par l'habitude de s'y livrer, et qui ne lui permet de dissimuler aucun des sentiments de son cÅ“ur. Or, vous en conviendrez, de telles femmes sont rares; et je puis croire que, sans celle-ci, je n'en aurais peut-ÃÂȘtre jamais rencontré. Il ne serait donc pas étonnant qu'elle me fixùt plus longtemps qu'une autre, et si le travail que je veux faire sur elle exige que je la rende heureuse, parfaitement heureuse! pourquoi m'y refuserais-je, surtout quand cela me sert, au lieu de me contrarier? Mais de ce que l'esprit est occupé, s'ensuit-il que le cÅ“ur soit esclave? non, sans doute. Aussi le prix que je ne me défends pas de mettre à cette aventure ne m'empÃÂȘchera pas d'en courir d'autres, ou mÃÂȘme de la sacrifier à de plus agréables. Je suis tellement libre, que je n'ai seulement pas négligé la petite Volanges, à laquelle pourtant je tiens si peu. Sa mÚre la ramÚne à la Ville dans trois jours; et moi, depuis hier, j'ai su assurer mes communications quelque argent au portier et quelques fleurettes à sa femme en ont fait l'affaire. Concevez-vous que Danceny n'ait pas su trouver ce moyen si simple? et puis, qu'on dise que l'amour rend ingénieux! il abrutit au contraire ceux qu'il domine. Et je ne saurais pas m'en défendre! Ah! soyez tranquille. Déjà je vais, sous peu de jours, affaiblir, en la partageant, l'impression peut-ÃÂȘtre trop vive que j'ai éprouvée; et si un simple partage ne suffit pas, je les multiplierai. Je n'en serai pas moins prÃÂȘt à remettre la jeune pensionnaire à son discret Amant, dÚs que vous le jugerez à propos. Il me semble que vous n'avez plus de raison pour l'en empÃÂȘcher; et moi, je consens à rendre ce service signalé au pauvre Danceny. C'est, en vérité, le moins que je lui doive pour tous ceux qu'il m'a rendus. Il est actuellement dans la grande inquiétude de savoir s'il sera reçu chez Madame de Volanges; je le calme le plus que je peux, en l'assurant que, de façon ou d'autre, je ferai son bonheur au premier jour et en attendant, je continue à me charger de la correspondance, qu'il veut reprendre à l'arrivée de sa Cécile . J'ai déjà six Lettres de lui, et j'en aurai bien encore une ou deux avant l'heureux jour. Il faut que ce garçon-là soit bien désÅ“uvré! Mais laissons ce couple enfantin, et revenons à nous; que je puisse m'occuper uniquement de l'espoir si doux que m'a donné votre Lettre. Oui, sans doute vous me fixerez, et je ne vous pardonnerais pas d'en douter. Ai-je donc jamais cessé d'ÃÂȘtre constant pour vous? Nos liens ont été dénoués, et non pas rompus; notre prétendue rupture ne fut qu'une erreur de notre imagination nos sentiments, nos intérÃÂȘts n'en sont pas moins restés unis. Semblable au voyageur, qui revient détrompé, je reconnaÃtrai comme lui que j'avais laissé le bonheur pour courir aprÚs l'espérance et je dirai comme d'Harcourt Plus je vis d'étrangers, plus j'aimai ma patrie [Du Belloi, Tragédie du SiÚge de Calais] Ne combattez donc plus l'idée ou plutÎt le sentiment qui vous ramÚne à moi; et aprÚs avoir essayé de tous les plaisirs dans nos courses différentes, jouissons du bonheur de sentir qu'aucun d'eux n'est comparable à celui que nous avions éprouvé, et que nous retrouverons plus délicieux encore! Adieu, ma charmante amie. Je consens à attendre votre retour mais pressez-le donc, et n'oubliez pas combien je le désire. Paris, ce 8 novembre 17**. LETTRE CXXXIV LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT En vérité, Vicomte, vous ÃÂȘtes bien comme les enfants, devant qui il ne faut rien dire, et à qui on ne peut rien montrer qu'ils ne veuillent s'en emparer aussitÎt! Une simple idée qui me vient, à laquelle mÃÂȘme je vous avertis que je ne veux pas m'arrÃÂȘter, parce que je vous en parle, vous en abusez pour y ramener mon attention; pour m'y fixer, quand je cherche à m'en distraire; et me faire, en quelque sorte, partager malgré moi vos désirs étourdis! Est-il donc généreux à vous de me laisser supporter seule tout le fardeau de la prudence? Je vous le redis, et me le répÚte plus souvent encore, l'arrangement que vous me proposez est réellement impossible. Quand vous y mettriez toute la générosité que vous me montrez en ce moment, croyez-vous que je n'aie pas aussi ma délicatesse, et que je veuille accepter des sacrifices qui nuiraient à votre bonheur? Or, est-il vrai, Vicomte, que vous vous faites illusion sur le sentiment qui vous attache à Madame de Tourvel? C'est de l'amour, ou il n'en exista jamais vous le niez bien de cent façons; mais vous le prouvez de mille. Qu'est-ce, par exemple, que ce subterfuge dont vous vous servez vis-à -vis de vous-mÃÂȘme car je vous crois sincÚre avec moi, qui vous fait rapporter à l'envie d'observer le désir que vous ne pouvez ni cacher ni combattre, de garder cette femme? Ne dirait-on pas que jamais vous n'en avez rendu une autre heureuse, parfaitement heureuse? Ah! si vous en doutez, vous avez bien peu de mémoire! Mais non, ce n'est pas cela. Tout simplement votre cÅ“ur abuse votre esprit, et le fait se payer de mauvaises raisons mais moi, qui ai un grand intérÃÂȘt à ne pas m'y tromper, je ne suis pas si facile à contenter. C'est ainsi qu'en remarquant votre politesse, qui vous a fait supprimer soigneusement tous les mots que vous vous ÃÂȘtes imaginé m'avoir déplu, j'ai vu cependant que, peut-ÃÂȘtre sans vous en apercevoir, vous n'en conserviez pas moins les mÃÂȘmes idées. En effet, ce n'est plus l'adorable, la céleste Madame de Tourvel, mais c'est une femme étonnante, une femme délicate et sensible , et cela, à l'exclusion de toutes les autres; une femme rare enfin , et telle qu'on n'en rencontrerait pas une seconde . Il en est de mÃÂȘme de ce charme inconnu qui n'est pas le plus fort . Hé bien! soit mais puisque vous ne l'aviez jamais trouvé jusque-là , il est bien à croire que vous ne le trouveriez pas davantage à l'avenir, et la perte que vous feriez n'en serait pas moins irréparable. Ou ce sont là , Vicomte, des symptÎmes assurés d'amour, ou il faut renoncer à en trouver aucun. Soyez assuré que, pour cette fois, je vous parle sans humeur. Je me suis promis de n'en plus prendre; j'ai trop bien reconnu qu'elle pouvait devenir un piÚge dangereux. Croyez-moi, ne soyons qu'amis, et restons-en là . Sachez- moi gré seulement de mon courage à me défendre oui, de mon courage; car il en faut quelquefois, mÃÂȘme pour ne pas prendre un parti qu'on sent ÃÂȘtre mauvais. Ce n'est donc plus que pour vous ramener à mon avis par persuasion que je vais répondre à la demande que vous me faites sur les sacrifices que j'exigerais et que vous ne pourriez pas faire. Je me sers à dessein de ce mot exiger , parce que je suis sûre que, dans un moment, vous m'allez en effet trouver trop exigeante; mais tant mieux! Loin de me fùcher de vos refus, je vous en remercierai. Tenez, ce n'est pas avec vous que je veux dissimuler, j'en ai peut-ÃÂȘtre besoin. J'exigerais donc, voyez la cruauté! que cette rare, cette étonnante Madame de Tourvel ne fût plus pour vous qu'une femme ordinaire, une femme telle qu'elle est seulement car il ne faut pas s'y tromper; ce charme qu'on croit trouver dans les autres, c'est en nous qu'il existe; et c'est l'amour seul qui embellit tant l'objet aimé. Ce que je vous demande là , tout impossible que cela soit, vous feriez peut-ÃÂȘtre bien l'effort de me le promettre, de me le jurer mÃÂȘme; mais, je l'avoue, je n'en croirais pas de vains discours. Je ne pourrais ÃÂȘtre persuadée que par l'ensemble de votre conduite. Ce n'est pas tout encore, je serais capricieuse. Ce sacrifice de la petite Cécile, que vous m'offrez de si bonne grùce, je ne m'en soucierais pas du tout. Je vous demanderais au contraire de continuer ce pénible service, jusqu'à nouvel ordre de ma part; soit que j'aimasse à abuser ainsi de mon empire; soit que, plus indulgente ou plus juste, il me suffÃt de disposer de vos sentiments, sans vouloir contrarier vos plaisirs. Quoi qu'il en soit, je voudrais ÃÂȘtre obéie; et mes ordres seraient bien rigoureux! Il est vrai qu'alors je me croirais obligée de vous remercier; que sait-on? peut- ÃÂȘtre mÃÂȘme de vous récompenser. Sûrement, par exemple, j'abrégerais une absence qui me deviendrait insupportable. Je vous reverrais enfin, Vicomte, et je vous reverrais... comment?... Mais vous vous souvenez que ceci n'est plus qu'une conversation, un simple récit d'un projet impossible, et je ne veux pas l'oublier toute seule... Savez-vous que mon procÚs m'inquiÚte un peu? J'ai voulu enfin connaÃtre au juste quels étaient mes moyens; mes Avocats me citent bien quelques Lois, et surtout beaucoup d'autorités , comme ils les appellent mais je n'y vois pas autant de raison et de justice. J'en suis presque à regretter d'avoir refusé l'accommodement. Cependant je me rassure en songeant que le Procureur est adroit, l'Avocat éloquent, et la Plaideuse jolie. Si ces trois moyens devaient ne plus valoir, il faudrait changer tout le train des affaires, et que deviendrait le respect pour les anciens usages? Ce procÚs est actuellement la seule chose qui me retienne ici. Celui de Belleroche est fini hors de Cour, dépens compensés. Il en est à regretter le bal de ce soir; c'est bien le regret d'un désÅ“uvré! Je lui rendrai sa liberté entiÚre, à mon retour à la Ville. Je lui fais ce douloureux sacrifice, et je m'en console par la générosité qu'il y trouve. Adieu, Vicomte, écrivez-moi souvent le détail de vos plaisirs me dédommagera au moins en partie des ennuis que j'éprouve. Du Chùteau de ..., ce 11 novembre 17**. LETTRE CXXXV LA PRESIDENTE DE TOURVEL A MADAME DE ROSEMONDE J'essaie de vous écrire, sans savoir encore si je le pourrai. Ah! Dieu, quand je songe qu'à ma derniÚre Lettre c'était l'excÚs de mon bonheur qui m'empÃÂȘchait de la continuer! C'est celui de mon désespoir qui m'accable à présent; qui ne me laisse de force que pour sentir mes douleurs, et m'Îte celles de les exprimer. Valmont... Valmont ne m'aime plus, il ne m'a jamais aimée. L'amour ne s'en va pas ainsi. Il me trompe, il me trahit, il m'outrage. Tout ce qu'on peut réunir d'infortunes, d'humiliations, je les éprouve, et c'est de lui qu'elles me viennent. Et ne croyez pas que ce soit un simple soupçon j'étais si loin d'en avoir! Je n'ai pas le bonheur de pouvoir douter. Je l'ai vu que pourrait-il me dire pour se justifier?... Mais que lui importe! il ne le tentera seulement pas... Malheureuse! que lui feront tes reproches et tes larmes? c'est bien de toi qu'il s'occupe!... Il est donc vrai qu'il m'a sacrifiée, livrée mÃÂȘme... et à qui?... une vile créature... Mais que dis-je? Ah! j'ai perdu jusqu'au droit de la mépriser. Elle a trahi moins de devoirs, elle est moins coupable que moi. Oh! que la peine est douloureuse quand elle s'appuie sur le remords! Je sens mes tourments qui redoublent. Adieu, ma chÚre amie; quelque indigne que je me sois rendue de votre pitié, vous en aurez cependant pour moi, si vous pouvez vous former l'idée de ce que je souffre. Je viens de relire ma Lettre, et je m'aperçois qu'elle ne peut vous instruire de rien; je vais donc tùcher d'avoir le courage de vous raconter ce cruel événement. C'était hier; je devais pour la premiÚre fois, depuis mon retour, souper hors de chez moi. Valmont vint me voir à cinq heures; jamais il ne m'avait paru si tendre. Il me fit connaÃtre que mon projet de sortir le contrariait, et vous jugez que j'eus bientÎt celui de rester chez moi. Cependant, deux heures aprÚs, et tout à coup, son air et son ton changÚrent sensiblement. Je ne sais s'il me sera échappé quelque chose qui aura pu lui déplaire; quoi qu'il en soit, peu de temps aprÚs, il prétendit se rappeler une affaire qui l'obligeait de me quitter, et il s'en alla ce ne fut pourtant pas sans m'avoir témoigné des regrets trÚs vifs, qui me parurent tendres, et qu'alors je crus sincÚres. Rendue à moi-mÃÂȘme, je jugeai plus convenable de ne pas me dispenser de mes premiers engagements, puisque j'étais libre de les remplir. Je finis ma toilette, et montai en voiture. Malheureusement mon Cocher me fit passer devant l'Opéra, et je me trouvai dans l'embarras de la sortie; j'aperçus à quatre pas devant moi, et dans la file à cÎté de la mienne, la voiture de Valmont. Le cÅ“ur me battit aussitÎt, mais ce n'était pas de crainte; et la seule idée qui m'occupait était le désir que ma voiture avançùt. Au lieu de cela, ce fut la sienne qui fut forcée de reculer, et qui se trouva à cÎté de la mienne. Je m'avançai sur-le-champ quel fut mon étonnement de trouver à ses cÎtés une fille, bien connue pour telle! Je me retirai, comme vous pouvez penser, et c'en était déjà bien assez pour navrer mon cÅ“ur mais ce que vous aurez peine à croire, c'est que cette mÃÂȘme fille apparemment instruite par une odieuse confidence, n'a pas quitté la portiÚre de la voiture, ni cessé de me regarder, avec des éclats de rire à faire scÚne. Dans l'anéantissement oÃÂč j'en fus, je me laissai pourtant conduire dans la maison oÃÂč je devais souper mais il me fut impossible d'y rester; je me sentais, à chaque instant, prÃÂȘte à m'évanouir, et surtout je ne pouvais retenir mes larmes. En rentrant, j'écrivis à M. de Valmont, et lui envoyai ma Lettre aussitÎt; il n'était pas chez lui. Voulant, à quelque prix que ce fût, sortir de cet état de mort, ou le confirmer à jamais, je renvoyai avec ordre de l'attendre mais avant minuit mon Domestique revint, en me disant que le Cocher, qui était de retour, lui avait dit que son MaÃtre ne rentrerait pas de la nuit. J'ai cru ce matin n'avoir plus autre chose à faire qu'à lui redemander mes Lettres, et le prier de ne plus revenir chez moi. J'ai en effet donné des ordres en conséquence; mais sans doute, ils étaient inutiles. Il est prÚs de midi; il ne s'est point encore présenté, et je n'ai pas mÃÂȘme reçu un mot de lui. A présent, ma chÚre amie, je n'ai plus rien à ajouter vous voilà instruite, et vous connaissez mon cÅ“ur. Mon seul espoir est de n'avoir pas longtemps encore à affliger votre sensible amitié. Paris, ce 15 novembre 17**. LETTRE CXXXVI LA PRESIDENTE DE TOURVEL AU VICOMTE DE VALMONT Sans doute, Monsieur, aprÚs ce qui s'est passé hier, vous ne vous attendez plus à ÃÂȘtre reçu chez moi, et sans doute aussi vous le désirez fort peu! Ce billet a donc moins pour objet de vous prier de n'y plus venir, que de vous redemander des Lettres qui n'auraient jamais dû exister; et qui, si elles ont pu vous intéresser un moment, comme des preuves de l'aveuglement que vous aviez fait naÃtre, ne peuvent que vous ÃÂȘtre indifférentes à présent qu'il est dissipé, et qu'elles n'expriment plus qu'un sentiment que vous avez détruit. Je reconnais et j'avoue que j'ai eu tort de prendre en vous une confiance dont tant d'autres avant moi avaient été les victimes; en cela je n'accuse que moi seule mais je croyais au moins n'avoir pas mérité d'ÃÂȘtre livrée, par vous, au mépris et à l'insulte. Je croyais qu'en vous sacrifiant tout, et perdant pour vous seul mes droits à l'estime des autres et à la mienne, je pouvais m'attendre cependant à ne pas ÃÂȘtre jugée par vous plus sévÚrement que par le public, dont l'opinion sépare encore, par un immense intervalle, la femme faible de la femme dépravée. Ces torts, qui seraient ceux de tout le monde, sont les seuls dont je vous parle. Je me tais sur ceux de l'amour; votre cÅ“ur n'entendrait pas le mien. Adieu, Monsieur. Paris, ce 15 novembre 17**. LETTRE CXXXVII LE VICOMTE DE VALMONT A LA PRESIDENTE DE TOURVEL On vient seulement, Madame, de me rendre votre Lettre; j'ai frémi en la lisant, et elle me laisse à peine la force d'y répondre. Quelle affreuse idée avez-vous donc de moi! Ah! sans doute, j'ai des torts; et tels que je ne me les pardonnerai de ma vie, quand mÃÂȘme vous les couvririez de votre indulgence. Mais que ceux que vous me reprochez ont toujours été loin de mon ùme! Qui, moi! vous humilier! vous avilir! quand je vous respecte autant que je vous chéris; quand je n'ai connu l'orgueil que du moment oÃÂč vous m'avez jugé digne de vous. Les apparences vous ont déçue; et je conviens qu'elles ont pu ÃÂȘtre contre moi mais n'aviez-vous donc pas dans votre cÅ“ur ce qu'il fallait pour les combattre? et ne s'est-il pas révolté à la seule idée qu'il pouvait avoir à se plaindre du mien? Vous l'avez cru cependant! Ainsi, non seulement vous m'avez jugé capable de ce délire atroce, mais vous avez mÃÂȘme craint de vous y ÃÂȘtre exposée par vos bontés pour moi. Ah! si vous vous trouvez dégradée à ce point par votre amour, je suis donc moi-mÃÂȘme bien vil à vos yeux? Oppressé par le sentiment douloureux que cette idée me cause, je perds à la repousser le temps que je devrais employer à la détruire. J'avouerai tout; une autre considération me retient encore. Faut-il donc retracer des faits que je voudrais anéantir et fixer votre attention et la mienne sur un moment d'erreur que je voudrais racheter du reste de ma vie, dont je suis encore à concevoir la cause, et dont le souvenir doit faire à jamais mon humiliation et mon désespoir? Ah! si, en m'accusant, je dois exciter votre colÚre, vous n'aurez pas au moins à chercher loin votre vengeance; il vous suffira de me livrer à mes remords. Cependant, qui le croirait? cet événement a pour premiÚre cause le charme tout-puissant que j'éprouve auprÚs de vous. Ce fut lui qui me fit oublier trop longtemps une affaire importante, et qui ne pouvait se remettre. Je vous quittai trop tard, et ne trouvai plus la personne que j'allais chercher. J'espérais la rejoindre à l'Opéra, et ma démarche fut pareillement infructueuse. Emilie que j'y trouvai, que j'ai connue dans un temps oÃÂč j'étais bien loin de connaÃtre ni vous ni l'amour. Emilie n'avait pas sa voiture, et me demanda de la remettre chez elle à quatre pas de là . Je n'y vis aucune conséquence, et j'y consentis. Mais ce fut alors que je vous rencontrai; et je sentis sur-le-champ que vous seriez portée à me juger coupable. La crainte de vous déplaire ou de vous affliger est si puissante sur moi, qu'elle dut ÃÂȘtre et fut en effet bientÎt remarquée. J'avoue mÃÂȘme qu'elle me fit tenter d'engager cette fille à ne pas se montrer; cette précaution de la délicatesse a tourné contre l'amour. Accoutumée, comme toutes celles de son état, à n'ÃÂȘtre sûre d'un empire toujours usurpé que par l'abus qu'elles se permettent d'en faire. Emilie se garda bien d'en laisser échapper une occasion si éclatante. Plus elle voyait mon embarras s'accroÃtre, plus elle affectait de se montrer; et sa folle gaieté, dont je rougis que vous ayez pu un moment vous croire l'objet, n'avait de cause que la peine cruelle que je ressentais, qui elle-mÃÂȘme venait encore de mon respect et de mon amour. Jusque-là , sans doute, je suis plus malheureux que coupable; et ces torts, qui seraient ceux de tout le monde, et les seuls dont vous me parlez, ces torts n'existant pas, ne peuvent m'ÃÂȘtre reprochés. Mais vous vous taisez en vain sur ceux de l'amour je ne garderai pas sur eux le mÃÂȘme silence; un trop grand intérÃÂȘt m'oblige à le rompre. Ce n'est pas que, dans la confusion oÃÂč je suis de cet inconcevable égarement, je puisse, sans une extrÃÂȘme douleur, prendre sur moi d'en rappeler le souvenir. Pénétré de mes torts, je consentirais à en porter la peine, ou j'attendrais mon pardon du temps, de mon éternelle tendresse et de mon repentir. Mais comment pouvoir me taire, quand ce qui me reste à vous dire importe à votre délicatesse? Ne croyez pas que je cherche un détour pour excuser ou pallier ma faute; je m'avoue coupable. Mais je n'avoue point, je n'avouerai jamais que cette erreur humiliante puisse ÃÂȘtre regardée comme un tort de l'amour. Eh! que peut-il y avoir de commun entre une surprise des sens, entre un moment d'oubli de soi-mÃÂȘme, que suivent bientÎt la honte et le regret, et un sentiment pur, qui ne peut naÃtre que dans une ùme délicate et s'y soutenir que par l'estime, et dont enfin le bonheur est le fruit! Ah! ne profanez pas ainsi l'amour. Craignez surtout de vous profaner vous-mÃÂȘme, en réunissant sous un mÃÂȘme point de vue ce qui jamais ne peut se confondre. Laissez les femmes viles et dégradées redouter une rivalité qu'elles sentent malgré elles pouvoir s'établir, et éprouver les tourments d'une jalousie également cruelle et humiliante mais, vous, détournez vos yeux de ces objets qui souilleraient vos regards; et pure comme la Divinité, comme elle aussi punissez l'offense sans la ressentir. Mais quelle peine m'imposerez-vous, qui me soit plus douloureuse que celle que je ressens? qui puisse ÃÂȘtre comparée au regret de vous avoir déplu, au désespoir de vous avoir affligée, à l'idée accablante de m'ÃÂȘtre rendu moins digne de vous? Vous vous occupez de punir! et moi, je vous demande des consolations non que je les mérite; mais parce qu'elles me sont nécessaires, et qu'elles ne peuvent me venir que de vous. Si, tout à coup, oubliant mon amour et le vÎtre, et ne mettant plus de prix à mon bonheur, vous voulez au contraire me livrer à une douleur éternelle, vous en avez le droit frappez; mais si, plus indulgente, ou plus sensible, vous vous rappelez encore ces sentiments si tendres qui unissaient nos cÅ“urs; cette volupté de l'ùme, toujours renaissante et toujours plus vivement sentie; ces jours si doux, si fortunés que chacun de nous devait à l'autre; tous ces biens de l'amour et que lui seul procure! peut-ÃÂȘtre préférerez-vous le pouvoir de les faire renaÃtre à celui de les détruire. Que vous dirai-je enfin? j'ai tout perdu, et tout perdu par ma faute; mais je puis tout recouvrer par vos bienfaits. C'est à vous à décider maintenant. Je n'ajoute plus qu'un mot. Hier encore vous me juriez que mon bonheur était bien sûr tant qu'il dépendrait de vous! Ah! Madame, me livrerez-vous aujourd'hui à un désespoir éternel? Paris, ce 15 novembre 17**. LETTRE CXXXVIII LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Je persiste, ma belle amie non, je ne suis point amoureux; et ce n'est pas ma faute, si les circonstances me forcent d'en jouer le rÎle. Consentez seulement; et revenez; vous verrez bientÎt par vous-mÃÂȘme combien je suis sincÚre. J'ai fait mes preuves hier, et elles ne peuvent ÃÂȘtre détruites par ce qui se passe aujourd'hui. J'étais donc chez la tendre Prude, et j'y étais bien sans aucune autre affaire car la petite Volanges, malgré son état, devait passer toute la nuit au bal précoce de Madame V***. Le désÅ“uvrement m'avait fait désirer d'abord de prolonger cette soirée; et j'avais mÃÂȘme, à ce sujet, exigé un petit sacrifice; mais à peine fut-il accordé, que le plaisir que je me promettais fut troublé par l'idée de cet amour que vous vous obstinez à me croire, ou au moins à me reprocher; en sorte que je n'éprouvai plus d'autre désir que celui de pouvoir à la fois m'assurer et vous convaincre que c'était de votre part pure calomnie. Je pris donc un parti violent; et sous un prétexte assez léger je laissai là ma Belle, toute surprise et sans doute encore plus affligée. Mais moi, j'allai tranquillement joindre Emilie à l'Opéra; et elle pourrait vous rendre compte que, jusqu'à ce matin que nous nous sommes séparés, aucun regret n'a troublé nos plaisirs. J'avais pourtant un assez beau sujet d'inquiétude si ma parfaite indifférence ne m'en avait sauvé car vous saurez que j'étais à peine à quatre maisons de l'Opéra, et ayant Emilie dans ma voiture, que celle de l'austÚre Dévote vint exactement ranger la mienne, et qu'un embarras survenu nous laissa prÚs d'un demi-quart d'heure à cÎté l'un de l'autre. On se voyait comme à midi, et il n'y avait pas moyen d'échapper. Mais ce n'est pas tout; je m'avisai de confier à Emilie que c'était la femme à la Lettre. Vous vous rappellerez peut-ÃÂȘtre cette folie-là , et qu'Emilie était le pupitre [Lettres XLVII et XLVIII]. Elle qui ne l'avait pas oubliée, et qui est rieuse, n'eut de cesse qu'elle n'eût considéré tout à son aise cette vertu , disait-elle, et cela, avec des éclats de rire d'un scandale à en donner de l'humeur. Ce n'est pas tout encore; la jalouse femme n'envoya-t-elle pas, chez moi, dÚs le soir mÃÂȘme? Je n'y étais pas mais, dans son obstination, elle y envoya une seconde fois, avec ordre de m'attendre. Moi, dÚs que j'avais été décidé à rester chez Emilie, j'avais renvoyé ma voiture, sans autre ordre au Cocher que de venir me reprendre ce matin; et comme en arrivant chez moi, il y trouva l'amoureux Messager, il crut tout simple de lui dire que je ne rentrerais pas de la nuit. Vous devinez bien l'effet de cette nouvelle, et qu'à mon retour j'ai trouvé mon congé signifié avec toute la dignité que comportait la circonstance. Ainsi cette aventure, interminable selon vous, aurait pu, comme vous voyez, ÃÂȘtre finie de ce matin; si mÃÂȘme elle ne l'est pas, ce n'est point, comme vous l'allez croire, que je mette du prix à la continuer c'est que, d'une part, je n'ai pas trouvé décent de me laisser quitter; et, de l'autre, que j'ai voulu vous réserver l'honneur de ce sacrifice. J'ai donc répondu au sévÚre billet par une grande épÃtre de sentiments; j'ai donné de longues raisons, et je me suis reposé sur l'amour du soin de les faire trouver bonnes. J'ai déjà réussi. Je viens de recevoir un second billet, toujours bien rigoureux, et qui confirme l'éternelle rupture, comme cela devait ÃÂȘtre; mais dont le ton n'est pourtant plus le mÃÂȘme. Surtout, on ne veut plus me voir ce parti pris y est annoncé quatre fois de la maniÚre la plus irrévocable. J'en ai conclu qu'il n'y avait pas un moment à perdre pour me présenter. J'ai déjà envoyé mon Chasseur, pour s'emparer du Suisse; et dans un moment, j'irai moi-mÃÂȘme faire signer mon pardon car dans les torts de cette espÚce, il n'y a qu'une seule formule qui porte absolution générale, et celle-là ne s'expédie qu'en présence. Adieu, ma charmante amie; je cours tenter ce grand événement. Paris, ce 15 novembre 17**. LETTRE CXXXIX LA PRESIDENTE DE TOURVEL A MADAME DE ROSEMONDE Que je me reproche, ma sensible amie, de vous avoir parlé trop et trop tÎt de mes peines passagÚres! je suis cause que vous vous affligez à présent; ces chagrins qui vous viennent de moi durent encore, et moi, je suis heureuse. Oui, tout est oublié, pardonné; disons mieux, tout est réparé. A cet état de douleur et d'angoisses, ont succédé le calme et les délices. Ô joie de mon cÅ“ur, comment vous exprimer! Valmont est innocent; on n'est point coupable avec autant d'amour. Ces torts graves, offensants que je lui reprochais avec tant d'amertume, il ne les avait pas et si, sur un seul point, j'ai eu besoin d'indulgence, n'avais-je donc pas aussi mes injustices à réparer? Je ne vous ferai point le détail des faits ou des raisons qui le justifient; peut- ÃÂȘtre mÃÂȘme l'esprit les apprécierait mal c'est au cÅ“ur seul qu'il appartient de les sentir. Si pourtant vous deviez me soupçonner de faiblesse, j'appellerais votre jugement à l'appui du mien. Pour les hommes, dites-vous vous-mÃÂȘme, l'infidélité n'est pas l'inconstance. Ce n'est pas que je ne sente que cette distinction, qu'en vain l'opinion autorise, n'en blesse pas moins la délicatesse mais de quoi se plaindrait la mienne, quand celle de Valmont en souffre plus encore? Ce mÃÂȘme tort que j'oublie, ne croyez pas qu'il se le pardonne ou s'en console; et pourtant, combien n'a-t-il pas réparé cette légÚre faute par l'excÚs de son amour et celui de mon bonheur! Ou ma félicité est plus grande, ou j'en sens mieux le prix depuis que j'ai craint de l'avoir perdue mais ce que je puis vous dire, c'est que, si je me sentais la force de supporter encore des chagrins aussi cruels que ceux que je viens d'éprouver, je ne croirais pas en acheter trop cher le surcroÃt de bonheur que j'ai goûté depuis. Ô ma tendre mÚre, grondez votre fille inconsidérée de vous avoir affligée par trop de précipitation; grondez-la d'avoir jugé témérairement et calomnié celui qu'elle ne devait pas cesser d'adorer; mais en la reconnaissant imprudente, voyez-la heureuse, et augmentez sa joie en la partageant. Paris, ce 16 novembre 17**, au soir. LETTRE CXL LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL . Comment donc se fait-il, ma belle amie, que je ne reçoive point de réponse de vous? Ma derniÚre Lettre pourtant me paraissait en mériter une; et depuis trois jours que je devrais l'avoir reçue, je l'attends encore! Je suis fùché au moins; aussi ne vous parlerai-je pas du tout de mes grandes affaires. Que le raccommodement ait eu son plein effet; qu'au lieu de reproches et de méfiance, il n'ait produit que de nouvelles tendresses; que ce soit moi actuellement qui reçoive les excuses et les réparations dues à ma candeur soupçonnée; je ne vous en dirai mot et sans l'événement imprévu de la nuit derniÚre, je ne vous écrirais pas du tout. Mais comme celui-là regarde votre Pupille, et que vraisemblablement elle ne sera pas dans le cas de vous en informer elle-mÃÂȘme, au moins de quelque temps, je me charge de ce soin. Par des raisons que vous devinerez, ou que vous ne devinerez pas, Madame de Tourvel ne m'occupait plus depuis quelques jours, et comme ces raisons-là ne pouvaient exister chez la petite Volanges, j'en étais devenu plus assidu auprÚs d'elle. Grùce à l'obligeant Portier, je n'avais aucun obstacle à vaincre et nous menions, votre Pupille et moi, une vie commode et bien réglée. Mais l'habitude amÚne la négligence les premiers jours nous n'avions jamais pris assez de précautions pour notre sûreté, nous tremblions encore derriÚre les verrous. Hier, une incroyable distraction a causé l'accident dont j'ai à vous instruire; et si, pour mon compte, j'en ai été quitte pour la peur, il en coûte plus cher à la petite fille. Nous ne dormions pas, mais nous étions dans le repos et l'abandon qui suivent la volupté, quand nous avons entendu la porte de la chambre s'ouvrir tout à coup. AussitÎt je saute à mon épée, tant pour ma défense que pour celle de notre commune Pupille; je m'avance et ne vois personne mais en effet la porte était ouverte. Comme nous avions de la lumiÚre, j'ai été à la recherche, et n'ai trouvé ùme qui vive. Alors je me suis rappelé que nous avions oublié nos précautions ordinaires; et sans doute la porte poussée seulement, ou mal fermée, s'était ouverte d'elle-mÃÂȘme. En allant rejoindre ma timide compagne pour la tranquilliser, je ne l'ai plus trouvée dans son lit; elle était tombée, ou s'était sauvée dans sa ruelle enfin, elle y était étendue sans connaissance, et sans autre mouvement que d'assez fortes convulsions. Jugez de mon embarras! Je parvins pourtant à la remettre dans son lit, et mÃÂȘme à la faire revenir; mais elle s'était blessée dans sa chute, et elle ne tarda pas à en ressentir les effets. Des maux de reins, de violentes coliques, des symptÎmes moins équivoques encore, m'ont eu bientÎt éclairé sur son état mais, pour le lui apprendre, il a fallu lui dire d'abord celui oÃÂč elle était auparavant; car elle ne s'en doutait pas. Jamais peut-ÃÂȘtre, jusqu'à elle, on n'avait conservé tant d'innocence, en faisant si bien tout ce qu'il fallait pour s'en défaire! Oh! celle-là ne perd pas son temps à réfléchir! Mais elle en perdait beaucoup à se désoler, et je sentais qu'il fallait prendre un parti. Je suis donc convenu avec elle que j'irais sur-le-champ chez le Médecin et le Chirurgien de la maison, et qu'en les prévenant qu'on allait venir les chercher, je leur confierais le tout, sous le secret; qu'elle, de son cÎté, sonnerait sa Femme de chambre; qu'elle lui ferait ou ne lui ferait pas sa confidence, comme elle voudrait; mais qu'elle enverrait chercher du secours, et défendrait surtout qu'on réveillùt Madame de Volanges attention délicate et naturelle d'une fille qui craint d'inquiéter sa mÚre. J'ai fait mes deux courses et mes deux confessions le plus lestement que j'ai pu, et de là , je suis rentré chez moi, d'oÃÂč je ne suis pas encore sorti; mais le Chirurgien, que je connaissais d'ailleurs, est venu à midi me rendre compte de l'état de la malade. Je ne m'étais pas trompé; mais il espÚre que, s'il ne survient pas d'accident, on ne s'apercevra de rien dans la maison. La Femme de chambre est du secret; le Médecin a donné un nom à la maladie; et cette affaire s'arrangera comme mille autres, à moins que par la suite il ne nous soit utile qu'on en parle. Mais y a-t-il encore quelque intérÃÂȘt commun entre vous et moi? Votre silence m'en ferait douter; je n'y croirais mÃÂȘme plus du tout, si le désir que j'en ai ne me faisait chercher tous les moyens d'en conserver l'espoir. Adieu, ma belle amie; je vous embrasse, rancune tenante. Paris, ce 21 novembre 17**. LETTRE CXLI LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT Mon Dieu, Vicomte, que vous me gÃÂȘnez par votre obstination! Que vous importe mon silence? croyez-vous, si je le garde, que ce soit faute de raisons pour me défendre? Ah! plût à Dieu! Mais non, c'est seulement qu'il m'en coûte de vous les dire. Parlez-moi vrai; vous faites-vous illusion à vous-mÃÂȘme, ou cherchez-vous à me tromper? la différence entre vos discours et vos actions ne me laisse de choix qu'entre ces deux sentiments lequel est le véritable? Que voulez-vous donc que je vous dise, quand moi-mÃÂȘme je ne sais que penser? Vous paraissez vous faire un grand mérite de votre derniÚre scÚne avec la Présidente; mais qu'est-ce donc qu'elle prouve pour votre systÚme, ou contre le mien? Assurément je ne vous ai jamais dit que vous aimiez assez cette femme pour ne pas la tromper, pour n'en pas saisir toutes les occasions qui vous paraÃtraient agréables ou faciles; je ne doutais mÃÂȘme pas qu'il ne vous fût à peu prÚs égal de satisfaire avec une autre avec la premiÚre venue jusqu'aux désirs que celle-ci seule aurait fait naÃtre; et je ne suis pas surprise que, pour un libertinage d'esprit qu'on aurait tort de vous disputer, vous ayez fait une fois par projet ce que vous aviez fait mille autres par occasion. Qui ne sait que c'est là le simple courant du monde, et votre usage à tous, tant que vous ÃÂȘtes, depuis le scélérat jusqu'aux espÚces ? Celui qui s'en abstient aujourd'hui passe pour romanesque, et ce n'est pas là , je crois, le défaut que je vous reproche. Mais ce que j'ai dit, ce que j'ai pensé, ce que je pense encore, c'est que vous n'en avez pas moins de l'amour pour votre Présidente; non pas, à la vérité, de l'amour bien pur ni bien tendre, mais de celui que vous pouvez avoir; de celui, par exemple, qui fait trouver à une femme les agréments ou les qualités qu'elle n'a pas; qui la place dans une classe à part, et met toutes les autres en second ordre; qui vous tient encore attaché à elle, mÃÂȘme alors que vous l'outragez; tel enfin que je conçois qu'un Sultan peut le ressentir pour sa Sultane favorite, ce qui ne l'empÃÂȘche pas de lui préférer souvent une simple Odalisque. Ma comparaison me paraÃt d'autant plus juste que, comme lui, jamais vous n'ÃÂȘtes ni l'Amant ni l'ami d'une femme; mais toujours son tyran ou son esclave. Aussi suis-je bien sûre que vous vous ÃÂȘtes bien humilié, bien avili, pour rentrer en grùce avec ce bel objet! et trop heureux d'y ÃÂȘtre parvenu, dÚs que vous croyez le moment arrivé d'obtenir votre pardon, vous me quittez pour ce grand événement . Encore dans votre derniÚre Lettre, si vous ne m'y parlez pas de cette femme uniquement, c'est que vous ne voulez m'y rien dire de vos grandes affaires ; elles vous semblent si importantes que le silence que vous gardez à ce sujet vous semble une punition pour moi. Et c'est aprÚs ces mille preuves de votre préférence décidée pour une autre que vous me demandez tranquillement s'il y a encore quelque intérÃÂȘt commun entre vous et moi ? Prenez-y garde, Vicomte! si une fois je réponds, ma réponse sera irrévocable; et craindre de la faire en ce moment, c'est peut-ÃÂȘtre déjà en dire trop. Aussi je n'en veux absolument plus parler. Tout ce que je peux faire, c'est de vous raconter une histoire. Peut-ÃÂȘtre n'aurez-vous pas le temps de la lire, ou celui d'y faire assez attention pour la bien entendre? libre à vous. Ce ne sera, au pis aller, qu'une histoire de perdue. Un homme de ma connaissance s'était empÃÂȘtré, comme vous, d'une femme qui lui faisait peu d'honneur. Il avait bien, par intervalles, le bon esprit de sentir que, tÎt ou tard, cette aventure lui ferait tort mais quoiqu'il en rougÃt, il n'avait pas le courage de rompre. Son embarras était d'autant plus grand qu'il s'était vanté à ses amis d'ÃÂȘtre entiÚrement libre; et qu'il n'ignorait pas que le ridicule qu'on a augmente toujours en proportion qu'on s'en défend. Il passait ainsi sa vie, ne cessant de faire des sottises, et ne cessant de dire aprÚs Ce n'est pas ma faute. Cet homme avait une amie qui fut tentée un moment de le livrer au Public en cet état d'ivresse, et de rendre ainsi son ridicule ineffaçable; mais pourtant, plus généreuse que maligne, ou peut-ÃÂȘtre encore par quelque autre motif, elle voulut tenter un dernier moyen, pour ÃÂȘtre, à tout événement, dans le cas de dire comme son ami Ce n'est pas ma faute . Elle lui fit donc parvenir sans aucun autre avis la Lettre qui suit, comme un remÚde dont l'usage pourrait ÃÂȘtre utile à son mal. " On s'ennuie de tout, mon Ange, c'est une Loi de la Nature; ce n'est pas ma faute. " " Si donc je m'ennuie aujourd'hui d'une aventure qui m'a occupé entiÚrement depuis quatre mortels mois, ce n'est pas ma faute. " " Si, par exemple, j'ai eu juste autant d'amour que toi de vertu, et c'est sûrement beaucoup dire, il n'est pas étonnant que l'un ait fini en mÃÂȘme temps que l'autre. Ce n'est pas ma faute. " " Il suit de là que depuis quelque temps je t'ai trompée mais aussi, ton impitoyable tendresse m'y forçait en quelque sorte! Ce n'est pas ma faute. " " Aujourd'hui, une femme que j'aime éperdument exige que je te sacrifie. Ce n'est pas ma faute. " " Je sens bien que voilà une belle occasion de crier au parjure mais si la Nature n'a accordé aux hommes que la constance, tandis qu'elle donnait aux femmes l'obstination, ce n'est pas ma faute. " " Crois-moi, choisis un autre Amant, comme j'ai fait une autre MaÃtresse. Ce conseil est bon, trÚs bon; si tu le trouves mauvais, ce n'est pas ma faute. " " Adieu, mon Ange, je t'ai prise avec plaisir, je te quitte sans regret je te reviendrai peut-ÃÂȘtre. Ainsi va le monde. Ce n'est pas ma faute. " De vous dire, Vicomte, l'effet de cette derniÚre tentative, et ce qui s'en est suivi, ce n'est pas le moment mais je vous promets de vous le dire dans ma premiÚre Lettre. Vous y trouverez aussi mon ultimatum sur le renouvellement du traité que vous me proposez. Jusque-là , adieu tout simplement... A propos, je vous remercie de vos détails sur la petite Volanges; c'est un article à réserver jusqu'au lendemain du mariage, pour la Gazette de médisance. En attendant, je vous fais mon compliment de condoléances sur la perte de votre postérité. Bonsoir, Vicomte. Du Chùteau de ..., ce 24 novembre 17**. LETTRE CXLII LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Ma foi, ma belle amie, je ne sais si j'ai mal lu ou. mal entendu, et votre Lettre, et l'histoire que vous m'y faites, et le petit modÚle épistolaire qui y était compris. Ce que je puis vous dire, c'est que ce dernier m'a paru original et propre à faire de l'effet aussi je l'ai copié tout simplement, et tout simplement encore je l'ai envoyé à la céleste Présidente. Je n'ai pas perdu un moment, car la tendre missive a été expédiée dÚs hier au soir. Je l'ai préféré ainsi, parce que d'abord je lui avais promis de lui écrire hier; et puis aussi, parce que j'ai pensé qu'elle n'aurait pas trop de toute la nuit, pour se recueillir et méditer sur ce grand événement , dussiez-vous une seconde fois me reprocher l'expression. J'espérais pouvoir vous renvoyer ce matin la réponse de ma bien-aimée mais il est prÚs de midi, et je n'ai encore rien reçu. J'attendrai jusqu'à trois heures; et si alors je n'ai pas eu de nouvelles, j'irai en chercher moi-mÃÂȘme; car, surtout en fait de procédés, il n'y a que le premier pas qui coûte. A présent, comme vous pouvez croire, je suis fort empressé d'apprendre la fin de l'histoire de cet homme de votre connaissance, si. véhémentement soupçonné de ne savoir pas, au besoin, sacrifier une femme. Ne se sera-t-il pas corrigé? et sa généreuse amie ne lui aura-t-elle pas fait grùce? Je ne désire pas moins de recevoir votre ultimatum comme vous dites si politiquement! Je suis curieux, surtout, de savoir si, dans cette derniÚre démarche, vous trouverez encore de l'amour. Ah! sans doute, il y en a, et beaucoup! Mais pour qui? Cependant, je ne prétends rien faire valoir, et j'attends tout de vos bontés. Adieu, ma charmante amie, je ne fermerai cette Lettre qu'à deux heures, dans l'espoir de pouvoir y joindre la réponse désirée. A deux heures aprÚs-midi. Toujours rien, l'heure me presse beaucoup; je n'ai pas le temps d'ajouter un mot mais cette fois, refuserez-vous encore les plus tendres baisers de l'amour? Paris, ce 27 novembre 17**. LETTRE CXLIII LA PRESIDENTE DE TOURVEL A MADAME DE ROSEMONDE Le voile est déchiré, Madame, sur lequel était peinte l'illusion de mon bonheur. La funeste vérité m'éclaire, et ne me laisse voir qu'une mort assurée et prochaine, dont la route m'est tracée entre la honte et le remords. Je la suivrai... je chérirai mes tourments s'ils abrÚgent mon existence. Je vous envoie la Lettre que j'ai reçue hier; je n'y joindrai aucune réflexion, elle les porte avec elle. Ce n'est plus le temps de se plaindre, il n'y a plus qu'à souffrir. Ce n'est pas de pitié que j'ai besoin, c'est de force. Recevez, Madame, le seul adieu que je ferai, et exaucez ma derniÚre priÚre; c'est de me laisser à mon sort, de m'oublier entiÚrement, de ne plus me compter sur la terre. Il est un terme dans le malheur, oÃÂč l'amitié mÃÂȘme augmente nos souffrances et ne peut les guérir. Quand les blessures sont mortelles, tout secours devient inhumain. Tout autre sentiment m'est étranger, que celui du désespoir. Rien ne peut plus me convenir que la nuit profonde oÃÂč je vais ensevelir ma honte. J'y pleurerai mes fautes, si je puis pleurer encore! car, depuis hier, je n'ai pas versé une larme. Mon cÅ“ur flétri n'en fournit plus. Adieu, Madame. Ne me répondez point. J'ai fait le serment sur cette Lettre cruelle de n'en plus recevoir aucune. Paris, ce 27 novembre 17**. LETTRE CXLIV LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Hier, à trois heures du soir, ma belle amie, impatienté de n'avoir pas de nouvelles, je me suis présenté chez la belle délaissée; on m'a dit qu'elle était sortie. Je n'ai vu, dans cette phrase, qu'un refus de me recevoir, qui ne m'a ni fùché ni surpris; et je me suis retiré, dans l'espérance que cette démarche engagerait au moins une femme si polie à m'honorer d'un mot de réponse. L'envie que j'avais de la recevoir m'a fait passer exprÚs chez moi vers les neuf heures, et je n'y ai rien trouvé. Etonné de ce silence, auquel je ne m'attendais pas, j'ai chargé mon Chasseur d'aller aux informations, et de savoir si la sensible personne était morte ou mourante. Enfin, quand je suis rentré, il m'a appris que Madame de Tourvel était sortie en effet à onze heures du matin, avec sa Femme de chambre; qu'elle s'était fait conduire au Couvent de... , et qu'à sept heures du soir, elle avait renvoyé sa voiture et ses gens, en faisant dire qu'on ne l'attendÃt pas chez elle. Assurément, c'est se mettre en rÚgle. Le Couvent est le véritable asile d'une veuve; et si elle persiste dans une résolution si louable, je joindrai à toutes les obligations que je lui ai déjà celle de la célébrité que va prendre cette aventure. Je vous le disais bien, il y a quelque temps, que malgré vos inquiétudes je ne reparaÃtrais sur la scÚne du monde que brillant d'un nouvel éclat. Qu'ils se montrent donc, ces Critiques sévÚres, qui m'accusaient d'un amour romanesque et malheureux; qu'ils fassent des ruptures plus promptes et plus brillantes mais non, qu'ils fassent mieux; qu'ils se présentent comme consolateurs, la route leur est tracée. Hé bien! qu'ils osent seulement tenter cette carriÚre que j'ai parcourue en entier; et si l'un d'eux obtient le moindre succÚs, je lui cÚde la premiÚre place. Mais ils éprouveront tous que, quand j'y mets du soin, l'impression que je laisse est ineffaçable. Ah! sans doute, celle- ci le sera; et je compterais pour rien tous mes autres triomphes, si jamais je devais avoir auprÚs de cette femme un rival préféré. Ce parti qu'elle a pris flatte mon amour-propre, j'en conviens mais je suis fùché qu'elle ait trouvé en elle une force suffisante pour se séparer autant de moi. Il y aura donc entre nous deux d'autres obstacles que ceux que j'aurai mis moi-mÃÂȘme! Quoi! si je voulais me rapprocher d'elle, elle pourrait ne le plus vouloir; que dis-je? ne le pas désirer, n'en plus faire son suprÃÂȘme bonheur! Est-ce donc ainsi qu'on aime? et croyez-vous, ma belle amie, que je doive le souffrir? Ne pourrais-je pas par exemple, et ne vaudrait-il pas mieux tenter de ramener cette femme au point de prévoir la possibilité d'un raccommodement, qu'on désire toujours tant qu'on l'espÚre? je pourrais essayer cette démarche sans y mettre d'importance, et par conséquent, sans qu'elle vous donnùt d'ombrage. Au contraire! ce serait un simple essai que nous ferions de concert; et quand mÃÂȘme je réussirais, ce ne serait qu'un moyen de plus de renouveler, à votre volonté, un sacrifice qui a paru vous ÃÂȘtre agréable. A présent, ma belle amie, il me reste à en recevoir le prix, et tous mes vÅ“ux sont pour votre retour. Venez donc vite retrouver votre Amant, vos plaisirs, vos amis, et le courant des aventures. Celle de la petite Volanges a tourné à merveille. Hier, que mon inquiétude ne me permettait pas de rester en place, j'ai été, dans mes courses différentes, jusque chez Madame de Volanges. J'ai trouvé votre Pupille déjà dans le salon, encore dans le costume de malade, mais en pleine convalescence, et n'en étant que plus fraÃche et plus intéressante. Vous autres femmes, en pareil cas, vous seriez restées un mois sur votre chaise longue ma foi, vivent les demoiselles! Celle-ci m'a en vérité donné envie de savoir si la guérison était parfaite. J'ai encore à vous dire que cet accident de la petite fille a pensé rendre fou votre sentimentaire Danceny. D'abord, c'était de chagrin; aujourd'hui c'est de joie. Sa Cécile était malade! Vous jugez que la tÃÂȘte tourne dans un tel malheur. Trois fois par jour il envoyait savoir des nouvelles, et n'en passait aucun sans s'y présenter lui-mÃÂȘme; enfin il a demandé, par une belle EpÃtre à la Maman, la permission d'aller la féliciter sur la convalescence d'un objet si cher et Madame de Volanges y a consenti si bien que j'ai trouvé le jeune homme établi comme par le passé, à un peu de familiarité prÚs qu'il n'osait encore se permettre. C'est de lui-mÃÂȘme que j'ai su ces détails; car je suis sorti en mÃÂȘme temps que lui, et je l'ai fait jaser. Vous n'avez pas d'idée de l'effet que cette visite lui a causé. C'est une joie, ce sont des désirs, des transports impossibles à rendre. Moi qui aime les grands mouvements, j'ai achevé de lui faire perdre la tÃÂȘte, en l'assurant que sous trÚs peu de jours je le mettrais à mÃÂȘme de voir sa belle de plus prÚs encore. En effet, je suis décidé à la lui remettre, aussitÎt aprÚs mon expérience faite. Je veux me consacrer à vous tout entier; et puis, vaudrait-il la peine que votre pupille fût aussi mon élÚve, si elle ne devait tromper que son mari? Le chef- d'Å“uvre est de tromper son Amant et surtout son premier Amant! car pour moi, je n'ai pas à me reprocher d'avoir prononcé le mot d'amour. Adieu, ma belle amie; revenez donc au plus tÎt jouir de votre empire sur moi, en recevoir l'hommage et m'en payer le prix. Paris, ce 28 novembre 17**. LETTRE CXLV LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT Sérieusement, Vicomte, vous avez quitté la Présidente? vous lui avez envoyé la Lettre que je vous avais faite pour elle? En vérité, vous ÃÂȘtes charmant; et vous avez surpassé mon attente! J'avoue de bonne foi que ce triomphe me flatte plus que tous ceux que j'ai pu obtenir jusqu'à présent. Vous allez trouver peut-ÃÂȘtre que j'évalue bien haut cette femme, que naguÚre j'appréciais si peu; point du tout mais c'est que ce n'est pas sur elle que j'ai remporté cet avantage; c'est sur vous voilà le plaisant et ce qui est vraiment délicieux. Oui, Vicomte, vous aimiez beaucoup Madame de Tourvel, et mÃÂȘme vous l'aimez encore; vous l'aimez comme un fou mais parce que je m'amusais à vous en faire honte, vous l'avez bravement sacrifiée. Vous en auriez sacrifié mille, plutÎt que de souffrir une plaisanterie. OÃÂč nous conduit pourtant la vanité! Le Sage a bien raison, quand il dit qu'elle est l'ennemie du bonheur. OÃÂč en seriez-vous à présent, si je n'avais voulu que vous faire une malice? Mais je suis incapable de tromper, vous le savez bien; et dussiez-vous, à mon tour, me réduire au désespoir et au Couvent, j'en cours les risques, et je me rends à mon vainqueur. Cependant si je capitule, c'est en vérité pure faiblesse car si je voulais, que de chicanes n'aurais-je pas encore à faire! et peut-ÃÂȘtre le mériteriez-vous? J'admire, par exemple, avec quelle finesse ou quelle gaucherie vous me proposez en douceur de vous laisser renouer avec la Présidente. Il vous conviendrait beaucoup, n'est-ce pas, de vous donner le mérite de cette rupture sans y perdre les plaisirs de la jouissance? Et comme alors cet apparent sacrifice n'en serait plus un pour vous, vous m'offrez de le renouveler à ma volonté! Par cet arrangement, la céleste Dévote se croirait toujours l'unique choix de votre cÅ“ur, tandis que je m'enorgueillirais d'ÃÂȘtre la rivale préférée; nous serions trompées toutes deux, mais vous seriez content, et qu'importe le reste? C'est dommage qu'avec tant de talent pour les projets vous en ayez si peu pour l'exécution; et que par une seule démarche inconsidérée, vous ayez mis vous-mÃÂȘme un obstacle invincible à ce que vous désirez le plus. Quoi! vous aviez l'idée de renouer, et vous avez pu écrire ma Lettre! Vous m'avez donc crue bien gauche à mon tour! Ah! croyez-moi, Vicomte, quand une femme frappe dans le cÅ“ur d'une autre, elle manque rarement de trouver l'endroit sensible, et la blessure est incurable. Tandis que je frappais celle-ci, ou plutÎt que je dirigeais vos coups, je n'ai pas oublié que cette femme était ma rivale, que vous l'aviez trouvée un moment préférable à moi, et qu'enfin, vous m'aviez placée au-dessous d'elle. Si je me suis trompée dans ma vengeance, je consens à en porter la faute. Ainsi, je trouve bon que vous tentiez tous les moyens je vous y invite mÃÂȘme, et vous promets de ne pas me fùcher de vos succÚs, si vous parvenez à en avoir. Je suis si tranquille sur cet objet que je ne veux plus m'en occuper. Parlons d'autre chose. Par exemple, de la santé de la petite Volanges. Vous m'en direz des nouvelles positives à mon retour, n'est-il pas vrai? Je serai bien aise d'en avoir. AprÚs cela, ce sera à vous de juger s'il vous conviendra mieux de remettre la petite fille à son Amant, ou de tenter de devenir une seconde fois le fondateur d'une nouvelle branche des Valmont, sous le nom de Gercourt. Cette idée m'avait paru assez plaisante, et en vous laissant le choix je vous demande pourtant de ne pas prendre de parti définitif, sans que nous en ayons causé ensemble. Ce n'est pas vous remettre à un terme éloigné, car je serai à Paris incessamment. Je ne peux pas vous dire positivement le jour; mais vous ne doutez pas que, dÚs que je serai arrivée, vous n'en soyez le premier informé. Adieu, Vicomte; malgré mes querelles, mes malices et mes reproches, je vous aime toujours beaucoup, et je me prépare à vous le prouver. Au revoir, mon ami. Du Chùteau de ..., ce 29 novembre 17**. LETTRE CXLVI LA MARQUISE DE MERTEUIL AU CHEVALIER DANCENY Enfin, je pars, mon jeune ami, et demain au soir, je serai de retour à Paris. Au milieu de tous les embarras qu'entraÃne un déplacement, je ne recevrai personne. Cependant, si vous avez quelque confidence bien pressée à me faire, je veux bien vous excepter de la rÚgle générale; mais je n'excepterai que vous ainsi, je vous demande le secret sur mon arrivée. Valmont mÃÂȘme n'en sera pas instruit. Qui m'aurait dit, il y a quelque temps, que bientÎt vous auriez ma confiance exclusive, je ne l'aurais pas cru. Mais la vÎtre a entraÃné la mienne. Je serais tentée de croire que vous y avez mis de l'adresse, peut-ÃÂȘtre mÃÂȘme de la séduction. Cela serait bien mal au moins! Au reste, elle ne serait pas dangereuse à présent; vous avez vraiment bien autre chose à faire! Quand l'Héroïne est en scÚne on ne s'occupe guÚre de la Confidente. Aussi n'avez-vous seulement pas eu le temps de me faire part de vos nouveaux succÚs. Quand votre Cécile était absente, les jours n'étaient pas assez longs pour écouter vos tendres plaintes. Vous les auriez faites aux échos, si je n'avais pas été là pour les entendre. Quand depuis elle a été malade, vous m'avez mÃÂȘme encore honorée du récit de vos inquiétudes; vous aviez besoin de quelqu'un à qui les dire. Mais à présent que celle que vous aimez est à Paris, qu'elle se porte bien, et surtout que vous la voyez quelquefois, elle suffit à tout, et vos amis ne vous sont plus rien. Je ne vous en blùme pas; c'est la faute de vos vingt ans. Depuis Alcibiade jusqu'à vous, ne sait-on pas que les jeunes gens n'ont jamais connu l'amitié que dans leurs chagrins? Le bonheur les rend quelquefois indiscrets, mais jamais confiants. Je dirai bien comme Socrate J'aime que mes amis viennent à moi quand ils sont malheureux [Marmontel, Conte moral d'Alcibiade] ; mais en sa qualité de Philosophe, il se passait bien d'eux quand ils ne venaient pas. En cela, je ne suis pas tout à fait si sage que lui, et j'ai senti votre silence avec toute la faiblesse d'une femme. N'allez pourtant pas me croire exigeante il s'en faut bien que je le sois! Le mÃÂȘme sentiment qui me fait remarquer ces privations me les fait supporter avec courage, quand elles sont la preuve ou la cause du bonheur de mes amis. Je ne compte donc sur vous pour demain au soir, qu'autant que l'amour vous laissera libre et désoccupé, et je vous défends de me faire le moindre sacrifice. Adieu, Chevalier; je me fais une vraie fÃÂȘte de vous revoir viendrez-vous? Du Chùteau de ..., ce 29 novembre 17**. LETTRE CXLVII MADAME DE VOLANGES A MADAME DE ROSEMONDE Vous serez sûrement aussi affligée que je le suis, ma digne amie, en apprenant l'état oÃÂč se trouve Madame de Tourvel; elle est malade depuis hier sa maladie a pris si vivement, et se montre avec des symptÎmes si graves, que j'en suis vraiment alarmée. Une fiÚvre ardente, un transport violent et presque continuel, une soif qu'on ne peut apaiser, voilà tout ce qu'on remarque. Les Médecins disent ne pouvoir rien pronostiquer encore; et le traitement sera d'autant plus difficile que la malade refuse avec obstination toute espÚce de remÚdes c'est au point qu'il a fallu la tenir de force pour la saigner; et il a fallu depuis en user de mÃÂȘme deux autres fois pour lui remettre sa bande, que dans son transport elle veut toujours arracher. Vous qui l'avez vue, comme moi, si peu forte, si timide et si douce, concevez- vous donc que quatre personnes puissent à peine la contenir, et que pour peu qu'on veuille lui représenter quelque chose, elle entre dans des fureurs inexprimables? Pour moi, je crains qu'il n'y ait plus que du délire, et que ce ne soit une vraie aliénation d'esprit. Ce qui augmente ma crainte à ce sujet, c'est ce qui s'est passé avant hier. Ce jour-là , elle arriva vers les onze heures du matin, avec sa Femme de chambre, au Couvent de ... Comme elle a été élevée dans cette Maison, et qu'elle a conservé l'habitude d'y entrer quelquefois, elle y fut reçue comme à l'ordinaire, et elle parut à tout le monde tranquille et bien portante. Environ deux heures aprÚs, elle s'informa si la chambre qu'elle occupait, étant Pensionnaire, était vacante, et sur ce qu'on lui répondit qu'oui, elle demanda d'aller la revoir; la Prieure l'y accompagna avec quelques autres Religieuses. Ce fut alors qu'elle déclara qu'elle revenait s'établir dans cette chambre, que, disait-elle, elle n'aurait jamais dû quitter; et qu'elle ajouta qu'elle n'en sortirait qu'à la mort ce fut son expression. D'abord on ne sut que dire; mais le premier étonnement passé, on lui représenta que sa qualité de femme mariée ne permettait pas de la recevoir sans une permission particuliÚre. Cette raison ni mille autres n'y firent rien; et dÚs ce moment, elle s'obstina, non seulement à ne pas sortir du Couvent, mais mÃÂȘme de sa chambre. Enfin, de guerre lasse à sept heures du soir, on consentit qu'elle y passùt la nuit. On renvoya sa voiture et ses gens, et on remit au lendemain à prendre un parti. On assure que pendant toute la soirée, loin que son air ou son maintien eussent rien d'égaré, l'un et l'autre étaient composés et réfléchis; que seulement elle tomba quatre ou cinq fois dans une rÃÂȘverie si profonde, qu'on ne parvenait pas à l'en tirer en lui parlant; et que, chaque fois, avant d'en sortir, elle portait les deux mains à son front qu'elle avait l'air de serrer avec force sur quoi une des Religieuses qui étaient présentes lui ayant demandé si elle souffrait de la tÃÂȘte, elle la fixa longtemps avant de répondre, et lui dit enfin " Ce n'est pas là qu'est le mal! " Un moment aprÚs, elle demanda qu'on la laissùt seule, et pria qu'à l'avenir on ne lui fÃt plus de question. Tout le monde se retira; hors sa Femme de chambre, qui devait heureusement coucher dans la mÃÂȘme chambre qu'elle, faute d'autre place. Suivant le rapport de cette fille, sa MaÃtresse a été assez tranquille jusqu'à onze heures du soir. Elle a dit alors vouloir se coucher mais, avant d'ÃÂȘtre entiÚrement déshabillée, elle se mit à marcher dans sa chambre, avec beaucoup d'action et de gestes fréquents. Julie, qui avait été témoin de ce qui s'était passé dans la journée, n'osa lui rien dire, et attendit en silence pendant prÚs d'une heure. Enfin, Madame de Tourvel l'appela deux fois coup sur coup; elle n'eut que le temps d'accourir, et sa MaÃtresse tomba dans ses bras, en disant " Je n'en peux plus. " Elle se laissa conduire à son lit, et ne voulut rien prendre, ni qu'on allùt chercher aucun secours. Elle se fit mettre seulement de l'eau auprÚs d'elle, et elle ordonna à Julie de se coucher. Celle-ci assure ÃÂȘtre restée jusqu'à deux heures du matin sans dormir, et n'avoir entendu, pendant ce temps, ni mouvement ni plaintes. Mais elle dit avoir été réveillée à cinq heures par les discours de sa MaÃtresse, qui parlait d'une voix forte et élevée; et qu'alors lui ayant demandé si elle n'avait besoin de rien, et n'obtenant point de réponse, elle prit de la lumiÚre, et alla au lit de Madame de Tourvel, qui ne la reconnut point; mais qui, interrompant tout à coup les propos sans suite qu'elle tenait, s'écria vivement " Qu'on me laisse seule, qu'on me laisse dans les ténÚbres; ce sont les ténÚbres qui me conviennent. " J'ai remarqué hier par moi-mÃÂȘme que cette phrase lui revient souvent. Enfin, Julie profita de cette espÚce d'ordre pour sortir et aller chercher du monde et des secours mais Madame de Tourvel a refusé l'un et l'autre, avec les fureurs et les transports qui sont revenus si souvent depuis. L'embarras oÃÂč cela a mis tout le Couvent a décidé la Prieure à m'envoyer chercher hier à sept heures du matin... Il ne faisait pas jour. Je suis accourue sur-le-champ. Quand on m'a annoncée à Madame de Tourvel, elle a paru reprendre sa connaissance, et a répondu " Ah! oui, qu'elle entre. " Mais quand j'ai été prÚs de son lit, elle m'a regardée fixement, a pris vivement ma main, qu'elle a serrée, et m'a dit d'une voix forte, mais sombre " Je meurs pour ne vous avoir pas crue. " AussitÎt aprÚs, se cachant les yeux, elle est revenue à son discours le plus fréquent " Qu'on me laisse seule, etc. " , et toute connaissance s'est perdue. Ce propos qu'elle m'a tenu et quelques autres échappés dans son délire me font craindre que cette cruelle maladie n'ait une cause plus cruelle encore. Mais respectons les secrets de notre amie, et contentons-nous de plaindre son malheur. Toute la journée d'hier a été également orageuse, et partagée entre des accÚs de transports effrayants et des moments d'un abattement léthargique, les seuls oÃÂč elle prend et donne quelque repos. Je n'ai quitté le chevet de son lit qu'à neuf heures du soir, et je vais y retourner ce matin pour toute la journée. Sûrement je n'abandonnerai pas ma malheureuse amie mais ce qui est désolant, c'est son obstination à refuser tous les soins et tous les secours. Je vous envoie le bulletin de cette nuit que je viens de recevoir, et qui, comme vous le verrez, n'est rien moins que consolant. J'aurai soin de vous les faire passer tous exactement. Adieu, ma digne amie, je vais retrouver la malade. Ma fille, qui heureusement est presque rétablie, vous présente son respect. Paris, 29 novembre 17**. LETTRE CXLVIII LE CHEVALIER DANCENY A LA MARQUISE DE MERTEUIL Ô vous, que j'aime! Î toi, que j'adore! Î vous, qui avez commencé mon bonheur! Î toi, qui l'as comblé! Amie sensible, tendre Amante, pourquoi le souvenir de ta douleur vient-il troubler le charme que j'éprouve? Ah! madame, calmez-vous, c'est l'amitié qui vous le demande. Ô mon amie, sois heureuse, c'est la priÚre de l'amour. Hé! quels reproches avez-vous donc à vous faire? croyez-moi, votre délicatesse vous abuse. Les regrets qu'elle vous cause, les torts dont elle m'accuse, sont également illusoires; et je sens dans mon cÅ“ur qu'il n'y a eu entre nous deux d'autre séducteur que l'amour. Ne crains donc plus de te livrer aux sentiments que tu inspires, de te laisser pénétrer de tous les feux que tu fais naÃtre. Quoi! pour avoir été éclairés plus tard, nos cÅ“urs en seraient-ils moins purs? non, sans doute. C'est au contraire la séduction, qui, n'agissant jamais que par projets, peut combiner sa marche et ses moyens, et prévoir au loin les événements. Mais l'amour véritable ne permet pas ainsi de méditer et de réfléchir il nous distrait de nos pensées par nos sentiments; son empire n'est jamais plus fort que quand il est inconnu; et c'est dans l'ombre et le silence qu'il nous entoure de liens qu'il est également impossible d'apercevoir et de rompre. C'est ainsi qu'hier mÃÂȘme, malgré la vive émotion que me causait l'idée de votre retour, malgré le plaisir extrÃÂȘme que je sentis en vous voyant, je croyais pourtant n'ÃÂȘtre encore appelé ni conduit que par la paisible amitié ou plutÎt, entiÚrement livré aux doux sentiments de mon cÅ“ur, je m'occupais bien peu d'en démÃÂȘler l'origine ou la cause. Ainsi que moi, ma tendre amie, tu éprouvais, sans le connaÃtre, ce charme impérieux qui livrait nos ùmes aux douces impressions de la tendresse et tous deux nous n'avons reconnu l'Amour qu'en sortant de l'ivresse oÃÂč ce Dieu nous avait plongés. Mais cela mÃÂȘme nous justifie au lieu de nous condamner. Non, tu n'as pas trahi l'amitié, et je n'ai pas davantage abusé de ta confiance. Tous deux, il est vrai, nous ignorions nos sentiments; mais cette illusion, nous l'éprouvions seulement sans chercher à la faire naÃtre. Ah! loin de nous en plaindre, ne songeons qu'au bonheur qu'elle nous a procuré; et sans le troubler par d'injustes reproches, ne nous occupons qu'à l'augmenter encore par le charme de la confiance et de la sécurité. Ô mon amie! que cet espoir est cher à mon cÅ“ur! Oui, désormais délivrée de toute crainte, et tout entiÚre à l'amour, tu partageras mes désirs, mes transports, le délire de mes sens, l'ivresse de mon ùme; et chaque instant de nos jours fortunés sera marqué par une volupté nouvelle. Adieu, toi que j'adore! Je te verrai ce soir, mais te trouverai-je seule? Je n'ose l'espérer. Ah! tu ne le désires pas autant que moi. Paris, ce 1er décembre 17**. LETTRE CXLIX MADAME DE VOLANGES A MADAME DE ROSEMONDE J'ai espéré hier, presque toute la journée, ma digne amie, pouvoir vous donner ce matin des nouvelles plus favorables de la santé de notre chÚre malade mais depuis hier au soir cet espoir est détruit, et il ne me reste que le regret de l'avoir perdu. Un événement, bien indifférent en apparence, mais bien cruel par les suites qu'il a eues, a rendu l'état de la malade au moins aussi fùcheux qu'il était auparavant, si mÃÂȘme il n'a pas empiré. Je n'aurais rien compris à cette révolution subite, si je n'avais reçu hier l'entiÚre confidence de notre malheureuse amie. Comme elle ne m'a pas laissé ignorer que vous étiez instruite aussi de toutes ses infortunes, je puis vous parler sans réserve sur sa triste situation. Hier matin, quand je suis arrivée au Couvent, on me dit que la malade dormait depuis plus de trois heures; et son sommeil était si profond et si tranquille que j'eus peur un moment qu'il ne fût léthargique. Quelque temps aprÚs elle se réveilla, et ouvrit elle-mÃÂȘme les rideaux de son lit. Elle nous regarda tous avec l'air de la surprise; et comme je me levais pour aller à elle, elle me reconnut, me nomma, et me pria d'approcher. Elle ne me laissa le temps de lui faire aucune question, et me demanda oÃÂč elle était, ce que nous faisions là , si elle était malade, et pourquoi elle n'était pas chez elle? Je crus d'abord que c'était un nouveau délire, seulement plus tranquille que le précédent mais je m'aperçus qu'elle entendait fort bien mes réponses. Elle avait en effet retrouvé sa tÃÂȘte mais non pas sa mémoire. Elle me questionna, avec beaucoup de détail, sur tout ce qui lui était arrivé depuis qu'elle était au Couvent, oÃÂč elle ne se souvenait pas d'ÃÂȘtre venue. Je lui répondis exactement, en supprimant seulement ce qui aurait pu la trop effrayer et lorsque à mon tour je lui demandai comment elle se trouvait, elle me répondit qu'elle ne souffrait pas dans ce moment; mais qu'elle avait été bien tourmentée pendant son sommeil et qu'elle se sentait fatiguée. Je l'engageai à se tranquilliser et à parler peu; aprÚs quoi, je refermai en partie ses rideaux, que je laissai entrouverts, et je m'assis auprÚs de son lit. Dans le mÃÂȘme temps, on lui proposa un bouillon qu'elle prit et qu'elle trouva bon. Elle resta ainsi environ une demi-heure, durant laquelle elle ne parla que pour me remercier des soins que je lui avais donnés; et elle mit dans ses remerciements l'agrément et la grùce que vous lui connaissez. Ensuite elle garda pendant quelque temps un silence absolu, qu'elle ne rompit que pour dire " Ah! oui, je me ressouviens d'ÃÂȘtre venue ici " , et un moment aprÚs elle s'écria douloureusement " M on amie, mon amie, plaignez-moi; je retrouve tous mes malheurs. " Comme alors je m'avançai vers elle, elle saisit ma main, et s'y appuyant la tÃÂȘte " Grand Dieu! continua-t-elle, ne puis-je donc mourir? " Son expression, plus encore que ses discours, m'attendrit jusqu'aux larmes; elle s'en aperçut à ma voix, et me dit " Vous me plaignez! Ah! si vous connaissiez!... " Et puis s'interrompant " Faites " qu'on nous laisse seules, et je vous dirai tout. " Ainsi que je crois vous l'avoir marqué, j'avais déjà des soupçons sur ce qui devait faire le sujet de cette confidence; et craignant que cette conversation, que je prévoyais devoir ÃÂȘtre longue et triste, ne nuisÃt peut-ÃÂȘtre à l'état de notre malheureuse amie, je m'y refusai d'abord, sous prétexte qu'elle avait besoin de repos mais elle insista, et je me rendis à ses instances. DÚs que nous fûmes seules, elle m'apprit tout ce que déjà vous avez su d'elle, et que par cette raison je ne vous répéterai point. Enfin, en me parlant de la façon cruelle dont elle avait été sacrifiée, elle ajouta " Je me croyais bien sûre d'en mourir, et j'en avais le courage; mais de survivre à mon malheur et à ma honte, c'est ce qui m'est impossible. " Je tentai de combattre ce découragement ou plutÎt ce désespoir, avec les armes de la Religion, jusqu'alors si puissantes sur elle; mais je sentis bientÎt que je n'avais pas assez de force pour ces fonctions augustes et je m'en tins à lui proposer d'appeler le PÚre Anselme, que je sais avoir toute sa confiance. Elle y consentit et parut mÃÂȘme le désirer beaucoup. On l'envoya chercher en effet, et il vint sur-le-champ. Il resta fort longtemps avec la malade, et dit en sortant que si les Médecins en jugeaient comme lui, il croyait qu'on pouvait différer la cérémonie des Sacrements; qu'il reviendrait le lendemain. Il était environ trois heures aprÚs midi, et jusqu'à cinq, notre amie fut assez tranquille en sorte que nous avions tous repris de l'espoir. Par malheur, on apporta alors une Lettre pour elle. Quand on voulut la lui remettre, elle répondit d'abord n'en vouloir recevoir aucune et personne n'insista. Mais de ce moment, elle parut plus agitée. BientÎt aprÚs, elle demanda d'oÃÂč venait cette Lettre? elle n'était pas timbrée qui l'avait apportée? on l'ignorait de quelle part on l'avait remise? on ne l'avait pas dit aux TouriÚres. Ensuite elle garda quelque temps le silence; aprÚs quoi, elle recommença à parler, mais ses propos sans suite nous apprirent seulement que le délire était revenu. Cependant il y eut encore un intervalle tranquille, jusqu'à ce qu'enfin elle demanda qu'on lui remÃt la Lettre qu'on avait apportée pour elle. DÚs qu'elle eut jeté les yeux dessus, elle s'écria " De lui! grand Dieu! " et puis d'une voix forte mais oppressée " Reprenez-la, reprenez-la. " Elle fit sur-le-champ fermer les rideaux de son lit, et défendit que personne approchùt mais presque aussitÎt nous fûmes bien obligés de revenir auprÚs d'elle. Le transport avait repris plus violent que jamais, et il s'y était joint des convulsions vraiment effrayantes. Ces accidents n'ont plus cessé de la soirée; et le bulletin de ce matin m'apprend que la nuit n'a pas été moins orageuse. Enfin, son état est tel que je m'étonne qu'elle n'y ait pas déjà succombé, et je ne vous cache point qu'il ne me reste que bien peu d'espoir. Je suppose que cette malheureuse Lettre est de M. de Valmont; mais que peut-il encore oser lui dire? Pardon, ma chÚre amie, je m'interdis toute réflexion mais il est bien cruel de voir périr si malheureusement une femme, jusqu'alors si heureuse et si digne de l'ÃÂȘtre. Paris, ce 2 décembre 17**. LETTRE CL LE CHEVALIER DANCENY A LA MARQUISE DE MERTEUIL En attendant le bonheur de te voir, je me livre, ma tendre amie, au plaisir de t'écrire; et c'est en m'occupant de toi, que je charme le regret d'en ÃÂȘtre éloigné. Te tracer mes sentiments, me rappeler les tiens est pour mon cÅ“ur une vraie jouissance; et c'est par elle que le temps mÃÂȘme des privations m'offre encore mille biens précieux à mon amour. Cependant, s'il faut t'en croire, je n'obtiendrai point de réponse de toi cette Lettre mÃÂȘme sera la derniÚre; et nous nous priverons d'un commerce qui, selon toi, est dangereux, et dont nous n'avons pas besoin . Sûrement je t'en croirai, si tu persistes car que peux-tu vouloir, que par cette raison mÃÂȘme je ne le veuille aussi? Mais avant de te décider entiÚrement, ne permettras-tu pas que nous en causions ensemble? Sur l'article des dangers, tu dois juger seule je ne puis rien calculer, et je m'en tiens à te prier de veiller à ta sûreté, car je ne puis ÃÂȘtre tranquille quand tu seras inquiÚte. Pour cet objet, ce n'est pas nous deux qui ne sommes qu'un, c'est toi qui es nous deux. Il n'en est pas de mÃÂȘme sur le besoin ; ici nous ne pouvons avoir qu'une mÃÂȘme pensée; et si nous différons d'avis, ce ne peut ÃÂȘtre que faute de nous expliquer ou de nous entendre. Voici donc ce que je crois sentir. Sans doute, une Lettre paraÃt bien peu nécessaire, quand on peut se voir librement. Que dirait-elle, qu'un mot, un regard, ou mÃÂȘme le silence, n'exprimassent cent fois mieux encore? Cela me paraÃt si vrai que, dans le moment oÃÂč tu me parlas de ne plus nous écrire, cette idée glissa facilement sur mon ùme; elle la gÃÂȘna peut-ÃÂȘtre, mais ne l'affecta point. Tel à peu prÚs, quand voulant donner un baiser sur ton cÅ“ur, je rencontre un ruban ou une gaze, je l'écarte seulement, et n'ai cependant pas le sentiment d'un obstacle. Mais depuis, nous nous sommes séparés; et dÚs que tu n'as plus été là , cette idée de Lettre est revenue me tourmenter. Pourquoi, me suis-je dit, cette privation de plus? Quoi! pour ÃÂȘtre éloignés, n'a-t-on plus rien à se dire? Je suppose que, favorisés par les circonstances, on passe ensemble une journée entiÚre; faudra-t-il prendre le temps de causer sur celui de jouir? Oui, de jouir, ma tendre amie; car auprÚs de toi, les moments mÃÂȘme du repos fournissent encore une jouissance délicieuse. Enfin, quel que soit le temps, on finit par se séparer, et puis, on est si seul! C'est alors qu'une Lettre est si précieuse; si on ne la lit pas, du moins on la regarde... Ah! sans doute, on peut regarder une Lettre sans la lire, comme il me semble que la nuit j'aurais encore quelque plaisir à toucher ton portrait... Ton portrait, ai-je dit? Mais une Lettre est le portrait de l'ùme. Elle n'a pas, comme une froide image, cette stagnance si éloignée de l'amour; elle se prÃÂȘte à tous nos mouvements tour à tour elle s'anime, elle jouit, elle se repose... Tes sentiments me sont tous si précieux! me priveras-tu d'un moyen de les recueillir? Es-tu donc sûre que le besoin de m'écrire ne te tourmentera jamais? Si dans la solitude, ton cÅ“ur se dilate ou s'oppresse, si un mouvement de joie passe jusqu'à ton ùme, si une tristesse involontaire vient la troubler un moment; ce ne sera donc pas dans le sein de ton ami que tu répandras ton bonheur ou ta peine? tu auras donc un sentiment qu'il ne partagera pas? tu le laisseras donc, rÃÂȘveur et solitaire, s'égarer loin de toi? Mon amie... ma tendre amie! Mais c'est à toi qu'il appartient de prononcer. J'ai voulu discuter seulement, et non pas te séduire; je ne t'ai dit que des raisons, j'ose croire que j'eusse été plus fort par des priÚres. Je tùcherai donc, si tu persistes, de ne pas m'affliger; je ferai mes efforts pour me dire ce que tu m'aurais écrit, mais tiens, tu le dirais mieux que moi; et j'aurais surtout plus de plaisir à l'entendre. Adieu, ma charmante amie; l'heure approche enfin oÃÂč je pourrai te voir je te quitte bien vite, pour t'aller retrouver plus tÎt. Paris, ce 3 décembre 17**. LETTRE CLI LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Sans doute, Marquise, que vous ne me croyez pas assez peu d'usage pour penser que j'aie pu prendre le change sur le tÃÂȘte-à -tÃÂȘte oÃÂč je vous ai trouvée ce soir, et sur l'étonnant hasard qui avait conduit Danceny chez vous! Ce n'est pas que votre physionomie exercée n'ait su prendre à merveille l'expression du calme et de la sérénité, ni que vous vous soyez trahie par aucune de ces phrases qui quelquefois échappent au trouble ou au repentir. Je conviens mÃÂȘme encore que vos regards dociles vous ont parfaitement servie; et que s'ils avaient su se faire croire aussi bien que se faire entendre, loin que j'eusse pris ou conservé le moindre soupçon, je n'aurais pas douté un moment du chagrin extrÃÂȘme que vous causait ce tiers importun . Mais, pour ne pas déployer en vain d'aussi grands talents, pour en obtenir le succÚs que vous vous en promettiez, pour produire enfin l'illusion que vous cherchiez à faire naÃtre, il fallait donc auparavant former votre Amant novice avec plus de soin. Puisque vous commencez à faire des éducations, apprenez à vos élÚves à ne pas rougir et se déconcerter à la moindre plaisanterie à ne pas nier si vivement, pour une seule femme, les mÃÂȘmes choses dont ils se défendent avec tant de mollesse pour toutes les autres. Apprenez-leur encore à savoir entendre l'éloge de leur MaÃtresse, sans se croire obligés d'en faire les honneurs; et si vous leur permettez de vous regarder dans le cercle, qu'ils sachent au moins auparavant déguiser ce regard de possession si facile à reconnaÃtre, et qu'ils confondent si maladroitement avec celui de l'amour. Alors vous pourrez les faire paraÃtre dans vos exercices publics, sans que leur conduite fasse tort à leur sage institutrice et moi-mÃÂȘme, trop heureux de concourir à votre célébrité, je vous promets de faire et de publier les programmes de ce nouveau collÚge. Mais jusque-là je m'étonne, je l'avoue, que ce soit moi que vous ayez entrepris de traiter comme un écolier. Oh! qu'avec toute autre femme je serais bientÎt vengé! que je m'en ferais de plaisir! et qu'il surpasserait aisément celui qu'elle aurait cru me faire perdre! Oui, c'est bien pour vous seule que je peux préférer la réparation à la vengeance; et ne croyez pas que je sois retenu par le moindre doute, par la moindre incertitude; je sais tout. Vous ÃÂȘtes à Paris depuis quatre jours; et chaque jour vous avez vu Danceny, et vous n'avez vu que lui seul. Aujourd'hui mÃÂȘme votre porte était encore fermée; et il n'a manqué à votre Suisse, pour m'empÃÂȘcher d'arriver jusqu'à vous, qu'une assurance égale à la vÎtre. Cependant je ne devais pas douter, me mandiez-vous, d'ÃÂȘtre le premier informé de votre arrivée; de cette arrivée dont vous ne pouviez pas encore me dire le jour, tandis que vous m'écriviez la veille de votre départ. Nierez-vous ces faits, ou tenterez-vous de vous en excuser? L'un et l'autre sont également impossibles; et pourtant je me contiens encore! Reconnaissez là votre empire; mais croyez-moi, contente de l'avoir éprouvé, n'en abusez pas plus longtemps. Nous nous connaissons tous deux, Marquise; ce mot doit vous suffire. Vous sortez demain toute la journée, m'avez-vous dit? A la bonne heure, si vous sortez en effet; et vous jugez que je le saurai. Mais enfin, vous rentrerez le soir; et pour notre difficile réconciliation nous n'aurons pas trop de temps jusqu'au lendemain. Faites-moi donc savoir si ce sera chez vous, ou là -bas que se feront nos expiations nombreuses et réciproques. Surtout, plus de Danceny. Votre mauvaise tÃÂȘte s'était remplie de son idée; et je peux n'ÃÂȘtre pas jaloux de ce délire de votre imagination mais songez que, de ce moment, ce qui n'était qu'une fantaisie deviendrait une préférence marquée. Je ne me crois pas fait pour cette humiliation, et je ne m'attends pas à la recevoir de vous. J'espÚre mÃÂȘme que ce sacrifice ne vous en paraÃtra pas un. Mais quand il vous coûterait quelque chose, il me semble que je vous ai donné un assez bel exemple! qu'une femme sensible et belle, qui n'existait que pour moi, qui dans ce moment mÃÂȘme meurt peut-ÃÂȘtre d'amour et de regret, peut bien valoir un jeune écolier, qui, si vous voulez, ne manque ni de figure ni d'esprit, mais qui n'a encore ni usage ni consistance. Adieu, Marquise; je ne vous dis rien de mes sentiments pour vous. Tout ce que je puis faire en ce moment, c'est de ne pas scruter mon cÅ“ur. J'attends votre réponse. Songez en la faisant, songez bien que plus il vous est facile de me faire oublier l'offense que vous m'avez faite, plus un refus de votre part, un simple délai, la graverait dans mon cÅ“ur en traits ineffaçables. Paris, ce 3 décembre 17**, au soir. LETTRE CLII LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT Prenez donc garde, Vicomte, et ménagez davantage mon extrÃÂȘme timidité! Comment voulez-vous que je supporte l'idée accablante d'encourir votre indignation, et surtout que je ne succombe pas à la crainte de votre vengeance? d'autant que, comme vous savez, si vous me faisiez une noirceur, il me serait impossible de vous la rendre. J'aurais beau parler, votre existence n'en serait ni moins brillante ni moins paisible. Au fait, qu'auriez-vous à redouter? d'ÃÂȘtre obligé de partir, si on vous en laissait le temps. Mais ne vit-on pas chez l'Étranger comme ici? et à tout prendre, pourvu que la Cour de France vous laissùt tranquille à celle oÃÂč vous vous fixeriez, ce ne serait pour vous que changer le lieu de vos triomphes. AprÚs avoir tenté de vous rendre votre sang-froid par ces considérations morales, revenons à nos affaires. Savez-vous, Vicomte, pourquoi je ne me suis jamais remariée? ce n'est assurément pas faute d'avoir trouvé assez de partis avantageux; c'est uniquement pour que personne n'ait le droit de trouver à redire à mes actions. Ce n'est mÃÂȘme pas que j'aie craint de ne pouvoir plus faire mes volontés, car j'aurais bien toujours fini par là ; mais c'est qu'il m'aurait gÃÂȘnée que quelqu'un eût eu seulement le droit de s'en plaindre; c'est qu'enfin je ne voulais tromper que pour mon plaisir, et non par nécessité. Et voilà que vous m'écrivez la Lettre la plus maritale qu'il soit possible de voir! Vous ne m'y parlez que de torts de mon cÎté, et de grùces du vÎtre! Mais comment donc peut-on manquer à celui à qui on ne doit rien? je ne saurais le concevoir! Voyons; de quoi s'agit-il tant? Vous avez trouvé Danceny chez moi, et cela vous a déplu? à la bonne heure mais qu'avez-vous pu en conclure? ou que c'était l'effet du hasard, comme je vous le disais, ou celui de ma volonté, comme je ne vous le disais pas. Dans le premier cas, votre Lettre est injuste; dans le second, elle est ridicule c'était bien la peine d'écrire! Mais vous ÃÂȘtes jaloux, et la jalousie ne raisonne pas. Hé bien! je vais raisonner pour vous. Ou vous avez un rival, ou vous n'en avez pas. Si vous en avez un, il faut plaire pour lui ÃÂȘtre préféré; si vous n'en avez pas, il faut encore plaire pour éviter d'en avoir. Dans tous les cas, c'est la mÃÂȘme conduite à tenir ainsi, pourquoi vous tourmenter? pourquoi, surtout, me tourmenter moi-mÃÂȘme? Ne savez- vous donc plus ÃÂȘtre le plus aimable? et n'ÃÂȘtes-vous plus sûr de vos succÚs? Allons donc, Vicomte, vous vous faites tort. Mais, ce n'est pas cela; c'est qu'à vos yeux, je ne vaux pas que vous vous donniez tant de peine. Vous désirez moins mes bontés que vous ne voulez abuser de votre empire. Allez, vous ÃÂȘtes un ingrat. Voilà bien, je crois, du sentiment! et pour peu que je continuasse, cette Lettre pourrait devenir fort tendre; mais vous ne le méritez pas. Vous ne méritez pas davantage que je me justifie. Pour vous punir de vos soupçons, vous les garderez ainsi, sur l'époque de mon retour, comme sur les visites de Danceny, je ne vous dirai rien. Vous vous ÃÂȘtes donné bien de la peine pour vous en instruire, n'est-il pas vrai? Hé bien! en ÃÂȘtes-vous plus avancé? Je souhaite que vous y ayez trouvé beaucoup de plaisir; quant à moi, cela n'a pas nui au mien. Tout ce que je peux donc répondre à votre menaçante Lettre, c'est qu'elle n'a eu ni le don de me plaire, ni le pouvoir de m'intimider; et que pour le moment je suis on ne peut pas moins disposée à vous accorder vos demandes. Au vrai, vous accepter tel que vous vous montrez aujourd'hui, ce serait vous faire une infidélité réelle. Ce ne serait pas là renouer avec mon ancien Amant; ce serait en prendre un nouveau, et qui ne vaut pas l'autre à beaucoup prÚs. Je n'ai pas assez oublié le premier pour m'y tromper ainsi. Le Valmont que j'aimais était charmant. Je veux bien convenir mÃÂȘme que je n'ai pas rencontré d'homme plus aimable. Ah! je vous en prie, Vicomte, si vous le retrouvez, amenez-le-moi; celui-là sera toujours bien reçu. Prévenez-le cependant que, dans aucun cas, ce ne serait ni pour aujourd'hui ni pour demain. Son Menechme lui a fait un peu tort; et en me pressant trop, je craindrais de m'y tromper; ou bien, peut-ÃÂȘtre ai-je donné parole à Danceny pour ces deux jours-là ? Et votre Lettre m'a appris que vous ne plaisantiez pas, quand on manquait à sa parole. Vous voyez donc qu'il faut attendre. Mais que vous importe? vous vous vengerez toujours bien de votre rival. Il ne fera pas pis à votre MaÃtresse que vous ferez à la sienne, et aprÚs tout, une femme n'en vaut-elle pas une autre? ce sont vos principes. Celle mÃÂȘme qui serait tendre et sensible, qui n'existerait que pour vous et qui mourrait enfin d'amour et de regret , n'en serait pas moins sacrifiée à la premiÚre fantaisie, à la crainte d'ÃÂȘtre plaisanté un moment; et vous voulez qu'on se gÃÂȘne? Ah! cela n'est pas juste. Adieu, Vicomte; redevenez donc aimable. Tenez, je ne demande pas mieux que de vous trouver charmant; et dÚs que j'en serai sûre, je m'engage à vous le prouver. En vérité, je suis trop bonne. Paris, ce 4 décembre 17**. LETTRE CLIII LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Je réponds sur-le-champ à votre Lettre, et je tùcherai d'ÃÂȘtre clair; ce qui n'est pas facile avec vous, quand une fois vous avez pris le parti de ne pas entendre. De longs discours n'étaient pas nécessaires pour établir que chacun de nous ayant en main tout ce qu'il faut pour perdre l'autre, nous avons un égal intérÃÂȘt à nous ménager mutuellement aussi, ce n'est pas de cela dont il s'agit. Mais encore entre le parti violent de se perdre, et celui, sans doute meilleur, de rester unis comme nous l'avons été, de le devenir davantage encore en reprenant notre premiÚre liaison, entre ces deux partis, dis-je, il y en a mille autres à prendre. Il n'était donc pas ridicule de vous dire, et il ne l'est pas de vous répéter que, de ce jour mÃÂȘme, je serai ou votre Amant ou votre ennemi. Je sens à merveille que ce choix vous gÃÂȘne; qu'il vous conviendrait mieux de tergiverser; et je n'ignore pas que vous n'avez jamais aimé à ÃÂȘtre placée ainsi entre le oui et le non mais vous devez sentir aussi que je ne puis vous laisser sortir de ce cercle étroit sans risquer d'ÃÂȘtre joué; et vous avez dû prévoir que je ne le souffrirais pas. C'est maintenant à vous à décider je peux vous laisser le choix mais non pas rester dans l'incertitude. Je vous préviens seulement que vous ne m'abuserez pas par vos raisonnements, bons ou mauvais; que vous ne me séduirez pas davantage par quelques cajoleries dont vous chercheriez à parer vos refus, et qu'enfin, le moment de la franchise est arrivé. Je ne demande pas mieux que de vous donner l'exemple; et je vous déclare avec plaisir que je préfÚre la paix et l'union mais s'il faut rompre l'une ou l'autre, je crois en avoir le droit et les moyens. J'ajoute donc que le moindre obstacle mis de votre part sera pris de la mienne pour une véritable déclaration de guerre vous voyez que la réponse que je vous demande n'exige ni longues ni belles phrases. Deux mots suffisent. Paris, ce 4 décembre 17**. REPONSE DE LA MARQUISE DE MERTEUIL ECRITE AU BAS DE LA MEME LETTRE. Hé bien! la guerre. LETTRE CLIV MADAME DE VOLANGES A MADAME DE ROSEMONDE Les bulletins vous instruisent mieux que je ne pourrais le faire, ma chÚre amie, du fùcheux état de notre malade. Tout entiÚre aux soins que je lui donne, je ne prends sur eux le temps de vous écrire qu'autant qu'il y a d'autres événements que ceux de la maladie. En voici un, auquel certainement je ne m'attendais pas. C'est une Lettre que j'ai reçue de M. de Valmont, à qui il a plu de me choisir pour sa confidente, et mÃÂȘme pour sa médiatrice auprÚs de Madame de Tourvel, pour qui il avait aussi joint une Lettre à la mienne. J'ai renvoyé l'une en répondant à l'autre. Je vous fais passer cette derniÚre, et je crois que vous jugerez comme moi que je ne pouvais ni ne devais rien faire de ce qu'il me demande. Quand je l'aurais voulu, notre malheureuse amie n'aurait pas été en état de m'entendre. Son délire est continuel. Mais que direz-vous de ce désespoir de M. de Valmont? D'abord faut-il y croire, ou veut-il seulement tromper tout le monde, et jusqu'à la fin [C'est parce qu'on n'a rien trouvé dans la suite de cette Correspondance qui pût résoudre ce doute, qu'on a pris le parti de supprimer la Lettre de M. de Valmont]? Si pour cette fois il est sincÚre, il peut bien dire qu'il a lui-mÃÂȘme fait son malheur. Je crois qu'il sera peu content de ma réponse mais j'avoue que tout ce qui me fixe sur cette malheureuse aventure me soulÚve de plus en plus contre son auteur. Adieu, ma chÚre amie; je retourne à mes tristes soins, qui le deviennent bien davantage encore par le peu d'espoir que j'ai de les voir réussir. Vous connaissez mes sentiments pour vous. Paris, ce 5 décembre 17**. LETTRE CLV LE VICOMTE DE VALMONT AU CHEVALIER DANCENY J'ai passé deux fois chez vous, mon cher Chevalier mais depuis que vous avez quitté le rÎle d'Amant pour celui d'homme à bonnes fortunes, vous ÃÂȘtes, comme de raison, devenu introuvable. Votre Valet de chambre m'a assuré cependant que vous rentreriez chez vous ce soir; qu'il avait ordre de vous attendre mais moi, qui suis instruit de vos projets, j'ai trÚs bien compris que vous ne rentreriez que pour un moment, pour prendre le costume de la chose, et que sur-le-champ vous recommenceriez vos courses victorieuses. A la bonne heure, et je ne puis qu'y applaudir; mais peut-ÃÂȘtre, pour ce soir, allez- vous ÃÂȘtre tenté de changer leur direction. Vous ne savez encore que la moitié de vos affaires; il faut vous mettre au courant de l'autre, et puis, vous vous déciderez. Prenez donc le temps de lire ma Lettre. Ce ne sera pas vous distraire de vos plaisirs, puisque au contraire elle n'a d'autre objet que de vous donner le choix entre eux. Si j'avais eu votre confiance entiÚre, si j'avais su par vous la partie de vos secrets que vous m'avez laissée à deviner, j'aurais été instruit à temps; et mon zÚle, moins gauche, ne gÃÂȘnerait pas aujourd'hui votre marche. Mais partons du point oÃÂč nous sommes. Quelque parti que vous preniez, votre pis aller ferait toujours bien le bonheur d'un autre. Vous avez un rendez-vous pour cette nuit, n'est-il pas vrai? avec une femme charmante et que vous adorez? car à votre ùge, quelle femme n'adore-t-on pas, au moins les huit premiers jours! Le lieu de la scÚne doit encore ajouter à vos plaisirs. Une petite maison délicieuse, et qu'on n'a prise que pour vous , doit embellir la volupté, des charmes de la liberté, et de ceux du mystÚre. Tout est convenu; on vous attend et vous brûlez de vous y rendre! voilà ce que nous savons tous deux, quoique vous ne m'en ayez rien dit. Maintenant, voici ce que vous ne savez pas, et qu'il faut que je vous dise. Depuis mon retour à Paris, je m'occupais des moyens de vous rapprocher de Mademoiselle de Volanges, je vous l'avais promis; et encore la derniÚre fois que je vous en parlai, j'eus lieu de juger par vos réponses, je pourrais dire par vos transports, que c'était m'occuper de votre bonheur. Je ne pouvais pas réussir à moi seul dans cette entreprise assez difficile mais aprÚs avoir préparé les moyens, j'ai remis le reste au zÚle de votre jeune MaÃtresse. Elle a trouvé, dans son amour, des ressources qui avaient manqué à mon expérience enfin votre malheur veut qu'elle ait réussi. Depuis deux jours, m'a-t-elle dit ce soir, tous les obstacles sont surmontés, et votre bonheur ne dépend plus que de vous. Depuis deux jours aussi, elle se flattait de vous apprendre cette nouvelle elle- mÃÂȘme, et malgré l'absence de sa Maman, vous auriez été reçu; mais vous ne vous ÃÂȘtes seulement pas présenté! et pour vous dire tout, soit caprice ou raison, la petite personne m'a paru un peu fùchée de ce manque d'empressement de votre part. Enfin, elle a trouvé le moyen de me faire aussi parvenir jusqu'à elle, et m'a fait promettre de vous rendre le plus tÎt possible la Lettre que je joins ici. A l'empressement qu'elle y a mis, je parierais bien qu'il y est question d'un rendez-vous pour ce soir. Quoi qu'il en soit, j'ai promis sur l'honneur et sur l'amitié que vous auriez la tendre missive dans la journée, et je ne puis ni ne veux manquer à ma parole. A présent, jeune homme, quelle conduite allez-vous tenir? Placé entre la coquetterie et l'amour, entre le plaisir et le bonheur, quel va ÃÂȘtre votre choix? Si je parlais au Danceny d'il y a trois mois, seulement à celui d'il y a huit jours, bien sûr de son cÅ“ur, je le serais de ses démarches mais le Danceny d'aujourd'hui, arraché par les femmes, courant les aventures, et devenu, suivant l'usage, un peu scélérat, préférera-t-il une jeune fille bien timide, qui n'a pour elle que sa beauté, son innocence et son amour, aux agréments d'une femme parfaitement usagée ! Pour moi, mon cher ami, il me semble que, mÃÂȘme dans vos nouveaux principes, que j'avoue bien ÃÂȘtre aussi un peu les miens, les circonstances me décideraient pour la jeune Amante. D'abord, c'en est une de plus, et puis la nouveauté, et encore la crainte de perdre le fruit de vos soins en négligeant de le cueillir; car enfin, de ce cÎté, ce serait véritablement l'occasion manquée, et elle ne revient pas toujours, surtout pour une premiÚre faiblesse souvent, dans ce cas, il ne faut qu'un moment d'humeur, un soupçon jaloux, moins encore, pour empÃÂȘcher le plus beau triomphe. La vertu qui se noie se raccroche quelquefois aux branches; et une fois réchappée, elle se tient sur ses gardes, et n'est plus facile à surprendre. Au contraire, de l'autre cÎté, que risquez-vous? Pas mÃÂȘme une rupture; une brouillerie tout au plus, oÃÂč l'on achÚte de quelques soins le plaisir d'un raccommodement. Quel autre parti reste-t-il à une femme déjà rendue, que celui de l'indulgence? Que gagnerait-elle à la sévérité? la perte de ses plaisirs, sans profit pour sa gloire. Si, comme je le suppose, vous prenez le parti de l'amour, qui me paraÃt aussi celui de la raison, je crois qu'il est de la prudence de ne point vous faire excuser au rendez-vous manqué; laissez-vous attendre tout simplement si vous risquez de donner une raison, on sera peut-ÃÂȘtre tenté de la vérifier. Les femmes sont curieuses et obstinées; tout peut se découvrir je viens, comme vous savez, d'en ÃÂȘtre moi-mÃÂȘme un exemple. Mais si vous laissez l'espoir, comme il sera soutenu par la vanité, il ne sera perdu que longtemps aprÚs l'heure propre aux informations alors demain vous aurez à choisir l'obstacle insurmontable qui vous aura retenu; vous aurez été malade, mort s'il le faut, ou toute autre chose dont vous serez également désespéré, et tout se raccommodera. Au reste, pour quelque cÎté que vous vous décidiez, je vous prie seulement de m'en instruire; et comme je n'y ai pas d'intérÃÂȘt, je trouverai toujours que vous avez bien fait. Adieu, mon cher ami. Ce que j'ajoute encore, c'est que je regrette Madame de Tourvel; c'est que je suis au désespoir d'ÃÂȘtre séparé d'elle; c'est que je paierais de la moitié de ma vie le bonheur de lui consacrer l'autre. Ah! croyez-moi, on n'est heureux que par l'amour. Paris, ce 5 décembre 17**. LETTRE CLVI CECILE VOLANGES AU CHEVALIER DANCENY JOINTE A LA PRECEDENTE. Comment se fait-il, mon cher ami, que je cesse de vous voir, quand je ne cesse pas de le désirer? n'en avez-vous plus autant d'envie que moi? Ah! c'est bien à présent que je suis triste! plus triste que quand nous étions séparés tout à fait. Le chagrin que j'éprouvais par les autres, c'est à présent de vous qu'il me vient, et cela fait bien plus de mal. Depuis quelques jours, Maman n'est jamais chez elle, vous le savez bien; et j'espérais que vous essaieriez de profiter de ce temps de liberté mais vous ne songez seulement pas à moi; je suis bien malheureuse! Vous me disiez tant que c'était moi qui aimais le moins! je savais bien le contraire, et en voilà bien la preuve. Si vous étiez venu pour me voir, vous m'auriez vue en effet car moi, je ne suis pas comme vous; je ne songe qu'à ce qui peut nous réunir. Vous mériteriez bien que je ne vous dise rien de tout ce que j'ai fait pour ça, et qui m'a donné tant de peine mais je vous aime trop, et j'ai tant d'envie de vous voir que je ne peux m'empÃÂȘcher de vous le dire. Et puis, je verrai bien aprÚs si vous m'aimez réellement. J'ai si bien fait que le Portier est dans nos intérÃÂȘts, et qu'il m'a promis que toutes les fois que vous viendriez, il vous laisserait toujours entrer comme s'il ne vous voyait pas et nous pouvons bien nous fier à lui, car c'est un bien honnÃÂȘte homme. Il ne s'agit donc plus que d'empÃÂȘcher qu'on ne vous voie dans la maison; et ça, c'est bien aisé, en n'y venant que le soir, et quand il n'y aura plus rien à craindre du tout. Par exemple, depuis que Maman sort tous les jours, elle se couche tous les soirs à onze heures; ainsi nous aurions bien du temps. Le Portier m'a dit que, quand vous voudriez venir comme ça, au lieu de frapper à la porte, vous n'auriez qu'à frapper à sa fenÃÂȘtre, et qu'il ouvrirait tout de suite; et puis, vous trouverez bien le petit escalier; et comme vous ne pourrez pas avoir de la lumiÚre, je laisserai la porte de ma chambre entrouverte, ce qui vous éclairera toujours un peu. Vous prendrez bien garde de ne pas faire de bruit; surtout en passant auprÚs de la petite porte de Maman. Pour celle de ma Femme de chambre, c'est égal, parce qu'elle m'a promis qu'elle ne se réveillerait pas; c'est aussi une bien bonne fille! Et pour vous en aller, ça sera tout de mÃÂȘme. A présent, nous verrons si vous viendrez. Mon Dieu, pourquoi donc le cÅ“ur me bat-il si fort en vous écrivant? Est-ce qu'il doit m'arriver quelque malheur ou si c'est l'espérance de vous voir qui me trouble comme ça? Ce que je sens bien, c'est que je ne vous ai jamais tant aimé, et que jamais je n'ai tant désiré de vous le dire. Venez donc, mon ami, mon cher ami; que je puisse vous répéter cent fois que je vous aime, que je vous adore, que je n'aimerai jamais que vous. J'ai trouvé moyen de faire dire à M. de Valmont que j'avais quelque chose à lui dire; et lui, comme il est bien bon ami, il viendra sûrement demain, et je le prierai de vous remettre ma Lettre tout de suite. Ainsi je vous attendrai demain au soir, et vous viendrez, sans faute, si vous ne voulez pas que votre Cécile soit bien malheureuse. Adieu, mon cher ami; je vous embrasse de tout mon cÅ“ur. Paris, ce 4 décembre 17**, au soir. LETTRE CLVII LE CHEVALIER DANCENY AU VICOMTE DE VALMONT Ne doutez pas, mon cher Vicomte, ni de mon cÅ“ur, ni de mes démarches comment résisterais-je à un désir de ma Cécile? Ah! c'est bien elle, elle seule que j'aime, que j'aimerai toujours! son ingénuité, sa tendresse ont un charme pour moi, dont j'ai pu avoir la faiblesse de me laisser distraire, mais que rien n'effacera jamais. Engagé dans une autre aventure, pour ainsi dire sans m'en ÃÂȘtre aperçu, souvent le souvenir de Cécile est venu me troubler jusque dans les plus doux plaisirs; et peut-ÃÂȘtre mon cÅ“ur ne lui a-t-il jamais rendu d'hommage plus vrai que dans le moment mÃÂȘme oÃÂč je lui étais infidÚle. Cependant, mon ami, ménageons sa délicatesse et cachons-lui mes torts; non pour la surprendre, mais pour ne pas l'affliger. Le bonheur de Cécile est le vÅ“u le plus ardent que je forme; jamais je ne me pardonnerais une faute qui lui aurait coûté une larme. J'ai mérité, je le sens, la plaisanterie que vous me faites sur ce que vous appelez mes nouveaux principes; mais vous pouvez m'en croire; ce n'est point par eux que je me conduis dans ce moment; et dÚs demain je suis décidé à le prouver. J'irai m'accuser à celle mÃÂȘme qui a causé mon égarement, et qui l'a partagé; je lui dirai " Lisez dans mon cÅ“ur; il a pour vous l'amitié la plus tendre; l'amitié unie au désir ressemble tant à l'amour!... Tous deux nous nous sommes trompés; mais susceptible d'erreur, je ne suis point capable de mauvaise foi. " Je connais mon amie; elle est honnÃÂȘte autant qu'indulgente; elle fera plus que me pardonner, elle m'approuvera. Elle-mÃÂȘme se reprochait souvent d'avoir trahi l'amitié; souvent sa délicatesse effrayait son amour plus sage que moi, elle fortifiera dans mon ùme ces craintes utiles, que je cherchais témérairement à étouffer dans la sienne. Je lui devrai d'ÃÂȘtre meilleur, comme à vous d'ÃÂȘtre plus heureux. Ô mes amis, partagez ma reconnaissance. L'idée de vous devoir mon bonheur en augmente le prix. Adieu, mon cher Vicomte. L'excÚs de ma joie ne m'empÃÂȘche point de songer à vos peines, et d'y prendre part. Que ne puis-je vous ÃÂȘtre utile! Madame de Tourvel reste donc inexorable? On la dit aussi bien malade. Mon Dieu, que je vous plains! Puisse-t-elle reprendre à la fois de la santé et de l'indulgence, et faire à jamais votre bonheur! Ce sont les vÅ“ux de l'amitié; j'ose espérer qu'ils seront exaucés par l'amour. Je voudrais causer plus longtemps avec vous; mais l'heure me presse, et peut- ÃÂȘtre Cécile m'attend déjà . Paris, ce 5 décembre 17**. LETTRE CLVIII LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL A SON REVEIL. Eh bien, Marquise, comment vous trouvez-vous des plaisirs de la nuit derniÚre? n'en ÃÂȘtes-vous pas un peu fatiguée? Convenez donc que Danceny est charmant! Il fait des prodiges, ce garçon-là . Vous n'attendiez pas cela de lui, n'est-il pas vrai? Allons, je me rends justice, un pareil rival méritait bien que je lui fusse sacrifié. Sérieusement, il est plein de bonnes qualités! Mais surtout, que d'amour, de constance, de délicatesse! Ah! si jamais vous ÃÂȘtes aimée de lui comme l'est sa Cécile, vous n'aurez point de rivales à craindre il vous l'a prouvé cette nuit. Peut-ÃÂȘtre à force de coquetterie, une autre femme pourra vous l'enlever un moment; un jeune homme ne sait guÚre se refuser à des agaceries provocantes mais un seul mot de l'objet aimé suffit, comme vous voyez, pour dissiper cette illusion; ainsi il ne vous manque plus que d'ÃÂȘtre cet objet-là pour ÃÂȘtre parfaitement heureuse. Sûrement vous ne vous y tromperez pas; vous avez le tact trop sûr pour qu'on puisse le craindre. Cependant l'amitié qui nous unit, aussi sincÚre de ma part que bien reconnue de la vÎtre, m'a fait désirer pour vous l'épreuve de cette nuit; c'est l'ouvrage de mon zÚle; il a réussi mais point de remerciements; cela n'en vaut pas la peine rien n'était plus facile. Au fait, que m'en a-t-il coûté? un léger sacrifice, et quelque peu d'adresse. J'ai consenti à partager avec le jeune homme les faveurs de sa MaÃtresse mais enfin il y avait bien autant de droit que moi; et je m'en souciais si peu! La Lettre que la jeune personne lui a écrite, c'est bien moi qui l'ai dictée; mais c'était seulement pour gagner du temps, parce que nous avions à l'employer mieux, celle que j'y ai jointe, oh! ce n'était rien, presque rien; quelques réflexions de l'amitié pour guider le choix du nouvel Amant mais en honneur, elles étaient inutiles; il faut dire la vérité, il n'a pas balancé un moment. Et puis, dans sa candeur, il doit aller chez vous aujourd'hui vous raconter tout; et sûrement ce récit-là vous fera grand plaisir! il vous dira Lisez dans mon cour; il me le mande et vous voyez bien que cela raccommode tout. J'espÚre qu'en y lisant ce qu'il voudra, vous y lirez peut-ÃÂȘtre aussi que les Amants si jeunes ont leurs dangers; et encore, qu'il vaut mieux m'avoir pour ami que pour ennemi. Adieu, Marquise; jusqu'à la premiÚre occasion. Paris, ce 6 décembre 17**. LETTRE CLIX LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT BILLET Je n'aime pas qu'on ajoute de mauvaises plaisanteries à de mauvais procédés; ce n'est pas plus ma maniÚre que mon goût. Quand j'ai à me plaindre de quelqu'un, je ne le persifle pas; je fais mieux je me venge. Quelque content de vous que vous puissiez ÃÂȘtre en ce moment, n'oubliez point que ce ne serait pas la premiÚre fois que vous vous seriez applaudi d'avance; et tout seul dans l'espoir d'un triomphe qui vous serait échappé à l'instant mÃÂȘme oÃÂč vous vous en félicitiez. Adieu. Paris, ce 6 décembre 17**. LETTRE CLX MADAME DE VOLANGES A MADAME DE ROSEMONDE Je vous écris de la chambre de notre malheureuse amie, dont l'état est à peu prÚs toujours le mÃÂȘme. Il doit y avoir cet aprÚs-midi une consultation de quatre Médecins. Malheureusement, c'est, comme vous le savez, plus souvent une preuve de danger qu'un moyen de secours. Il paraÃt cependant que la tÃÂȘte est un peu revenue la nuit derniÚre. La Femme de chambre m'a informée ce matin qu'environ vers minuit sa MaÃtresse l'a fait appeler; qu'elle a voulu ÃÂȘtre seule avec elle, et qu'elle lui a dicté une assez longue Lettre. Julie a ajouté que, tandis qu'elle était occupée à en faire l'enveloppe, Madame de Tourvel avait repris le transport en sorte que cette fille, n'a pas su à qui il fallait mettre l'adresse. Je me suis étonnée d'abord que la Lettre elle-mÃÂȘme n'ait pas suffi pour le lui apprendre mais sur ce qu'elle m'a répondu qu'elle craignait de se tromper, et que cependant sa MaÃtresse lui avait bien recommandé de la faire partir sur-le-champ, j'ai pris sur moi d'ouvrir le paquet. J'y ai trouvé l'écrit que je vous envoie, qui en effet ne s'adresse à personne pour s'adresser à trop de monde. Je crois cependant que c'est à M, de Valmont que notre malheureuse amie a voulu écrire d'abord; mais qu'elle a cédé sans s'en apercevoir au désordre de ses idées. Quoi qu'il en soit, j'ai jugé que cette Lettre ne devait ÃÂȘtre rendue à personne. Je vous l'envoie, parce que vous y verrez mieux que je ne pourrais vous le dire quelles sont les pensées qui occupent la tÃÂȘte de notre malade. Tant qu'elle restera aussi vivement affectée, je n'aurai guÚre d'espérance. Le corps se rétablit difficilement, quand l'esprit est si peu tranquille. Adieu, ma chÚre et digne amie. Je vous félicite d'ÃÂȘtre éloignée du triste spectacle que j'ai continuellement sous les yeux. Paris, ce 6 décembre 17**. LETTRE CLXI LA PRESIDENTE DE TOURVEL A ... DICTEE PAR ELLE ET ECRITE PAR SA FEMME DE CHAMBRE. Etre cruel et malfaisant, ne te lasseras-tu point de me persécuter? Ne te suffit- il pas de m'avoir tourmentée, dégradée, avilie, veux-tu me ravir jusqu'à la paix du tombeau? Quoi! dans ce séjour de ténÚbres oÃÂč l'ignominie m'a forcée de m'ensevelir, les peines sont-elles sans relùche, l'espérance est-elle méconnue? Je n'implore point une grùce que je ne mérite point pour souffrir sans me plaindre, il me suffira que mes souffrances n'excÚdent pas mes forces. Mais ne rends pas mes tourments insupportables. En me laissant mes douleurs, Îte-moi le cruel souvenir des biens que j'ai perdus. Quand tu me les as ravis, n'en retrace plus à mes yeux la désolante image. J'étais innocente et tranquille c'est pour t'avoir vu que j'ai perdu le repos; c'est en t'écoutant que je suis devenue criminelle. Auteur de mes fautes, quel droit as-tu de les punir? OÃÂč sont les amis qui me chérissaient, oÃÂč sont-ils? mon infortune les épouvante. Aucun n'ose m'approcher. Je suis opprimée, et ils me laissent sans secours! Je meurs, et personne ne pleure sur moi. Toute consolation m'est refusée. La pitié s'arrÃÂȘte sur les bords de l'abÃme oÃÂč le criminel se plonge. Les remords le déchirent, et ses cris ne sont pas entendus! Et toi, que j'ai outragé; toi, dont l'estime ajoute à mon supplice; toi, qui seul enfin aurais le droit de te venger, que fais-tu loin de moi? Viens punir une femme infidÚle. Que je souffre enfin des tourments mérités. Déjà je me serais soumise à ta vengeance mais le courage m'a manqué pour t'apprendre ta honte. Ce n'était point dissimulation, c'était respect. Que cette Lettre au moins t'apprenne mon repentir. Le Ciel a pris ta cause il te venge d'une injure que tu as ignorée. C'est lui qui a lié ma langue et retenu mes paroles; il a craint que tu ne me remisses une faute qu'il voulait punir. Il m'a soustraite à ton indulgence qui aurait blessé sa justice. Impitoyable dans sa vengeance, il m'a livrée à celui-là mÃÂȘme qui m'a perdue. C'est à la fois pour lui et par lui que je souffre. Je veux le fuir, en vain, il me suit; il est là ; il m'obsÚde sans cesse. Mais qu'il est différent de lui-mÃÂȘme! Ses yeux n'expriment plus que la haine et le mépris. Sa bouche ne profÚre que l'insulte et le reproche. Ses bras ne m'entourent que pour me déchirer. Qui me sauvera de sa barbare fureur? Mais quoi! c'est lui... Je ne me trompe pas; c'est lui que je revois. Oh! mon aimable ami! reçois-moi dans tes bras; cache-moi dans ton sein oui, c'est toi, c'est bien toi! Quelle illusion funeste m'avait fait te méconnaÃtre? combien j'ai souffert dans ton absence! Ne nous séparons plus, ne nous séparons jamais! Laisse-moi respirer. Sens mon cÅ“ur, comme il palpite! Oh! ce n'est plus de crainte, c'est la douce émotion de l'amour. Pourquoi te refuser à mes tendres caresses? Tourne vers moi tes doux regards! Quels sont ces liens que tu cherches à rompre? pour qui prépares-tu cet appareil de mort? qui peut altérer ainsi tes traits? que fais-tu? Laisse-moi je frémis! Dieu! c'est ce monstre encore! Mes amies, ne m'abandonnez pas. Vous qui m'invitiez à le fuir, aidez- moi à le combattre; et vous qui, plus indulgente, me promettiez de diminuer mes peines, venez donc auprÚs de moi. OÃÂč ÃÂȘtes-vous toutes deux? S'il ne m'est plus permis de vous revoir, répondez au moins à cette Lettre; que je sache que vous m'aimez encore. Laisse-moi donc, cruel! quelle nouvelle fureur t'anime? Crains-tu qu'un sentiment doux ne pénÚtre jusqu'à mon ùme? Tu redoubles mes tourments; tu me forces de te haïr. Oh! que la haine est douloureuse! comme elle corrode le cÅ“ur qui la distille! Pourquoi me persécutez-vous? que pouvez-vous encore avoir à me dire? ne m'avez-vous pas mise dans l'impossibilité de vous écouter, comme de vous répondre? N'attendez plus rien de moi. Adieu, Monsieur. Paris, ce 5 décembre 17**. LETTRE CLXII LE CHEVALIER DANCENY AU VICOMTE DE VALMONT Je suis instruit, Monsieur, de vos procédés envers moi. Je sais aussi que, non content de m'avoir indignement joué, vous ne craignez pas de vous en vanter, de vous en applaudir. J'ai vu la preuve de votre trahison écrite de votre main. J'avoue que mon cÅ“ur en a été navré, et que j'ai ressenti quelque honte d'avoir autant aidé moi-mÃÂȘme à l'odieux abus que vous avez fait de mon aveugle confiance; pourtant je ne vous envie pas ce honteux avantage; je suis seulement curieux de savoir si vous les conserverez tous également sur moi. J'en serai instruit, si, comme je l'espÚre, vous voulez bien vous trouver demain, entre huit et neuf heures du matin, à la porte du bois de Vincennes, Village de Saint-Mandé. J'aurai soin d'y faire trouver tout ce qui sera nécessaire pour les éclaircissements qui me restent à prendre avec vous. Le Chevalier Danceny. Paris, ce 6 décembre 17**, au soir. LETTRE CLXIII M. BERTRAND A MADAME DE ROSEMONDE Madame, C'est avec bien du regret que je remplis le triste devoir de vous annoncer une nouvelle qui va vous causer un si cruel chagrin. Permettez-moi de vous inviter d'abord à cette pieuse résignation que chacun a si souvent admirée en vous, et qui peut seule nous faire supporter les maux dont est semée notre misérable vie. M. votre neveu... Mon Dieu! faut-il que j'afflige tant une si respectable dame! M. votre neveu a eu le malheur de succomber dans un combat singulier qu'il a eu ce matin avec M. le Chevalier Danceny. J'ignore entiÚrement le sujet de la querelle; mais il paraÃt par le billet que j'ai trouvé encore dans la poche de M. le Vicomte, et que j'ai l'honneur de vous envoyer; il paraÃt, dis-je, qu'il n'était pas l'agresseur. Et il faut que ce soit lui que le Ciel ait permis qui succombùt! J'étais chez M. le Vicomte à l'attendre, à l'heure mÃÂȘme oÃÂč on l'a ramené à l'HÎtel. Figurez-vous mon effroi, en voyant M. votre neveu porté par deux de ses gens, et tout baigné dans son sang. Il avait deux coups d'épée dans le corps, et il était déjà bien faible. M. Danceny était aussi là , et mÃÂȘme il pleurait. Ah! sans doute, il doit pleurer mais il est bien temps de répandre des larmes, quand on a causé un malheur irréparable! Pour moi, je ne me possédais pas; et malgré le peu que je suis, je ne lui en disais pas moins ma façon de penser. Mais c'est là que M. le Vicomte s'est montré véritablement grand. Il m'a ordonné de me taire; et celui-là mÃÂȘme qui était son meurtrier, il lui a pris la main, l'a appelé son ami, l'a embrassé devant nous tous, et nous a dit; " Je vous ordonne d'avoir pour Monsieur tous les égards qu'on doit à un brave et galant homme. " Il lui a de plus fait remettre, devant moi, des papiers fort volumineux, que je ne connais pas, mais auxquels je sais bien qu'il attachait beaucoup d'importance. Ensuite il a voulu qu'on les laissùt seuls ensemble pendant un moment. Cependant j'avais envoyé chercher tout de suite tous les secours, tant spirituels que temporels mais, hélas! le mal était sans remÚde. Moins d'une demi-heure aprÚs, M. le Vicomte était sans connaissance. Il n'a pu recevoir que l'ExtrÃÂȘme-Onction; et la cérémonie était à peine achevée qu'il a rendu son dernier soupir. Bon Dieu! quand j'ai reçu dans mes bras à sa naissance ce précieux appui d'une maison si illustre, aurais-je pu prévoir que ce serait dans mes bras qu'il expirerait, et que j'aurais à pleurer sa mort? Une mort si précoce et si malheureuse! Mes larmes coulent malgré moi; je vous demande pardon, Madame, d'oser ainsi mÃÂȘler mes douleurs aux vÎtres mais dans tous les états, on a un cÅ“ur et de la sensibilité; et je serais bien ingrat, si je ne pleurais pas toute ma vie un Seigneur qui avait tant de bontés pour moi, et qui m'honorait de tant de confiance. Demain, aprÚs l'enlÚvement du corps, je ferai mettre les scellés partout, et vous pouvez vous en reposer entiÚrement sur mes soins. Vous n'ignorez pas, Madame, que ce malheureux événement finit la substitution, et rend vos dispositions entiÚrement libres. Si je puis vous ÃÂȘtre de quelque utilité, je vous prie de vouloir bien me faire passer vos ordres je mettrai tout mon zÚle à les exécuter ponctuellement. Je suis avec le plus profond respect, Madame, votre trÚs humble, etc. Bertrand. Paris, ce 7 décembre l7**. LETTRE CLXIV MADAME DE ROSEMONDE A M. BERTRAND Je reçois votre lettre à l'instant mÃÂȘme, mon cher Bertrand, et j'apprends par elle l'affreux événement dont mon neveu a été la malheureuse victime. Oui, sans doute j'aurai des ordres à vous donner; et ce n'est que pour eux que je peux m'occuper d'autre chose que de ma mortelle affliction. Le billet de M. Danceny, que vous m'avez envoyé, est une preuve bien convaincante que c'est lui qui a provoqué le duel, et mon intention est que vous en rendiez plainte sur-le-champ, et en mon nom. En pardonnant à son ennemi, à son meurtrier, mon neveu a pu satisfaire à sa générosité naturelle; mais moi, je dois venger à la fois sa mort, l'humanité et la religion. On ne saurait trop exciter la sévérité des Lois contre ce reste de barbarie, qui infecte encore nos mÅ“urs; et je ne crois pas que ce puisse ÃÂȘtre dans ce cas que le pardon des injures nous soit prescrit. J'attends donc que vous suiviez cette affaire avec tout le zÚle et toute l'activité dont je vous connais capable, et que vous devez à la mémoire de mon neveu. Vous aurez soin, avant tout, de voir M. le Président de *** de ma part, et d'en conférer avec lui. Je ne lui écris pas, pressée que je suis de me livrer tout entiÚre à ma douleur. Vous lui ferez mes excuses et lui communiquerez cette Lettre. Adieu, mon cher Bertrand; je vous loue et vous remercie de vos bons sentiments, et suis pour la vie toute à vous. Du Chùteau de ..., ce 8 décembre 17**. LETTRE CLXV MADAME DE VOLANGES A MADAME DE ROSEMONDE Je vous sais déjà instruite, ma chÚre et digne amie, de la perte que vous venez de faire; je connaissais votre tendresse pour M. de Valmont, et je partage bien sincÚrement l'affliction que vous devez ressentir. Je suis vraiment peinée d'avoir à ajouter de nouvea
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CaractĂ©ristiquePart des personnes interrogĂ©es- Le meilleur de nos statistiques Vous avez besoin d'un compte Statista pour un accĂšs illimitĂ© AccĂšs complet Ă  1 million de statistiques Sources comprises TĂ©lĂ©charger sous formats PNG, PDF, XLS AccĂšs Ă  des statistiques sur thĂšmes Ă  partir de468 $US / annĂ©e708 $US / annĂ©eSourcePlus d'infosPĂ©riode d’enquĂȘte27 mars - 2 avril 2019Nombre de personnes personnes interrogĂ©esCaractĂ©ristiques particuliĂšresprofessionnels de santĂ©, dont exerçant Ă  l'hĂŽpital, parmi lesquels 189 mĂ©decins et 855 infirmiĂšres et aides-soignantesType d’entretienSondage en ligneStatistiques complĂ©mentaires sur le thĂšme Votre accĂšs illimitĂ© Ă  Statista pour 468 $US / annĂ©e seulement Compte Standard Apprenez Ă  connaĂźtre StatistaAccĂšs limitĂ© aux statistiques standard. 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ROUSSEAU. Préface de La Nouvelle Héloïse TABLE DES MATIERES AVERTISSEMENT DE L'EDITEUR Nous croyons devoir prévenir le Public, que, malgré le titre de cet Ouvrage et ce qu'en dit le Rédacteur dans sa Préface, nous ne garantissons pas l'authenticité de ce Recueil, et que nous avons mÃÂȘme de fortes raisons de penser que ce n'est qu'un Roman. Il nous semble de plus que l'Auteur, qui paraÃt pourtant avoir cherché la vraisemblance, l'a détruite lui-mÃÂȘme et bien maladroitement, par l'époque oÃÂč il a placé les événements qu'il publie. En effet, plusieurs des personnages qu'il met en scÚne ont de si mauvaises mÅ“urs, qu'il est impossible de supposer qu'ils aient vécu dans notre siÚcle; dans ce siÚcle de philosophie, oÃÂč les lumiÚres, répandues de toutes parts, ont rendu, comme chacun sait, tous les hommes si honnÃÂȘtes et toutes les femmes si modestes et si réservées. Notre avis est donc que si les aventures rapportées dans cet Ouvrage ont un fond de vérité, elles n'ont pu arriver que dans d'autres lieux ou dans d'autres temps; et nous blùmons beaucoup l'Auteur, qui, séduit apparemment par l'espoir d'intéresser davantage en se rapprochant plus de son siÚcle et de son pays, a osé faire paraÃtre sous notre costume et avec nos usages, des mÅ“urs qui nous sont si étrangÚres. Pour préserver au moins, autant qu'il est en nous, le Lecteur trop crédule de toute surprise à ce sujet, nous appuierons notre opinion d'un raisonnement que nous lui proposons avec confiance, parce qu'il nous paraÃt victorieux et sans réplique; c'est que sans doute les mÃÂȘmes causes ne manqueraient pas de produire les mÃÂȘmes effets, et que cependant nous ne voyons point aujourd'hui de Demoiselle, avec soixante mille livres de rente, se faire Religieuse, ni de Présidente, jeune et jolie, mourir de chagrin. PREFACE DU REDACTEUR. Cet Ouvrage, ou plutÎt ce Recueil, que le Public trouvera peut-ÃÂȘtre encore trop volumineux, ne contient pourtant que le plus petit nombre des Lettres qui composaient la totalité de la correspondance dont il est extrait. Chargé de la mettre en ordre par les personnes à qui elle était parvenue, et que je savais dans l'intention de la publier, je n'ai demandé, pour prix de mes soins, que la permission d'élaguer tout ce qui me paraÃtrait inutile; et j'ai tùché de ne conserver en effet que les Lettres qui m'ont paru nécessaires, soit à l'intelligence des événements, soit au développement des caractÚres. Si l'on ajoute à ce léger travail, celui de replacer par ordre les Lettres que j'ai laissées subsister, ordre pour lequel j'ai mÃÂȘme presque toujours suivi celui des dates, et enfin quelques notes courtes et rares, et qui, pour la plupart, n'ont d'autre objet que d'indiquer la source de quelques citations, ou de motiver quelques- uns des retranchements que je me suis permis, on saura toute la part que j'ai eue à cet Ouvrage. Ma mission ne s'étendait pas plus loin. [Je dois prévenir aussi que j'ai supprimé ou changé tous les noms des personnes dont il est question dans ces Lettres; et que si dans le nombre de ceux que je leur ai substitués, il s'en trouvait qui appartinssent à quelqu'un, ce serait seulement une erreur de ma part et dont il ne faudrait tirer aucune conséquence.] J'avais proposé des changements plus considérables, et presque tous relatifs à la pureté de diction ou de style, contre laquelle on trouvera beaucoup de fautes. J'aurais désiré aussi ÃÂȘtre autorisé à couper quelques Lettres trop longues, et dont plusieurs traitent séparément, et presque sans transition, d'objets tout à fait étrangers l'un à l'autre. Ce travail, qui n'a pas été accepté, n'aurait pas suffi sans doute pour donner du mérite à l'Ouvrage, mais en aurait au moins Îté une partie des défauts. On m'a objecté que c'étaient les Lettres mÃÂȘmes qu'on voulait faire connaÃtre, et non pas seulement un Ouvrage fait d'aprÚs ces Lettres; qu'il serait autant contre la vraisemblance que contre la vérité, que de huit à dix personnes qui ont concouru à cette correspondance, toutes eussent écrit avec une égale pureté. Et sur ce que j'ai représenté que, loin de là , il n'y en avait au contraire aucune qui n'eût fait des fautes graves, et qu'on ne manquerait pas de critiquer, on m'a répondu que tout Lecteur raisonnable s'attendrait sûrement à trouver des fautes dans un Recueil de Lettres de quelques Particuliers, puisque dans tous ceux publiés jusqu'ici de différents Auteurs estimés, et mÃÂȘme de quelques Académiciens, on n'en trouvait aucun totalement à l'abri de ce reproche. Ces raisons ne m'ont pas persuadé, et je les ai trouvées, comme je les trouve encore, plus faciles à donner qu'à recevoir; mais je n'étais pas le maÃtre, et je me suis soumis. Seulement je me suis réservé de protester contre, et de déclarer que ce n'était pas mon avis; ce que je fais en ce moment. Quant au mérite que cet Ouvrage peut avoir, peut-ÃÂȘtre ne m'appartient-il pas de m'en expliquer, mon opinion ne devant ni ne pouvant influer sur celle de personne. Cependant ceux qui, avant de commencer une lecture, sont bien aises de savoir à peu prÚs sur quoi compter; ceux-là , dis-je, peuvent continuer les autres feront mieux de passer tout de suite à l'Ouvrage mÃÂȘme; ils en savent assez. Ce que je puis dire d'abord, c'est que si mon avis a été, comme j'en conviens, de faire paraÃtre ces Lettres, je suis pourtant bien loin d'en espérer le succÚs et qu'on ne prenne pas cette sincérité de ma part pour la modestie jouée d'un Auteur; car je déclare avec la mÃÂȘme franchise, que si ce Recueil ne m'avait pas paru digne d'ÃÂȘtre offert au Public, je ne m'en serais pas occupé. Tùchons de concilier cette apparente contradiction. Le mérite d'un Ouvrage se compose de son utilité ou de son agrément, et mÃÂȘme de tous deux, quand il en est susceptible mais le succÚs, qui ne prouve pas toujours le mérite, tient souvent davantage au choix du sujet qu'à son exécution, à l'ensemble des objets qu'il présente, qu'à la maniÚre dont ils sont traités. Or ce Recueil contenant, comme son titre l'annonce, les Lettres de toute une société, il y rÚgne une diversité d'intérÃÂȘt qui affaiblit celui du Lecteur. De plus, presque tous les sentiments qu'on y exprime, étant feints ou dissimulés, ne peuvent mÃÂȘme exciter qu'un intérÃÂȘt de curiosité toujours bien au-dessous de celui de sentiment, qui, surtout, porte moins à l'indulgence, et laisse d'autant plus apercevoir les fautes qui s'y trouvent dans les détails, que ceux-ci s'opposent sans cesse au seul désir qu'on veuille satisfaire. Ces défauts sont peut-ÃÂȘtre rachetés, en partie, par une qualité qui tient de mÃÂȘme à la nature de l'Ouvrage c'est la variété des styles; mérite qu'un Auteur atteint difficilement, mais qui se présentait ici de lui-mÃÂȘme, et qui sauve au moins l'ennui de l'uniformité. Plusieurs personnes pourront compter encore pour quelque chose un assez grand nombre d'observations, ou nouvelles, ou peu connues, et qui se trouvent éparses dans ces Lettres. C'est aussi là , je crois, tout ce qu'on y peut espérer d'agréments, en les jugeant mÃÂȘme avec la plus grande faveur. L'utilité de l'Ouvrage, qui peut-ÃÂȘtre sera encore plus contestée, me paraÃt pourtant plus facile à établir. Il me semble au moins que c'est rendre un service aux mÅ“urs, que de dévoiler les moyens qu'emploient ceux qui en ont de mauvaises pour corrompre ceux qui en ont de bonnes, et je crois que ces Lettres pourront concourir efficacement à ce but. On y trouvera aussi la preuve et l'exemple de deux vérités importantes qu'on pourrait croire méconnues, en voyant combien peu elles sont pratiquées l'une, que toute femme qui consent à recevoir dans sa société un homme sans mÅ“urs, finit par en devenir la victime; l'autre, que toute mÚre est au moins imprudente, qui souffre qu'un autre qu'elle ait la confiance de sa fille. Les jeunes gens de l'un et de l'autre sexe pourraient encore y apprendre que l'amitié que les personnes de mauvaises mÅ“urs paraissent leur accorder si facilement n'est jamais qu'un piÚge dangereux, et aussi fatal à leur bonheur qu'à leur vertu. Cependant l'abus, toujours si prÚs du bien, me paraÃt ici trop à craindre; et, loin de conseiller cette lecture à la jeunesse, il me paraÃt trÚs important d'éloigner d'elle toutes celles de ce genre. L'époque oÃÂč celle-ci peut cesser d'ÃÂȘtre dangereuse et devenir utile me paraÃt avoir été trÚs bien saisie, pour son sexe, par une bonne mÚre qui non seulement a de l'esprit, mais qui a du bon esprit. " Je croirais " , me disait-elle, aprÚs avoir lu le manuscrit de cette Correspondance, " rendre un vrai service à ma fille, en lui donnant ce Livre le jour de son mariage. " Si toutes les mÚres de famille en pensent ainsi, je me féliciterai éternellement de l'avoir publié. Mais, en partant encore de cette supposition favorable, il me semble toujours que ce Recueil doit plaire à peu de monde. Les hommes et les femmes dépravés auront intérÃÂȘt à décrier un Ouvrage qui peut leur nuire; et comme ils ne manquent pas d'adresse, peut-ÃÂȘtre auront-ils celle de mettre dans leur parti les Rigoristes, alarmés par le tableau des mauvaises mÅ“urs qu'on n'a pas craint de présenter. Les prétendus esprits forts ne s'intéresseront point à une femme dévote, que par cela mÃÂȘme ils regarderont comme une femmelette, tandis que les dévots se fùcheront de voir succomber la vertu, et se plaindront que la Religion se montre avec trop peu de puissance. D'un autre cÎté, les personnes d'un goût délicat seront dégoûtées par le style trop simple et trop fautif de plusieurs de ces Lettres, tandis que le commun des Lecteurs, séduit par l'idée que tout ce qui est imprimé est le fruit d'un travail, croira voir dans quelques autres la maniÚre peinée d'un Auteur qui se montre derriÚre le personnage qu'il fait parler. Enfin, on dira peut-ÃÂȘtre assez généralement, que chaque chose ne vaut qu'à sa place; et que si d'ordinaire le style trop chùtié des Auteurs Îte en effet de la grùce aux Lettres de société, les négligences de celles-ci deviennent de véritables fautes, et les rendent insupportables, quand on les livre à l'impression. J'avoue avec sincérité que tous ces reproches peuvent ÃÂȘtre fondés je crois aussi qu'il me serait possible d'y répondre, et mÃÂȘme sans excéder la longueur d'une Préface. Mais on doit sentir que pour qu'il fût nécessaire de répondre à tout, il faudrait que l'Ouvrage ne pût répondre à rien; et que si j'en avais jugé ainsi, j'aurais supprimé à la fois la Préface et le Livre. PREMIERE PARTIE LETTRE PREMIERE CECILE VOLANGES A SOPHIE CARNAY. AUX URSULINES DE ... Tu vois, ma bonne amie, que je tiens parole, et que les bonnets et les pompons ne prennent pas tout mon temps; il m'en restera toujours pour toi. J'ai pourtant vu plus de parures dans cette seule journée que dans les quatre ans que nous avons passés ensemble; et je crois que la superbe Tanville [Pensionnaire du mÃÂȘme Couvent] aura plus de chagrin à ma premiÚre visite, oÃÂč je compte bien la demander, qu'elle n'a cru nous en faire toutes les fois qu'elle est venue nous voir in fiocchi . Maman m'a consultée sur tout; elle me traite beaucoup moins en pensionnaire que par le passé. J'ai une Femme de chambre à moi; j'ai une chambre et un cabinet dont je dispose, et je t'écris à un Secrétaire trÚs joli, dont on m'a remis la clef, et oÃÂč je peux renfermer tout ce que je veux. Maman m'a dit que je la verrais tous les jours à son lever; qu'il suffisait que je fusse coiffée pour dÃner, parce que nous serions toujours seules, et qu'alors elle me dirait chaque jour l'heure oÃÂč je devrais l'aller joindre l'aprÚs-midi. Le reste du temps est à ma disposition, et j'ai ma harpe, mon dessin et des livres comme au Couvent; si ce n'est que la MÚre Perpétue n'est pas là pour me gronder, et qu'il ne tiendrait qu'à moi d'ÃÂȘtre toujours à rien faire mais comme je n'ai pas ma Sophie pour causer et pour rire, j'aime autant m'occuper. Il n'est pas encore cinq heures; je ne dois aller retrouver Maman qu'à sept voilà bien du temps, si j'avais quelque chose à te dire! Mais on ne m'a encore parlé de rien; et sans les apprÃÂȘts que je vois faire, et la quantité d'OuvriÚres qui viennent toutes pour moi, je croirais qu'on ne songe pas à me marier, et que c'est un radotage de plus de la bonne Joséphine [TouriÚre du Couvent]. Cependant Maman m'a dit si souvent qu'une Demoiselle devait rester au Couvent jusqu'à ce qu'elle se mariùt, que puisqu'elle m'en fait sortir, il faut bien que Joséphine ait raison. Il vient d'arrÃÂȘter un carrosse à la porte, et Maman me fait dire de passer chez elle tout de suite. Si c'était le Monsieur? Je ne suis pas habillée, la main me tremble et le cÅ“ur me bat. J'ai demandé à la Femme de chambre, si elle savait qui était chez ma mÚre " Vraiment, m'a-t-elle dit, c'est M. C**. " Et elle riait. Oh! je crois que c'est lui. Je reviendrai sûrement te raconter ce qui se sera passé. Voilà toujours son nom. Il ne faut pas se faire attendre. Adieu, jusqu'à un petit moment. Comme tu vas te moquer de la pauvre Cécile! Oh! j'ai été bien honteuse! Mais tu y aurais été attrapée comme moi. En entrant chez Maman, j'ai vu un Monsieur en noir, debout auprÚs d'elle. Je l'ai salué du mieux que j'ai pu, et suis restée sans pouvoir bouger de ma place. Tu juges combien je l'examinais! " Madame " , a-t-il dit à ma mÚre, en me saluant, " voilà une charmante Demoiselle, et je sens mieux que jamais le prix de vos bontés. " A ce propos si positif, il m'a pris un tremblement tel, que je ne pouvais me soutenir; j'ai trouvé un fauteuil, et je m'y suis assise, bien rouge et bien déconcertée. J'y étais à peine, que voilà cet homme à mes genoux. Ta pauvre Cécile alors a perdu la tÃÂȘte; j'étais, comme a dit Maman, tout effarouchée. Je me suis levée en jetant un cri perçant, ... tiens, comme ce jour du tonnerre. Maman est partie d'un éclat de rire, en me disant " Eh bien! qu'avez-vous? Asseyez-vous et donnez votre pied à Monsieur. " En effet, ma chÚre amie, le Monsieur était un Cordonnier. Je ne peux te rendre combien j'ai été honteuse par bonheur il n'y avait que Maman. Je crois que, quand je serai mariée, je ne me servirai plus de ce Cordonnier-là . Conviens que nous voilà bien savantes! Adieu. Il est prÚs de six heures, et ma Femme de chambre dit qu'il faut que je m'habille. Adieu, ma chÚre Sophie; je t'aime comme si j'étais encore au Couvent. Je ne sais par qui envoyer ma Lettre ainsi j'attendrai que Joséphine vienne. Paris, ce 3 août 17** LETTRE II LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT AU CHATEAU DE ... Revenez, mon cher Vicomte, revenez que faites-vous, que pouvez-vous faire chez une vieille tante dont tous les biens vous sont substitués? Partez sur-le- champ; j'ai besoin de vous. Il m'est venu une excellente idée, et je veux bien vous en confier l'exécution. Ce peu de mots devrait suffire; et, trop honoré de mon choix, vous devriez venir, avec empressement, prendre mes ordres à genoux mais vous abusez de mes bontés, mÃÂȘme depuis que vous n'en usez plus; et dans l'alternative d'une haine éternelle ou d'une excessive indulgence, votre bonheur veut que ma bonté l'emporte. Je veux donc bien vous instruire de mes projets mais jurez-moi qu'en fidÚle Chevalier vous ne courrez aucune aventure que vous n'ayez mis celle-ci à fin. Elle est digne d'un Héros vous servirez l'Amour et la vengeance; ce sera enfin une rouerie [Ces mots roué et rouerie , dont heureusement la bonne compagnie commence à se défaire, étaient fort en usage à l'époque oÃÂč ces Lettres ont été écrites] de plus à mettre dans vos Mémoires oui, dans vos Mémoires, car je veux qu'ils soient imprimés un jour, et je me charge de les écrire. Mais laissons cela, et revenons à ce qui m'occupe. Madame de Volanges marie sa fille c'est encore un secret; mais elle m'en a fait part hier. Et qui croyez-vous qu'elle ait choisi pour gendre? Le Comte de Gercourt. Qui m'aurait dit que je deviendrais la cousine de Gercourt? J'en suis dans une fureur! Eh bien! vous ne devinez pas encore? oh! l'esprit lourd! Lui avez-vous donc pardonné l'aventure de l'Intendante? Et moi, n'ai-je pas encore plus à me plaindre de lui, monstre que vous ÃÂȘtes? [Pour entendre ce passage, il faut savoir que le Comte de Gercourt avait quitté la Marquise de Merteuil pour l'Intendante de ***, qui lui avait sacrifié le Vicomte de Valmont, et que c'est alors que la Marquise et le Vicomte s'attachÚrent l'un à l'autre. Comme cette aventure est fort antérieure aux événements dont il est question dans ces Lettres, on a cru devoir en supprimer toute la Correspondance.] Mais je m'apaise, et l'espoir de me venger rassérÚne mon ùme. Vous avez été ennuyé cent fois, ainsi que moi, de l'importance que met Gercourt à la femme qu'il aura, et de la sotte présomption qui lui fait croire qu'il évitera le sort inévitable. Vous connaissez sa ridicule prévention pour les éducations cloÃtrées, et son préjugé, plus ridicule encore, en faveur de la retenue des blondes. En effet, je gagerais que, malgré les soixante mille livres de rente de la petite Volanges, il n'aurait jamais fait ce mariage, si elle eût été brune, ou si elle n'eût pas été au Couvent. Prouvons-lui donc qu'il n'est qu'un sot il le sera sans doute un jour; ce n'est pas là ce qui m'embarrasse mais le plaisant serait qu'il débutùt par là . Comme nous nous amuserions le lendemain en l'entendant se vanter! car il se vantera; et puis, si une fois vous formez cette petite fille, il y aura bien du malheur si le Gercourt ne devient pas, comme un autre, la fable de Paris. Au reste, l'Héroïne de ce nouveau Roman mérite tous vos soins elle est vraiment jolie; cela n'a que quinze ans, c'est le bouton de rose; gauche, à la vérité, comme on ne l'est point, et nullement maniérée mais, vous autres hommes, vous ne craignez pas cela; de plus, un certain regard langoureux qui promet beaucoup en vérité ajoutez-y que je vous la recommande; vous n'avez plus qu'à me remercier et m'obéir. Vous recevrez cette Lettre demain matin. J'exige que demain à sept heures du soir, vous soyez chez moi. Je ne recevrai personne qu'à huit, pas mÃÂȘme le régnant Chevalier; il n'a pas assez de tÃÂȘte pour une aussi grande affaire. Vous voyez que l'Amour ne m'aveugle pas. A huit heures je vous rendrai votre liberté, et vous reviendrez à dix souper avec le bel objet; car la mÚre et la fille souperont chez moi. Adieu, il est midi passé bientÎt je ne m'occuperai plus de vous. Paris, ce 4 août 17** LETTRE III CECILE VOLANGES A SOPHIE CARNAY Je ne sais encore rien, ma bonne amie. Maman avait hier beaucoup de monde à souper. Malgré l'intérÃÂȘt que j'avais à examiner, les hommes surtout, je me suis fort ennuyée. Hommes et femmes, tout le monde m'a beaucoup regardée, et puis on se parlait à l'oreille; et je voyais bien qu'on parlait de moi cela me faisait rougir; je ne pouvais m'en empÃÂȘcher. Je l'aurais bien voulu, car j'ai remarqué que quand on regardait les autres femmes, elles ne rougissaient pas; ou bien c'est le rouge qu'elles mettent, qui empÃÂȘche de voir celui que l'embarras leur cause; car il doit ÃÂȘtre bien difficile de ne pas rougir quand un homme vous regarde fixement. Ce qui m'inquiétait le plus était de ne pas savoir ce qu'on pensait sur mon compte. Je crois avoir entendu pourtant deux ou trois fois le mot de jolie mais j'ai entendu bien distinctement celui de gauche ; et il faut que cela soit bien vrai, car la femme qui le disait est parente et amie de ma mÚre; elle paraÃt mÃÂȘme avoir pris tout de suite de l'amitié pour moi. C'est la seule personne qui m'ait un peu parlé dans la soirée. Nous souperons demain chez elle. J'ai encore entendu, aprÚs souper, un homme que je suis sûre qui parlait de moi, et qui disait à un autre " Il faut laisser mûrir cela, nous verrons cet hiver. " C'est peut-ÃÂȘtre celui-là qui doit m'épouser; mais alors ce ne serait donc que dans quatre mois! Je voudrais bien savoir ce qui en est. Voilà Joséphine, et elle me dit qu'elle est pressée. Je veux pourtant te raconter encore une de mes gaucheries . Oh! je crois que cette dame a raison! AprÚs le souper on s'est mis à jouer. Je me suis placée auprÚs de Maman; je ne sais pas comment cela s'est fait, mais je me suis endormie presque tout de suite. Un grand éclat de rire m'a réveillée. Je ne sais si l'on riait de moi, mais je le crois. Maman m'a permis de me retirer et elle m'a fait grand plaisir. Figure- toi qu'il était onze heures passées. Adieu, ma chÚre Sophie; aime toujours bien ta Cécile. Je t'assure que le monde n'est pas aussi amusant que nous l'imaginions. Paris, ce 4 août l7**. LETTRE IV LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL A PARIS Vos ordres sont charmants; votre façon de les donner est plus aimable encore; vous feriez chérir le despotisme. Ce n'est pas la premiÚre fois, comme vous savez, que je regrette de ne plus ÃÂȘtre votre esclave; et tout monstre que vous dites que je suis, je ne me rappelle jamais sans plaisir le temps oÃÂč vous m'honoriez de noms plus doux. Souvent mÃÂȘme je désire de les mériter de nouveau, et de finir par donner, avec vous, un exemple de constance au monde. Mais de plus grands intérÃÂȘts nous appellent; conquérir est notre destin; il faut le suivre peut-ÃÂȘtre au bout de la carriÚre nous rencontrerons- nous encore; car, soit dit sans vous fùcher, ma trÚs belle Marquise, vous me suivez au moins d'un pas égal; et depuis que, nous séparant pour le bonheur du monde, nous prÃÂȘchons la foi chacun de notre cÎté, il me semble que dans cette mission d'amour, vous avez fait plus de prosélytes que moi. Je connais votre zÚle, votre ardente ferveur; et si ce Dieu-là nous jugeait sur nos Å’uvres, vous seriez un jour la Patronne de quelque grande ville, tandis que votre ami serait au plus un Saint de village. Ce langage vous étonne, n'est-il pas vrai? Mais depuis huit jours, je n'en entends, je n'en parle pas d'autre; et c'est pour m'y perfectionner, que je me vois forcé de vous désobéir. Ne vous fùchez pas et écoutez-moi. Dépositaire de tous les secrets de mon cÅ“ur, je vais vous confier le plus grand projet que j'aie jamais formé. Que me proposez-vous? de séduire une jeune fille qui n'a rien vu, ne connaÃt rien; qui, pour ainsi dire, me serait livrée sans défense; qu'un premier hommage ne manquera pas d'enivrer et que la curiosité mÚnera peut-ÃÂȘtre plus vite que l'Amour. Vingt autres peuvent y réussir comme moi. Il n'en est pas ainsi de l'entreprise qui m'occupe; son succÚs m'assure autant de gloire que de plaisir l'Amour qui prépare ma couronne hésite lui-mÃÂȘme entre le myrte et le laurier, ou plutÎt il les réunira pour honorer mon triomphe. Vous-mÃÂȘme, ma belle amie, vous serez saisie d'un saint respect, et vous direz avec enthousiasme " Voilà l'homme selon mon cÅ“ur. " Vous connaissez la Présidente Tourvel, sa dévotion, son amour conjugal, ses principes austÚres. Voilà ce que j'attaque; voilà l'ennemi digne de moi; voilà le but oÃÂč je prétends atteindre Et si de l'obtenir je n'emporte le prix, J'aurai du moins l'honneur de l'avoir entrepris. On peut citer de mauvais vers, quand ils sont d'un grand PoÚte [La Fontaine]. Vous saurez donc que le Président est en Bourgogne, à la suite d'un grand procÚs j'espÚre lui en faire perdre un plus important. Son inconsolable moitié doit passer ici tout le temps de cet affligeant veuvage. Une messe chaque jour, quelques visites aux Pauvres du canton, des priÚres du matin et du soir, des promenades solitaires, de pieux entretiens avec ma vieille tante, et quelquefois un triste Wisk, devaient ÃÂȘtre ses seules distractions. Je lui en prépare de plus efficaces. Mon bon Ange m'a conduit ici, pour son bonheur et pour le mien. Insensé! je regrettais vingt-quatre heures que je sacrifiais à des égards d'usage. Combien on me punirait, en me forçant de retourner à Paris! Heureusement il faut ÃÂȘtre quatre pour jouer au Wisk; et comme il n'y a ici que le Curé du lieu, mon éternelle tante m'a beaucoup pressé de lui sacrifier quelques jours. Vous devinez que j'ai consenti. Vous n'imaginez pas combien elle me cajole depuis ce moment, combien surtout elle est édifiée de me voir réguliÚrement à ses priÚres et à sa Messe. Elle ne se doute pas de la Divinité que j'y adore. Me voilà donc, depuis quatre jours, livré à une passion forte. Vous savez si je désire vivement, si je dévore les obstacles mais ce que vous ignorez, c'est combien la solitude ajoute à l'ardeur du désir. Je n'ai plus qu'une idée; j'y pense le jour, et j'y rÃÂȘve la nuit. J'ai bien besoin d'avoir cette femme, pour me sauver du ridicule d'en ÃÂȘtre amoureux car oÃÂč ne mÚne pas un désir contrarié? Ô délicieuse jouissance! Je t'implore pour mon bonheur et surtout pour mon repos. Que nous sommes heureux que les femmes se défendent si mal! nous ne serions auprÚs d'elles que de timides esclaves. J'ai dans ce moment un sentiment de reconnaissance pour les femmes faciles, qui m'amÚne naturellement à vos pieds. Je m'y prosterne pour obtenir mon pardon, et j'y finis cette trop longue Lettre. Adieu, ma trÚs belle amie sans rancune. Du Chùteau de ..., 5 août 17** LETTRE V LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT Savez-vous, Vicomte, que votre Lettre est d'une insolence rare, et qu'il ne tiendrait qu'à moi de m'en fùcher? mais elle m'a prouvé clairement que vous aviez perdu la tÃÂȘte, et cela seul vous a sauvé de mon indignation. Amie généreuse et sensible, j'oublie mon injure pour ne m'occuper que de votre danger; et quelque ennuyeux qu'il soit de raisonner, je cÚde au besoin que vous en avez dans ce moment. Vous, avoir la Présidente de Tourvel! mais quel ridicule caprice! Je reconnais bien là votre mauvaise tÃÂȘte qui ne sait désirer que ce qu'elle croit ne pas pouvoir obtenir. Qu'est-ce donc que cette femme? des traits réguliers si vous voulez, mais nulle expression passablement faite, mais sans grùces toujours mise à faire rire! avec ses paquets de fichus sur la gorge, et son corps qui remonte au menton! Je vous le dis en amie, il ne vous faudrait pas deux femmes comme celle-là , pour vous faire perdre toute votre considération. Rappelez-vous donc ce jour oÃÂč elle quÃÂȘtait à Saint-Roch, et oÃÂč vous me remerciùtes tant de vous avoir procuré ce spectacle. Je crois la voir encore, donnant la main à ce grand échalas en cheveux longs, prÃÂȘte à tomber à chaque pas, ayant toujours son panier de quatre aunes sur la tÃÂȘte de quelqu'un, et rougissant à chaque révérence. Qui vous eût dit alors vous désirerez cette femme? Allons, Vicomte, rougissez vous-mÃÂȘme, et revenez à vous. Je vous promets le secret. Et puis, voyez donc les désagréments qui vous attendent! quel rival avez-vous à combattre? un mari! Ne vous sentez-vous pas humilié à ce seul mot? Quelle honte si vous échouez! et mÃÂȘme combien peu de gloire dans le succÚs! Je dis plus; n'en espérez aucun plaisir. En est-il avec les prudes? j'entends celles de bonne foi réservées au sein mÃÂȘme du plaisir, elles ne vous offrent que des demi-jouissances. Cet entier abandon de soi-mÃÂȘme, ce délire de la volupté oÃÂč le plaisir s'épure par son excÚs, ces biens de l'Amour, ne sont pas connus d'elles. Je vous le prédis; dans la plus heureuse supposition, votre Présidente croira avoir tout fait pour vous en vous traitant comme son mari, et dans le tÃÂȘte-à -tÃÂȘte conjugal le plus tendre, on reste toujours deux. Ici c'est bien pis encore; votre prude est dévote et de cette dévotion de bonne femme qui condamne à une éternelle enfance. Peut-ÃÂȘtre surmonterez-vous cet obstacle, mais ne vous flattez pas de le détruire vainqueur de l'Amour de Dieu, vous ne le serez pas de la peur du Diable; et quand, tenant votre MaÃtresse dans vos bras, vous sentirez palpiter son cÅ“ur, ce sera de crainte et non d'amour. Peut- ÃÂȘtre, si vous eussiez connu cette femme plus tÎt, en eussiez-vous pu faire quelque chose; mais cela a vingt-deux ans, et il y en a prÚs de deux qu'elle est mariée. Croyez-moi, Vicomte, quand une femme s'est encroûtée à ce point, il faut l'abandonner à son sort; ce ne sera jamais qu'une espÚce . C'est pourtant pour ce bel objet que vous refusez de m'obéir, que vous vous enterrez dans le tombeau de votre tante, et que vous renoncez à l'aventure la plus délicieuse et la plus faite pour vous faire honneur. Par quelle fatalité faut- il donc que Gercourt garde toujours quelque avantage sur vous? Tenez, je vous en parle sans humeur mais, dans ce moment, je suis tentée de croire que vous ne méritez pas votre réputation; je suis tentée surtout de vous retirer ma confiance. Je ne m'accoutumerai jamais à dire mes secrets à l'amant de Madame de Tourvel. Sachez pourtant que la petite Volanges a déjà fait tourner une tÃÂȘte. Le jeune Danceny en raffole. Il a chanté avec elle; et en effet elle chante mieux qu'à une Pensionnaire n'appartient. Ils doivent répéter beaucoup de Duos, et je crois qu'elle se mettrait volontiers à l'unisson mais ce Danceny est un enfant qui perdra son temps à faire l'Amour, et ne finira rien. La petite personne de son cÎté est assez farouche; et, à tout événement, cela sera toujours beaucoup moins plaisant que vous n'auriez pu le rendre aussi j'ai de l'humeur, et sûrement je querellerai le Chevalier à son arrivée. Je lui conseille d'ÃÂȘtre doux; car, dans ce moment, il ne m'en coûterait rien de rompre avec lui. Je suis sûre que si j'avais le bon esprit de le quitter à présent, il en serait au désespoir; et rien ne m'amuse comme un désespoir amoureux. Il m'appellerait perfide, et ce mot de perfide m'a toujours fait plaisir; c'est, aprÚs celui de cruelle, le plus doux à l'oreille d'une femme, et il est moins pénible à mériter. Sérieusement, je vais m'occuper de cette rupture. Voilà pourtant de quoi vous ÃÂȘtes cause! aussi je le mets sur votre conscience. Adieu. Recommandez-moi aux priÚres de votre Présidente. Paris, ce 7 août 17** LETTRE VI LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Il n'est donc point de femme qui n'abuse de l'empire qu'elle a su prendre! Et vous-mÃÂȘme, vous que je nommai si souvent mon indulgente amie, vous cessez enfin de l'ÃÂȘtre, et vous ne craignez pas de m'attaquer dans l'objet de mes affections! De quels traits vous osez peindre Madame de Tourvel! quel homme n'eût point payé de sa vie cette insolente audace? à quelle autre femme qu'à vous n'eût-elle valu au moins une noirceur? De grùce, ne me mettez plus à d'aussi rudes épreuves; je ne répondrais pas de les soutenir. Au nom de l'amitié, attendez que j'aie eu cette femme, si vous voulez en médire. Ne savez-vous pas que la seule volupté a le droit de détacher le bandeau de l'Amour? Mais que dis-je? Madame de Tourvel a-t-elle besoin d'illusion? non; pour ÃÂȘtre adorable il lui suffit d'ÃÂȘtre elle-mÃÂȘme. Vous lui reprochez de se mettre mal; je le crois bien; toute parure lui nuit; tout ce qui la cache la dépare c'est dans l'abandon du négligé qu'elle est vraiment ravissante. Grùce aux chaleurs accablantes que nous éprouvons, un déshabillé de simple toile me laisse voir sa taille ronde et souple. Une seule mousseline couvre sa gorge, et mes regards furtifs, mais pénétrants, en ont déjà saisi les formes enchanteresses. Sa figure, dites-vous, n'a nulle expression. Et qu'exprimerait-elle, dans les moments oÃÂč rien ne parle à son cÅ“ur? Non, sans doute, elle n'a point, comme nos femmes coquettes, ce regard menteur qui séduit quelquefois et nous trompe toujours. Elle ne sait pas couvrir le vide d'une phrase par un sourire étudié; et quoiqu'elle ait les plus belles dents du monde, elle ne rit que de ce qui l'amuse. Mais il faut voir comme, dans les folùtres jeux, elle offre l'image d'une gaieté naïve et franche! comme, auprÚs d'un malheureux qu'elle s'empresse de secourir, son regard annonce la joie pure et la bonté compatissante! Il faut voir, surtout au moindre mot d'éloge ou de cajolerie, se peindre, sur sa figure céleste, ce touchant embarras d'une modestie qui n'est point jouée! Elle est prude et dévote, et de là vous la jugez froide et inanimée? Je pense bien différemment. Quelle étonnante sensibilité ne faut-il pas avoir pour la répandre jusque sur son mari, et pour aimer toujours un ÃÂȘtre toujours absent? Quelle preuve plus forte pourriez-vous désirer? J'ai su pourtant m'en procurer une autre. J'ai dirigé sa promenade de maniÚre qu'il s'est trouvé un fossé à franchir; et, quoique fort leste, elle est encore plus timide vous jugez bien qu'une prude craint de sauter le fossé [On reconnaÃt ici le mauvais goût des calembours, qui commençait à prendre, et qui depuis a fait tant de progrÚs]. Il a fallu se confier à moi. J'ai tenu dans mes bras cette femme modeste. Nos préparatifs et le passage de ma vieille tante avaient fait rire aux éclats la folùtre Dévote mais, dÚs que je me fus emparé d'elle, par une adroite gaucherie, nos bras s'enlacÚrent mutuellement. Je pressai son sein contre le mien; et, dans ce court intervalle, je sentis son cÅ“ur battre plus vite. L'aimable rougeur vint colorer son visage, et son modeste embarras m'apprit assez que son cÅ“ur avait palpité d'amour et non de crainte . Ma tante cependant s'y trompa comme vous, et se mit à dire " L'enfant a eu peur " ; mais la charmante candeur de l'enfant ne lui permit pas le mensonge, et elle répondit naïvement " Oh non, mais!... " Ce seul mot m'a éclairé. DÚs ce moment, le doux espoir a remplacé la cruelle inquiétude. J'aurai cette femme; je l'enlÚverai au mari qui la profane j'oserai la ravir au Dieu mÃÂȘme qu'elle adore. Quel délice d'ÃÂȘtre tour à tour l'objet et le vainqueur de ses remords! Loin de moi l'idée de détruire les préjugés qui l'assiÚgent! ils ajouteront à mon bonheur et à ma gloire. Qu'elle croie à la vertu, mais qu'elle me la sacrifie; que ses fautes l'épouvantent sans pouvoir l'arrÃÂȘter; et qu'agitée de mille terreurs, elle ne puisse les oublier, les vaincre que dans mes bras. Qu'alors, j'y consens, elle me dise " Je t'adore " , elle seule, entre toutes les femmes, sera digne de prononcer ce mot. Je serai vraiment le Dieu qu'elle aura préféré. Soyons de bonne foi; dans nos arrangements, aussi froids que faciles, ce que nous appelons bonheur est à peine un plaisir. Vous le dirai-je? je croyais mon cÅ“ur flétri, et ne me trouvant plus que des sens, je me plaignais d'une vieillesse prématurée. Madame de Tourvel m'a rendu les charmantes illusions de la jeunesse. AuprÚs d'elle, je n'ai pas besoin de jouir pour ÃÂȘtre heureux. La seule chose qui m'effraie, est le temps que va me prendre cette aventure; car je n'ose rien donner au hasard. J'ai beau me rappeler mes heureuses témérités, je ne puis me résoudre à les mettre en usage. Pour que je sois vraiment heureux, il faut qu'elle se donne; et ce n'est pas une petite affaire. Je suis sûr que vous admireriez ma prudence. Je n'ai pas encore prononcé le mot d'amour; mais déjà nous en sommes à ceux de confiance et d'intérÃÂȘt. Pour la tromper le moins possible, et surtout pour prévenir l'effet des propos qui pourraient lui revenir, je lui ai raconté moi-mÃÂȘme, et comme en m'accusant, quelques-uns de mes traits les plus connus. Vous ririez de voir avec quelle candeur elle me prÃÂȘche. Elle veut, dit-elle, me convertir. Elle ne se doute pas encore de ce qu'il lui en coûtera pour le tenter. Elle est loin de penser qu'en plaidant , pour parler comme elle, pour les infortunées que j'ai perdues , elle parle d'avance dans sa propre cause. Cette idée me vint hier au milieu d'un de ses sermons, et je ne pus me refuser au plaisir de l'interrompre, pour l'assurer qu'elle parlait comme un prophÚte. Adieu, ma trÚs belle amie. Vous voyez que je ne suis pas perdu sans ressources. A propos, ce pauvre Chevalier, s'est-il tué de désespoir? En vérité, vous ÃÂȘtes cent fois plus mauvais sujet que moi, et vous m'humilieriez si j'avais de l'amour-propre. Du Chùteau de ..., ce 9 août 17** LETTRE VII CECILE VOLANGES A SOPHIE CARNAY [Pour ne pas abuser de la patience du Lecteur, on supprime beaucoup de Lettres de cette Correspondance journaliÚre; on ne donne que celles qui ont paru nécessaires à l'intelligence des événements de cette société. C'est par le mÃÂȘme motif qu'on supprime aussi toutes les Lettres de Sophie Carnay et plusieurs de celles des autres Acteurs de ces aventures.] Si je ne t'ai rien dit de mon mariage, c'est que je ne suis pas plus instruite que le premier jour. Je m'accoutume à n'y plus penser et je me trouve assez bien de mon genre de vie. J'étudie beaucoup mon chant et ma harpe; il me semble que je les aime mieux depuis que je n'ai plus de MaÃtres, ou plutÎt c'est que j'en ai un meilleur. M. le Chevalier Danceny, ce Monsieur dont je t'ai parlé, et avec qui j'ai chanté chez Madame de Merteuil, a la complaisance de venir ici tous les jours, et de chanter avec moi des heures entiÚres. Il est extrÃÂȘmement aimable. Il chante comme un Ange, et compose de trÚs jolis airs dont il fait aussi les paroles. C'est bien dommage qu'il soit Chevalier de Malte! Il me semble que s'il se mariait, sa femme serait bien heureuse. Il a une douceur charmante. Il n'a jamais l'air de faire un compliment, et pourtant tout ce qu'il dit flatte. Il me reprend sans cesse, tant sur la musique que sur autre chose mais il mÃÂȘle à ses critiques tant d'intérÃÂȘt et de gaieté, qu'il est impossible de ne pas lui en savoir gré. Seulement quand il vous regarde, il a l'air de vous dire quelque chose d'obligeant. Il joint à tout cela d'ÃÂȘtre trÚs complaisant. Par exemple, hier, il était prié d'un grand concert; il a préféré de rester toute la soirée chez Maman. Cela m'a fait bien plaisir; car quand il n'y est pas, personne ne me parle, et je m'ennuie au lieu que quand il y est, nous chantons et nous causons ensemble. Il a toujours quelque chose à me dire. Lui et Madame de Merteuil sont les deux seules personnes que je trouve aimables. Mais adieu, ma chÚre amie j'ai promis que je saurais pour aujourd'hui une ariette dont l'accompagnement est trÚs difficile, et je ne veux pas manquer de parole. Je vais me remettre à l'étude jusqu'à ce qu'il vienne. De ..., ce 7 août 17** LETTRE VIII LA PRESIDENTE DE TOURVEL A MADAME DE VOLANGES On ne peut ÃÂȘtre plus sensible que je le suis, Madame, à la confiance que vous me témoignez, ni prendre plus d'intérÃÂȘt que moi à l'établissement de Mademoiselle de Volanges. C'est bien de toute mon ùme que je lui souhaite une félicité dont je ne doute pas qu'elle ne soit digne, et sur laquelle je m'en rapporte bien à votre prudence. Je ne connais point M. le Comte de Gercourt; mais, honoré de votre choix, je ne puis prendre de lui qu'une idée trÚs avantageuse. Je me borne, Madame, à souhaiter à ce mariage un succÚs aussi heureux qu'au mien, qui est pareillement votre ouvrage, et pour lequel chaque jour ajoute à ma reconnaissance. Que le bonheur de Mademoiselle votre fille soit la récompense de celui que vous m'avez procuré; et puisse la meilleure des amies ÃÂȘtre aussi la plus heureuse des mÚres! Je suis vraiment peinée de ne pouvoir vous offrir de vive voix l'hommage de ce vÅ“u sincÚre, et faire, aussi tÎt que je le désirerais, connaissance avec Mademoiselle de Volanges. AprÚs avoir éprouvé vos bontés vraiment maternelles, j'ai droit d'espérer d'elle l'amitié tendre d'une sÅ“ur. Je vous prie, Madame, de vouloir bien la lui demander de ma part, en attendant que je me trouve à portée de la mériter. Je compte rester à la campagne tout le temps de l'absence de M. de Tourvel. J'ai pris ce temps pour jouir et profiter de la société de la respectable Madame de Rosemonde. Cette femme est toujours charmante son grand ùge ne lui fait rien perdre; elle conserve toute sa mémoire et sa gaieté. Son corps seul a quatre-vingt-quatre ans; son esprit n'en a que vingt. Notre retraite est égayée par son neveu le Vicomte de Valmont, qui a bien voulu nous sacrifier quelques jours. Je ne le connaissais que de réputation, et elle me faisait peu désirer de le connaÃtre davantage mais il me semble qu'il vaut mieux qu'elle. Ici, oÃÂč le tourbillon du monde ne le gùte pas, il parle raison avec une facilité étonnante, et il s'accuse de ses torts avec une candeur rare. Il me parle avec beaucoup de confiance, et je le prÃÂȘche avec beaucoup de sévérité. Vous qui le connaissez, vous conviendrez que ce serait une belle conversion à faire mais je ne doute pas, malgré ses promesses, que huit jours de Paris ne lui fassent oublier tous mes sermons. Le séjour qu'il fera ici sera au moins autant de retranché sur sa conduite ordinaire et je crois que, d'aprÚs sa façon de vivre, ce qu'il peut faire de mieux est de ne rien faire du tout. Il sait que je suis occupée à vous écrire, et il m'a chargée de vous présenter ses respectueux hommages. Recevez aussi le mien avec la bonté que je vous connais, et ne doutez jamais des sentiments sincÚres avec lesquels j'ai l'honneur d'ÃÂȘtre, etc. Du Chùteau de ..., ce 9 août 17** LETTRE IX MADAME DE VOLANGES A LA PRESIDENTE DE TOURVEL Je n'ai jamais douté, ma jeune et belle amie, ni de l'amitié que vous avez pour moi, ni de l'intérÃÂȘt sincÚre que vous prenez à tout ce qui me regarde. Ce n'est pas pour éclaircir ce point, que j'espÚre convenu à jamais entre nous, que je réponds à votre Réponse mais je ne crois pas pouvoir me dispenser de causer avec vous au sujet du Vicomte de Valmont. Je ne m'attendais pas, je l'avoue, à trouver jamais ce nom-là dans vos Lettres. En effet, que peut-il y avoir de commun entre vous et lui? Vous ne connaissez pas cet homme; oÃÂč auriez-vous pris l'idée de l'ùme d'un libertin? Vous me parlez de sa rare candeur oh! oui; la candeur de Valmont doit ÃÂȘtre en effet trÚs rare. Encore plus faux et dangereux qu'il n'est aimable et séduisant, jamais depuis sa plus grande jeunesse, il n'a fait un pas ou dit une parole sans avoir un projet, et jamais il n'eut un projet qui ne fût malhonnÃÂȘte ou criminel. Mon amie, vous me connaissez; vous savez si, des vertus que je tùche d'acquérir, l'indulgence n'est pas celle que je chéris le plus. Aussi, si Valmont était entraÃné par des passions fougueuses; si, comme mille autres, il était séduit par les erreurs de son ùge, blùmant sa conduite je plaindrais sa personne, et j'attendrais, en silence, le temps oÃÂč un retour heureux lui rendrait l'estime des gens honnÃÂȘtes. Mais Valmont n'est pas cela sa conduite est le résultat de ses principes. Il sait calculer tout ce qu'un homme peut se permettre d'horreurs, sans se compromettre; et pour ÃÂȘtre cruel et méchant sans danger, il a choisi les femmes pour victimes. Je ne m'arrÃÂȘte pas à compter celles qu'il a séduites mais combien n'en a-t-il pas perdues? Dans la vie sage et retirée que vous menez, ces scandaleuses aventures ne parviennent pas jusqu'à vous. Je pourrais vous en raconter qui vous feraient frémir; mais vos regards, purs comme votre ùme, seraient souillés par de semblables tableaux sûre que Valmont ne sera jamais dangereux pour vous, vous n'avez pas besoin de pareilles armes pour vous défendre. La seule chose que j'ai à vous dire, c'est que, de toutes les femmes auxquelles il a rendu des soins, succÚs ou non, il n'en est point qui n'aient eu à s'en plaindre. La seule Marquise de Merteuil fait l'exception à cette rÚgle générale; seule, elle a su lui résister et enchaÃner sa méchanceté. J'avoue que ce trait de sa vie est celui qui lui fait le plus d'honneur à mes yeux aussi a-t-il suffi pour la justifier pleinement aux yeux de tous, de quelques inconséquences qu'on avait à lui reprocher dans le début de son veuvage. [L'erreur oÃÂč est Madame de Volanges nous fait voir qu'ainsi que les autres scélérats Valmont ne décelait pas ses complices.] Quoi qu'il en soit, ma belle amie, ce que l'ùge, l'expérience et surtout l'amitié, m'autorisent à vous représenter, c'est qu'on commence à s'apercevoir dans le monde de l'absence de Valmont; et que si on sait qu'il soit resté quelque temps en tiers entre sa tante et vous, votre réputation sera entre ses mains; malheur le plus grand qui puisse arriver à une femme. Je vous conseille donc d'engager sa tante à ne pas le retenir davantage; et s'il s'obstine à rester, je crois que vous ne devez pas hésiter à lui céder la place. Mais pourquoi resterait-il? que fait-il donc à cette campagne? Si vous faisiez épier ses démarches, je suis sûre que vous découvririez qu'il n'a fait que prendre un asile plus commode, pour quelques noirceurs qu'il médite dans les environs. Mais, dans l'impossibilité de remédier au mal, contentons-nous de nous en garantir. Adieu, ma belle amie; voilà le mariage de ma fille un peu retardé. Le Comte de Gercourt, que nous attendions d'un jour à l'autre, me mande que son Régiment passe en Corse; et comme il y a encore des mouvements de guerre, il lui sera impossible de s'absenter avant l'hiver. Cela me contrarie; mais cela me fait espérer que nous aurons le plaisir de vous voir à la noce, et j'étais fùchée qu'elle se fÃt sans vous. Adieu; je suis, sans compliment comme sans réserve, entiÚrement à vous. Rappelez-moi au souvenir de Madame de Rosemonde, que j'aime toujours autant qu'elle le mérite. De ..., ce 11 août 17** LETTRE X LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT Me boudez-vous, Vicomte? ou bien ÃÂȘtes-vous mort? ou, ce qui y ressemblerait beaucoup, ne vivez-vous plus que pour votre Présidente? Cette femme, qui vous a rendu les illusions de la jeunesse , vous en rendra bientÎt aussi les ridicules préjugés. Déjà vous voilà timide et esclave; autant vaudrait ÃÂȘtre amoureux. Vous renoncez à vos heureuses témérités . Vous voilà donc vous conduisant sans principes, et donnant tout au hasard, ou plutÎt au caprice. Ne vous souvient-il plus que l'Amour est, comme la médecine, seulement l'art d'aider la Nature ? Vous voyez que je vous bats avec vos armes mais je n'en prendrai pas d'orgueil; car c'est bien battre un homme à terre. Il faut qu'elle se donne , me dites-vous eh! sans doute, il le faut; aussi se donnera-t-elle comme les autres, avec cette différence que ce sera de mauvaise grùce. Mais, pour qu'elle finisse par se donner, le vrai moyen est de commencer par la prendre. Que cette ridicule distinction est bien un vrai déraisonnement de l'Amour! Je dis l'Amour; car vous ÃÂȘtes amoureux. Vous parler autrement, ce serait vous trahir; ce serait vous cacher votre mal. Dites-moi donc, amant langoureux, ces femmes que vous avez eues, croyez- vous les avoir violées? Mais, quelque envie qu'on ait de se donner, quelque pressée que l'on en soit, encore faut-il un prétexte; et y en a-t-il de plus commode pour nous, que celui qui nous donne l'air de céder à la force? Pour moi, je l'avoue, une des choses qui me flattent le plus, est une attaque vive et bien faite, oÃÂč tout se succÚde avec ordre quoique avec rapidité; qui ne nous met jamais dans ce pénible embarras de réparer nous-mÃÂȘmes une gaucherie dont au contraire nous aurions dû profiter; qui sait garder l'air de la violence jusque dans les choses que nous accordons, et flatter avec adresse nos deux passions favorites, la gloire de la défense et le plaisir de la défaite. Je conviens que ce talent, plus rare que l'on ne croit, m'a toujours fait plaisir, mÃÂȘme alors qu'il ne m'a pas séduite, et que quelquefois il m'est arrivé de me rendre, uniquement comme récompense. Telle dans nos anciens Tournois, la Beauté donnait le prix de la valeur et de l'adresse. Mais vous, vous qui n'ÃÂȘtes plus vous, vous vous conduisez comme si vous aviez peur de réussir. Eh! depuis quand voyagez-vous à petites journées et par des chemins de traverse? Mon ami, quand on veut arriver, des chevaux de poste et la grande route! Mais laissons ce sujet, qui me donne d'autant plus d'humeur, qu'il me prive du plaisir de vous voir. Au moins écrivez-moi plus souvent que vous ne faites, et mettez-moi au courant de vos progrÚs. Savez- vous que voilà plus de quinze jours que cette ridicule aventure vous occupe, et que vous négligez tout le monde? A propos de négligence, vous ressemblez aux gens qui envoient réguliÚrement savoir des nouvelles de leurs amis malades, mais qui ne se font jamais rendre la réponse. Vous finissez votre derniÚre Lettre par me demander si le Chevalier est mort. Je ne réponds pas, et vous ne vous en inquiétez pas davantage. Ne savez-vous plus que mon amant est votre ami-né? Mais rassurez-vous, il n'est point mort; ou s'il l'était, ce serait de l'excÚs de sa joie. Ce pauvre Chevalier, comme il est tendre! comme il est fait pour l'Amour! comme il sait sentir vivement! la tÃÂȘte m'en tourne. Sérieusement, le bonheur parfait qu'il trouve à ÃÂȘtre aimé de moi m'attache véritablement à lui. Ce mÃÂȘme jour, oÃÂč je vous écrivais que j'allais travailler à notre rupture, combien je le rendis heureux! Je m'occupais pourtant tout de bon des moyens de le désespérer, quand on me l'annonça. Soit caprice ou raison, jamais il ne me parut si bien. Je le reçus cependant avec humeur. Il espérait passer deux heures avec moi, avant celle oÃÂč ma porte serait ouverte à tout le monde. Je lui dis que j'allais sortir il me demanda oÃÂč j'allais; je refusai de le lui apprendre. Il insista; oÃÂč vous ne serez pas , repris-je, avec aigreur. Heureusement pour lui, il resta pétrifié de cette réponse; car, s'il eût dit un mot, il s'ensuivait immanquablement une scÚne qui eût amené la rupture que j'avais projetée. Etonnée de son silence, je jetai les yeux sur lui sans autre projet, je vous jure, que de voir la mine qu'il faisait. Je retrouvai sur cette charmante figure, cette tristesse, à la fois profonde et tendre, à laquelle vous-mÃÂȘme ÃÂȘtes convenu qu'il était si difficile de résister. La mÃÂȘme cause produisit le mÃÂȘme effet; je fus vaincue une seconde fois. DÚs ce moment, je ne m'occupai plus que des moyens d'éviter qu'il pût me trouver un tort. " Je sors pour affaire, lui dis-je avec un air un peu plus doux, et mÃÂȘme cette affaire vous regarde; mais ne m'interrogez pas. Je souperai chez moi; revenez, et vous serez instruit. " Alors il retrouva la parole; mais je ne lui permis pas d'en faire usage. " Je suis trÚs pressée, continuai-je. Laissez-moi; à ce soir. " Il baisa ma main et sortit. AussitÎt, pour le dédommager, peut-ÃÂȘtre pour me dédommager moi-mÃÂȘme, je me décide à lui faire connaÃtre ma petite maison dont il ne se doutait pas. J'appelle ma fidÚle Victoire . J'ai ma migraine; je me couche pour tous mes gens; et, restée enfin seule avec la véritable , tandis qu'elle se travestit en Laquais, je fais une toilette de Femme de chambre. Elle fait ensuite venir un fiacre à la porte de mon jardin, et nous voilà parties. Arrivée dans ce temple de l'Amour, je choisis le déshabillé le plus galant. Celui-ci est délicieux; il est de mon invention il ne laisse rien voir, et pourtant fait tout deviner. Je vous en promets un modÚle pour votre Présidente, quand vous l'aurez rendue digne de le porter. AprÚs ces préparatifs, pendant que Victoire s'occupe des autres détails, je lis un chapitre du Sopha , une Lettre d' Héloïse et deux Contes de La Fontaine, pour recorder les différents tons que je voulais prendre. Cependant mon Chevalier arrive à ma porte, avec l'empressement qu'il a toujours. Mon Suisse la lui refuse, et lui apprend que je suis malade premier incident. Il lui remet en mÃÂȘme temps un billet de moi, mais non de mon écriture, suivant ma prudente rÚgle. Il l'ouvre, et y trouve de la main de Victoire " A neuf heures précises, au Boulevard, devant les Cafés. " Il s'y rend; et là , un petit Laquais qu'il ne connaÃt pas, qu'il croit au moins ne pas connaÃtre, car c'était toujours Victoire, vient lui annoncer qu'il faut renvoyer sa voiture et le suivre. Toute cette marche romanesque lui échauffait la tÃÂȘte d'autant, et la tÃÂȘte échauffée ne nuit à rien. Il arrive enfin, et la surprise et l'Amour causaient en lui un véritable enchantement. Pour lui donner le temps de se remettre, nous nous promenons un moment dans le bosquet; puis je le ramÚne vers la maison. Il voit d'abord deux couverts mis ensuite un lit fait. Nous passons jusqu'au boudoir, qui était dans toute sa parure. Là , moitié réflexion, moitié sentiment, je passai mes bras autour de lui et me laissai tomber à ses genoux. " O mon ami, lui dis-je, pour vouloir te ménager la surprise de ce moment, je me reproche de t'avoir affligé par l'apparence de l'humeur, d'avoir pu un instant voiler mon cÅ“ur à tes regards. Pardonne-moi mes torts je veux les expier à force d'amour. " Vous jugez de l'effet de ce discours sentimental. L'heureux Chevalier me releva et mon pardon fut scellé sur cette mÃÂȘme ottomane oÃÂč vous et moi scellùmes si gaiement et de la mÃÂȘme maniÚre notre éternelle rupture. Comme nous avions six heures à passer ensemble, et que j'avais résolu que tout ce temps fût pour lui également délicieux, je modérai ses transports, et l'aimable coquetterie vint remplacer la tendresse. Je ne crois pas avoir jamais mis tant de soin à plaire, ni avoir été jamais aussi contente de moi. AprÚs le souper, tour à tour enfant et raisonnable, folùtre et sensible, quelquefois mÃÂȘme libertine, je me plaisais à le considérer comme un Sultan au milieu de son Sérail, dont j'étais tour à tour les Favorites différentes. En effet, ses hommages réitérés, quoique toujours reçus par la mÃÂȘme femme, le furent toujours par une MaÃtresse nouvelle. Enfin au point du jour il fallut se séparer; et, quoi qu'il dÃt, quoi qu'il fÃt mÃÂȘme pour me prouver le contraire, il en avait autant de besoin que peu d'envie. Au moment oÃÂč nous sortÃmes et pour dernier adieu, je pris la clef de cet heureux séjour, et la lui remettant entre les mains " Je ne l'ai eue que pour vous, lui dis-je; il est juste que vous en soyez maÃtre c'est au Sacrificateur à disposer du Temple. " C'est par cette adresse que j'ai prévenu les réflexions qu'aurait pu lui faire naÃtre la propriété, toujours suspecte, d'une petite maison. Je le connais assez, pour ÃÂȘtre sûre qu'il ne s'en servira que pour moi; et si la fantaisie me prenait d'y aller sans lui, il me reste bien une double clef. Il voulait à toute force prendre jour pour y revenir; mais je l'aime trop encore, pour vouloir l'user si vite. Il ne faut se permettre d'excÚs qu'avec les gens qu'on veut quitter bientÎt. Il ne sait pas cela, lui; mais, pour son bonheur, je le sais pour deux. Je m'aperçois qu'il est trois heures du matin, et que j'ai écrit un volume, ayant le projet de n'écrire qu'un mot. Tel est le charme de la confiante amitié c'est elle qui fait que vous ÃÂȘtes toujours ce que j'aime le mieux, mais, en vérité, le Chevalier est ce qui me plaÃt davantage. De ..., ce 12 août 17** LETTRE XI LA PRESIDENTE DE TOURVEL A MADAME DE VOLANGES Votre Lettre sévÚre m'aurait effrayée, Madame, si, par bonheur, je n'avais trouvé ici plus de motifs de sécurité que vous ne m'en donnez de crainte. Ce redoutable M. de Valmont, qui doit ÃÂȘtre la terreur de toutes les femmes, paraÃt avoir déposé ses armes meurtriÚres, avant d'entrer dans ce Chùteau. Loin d'y former des projets, il n'y a pas mÃÂȘme porté de prétentions; et la qualité d'homme aimable que ses ennemis mÃÂȘmes lui accordent, disparaÃt presque ici, pour ne lui laisser que celle de bon enfant. C'est apparemment l'air de la campagne qui a produit ce miracle. Ce que je vous puis assurer, c'est qu'étant sans cesse avec moi, paraissant mÃÂȘme s'y plaire, il ne lui est pas échappé un mot qui ressemble à l'Amour, pas une de ces phrases que tous les hommes se permettent, sans avoir, comme lui, ce qu'il faut pour les justifier. Jamais il n'oblige à cette réserve, dans laquelle toute femme qui se respecte est forcée de se tenir aujourd'hui, pour contenir les hommes qui l'entourent. Il sait ne point abuser de la gaieté qu'il inspire. Il est peut-ÃÂȘtre un peu louangeur; mais c'est avec tant de délicatesse qu'il accoutumerait la modestie mÃÂȘme à l'éloge. Enfin, si j'avais un frÚre, je désirerais qu'il fût tel que M. de Valmont se montre ici. Peut-ÃÂȘtre beaucoup de femmes lui désireraient une galanterie plus marquée; et j'avoue que je lui sais un gré infini d'avoir su me juger assez bien pour ne pas me confondre avec elles. Ce portrait diffÚre beaucoup sans doute de celui que vous me faites; et, malgré cela, tous deux peuvent ÃÂȘtre ressemblants en fixant les époques. Lui- mÃÂȘme convient d'avoir eu beaucoup de torts, et on lui en aura bien aussi prÃÂȘté quelques-uns. Mais j'ai rencontré peu d'hommes qui parlassent des femmes honnÃÂȘtes avec plus de respect, je dirais presque d'enthousiasme. Vous m'apprenez qu'au moins sur cet objet il ne trompe pas. Sa conduite avec Madame de Merteuil en est une preuve. Il nous en parle beaucoup; et c'est toujours avec tant d'éloges et l'air d'un attachement si vrai, que j'ai cru, jusqu'à la réception de votre Lettre, que ce qu'il appelait amitié entre eux deux était bien réellement de l'Amour. Je m'accuse de ce jugement téméraire, dans lequel j'ai eu d'autant plus de tort, que lui-mÃÂȘme a pris souvent le soin de la justifier. J'avoue que je ne regardais que comme finesse, ce qui était de sa part une honnÃÂȘte sincérité. Je ne sais; mais il me semble que celui qui est capable d'une amitié aussi suivie pour une femme aussi estimable, n'est pas un libertin sans retour. J'ignore au reste si nous devons la conduite sage qu'il tient ici à quelques projets dans les environs, comme vous le supposez. Il y a bien quelques femmes aimables à la ronde; mais il sort peu, excepté le matin, et alors il dit qu'il va à la chasse. Il est vrai qu'il rapporte rarement du gibier; mais il assure qu'il est maladroit à cet exercice. D'ailleurs, ce qu'il peut faire au- dehors m'inquiÚte peu; et si je désirais le savoir, ce ne serait que pour avoir une raison de plus de me rapprocher de votre avis ou de vous ramener au mien. Sur ce que vous me proposez de travailler à abréger le séjour que M. de Valmont compte faire ici, il me paraÃt bien difficile d'oser demander à sa tante de ne pas avoir son neveu chez elle, d'autant qu'elle l'aime beaucoup. Je vous promets pourtant, mais seulement par déférence et non par besoin, de saisir l'occasion de faire cette demande, soit à elle, soit à lui-mÃÂȘme. Quant à moi, M. de Tourvel est instruit de mon projet de rester ici jusqu'à son retour, et il s'étonnerait, avec raison, de la légÚreté qui m'en ferait changer. Voilà , Madame, de bien longs éclaircissements mais j'ai cru devoir à la vérité un témoignage avantageux à M. de Valmont, et dont il me paraÃt avoir grand besoin auprÚs de vous. Je n'en suis pas moins sensible à l'amitié qui a dicté vos conseils. C'est à elle que je dois aussi ce que vous me dites d'obligeant à l'occasion du retard du mariage de Mademoiselle votre fille. Je vous en remercie bien sincÚrement mais, quelque plaisir que je me promette à passer ces moments avec vous, je les sacrifierais de bien bon cÅ“ur au désir de savoir Mademoiselle de Volanges plus tÎt heureuse, si pourtant elle peut jamais l'ÃÂȘtre plus qu'auprÚs d'une mÚre aussi digne de toute sa tendresse et de son respect. Je partage avec elle ces deux sentiments qui m'attachent à vous, et je vous prie d'en recevoir l'assurance avec bonté. J'ai l'honneur d'ÃÂȘtre, etc. De ..., ce 13 août 17** LETTRE XII CECILE VOLANGES A LA MARQUISE DE MERTEUIL Maman est incommodée, Madame; elle ne sortira point, et il faut que je lui tienne compagnie ainsi je n'aurai pas l'honneur de vous accompagner à l'Opéra. Je vous assure que je regrette bien plus de ne pas ÃÂȘtre avec vous que le Spectacle. Je vous prie d'en ÃÂȘtre persuadée. Je vous aime tant! Voudriez- vous bien dire à M. le Chevalier Danceny que je n'ai point le Recueil dont il m'a parlé, et que s'il peut me l'apporter demain, il me fera grand plaisir. S'il vient aujourd'hui, on lui dira que nous n'y sommes pas; mais c'est que Maman ne veut recevoir personne. J'espÚre qu'elle se portera mieux demain. J'ai l'honneur d'ÃÂȘtre, etc. De ..., ce 13 août 17** LETTRE XIII LA MARQUISE DE MERTEUIL A CECILE VOLANGES Je suis trÚs fùchée, ma belle, et d'ÃÂȘtre privée du plaisir de vous voir, et de la cause de cette privation. J'espÚre que cette occasion se retrouvera. Je m'acquitterai de votre commission auprÚs du Chevalier Danceny, qui sera sûrement trÚs fùché de savoir votre Maman malade. Si elle veut me recevoir demain, j'irai lui tenir compagnie. Nous attaquerons, elle et moi, le Chevalier de Belleroche. [C'est le mÃÂȘme dont il est question dans les lettres de Madame de Merteuil] au piquet; et, en lui gagnant son argent, nous aurons, pour surcroÃt de plaisir, celui de vous entendre chanter avec votre aimable MaÃtre, à qui je le proposerai. Si cela convient à votre Maman et à vous, je réponds de moi et de mes deux Chevaliers. Adieu, ma belle; mes compliments à ma chÚre Madame de Volanges. Je vous embrasse bien tendrement. De ..., ce 13 août 17** LETTRE XIV CECILE VOLANGES A SOPHIE CARNAY Je ne t'ai pas écrit hier, ma chÚre Sophie mais ce n'est pas le plaisir qui en est cause; je t'en assure bien. Maman était malade, et je ne l'ai pas quittée de la journée. Le soir, quand je me suis retirée, je n'avais cÅ“ur à rien du tout; et je me suis couchée bien vite, pour m'assurer que la journée était finie; jamais je n'en avais passé de si longue. Ce n'est pas que je n'aime bien Maman; mais je ne sais pas ce que c'était. Je devais aller à l'Opéra avec Madame de Merteuil; le Chevalier Danceny devait y ÃÂȘtre. Tu sais bien que ce sont les deux personnes que j'aime le mieux. Quand l'heure oÃÂč j'aurais dû y ÃÂȘtre aussi est arrivée, mon cÅ“ur s'est serré malgré moi. Je me déplaisais à tout, et j'ai pleuré, pleuré, sans pouvoir m'en empÃÂȘcher. Heureusement Maman était couchée, et ne pouvait pas me voir. Je suis bien sûre que le Chevalier Danceny aura été fùché aussi; mais il aura été distrait par le Spectacle et par tout le monde c'est bien différent. Par bonheur, Maman va mieux aujourd'hui, et Madame de Merteuil viendra avec une autre personne et le Chevalier Danceny mais elle arrive toujours bien tard, Madame de Merteuil; et quand on est si longtemps toute seule, c'est bien ennuyeux. Il n'est encore qu'onze heures. Il est vrai qu'il faut que je joue de la harpe; et puis ma toilette me prendra un peu de temps, car je veux ÃÂȘtre bien coiffée aujourd'hui. Je crois que la MÚre Perpétue a raison, et qu'on devient coquette dÚs qu'on est dans le monde. Je n'ai jamais eu tant d'envie d'ÃÂȘtre jolie que depuis quelques jours, et je trouve que je ne le suis pas autant que je le croyais; et puis, auprÚs des femmes qui ont du rouge, on perd beaucoup. Madame de Merteuil, par exemple, je vois bien que tous les hommes la trouvent plus jolie que moi cela ne me fùche pas beaucoup, parce qu'elle m'aime bien; et puis elle assure que le Chevalier Danceny me trouve plus jolie qu'elle. C'est bien honnÃÂȘte à elle de me l'avoir dit! elle avait mÃÂȘme l'air d'en ÃÂȘtre bien aise. Par exemple, je ne conçois pas ça. C'est qu'elle m'aime tant! et lui!... oh! ça m'a fait bien plaisir! aussi, c'est qu'il me semble que rien que le regarder suffit pour embellir. Je le regarderais toujours, si je ne craignais de rencontrer ses yeux car, toutes les fois que cela m'arrive, cela me décontenance, et me fait comme de la peine; mais ça ne fait rien. Adieu, ma chÚre amie; je vais me mettre à ma toilette. Je t'aime toujours comme de coutume. Paris, ce 14 août 17** LETTRE XV LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Il est bien honnÃÂȘte à vous de ne pas m'abandonner à mon triste sort. La vie que je mÚne ici est réellement fatigante, par l'excÚs de son repos et son insipide uniformité. En lisant votre Lettre et le détail de votre charmante journée, j'ai été tenté vingt fois de prétexter une affaire, de voler à vos pieds, et de vous y demander, en ma faveur, une infidélité à votre Chevalier, qui, aprÚs tout, ne mérite pas son bonheur. Savez-vous que vous m'avez rendu jaloux de lui? Que me parlez-vous d'éternelle rupture? J'abjure ce serment, prononcé dans le délire nous n'aurions pas été dignes de le faire, si nous eussions dû le garder. Ah! que je puisse un jour me venger dans vos bras, du dépit involontaire que m'a causé le bonheur du Chevalier! Je suis indigné, je l'avoue, quand je songe que cet homme, sans raisonner, sans se donner la moindre peine, en suivant tout bÃÂȘtement l'instinct de son cÅ“ur, trouve une félicité à laquelle je ne puis atteindre. Oh! je la troublerai... Promettez-moi que je la troublerai. Vous-mÃÂȘme n'ÃÂȘtes-vous pas humiliée? Vous vous donnez la peine de le tromper, et il est plus heureux que vous. Vous le croyez dans vos chaÃnes! C'est bien vous qui ÃÂȘtes dans les siennes. Il dort tranquillement, tandis que vous veillez pour ses plaisirs. Que ferait de plus son esclave? Tenez, ma belle amie, tant que vous vous partagez entre plusieurs, je n'ai pas la moindre jalousie je ne vois alors dans vos Amants que les successeurs d'Alexandre, incapables de conserver entre eux tous cet empire oÃÂč je régnais seul. Mais que vous vous donniez entiÚrement à un d'eux! qu'il existe un autre homme aussi heureux que moi! je ne le souffrirai pas; n'espérez pas que je le souffre. Ou reprenez-moi, ou au moins prenez-en un autre; et ne trahissez pas, par un caprice exclusif, l'amitié inviolable que nous nous sommes jurée. C'est bien assez, sans doute, que j'aie à me plaindre de l'Amour. Vous voyez que je me prÃÂȘte à vos idées, et que j'avoue mes torts. En effet, si c'est ÃÂȘtre amoureux que de ne pouvoir vivre sans posséder ce qu'on désire, d'y sacrifier son temps, ses plaisirs, sa vie, je suis bien réellement amoureux. Je n'en suis guÚre plus avancé. Je n'aurais mÃÂȘme rien du tout à vous apprendre à ce sujet, sans un événement qui me donne beaucoup à réfléchir, et dont je ne sais encore si je dois craindre ou espérer. Vous connaissez mon Chasseur, trésor d'intrigue, et vrai valet de Comédie; vous jugez bien que ses instructions portaient d'ÃÂȘtre amoureux de la Femme de chambre, et d'enivrer les gens. Le coquin est plus heureux que moi; il a déjà réussi. Il vient de découvrir que Madame de Tourvel a chargé un de ses gens de prendre des informations sur ma conduite, et mÃÂȘme de me suivre dans mes courses du matin, autant qu'il le pourrait, sans ÃÂȘtre aperçu. Que prétend cette femme? Ainsi donc la plus modeste de toutes ose encore risquer des choses qu'à peine nous oserions nous permettre! Je jure bien. Mais, avant de songer à me venger de cette ruse féminine, occupons-nous des moyens de la tourner à notre avantage. Jusqu'ici ces courses qu'on suspecte n'avaient aucun objet; il faut leur en donner un. Cela mérite toute mon attention, et je vous quitte pour y réfléchir. Adieu, ma belle amie. Toujours du Chùteau de ..., ce 15 août 17** LETTRE XVI CECILE VOLANGES A SOPHIE CARNAY Ah! ma Sophie, voici bien des nouvelles! je ne devrais peut-ÃÂȘtre pas te les dire mais il faut bien que j'en parle à quelqu'un; c'est plus fort que moi. Ce Chevalier Danceny... Je suis dans un trouble que je ne peux pas écrire je ne sais par oÃÂč commencer. Depuis que je t'avais raconté la jolie soirée [La Lettre oÃÂč il est parlé de cette soirée ne s'est pas retrouvée. Il y a lieu de croire que c'est celle proposée dans le billet de Madame de Merteuil, et dont il est aussi question dans la précédente Lettre de Cécile Volanges.] que j'avais passée chez Maman avec lui et Madame de Merteuil, je ne t'en parlais plus c'est que je ne voulais plus en parler à personne; mais j'y pensais pourtant toujours. Depuis il était devenu si triste, mais si triste, si triste, que ça me faisait de la peine; et quand je lui demandais pourquoi, il me disait que non mais je voyais bien que si. Enfin hier il l'était encore plus que de coutume. Ça n'a pas empÃÂȘché qu'il n'ait eu la complaisance de chanter avec moi comme à l'ordinaire; mais, toutes les fois qu'il me regardait, cela me serrait le cÅ“ur. AprÚs que nous eûmes fini de chanter, il alla renfermer ma harpe dans son étui; et, en m'en rapportant la clef, il me pria d'en jouer encore le soir, aussitÎt que je serais seule. Je ne me défiais de rien du tout; je ne voulais mÃÂȘme pas mais il m'en pria tant, que je lui dis qu'oui. Il avait bien ses raisons. Effectivement, quand je fus retirée chez moi et que ma Femme de chambre fut sortie, j'allais pour prendre ma harpe. Je trouvais dans les cordes une Lettre, pliée seulement, et point cachetée, et qui était de lui. Ah! si tu savais tout ce qu'il me mande! Depuis que j'ai lu sa Lettre, j'ai tant de plaisir, que je ne peux plus songer à autre chose. Je l'ai relue quatre fois tout de suite, et puis je l'ai serrée dans mon secrétaire. Je la savais par cÅ“ur; et, quand j'ai été couchée, je l'ai tant répétée, que je ne songeais pas à dormir. DÚs que je fermais les yeux, je le voyais là , qui me disait lui-mÃÂȘme tout ce que je venais de lire. Je ne me suis endormie que bien tard; et aussitÎt que je me suis réveillée il était encore de bien bonne heure, j'ai été reprendre sa Lettre pour la relire à mon aise. Je l'ai emportée dans mon lit, et puis je l'ai baisée comme si... C'est peut-ÃÂȘtre mal fait de baiser une Lettre comme ça, mais je n'ai pas pu m'en empÃÂȘcher. A présent, ma chÚre amie, si je suis bien aise, je suis aussi bien embarrassée; car sûrement il ne faut pas que je réponde à cette Lettre-là . Je sais bien que ça ne se doit pas, et pourtant il me le demande; et, si je ne réponds pas, je suis sûre qu'il va encore ÃÂȘtre triste. C'est pourtant bien malheureux pour lui! Qu'est-ce que tu me conseilles? mais tu n'en sais pas plus que moi. J'ai bien envie d'en parler à Madame de Merteuil qui m'aime bien. Je voudrais bien le consoler; mais je ne voudrais rien faire qui fût mal. On nous recommande tant d'avoir bon cÅ“ur! et puis on nous défend de suivre ce qu'il inspire, quand c'est pour un homme! Ça n'est pas juste non plus. Est-ce qu'un homme n'est pas notre prochain comme une femme, et plus encore? car enfin n'a-t-on pas son pÚre comme sa mÚre, son frÚre comme sa sÅ“ur? il reste toujours le mari de plus. Cependant si j'allais faire quelque chose qui ne fût pas bien, peut-ÃÂȘtre que M. Danceny lui-mÃÂȘme n'aurait plus bonne idée de moi! Oh! ça, par exemple, j'aime encore mieux qu'il soit triste. Et puis, enfin, je serai toujours à temps. Parce qu'il a écrit hier, je ne suis pas obligée d'écrire aujourd'hui aussi bien je verrai Madame de Merteuil ce soir, et si j'en ai le courage, je lui conterai tout. En ne faisant que ce qu'elle me dira, je n'aurai rien à me reprocher. Et puis peut-ÃÂȘtre me dira-t-elle que je peux lui répondre un peu, pour qu'il ne soit pas si triste! Oh! je suis bien en peine. Adieu, ma bonne amie. Dis-moi toujours ce que tu penses. De ..., ce 19 août 17** LETTRE XVII LE CHEVALIER DANCENY A CECILE VOLANGES Avant de me livrer, Mademoiselle, dirai-je au plaisir ou au besoin de vous écrire, je commence par vous supplier de m'entendre. Je sens que pour oser vous déclarer mes sentiments, j'ai besoin d'indulgence; si je ne voulais que les justifier, elle me serait inutile. Que vais-je faire aprÚs tout que vous montrer mon ouvrage? Et qu'ai-je à vous dire, que mes regards, mon embarras, ma conduite et mÃÂȘme mon silence ne vous aient dit avant moi? Eh! pourquoi vous fùcheriez-vous d'un sentiment que vous avez fait naÃtre? Emané de vous, sans doute il est digne de vous ÃÂȘtre offert; s'il est brûlant comme mon ùme, il est pur comme la vÎtre. Serait-ce un crime d'avoir su apprécier votre charmante figure, vos talents séducteurs, vos grùces enchanteresses, et cette touchante candeur qui ajoute un prix inestimable à des qualités déjà si précieuses? non, sans doute; mais, sans ÃÂȘtre coupable, on peut ÃÂȘtre malheureux; et c'est le sort qui m'attend, si vous refusez d'agréer mon hommage. C'est le premier que mon cÅ“ur ait offert. Sans vous je serais encore, non pas heureux, mais tranquille. Je vous ai vue; le repos a fui loin de moi, et mon bonheur est incertain. Cependant vous vous étonnez de ma tristesse; vous m'en demandez la cause quelquefois mÃÂȘme j'ai cru voir qu'elle vous affligeait. Ah! dites un mot, et ma félicité sera votre ouvrage. Mais, avant de prononcer, songez qu'un mot peut aussi combler mon malheur. Soyez donc l'arbitre de ma destinée. Par vous je vais ÃÂȘtre éternellement heureux ou malheureux. En quelles mains plus chÚres puis-je remettre un intérÃÂȘt plus grand? Je finirai, comme j'ai commencé, par implorer votre indulgence. Je vous ai demandé de m'entendre; j'oserai plus; je vous prierai de me répondre. Le refuser, serait me laisser croire que vous vous trouvez offensée, et mon cÅ“ur m'est garant que mon respect égale mon amour. P-S. Vous pouvez vous servir, pour me répondre, du mÃÂȘme moyen dont je me sers pour vous faire parvenir cette Lettre; il me paraÃt également sûr et commode. De ..., ce 18 août 17** LETTRE XVIII CECILE VOLANGES A SOPHIE CARNAY Quoi! Sophie, tu blùmes d'avance ce que je vais faire! J'avais déjà bien assez d'inquiétudes; voilà que tu les augmentes encore. Il est clair, dis-tu, que je ne dois pas répondre. Tu en parles bien à ton aise; et d'ailleurs, tu ne sais pas au juste ce qui en est tu n'es pas là pour voir. Je suis sûre que si tu étais à ma place, tu ferais comme moi. Sûrement, en général, on ne doit pas répondre; et tu as bien vu, par ma Lettre d'hier, que je ne le voulais pas non plus mais c'est que je ne crois pas que personne se soit jamais trouvé dans le cas oÃÂč je suis. Et encore ÃÂȘtre obligée de me décider toute seule! Madame de Merteuil, que je comptais voir hier au soir, n'est pas venue. Tout s'arrange contre moi c'est elle qui est cause que je le connais. C'est presque toujours avec elle que je l'ai vu que je lui ai parlé. Ce n'est pas que je lui en veuille du mal mais elle me laisse là au moment de l'embarras. Oh! je suis bien à plaindre! Figure-toi qu'il est venu hier comme à l'ordinaire. J'étais si troublée que je n'osais le regarder. Il ne pouvait pas me parler, parce que Maman était là . Je me doutais bien qu'il serait fùché, quand il verrait que je ne lui avais pas écrit. Je ne savais quelle contenance faire. Un instant aprÚs il me demanda si je voulais qu'il allùt chercher ma harpe. Le cÅ“ur me battait si fort, que ce fut tout ce que je pus faire que de répondre qu'oui. Quand il revint, c'était bien pis. Je ne le regardai qu'un petit moment. Il ne me regardait pas, lui; mais il avait un air qu'on aurait dit qu'il était malade. Ça me faisait bien de la peine. Il se mit à accorder ma harpe, et aprÚs, en me l'apportant, il me dit " Ah! Mademoiselle! " Il ne me dit que ces deux mots-là ; mais c'était d'un ton que j'en fus toute bouleversée. Je préludais sur ma harpe, sans savoir ce que je faisais. Maman demanda si nous ne chanterions pas. Lui s'excusa, en disant qu'il était un peu malade; et moi, qui n'avais pas d'excuse, il me fallut chanter. J'aurais voulu n'avoir jamais eu de voix. Je choisis exprÚs un air que je ne savais pas; car j'étais bien sûre que je ne pourrais en chanter aucun, et on se serait aperçu de quelque chose. Heureusement il vint une visite; et, dÚs que j'entendis entrer un carrosse, je cessai, et le priai de reporter ma harpe. J'avais bien peur qu'il ne s'en allùt en mÃÂȘme temps; mais il revint. Pendant que Maman et cette Dame qui était venue causaient ensemble, je voulus le regarder encore un petit moment. Je rencontrai ses yeux, et il me fut impossible de détourner les miens. Un moment aprÚs je vis ses larmes couler, et il fut obligé de se retourner pour n'ÃÂȘtre pas vu. Pour le coup, je ne pus y tenir; je sentis que j'allais pleurer aussi. Je sortis, et tout de suite j'écrivis avec un crayon, sur un chiffon de papier " Ne soyez donc pas si triste, je vous en prie; je promets de vous répondre. " Sûrement, tu ne peux pas dire qu'il y ait du mal à cela; et puis c'était plus fort que moi. Je mis mon papier aux cordes de ma harpe, comme sa Lettre était, et je revins dans le salon. Je me sentais plus tranquille. Il me tardait bien que cette Dame s'en fût. Heureusement, elle était en visite; elle s'en alla bientÎt aprÚs. AussitÎt qu'elle fut sortie, je dis que je voulais reprendre ma harpe, et je le priai de l'aller chercher. Je vis bien, à son air, qu'il ne se doutait de rien. Mais au retour, oh! comme il était content! En posant ma harpe vis-à -vis de moi, il se plaça de façon que Maman ne pouvait voir, et il prit ma main qu'il serra, mais d'une façon! ce ne fut qu'un moment mais je ne saurais te dire le plaisir que ça m'a fait. Je la retirai pourtant; ainsi je n'ai rien à me reprocher. A présent, ma bonne amie, tu vois bien que je ne peux pas me dispenser de lui écrire, puisque je le lui ai promis; et puis, je n'irai pas lui refaire du chagrin; car j'en souffre plus que lui. Si c'était pour quelque chose de mal, sûrement je ne le ferais pas. Mais quel mal peut-il y avoir à écrire, surtout quand c'est pour empÃÂȘcher quelqu'un d'ÃÂȘtre malheureux? Ce qui m'embarrasse, c'est que je ne saurai pas bien faire ma Lettre mais il sentira bien que ce n'est pas ma faute; et puis je suis sûre que rien que de ce qu'elle sera de moi, elle lui fera toujours plaisir. Adieu, ma chÚre amie. Si tu trouves que j'ai tort, dis-le-moi; mais je ne crois pas. A mesure que le moment de lui écrire approche, mon cÅ“ur bat que ça ne se conçoit pas. Il le faut pourtant bien, puisque je l'ai promis. Adieu. De ..., ce 20 août 17** LETTRE XIX CECILE VOLANGES AU CHEVALIER DANCENY Vous étiez si triste, hier, Monsieur, et cela me faisait tant de peine, que je me suis laissée aller à vous promettre de répondre à la Lettre que vous m'avez écrite. Je n'en sens pas moins aujourd'hui que je ne le dois pas pourtant, comme je l'ai promis, je ne veux pas manquer à ma parole, et cela doit bien vous prouver l'amitié que j'ai pour vous. A présent que vous le savez, j'espÚre que vous ne me demanderez pas de vous écrire davantage. J'espÚre aussi que vous ne direz à personne que je vous ai écrit; parce que sûrement on m'en blùmerait, et que cela pourrait me causer bien du chagrin. J'espÚre surtout que vous-mÃÂȘme n'en prendrez pas mauvaise idée de moi, ce qui me ferait plus de peine que tout. Je peux bien vous assurer que je n'aurais pas eu cette complaisance-là pour tout autre que vous. Je voudrais bien que vous eussiez celle de ne plus ÃÂȘtre triste comme vous étiez; ce qui m'Îte tout le plaisir que j'ai à vous voir. Vous voyez, Monsieur, que je vous parle bien sincÚrement. Je ne demande pas mieux que notre amitié dure toujours; mais, je vous en prie, ne m'écrivez plus. J'ai l'honneur d'ÃÂȘtre, Cécile Volanges De ..., ce 20 août 17** LETTRE XX LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT Ah! fripon, vous me cajolez, de peur que je ne me moque de vous! Allons, je vous fais grùce vous m'écrivez tant de folies, qu'il faut bien que je vous pardonne la sagesse oÃÂč vous tient votre Présidente. Je ne crois pas que mon Chevalier eût autant d'indulgence que moi; il serait homme à ne pas approuver notre renouvellement de bail, et à ne rien trouver de plaisant dans votre folle idée. J'en ai pourtant bien ri, et j'étais vraiment fùchée d'ÃÂȘtre obligée d'en rire toute seule. Si vous eussiez été là , je ne sais oÃÂč m'aurait menée cette gaieté mais j'ai eu le temps de la réflexion et je me suis armée de sévérité. Ce n'est pas que je refuse pour toujours; mais je diffÚre, et j'ai raison. J'y mettrais peut-ÃÂȘtre de la vanité, et, une fois piquée au jeu, on ne sait plus oÃÂč l'on s'arrÃÂȘte. Je serais femme à vous enchaÃner de nouveau, à vous faire oublier votre Présidente; et si j'allais, moi indigne, vous dégoûter de la vertu, voyez quel scandale! Pour éviter ce danger, voici mes conditions. AussitÎt que vous aurez eu votre belle Dévote, que vous pourrez m'en fournir une preuve, venez, et je suis à vous. Mais vous n'ignorez pas que dans les affaires importantes, on ne reçoit de preuves que par écrit. Par cet arrangement, d'une part, je deviendrai une récompense au lieu d'ÃÂȘtre une consolation; et cette idée me plaÃt davantage de l'autre votre succÚs en sera plus piquant, en devenant lui-mÃÂȘme un moyen d'infidélité. Venez donc, venez au plus tÎt m'apporter le gage de votre triomphe semblable à nos preux Chevaliers qui venaient déposer aux pieds de leur Dame les fruits brillants de leur victoire. Sérieusement, je suis curieuse de savoir ce que peut écrire une Prude aprÚs un tel moment, et quel voile elle met sur ses discours, aprÚs n'en avoir plus laissé sur sa personne. C'est à vous de voir si je me mets à un prix trop haut; mais je vous préviens qu'il n'y a rien à rabattre. Jusque-là , mon cher Vicomte, vous trouverez bon que je reste fidÚle à mon Chevalier, et que je m'amuse à le rendre heureux, malgré le petit chagrin que cela vous cause. Cependant si j'avais moins de mÅ“urs, je crois qu'il aurait, dans ce moment, un rival dangereux; c'est la petite Volanges. Je raffole de cet enfant c'est une vraie passion. Ou je me trompe, ou elle deviendra une de nos femmes les plus à la mode. Je vois son petit cÅ“ur se développer, et c'est un spectacle ravissant. Elle aime déjà son Danceny avec fureur; mais elle n'en sait encore rien. Lui- mÃÂȘme, quoique trÚs amoureux, a encore la timidité de son ùge, et n'ose pas trop le lui apprendre. Tous deux sont en adoration vis-à -vis de moi. La petite surtout a grande envie de me dire son secret; particuliÚrement depuis quelques jours je l'en vois vraiment oppressée et je lui aurais rendu un grand service de l'aider un peu mais je n'oublie pas que c'est un enfant, et je ne veux pas me compromettre. Danceny m'a parlé un peu plus clairement; mais, pour lui, mon parti est pris, je ne veux pas l'entendre. Quant à la petite, je suis souvent tentée d'en faire mon élÚve; c'est un service que j'ai envie de rendre à Gercourt. Il me laisse du temps, puisque le voilà en Corse jusqu'au mois d'Octobre. J'ai dans l'idée que j'emploierai ce temps-là , et que nous lui donnerons une femme toute formée, au lieu de son innocente Pensionnaire. Quelle est donc en effet l'insolente sécurité de cet homme, qui ose dormir tranquille, tandis qu'une femme, qui a à se plaindre de lui, ne s'est pas encore vengée? Tenez, si la petite était ici dans ce moment, je ne sais ce que je ne lui dirais pas. Adieu, Vicomte; bonsoir et bon succÚs mais, pour Dieu, avancez donc. Songez que si vous n'avez pas cette femme, les autres rougiront de vous avoir eu. De ..., ce 20 août 17** LETTRE XXI LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Enfin, ma belle amie, j'ai fait un pas en avant, mais un grand pas; et qui, s'il ne m'a pas conduit jusqu'au but, m'a fait connaÃtre au moins que je suis dans la route, et a dissipé la crainte oÃÂč j'étais de m'ÃÂȘtre égaré. J'ai enfin déclaré mon amour; et quoiqu'on ait gardé le silence le plus obstiné, j'ai obtenu la réponse peut-ÃÂȘtre la moins équivoque et la plus flatteuse mais n'anticipons pas sur les événements, et reprenons plus haut. Vous vous souvenez qu'on faisait épier mes démarches. Eh bien! j'ai voulu que ce moyen scandaleux tournùt à l'édification publique, et voici ce que j'ai fait. J'ai chargé mon confident de me trouver, dans les environs, quelque malheureux qui eût besoin de secours. Cette commission n'était pas difficile à remplir. Hier aprÚs-midi, il me rendit compte qu'on devait saisir aujourd'hui, dans la matinée, les meubles d'une famille entiÚre qui ne pouvait payer la taille. Je m'assurai qu'il n'y eût dans cette maison aucune fille ou femme dont l'ùge ou la figure pussent rendre mon action suspecte; et, quand je fus bien informé, je déclarai à souper mon projet d'aller à la chasse le lendemain. Ici je dois rendre justice à ma Présidente sans doute elle eut quelques remords des ordres qu'elle avait donnés; et, n'ayant pas la force de vaincre sa curiosité, elle eut au moins celle de contrarier mon désir. Il devait faire une chaleur excessive; je risquais de me rendre malade; je ne tuerais rien et me fatiguerais en vain; et, pendant ce dialogue, ses yeux, qui parlaient peut-ÃÂȘtre mieux qu'elle ne voulait, me faisaient assez connaÃtre qu'elle désirait que je prisse pour bonnes ces mauvaises raisons. Je n'avais garde de m'y rendre, comme vous pouvez croire, et je résistai de mÃÂȘme à une petite diatribe contre la chasse et les Chasseurs, et à un petit nuage d'humeur qui obscurcit, toute la soirée, cette figure céleste. Je craignis un moment que ses ordres ne fussent révoqués, et que sa délicatesse ne me nuisÃt. Je ne calculais pas la curiosité d'une femme; aussi me trompais- je. Mon Chasseur me rassura dÚs le soir mÃÂȘme, et je me couchai satisfait. Au point du jour je me lÚve et je pars. A peine à cinquante pas du Chùteau, j'aperçois mon espion qui me suit. J'entre en chasse, et marche à travers champs vers le Village oÃÂč je voulais me rendre; sans autre plaisir, dans ma route, que de faire courir le drÎle qui me suivait, et qui, n'osant pas quitter les chemins, parcourait souvent, à toute course, un espace triple du mien. A force de l'exercer, j'ai eu moi-mÃÂȘme une extrÃÂȘme chaleur, et je me suis assis au pied d'un arbre. N'a-t-il pas eu l'insolence de se couler derriÚre un buisson qui n'était pas à vingt pas de moi, et de s'y asseoir aussi? J'ai été tenté un moment de lui envoyer mon coup de fusil, qui, quoique de petit plomb seulement, lui aurait donné une leçon suffisante sur les dangers de la curiosité heureusement pour lui, je me suis ressouvenu qu'il était utile et mÃÂȘme nécessaire à mes projets; cette réflexion l'a sauvé. Cependant j'arrive au Village; je vois de la rumeur; je m'avance j'interroge; on me raconte le fait. Je fais venir le Collecteur; et, cédant à ma généreuse compassion, je paie noblement cinquante-six livres, pour lesquelles on réduisait cinq personnes à la paille et au désespoir. AprÚs cette action si simple, vous n'imaginez pas quel chÅ“ur de bénédictions retentit autour de moi de la part des assistants! Quelles larmes de reconnaissance coulaient des yeux du vieux chef de cette famille, et embellissaient cette figure de Patriarche, qu'un moment auparavant l'empreinte farouche du désespoir rendait vraiment hideuse! J'examinais ce spectacle, lorsqu'un autre paysan, plus jeune, conduisant par la main une femme et deux enfants, et s'avançant vers moi à pas précipités, leur dit " Tombons tous aux pieds de cette image de Dieu " , et dans le mÃÂȘme instant, j'ai été entouré de cette famille, prosternée à mes genoux. J'avouerai ma faiblesse; mes yeux se sont mouillés de larmes, et j'ai senti en moi un mouvement involontaire, mais délicieux. J'ai été étonné du plaisir qu'on éprouve en faisant le bien; et je serais tenté de croire que ce que nous appelons les gens vertueux n'ont pas tant de mérite qu'on se plaÃt à nous le dire. Quoi qu'il en soit, j'ai trouvé juste de payer à ces pauvres gens le plaisir qu'ils venaient de me faire. J'avais pris dix louis sur moi; je les leur ai donnés. Ici ont recommencé les remerciements, mais ils n'avaient plus ce mÃÂȘme degré de pathétique le nécessaire avait produit le grand, le véritable effet; le reste n'était qu'une simple expression de reconnaissance et d'étonnement pour des dons superflus. Cependant, au milieu des bénédictions bavardes de cette famille, je ne ressemblais pas mal au Héros d'un Drame, dans la scÚne du dénouement. Vous remarquerez que dans cette foule était surtout le fidÚle espion. Mon but était rempli je me dégageai d'eux tous, et regagnai le Chùteau. Tout calculé, je me félicite de mon invention. Cette femme vaut bien sans doute que je me donne tant de soins; ils seront un jour mes titres auprÚs d'elle; et l'ayant, en quelque sorte, ainsi payée d'avance, j'aurai le droit d'en disposer à ma fantaisie, sans avoir de reproche à me faire. J'oubliais de vous dire que pour mettre tout à profit, j'ai demandé à ces bonnes gens de prier Dieu pour le succÚs de mes projets. Vous allez voir si déjà leurs priÚres n'ont pas été en partie exaucées... Mais on m'avertit que le souper est servi, et il serait trop tard pour que cette Lettre partÃt si je ne la fermais qu'en me retirant. Ainsi, le reste à l'ordinaire prochain . J'en suis fùché, car le reste est le meilleur. Adieu, ma belle amie. Vous me volez un moment du plaisir de la voir. De ..., ce 20 août 17** LETTRE XXII LA PRESIDENTE DE TOURVEL A MADAME DE VOLANGES Vous serez sans doute bien aise, Madame, de connaÃtre un trait de M. de Valmont, qui contraste beaucoup, ce me semble, avec tous ceux sous lesquels on vous l'a représenté. Il est si pénible de penser désavantageusement de qui que ce soit, si fùcheux de ne trouver que des vices chez ceux qui auraient toutes les qualités nécessaires pour faire aimer la vertu! Enfin vous aimez tant à user d'indulgence, que c'est vous obliger que de vous donner des motifs de revenir sur un jugement trop rigoureux. M. de Valmont me paraÃt fondé à espérer cette faveur, je dirais presque cette justice; et voici sur quoi je le pense. Il a fait ce matin une de ces courses qui pouvaient faire supposer quelque projet de sa part dans les environs, comme l'idée vous en était venue; idée que je m'accuse d'avoir saisie peut-ÃÂȘtre avec trop de vivacité. Heureusement pour lui, et surtout heureusement pour nous, puisque cela nous sauve d'ÃÂȘtre injustes, un de mes gens devait aller du mÃÂȘme cÎté que lui [Madame de Tourvel n'ose donc pas dire que c'était par son ordre?]; et c'est par là que ma curiosité répréhensible, mais heureuse, a été satisfaite. Il nous a rapporté que M. de Valmont, ayant trouvé au Village de ... une malheureuse famille dont on vendait les meubles, faute d'avoir pu payer les impositions, non seulement s'était empressé d'acquitter la dette de ces pauvres gens, mais mÃÂȘme leur avait donné une somme d'argent assez considérable. Mon Domestique a été témoin de cette vertueuse action; et il m'a rapporté de plus que les paysans, causant entre eux et avec lui, avaient dit qu'un Domestique, qu'ils ont désigné, et que le mien croit ÃÂȘtre celui de M. de Valmont, avait pris hier des informations sur ceux des habitants du Village qui pouvaient avoir besoin de secours. Si cela est ainsi, ce n'est mÃÂȘme plus seulement une compassion passagÚre, et que l'occasion détermine c'est le projet formé de faire du bien; c'est la sollicitude de la bienfaisance; c'est la plus belle vertu des plus belles ùmes; mais, soit hasard ou projet, c'est toujours une action honnÃÂȘte et louable, et dont le seul récit m'a attendrie jusqu'aux larmes. J'ajouterai de plus, et toujours par justice, que quand je lui ai parlé de cette action, de laquelle il ne disait mot, il a commencé par s'en défendre, et a eu l'air d'y mettre si peu de valeur lorsqu'il en est convenu, que sa modestie en doublait le mérite. A présent, dites-moi, ma respectable amie, si M. de Valmont est en effet un libertin sans retour? S'il n'est que cela et se conduit ainsi, que restera-t-il aux gens honnÃÂȘtes? Quoi! les méchants partageraient-ils avec les bons le plaisir sacré de la bienfaisance? Dieu permettrait-il qu'une famille vertueuse reçût, de la main d'un scélérat, des secours dont elle rendrait grùce à sa divine Providence? et pourrait-il se plaire à entendre des bouches pures répandre leurs bénédictions sur un réprouvé? Non. J'aime mieux croire que des erreurs, pour ÃÂȘtre longues, ne sont pas éternelles; et je ne puis penser que celui qui fait du bien soit l'ennemi de la vertu. M. de Valmont n'est peut-ÃÂȘtre qu'un exemple de plus du danger des liaisons. Je m'arrÃÂȘte à cette idée qui me plaÃt. Si, d'une part, elle peut servir à le justifier dans votre esprit, de l'autre, elle me rend de plus en plus précieuse l'amitié tendre qui m'unit à vous pour la vie. J'ai l'honneur d'ÃÂȘtre, etc. Madame de Rosemonde et moi nous allons, dans l'instant, voir aussi l'honnÃÂȘte et malheureuse famille, et joindre nos secours tardifs à ceux de M. de Valmont. Nous le mÚnerons avec nous. Nous donnerons au moins à ces bonnes gens le plaisir de revoir leur bienfaiteur; c'est, je crois, tout ce qu'il nous a laissé à faire. De ..., ce 20 août 17** LETTRE XXIII LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Nous en sommes restés à mon retour au Chùteau je reprends mon récit. Je n'eus que le temps de faire une courte toilette, et je me rendis au salon, oÃÂč ma Belle faisait de la tapisserie, tandis que le Curé du lieu lisait la Gazette à ma vieille tante. J'allai m'asseoir auprÚs du métier. Des regards, plus doux encore que de coutume, et presque caressants, me firent bientÎt deviner que le Domestique avait déjà rendu compte de sa mission. En effet, mon aimable Curieuse ne put garder plus longtemps le secret qu'elle m'avait dérobé; et, sans crainte d'interrompre un vénérable Pasteur dont le débit ressemblait pourtant à celui d'un prÎne " J'ai bien aussi ma nouvelle à débiter " , dit-elle; et tout de suite elle raconta mon aventure avec une exactitude qui faisait honneur à l'intelligence de son Historien. Vous jugez comme je déployai toute ma modestie mais qui pourrait arrÃÂȘter une femme qui fait, sans s'en douter, l'éloge de ce qu'elle aime? Je pris donc le parti de la laisser aller. On eût dit qu'elle prÃÂȘchait le panégyrique d'un Saint. Pendant ce temps, j'observais, non sans espoir, tout ce que promettaient à l'Amour son regard animé, son geste devenu plus libre, et surtout ce son de voix qui, par son altération déjà sensible, trahissait l'émotion de son ùme. A peine elle finissait de parler " Venez, mon neveu, me dit Madame de Rosemonde; venez, que je vous embrasse. " Je sentis aussitÎt que la jolie PrÃÂȘcheuse ne pourrait se défendre d'ÃÂȘtre embrassée à son tour. Cependant elle voulut fuir; mais elle fut bientÎt dans mes bras; et, loin d'avoir la force de résister, à peine lui restait-il celle de se soutenir. Plus j'observe cette femme, et plus elle me paraÃt désirable. Elle s'empressa de retourner à son métier, et eut l'air, pour tout le monde, de recommencer sa tapisserie; mais moi, je m'aperçus bien que sa main tremblante ne lui permettait pas de continuer son ouvrage. AprÚs le dÃner, les Dames voulurent aller voir les infortunés que j'avais si pieusement secourus; je les accompagnai. Je vous sauve l'ennui de cette seconde scÚne de reconnaissance et d'éloges. Mon cÅ“ur, pressé d'un souvenir délicieux, hùte le moment du retour au Chùteau. Pendant la route, ma belle Présidente, plus rÃÂȘveuse qu'à l'ordinaire, ne disait pas un mot. Tout occupé de trouver les moyens de profiter de l'effet qu'avait produit l'événement du jour, je gardais le mÃÂȘme silence. Madame de Rosemonde seule parlait et n'obtenait de nous que des réponses courtes et rares. Nous dûmes l'ennuyer; j'en avais le projet, et il réussit. Aussi, en descendant de voiture, elle passa dans son appartement, et nous laissa tÃÂȘte à tÃÂȘte ma Belle et moi, dans un salon mal éclairé; obscurité douce, qui enhardit l'Amour timide. Je n'eus pas la peine de diriger la conversation oÃÂč je voulais la conduire. La ferveur de l'aimable PrÃÂȘcheuse me servit mieux que n'aurait pu faire mon adresse, " Quand on est si digne de faire le bien, me dit-elle, en arrÃÂȘtant sur moi son doux regard comment passe-t-on sa vie à mal faire? - Je ne mérite, lui répondis-je, ni cet éloge, ni cette censure; et je ne conçois pas qu'avec autant d'esprit que vous en avez, vous ne m'ayez pas encore deviné. Dût ma confiance me nuire auprÚs de vous, vous en ÃÂȘtes trop digne, pour qu'il me soit possible de vous la refuser. Vous trouverez la clef de ma conduite dans un caractÚre malheureusement trop facile. Entouré de gens sans mÅ“urs, j'ai imité leurs vices; j'ai peut-ÃÂȘtre mis de l'Amour propre à les surpasser. Séduit de mÃÂȘme ici par l'exemple des vertus, sans espérer de vous atteindre, j'ai au moins essayé de vous suivre. Eh! peut-ÃÂȘtre l'action dont vous me louez aujourd'hui perdrait- elle tout son prix à vos yeux, si vous en connaissiez le véritable motif! Vous voyez, ma belle amie, combien j'étais prÚs de la vérité. Ce n'est pas à moi, continuai-je, que ces malheureux ont dû mes secours. OÃÂč vous croyez voir une action louable, je ne cherchais qu'un moyen de plaire. Je n'étais, puisqu'il faut le dire, que le faible agent de la Divinité que j'adore. Ici elle voulut m'interrompre; mais je ne lui en donnai pas le temps. Dans ce moment mÃÂȘme, ajoutai-je, mon secret ne m'échappe que par faiblesse. Je m'étais promis de vous le taire; je me faisais un bonheur de rendre à vos vertus comme à vos appas un hommage pur que vous ignoreriez toujours; mais, incapable de tromper, quand j'ai sous les yeux l'exemple de la candeur, je n'aurai point à me reprocher avec vous une dissimulation coupable. Ne croyez pas que je vous outrage par une criminelle espérance. Je serai malheureux, je le sais; mais mes souffrances me seront chÚres; elles me prouveront l'excÚs de mon amour; c'est à vos pieds, c'est dans votre sein que je déposerai mes peines. J'y puiserai des forces pour souffrir de nouveau; j'y trouverai la bonté compatissante, et je me croirai consolé, parce que vous m'aurez plaint. Ô vous que j'adore! écoutez-moi, plaignez-moi, secourez-moi! " Cependant j'étais à ses genoux, et je serrais ses mains dans les miennes mais elle, les dégageant tout à coup, et les croisant sur ses yeux avec l'expression du désespoir " Ah! malheureuse! " s'écria-t-elle; puis elle fondit en larmes. Par bonheur je m'étais livré à tel point, que je pleurais aussi; et, reprenant ses mains, je les baignais de pleurs. Cette précaution était bien nécessaire; car elle était si occupée de sa douleur, qu'elle ne se serait pas aperçue de la mienne, si je n'avais pas trouvé ce moyen de l'en avertir. J'y gagnai de plus de considérer à loisir cette charmante figure, embellie encore par l'attrait puissant des larmes. Ma tÃÂȘte s'échauffait, et j'étais si peu maÃtre de moi, que je fus tenté de profiter de ce moment. Quelle est donc notre faiblesse? quel est l'empire des circonstances, si moi- mÃÂȘme, oubliant mes projets, j'ai risqué de perdre, par un triomphe prématuré, le charme des longs combats et les détails d'une pénible défaite; si, séduit par un désir de jeune homme, j'ai pensé exposer le vainqueur de Madame de Tourvel à ne recueillir, pour fruit de ses travaux, que l'insipide avantage d'avoir eu une femme de plus! Ah! qu'elle se rende, mais qu'elle combatte; que, sans avoir la force de vaincre, elle ait celle de résister; qu'elle savoure à loisir le sentiment de sa faiblesse, et soit contrainte d'avouer sa défaite. Laissons le Braconnier obscur tuer à l'affût le cerf qu'il a surpris; le vrai Chasseur doit le forcer. Ce projet est sublime, n'est-ce pas? mais peut-ÃÂȘtre serai-je à présent au regret de ne l'avoir pas suivi, si le hasard ne fût venu au secours de ma prudence. Nous entendÃmes du bruit. On venait au salon. Madame de Tourvel, effrayée, se leva précipitamment, se saisit d'un des flambeaux, et sortit. Il fallut bien la laisser faire. Ce n'était qu'un Domestique. AussitÎt que j'en fus assuré, je la suivis. A peine eus-je fait quelques pas, que, soit qu'elle me reconnût, soit un sentiment vague d'effroi, je l'entendis précipiter sa marche, et se jeter plutÎt qu'entrer dans son appartement dont elle ferma la porte sur elle. J'y allai; mais la clef était en dedans. Je me gardai bien de frapper; c'eût été lui fournir l'occasion d'une résistance trop facile. J'eus l'heureuse et simple idée de tenter de voir à travers la serrure, et je vis en effet cette femme adorable à genoux, baignée de larmes, et priant avec ferveur. Quel Dieu osait-elle invoquer? en est-il d'assez puissant contre l'Amour? En vain cherche-t-elle à présent des secours étrangers c'est moi qui réglerai son sort. Croyant en avoir assez fait pour un jour, je me retirai aussi dans mon appartement et me mis à vous écrire. J'espérais la revoir au souper; mais elle fit dire qu'elle s'était trouvée indisposée et s'était mise au lit. Madame de Rosemonde voulut monter chez elle, mais la malicieuse malade prétexta un mal de tÃÂȘte qui ne lui permettait de voir personne. Vous jugez qu'aprÚs le souper la veillée fut courte, et que j'eus aussi mon mal de tÃÂȘte. Retiré chez moi, j'écrivis une longue Lettre pour me plaindre de cette rigueur, et je me couchai, avec le projet de la remettre ce matin. J'ai mal dormi, comme vous pouvez voir par la date de cette Lettre. Je me suis levé, et j'ai relu mon EpÃtre. Je me suis aperçu que je ne m'y étais pas assez observé, que j'y montrais plus d'ardeur que d'amour, et plus d'humeur que de tristesse. Il faudra la refaire; mais il faudrait ÃÂȘtre plus calme. J'aperçois le point du jour, et j'espÚre que la fraÃcheur qui l'accompagne m'amÚnera le sommeil. Je vais me remettre au lit; et, quel que soit l'empire de cette femme, je vous promets de ne pas m'occuper tellement d'elle, qu'il ne me reste le temps de songer beaucoup à vous. Adieu, ma belle amie. J'ai l'honneur d'ÃÂȘtre, etc., De ..., ce 21 août 17**, 4 heures du matin. LETTRE XXIV LE VICOMTE DE VALMONT A LA PRESIDENTE DE TOURVEL Ah! par pitié, Madame, daignez calmer le trouble de mon ùme; daignez m'apprendre ce que je dois espérer ou craindre. Placé entre l'excÚs du bonheur et celui de l'infortune, l'incertitude est un tourment cruel. Pourquoi vous ai-je parlé? que n'ai-je pu résister au charme impérieux qui vous livrait mes pensées? Content de vous adorer en silence, je jouissais au moins de mon amour; et ce sentiment pur, que ne troublait point alors l'image de votre douleur, suffisait à ma félicité mais cette source de bonheur en est devenue une de désespoir, depuis que j'ai vu couler vos larmes; depuis que j'ai entendu ce cruel Ah! malheureuse! Madame, ces deux mots retentiront longtemps dans mon cÅ“ur. Par quelle fatalité, le plus doux des sentiments ne peut-il vous inspirer que l'effroi? quelle est donc cette crainte? Ah! ce n'est pas celle de le partager votre cÅ“ur, que j'ai mal connu, n'est pas fait pour l'Amour; le mien, que vous calomniez sans cesse, est le seul qui soit sensible; le vÎtre est mÃÂȘme sans pitié. S'il n'en était pas ainsi, vous n'auriez pas refusé un mot de consolation au malheureux qui vous racontait ses souffrances; vous ne vous seriez pas soustraite à ses regards, quand il n'a d'autre plaisir que celui de vous voir; vous ne vous seriez pas fait un jeu cruel de son inquiétude, en lui faisant annoncer que vous étiez malade sans lui permettre d'aller s'informer de votre état; vous auriez senti que cette mÃÂȘme nuit, qui n'était pour vous que douze heures de repos, allait ÃÂȘtre pour lui un siÚcle de douleurs. Par oÃÂč, dites-moi, ai-je mérité cette rigueur désolante? Je ne crains pas de vous prendre pour juge qu'ai-je donc fait? que céder à un sentiment involontaire, inspiré par la beauté et justifié par la vertu; toujours contenu par le respect, et dont l'innocent aveu fut l'effet de la confiance et non de l'espoir la trahirez-vous cette confiance que vous-mÃÂȘme avez semblé me permettre, et à laquelle je me suis livré sans réserve? Non, je ne puis le croire; ce serait vous supposer un tort, et mon cÅ“ur se révolte à la seule idée de vous en trouver un je désavoue mes reproches; j'ai pu les écrire, mais non pas les penser. Ah! laissez-moi vous croire parfaite, c'est le seul plaisir qui me reste. Prouvez-moi que vous l'ÃÂȘtes en m'accordant vos soins généreux. Quel malheureux avez- vous secouru, qui en eût autant de besoin que moi? ne m'abandonnez pas dans le délire oÃÂč vous m'avez plongé prÃÂȘtez-moi votre raison, puisque vous avez ravi la mienne; aprÚs m'avoir corrigé, éclairez-moi pour finir votre ouvrage. Je ne veux pas vous tromper, vous ne parviendrez point à vaincre mon amour; mais vous m'apprendrez à le régler en guidant mes démarches, en dictant mes discours, vous me sauverez au moins du malheur affreux de vous déplaire. Dissipez surtout cette crainte désespérante; dites-moi que vous me pardonnez, que vous me plaignez; assurez-moi de votre indulgence. Vous n'aurez jamais toute celle que je vous désirerais; mais je réclame celle dont j'ai besoin me la refuserez-vous? Adieu, Madame, recevez avec bonté l'hommage de mes sentiments; il ne nuit point à celui de mon respect. De ..., ce 20 août 17** LETTRE XXV LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Voici le bulletin d'hier. A onze heures j'entrai chez Madame de Rosemonde et, sous ses auspices, je fus introduit chez la feinte malade, qui était encore couchée. Elle avait les yeux trÚs battus; j'espÚre qu'elle avait aussi mal dormi que moi. Je saisis un moment, oÃÂč Madame de Rosemonde s'était éloignée, pour remettre ma Lettre on refusa de la prendre; mais je la laissai sur le lit, et allai bien honnÃÂȘtement approcher le fauteuil de ma vieille tante, qui voulait ÃÂȘtre auprÚs de son cher enfant il fallut bien serrer la Lettre pour éviter le scandale. La malade dit maladroitement qu'elle croyait avoir un peu de fiÚvre. Madame de Rosemonde m'engagea à lui tùter le pouls, en vantant beaucoup mes connaissances en médecine. Ma Belle eut donc le double chagrin d'ÃÂȘtre obligée de me livrer son bras, et de sentir que son petit mensonge allait ÃÂȘtre découvert. En effet, je pris sa main que je serrai dans une des miennes, pendant que de l'autre, je parcourais son bras frais et potelé; la malicieuse personne ne répondit à rien, ce qui me fit dire en me retirant " Il n'y a pas mÃÂȘme la plus légÚre émotion. " Je me doutai que ses regards devaient ÃÂȘtre sévÚres, et, pour la punir, je ne les cherchai pas un moment aprÚs, elle dit qu'elle voulait se lever, et nous la laissùmes seule. Elle parut au dÃner qui fut triste; elle annonça qu'elle n'irait pas se promener, ce qui était me dire que je n'aurais pas l'occasion de lui parler. Je sentis bien qu'il fallait placer là un soupir et un regard douloureux sans doute elle s'y attendait, car ce fut le seul moment de la journée oÃÂč je parvins à rencontrer ses yeux. Toute sage qu'elle est, elle a ses petites ruses comme une autre. Je trouvai le moment de lui demander si elle avait eu la bonté de m'instruire de mon sort , et je fus un peu étonné de l'entendre me répondre Oui, Monsieur, je vous ai écrit . J'étais fort empressé d'avoir cette Lettre; mais soit ruse encore, ou maladresse, ou timidité, elle ne me la remit que le soir, au moment de se retirer chez elle. Je vous l'envoie ainsi que le brouillon de la mienne; lisez et jugez voyez avec quelle insigne fausseté elle affirme qu'elle n'a point d'amour, quand je suis sûr du contraire; et puis elle se plaindra si je la trompe aprÚs, quand elle ne craint pas de me tromper avant! Ma belle amie, l'homme le plus adroit ne peut encore que se tenir au niveau de la femme la plus vraie. Il faudra pourtant feindre de croire à tout ce radotage, et se fatiguer de désespoir, parce qu'il plaÃt à Madame de jouer la rigueur! Le moyen de ne pas se venger de ces noirceurs-là ... ah! patience... mais adieu. J'ai encore beaucoup à écrire. A propos, vous me renverrez la Lettre de l'inhumaine; il se pourrait faire que par la suite elle voulût qu'on mÃt du prix à ces misÚres-là , et il faut ÃÂȘtre en rÚgle. Je ne vous parle pas de la petite Volanges; nous en causerons au premier jour. Du Chùteau, ce 22 août 17** LETTRE XXVI LA PRESIDENTE DE TOURVEL AU VICOMTE DE VALMONT Sûrement, Monsieur, vous n'auriez eu aucune Lettre de moi, si ma sotte conduite d'hier au soir ne me forçait d'entrer aujourd'hui en explication avec vous. Oui, j'ai pleuré, je l'avoue peut-ÃÂȘtre aussi les deux mots que vous me citez avec tant de soin me sont-ils échappés; larmes et paroles, vous avez tout remarqué; il faut donc vous expliquer tout. Accoutumée à n'inspirer que des sentiments honnÃÂȘtes, à n'entendre que des discours que je puis écouter sans rougir, à jouir par conséquent d'une sécurité que j'ose dire que je mérite; je ne sais ni dissimuler ni combattre les impressions que j'éprouve. L'étonnement et l'embarras oÃÂč m'a jetée votre procédé; je ne sais quelle crainte, inspirée par une situation qui n'eût jamais dû ÃÂȘtre faite pour moi, peut-ÃÂȘtre l'idée révoltante de me voir confondue avec les femmes que vous méprisez, et traitée aussi légÚrement qu'elles; toutes ces causes réunies ont provoqué mes larmes, et ont pu me faire dire, avec raison je crois, que j'étais malheureuse. Cette expression, que vous trouvez si forte, serait sûrement beaucoup trop faible encore, si mes pleurs et mes discours avaient eu un autre motif; si au lieu de désapprouver des sentiments qui doivent m'offenser, j'avais pu craindre de les partager. Non, Monsieur, je n'ai pas cette crainte; si je l'avais, je fuirais à cent lieues de vous; j'irais pleurer dans un désert le malheur de vous avoir connu. Peut-ÃÂȘtre mÃÂȘme, malgré la certitude oÃÂč je suis de ne point vous aimer jamais, peut-ÃÂȘtre aurais-je mieux fait de suivre les conseils de mes amis; de ne pas vous laisser approcher de moi. J'ai cru, et c'est là mon seul tort, j'ai cru que vous respecteriez une femme honnÃÂȘte, qui ne demandait pas mieux que de vous trouver tel et de vous rendre justice; qui déjà vous défendait, tandis que vous l'outragiez par vos vÅ“ux criminels. Vous ne me connaissez pas; non, Monsieur, vous ne me connaissez pas. Sans cela, vous n'auriez pas cru vous faire un droit de vos torts parce que vous m'avez tenu des discours que je ne devais pas entendre, vous ne vous seriez pas cru autorisé à m'écrire une Lettre que je ne devais pas lire, et vous me demandez de guider vos démarches, de dicter vos discours ! Hé bien, Monsieur, le silence et l'oubli, voilà les conseils qu'il me convient de vous donner, comme à vous de les suivre; alors, vous aurez, en effet, des droits à mon indulgence il ne tiendrait qu'à vous d'en obtenir mÃÂȘme à ma reconnaissance... Mais non, je ne ferai point une demande à celui qui ne m'a point respectée; je ne donnerai point une marque de confiance à celui qui a abusé de ma sécurité. Vous me forcez à vous craindre, peut-ÃÂȘtre à vous haïr je ne le voulais pas; je ne voulais voir en vous que le neveu de ma plus respectable amie; j'opposais la voix de l'amitié à la voix publique qui vous accusait. Vous avez tout détruit; et, je le prévois, vous ne voudrez rien réparer. Je m'en tiens, Monsieur, à vous déclarer que vos sentiments m'offensent, que leur aveu m'outrage, et surtout que, loin d'en venir un jour à les partager, vous me forceriez à ne vous revoir jamais, si vous ne vous imposiez sur cet objet un silence qu'il me semble avoir droit d'attendre, et mÃÂȘme d'exiger de vous. Je joins à cette Lettre celle que vous m'avez écrite, et j'espÚre que vous voudrez bien de mÃÂȘme me remettre celle-ci; je serais vraiment peinée qu'il restùt aucune trace d'un événement qui n'eût jamais dû exister. J'ai l'honneur d'ÃÂȘtre, etc. De ..., ce 21 août 17** LETTRE XXVII CECILE VOLANGES A LA MARQUISE DE MERTEUIL Mon Dieu, que vous ÃÂȘtes bonne, Madame! comme vous avez bien senti qu'il me serait plus facile de vous écrire que de vous parler! Aussi, c'est que ce que j'ai à vous dire est bien difficile; mais vous ÃÂȘtes mon amie, n'est-il pas vrai? Oh! oui, ma bien bonne amie! Je vais tùcher de n'avoir pas peur; et puis, j'ai tant besoin de vous, de vos conseils! J'ai bien du chagrin, il me semble que tout le monde devine ce que je pense; et surtout quand il est là , je rougis dÚs qu'on me regarde. Hier, quand vous m'avez vue pleurer, c'est que je voulais vous parler, et puis, je ne sais quoi m'en empÃÂȘchait; et quand vous m'avez demandé ce que j'avais, mes larmes sont venues malgré moi. Je n'aurais pas pu dire une parole. Sans vous, Maman allait s'en apercevoir, et qu'est-ce que je serais devenue? Voilà pourtant comme je passe ma vie, surtout depuis quatre jours! C'est ce jour-là , Madame, oui je vais vous le dire, c'est ce jour-là que M. le Chevalier Danceny m'a écrit oh! je vous assure que quand j'ai trouvé sa Lettre, je ne savais pas du tout ce que c'était; mais, pour ne pas mentir, je ne peux pas dire que je n'aie eu bien du plaisir en la lisant; voyez- vous, j'aimerais mieux avoir du chagrin toute ma vie, que s'il ne me l'eût pas écrite. Mais je savais bien que je ne devais pas le lui dire, et je peux bien vous assurer mÃÂȘme que je lui ai dit que j'en étais fùchée; mais il dit que c'était plus fort que lui, et je le crois bien; car j'avais résolu de ne lui pas répondre, et pourtant je n'ai pas pu m'en empÃÂȘcher. Oh! je ne lui ai écrit qu'une fois, et mÃÂȘme c'était, en partie, pour lui dire de ne plus m'écrire mais malgré cela il m'écrit toujours; et comme je ne lui réponds pas, je vois bien qu'il est triste, et ça m'afflige encore davantage si bien que je ne sais plus que faire, ni que devenir, et que je suis bien à plaindre. Dites-moi, je vous en prie, Madame, est-ce que ce serait bien mal de lui répondre de temps en temps? seulement jusqu'à ce qu'il ait pu prendre sur lui de ne plus m'écrire lui-mÃÂȘme, et de rester comme nous étions avant car, pour moi, si cela continue, je ne sais pas ce que je deviendrai. Tenez, en lisant sa derniÚre Lettre, j'ai pleuré que ça ne finissait pas; et je suis bien sûre que si je ne lui réponds pas encore, ça nous fera bien de la peine. Je vais vous envoyer sa Lettre aussi, ou bien une copie, et vous jugerez; vous verrez bien que ce n'est rien de mal qu'il demande. Cependant si vous trouvez que ça ne se doit pas, je vous promets de m'en empÃÂȘcher; mais je crois que vous penserez comme moi, que ce n'est pas là du mal. Pendant que j'y suis, Madame, permettez-moi de vous faire encore une question on m'a bien dit que c'était mal d'aimer quelqu'un; mais pourquoi cela? Ce qui me fait vous le demander, c'est que M. le Chevalier Danceny prétend que ce n'est pas mal du tout, et que presque tout le monde aime; si cela était, je ne vois pas pourquoi je serais la seule à m'en empÃÂȘcher; ou bien est-ce que ce n'est un mal que pour les demoiselles? car j'ai entendu Maman elle-mÃÂȘme dire que Madame D... aimait M. M... et elle n'en parlait pas comme d'une chose qui serait si mal; et pourtant je suis sûre qu'elle se fùcherait contre moi, si elle se doutait seulement de mon amitié pour M. Danceny. Elle me traite toujours comme un enfant, Maman; et elle ne me dit rien du tout. Je croyais, quand elle m'a fait sortir du Couvent, que c'était pour me marier; mais à présent il me semble que non ce n'est pas que je m'en soucie, je vous assure; mais vous, qui ÃÂȘtes si amie avec elle, vous savez peut-ÃÂȘtre ce qui en est, et si vous le savez, j'espÚre que vous me le direz. Voilà une bien longue Lettre, Madame, mais puisque vous m'avez permis de vous écrire, j'en ai profité pour vous dire tout, et je compte sur votre amitié. J'ai l'honneur d'ÃÂȘtre, etc. Paris, ce 23 août 17** LETTRE XXVIII LE CHEVALIER DANCENY A CECILE VOLANGES Eh! quoi, Mademoiselle, vous refusez toujours de me répondre! rien ne peut vous fléchir; et chaque jour emporte avec lui l'espoir qu'il avait amené! Quelle est donc cette amitié que vous consentez qui subsiste entre nous, si elle n'est pas mÃÂȘme assez puissante pour vous rendre sensible à ma peine; si elle vous laisse froide et tranquille, tandis que j'éprouve les tourments d'un feu que je ne puis éteindre; si, loin de vous inspirer de la confiance, elle ne suffit pas mÃÂȘme à faire naÃtre votre pitié? Quoi! votre ami souffre et vous ne faites rien pour le secourir! Il ne vous demande qu'un mot, et vous le lui refusez! et vous voulez qu'il se contente d'un sentiment si faible, dont vous craignez encore de lui réitérer les assurances! Vous ne voudriez pas ÃÂȘtre ingrate, disiez-vous hier ah! croyez-moi, Mademoiselle, vouloir payer de l'Amour avec de l'amitié, ce n'est pas craindre l'ingratitude, c'est redouter seulement d'en avoir l'air. Cependant je n'ose plus vous entretenir d'un sentiment qui ne peut que vous ÃÂȘtre à charge, s'il ne vous intéresse pas; il faut au moins le renfermer en moi-mÃÂȘme, en attendant que j'apprenne à le vaincre. Je sens combien ce travail sera pénible; je ne me dissimule pas que j'aurai besoin de toutes mes forces; je tenterai tous les moyens il en est un qui coûtera le plus à mon cÅ“ur, ce sera celui de me répéter souvent que le vÎtre est insensible. J'essaierai mÃÂȘme de vous voir moins, et déjà je m'occupe d'en trouver un prétexte plausible. Quoi! je perdrais la douce habitude de vous voir chaque jour! Ah! du moins je ne cesserai jamais de la regretter. Un malheur éternel sera le prix de l'Amour le plus tendre; et vous l'aurez voulu, et ce sera votre ouvrage! Jamais, je le sens, je ne retrouverai le bonheur que je perds aujourd'hui; vous seule étiez faite pour mon cÅ“ur; avec quel plaisir je ferais le serment de ne vivre que pour vous. Mais vous ne voulez pas le recevoir; votre silence m'apprend assez que votre cÅ“ur ne vous dit rien pour moi; il est à la fois la preuve la plus sûre de votre indifférence, et la maniÚre la plus cruelle de me l'annoncer. Adieu, Mademoiselle. Je n'ose plus me flatter d'une réponse; l'Amour l'eût écrite avec empressement, l'amitié avec plaisir, la pitié mÃÂȘme avec complaisance mais la pitié, l'amitié et l'Amour sont également étrangers à votre cÅ“ur. Paris, ce 23 août 17** LETTRE XXIX CECILE VOLANGES A SOPHIE CARNAY Je te le disais bien, Sophie, qu'il y avait des cas oÃÂč on pouvait écrire; et je t'assure que je me reproche bien d'avoir suivi ton avis, qui nous a tant fait de peine, au Chevalier Danceny et à moi. La preuve que j'avais raison, c'est que Madame de Merteuil, qui est une femme qui sûrement le sait bien, a fini par penser comme moi. Je lui ai tout avoué. Elle m'a bien dit d'abord comme toi mais quand je lui ai eu tout expliqué, elle est convenue que c'était bien différent; elle exige seulement que je lui fasse voir toutes mes Lettres et toutes celles du Chevalier Danceny, afin d'ÃÂȘtre sûre que je ne dirai que ce qu'il faudra; ainsi, à présent, me voilà tranquille. Mon Dieu, que je l'aime Madame de Merteuil! elle est si bonne! et c'est une femme bien respectable. Ainsi il n'y a rien à dire. Comme je m'en vais écrire à M. Danceny, et comme il va ÃÂȘtre content! il le sera encore plus qu'il ne croit; car jusqu'ici je ne lui parlais que de mon amitié, et lui voulait toujours que je dise mon amour. Je crois que c'était bien la mÃÂȘme chose; mais enfin je n'osais pas, et il tenait à cela. Je l'ai dit à Madame de Merteuil; elle m'a dit que j'avais eu raison, et qu'il ne fallait convenir d'avoir de l'Amour, que quand on ne pouvait plus s'en empÃÂȘcher or je suis bien sûre que je ne pourrai pas m'en empÃÂȘcher plus longtemps; aprÚs tout c'est la mÃÂȘme chose, et cela lui plaira davantage. Madame de Merteuil m'a dit aussi qu'elle me prÃÂȘterait des Livres qui parlaient de tout cela, et qui m'apprendraient bien à me conduire, et aussi à mieux écrire que je ne fais car, vois-tu, elle me dit tous mes défauts, ce qui est une preuve qu'elle m'aime bien; elle m'a recommandé seulement de ne rien dire à Maman de ces Livres-là parce que ça aurait l'air de trouver qu'elle a trop négligé mon éducation, et ça pourrait la fùcher. Oh! je ne lui en dirai rien. C'est pourtant bien extraordinaire qu'une femme qui ne m'est presque pas parente prenne plus de soin de moi que ma mÚre! c'est bien heureux pour moi de l'avoir connue! Elle a demandé aussi à Maman de me mener aprÚs-demain à l'Opéra, dans sa loge; elle m'a dit que nous y serions toutes seules, et nous causerons tout le temps, sans craindre qu'on nous entende j'aime bien mieux cela que l'Opéra. Nous causerons aussi de mon mariage car elle m'a dit que c'était bien vrai que j'allais me marier; mais nous n'avons pas pu en dire davantage. Par exemple, n'est-ce pas encore bien étonnant que Maman ne m'en dise rien du tout? Adieu, ma Sophie, je m'en vas écrire au Chevalier Danceny. Oh! je suis bien contente. De ..., ce 24 août 17** LETTRE XXX CECILE VOLANGES AU CHEVALIER DANCENY Enfin, Monsieur, je consens à vous écrire, à vous assurer de mon amitié, de mon amour , puisque, sans cela, vous seriez malheureux. Vous dites que je n'ai pas bon cÅ“ur; je vous assure bien que vous vous trompez, et j'espÚre qu'à présent vous n'en doutez plus. Si vous avez du chagrin de ce que je ne vous écrivais pas, croyez-vous que ça ne me faisait pas de la peine aussi? Mais c'est que, pour toute chose au monde, je ne voudrais pas faire quelque chose qui fût mal; et mÃÂȘme je ne serais sûrement pas convenue de mon amour, si j'avais pu m'en empÃÂȘcher mais votre tristesse me faisait trop de peine. J'espÚre qu'à présent vous n'en aurez plus, et que nous allons ÃÂȘtre bien heureux. Je compte avoir le plaisir de vous voir ce soir, et que vous viendrez de bonne heure; ce ne sera jamais aussi tÎt que je le désire. Maman soupe chez elle, et je crois qu'elle vous proposera d'y rester j'espÚre que vous ne serez pas engagé comme avant-hier. C'était donc bien agréable, le souper oÃÂč vous alliez? car vous y avez été de bien bonne heure. Mais enfin ne parlons pas de ça à présent que vous savez que je vous aime, j'espÚre que vous resterez avec moi le plus que vous pourrez; car je ne suis contente que lorsque je suis avec vous, et je voudrais bien que vous fussiez tout de mÃÂȘme. Je suis bien fùchée que vous ÃÂȘtes encore triste à présent, mais ce n'est pas ma faute. Je demanderai à jouer de la harpe aussitÎt que vous serez arrivé, afin que vous ayez ma lettre tout de suite. Je ne peux mieux faire... Adieu, Monsieur. Je vous aime bien, de tout mon cÅ“ur; plus je vous le dis, plus je suis contente; j'espÚre que vous le serez aussi. De ..., ce 24 août 17** LETTRE XXXI LE CHEVALIER DANCENY A CECILE VOLANGES Oui, sans doute, nous serons heureux. Mon bonheur est bien sûr, puisque je suis aimé de vous; le vÎtre ne finira jamais, s'il doit durer autant que l'Amour que vous m'avez inspiré. Quoi! vous m'aimez, vous ne craignez plus de m'assurer de votre amour! Plus vous me le dites, et plus vous ÃÂȘtes contente! AprÚs avoir lu ce charmant je vous aime , écrit de votre main, j'ai entendu votre belle bouche m'en répéter l'aveu. J'ai vu se fixer sur moi ces yeux charmants qu'embellissait encore l'expression de la tendresse. J'ai reçu vos serments de vivre toujours pour moi. Ah! recevez le mien de consacrer ma vie entiÚre à votre bonheur; recevez-le, et soyez sûre que je ne le trahirai pas. Quelle heureuse journée nous avons passée hier! Ah! pourquoi Madame de Merteuil n'a-t-elle pas tous les jours des secrets à dire à votre Maman? pourquoi faut-il que l'idée de la contrainte qui nous attend vienne se mÃÂȘler au souvenir délicieux qui m'occupe? pourquoi ne puis-je sans cesse tenir cette jolie main qui m'a écrit je vous aime! la couvrir de baisers, et me venger ainsi du refus que vous m'avez fait d'une faveur plus grande! Dites-moi, ma Cécile, quand votre Maman a été rentrée; quand nous avons été forcés, par sa présence, de n'avoir plus l'un pour l'autre que des regards indifférents; quand vous ne pouviez plus me consoler, par l'assurance de votre amour, du refus que vous faisiez de m'en donner des preuves, n'avez-vous donc senti aucun regret? ne vous ÃÂȘtes-vous pas dit Un baiser l'eût rendu plus heureux, et c'est moi qui lui ai ravi ce bonheur? Promettez-moi, mon aimable amie, qu'à la premiÚre occasion vous serez moins sévÚre. A l'aide de cette promesse, je trouverai du courage pour supporter les contrariétés que les circonstances nous préparent; et les privations cruelles seront au moins adoucies par la certitude que vous en partagez le secret. Adieu, ma charmante Cécile voici l'heure oÃÂč je dois me rendre chez vous. Il me serait impossible de vous quitter, si ce n'était pour aller vous revoir. Adieu, vous que j'aime tant! vous, que j'aimerai toujours davantage! De ..., ce 25 août 17** LETTRE XXXII MADAME DE VOLANGES A LA PRESIDENTE DE TOURVEL Vous voulez donc, Madame, que je croie à la vertu de M. de Valmont? J'avoue que je ne puis m'y résoudre, et que j'aurais autant de peine à le juger honnÃÂȘte, d'aprÚs le seul fait que vous me racontez, qu'à croire vicieux un homme de bien reconnu, dont j'apprendrais une faute. L'humanité n'est parfaite dans aucun genre, pas plus dans le mal que dans le bien. Le scélérat a ses vertus, comme l'honnÃÂȘte homme a ses faiblesses. Cette vérité me paraÃt d'autant plus nécessaire à croire, que c'est d'elle que dérive la nécessité de l'indulgence pour les méchants comme pour les bons; et qu'elle préserve ceux-ci de l'orgueil, et sauve les autres du découragement. Vous trouverez sans doute que je pratique bien mal dans ce moment cette indulgence que je prÃÂȘche; mais je ne vois plus en elle qu'une faiblesse dangereuse, quand elle nous mÚne à traiter de mÃÂȘme le vicieux et l'homme de bien. Je ne me permettrai point de scruter les motifs de l'action de M. de Valmont; je veux croire qu'ils sont louables comme elle mais en a-t-il moins passé sa vie à porter dans les familles le trouble, le déshonneur et le scandale? Ecoutez, si vous voulez, la voix du malheureux qu'il a secouru; mais qu'elle ne vous empÃÂȘche pas d'entendre les cris de cent victimes qu'il a immolées. Quand il ne serait, comme vous le dites, qu'un exemple du danger des liaisons, en serait-il moins lui-mÃÂȘme une liaison dangereuse? Vous le supposez susceptible d'un retour heureux? allons plus loin; supposons ce miracle arrivé. Ne resterait-il pas contre lui l'opinion publique, et ne suffit-elle pas pour régler votre conduite? Dieu seul peut absoudre au moment du repentir; il lit dans les cÅ“urs mais les hommes ne peuvent juger les pensées que par les actions; et nul d'entre eux, aprÚs avoir perdu l'estime des autres, n'a droit de se plaindre de la méfiance nécessaire, qui rend cette perte si difficile à réparer. Songez surtout, ma jeune amie, que quelquefois il suffit, pour perdre cette estime, d'avoir l'air d'y attacher trop peu de prix; et ne taxez pas cette sévérité d'injustice car, outre qu'on est fondé à croire qu'on ne renonce pas à ce bien précieux quand on a droit d'y prétendre, celui-là est en effet plus prÚs de mal faire, qui n'est plus contenu par ce frein puissant. Tel serait cependant l'aspect sous lequel vous montrerait une liaison intime avec M. de Valmont, quelque innocente qu'elle pût ÃÂȘtre. Effrayée de la chaleur avec laquelle vous le défendez, je me hùte de prévenir les objections que je prévois. Vous me citerez Madame de Merteuil, à qui on a pardonné cette liaison; vous me demanderez pourquoi je le reçois chez moi; vous me direz que loin d'ÃÂȘtre rejeté par les gens honnÃÂȘtes, il est admis, recherché mÃÂȘme dans ce qu'on appelle la bonne compagnie. Je peux, je crois, répondre à tout. D'abord Madame de Merteuil, en effet trÚs estimable, n'a peut-ÃÂȘtre d'autre défaut que trop de confiance en ses forces; c'est un guide adroit qui se plaÃt à conduire un char entre les rochers et les précipices, et que le succÚs seul justifie il est juste de la louer, il serait imprudent de la suivre; elle-mÃÂȘme en convient et s'en accuse. A mesure qu'elle a vu davantage, ses principes sont devenus plus sévÚres; et je ne crains pas de vous assurer qu'elle penserait comme moi. Quant à ce qui me regarde, je ne me justifierai pas plus que les autres. Sans doute, je reçois M. de Valmont, et il est reçu partout; c'est une inconséquence de plus à ajouter à mille autres qui gouvernent la société. Vous savez, comme moi, qu'on passe sa vie à les remarquer, à s'en plaindre et à s'y livrer. M. de Valmont, avec un beau nom, une grande fortune, beaucoup de qualités aimables, a reconnu de bonne heure que pour avoir l'empire dans la société, il suffisait de manier, avec une égale adresse, la louange et le ridicule. Nul ne possÚde comme lui ce double talent il séduit avec l'un, et se fait craindre avec l'autre. On ne l'estime pas; mais on le flatte. Telle est son existence au milieu d'un monde qui, plus prudent que courageux, aime mieux le ménager que le combattre. Mais ni Madame de Merteuil elle-mÃÂȘme, ni aucune autre femme, n'oserait sans doute aller s'enfermer à la campagne, presque en tÃÂȘte-à -tÃÂȘte avec un tel homme. Il était réservé à la plus sage, à la plus modeste d'entre elles, de donner l'exemple de cette inconséquence; pardonnez-moi ce mot, il échappe à l'amitié. Ma belle amie, votre honnÃÂȘteté mÃÂȘme vous trahit, par la sécurité qu'elle vous inspire. Songez donc que vous aurez pour juges, d'une part, des gens frivoles, qui ne croiront pas à une vertu dont ils ne trouvent pas le modÚle chez eux; et de l'autre, des méchants qui feindront de n'y pas croire, pour vous punir de l'avoir eue. Considérez que vous faites, dans ce moment, ce que quelques hommes n'oseraient pas risquer. En effet, parmi les jeunes gens, dont M. de Valmont ne s'est que trop rendu l'oracle, je vois les plus sages craindre de paraÃtre liés trop intimement avec lui; et vous, vous ne le craignez pas! Ah! revenez, revenez, je vous en conjure... Si mes raisons ne suffisent pas pour vous persuader, cédez à mon amitié; c'est elle qui me fait renouveler mes instances, c'est à elle à les justifier. Vous la trouvez sévÚre, et je désire qu'elle soit inutile; mais j'aime mieux que vous ayez à vous plaindre de sa sollicitude que de sa négligence. De ..., ce 24 août 17** LETTRE XXXIII LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT DÚs que vous craignez de réussir, mon cher Vicomte, dÚs que votre projet est de fournir des armes contre vous, et que vous désirez moins de vaincre que de combattre, je n'ai plus rien à dire. Votre conduite est un chef-d'Å“uvre de prudence. Elle en serait un de sottise dans la supposition contraire; et pour vous parler vrai, je crains que vous ne vous fassiez illusion. Ce que je vous reproche n'est pas de n'avoir point profité du moment. D'une part, je ne vois pas clairement qu'il fût venu de l'autre, je sais assez, quoi qu'on en dise, qu'une occasion manquée se retrouve, tandis qu'on ne revient jamais d'une démarche précipitée. Mais la véritable école est de vous ÃÂȘtre laissé aller à écrire. Je vous défie à présent de prévoir oÃÂč ceci peut vous mener. Par hasard, espérez-vous prouver à cette femme qu'elle doit se rendre? Il me semble que ce ne peut ÃÂȘtre là qu'une vérité de sentiment, et non de démonstration; et que pour la faire recevoir, il s'agit d'attendrir et non de raisonner; mais à quoi vous servirait d'attendrir par Lettres, puisque vous ne seriez pas là pour en profiter? Quand vos belles phrases produiraient l'ivresse de l'Amour, vous flattez-vous qu'elle soit assez longue pour que la réflexion n'ait pas le temps d'en empÃÂȘcher l'aveu? Songez donc à celui qu'il faut pour écrire une Lettre, à celui qui se passe avant qu'on la remette; et voyez si surtout une femme à principes comme votre Dévote peut vouloir si longtemps ce qu'elle tùche de ne vouloir jamais. Cette marche peut réussir avec les enfants, qui, quand ils écrivent " je vous aime " , ne savent pas qu'ils disent " je me rends " . Mais la vertu raisonneuse de Madame de Tourvel me paraÃt fort bien connaÃtre la valeur des termes. Aussi, malgré l'avantage que vous aviez pris sur elle dans votre conversation, elle vous bat dans sa Lettre. Et puis, savez-vous ce qui arrive? par cela seul qu'on dispute, on ne veut pas céder. A force de chercher de bonnes raisons, on en trouve; on les dit; et aprÚs on y tient, non pas tant parce qu'elles sont bonnes que pour ne pas se démentir. De plus, une remarque que je m'étonne que vous n'ayez pas faite, c'est qu'il n'y a rien de si difficile en amour que d'écrire ce qu'on ne sent pas. Je dis écrire d'une façon vraisemblable ce n'est pas qu'on ne se serve des mÃÂȘmes mots; mais on ne les arrange pas de mÃÂȘme, ou plutÎt on les arrange, et cela suffit. Relisez votre Lettre il y rÚgne un ordre qui vous décÚle à chaque phrase. Je veux croire que votre Présidente est assez peu formée pour ne s'en pas apercevoir mais qu'importe? l'effet n'en est pas moins manqué. C'est le défaut des Romans; l'Auteur se bat les flancs pour s'échauffer, et le Lecteur reste froid. Héloïse est le seul qu'on en puisse excepter; et malgré le talent de l'Auteur, cette observation m'a toujours fait croire que le fond en était vrai. Il n'en est pas de mÃÂȘme en parlant. L'habitude de travailler son organe y donne de la sensibilité; la facilité des larmes y ajoute encore l'expression du désir se confond dans les yeux avec celle de la tendresse; enfin le discours moins suivi amÚne plus aisément cet air de trouble et de désordre, qui est la véritable éloquence de l'Amour; et surtout la présence de l'objet aimé empÃÂȘche la réflexion et nous fait désirer d'ÃÂȘtre vaincues. Croyez-moi, Vicomte on vous demande de ne plus écrire profitez-en pour réparer votre faute et attendez l'occasion de parler. Savez-vous que cette femme a plus de force que je ne croyais? Sa défense est bonne; et sans la longueur de sa Lettre, et le prétexte qu'elle vous donne pour rentrer en matiÚre dans sa phrase de reconnaissance, elle ne se serait pas du tout trahie. Ce qui me paraÃt encore devoir vous rassurer sur le succÚs, c'est qu'elle use trop de forces à la fois; je prévois qu'elle les épuisera pour la défense du mot, et qu'il ne lui en restera plus pour celle de la chose. Je vous renvoie vos deux Lettres, et si vous ÃÂȘtes prudent, ce seront les derniÚres jusqu'aprÚs l'heureux moment. S'il était moins tard, je vous parlerais de la petite Volanges qui avance assez vite et dont je suis fort contente. Je crois que j'aurai fini avant vous, et vous devez en ÃÂȘtre bien heureux. Adieu pour aujourd'hui. De ..., ce 24 août 17** LETTRE XXXIV LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Vous parlez à merveille, ma belle amie mais pourquoi vous tant fatiguer à prouver ce que personne n'ignore? Pour aller vite en amour, il vaut mieux parler qu'écrire; voilà , je crois, toute votre Lettre. Eh mais! ce sont les plus simples éléments de l'art de séduire. Je remarquerai seulement que vous ne faites qu'une exception à ce principe, et qu'il y en a deux. Aux enfants qui suivent cette marche par timidité et se livrent par ignorance, il faut joindre les femmes Beaux-Esprits, qui s'y laissent engager par amour-propre, et que la vanité conduit dans le piÚge. Par exemple, je suis bien sûr que la Comtesse de B... qui répondit sans difficulté à ma premiÚre Lettre, n'avait pas alors plus d'amour pour moi que moi pour elle; et qu'elle ne vit que l'occasion de traiter un sujet qui devait lui faire honneur. Quoi qu'il en soit, un Avocat vous dirait que le principe ne s'applique pas à la question. En effet, vous supposez que j'ai le choix entre écrire et parler, ce qui n'est pas. Depuis l'affaire du 19, mon inhumaine, qui se tient sur la défensive, a mis à éviter les rencontres une adresse qui a déconcerté la mienne. C'est au point que si cela continue, elle me forcera à m'occuper sérieusement des moyens de reprendre cet avantage; car assurément je ne veux ÃÂȘtre vaincu par elle en aucun genre. Mes Lettres mÃÂȘmes sont le sujet d'une petite guerre non contente de n'y pas répondre, elle refuse de les recevoir. Il faut pour chacune une ruse nouvelle, et qui ne réussit pas toujours. Vous vous rappelez par quel moyen simple j'avais remis la premiÚre; la seconde n'offrit pas plus de difficulté. Elle m'avait demandé de lui rendre sa Lettre je lui donnai la mienne en place, sans qu'elle eût le moindre soupçon. Mais soit dépit d'avoir été attrapée, soit caprice, ou enfin soit vertu, car elle me forcera d'y croire, elle refusa obstinément la troisiÚme. J'espÚre pourtant que l'embarras oÃÂč a pensé la mettre la suite de ce refus, la corrigera pour l'avenir. Je ne fus pas trÚs étonné qu'elle ne voulût pas recevoir cette Lettre que je lui offrais tout simplement; c'eût été déjà accorder quelque chose, et je m'attends à une plus longue défense. AprÚs cette tentative, qui n'était qu'un essai fait en passant, je mis une enveloppe à ma Lettre; et prenant le moment de la toilette, oÃÂč Madame de Rosemonde et la Femme de chambre étaient présentes, je la lui envoyai par mon Chasseur, avec ordre de lui dire que c'était le papier qu'elle m'avait demandé. J'avais bien deviné qu'elle craindrait l'explication scandaleuse que nécessiterait un refus en effet elle prit la Lettre; et mon Ambassadeur, qui avait ordre d'observer sa figure, et qui ne voit pas mal, n'aperçut qu'une légÚre rougeur et plus d'embarras que de colÚre. Je me félicitais donc, bien sûr, ou qu'elle garderait cette Lettre, ou que si elle voulait me la rendre, il faudrait qu'elle se trouvùt seule avec moi; ce qui me donnerait une occasion de lui parler. Environ une heure aprÚs, un de ses gens entre dans ma chambre et me remet, de la part de sa MaÃtresse, un paquet d'une autre forme que le mien, et sur l'enveloppe duquel je reconnais l'écriture tant désirée. J'ouvre avec précipitation... C'était ma Lettre elle-mÃÂȘme, non décachetée et pliée seulement en deux. Je soupçonne que la crainte que je ne fusse moins scrupuleux qu'elle sur le scandale lui a fait employer cette ruse diabolique. Vous me connaissez; je n'ai pas besoin de vous peindre ma fureur. Il fallut pourtant reprendre son sang-froid, et chercher de nouveaux moyens. Voici le seul que je trouvai. On va d'ici, tous les matins, chercher les Lettres à la Poste, qui est à environ trois quarts de lieue on se sert, pour cet objet, d'une boÃte couverte à peu prÚs comme un tronc, dont le MaÃtre de la Poste a une clef et Madame de Rosemonde l'autre. Chacun y met ses Lettres dans la journée, quand bon lui semble; on les porte le soir à la Poste, et le matin on va chercher celles qui sont arrivées. Tous les gens, étrangers ou autres, font ce service également. Ce n'était pas le tour de mon domestique; mais il se chargea d'y aller, sous le prétexte qu'il avait affaire de ce cÎté. Cependant j'écrivis ma Lettre. Je déguisai mon écriture pour l'adresse, et je contrefis assez bien, sur l'enveloppe, le timbre de Dijon . Je choisis cette Ville, parce que je trouvai plus gai, puisque je demandais les mÃÂȘmes droits que le mari, d'écrire aussi du mÃÂȘme lieu, et aussi parce que ma Belle avait parlé toute la journée du désir qu'elle avait de recevoir des Lettres de Dijon. Il me parut juste de lui procurer ce plaisir. Ces précautions une fois prises, il était facile de faire joindre cette Lettre aux autres. Je gagnais encore à cet expédient d'ÃÂȘtre témoin de la réception car l'usage est ici de se rassembler pour déjeuner et d'attendre l'arrivée des Lettres avant de se séparer. Enfin elles arrivÚrent. Madame de Rosemonde ouvrit la boÃte. " De Dijon " , dit-elle, en donnant la Lettre à Madame de Tourvel. " Ce n'est pas l'écriture de mon mari " , reprit celle-ci d'une voix inquiÚte, en rompant le cachet avec vivacité le premier coup d'oeil l'instruisit; et il se fit une telle révolution sur sa figure que Madame de Rosemonde s'en aperçut, et lui dit " Qu'avez-vous? " Je m'approchai aussi, en disant " Cette Lettre est donc bien terrible? " La timide Dévote n'osait lever les yeux, ne disait mot, et, pour sauver son embarras, feignait de parcourir l'EpÃtre, qu'elle n'était guÚre en état de lire. Je jouissais de son trouble, et n'étais pas fùché de la pousser un peu " Votre air plus tranquille, ajoutai-je, fait espérer que cette Lettre vous a causé plus d'étonnement que de douleur. " La colÚre alors l'inspira mieux que n'eût pu faire la prudence. " Elle contient, répondit-elle, des choses qui m'offensent, et que je suis étonnée qu'on ait osé m'écrire. " - " Et qui donc? " interrompit Madame de Rosemonde. " Elle n'est pas signée " , répondit la belle courroucée " mais la Lettre et son Auteur m'inspirent un égal mépris. On m'obligera de ne m'en plus parler. " En disant ces mots, elle déchira l'audacieuse missive, en mit les morceaux dans sa poche, se leva, et sortit. Malgré cette colÚre, elle n'en a pas moins eu ma Lettre; et je m'en remets bien à sa curiosité, du soin de l'avoir lue en entier. Le détail de la journée me mÚnerait trop loin. Je joins à ce récit le brouillon de mes deux Lettres vous serez aussi instruite que moi. Si vous voulez ÃÂȘtre au courant de ma correspondance, il faut vous accoutumer à déchiffrer mes minutes car pour rien au monde, je ne dévorerais l'ennui de les recopier. Adieu, ma belle amie. De ..., ce 25 août 17** LETTRE XXXV LE VICOMTE DE VALMONT A LA PRESIDENTE DE TOURVEL Il faut vous obéir, Madame, il faut vous prouver qu'au milieu des torts que vous vous plaisez à me croire, il me reste au moins assez de délicatesse pour ne pas me permettre un reproche, et assez de courage pour m'imposer les plus douloureux sacrifices. Vous m'ordonnez le silence et l'oubli! eh bien! je forcerai mon amour à se taire; et j'oublierai, s'il est possible, la façon cruelle dont vous l'avez accueilli. Sans doute le désir de vous plaire n'en donnait pas le droit, et j'avoue encore que le besoin que j'avais de votre indulgence n'était pas un titre pour l'obtenir mais vous regardez mon amour comme un outrage; vous oubliez que si ce pouvait ÃÂȘtre un tort, vous en seriez à la fois, et la cause et l'excuse. Vous oubliez aussi qu'accoutumé à vous ouvrir mon ùme, lors mÃÂȘme que cette confiance pouvait me nuire, il ne m'était plus possible de vous cacher les sentiments dont je suis pénétré; et ce qui fut l'ouvrage de ma bonne foi, vous le regardez comme le fruit de l'audace. Pour prix de l'Amour le plus tendre, le plus respectueux, le plus vrai, vous me rejetez loin de vous. Vous me parlez enfin de votre haine... Quel autre ne se plaindrait pas d'ÃÂȘtre traité ainsi? Moi seul, je me soumets; je souffre tout et ne murmure point; vous frappez et j'adore. L'inconcevable empire que vous avez sur moi vous rend maÃtresse absolue de mes sentiments; et si mon amour seul vous résiste, si vous ne pouvez le détruire, c'est qu'il est votre ouvrage et non le mien. Je ne demande point un retour dont jamais je ne me suis flatté. Je n'attends pas mÃÂȘme cette pitié, que l'intérÃÂȘt que vous m'aviez témoigné quelquefois pouvait me faire espérer. Mais je crois, je l'avoue, pouvoir réclamer votre justice. Vous m'apprenez, Madame, qu'on a cherché à me nuire dans votre esprit. Si vous en eussiez cru les conseils de vos amis, vous ne m'eussiez pas mÃÂȘme laissé approcher de vous ce sont vos termes. Quels sont donc ces amis officieux? Sans doute ces gens si sévÚres, et d'une vertu si rigide, consentent à ÃÂȘtre nommés; sans doute ils ne voudraient pas se couvrir d'une obscurité qui les confondrait avec de vils calomniateurs; et je n'ignorerai ni leur nom, ni leurs reproches. Songez, Madame, que j'ai le droit de savoir l'un et l'autre, puisque vous me jugez d'aprÚs eux. On ne condamne point un coupable sans lui dire son crime, sans lui nommer ses accusateurs. Je ne demande point d'autre grùce, et je m'engage d'avance à me justifier, à les forcer de se dédire. Si j'ai trop méprisé, peut-ÃÂȘtre, les vaines clameurs d'un Public dont je fais peu de cas, il n'en est pas ainsi de votre estime; et quand je consacre ma vie à la mériter, je ne me la laisserai pas ravir impunément. Elle me devient d'autant plus précieuse, que je lui devrai sans doute cette demande que vous craignez de me faire, et qui me donnerait, dites-vous, des droits à votre reconnaissance . Ah! loin d'en exiger, je croirai vous en devoir, si vous me procurez l'occasion de vous ÃÂȘtre agréable. Commencez donc à me rendre plus de justice, en ne me laissant plus ignorer ce que vous désirez de moi. Si je pouvais le deviner, je vous éviterais la peine de le dire. Au plaisir de vous voir, ajoutez le bonheur de vous servir, et je me louerai de votre indulgence. Qui peut donc vous arrÃÂȘter? ce n'est pas, je l'espÚre, la crainte d'un refus? je sens que je ne pourrais vous la pardonner. Ce n'en est pas un que de ne pas vous rendre votre Lettre. Je désire plus que vous, qu'elle ne me soit plus nécessaire mais accoutumé à vous croire une ùme si douce, ce n'est que dans cette Lettre que je puis vous trouver telle que vous voulez paraÃtre. Quand je forme le vÅ“u de vous rendre sensible, j'y vois que plutÎt que d'y consentir, vous fuiriez à cent lieues de moi; quand tout en vous augmente et justifie mon amour, c'est encore elle qui me répÚte que mon amour vous outrage; et lorsqu'en vous voyant, cet amour me semble le bien suprÃÂȘme, j'ai besoin de vous lire, pour sentir que ce n'est qu'un affreux tourment. Vous concevez à présent que mon plus grand bonheur serait de pouvoir vous rendre cette Lettre fatale me la demander encore serait m'autoriser à ne plus croire ce qu'elle contient; vous ne doutez pas, j'espÚre, de mon empressement à vous la remettre. De ..., ce 21 août 17** LETTRE XXXVI LE VICOMTE DE VALMONT A LA PRESIDENTE DE TOURVEL TIMBREE DE DIJON. Votre sévérité augmente chaque jour, Madame, et si je l'ose dire, vous semblez craindre moins d'ÃÂȘtre injuste que d'ÃÂȘtre indulgente. AprÚs m'avoir condamné sans m'entendre, vous avez dû sentir, en effet, qu'il vous serait plus facile de ne pas lire mes raisons que d'y répondre. Vous refusez mes Lettres avec obstination; vous me les renvoyez avec mépris. Vous me forcez enfin de recourir à la ruse, dans le moment mÃÂȘme oÃÂč mon unique but est de vous convaincre de ma bonne foi. La nécessité oÃÂč vous m'avez mis de me défendre suffira sans doute pour en excuser les moyens. Convaincu d'ailleurs par la sincérité de mes sentiments que pour les justifier à vos yeux il me suffit de vous les faire bien connaÃtre, j'ai cru pouvoir me permettre ce léger détour. J'ose croire aussi que vous me le pardonnerez; et que vous serez peu surprise que l'Amour soit plus ingénieux à se produire, que l'indifférence à l'écarter. Permettez donc, Madame, que mon cÅ“ur se dévoile entiÚrement à vous. Il vous appartient, il est juste que vous le connaissiez. J'étais bien éloigné, en arrivant chez Madame de Rosemonde, de prévoir le sort qui m'y attendait. J'ignorais que vous y fussiez; et j'ajouterai, avec la sincérité qui me caractérise, que quand je l'aurais su ma sécurité n'en eût point été troublée non que je ne rendisse à votre beauté la justice qu'on ne peut lui refuser; mais accoutumé à n'éprouver que des désirs, à ne me livrer qu'à ceux que l'espoir encourageait, je ne connaissais pas les tourments de l'Amour. Vous fûtes témoin des instances que me fit Madame de Rosemonde pour m'arrÃÂȘter quelque temps. J'avais déjà passé une journée avec vous cependant je ne me rendis, ou au moins je ne crus me rendre qu'au plaisir, si naturel et si légitime, de témoigner des égards à une parente respectable. Le genre de vie qu'on menait ici différait beaucoup sans doute de celui auquel j'étais accoutumé; il ne m'en coûta rien de m'y conformer; et, sans chercher à pénétrer la cause du changement qui s'opérait en moi, je l'attribuais uniquement encore à cette facilité de caractÚre, dont je crois vous avoir déjà parlé. Malheureusement et pourquoi faut-il que ce soit un malheur?, en vous connaissant mieux je reconnus bientÎt que cette figure enchanteresse, qui seule m'avait frappé, était le moindre de vos avantages; votre ùme céleste étonna, séduisit la mienne. J'admirais la beauté, j'adorai la vertu. Sans prétendre à vous obtenir, je m'occupai de vous mériter. En réclamant votre indulgence pour le passé, j'ambitionnai votre suffrage pour l'avenir. Je le cherchais dans vos discours, je l'épiais dans vos regards; dans ces regards d'oÃÂč partait un poison d'autant plus dangereux, qu'il était répandu sans dessein et reçu sans méfiance. Alors je connus l'Amour. Mais que j'étais loin de m'en plaindre! résolu de l'ensevelir dans un éternel silence, je me livrais sans crainte comme sans réserve à ce sentiment délicieux. Chaque jour augmentait son empire. BientÎt le plaisir de vous voir se changea en besoin. Vous absentiez-vous un moment? mon cÅ“ur se serrait de tristesse; au bruit qui m'annonçait votre retour, il palpitait de joie. Je n'existais plus que par vous, et pour vous. Cependant, c'est vous-mÃÂȘme que j'adjure jamais dans la gaieté des folùtres jeux, ou dans l'intérÃÂȘt d'une conversation sérieuse, m'échappa-t-il un mot qui pût trahir le secret de mon cÅ“ur? Enfin un jour arriva oÃÂč devait commencer mon infortune; et par une inconcevable fatalité, une action honnÃÂȘte en devint le signal. Oui, Madame, c'est au milieu des malheureux que j'avais secourus, que, vous livrant à cette sensibilité précieuse qui embellit la beauté mÃÂȘme et ajoute du prix à la vertu, vous achevùtes d'égarer un cÅ“ur que déjà trop d'amour enivrait. Vous vous rappelez, peut-ÃÂȘtre, quelle préoccupation s'empara de moi au retour! Hélas! je cherchais à combattre un penchant que je sentais devenir plus fort que moi. C'est aprÚs avoir épuisé mes forces dans ce combat inégal, qu'un hasard, que je n'avais pu prévoir, me fit trouver seul avec vous. Là , je succombai, je l'avoue. Mon cÅ“ur trop plein ne put retenir ses discours ni ses larmes. Mais est-ce donc un crime? et si c'en est un, n'est-il pas assez puni par les tourments affreux auxquels je suis livré? Dévoré par un amour sans espoir, j'implore votre pitié et ne trouve que votre haine sans autre bonheur que celui de vous voir, mes yeux vous cherchent malgré moi, et je tremble de rencontrer vos regards. Dans l'état cruel oÃÂč vous m'avez réduit, je passe les jours à déguiser mes peines et les nuits à m'y livrer; tandis que vous, tranquille et paisible, vous ne connaissez ces tourments que pour les causer et vous en applaudir. Cependant, c'est vous qui vous plaignez, et c'est moi qui m'excuse. Voilà pourtant, Madame, voilà le récit fidÚle de ce que vous nommez mes torts, et que peut-ÃÂȘtre il serait plus juste d'appeler mes malheurs. Un amour pur et sincÚre, un respect qui ne s'est jamais démenti, une soumission parfaite, tels sont les sentiments que vous m'avez inspirés. Je n'eusse pas craint d'en présenter l'hommage à la Divinité mÃÂȘme. Ô vous, qui ÃÂȘtes son plus bel ouvrage, imitez-la dans son indulgence! Songez à mes peines cruelles; songez surtout, que, placé par vous entre le désespoir et la félicité suprÃÂȘme, le premier mot que vous prononcerez décidera pour jamais de mon sort. De ..., ce 23 août 17** LETTRE XXXVII LA PRESIDENTE DE TOURVEL A MADAME DE VOLANGES Je me soumets, Madame, aux conseils que votre amitié me donne. Accoutumée à déférer en tout à vos avis, je le suis à croire qu'ils sont toujours fondés en raison. J'avouerai mÃÂȘme que M. de Valmont doit ÃÂȘtre, en effet, infiniment dangereux, s'il peut à la fois feindre d'ÃÂȘtre ce qu'il paraÃt ici, et rester tel que vous le dépeignez. Quoi qu'il en soit, puisque vous l'exigez, je l'éloignerai de moi; au moins j'y ferai mon possible car souvent les choses, qui dans le fond devraient ÃÂȘtre les plus simples, deviennent embarrassantes par la forme. Il me paraÃt toujours impraticable de faire cette demande à sa tante; elle deviendrait également désobligeante, et pour elle, et pour lui. Je ne prendrais pas non plus, sans quelque répugnance, le parti de m'éloigner moi-mÃÂȘme car outre les raisons que je vous ai déjà mandées relatives à M. de Tourvel, si mon départ contrariait M. de Valmont, comme il est possible, n'aurait-il pas la facilité de me suivre à Paris? et son retour, dont je serais, dont au moins je paraÃtrais ÃÂȘtre l'objet, ne semblerait-il pas plus étrange qu'une rencontre à la campagne, chez une personne qu'on sait ÃÂȘtre sa parente et mon amie? Il ne me reste donc d'autre ressource que d'obtenir de lui-mÃÂȘme qu'il veuille bien s'éloigner. Je sens que cette proposition est difficile à faire; cependant, comme il me paraÃt avoir à cÅ“ur de me prouver qu'il a en effet plus d'honnÃÂȘteté qu'on ne lui en suppose, je ne désespÚre pas de réussir. Je ne serai pas mÃÂȘme fùchée de le tenter; et d'avoir une occasion de juger si, comme il le dit souvent, les femmes vraiment honnÃÂȘtes n'ont jamais eu, n'auront jamais à se plaindre de ses procédés. S'il part comme je le désire, ce sera en effet par égard pour moi car je ne peux pas douter qu'il n'ait le projet de passer ici une grande partie de l'automne. S'il refuse ma demande et s'obstine à rester, je serai toujours à temps de partir moi-mÃÂȘme, et je vous le promets. Voilà , je crois, Madame, tout ce que votre amitié exigeait de moi je m'empresse d'y satisfaire, et de vous prouver que malgré la chaleur que j'ai pu mettre à défendre M. de Valmont, je n'en suis pas moins disposée, non seulement à écouter, mais mÃÂȘme à suivre les conseils de mes amis. J'ai l'honneur d'ÃÂȘtre, etc. De ..., ce 25 août 17** LETTRE XXXVIII LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT Votre énorme paquet m'arrive à l'instant, mon cher Vicomte. Si la date en est exacte, j'aurais dû le recevoir vingt-quatre heures plus tÎt; quoi qu'il en soit, si je prenais le temps de le lire, je n'aurais plus celui d'y répondre. Je préfÚre donc de vous en accuser seulement la réception, et nous causerons d'autre chose. Ce n'est pas que j'aie rien à vous dire pour mon compte; l'automne ne laisse à Paris presque point d'hommes qui aient figure humaine aussi je suis, depuis un mois, d'une sagesse à périr; et tout autre que mon Chevalier serait fatigué des preuves de ma constance. Ne pouvant m'occuper, je me distrais avec la petite Volanges; et c'est d'elle que je veux vous parler. Savez-vous que vous avez perdu plus que vous ne croyez à ne pas vous charger de cet enfant? elle est vraiment délicieuse! cela n'a ni caractÚre ni principes; jugez combien sa société sera douce et facile. Je ne crois pas qu'elle brille jamais par le sentiment; mais tout annonce en elle les sensations les plus vives. Sans esprit et sans finesse, elle a pourtant une certaine fausseté naturelle, si l'on peut parler ainsi, qui quelquefois m'étonne moi-mÃÂȘme, et qui réussira d'autant mieux, que sa figure offre l'image de la candeur et de l'ingénuité. Elle est naturellement trÚs caressante, et je m'en amuse quelquefois sa petite tÃÂȘte se monte avec une facilité incroyable; et elle est alors d'autant plus plaisante, qu'elle ne sait rien, absolument rien, de ce qu'elle désire tant de savoir. Il lui en prend des impatiences tout à fait drÎles; elle rit, elle se dépite, elle pleure, et puis elle me prie de l'instruire, avec une bonne foi réellement séduisante. En vérité, je suis presque jalouse de celui à qui ce plaisir est réservé. Je ne sais si je vous ai mandé que depuis quatre ou cinq jours j'ai l'honneur d'ÃÂȘtre sa confidente. Vous devinez bien que d'abord j'ai fait la sévÚre mais aussitÎt que je me suis aperçue qu'elle croyait m'avoir convaincue par ses mauvaises raisons, j'ai eu l'air de les prendre pour bonnes; et elle est intimement persuadée qu'elle doit ce succÚs à son éloquence; il fallait cette précaution pour ne pas me compromettre. Je lui ai permis d'écrire et de dire j'aime ; et le jour mÃÂȘme, sans qu'elle s'en doutùt, je lui ai ménagé un tÃÂȘte-à - tÃÂȘte avec son Danceny. Mais figurez-vous qu'il est si sot encore, qu'il n'en a seulement pas obtenu un baiser. Ce garçon-là fait pourtant de fort jolis vers! Mon Dieu! que ces gens d'esprit sont bÃÂȘtes! celui-ci l'est au point qu'il m'en embarrasse; car enfin, pour lui, je ne peux pas le conduire! C'est à présent que vous me seriez bien utile. Vous ÃÂȘtes assez lié avec Danceny pour avoir sa confidence, et s'il vous la donnait une fois, nous irions grand train. DépÃÂȘchez donc votre Présidente, car enfin je ne veux pas que Gercourt s'en sauve au reste, j'ai parlé de lui hier à la petite personne, et le lui ai si bien peint, que quand elle serait sa femme depuis dix ans, elle ne le haïrait pas davantage. Je l'ai pourtant beaucoup prÃÂȘchée sur la fidélité conjugale; rien n'égale ma sévérité sur ce point. Par là , d'une part, je rétablis auprÚs d'elle ma réputation de vertu, que trop de condescendance pourrait détruire; de l'autre, j'augmente en elle la haine dont je veux gratifier son mari. Et enfin, j'espÚre qu'en lui faisant accroire qu'il ne lui est permis de se livrer à l'Amour que pendant le peu de temps qu'elle a à rester fille, elle se décidera plus vite à n'en rien perdre. Adieu, Vicomte; je vais me mettre à ma toilette oÃÂč je lirai votre volume. De ..., ce 27 août 17** LETTRE XXXIX CECILE VOLANGES A SOPHIE CARNAY Je suis triste et inquiÚte, ma chÚre Sophie. J'ai pleuré presque toute la nuit. Ce n'est pas que pour le moment je ne sois bien heureuse; mais je prévois que cela ne durera pas. J'ai été hier à l'Opéra avec Madame de Merteuil; nous y avons beaucoup parlé de mon mariage, et je n'en ai rien appris de bon. C'est M. le Comte de Gercourt que je dois épouser, et ce doit ÃÂȘtre au mois d'Octobre. Il est riche, il est homme de qualité, il est Colonel du régiment de... . Jusque-là tout va fort bien. Mais d'abord il est vieux figure-toi qu'il a au moins trente-six ans! et puis, Madame de Merteuil dit qu'il est triste et sévÚre, et qu'elle craint que je ne sois pas heureuse avec lui. J'ai mÃÂȘme bien vu qu'elle en était sûre, et qu'elle ne voulait pas me le dire, pour ne pas m'affliger. Elle ne m'a presque entretenue toute la soirée que des devoirs des femmes envers leurs maris. Elle convient que M. de Gercourt n'est pas aimable du tout, et elle dit pourtant qu'il faudra que je l'aime. Ne m'a-t-elle pas dit aussi qu'une fois mariée, je ne devais plus aimer le Chevalier Danceny? comme si c'était possible! Oh! je t'assure bien que je l'aimerai toujours. Vois-tu, j'aimerais mieux, plutÎt, ne pas me marier. Que ce M. de Gercourt s'arrange, je ne l'ai pas été chercher. Il est en Corse à présent, bien loin d'ici; je voudrais qu'il y restùt dix ans. Si je n'avais pas peur de rentrer au Couvent, je dirais bien à Maman que je ne veux pas de ce mari-là ; mais ce serait encore pis. Je suis bien embarrassée. Je sens que je n'ai jamais tant aimé M. Danceny qu'à présent; et quand je songe qu'il ne me reste plus qu'un mois à ÃÂȘtre comme je suis, les larmes me viennent aux yeux tout de suite; je n'ai de consolation que dans l'amitié de Madame de Merteuil; elle a si bon cÅ“ur! elle partage tous mes chagrins comme moi-mÃÂȘme; et puis elle est si aimable que, quand je suis avec elle, je n'y songe presque plus. D'ailleurs elle m'est bien utile; car le peu que je sais, c'est elle qui me l'a appris et elle est si bonne, que je lui dis tout ce que je pense, sans ÃÂȘtre honteuse du tout. Quand elle trouve que ce n'est pas bien, elle me gronde quelquefois; mais c'est tout doucement, et puis je l'embrasse de tout mon cÅ“ur, jusqu'à ce qu'elle ne soit plus fùchée. Au moins celle-là , je peux bien l'aimer tant que je voudrai, sans qu'il y ait du mal, et ça me fait bien du plaisir. Nous sommes pourtant convenues que je n'aurais pas l'air de l'aimer tant devant le monde, et surtout devant Maman, afin qu'elle ne se méfie de rien au sujet du Chevalier Danceny. Je t'assure que si je pouvais toujours vivre comme je fais à présent, je crois que je serais bien heureuse. Il n'y a que ce vilain M. de Gercourt!... Mais je ne veux pas t'en parler davantage car je redeviendrais triste. Au lieu de cela, je vas écrire au Chevalier Danceny; je ne lui parlerai que de mon amour et non de mes chagrins, car je ne veux pas l'affliger. Adieu, ma bonne amie. Tu vois bien que tu aurais tort de te plaindre, et que j'ai beau ÃÂȘtre occupée , comme tu dis, qu'il ne m'en reste pas moins le temps de t'aimer et de t'écrire [On continue à supprimer les Lettres de Cécile Volanges et du Chevalier Danceny, qui sont peu intéressantes et n'annoncent aucun événement] De ..., ce 27 août 17** LETTRE XL LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL C'est peu pour mon inhumaine de ne pas répondre à mes Lettres, de refuser de les recevoir; elle veut me priver de sa vue, elle exige que je m'éloigne. Ce qui vous surprendra davantage, c'est que je me soumette à tant de rigueur. Vous allez me blùmer. Cependant je n'ai pas cru devoir perdre l'occasion de me laisser donner un ordre persuadé, d'une part, que qui commande s'engage; et de l'autre, que l'autorité illusoire que nous avons l'air de laisser prendre aux femmes est un des piÚges qu'elles évitent le plus difficilement. De plus, l'adresse que celle-ci a su mettre à éviter de se trouver seule avec moi me plaçait dans une situation dangereuse, dont j'ai cru devoir sortir à quelque prix que ce fût car étant sans cesse avec elle, sans pouvoir l'occuper de mon amour, il y avait lieu de craindre qu'elle ne s'accoutumùt enfin à me voir sans trouble; disposition dont vous savez assez combien il est difficile de revenir. Au reste, vous devinez que je ne me suis pas soumis sans condition. J'ai mÃÂȘme eu le soin d'en mettre une impossible à accorder; tant pour rester toujours maÃtre de tenir ma parole, ou d'y manquer, que pour engager une discussion, soit de bouche, ou par écrit, dans un moment oÃÂč ma Belle est plus contente de moi, oÃÂč elle a besoin que je le sois d'elle sans compter que je serais bien maladroit, si je ne trouvais moyen d'obtenir quelque dédommagement de mon désistement à cette prétention, tout insoutenable qu'elle est. AprÚs vous avoir exposé mes raisons dans ce long préambule, je commence l'historique de ces deux derniers jours. J'y joindrai comme piÚces justificatives la Lettre de ma Belle et ma Réponse. Vous conviendrez qu'il y a peu d'Historiens aussi exacts que moi. Vous vous rappelez l'effet que fit avant-hier matin ma Lettre de Dijon ; le reste de la journée fut trÚs orageux. La jolie Prude arriva seulement au moment du dÃner, et annonça une forte migraine; prétexte dont elle voulut couvrir un des plus violents accÚs d'humeur que femme puisse avoir. Sa figure en était vraiment altérée; l'expression de douceur que vous lui connaissez s'était changée en un air mutin qui en faisait une beauté nouvelle. Je me promets bien de faire usage de cette découverte par la suite; et de remplacer quelquefois la MaÃtresse tendre, par la MaÃtresse mutine. Je prévis que l'aprÚs-dÃner serait triste; et pour m'en sauver l'ennui, je prétextai des Lettres à écrire, et me retirai chez moi. Je revins au salon sur les six heures; Madame de Rosemonde proposa la promenade, qui fut acceptée. Mais au moment de monter en voiture, la prétendue malade, par une malice infernale, prétexta à son tour, et peut-ÃÂȘtre pour se venger de mon absence, un redoublement de douleurs, et me fit subir sans pitié le tÃÂȘte-à -tÃÂȘte de ma vieille tante. Je ne sais si les imprécations que je fis contre ce démon femelle furent exaucées, mais nous la trouvùmes couchée au retour. Le lendemain au déjeuner, ce n'était plus la mÃÂȘme femme. La douceur naturelle était revenue, et j'eus lieu de me croire pardonné. Le déjeuner était à peine fini, que la douce personne se leva d'un air dolent, et entra dans le parc; je la suivis, comme vous pouvez croire. " D'oÃÂč peut naÃtre ce désir de promenade? " lui dis-je en l'abordant. " J'ai beaucoup écrit ce matin " , me répondit-elle, " et ma tÃÂȘte est un peu fatiguée. " - " Je ne suis pas assez heureux, repris-je, pour avoir à me reprocher cette fatigue-là ? " - " Je vous ai bien écrit " , répondit-elle encore, " mais j'hésite à vous donner ma Lettre. Elle contient une demande, et vous ne m'avez pas accoutumée à en espérer le succÚs. " - " Ah! je jure que s'il m'est possible... " - " Rien n'est plus facile " , interrompit-elle; " et quoique vous dussiez peut-ÃÂȘtre l'accorder comme justice, je consens à l'obtenir comme grùce. " En disant ces mots, elle me présenta sa Lettre; en la prenant, je pris aussi sa main, qu'elle retira, mais sans colÚre et avec plus d'embarras que de vivacité. " La chaleur est plus vive que je ne croyais " , dit-elle; " il faut rentrer. " Et elle reprit la route du Chùteau. Je fis de vains efforts pour lui persuader de continuer sa promenade, et j'eus besoin de me rappeler que nous pouvions ÃÂȘtre vus, pour n'y employer que de l'éloquence. Elle rentra sans proférer une parole, et je vis clairement que cette feinte promenade n'avait eu d'autre but que de me remettre sa Lettre. Elle monta chez elle en rentrant, et je me retirai chez moi pour lire l'EpÃtre, que vous ferez bien de lire aussi, ainsi que ma Réponse, avant d'aller plus loin... LETTRE XLI LA PRESIDENTE DE TOURVEL AU VICOMTE DE VALMONT Il semble, Monsieur, par votre conduite avec moi, que vous ne cherchiez qu'à augmenter, chaque jour, les sujets de plainte que j'avais contre vous. Votre obstination à vouloir m'entretenir, sans cesse, d'un sentiment que je ne veux ni ne dois écouter, l'abus que vous n'avez pas craint de faire de ma bonne foi, ou de ma timidité, pour me remettre vos Lettres; le moyen surtout, j'ose dire peu délicat, dont vous vous ÃÂȘtes servi pour me faire parvenir la derniÚre, sans craindre au moins l'effet d'une surprise qui pouvait me compromettre; tout devrait donner lieu de ma part à des reproches aussi vifs que justement mérités. Cependant, au lieu de revenir sur ces griefs, je m'en tiens à vous faire une demande aussi simple que juste; et si je l'obtiens de vous, je consens que tout soit oublié. Vous-mÃÂȘme m'avez dit, Monsieur, que je ne devais pas craindre un refus; et quoique, par une inconséquence qui vous est particuliÚre, cette phrase mÃÂȘme soit suivie du seul refus que vous pouviez me faire [Voyez Lettre V], je veux croire que vous n'en tiendrez pas moins aujourd'hui cette parole formellement donnée il y a si peu de jours. Je désire donc que vous ayez la complaisance de vous éloigner de moi; de quitter ce Chùteau, oÃÂč un plus long séjour de votre part ne pourrait que m'exposer davantage au jugement d'un public toujours prompt à mal penser d'autrui, et que vous n'avez que trop accoutumé à fixer les yeux sur les femmes qui vous admettent dans leur société. Avertie déjà , depuis longtemps, de ce danger par mes amis, j'ai négligé, j'ai mÃÂȘme combattu leur avis tant que votre conduite à mon égard avait pu me faire croire que vous aviez bien voulu ne pas me confondre avec cette foule de femmes qui toutes ont eu à se plaindre de vous. Aujourd'hui que vous me traitez comme elles, que je ne peux plus l'ignorer, je dois au public, à mes amis, à moi-mÃÂȘme, de suivre ce parti nécessaire. Je pourrais ajouter ici que vous ne gagneriez rien à refuser ma demande, décidée que je suis à partir moi- mÃÂȘme, si vous vous obstiniez à rester mais je ne cherche point à diminuer l'obligation que je vous aurai de cette complaisance, et je veux bien que vous sachiez qu'en nécessitant mon départ d'ici vous contrarieriez mes arrangements. Prouvez-moi donc, Monsieur, que, comme vous me l'avez dit tant de fois, les femmes honnÃÂȘtes n'auront jamais à se plaindre de vous; prouvez-moi, au moins, que quand vous avez des torts avec elles, vous savez les réparer. Si je croyais avoir besoin de justifier ma demande vis-à -vis de vous, il me suffirait de vous dire que vous avez passé votre vie à la rendre nécessaire, et que pourtant il n'a pas tenu à moi de ne la jamais former. Mais ne rappelons pas des événements que je veux oublier, et qui m'obligeraient à vous juger avec rigueur, dans un moment oÃÂč je vous offre l'occasion de mériter toute ma reconnaissance. Adieu, Monsieur; votre conduite va m'apprendre avec quels sentiments je dois ÃÂȘtre, pour la vie, votre trÚs humble, etc. De ..., ce 26 août 17** LETTRE XLII LE VICOMTE DE VALMONT A LA PRESIDENTE DE TOURVEL Quelque dures que soient, Madame, les conditions que vous m'imposez, je ne refuse pas de les remplir. Je sens qu'il me serait impossible de contrarier aucun de vos désirs. Une fois d'accord sur ce point, j'ose me flatter qu'à mon tour, vous me permettrez de vous faire quelques demandes, bien plus faciles à accorder que les vÎtres, et que pourtant je ne veux obtenir que de ma soumission parfaite à votre volonté. L'une, que j'espÚre qui sera sollicitée par votre justice, est de vouloir bien me nommer mes accusateurs auprÚs de vous; ils me font, ce me semble, assez de mal pour que j'aie le droit de les connaÃtre; l'autre, que j'attends de votre indulgence, est de vouloir bien me permettre de vous renouveler quelquefois l'hommage d'un amour qui va plus que jamais mériter votre pitié. Songez, Madame, que je m'empresse de vous obéir, lors mÃÂȘme que je ne peux le faire qu'aux dépens de mon bonheur; je dirai plus, malgré la persuasion oÃÂč je suis que vous ne désirez mon départ que pour vous sauver le spectacle, toujours pénible, de l'objet de votre injustice. Convenez-en, Madame, vous craignez moins un public trop accoutumé à vous respecter pour oser porter de vous un jugement désavantageux, que vous n'ÃÂȘtes gÃÂȘnée par la présence d'un homme qu'il vous est plus facile de punir que de blùmer. Vous m'éloignez de vous comme on détourne ses regards d'un malheureux qu'on ne veut pas secourir. Mais tandis que l'absence va redoubler mes tourments, à quelle autre qu'à vous puis-je adresser mes plaintes? de quelle autre puis-je attendre des consolations qui vont me si devenir nécessaires? Me les refuserez-vous, quand vous seule causez mes peines? Sans doute vous ne serez pas étonnée non plus, qu'avant de partir j'aie à cÅ“ur de justifier auprÚs de vous les sentiments que vous m'avez inspirés; comme aussi que je ne trouve le courage de m'éloigner qu'en en recevant l'ordre de votre bouche. Cette double raison me fait vous demander un moment d'entretien. Inutilement voudrions-nous y suppléer par Lettres on écrit des volumes et l'on explique mal ce qu'un quart d'heure de conversation suffit pour faire bien entendre. Vous trouverez facilement le temps de me l'accorder car quelque empressé que je sois de vous obéir, vous savez que Madame de Rosemonde est instruite de mon projet de passer chez elle une partie de l'automne, et il faudra au moins que j'attende une Lettre pour pouvoir prétexter une affaire qui me force à partir. Adieu, Madame; jamais ce mot ne m'a tant coûté à écrire que dans ce moment oÃÂč il me ramÚne à l'idée de notre séparation. Si vous pouviez imaginer ce qu'elle me fait souffrir, j'ose croire que vous me sauriez quelque gré de ma docilité. Recevez, au moins, avec plus d'indulgence l'assurance et l'hommage de l'Amour le plus tendre et le plus respectueux. De ..., ce 26 août 17** SUITE DE LA LETTRE XL DU VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL A présent, raisonnons, ma belle amie. Vous sentez comme moi que la scrupuleuse, l'honnÃÂȘte Madame de Tourvel ne peut pas m'accorder la premiÚre de mes demandes, et trahir la confiance de ses amies, en me nommant mes accusateurs; ainsi en promettant tout à cette condition, je ne m'engage à rien. Mais vous sentez aussi que ce refus qu'elle me fera deviendra un titre pour obtenir tout le reste; et qu'alors je gagne, en m'éloignant, d'entrer avec elle, et de son aveu, en correspondance réglée car je compte pour peu le rendez-vous que je lui demande, et qui n'a presque d'autre objet que de l'accoutumer d'avance à n'en pas refuser d'autres quand ils me seront vraiment nécessaires. La seule chose qui me reste à faire avant mon départ est de savoir quels sont les gens qui s'occupent à me nuire auprÚs d'elle. Je présume que c'est son pédant de mari; je le voudrais outre qu'une défense conjugale est un aiguillon au désir, je serais sûr que du moment que ma belle aura consenti à m'écrire, je n'aurais plus rien à craindre de son mari, puisqu'elle se trouverait déjà dans la nécessité de le tromper. Mais si elle a une amie assez intime pour avoir sa confidence, et que cette amie-là soit contre moi, il me paraÃt nécessaire de les brouiller, et je compte y réussir mais avant tout il faut ÃÂȘtre instruit. J'ai bien cru que j'allais l'ÃÂȘtre hier; mais cette femme ne fait rien comme une autre. Nous étions chez elle, au moment oÃÂč l'on vint avertir que le dÃner était servi. Sa toilette se finissait seulement, et tout en se pressant, et en faisant des excuses, je m'aperçus qu'elle laissait la clef à son secrétaire; et je connais son usage de ne pas Îter celle de son appartement. J'y rÃÂȘvais pendant le dÃner, lorsque j'entendis descendre sa femme de chambre je pris mon parti aussitÎt je feignis un saignement de nez, et sortis. Je volai au secrétaire; mais je trouvai tous les tiroirs ouverts, et pas un papier écrit. Cependant on n'a pas d'occasion de les brûler dans cette saison. Que fait elle des lettres qu'elle reçoit? et elle en reçoit souvent. Je n'ai rien négligé; tout était ouvert, et j'ai cherché partout mais je n'y ai rien gagné, que de me convaincre que ce dépÎt précieux reste dans ses poches. Comment l'en tirer? Depuis hier je m'occupe inutilement d'en trouver les moyens cependant je ne peux en vaincre le désir. Je regrette de n'avoir pas le talent des filous. Ne devrait-il pas, en effet, entrer dans l'éducation d'un homme qui se mÃÂȘle d'intrigues? ne serait-il pas plaisant de dérober la lettre ou le portrait d'un rival, ou de tirer des poches d'une prude de quoi la démasquer? Mais nos parents ne songent à rien; et, moi j'ai beau songer à tout, je ne fais que m'apercevoir que je suis gauche, sans pouvoir y remédier. Quoi qu'il en soit, je revins me mettre à table, fort mécontent. Ma Belle calma pourtant un peu mon humeur, par l'air d'intérÃÂȘt que lui donna ma feinte indisposition; et je ne manquai pas de l'assurer que j'avais, depuis quelque temps, de violentes agitations qui altéraient ma santé. Persuadée comme elle est que c'est elle qui les cause, ne devait-elle pas en conscience travailler à les calmer? Mais, quoique dévote, elle est peu charitable; elle refuse toute aumÎne amoureuse, et ce refus suffit bien, ce me semble, pour en autoriser le vol. Mais adieu; car tout en causant avec vous, je ne songe qu'à ces maudites Lettres. De ..., ce 27 août 17** LETTRE XLIII LA PRESIDENTE DE TOURVEL AU VICOMTE DE VALMONT Pourquoi chercher, Monsieur, à diminuer ma reconnaissance? Pourquoi ne vouloir m'obéir qu'à demi, et marchander en quelque sorte un procédé honnÃÂȘte? Il ne vous suffit donc pas que j'en sente le prix? Non seulement vous demandez beaucoup; mais vous demandez des choses impossibles. Si en effet mes amis m'ont parlé de vous, ils ne l'ont pu faire que par intérÃÂȘt pour moi quand mÃÂȘme ils se seraient trompés, leur intention n'en était pas moins bonne; et vous me proposez de reconnaÃtre cette marque d'attachement de leur part, en vous livrant leur secret! J'ai déjà eu tort de vous en parler, et vous me le faites assez sentir en ce moment. Ce qui n'eût été que de la candeur avec tout autre, devient une étourderie avec vous, et me mÚnerait à une noirceur, si je cédais à votre demande. J'en appelle à vous-mÃÂȘme, à votre honnÃÂȘteté; m'avez-vous crue capable de ce procédé? avez-vous dû me le proposer? non sans doute; et je suis sûre qu'en y réfléchissant mieux vous ne reviendrez plus sur cette demande. Celle que vous me faites de m'écrire n'est guÚre plus facile à accorder; et si vous voulez ÃÂȘtre juste, ce n'est pas à moi que vous vous en prendrez. Je ne veux point vous offenser; mais avec la réputation que vous vous ÃÂȘtes acquise, et que, de votre aveu mÃÂȘme, vous méritez au moins en partie, quelle femme pourrait avouer ÃÂȘtre en correspondance avec vous? et quelle femme honnÃÂȘte peut se déterminer à faire ce qu'elle sent qu'elle serait obligée de cacher? Encore si j'étais assurée que vos Lettres fussent telles que je n'eusse jamais à m'en plaindre, que je pusse toujours me justifier à mes yeux de les avoir reçues! peut-ÃÂȘtre alors le désir de vous prouver que c'est la raison et non la haine qui me guide me ferait passer par-dessus ces considérations puissantes, et faire beaucoup plus que je ne devrais, en vous permettant de m'écrire quelquefois. Si en effet vous le désirez autant que vous me le dites, vous vous soumettrez volontiers à la seule condition qui puisse m'y faire consentir; et si vous avez quelque reconnaissance de ce que je fais pour vous en ce moment, vous ne différerez plus de partir. Permettez-moi de vous observer à ce sujet, que vous avez reçu une Lettre ce matin et que vous n'en avez pas profité pour annoncer votre départ à Madame de Rosemonde, comme vous me l'aviez promis. J'espÚre qu'à présent rien ne pourra vous empÃÂȘcher de tenir votre parole. Je compte surtout que vous n'attendrez pas, pour cela, l'entretien que vous me demandez, auquel je ne veux absolument pas me prÃÂȘter; et qu'au lieu de l'ordre que vous prétendez vous ÃÂȘtre nécessaire, vous vous contenterez de la priÚre que je vous renouvelle. Adieu, Monsieur. De ..., ce 27 août 17** LETTRE XLIV LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Partagez ma joie, ma belle amie; je suis aimé; j'ai triomphé de ce cÅ“ur rebelle. C'est en vain qu'il dissimule encore; mon heureuse adresse a surpris son secret. Grùce à mes soins actifs, je sais tout ce qui m'intéresse depuis la nuit, l'heureuse nuit d'hier, je me retrouve dans mon élément; j'ai repris toute mon existence; j'ai dévoilé un double mystÚre d'amour et d'iniquité je jouirai de l'un, je me vengerai de l'autre; je volerai de plaisirs en plaisirs. La seule idée que je m'en fais me transporte au point que j'ai quelque peine à rappeler ma prudence; que j'en aurai peut-ÃÂȘtre à mettre de l'ordre dans le récit que j'ai à vous faire. Essayons cependant. Hier mÃÂȘme, aprÚs vous avoir écrit ma Lettre, j'en reçus une de la céleste dévote. Je vous l'envoie; vous y verrez qu'elle me donne, le moins maladroitement qu'elle peut, la permission de lui écrire mais elle y presse mon départ, et je sentais bien que je ne pouvais le différer trop longtemps sans me nuire. Tourmenté cependant du désir de savoir qui pouvait avoir écrit contre moi, j'étais encore incertain du parti que je prendrais. Je tentai de gagner la Femme de chambre, et je voulus obtenir d'elle de me livrer les poches de sa MaÃtresse, dont elle pouvait s'emparer aisément le soir, et qu'il lui était facile de replacer le matin, sans donner le moindre soupçon. J'offris dix louis pour ce léger service mais je ne trouvai qu'une bégueule, scrupuleuse ou timide, que mon éloquence ni mon argent ne purent vaincre. Je la prÃÂȘchais encore, quand le souper sonna. Il fallut la laisser trop heureux qu'elle voulût bien me promettre le secret, sur lequel mÃÂȘme vous jugez que je ne comptais guÚre. Jamais je n'eus plus d'humeur. Je me sentais compromis; et je me reprochais, toute la soirée, ma démarche imprudente. Retiré chez moi, non sans inquiétude, je parlai à mon Chasseur qui, en sa qualité d'Amant heureux, devait avoir quelque crédit. Je voulais, ou qu'il obtÃnt de cette fille de faire ce que je lui avais demandé, ou au moins qu'il s'assurùt de sa discrétion mais lui, qui d'ordinaire ne doute de rien, parut douter du succÚs de cette négociation, et me fit à ce sujet une réflexion qui m'étonna par sa profondeur. " Monsieur sait sûrement mieux que moi " , me dit-il, " que coucher avec une fille, ce n'est que lui faire faire ce qui lui plaÃt de là à lui faire faire ce que nous voulons, il y a souvent bien loin. " Le bon sens du Maraud quelquefois m'épouvante . [PIRON, Métromanie] " Je réponds d'autant moins de celle-ci " , ajouta-t-il, " que j'ai lieu de croire qu'elle a un Amant, et que je ne la dois qu'au désÅ“uvrement de la campagne. Aussi, sans mon zÚle pour le service de Monsieur, je n'aurais eu cela qu'une fois. " C'est un vrai trésor que ce garçon! " Quant au secret " , ajouta-t-il encore, " à quoi servira-t-il de lui faire promettre, puisqu'elle ne risquera rien à nous tromper? lui en reparler ne ferait que lui mieux apprendre qu'il est important, et par là lui donner plus d'envie d'en faire sa cour à sa MaÃtresse. " Plus ces réflexions étaient justes, plus mon embarras augmentait. Heureusement le drÎle était en train de jaser; et comme j'avais besoin de lui, je le laissais faire. Tout en me racontant son histoire avec cette fille, il m'apprit que comme la chambre qu'elle occupe n'est séparée de celle de sa MaÃtresse que par une simple cloison, qui pouvait laisser entendre un bruit suspect, c'était dans la sienne qu'ils se rassemblaient chaque nuit. AussitÎt je formai mon plan, je le lui communiquai, et nous l'exécutùmes avec succÚs. J'attendis deux heures du matin; et alors je me rendis, comme nous en étions convenus, à la chambre du rendez-vous, portant de la lumiÚre avec moi, et sous prétexte d'avoir sonné plusieurs fois inutilement. Mon confident, qui joue ses rÎles à merveille, donna une petite scÚne de surprise, de désespoir et d'excuse, que je terminai en l'envoyant me faire chauffer de l'eau, dont je feignis avoir besoin; tandis que la scrupuleuse ChambriÚre était d'autant plus honteuse, que le drÎle qui avait voulu renchérir sur mes projets l'avait déterminée à une toilette que la saison comportait, mais qu'elle n'excusait pas. Comme je sentais que plus cette fille serait humiliée, plus j'en disposerais facilement, je ne lui permis de changer ni de situation ni de parure; et aprÚs avoir ordonné à mon Valet de m'attendre chez moi, je m'assis à cÎté d'elle sur le lit qui était fort en désordre, et je commençai ma conversation. J'avais besoin de garder l'empire que la circonstance me donnait sur elle aussi conservai-je un sang-froid qui eût fait honneur à la continence de Scipion; et sans prendre la plus petite liberté avec elle, ce que pourtant sa fraÃcheur et l'occasion semblaient lui donner le droit d'espérer, je lui parlai d'affaires aussi tranquillement que j'aurais pu faire avec un Procureur. Mes conditions furent que je garderais fidÚlement le secret, pourvu que le lendemain, à pareille heure à peu prÚs, elle me livrùt les poches de sa MaÃtresse. " Au reste " , ajoutai-je, " je vous avais offert dix louis hier; je vous les promets encore aujourd'hui. Je ne veux pas abuser de votre situation. " Tout fut accordé, comme vous pouvez croire; alors je me retirai, et permis à l'heureux couple de réparer le temps perdu. J'employai le mien à dormir; et à mon réveil, voulant avoir un prétexte pour ne pas répondre à la Lettre de ma Belle avant d'avoir visité ses papiers, ce que je ne pouvais faire que la nuit suivante, je me décidai à aller à la chasse, oÃÂč je restai presque tout le jour. A mon retour, je fus reçu assez froidement. J'ai lieu de croire qu'on fut un peu piqué du peu d'empressement que je mettais à profiter du temps qui me restait; surtout aprÚs la Lettre plus douce que l'on m'avait écrite. J'en juge ainsi, sur ce que Madame de Rosemonde m'ayant fait quelques reproches sur cette longue absence, ma Belle reprit avec un peu d'aigreur " Ah! ne reprochons pas à M. de Valmont de se livrer au seul plaisir qu'il peut trouver ici. " Je me plaignis de cette injustice, et j'en profitai pour assurer que je me plaisais tant avec ces Dames, que j'y sacrifiais une Lettre trÚs intéressante que j'avais à écrire. J'ajoutai que, ne pouvant trouver le sommeil depuis plusieurs nuits, j'avais voulu essayer si la fatigue me le rendrait; et mes regards expliquaient assez et le sujet de ma Lettre, et la cause de mon insomnie. J'eus soin d'avoir toute la soirée une douceur mélancolique qui me parut réussir assez bien, et sous laquelle je masquai l'impatience oÃÂč j'étais de voir arriver l'heure qui devait me livrer le secret qu'on s'obstinait à me cacher. Enfin nous nous séparùmes, et quelque temps aprÚs, la fidÚle Femme de chambre vint m'apporter le prix convenu de ma discrétion. Une fois maÃtre de ce trésor, je procédai à l'inventaire avec la prudence que vous me connaissez car il était important de remettre tout en place. Je tombai d'abord sur deux Lettres du mari, mélange indigeste de détails de procÚs et de tirades d'amour conjugal, que j'eus la patience de lire en entier, et oÃÂč je ne trouvai pas un mot qui eût rapport à moi. Je les replaçai avec humeur mais elle s'adoucit, en trouvant sous ma main les morceaux de ma fameuse Lettre de Dijon, soigneusement rassemblés. Heureusement il me prit fantaisie de la parcourir. Jugez de ma joie, en y apercevant les traces bien distinctes des larmes de mon adorable Dévote. Je l'avoue, je cédai à un mouvement de jeune homme, et baisai cette Lettre avec un transport dont je ne me croyais plus susceptible. Je continuai l'heureux examen; je retrouvai toutes mes Lettres de suite, et par ordre de dates; et ce qui me surprit plus agréablement encore, fut de retrouver la premiÚre de toutes, celle que je croyais m'avoir été rendue par une ingrate, fidÚlement copiée de sa main; et d'une écriture altérée et tremblante, qui témoignait assez la douce agitation de son cÅ“ur pendant cette occupation. Jusque-là j'étais tout entier à l'Amour; bientÎt il fit place à la fureur. Qui croyez-vous qui veuille me perdre auprÚs de cette femme que j'adore? quelle Furie supposez-vous assez méchante pour tramer une pareille noirceur? Vous la connaissez c'est votre amie, votre parente; c'est Madame de Volanges. Vous n'imaginez pas quel tissu d'horreurs l'infernale MégÚre lui a écrit sur mon compte. C'est elle, elle seule, qui a troublé la sécurité de cette femme angélique; c'est par ses conseils, par ses avis pernicieux, que je me vois forcé de m'éloigner; c'est à elle enfin que l'on me sacrifie. Ah! sans doute il faut séduire sa fille mais ce n'est pas assez, il faut la perdre; et puisque l'ùge de cette maudite femme la met à l'abri de mes coups, il faut la frapper dans l'objet de ses affections. Elle veut donc que je revienne à Paris! elle m'y force! soit, j'y retournerai, mais elle gémira de mon retour. Je suis fùché que Danceny soit le héros de cette aventure, il a un fond d'honnÃÂȘteté qui nous gÃÂȘnera cependant il est amoureux, et je le vois souvent; on pourra peut-ÃÂȘtre en tirer parti. Je m'oublie dans ma colÚre, et je ne songe pas que je vous dois le récit de ce qui s'est passé aujourd'hui. Revenons. Ce matin j'ai revu ma sensible Prude. Jamais je ne l'avais trouvée si belle. Cela devait ÃÂȘtre ainsi le plus beau moment d'une femme, le seul oÃÂč elle puisse produire cette ivresse de l'ùme, dont on parle toujours, et qu'on éprouve si rarement, est celui oÃÂč, assurés de son amour, nous ne le sommes pas de ses faveurs; et c'est précisément le cas oÃÂč je me trouvais. Peut-ÃÂȘtre aussi l'idée que j'allais ÃÂȘtre privé du plaisir de la voir servait-elle à l'embellir. Enfin, à l'arrivée du Courrier, on m'a remis votre Lettre du 27; et pendant que je la lisais, j'hésitais encore pour savoir si je tiendrais ma parole mais j'ai rencontré les yeux de ma Belle, et il m'aurait été impossible de lui rien refuser. J'ai donc annoncé mon départ. Un moment aprÚs, Madame de Rosemonde nous a laissés seuls mais j'étais encore à quatre pas de la farouche personne, que se levant avec l'air de l'effroi " Laissez-moi, laissez-moi, Monsieur " , m'a- t-elle dit; " au nom de Dieu, laissez-moi. " Cette priÚre fervente, qui décelait son émotion, ne pouvait que m'animer davantage. Déjà j'étais auprÚs d'elle, et je tenais ses mains qu'elle avait jointes avec une expression tout à fait touchante; là , je commençais de tendres plaintes, quand un démon ennemi ramena Madame de Rosemonde. La timide Dévote, qui a en effet quelques raisons de craindre, en a profité pour se retirer. Je lui ai pourtant offert la main qu'elle a acceptée; et augurant bien de cette douceur, qu'elle n'avait pas eue depuis longtemps, tout en recommençant mes plaintes j'ai essayé de serrer la sienne. Elle a d'abord voulu la retirer; mais sur une instance plus vive, elle s'est livrée d'assez bonne grùce, quoique sans répondre ni à ce geste, ni à mes discours. Arrivés à la porte de son appartement, j'ai voulu baiser cette main, avant de la quitter. La défense a commencé par ÃÂȘtre franche; mais un songez donc que je pars , prononcé bien tendrement, l'a rendue gauche et insuffisante. A peine le baiser a-t-il été donné, que la main a retrouvé sa force pour échapper, et que la Belle est entrée dans son appartement oÃÂč était sa Femme de chambre. Ici finit mon histoire. Comme je présume que vous serez demain chez la Maréchale de ... , oÃÂč sûrement je n'irai pas vous trouver; comme je me doute bien aussi qu'à notre premiÚre entrevue nous aurons plus d'une affaire à traiter, et notamment celle de la petite Volanges, que je ne perds pas de vue, j'ai pris le parti de me faire précéder par cette Lettre; et toute longue qu'elle est, je ne la fermerai qu'au moment de l'envoyer à la Poste, car au terme oÃÂč j'en suis, tout peut dépendre d'une occasion; et je vous quitte pour aller l'épier. à huit heures du soir. Rien de nouveau; pas le plus petit moment de liberté du soin mÃÂȘme pour l'éviter. Cependant, autant de tristesse que la décence en permettait, pour le moins. Un autre événement qui peut ne pas ÃÂȘtre indifférent, c'est que je suis chargé d'une invitation de Madame de Rosemonde à Madame de Volanges, pour venir passer quelque temps chez elle à la campagne. Adieu, ma belle amie; à demain ou aprÚs-demain au plus tard. De ..., ce 28 août 17** LETTRE XLV LA PRESIDENTE DE TOURVEL A MADAME DE VOLANGES M. de Valmont est parti ce matin, Madame; vous m'avez paru tant désirer ce départ, que j'ai cru devoir vous en instruire. Madame de Rosemonde regrette beaucoup son neveu, dont il faut convenir qu'en effet la société est agréable elle a passé toute la matinée à m'en parler avec la sensibilité que vous lui connaissez; elle ne tarissait pas sur son éloge. J'ai cru lui devoir la complaisance de l'écouter sans la contredire, d'autant qu'il faut avouer qu'elle avait raison sur beaucoup de points. Je sentais de plus que j'avais à me reprocher d'ÃÂȘtre la cause de cette séparation, et je n'espÚre pas pouvoir la dédommager du plaisir dont je l'ai privée. Vous savez que j'ai naturellement peu de gaieté, et le genre de vie que nous allons mener ici n'est pas fait pour l'augmenter. Si je ne m'étais pas conduite d'aprÚs vos avis, je craindrais d'avoir agi un peu légÚrement car j'ai été vraiment peinée de la douleur de ma respectable amie; elle m'a touchée au point que j'aurais volontiers mÃÂȘlé mes larmes aux siennes. Nous vivons à présent dans l'espoir que vous accepterez l'invitation que M. de Valmont doit vous faire, de la part de Madame de Rosemonde, de venir passer quelque temps chez elle. J'espÚre que vous ne doutez pas du plaisir que j'aurai à vous y voir; et en vérité vous nous devez ce dédommagement. Je serai fort aise de trouver cette occasion de faire une connaissance plus prompte avec Mademoiselle de Volanges, et d'ÃÂȘtre à portée de vous convaincre de plus en plus des sentiments respectueux, etc. De ..., ce 29 août 17** LETTRE XLVI LE CHEVALIER DANCENY A CECILE VOLANGES Que vous est-il donc arrivé, mon adorable Cécile? qui a pu causer en vous un changement si prompt et si cruel? que sont devenus vos serments de ne jamais changer? Hier encore, vous les réitériez avec tant de plaisir! qui peut aujourd'hui vous les faire oublier? J'ai beau m'examiner, je ne puis en trouver la cause en moi, et il m'est affreux d'avoir à la chercher en vous. Ah! sans doute vous n'ÃÂȘtes ni légÚre, ni trompeuse; et mÃÂȘme dans ce moment de désespoir, un soupçon outrageant ne flétrira point mon ùme. Cependant, par quelle fatalité n'ÃÂȘtes-vous plus la mÃÂȘme? Non, cruelle, vous ne l'ÃÂȘtes plus! La tendre Cécile, la Cécile que j'adore, et dont j'ai reçu les serments, n'aurait point évité mes regards, n'aurait point contrarié le hasard heureux qui me plaçait auprÚs d'elle; ou si quelque raison que je ne peux concevoir l'avait forcée à me traiter avec tant de rigueur, elle n'eût pas au moins dédaigné de m'en instruire. Ah! vous ne savez pas, vous ne saurez jamais, ma Cécile, ce que vous m'avez fait souffrir aujourd'hui, ce que je souffre encore en ce moment. Croyez-vous donc que je puisse vivre et ne plus ÃÂȘtre aimé de vous? Cependant, quand je vous ai demandé un mot, un seul mot, pour dissiper mes craintes, au lieu de me répondre, vous avez feint de craindre d'ÃÂȘtre entendue; et cet obstacle qui n'existait pas alors vous l'avez fait naÃtre aussitÎt, par la place que vous avez choisie dans le cercle. Quand, forcé de vous quitter, je vous ai demandé l'heure à laquelle je pourrais vous revoir demain, vous avez feint de l'ignorer, et il a fallu que ce fût Madame de Volanges qui m'en instruisÃt. Ainsi ce moment toujours si désiré qui doit me rapprocher de vous, demain ne fera naÃtre en moi que de l'inquiétude; et le plaisir de vous voir, jusqu'alors si cher à mon cÅ“ur, sera remplacé par la crainte de vous ÃÂȘtre importun. Déjà , je le sens, cette crainte m'arrÃÂȘte, et je n'ose vous parler de mon amour. Ce je vous aime , que j'aimais tant à répéter quand je pouvais l'entendre à mon tour, ce mot si doux, qui suffisait à ma félicité, ne m'offre plus, si vous ÃÂȘtes changée, que l'image d'un désespoir éternel. Je ne puis croire pourtant que ce talisman de l'Amour ait perdu toute sa puissance, et j'essaie de m'en servir encore [Ceux qui n'ont pas eu l'occasion de sentir quelquefois le prix d'un mot d'une expression, consacrés par l'Amour, ne trouveront aucun sens dans cette phrase]. Oui, ma Cécile, je vous aime. Répétez donc avec moi cette expression de mon bonheur. Songez que vous m'avez accoutumé à l'entendre, et que m'en priver, c'est me condamner à un tourment qui, de mÃÂȘme que mon amour, ne finira qu'avec ma vie. De ..., ce 29 août 17** LETTRE XLVII LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Je ne vous verrai pas encore aujourd'hui, ma belle amie, et voici mes raisons, que je vous prie de recevoir avec indulgence. Au lieu de revenir hier directement, je me suis arrÃÂȘté chez la Comtesse de ***, dont le chùteau se trouvait presque sur ma route, et à qui j'ai demandé à dÃner. Je ne suis arrivé à Paris que vers les sept heures, et je suis descendu à l'Opéra, oÃÂč j'espérais que vous pouviez ÃÂȘtre. L'Opéra fini, j'ai été revoir mes amies du foyer; j'y ai retrouvé mon ancienne Emilie, entourée d'une cour nombreuse, tant en femmes qu'en hommes, à qui elle donnait le soir mÃÂȘme à souper à P... Je ne fus pas plus tÎt entré dans ce cercle, que je fus prié du souper, par acclamation. Je le fus aussi par une petite figure grosse et courte qui me baragouina une invitation en français de Hollande, et que je reconnus pour le véritable héros de la fÃÂȘte. J'acceptai. J'appris, dans ma route, que la maison oÃÂč nous allions était le prix convenu des bontés d'Emilie pour cette figure grotesque, et que ce souper était un véritable repas de noces. Le petit homme ne se possédait pas de joie, dans l'attente du bonheur dont il allait jouir; il m'en parut si satisfait, qu'il me donna envie de le troubler; ce que je fis en effet. La seule difficulté que j'éprouvai fut de décider Emilie que la richesse du Bourgmestre rendait un peu scrupuleuse. Elle se prÃÂȘta pourtant, aprÚs quelques façons, au projet que je donnai, de remplir de vin ce petit tonneau à biÚre, et de le mettre ainsi hors de combat pour toute la nuit. L'idée sublime que nous nous étions formée d'un buveur Hollandais nous fit employer tous les moyens connus. Nous réussÃmes si bien, qu'au dessert il n'avait déjà plus la force de tenir son verre mais la secourable Emilie et moi l'entonnions à qui mieux mieux. Enfin, il tomba sous la table, dans une ivresse telle, qu'elle doit au moins durer huit jours. Nous nous décidùmes alors à le renvoyer à Paris; et comme il n'avait pas gardé sa voiture, je le fis charger dans la mienne, et je restai à sa place. Je reçus ensuite les compliments de l'assemblée, qui se retira bientÎt aprÚs, et me laissa maÃtre du champ de bataille. Cette gaieté, et peut-ÃÂȘtre ma longue retraite, m'ont fait trouver Emilie si désirable, que je lui ai promis de rester avec elle jusqu'à la résurrection du Hollandais. Cette complaisance de ma part est le prix de celle qu'elle vient d'avoir, de me servir de pupitre pour écrire à ma belle Dévote, à qui j'ai trouvé plaisant d'envoyer une Lettre écrite du lit et presque d'entre les bras d'une fille, interrompue mÃÂȘme pour une infidélité complÚte, et dans laquelle je lui rends un compte exact de ma situation et de ma conduite. Emilie, qui a lu l'EpÃtre, en a ri comme une folle, et j'espÚre que vous en rirez aussi. Comme il faut que ma Lettre soit timbrée de Paris, je vous l'envoie; je la laisse ouverte. Vous voudrez bien la lire, la cacheter, et la faire mettre à la Poste. Surtout n'allez pas vous servir de votre cachet, ni mÃÂȘme d'aucun emblÚme amoureux; une tÃÂȘte seulement. Adieu, ma belle amie. Je rouvre ma Lettre; j'ai décidé Emilie à aller aux Italiens. Je profiterai de ce temps pour aller vous voir. Je serai chez vous à six heures au plus tard; et si cela vous convient, nous irons ensemble sur les sept heures chez Madame de Volanges. Il sera décent que je ne diffÚre pas l'invitation que j'ai à lui faire de la part de Madame de Rosemonde; de plus, je serai bien aise de voir la petite Volanges. Adieu, la trÚs belle dame. Je veux avoir tant de plaisir à vous embrasser que le Chevalier puisse en ÃÂȘtre jaloux. De P. . , ce 30 août 17** LETTRE XLVIII LE VICOMTE DE VALMONT A LA PRESIDENTE DE TOURVEL TIMBREE DE PARIS. C'est aprÚs une nuit orageuse, et pendant laquelle je n'ai pas fermé l'oeil; c'est aprÚs avoir été sans cesse ou dans l'agitation d'une ardeur dévorante, ou dans l'entier anéantissement de toutes les facultés de mon ùme, que je viens chercher auprÚs de vous, Madame, un calme dont j'ai besoin, et dont pourtant je n'espÚre pas jouir encore. En effet, la situation oÃÂč je suis en vous écrivant me fait connaÃtre plus que jamais la puissance irrésistible de l'Amour; j'ai peine à conserver assez d'empire sur moi pour mettre quelque ordre dans mes idées; et déjà je prévois que je ne finirai pas cette Lettre sans ÃÂȘtre obligé de l'interrompre. Quoi! ne puis-je donc espérer que vous partagerez quelque jour le trouble que j'éprouve en ce moment? J'ose croire cependant que, si vous le connaissiez bien, vous n'y seriez pas entiÚrement insensible. Croyez-moi, Madame, la froide tranquillité, le sommeil de l'ùme, image de la mort, ne mÚnent point au bonheur; les passions actives peuvent seules y conduire; et malgré les tourments que vous me faites éprouver, je crois pouvoir assurer sans crainte, que, dans ce moment, je suis plus heureux que vous. En vain m'accablez-vous de vos rigueurs désolantes, elles ne m'empÃÂȘchent point de m'abandonner entiÚrement à l'Amour et d'oublier, dans le délire qu'il me cause, le désespoir auquel vous me livrez. C'est ainsi que je veux me venger de l'exil auquel vous me condamnez. Jamais je n'eus tant de plaisir en vous écrivant; jamais je ne ressentis, dans cette occupation, une émotion si douce et cependant si vive. Tout semble augmenter mes transports l'air que je respire est plein de volupté; la table mÃÂȘme sur laquelle je vous écris, consacrée pour la premiÚre fois à cet usage, devient pour moi l'autel sacré de l'Amour; combien elle va s'embellir à mes yeux! j'aurai tracé sur elle le serment de vous aimer toujours! Pardonnez, je vous en supplie, au désordre de mes sens. Je devrais peut-ÃÂȘtre m'abandonner moins à des transports que vous ne partagez pas il faut vous quitter un moment pour dissiper une ivresse qui s'augmente à chaque instant, et qui devient plus forte que moi. Je reviens à vous, Madame, et sans doute j'y reviens toujours avec le mÃÂȘme empressement. Cependant le sentiment du bonheur a fui loin de moi; il a fait place à celui des privations cruelles. A quoi me sert-il de vous parler de mes sentiments, si je cherche en vain les moyens de vous convaincre? aprÚs tant d'efforts réitérés, la confiance et la force m'abandonnent à la fois. Si je me retrace encore les plaisirs de l'Amour, c'est pour sentir plus vivement le regret d'en ÃÂȘtre privé. Je ne me vois de ressource que dans votre indulgence, et je sens trop, dans ce moment, combien j'en ai besoin pour espérer de l'obtenir. Cependant, jamais mon amour ne fut plus respectueux, jamais il ne dut moins vous offenser; il est tel, j'ose le dire, que la vertu la plus sévÚre ne devrait pas le craindre mais je crains moi-mÃÂȘme de vous entretenir plus longtemps de la peine que j'éprouve. Assuré que l'objet qui la cause ne la partage pas, il ne faut pas au moins abuser de ses bontés; et ce serait le faire, que d'employer plus de temps à vous retracer cette douloureuse image. Je ne prends plus que celui de vous supplier de me répondre, et de ne jamais douter de la vérité de mes sentiments. Ecrite de P ..., datée de Paris, ce 30 août l7**. LETTRE XLIX CECILE VOLANGES AU CHEVALIER DANCENY Sans ÃÂȘtre ni légÚre, ni trompeuse, il me suffit, Monsieur, d'ÃÂȘtre éclairée sur ma conduite, pour sentir la nécessité d'en changer; j'en ai promis le sacrifice à Dieu, jusqu'à ce que je puisse lui offrir aussi celui de mes sentiments pour vous, que l'état Religieux dans lequel vous ÃÂȘtes rend plus criminels encore. Je sens bien que cela me fera de la peine, et je ne vous cacherai mÃÂȘme pas que depuis avant-hier j'ai pleuré toutes les fois que j'ai songé à vous. Mais j'espÚre que Dieu me fera la grùce de me donner la force nécessaire pour vous oublier, comme je la lui demande soir et matin. J'attends mÃÂȘme de votre amitié, et de votre honnÃÂȘteté, que vous ne chercherez pas à me troubler dans la bonne résolution qu'on m'a inspirée, et dans laquelle je tùche de me maintenir. En conséquence, je vous demande d'avoir la complaisance de ne me plus écrire, d'autant que je vous préviens que je ne vous répondrais plus, et que vous me forceriez d'avertir Maman de tout ce qui se passe ce qui me priverait tout à fait du plaisir de vous voir. Je n'en conserverai pas moins pour vous tout l'attachement qu'on puisse avoir sans qu'il y ait du mal; et c'est bien de toute mon ùme que je vous souhaite toute sorte de bonheur. Je sens bien que vous allez ne plus m'aimer autant, et que peut-ÃÂȘtre vous en aimerez bientÎt une autre mieux que moi. Mais ce sera une pénitence de plus, de la faute que j'ai commise en vous donnant mon cÅ“ur, que je ne devais donner qu'à Dieu, et à mon mari quand j'en aurai un. J'espÚre que la miséricorde divine aura pitié de ma faiblesse, et qu'elle ne me donnera de peine que ce que j'en pourrai supporter. Adieu, Monsieur; je peux bien vous assurer que s'il m'était permis d'aimer quelqu'un, ce ne serait jamais que vous que j'aimerais. Mais voilà tout ce que je peux vous dire, et c'est peut-ÃÂȘtre mÃÂȘme plus que je ne devrais. De ..., ce 31 août 17** LETTRE L LA PRESIDENTE DE TOURVEL AU VICOMTE DE VALMONT Est-ce donc ainsi, Monsieur, que vous remplissez les conditions auxquelles j'ai consenti à recevoir quelquefois de vos Lettres? Et puis-je ne pas avoir à m'en plaindre , quand vous ne m'y parlez que d'un sentiment auquel je craindrais encore de me livrer, quand mÃÂȘme je le pourrais sans blesser tous mes devoirs? Au reste, si j'avais besoin de nouvelles raisons pour conserver cette crainte salutaire, il me semble que je pourrais les trouver dans votre derniÚre Lettre. En effet, dans le moment mÃÂȘme oÃÂč vous croyez faire l'apologie de l'Amour, que faites-vous au contraire que m'en montrer les orages redoutables? qui peut vouloir d'un bonheur acheté au prix de la raison, et dont les plaisirs peu durables sont au moins suivis des regrets, quand ils ne le sont pas des remords? Vous-mÃÂȘme, chez qui l'habitude de ce délire dangereux doit en diminuer l'effet, n'ÃÂȘtes-vous pas cependant obligé de convenir qu'il devient souvent plus fort que vous, et n'ÃÂȘtes-vous pas le premier à vous plaindre du trouble involontaire qu'il vous cause? Quel ravage effrayant ne ferait-il donc pas sur un cÅ“ur neuf et sensible, qui ajouterait encore à son empire par la grandeur des sacrifices qu'il serait obligé de lui faire? Vous croyez, Monsieur, ou vous feignez de croire que l'Amour mÚne au bonheur; et moi, je suis si persuadée qu'il me rendrait malheureuse, que je voudrais n'entendre jamais prononcer son nom. Il me semble que d'en parler seulement altÚre la tranquillité; et c'est autant par goût que par devoir, que je vous prie de vouloir bien garder le silence sur ce point. AprÚs tout, cette demande doit vous ÃÂȘtre bien facile à m'accorder à présent. De retour à Paris, vous y trouverez assez d'occasions d'oublier un sentiment qui peut-ÃÂȘtre n'a dû sa naissance qu'à l'habitude oÃÂč vous ÃÂȘtes de vous occuper de semblables objets, et sa force qu'au désÅ“uvrement de la campagne. N'ÃÂȘtes- vous donc pas dans ce mÃÂȘme lieu, oÃÂč vous m'aviez vue avec tant d'indifférence? Y pouvez-vous faire un pas sans y rencontrer un exemple de votre facilité à changer et n'y ÃÂȘtes-vous pas entouré de femmes, qui toutes, plus aimables que moi, ont plus de droits à vos hommages? Je n'ai pas la vanité qu'on reproche à mon sexe; j'ai encore moins cette fausse modestie qui n'est qu'un raffinement de l'orgueil; et c'est de bien bonne foi que je vous dis ici que je me connais bien peu de moyens de plaire je les aurais tous, que je ne les croirais pas suffisants pour vous fixer. Vous demander de ne plus vous occuper de moi, ce n'est donc que vous prier de faire aujourd'hui ce que déjà vous aviez fait, et ce qu'à coup sûr vous feriez encore dans peu de temps, quand mÃÂȘme je vous demanderais le contraire. Cette vérité, que je ne perds pas de vue, serait, à elle seule, une raison assez forte pour ne pas vouloir vous entendre. J'en ai mille autres encore mais sans entrer dans cette longue discussion, je m'en tiens à vous prier, comme je l'ai déjà fait, de ne plus m'entretenir d'un sentiment que je ne dois pas écouter, et auquel je dois encore moins répondre. De ..., ce 1er septembre 17** SECONDE PARTIE LETTRE LI LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT En vérité, Vicomte, vous ÃÂȘtes insupportable. Vous me traitez avec autant de légÚreté que si j'étais votre MaÃtresse. Savez-vous que je me fùcherai, et que j'ai dans ce moment une humeur effroyable? Comment! vous devez voir Danceny demain matin; vous savez combien il est important que je vous parle avant cette entrevue; et sans vous inquiéter davantage, vous me laissez vous attendre toute la journée, pour aller courir je ne sais oÃÂč? Vous ÃÂȘtes cause que je suis arrivée indécemment tard chez Madame de Volanges, et que toutes les vieilles femmes m'ont trouvée merveilleuse. Il m'a fallu leur faire des cajoleries toute la soirée pour les apaiser car il ne faut pas fùcher les vieilles femmes; ce sont elles qui font la réputation des jeunes. A présent il est une heure du matin, et au lieu de me coucher, comme j'en meurs d'envie, il faut que je vous écrive une longue Lettre, qui va redoubler mon sommeil par l'ennui qu'elle me causera. Vous ÃÂȘtes bien heureux que je n'aie pas le temps de vous gronder davantage. N'allez pas croire pour cela que je vous pardonne; c'est seulement que je suis pressée. Ecoutez-moi donc, je me dépÃÂȘche. Pour peu que vous soyez adroit, vous devez avoir demain la confidence de Danceny. Le moment est favorable pour la confiance c'est celui du malheur. La petite fille a été à confesse; elle a tout dit, comme un enfant; et depuis, elle est tourmentée à un tel point de la peur du diable, qu'elle veut rompre absolument. Elle m'a raconté tous ses petits scrupules, avec une vivacité qui m'apprenait assez combien sa tÃÂȘte était montée. Elle m'a montré sa Lettre de rupture, qui est une vraie capucinade. Elle a babillé une heure avec moi, sans me dire un mot qui ait le sens commun. Mais elle ne m'en a pas moins embarrassée; car vous jugez que je ne pouvais risquer de m'ouvrir vis-à -vis d'une aussi mauvaise tÃÂȘte. J'ai vu pourtant au milieu de tout ce bavardage qu'elle n'en aime pas moins son Danceny; j'ai remarqué mÃÂȘme une de ces ressources qui ne manquent jamais à l'Amour, et dont la petite fille est assez plaisamment la dupe. Tourmentée par le désir de s'occuper de son Amant, et par la crainte de se damner en s'en occupant, elle a imaginé de prier Dieu de le lui faire oublier; et comme elle renouvelle cette priÚre à chaque instant du jour, elle trouve le moyen d'y penser sans cesse. Avec quelqu'un de plus usagé que Danceny, ce petit événement serait peut-ÃÂȘtre plus favorable que contraire, mais le jeune homme est si Céladon, que, si nous ne l'aidons pas, il lui faudra tant de temps pour vaincre les plus légers obstacles qu'il ne nous laissera pas celui d'effectuer notre projet. Vous avez bien raison; c'est dommage, et je suis aussi fùchée que vous qu'il soit le héros de cette aventure mais que voulez-vous? ce qui est fait est fait; et c'est votre faute. J'ai demandé à voir sa Réponse [Cette Lettre ne s'est pas retrouvée]; elle m'a fait pitié. Il lui fait des raisonnements à perte d'haleine, pour lui prouver qu'un sentiment involontaire ne peut pas ÃÂȘtre un crime comme s'il ne cessait pas d'ÃÂȘtre involontaire, du moment qu'on cesse de le combattre! Cette idée est si simple, qu'elle est venue mÃÂȘme à la petite fille. Il se plaint de son malheur d'une maniÚre assez touchante mais sa douleur est si douce et paraÃt si forte et si sincÚre, qu'il me semble impossible qu'une femme qui trouve l'occasion de désespérer un homme à ce point, et avec aussi peu de danger, ne soit pas tentée de s'en passer la fantaisie. Il lui explique enfin qu'il n'est pas Moine comme la petite le croyait; et c'est, sans contredit, ce qu'il fait de mieux car, pour faire tant que de se livrer à l'Amour Monastique, assurément MM. les Chevaliers de Malte ne mériteraient pas la préférence. Quoi qu'il en soit, au lieu de perdre mon temps en raisonnements qui m'auraient compromise, et peut-ÃÂȘtre sans persuader, j'ai approuvé le projet de rupture mais j'ai dit qu'il était plus honnÃÂȘte, en pareil cas, de dire ses raisons que de les écrire; qu'il était d'usage aussi de rendre les Lettres et les autres bagatelles qu'on pouvait avoir reçues; et paraissant entrer ainsi dans les vues de la petite personne, je l'ai décidée à donner un rendez-vous à Danceny. Nous en avons sur-le-champ concerté les moyens, et je me suis chargée de décider la mÚre à sortir sans sa fille; c'est demain aprÚs-midi que sera cet instant décisif. Danceny en est déjà instruit; mais, pour Dieu, si vous en trouvez l'occasion, décidez donc ce beau Berger à ÃÂȘtre moins langoureux; et apprenez-lui, puisqu'il faut lui tout dire, que la vraie façon de vaincre les scrupules est de ne laisser rien à perdre à ceux qui en ont. Au reste, pour que cette ridicule scÚne ne se renouvelùt pas, je n'ai pas manqué d'élever quelques doutes dans l'esprit de la petite fille sur la discrétion des Confesseurs; et je vous assure qu'elle paie à présent la peur qu'elle m'a faite, par celle qu'elle a que le sien n'aille tout dire à sa mÚre. J'espÚre qu'aprÚs que j'en aurai causé encore une fois ou deux avec elle, elle n'ira plus raconter ainsi ses sottises au premier venu [Le lecteur a dû deviner depuis longtemps, par les mÅ“urs de Madame de Merteuil, combien peu elle respectait la Religion. On aurait supprimé tout cet alinéa, mais on a cru qu'en montrant les effets, on ne devait pas négliger d'en faire connaÃtre les causes.]. Adieu, Vicomte; emparez-vous de Danceny, et conduisez-le. Il serait honteux que nous ne fissions pas ce que nous voulons de deux enfants. Si nous y trouvons plus de peine que nous ne l'avions cru d'abord, songeons, pour animer notre zÚle, vous, qu'il s'agit de la fille de Madame de Volanges, et moi, qu'elle doit devenir la femme de Gercourt. Adieu. De ..., ce 2 septembre l7**. LETTRE LII LE VICOMTE DE VALMONT A LA PRESIDENTE DE TOURVEL Vous me défendez, Madame, de vous parler de mon amour; mais oÃÂč trouver le courage nécessaire pour vous obéir? Uniquement occupé d'un sentiment qui devrait ÃÂȘtre si doux, et que vous rendez si cruel; languissant dans l'exil oÃÂč vous m'avez condamné; ne vivant que de privations et de regrets; en proie à des tourments d'autant plus douloureux, qu'ils me rappellent sans cesse votre indifférence; me faudra-t-il encore perdre la seule consolation qui me reste? et puis-je en avoir d'autre, que de vous ouvrir quelquefois une ùme que vous remplissez de trouble et d'amertume? Détournerez-vous vos regards, pour ne pas voir les pleurs que vous faites répandre? Refuserez-vous jusqu'à l'hommage des sacrifices que vous exigez? Ne serait-il donc pas plus digne de vous, de votre ùme honnÃÂȘte et douce, de plaindre un malheureux, qui ne l'est que par vous, que de vouloir encore aggraver ses peines, par une défense à la fois injuste et rigoureuse. Vous feignez de craindre l'Amour, et vous ne voulez pas voir que vous seule causez les maux que vous lui reprochez. Ah! sans doute, ce sentiment est pénible, quand l'objet qui l'inspire ne le partage point; mais oÃÂč trouver le bonheur, si un amour réciproque ne le procure pas? L'amitié tendre, la douce confiance et la seule qui soit sans réserve, les peines adoucies, les plaisirs augmentés, l'espoir enchanteur, les souvenirs délicieux, oÃÂč les trouver ailleurs que dans l'Amour? Vous le calomniez, vous qui, pour jouir de tous les biens qu'il vous offre, n'avez qu'à ne plus vous y refuser; et moi j'oublie les peines que j'éprouve, pour m'occuper à le défendre. Vous me forcez aussi à me défendre moi-mÃÂȘme; car tandis que je consacre ma vie à vous adorer, vous passez la vÎtre à me chercher des torts déjà vous me supposez léger et trompeur; et abusant, contre moi, de quelques erreurs, dont moi-mÃÂȘme je vous ai fait l'aveu, vous vous plaisez à confondre ce que j'étais alors, avec ce que je suis à présent. Non contente de m'avoir livré au tourment de vivre loin de vous, vous y joignez un persiflage cruel, sur des plaisirs auxquels vous savez assez combien vous m'avez rendu insensible. Vous ne croyez ni à mes promesses, ni à mes serments eh bien! il me reste un garant à vous offrir, qu'au moins vous ne suspecterez pas; c'est vous- mÃÂȘme. Je ne vous demande que de vous interroger de bonne foi; si vous ne croyez pas à mon amour, si vous doutez un moment de régner seule sur mon ùme, si vous n'ÃÂȘtes pas assurée d'avoir fixé ce cÅ“ur, en effet, jusqu'ici trop volage, je consens à porter la peine de cette erreur; j'en gémirai, mais n'en appellerai point mais si au contraire, nous rendant justice à tous deux, vous ÃÂȘtes forcée de convenir avec vous-mÃÂȘme que vous n'avez, que vous n'aurez jamais de rivale, ne m'obligez plus, je vous supplie, à combattre des chimÚres, et laissez-moi au moins cette consolation de vous voir ne plus douter d'un sentiment qui, en effet, ne finira, ne peut finir qu'avec ma vie. Permettez-moi, Madame, de vous prier de répondre positivement à cet article de ma Lettre. Si j'abandonne cependant cette époque de ma vie, qui paraÃt me nuire si cruellement auprÚs de vous, ce n'est pas qu'au besoin les raisons me manquassent pour la défendre. Qu'ai-je fait, aprÚs tout, que ne pas résister au tourbillon dans lequel j'avais été jeté? Entré dans le monde, jeune et sans expérience; passé, pour ainsi dire, de mains en mains, par une foule de femmes, qui toutes se hùtent de prévenir par leur facilité une réflexion qu'elles sentent devoir leur ÃÂȘtre défavorable; était-ce donc à moi de donner l'exemple d'une résistance qu'on ne m'opposait point? ou devais-je me punir d'un moment d'erreur, et que souvent on avait provoqué par une constance à coup sûr inutile, et dans laquelle on n'aurait vu qu'un ridicule? Eh! quel autre moyen qu'une prompte rupture peut justifier d'un choix honteux! Mais, je puis le dire, cette ivresse des sens, peut-ÃÂȘtre mÃÂȘme ce délire de la vanité, n'a point passé jusqu'à mon cÅ“ur. Né pour l'Amour, l'intrigue pouvait le distraire, et ne suffisait pas pour l'occuper; entouré d'objets séduisants, mais méprisables, aucun n'allait jusqu'à mon ùme on m'offrait des plaisirs, je cherchais des vertus; et moi-mÃÂȘme enfin je me crus inconstant, parce que j'étais délicat et sensible. C'est en vous voyant que je me suis éclairé bientÎt j'ai reconnu que le charme de l'Amour tenait aux qualités de l'ùme; qu'elles seules pouvaient en causer l'excÚs, et le justifier. Je sentis enfin qu'il m'était également impossible et de ne pas vous aimer, et d'en aimer une autre que vous. Voilà , Madame, quel est ce cÅ“ur auquel vous craignez de vous livrer, et sur le sort de qui vous avez à prononcer mais quel que soit le destin que vous lui réservez, vous ne changerez rien aux sentiments qui l'attachent à vous; ils sont inaltérables comme les vertus qui les ont fait naÃtre. De ..., ce 3 septembre 17** LETTRE LIII LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL J'ai vu Danceny, mais je n'en ai obtenu qu'une demi-confidence; il s'est obstiné, surtout, à me taire le nom de la petite Volanges, dont il ne m'a parlé que comme d'une femme trÚs sage, et mÃÂȘme un peu dévote à cela prÚs, il m'a raconté avec assez de vérité son aventure, et surtout le dernier événement. Je l'ai échauffé autant que j'ai pu, et l'ai beaucoup plaisanté sur sa délicatesse et ses scrupules; mais il paraÃt qu'il y tient, et je ne puis pas répondre de lui au reste, je pourrai vous en dire davantage aprÚs-demain. Je le mÚne demain à Versailles, et je m'occuperai à le scruter pendant la route. Le rendez-vous qui doit avoir eu lieu aujourd'hui me donne aussi quelque espérance il se pourrait que tout s'y fût passé à notre satisfaction; et peut-ÃÂȘtre ne nous reste-t-il à présent qu'à en arracher l'aveu, et à en recueillir les preuves. Cette besogne vous sera plus facile qu'à moi car la petite personne est plus confiante, ou, ce qui revient au mÃÂȘme, plus bavarde, que son discret Amoureux. Cependant j'y ferai mon possible. Adieu, ma belle amie, je suis fort pressé; je ne vous verrai ni ce soir, ni demain si de votre cÎté vous avez su quelque chose, écrivez-moi un mot pour mon retour. Je reviendrai sûrement coucher à Paris. De ..., ce 3 septembre 17**, au soir. LETTRE LIV LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT Oh! oui! c'est bien avec Danceny qu'il y a quelque chose à savoir! S'il vous l'a dit, il s'est vanté. Je ne connais personne si bÃÂȘte en amour, et je me reproche de plus en plus les bontés que nous avons pour lui. Savez-vous que j'ai pensé ÃÂȘtre compromise par rapport à lui! et que ce soit en pure perte! Oh! je m'en vengerai, je le promets. Quand j'arrivai hier pour prendre Madame de Volanges, elle ne voulait plus sortir; elle se sentait incommodée; il me fallut toute mon éloquence pour la décider, et je vis le moment que Danceny serait arrivé avant notre départ; ce qui eût été d'autant plus gauche que Madame de Volanges lui avait dit la veille qu'elle ne serait pas chez elle. Sa fille et moi, nous étions sur les épines. Nous sortÃmes enfin; et la petite me serra la main si affectueusement en me disant adieu, que malgré son projet de rupture, dont elle croyait de bonne foi s'occuper encore, j'augurai des merveilles de la soirée. Je n'étais pas au bout de mes inquiétudes. Il y avait à peine une demi-heure que nous étions chez Madame de *** que Madame de Volanges se trouva mal en effet, mais sérieusement mal; et comme de raison, elle voulait rentrer chez elle moi, je le voulais d'autant moins que j'avais peur, si nous surprenions les jeunes gens, comme il y avait tout à parier, que mes instances auprÚs de la mÚre, pour la faire sortir, ne lui devinssent suspectes. Je pris le parti de l'effrayer sur sa santé, ce qui heureusement n'est pas difficile; et je la tins une heure et demie, sans consentir à la ramener chez elle, dans la crainte que je feignis d'avoir du mouvement dangereux de la voiture. Nous ne rentrùmes enfin qu'à l'heure convenue. A l'air honteux que je remarquai en arrivant, j'avoue que j'espérai qu'au moins mes peines n'auraient pas été perdues. Le désir que j'avais d'ÃÂȘtre instruite me fit rester auprÚs de Madame de Volanges, qui se coucha aussitÎt, et aprÚs avoir soupé auprÚs de son lit, nous la laissùmes de trÚs bonne heure, sous le prétexte qu'elle avait besoin de repos; et nous passùmes dans l'appartement de sa fille. Celle-ci a fait de son cÎté tout ce que j'attendais d'elle; scrupules évanouis, nouveaux serments d'aimer toujours, etc., elle s'est enfin exécutée de bonne grùce mais le sot Danceny n'a pas passé d'une ligne le point oÃÂč il était auparavant. Oh! l'on peut se brouiller avec celui-là ; les raccommodements ne sont pas dangereux. La petite assure pourtant qu'il voulait davantage, mais qu'elle a su se défendre. Je parierais bien qu'elle se vante, ou qu'elle l'excuse; je m'en suis mÃÂȘme presque assurée. En effet, il m'a pris fantaisie de savoir à quoi m'en tenir sur la défense dont elle était capable; et moi, simple femme, de propos en propos, j'ai monté sa tÃÂȘte au point... Enfin vous pouvez m'en croire, jamais personne ne fut plus susceptible d'une surprise des sens. Elle est vraiment aimable, cette chÚre petite! Elle méritait un autre Amant; elle aura au moins une bonne amie, car je m'attache sincÚrement à elle. Je lui ai promis de la former et je crois que je lui tiendrai parole. Je me suis souvent aperçue du besoin d'avoir une femme dans ma confidence, et j'aimerais mieux celle-là qu'une autre; mais je ne puis en rien faire, tant qu'elle ne sera pas ce qu'il faut qu'elle soit; et c'est une raison de plus d'en vouloir à Danceny. Adieu, Vicomte; ne venez pas chez moi demain, à moins que ce ne soit le matin. J'ai cédé aux instances du Chevalier, pour une soirée de petite Maison. De ..., ce 4 septembre 17** LETTRE LV CECILE VOLANGES A SOPHIE CARNAY Tu avais raison, ma chÚre Sophie; tes prophéties réussissent mieux que tes conseils. Danceny, comme tu l'avais prédit, a été plus fort que le Confesseur, que toi, que moi-mÃÂȘme; et nous voilà revenus exactement oÃÂč nous en étions. Ah! je ne m'en repens pas; et toi, si tu m'en grondes ce sera faute de savoir le plaisir qu'il y a à aimer Danceny. Il t'est bien aisé de dire comme il faut faire, rien ne t'en empÃÂȘche; mais si tu avais éprouvé combien le chagrin de quelqu'un qu'on aime nous fait mal, comment sa joie devient la nÎtre, et comment il est difficile de dire non, quand c'est oui que l'on veut dire, tu ne t'étonnerais plus de rien moi-mÃÂȘme qui l'ai senti, bien vivement senti, je ne le comprends pas encore. Crois-tu, par exemple, que je puisse voir pleurer Danceny sans pleurer moi-mÃÂȘme? Je t'assure bien que cela m'est impossible; et quand il est content, je suis heureuse comme lui. Tu auras beau dire; ce qu'on dit ne change pas ce qui est, et je suis bien sûre que c'est comme ça. Je voudrais te voir à ma place... Non, ce n'est pas là ce que je veux dire, car sûrement je ne voudrais céder ma place à personne mais je voudrais que tu aimasses aussi quelqu'un; ce ne serait pas seulement pour que tu m'entendisses mieux, et que tu me grondasses moins; car c'est qu'aussi tu serais plus heureuse, ou, pour mieux dire, tu commencerais seulement alors à le devenir. Nos amusements, nos rires, tout cela, vois-tu, ce ne sont que des jeux d'enfants; il n'en reste rien aprÚs qu'ils sont passés. Mais l'Amour, ah! l'Amour!... un mot, un regard, seulement de le savoir là , eh bien! c'est le bonheur. Quand je vois Danceny, je ne désire plus rien; quand je ne le vois pas, je ne désire que lui. Je ne sais comment cela se fait mais on dirait que tout ce qui me plaÃt lui ressemble. Quand il n'est pas avec moi, j'y songe; et quand je peux y songer tout à fait, sans distraction, quand je suis toute seule, par exemple, je suis encore heureuse; je ferme les yeux, et tout de suite je crois le voir; je me rappelle ses discours, et je crois l'entendre; cela me fait soupirer; et puis je sens un feu, une agitation... Je ne saurais tenir en place. C'est comme un tourment, et ce tourment-là fait un plaisir inexprimable. Je crois mÃÂȘme que quand une fois on a de l'Amour, cela se répand jusque sur l'amitié. Celle que j'ai pour toi n'a pourtant pas changé; c'est toujours comme au Couvent mais ce que je te dis, je l'éprouve avec Madame de Merteuil. Il me semble que je l'aime plus comme Danceny que comme toi, et quelquefois je voudrais qu'elle fût lui. Cela vient peut-ÃÂȘtre de ce que ce n'est pas une amitié d'enfant comme la nÎtre; ou bien de ce que je les vois si souvent ensemble, ce qui fait que je me trompe. Enfin, ce qu'il y a de vrai, c'est qu'à eux deux, ils me rendent bien heureuse; et aprÚs tout, je ne crois pas qu'il y ait grand mal à ce que je fais. Aussi je ne demanderais qu'à rester comme je suis; et il n'y a que l'idée de mon mariage qui me fasse de la peine car si M. de Gercourt est comme on me l'a dit, et je n'en doute pas, je ne sais pas ce que je deviendrai. Adieu, ma Sophie; je t'aime toujours bien tendrement. De ..., ce 4 septembre 17** LETTRE LVI LA PRESIDENTE DE TOURVEL AU VICOMTE DE VALMONT A quoi vous servirait, Monsieur, la réponse que vous me demandez? Croire à vos sentiments, ne serait-ce pas une raison de plus pour les craindre? et sans attaquer ni défendre leur sincérité, ne me suffit-il pas, ne doit-il pas vous suffire à vous-mÃÂȘme, de savoir que je ne veux ni ne dois y répondre? Supposé que vous m'aimiez véritablement et c'est seulement pour ne plus revenir sur cet objet que je consens à cette supposition, les obstacles qui nous séparent en seraient-ils moins insurmontables? et aurais-je autre chose à faire qu'à souhaiter que vous puissiez bientÎt vaincre cet amour, et surtout à vous y aider de tout mon pouvoir, en me hùtant de vous Îter toute espérance? Vous convenez vous-mÃÂȘme que ce sentiment est pénible quand l'objet qui l'inspire ne le partage point . Or, vous savez assez qu'il m'est impossible de le partager, et quand mÃÂȘme ce malheur m'arriverait, j'en serais plus à plaindre, sans que vous en fussiez plus heureux. J'espÚre que vous m'estimez assez pour n'en pas douter un instant. Cessez donc, je vous en conjure, cessez de vouloir troubler un cÅ“ur à qui la tranquillité est si nécessaire; ne me forcez pas à regretter de vous avoir connu. Chérie et estimée d'un mari que j'aime et respecte, mes devoirs et mes plaisirs se rassemblent dans le mÃÂȘme objet. Je suis heureuse, je dois l'ÃÂȘtre. S'il existe des plaisirs plus vifs, je ne les désire pas; je ne veux point les connaÃtre. En est-il de plus doux que d'ÃÂȘtre en paix avec soi-mÃÂȘme, de n'avoir que des jours sereins, de s'endormir sans trouble, et de s'éveiller sans remords? Ce que vous appelez le bonheur n'est qu'un tumulte des sens, un orage des passions dont le spectacle est effrayant, mÃÂȘme à le regarder du rivage. Eh! comment affronter ces tempÃÂȘtes? comment oser s'embarquer sur une mer couverte des débris de mille et mille naufrages? Et avec qui? Non, Monsieur, je reste à terre; je chéris les liens qui m'y attachent. Je pourrais les rompre, que je ne le voudrais pas; si je ne les avais, je me hùterais de les prendre. Pourquoi vous attacher à mes pas? pourquoi vous obstiner à me suivre? Vos Lettres, qui devaient ÃÂȘtre rares, se succÚdent avec rapidité. Elles devaient ÃÂȘtre sages, et vous ne m'y parlez que de votre fol amour. Vous m'entourez de votre idée, plus que vous ne le faisiez de votre personne. Ecarté sous une forme, vous vous reproduisez sous une autre. Les choses qu'on vous demande de ne plus dire, vous les redites seulement d'une autre maniÚre. Vous vous plaisez à m'embarrasser par des raisonnements captieux; vous échappez aux miens. Je ne veux plus vous répondre, je ne vous répondrai plus... Comme vous traitez les femmes que vous avez séduites! avec quel mépris vous en parlez! Je veux croire que quelques-unes le méritent mais toutes sont-elles donc si méprisables? Ah! sans doute, puisqu'elles ont trahi leurs devoirs pour se livrer à un amour criminel. De ce moment, elles ont tout perdu, jusqu'à l'estime de celui à qui elles ont tout sacrifié. Ce supplice est juste, mais l'idée seule en fait frémir. Que m'importe, aprÚs tout? pourquoi m'occuperais-je d'elles ou de vous? de quel droit venez-vous troubler ma tranquillité? Laissez-moi, ne me voyez plus; ne m'écrivez plus, je vous en prie; je l'exige. Cette Lettre est la derniÚre que vous recevrez de moi. De ..., ce 5 septembre 17** LETTRE LVII LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL J'ai trouvé votre Lettre hier à mon arrivée. Votre colÚre m'a tout à fait réjoui. Vous ne sentiriez pas plus vivement les torts de Danceny, quand il les aurait eus vis-à -vis de vous. C'est sans doute par vengeance, que vous accoutumez sa MaÃtresse à lui faire de petites infidélités; vous ÃÂȘtes un bien mauvais sujet! Oui, vous ÃÂȘtes charmante, et je ne m'étonne pas qu'on vous résiste moins qu'à Danceny. Enfin je le sais par cÅ“ur, ce beau héros de Roman! il n'a plus de secret pour moi. Je lui ai tant dit que l'Amour honnÃÂȘte était le bien suprÃÂȘme, qu'un sentiment valait mieux que dix intrigues, que j'étais moi-mÃÂȘme, dans ce moment, amoureux et timide; il m'a trouvé enfin une façon de penser si conforme à la sienne, que dans l'enchantement oÃÂč il était de ma candeur, il m'a tout dit, et m'a juré une amitié sans réserve. Nous n'en sommes guÚre plus avancés pour notre projet. D'abord, il m'a paru que son systÚme était qu'une demoiselle mérite beaucoup plus de ménagements qu'une femme, comme ayant plus à perdre. Il trouve, surtout, que rien ne peut justifier un homme de mettre une fille dans la nécessité de l'épouser ou de vivre déshonorée, quand la fille est infiniment plus riche que l'homme, comme dans le cas oÃÂč il se trouve. La sécurité de la mÚre, la candeur de la fille, tout l'intimide et l'arrÃÂȘte. L'embarras ne serait point de combattre ses raisonnements, quelque vrais qu'ils soient. Avec un peu d'adresse et aidé par la passion, on les aurait bientÎt détruits; d'autant qu'ils prÃÂȘtent au ridicule, et qu'on aurait pour soi l'autorité de l'usage. Mais ce qui empÃÂȘche qu'il n'y ait de prise sur lui, c'est qu'il se trouve heureux comme il est. En effet, si les premiers amours paraissent, en général, plus honnÃÂȘtes, et comme on dit plus purs; s'ils sont au moins plus lents dans leur marche, ce n'est pas, comme on le pense, délicatesse ou timidité, c'est que le cÅ“ur, étonné par un sentiment inconnu, s'arrÃÂȘte pour ainsi dire à chaque pas, pour jouir du charme qu'il éprouve, et que ce charme est si puissant sur un cÅ“ur neuf, qu'il l'occupe au point de lui faire oublier tout autre plaisir. Cela est si vrai, qu'un libertin amoureux, si un libertin peut l'ÃÂȘtre, devient de ce moment mÃÂȘme moins pressé de jouir; et qu'enfin, entre la conduite de Danceny avec la petite Volanges, et la mienne avec la prude Madame de Tourvel, il n'y a que la différence du plus au moins. Il aurait fallu, pour échauffer notre jeune homme, plus d'obstacles qu'il n'en a rencontrés; surtout qu'il eût eu besoin de plus de mystÚre, car le mystÚre mÚne à l'audace. Je ne suis pas éloigné de croire que vous nous avez nui en le servant si bien; votre conduite eût été excellente avec un homme usagé , qui n'eût eu que des désirs mais vous auriez pu prévoir que pour un homme jeune, honnÃÂȘte et amoureux, le plus grand prix des faveurs est d'ÃÂȘtre la preuve de l'Amour; et que par conséquent, plus il serait sûr d'ÃÂȘtre aimé, moins il serait entreprenant. Que faire à présent? Je n'en sais rien; mais je n'espÚre pas que la petite soit prise avant le mariage, et nous en serons pour nos frais; j'en suis fùché, mais je n'y vois pas de remÚde. Pendant que je disserte ici, vous faites mieux avec votre Chevalier. Cela me fait songer que vous m'avez promis une infidélité en ma faveur, j'en ai votre promesse par écrit et je ne veux pas en faire un billet de la Chùtre. Je conviens que l'échéance n'est pas encore arrivée mais il serait généreux à vous de ne pas l'attendre; et de mon cÎté, je vous tiendrais compte des intérÃÂȘts. Qu'en dites-vous, ma belle amie? est-ce que vous n'ÃÂȘtes pas fatiguée de votre constance? Ce Chevalier est donc bien merveilleux? Oh! laissez-moi faire; je veux vous forcer de convenir que si vous lui avez trouvé quelque mérite, c'est que vous m'aviez oublié. Adieu, ma belle amie; je vous embrasse comme je vous désire; je défie tous les baisers du Chevalier d'avoir autant d'ardeur. De ..., ce 5 septembre 17** LETTRE LVIII LE VICOMTE DE VALMONT A LA PRESIDENTE DE TOURVEL Par oÃÂč ai-je donc mérité, Madame, et les reproches que vous me faites, et la colÚre que vous me témoignez? L'attachement le plus vif et pourtant le plus respectueux, la soumission la plus entiÚre à vos moindres volontés; voilà en deux mots l'histoire de mes sentiments et de ma conduite. Accablé par les peines d'un amour malheureux, je n'avais d'autre consolation que celle de vous voir vous m'avez ordonné de m'en priver; j'ai obéi sans me permettre un murmure. Pour prix de ce sacrifice, vous m'avez permis de vous écrire, et aujourd'hui vous voulez m'Îter cet unique plaisir. Me le laisserai-je ravir, sans essayer de le défendre? Non, sans doute eh! comment ne serait-il pas cher à mon cÅ“ur? c'est le seul qui me reste, et je le tiens de vous. Mes Lettres, dites-vous, sont trop fréquentes! Songez donc, je vous prie, que depuis dix jours que dure mon exil, je n'ai passé aucun moment sans m'occuper de vous, et que cependant vous n'avez reçu que deux Lettres de moi. Je ne vous y parle que de mon amour ! eh! que puis-je dire, que ce que je pense? tout ce que j'ai pu faire a été d'en affaiblir l'expression; et vous pouvez m'en croire, je ne vous en ai laissé voir que ce qu'il m'a été impossible d'en cacher. Vous me menacez enfin de ne plus me répondre. Ainsi l'homme qui vous préfÚre à tout et qui vous respecte encore plus qu'il ne vous aime, non contente de le traiter avec rigueur, vous voulez y joindre le mépris! Et pourquoi ces menaces et ce courroux? qu'en avez-vous besoin? n'ÃÂȘtes-vous pas sûre d'ÃÂȘtre obéie, mÃÂȘme dans vos ordres injustes? m'est-il donc possible de contrarier aucun de vos désirs, et ne l'ai-je pas déjà prouvé? Mais abuserez- vous de cet empire que vous avez sur moi? AprÚs m'avoir rendu malheureux, aprÚs ÃÂȘtre devenue injuste, vous sera-t-il donc bien facile de jouir de cette tranquillité que vous assurez vous ÃÂȘtre si nécessaire? ne vous direz-vous jamais Il m'a laissée maÃtresse de son sort, et j'ai fait son malheur? il implorait mes secours, et je l'ai regardé sans pitié? Savez-vous jusqu'oÃÂč peut aller mon désespoir? non. Pour calculer mes maux, il faudrait savoir à quel point je vous aime, et vous ne connaissez pas mon cÅ“ur. A quoi me sacrifiez-vous? à des craintes chimériques. Et qui vous les inspire? un homme qui vous adore; un homme sur qui vous ne cesserez jamais d'avoir un empire absolu. Que craignez-vous, que pouvez-vous craindre d'un sentiment que vous serez toujours maÃtresse de diriger à votre gré? Mais votre imagination se crée des monstres, et l'effroi qu'ils vous causent, vous l'attribuez à l'Amour. Un peu de confiance, et ces fantÎmes disparaÃtront. Un Sage a dit que pour dissiper ses craintes il suffisait presque toujours d'en approfondir la cause [On croit que c'est Rousseau dans Emile, mais la citation n'est pas exacte, et l'application qu'en fait Valmont est bien fausse; et puis, Madame de Tourvel avait-elle lu Emile?]. C'est surtout en amour que cette vérité trouve son application. Aimez, et vos craintes s'évanouiront. A la place des objets qui vous effrayent, vous trouverez un sentiment délicieux, un Amant tendre et soumis; et tous vos jours, marqués par le bonheur, ne vous laisseront d'autre regret que d'en avoir perdu quelques-uns dans l'indifférence. Moi-mÃÂȘme, depuis que, revenu de mes erreurs, je n'existe plus que pour l'Amour, je regrette un temps que je croyais avoir passé dans les plaisirs; et je sens que c'est à vous seule qu'il appartient de me rendre heureux. Mais, je vous en supplie, que le plaisir que je trouve à vous écrire ne soit plus troublé par la crainte de vous déplaire. Je ne veux pas vous désobéir; mais je suis à vos genoux, j'y réclame le bonheur que vous voulez me ravir, le seul que vous m'avez laissé; je vous crie écoutez mes priÚres, et voyez mes larmes; ah! Madame, me refuserez-vous? De ..., ce 7 septembre 17** LETTRE LIX LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Apprenez-moi, si vous savez, ce que signifie ce radotage de Danceny. Qu'est- il donc arrivé, et qu'est-ce qu'il a perdu? Sa Belle s'est peut-ÃÂȘtre fùchée de son respect éternel? Il faut ÃÂȘtre juste, on se fùcherait à moins. Que lui dirai-je ce soir, au rendez-vous qu'il me demande, et que je lui ai donné à tout hasard? Assurément je ne perdrai pas mon temps à écouter ses doléances, si cela ne doit nous mener à rien. Les complaintes amoureuses ne sont bonnes à entendre qu'en récitatifs obligés, ou en grandes ariettes. Instruisez-moi donc de ce qui est et de ce que je dois faire; ou bien je déserte, pour éviter l'ennui que je prévois. Pourrai-je causer avec vous ce matin? Si vous ÃÂȘtes occupée , au moins écrivez-moi un mot, et donnez-moi les réclames de mon rÎle. OÃÂč étiez-vous donc hier? Je ne parviens plus à vous voir. En vérité, ce n'était pas la peine de me retenir à Paris au mois de Septembre. Décidez-vous pourtant, car je viens de recevoir une invitation fort pressante de la Comtesse de B**, pour aller la voir à la campagne; et, comme elle me le mande assez plaisamment, " son mari a le plus beau bois du monde, qu'il conserve soigneusement pour les plaisirs de ses amis " . Or, vous savez que j'ai bien quelques droits, sur ce bois-là ; et j'irai le revoir si je ne vous suis pas utile. Adieu, songez que Danceny sera chez moi sur les quatre heures. De ..., ce 8 septembre 17** LETTRE LX LE CHEVALIER DANCENY AU VICOMTE DE VALMONT INCLUSE DANS LA PRECEDENTE. Ah! Monsieur, je suis désespéré, j'ai tout perdu. Je n'ose confier au papier le secret de mes peines mais j'ai besoin de les répandre dans le sein d'un ami fidÚle et sûr. A quelle heure pourrais-je vous voir, et aller chercher auprÚs de vous des consolations et des conseils? J'étais si heureux le jour oÃÂč je vous ouvris mon ùme! A présent, quelle différence! tout est changé pour moi. Ce que je souffre pour mon compte n'est encore que la moindre partie de mes tourments; mon inquiétude sur un objet bien plus cher, voilà ce que je ne puis supporter. Plus heureux que moi, vous pourrez la voir, et j'attends de votre amitié que vous ne me refuserez pas cette démarche mais il faut que je vous parle, que je vous instruise. Vous me plaindrez, vous me secourrez; je n'ai d'espoir qu'en vous. Vous ÃÂȘtes sensible, vous connaissez l'Amour, et vous ÃÂȘtes le seul à qui je puisse me confier; ne me refusez pas vos secours. Adieu, Monsieur; le seul soulagement que j'éprouve dans ma douleur est de songer qu'il me reste un ami tel que vous. Faites-moi savoir, je vous prie, à quelle heure je pourrai vous trouver. Si ce n'est pas ce matin, je désirerais que ce fût de bonne heure dans l'aprÚs-midi. De ..., ce 8 septembre 17** LETTRE LXI CECILE VOLANGES A SOPHIE CARNAY Ma chÚre Sophie, plains ta Cécile, ta pauvre Cécile; elle est bien malheureuse! Maman sait tout. Je ne conçois pas comment elle a pu se douter de quelque chose, et pourtant elle a tout découvert. Hier au soir, Maman me parut bien avoir un peu d'humeur; mais je n'y fis pas grande attention; et mÃÂȘme en attendant que sa partie fût finie, je causai trÚs gaiement avec Madame de Merteuil qui avait soupé ici, et nous parlùmes beaucoup de Danceny. Je ne crois pourtant pas qu'on ait pu nous entendre. Elle s'en alla, et je me retirai dans mon appartement. Je me déshabillais, quand Maman entra et fit sortir ma Femme de chambre; elle me demanda la clef de mon secrétaire. Le ton dont elle me fit cette demande me causa un tremblement si fort que je pouvais à peine me soutenir. Je faisais semblant de ne la pas trouver, mais enfin il fallut obéir. Le premier tiroir qu'elle ouvrit fut justement celui oÃÂč étaient les Lettres du Chevalier Danceny. J'étais si troublée, que quand elle me demanda ce que c'était, je ne sus lui répondre autre chose, sinon que ce n'était rien; mais quand je la vis commencer à lire celle qui se présentait la premiÚre, je n'eus que le temps de gagner un fauteuil, et je me trouvai mal au point que je perdis connaissance. AussitÎt que je revins à moi, ma mÚre, qui avait appelé ma Femme de chambre, se retira, en me disant de me coucher. Elle a emporté toutes les Lettres de Danceny. Je frémis toutes les fois que je songe qu'il me faudra reparaÃtre devant elle. Je n'ai fait que pleurer toute la nuit. Je t'écris au point du jour, dans l'espoir que Joséphine viendra. Si je peux lui parler seule, je la prierai de remettre chez Madame de Merteuil un petit billet que je vas lui écrire; sinon, je le mettrai dans ta Lettre, et tu voudras bien l'envoyer comme de toi. Ce n'est que d'elle que je puis recevoir quelque consolation. Au moins, nous parlerons de lui, car je n'espÚre plus le voir. Je suis bien malheureuse! Elle aura peut-ÃÂȘtre la bonté de se charger d'une Lettre pour Danceny. Je n'ose pas me confier à Joséphine pour cet objet, et encore moins à ma Femme de chambre; car c'est peut-ÃÂȘtre elle qui aura dit à ma mÚre que j'avais des Lettres dans mon secrétaire. Je ne t'écrirai pas plus longuement, parce que je veux avoir le temps d'écrire à Madame de Merteuil, et aussi à Danceny, pour avoir ma Lettre toute prÃÂȘte, si elle veut bien s'en charger. AprÚs cela, je me recoucherai, pour qu'on me trouve au lit quand on entrera dans ma chambre. Je dirai que je suis malade, pour me dispenser de passer chez Maman. Je ne mentirai pas beaucoup; sûrement je souffre plus que si j'avais la fiÚvre. Les yeux me brûlent à force d'avoir pleuré; et j'ai un poids sur l'estomac, qui m'empÃÂȘche de respirer. Quand je songe que je ne verrai plus Danceny, je voudrais ÃÂȘtre morte. Adieu, ma chÚre Sophie. Je ne peux t'en dire davantage; les larmes me suffoquent. De ..., ce 7 septembre 17** Nota. On a supprimé la Lettre de Cécile Volanges à la Marquise, parce qu'elle ne contenait que les mÃÂȘmes faits de la Lettre précédente, et avec moins de détails. Celle au Chevalier Danceny ne s'est point retrouvée on en verra la raison dans la Lettre LXIII, de Madame de Merteuil au Vicomte. LETTRE LXII MADAME DE VOLANGES AU CHEVALIER DANCENY AprÚs avoir abusé, Monsieur, de la confiance d'une mÚre et de l'innocence d'un enfant, vous ne serez pas surpris, sans doute, de ne plus ÃÂȘtre reçu dans une maison oÃÂč vous n'avez répondu aux preuves de l'amitié la plus sincÚre, que par l'oubli de tous les procédés. Je préfÚre de vous prier de ne plus venir chez moi, à donner des ordres à ma porte, qui nous compromettraient tous également, par les remarques que les Valets ne manqueraient pas de faire. J'ai droit d'espérer que vous ne me forcerez pas de recourir à ce moyen. Je vous préviens aussi que si vous faites à l'avenir la moindre tentative pour entretenir ma fille dans l'égarement oÃÂč vous l'avez plongée, une retraite austÚre et éternelle la soustraira à vos poursuites. C'est à vous de voir, Monsieur, si vous craindrez aussi peu de causer son infortune, que vous avez peu craint de tenter son déshonneur. Quant à moi, mon choix est fait, et je l'en ai instruite. Vous trouverez ci-joint le paquet de vos Lettres. Je compte que vous me renverrez en échange toutes celles de ma fille; et que vous vous prÃÂȘterez à ne laisser aucune trace d'un événement dont nous ne pourrions garder le souvenir, moi sans indignation, elle sans honte, et vous sans remords. J'ai l'honneur d'ÃÂȘtre, etc. De ..., ce 7 septembre 17** LETTRE LXIII LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT Vraiment, oui, je vous expliquerai le billet de Danceny. L'événement qui le lui a fait écrire est mon ouvrage, et c'est, je crois, mon chef-d'Å“uvre. Je n'ai pas perdu mon temps depuis votre derniÚre lettre, et j'ai dit comme l'Architecte Athénien " Ce qu'il a dit, je le ferai. " Il lui faut donc des obstacles à ce beau Héros de Roman, et il s'endort dans la félicité! oh! qu'il s'en rapporte à moi, je lui donnerai de la besogne; et je me trompe, ou son sommeil ne sera plus tranquille. Il fallait bien lui apprendre le prix du temps, et je me flatte qu'à présent il regrette celui qu'il a perdu. Il fallait, dites-vous aussi, qu'il eût besoin de plus de mystÚre; eh bien! ce besoin-là ne lui manquera plus. J'ai cela de bon, moi, c'est qu'il ne faut que me faire apercevoir de mes fautes; je ne prends point de repos que je n'aie tout réparé. Apprenez donc ce que j'ai fait. En rentrant chez moi avant-hier matin, je lus votre Lettre; je la trouvai lumineuse. Persuadée que vous aviez trÚs bien indiqué la cause du mal, je ne m'occupai plus qu'à trouver le moyen de le guérir. Je commençai pourtant par me coucher; car l'infatigable Chevalier ne m'avait pas laissée dormir un moment, et je croyais avoir sommeil mais point du tout; tout entiÚre à Danceny, le désir de le tirer de son indolence, ou de l'en punir, ne me permit pas de fermer l'oeil, et ce ne fut qu'aprÚs avoir bien concerté mon plan, que je pus trouver deux heures de repos. J'allai le soir mÃÂȘme chez Madame de Volanges, et, suivant mon projet, je lui fis confidence que je me croyais sûre qu'il existait entre sa fille et Danceny une liaison dangereuse. Cette femme, si clairvoyante contre vous, était aveuglée au point qu'elle me répondit d'abord qu'à coup sûr je me trompais; que sa fille était un enfant, etc. Je ne pouvais pas lui dire tout ce que j'en savais; mais je citai des regards, des propos, dont ma vertu et mon amitié s'alarmaient . Je parlai enfin presque aussi bien qu'aurait pu faire une Dévote, et, pour frapper le coup décisif, j'allai jusqu'à dire que je croyais avoir vu donner et recevoir une Lettre. Cela me rappelle, ajoutai-je, qu'un jour elle ouvrit devant moi un tiroir de son secrétaire, dans lequel je vis beaucoup de papiers, que sans doute elle conserve. Lui connaissez-vous quelque correspondance fréquente? Ici la figure de Madame de Volanges changea, et je vis quelques larmes rouler dans ses yeux. Je vous remercie, ma digne amie, me dit-elle, en me serrant la main, je m'en éclaircirai. AprÚs cette conversation, trop courte pour ÃÂȘtre suspecte, je me rapprochai de la jeune personne. Je la quittai bientÎt aprÚs, pour demander à la mÚre de ne pas me compromettre vis-à -vis de sa fille, ce qu'elle me promit d'autant plus volontiers, que je lui fis observer combien il serait heureux que cet enfant prÃt assez de confiance en moi pour m'ouvrir son cÅ“ur et me mettre à portée de lui donner mes sages conseils. Ce qui m'assure qu'elle tiendra sa promesse, c'est que je ne doute pas qu'elle ne veuille se faire honneur de sa pénétration auprÚs de sa fille. Je me trouvais, par là , autorisée à garder mon ton d'amitié avec la petite, sans paraÃtre fausse aux yeux de Madame de Volanges; ce que je voulais éviter. J'y gagnais encore d'ÃÂȘtre, par la suite, aussi longtemps et aussi secrÚtement que je voudrais, avec la jeune personne, sans que la mÚre en prÃt jamais d'ombrage. J'en profitai dÚs le soir mÃÂȘme; et aprÚs ma partie finie, je chambrai la petite dans un coin, et la mis sur le chapitre de Danceny, sur lequel elle ne tarit jamais. Je m'amusais à lui monter la tÃÂȘte sur le plaisir qu'elle aurait à le voir le lendemain; il n'est sorte de folies que je ne lui aie fait dire. Il fallait bien lui rendre en espérance ce que je lui Îtais en réalité; et puis, tout cela devait lui rendre le coup plus sensible, et je suis persuadée que plus elle aura souffert, plus elle sera pressée de s'en dédommager à la premiÚre occasion. Il est bon, d'ailleurs, d'accoutumer aux grands événements quelqu'un qu'on destine aux grandes aventures. AprÚs tout, ne peut-elle pas payer de quelques larmes le plaisir d'avoir son Danceny? elle en raffole! eh bien, je lui promets qu'elle l'aura, et plus tÎt mÃÂȘme qu'elle ne l'aurait eu sans cet orage. C'est un mauvais rÃÂȘve dont le réveil sera délicieux; et, à tout prendre, il me semble qu'elle me doit de la reconnaissance au fait, quand j'y aurais mis un peu de malice, il faut bien s'amuser Les sots sont ici-bas pour nos menus plaisirs. [Gresset. Le Méchant, Comédie] Je me retirai enfin, fort contente de moi. Ou Danceny, me disais-je, animé par les obstacles, va redoubler d'amour, et alors je le servirai de tout mon pouvoir; ou si ce n'est qu'un sot comme je suis tentée quelquefois de le croire, il sera désespéré, et se tiendra pour battu or, dans ce cas, au moins me serai-je vengée de lui, autant qu'il était en moi; chemin faisant j'aurai augmenté pour moi l'estime de la mÚre, l'amitié de la fille, et la confiance de toutes deux. Quant à Gercourt, premier objet de mes soins, je serais bien malheureuse ou bien maladroite, si, maÃtresse de l'esprit de sa femme, comme je le suis et vas l'ÃÂȘtre plus encore, je ne trouvais pas mille moyens d'en faire ce que je veux qu'il soit. Je me couchai dans ces douces idées aussi je dormis, et me réveillai fort tard. A mon réveil, je trouvai deux billets, un de la mÚre, et un de la fille; et je ne pus m'empÃÂȘcher de rire, en trouvant dans tous deux littéralement cette mÃÂȘme phrase C'est de vous seule que j'attends quelque consolation . N'est-il pas plaisant, en effet, de consoler pour et contre, et d'ÃÂȘtre le seul agent de deux intérÃÂȘts directement contraires? Me voilà comme la Divinité; recevant les vÅ“ux opposés des aveugles mortels, et ne changeant rien à mes décrets immuables. J'ai quitté pourtant ce rÎle auguste, pour prendre celui d'Ange consolateur; et j'ai été, suivant le précepte, visiter mes amis dans leur affliction. J'ai commencé par la mÚre; je l'ai trouvée d'une tristesse, qui déjà vous venge en partie des contrariétés qu'elle vous a fait éprouver de la part de votre belle Prude. Tout a réussi à merveille ma seule inquiétude était que Madame de Volanges ne profitùt de ce moment pour gagner la confiance de sa fille; ce qui eût été bien facile, en n'employant, avec elle, que le langage de la douceur et de l'amitié; et en donnant aux conseils de la raison, l'air et le ton de la tendresse indulgente. Par bonheur, elle s'est armée de sévérité; elle s'est enfin si mal conduite, que je n'ai eu qu'à applaudir. Il est vrai qu'elle a pensé rompre tous nos projets, par le parti qu'elle avait pris de faire rentrer sa fille au Couvent mais j'ai paré ce coup; et je l'ai engagée à en faire seulement la menace, dans le cas oÃÂč Danceny continuerait ses poursuites afin de les forcer tous deux à une circonspection que je crois nécessaire pour le succÚs. Ensuite j'ai été chez la fille. Vous ne sauriez croire combien la douleur l'embellit! Pour peu qu'elle prenne de coquetterie, je vous garantis qu'elle pleurera souvent pour cette fois, elle pleurait sans malice... Frappée de ce nouvel agrément que je ne lui connaissais pas, et que j'étais bien aise d'observer, je ne lui donnai d'abord que de ces consolations gauches, qui augmentent plus les peines qu'elles ne les soulagent; et, par ce moyen, je l'amenai au point d'ÃÂȘtre véritablement suffoquée. Elle ne pleurait plus, et je craignis un moment les convulsions. Je lui conseillai de se coucher, ce qu'elle accepta; je lui servis de Femme de chambre elle n'avait point fait de toilette, et bientÎt ses cheveux épars tombÚrent sur ses épaules et sur sa gorge entiÚrement découvertes; je l'embrassai; elle se laissa aller dans mes bras, et ses larmes recommencÚrent à couler sans effort. Dieu! qu'elle était belle! Ah! si Madeleine était ainsi, elle dut ÃÂȘtre bien plus dangereuse pénitente que pécheresse. Quand la belle désolée fut au lit, je me mis à la consoler de bonne foi. Je la rassurai d'abord sur la crainte du Couvent. Je fis naÃtre en elle l'espoir de voir Danceny en secret; et m'asseyant sur le lit " S'il était là " , lui dis-je; puis brodant sur ce thÚme, je la conduisis, de distraction en distraction, à ne plus se souvenir du tout qu'elle était affligée. Nous nous serions séparées parfaitement contentes l'une et l'autre, si elle n'avait voulu me charger d'une Lettre pour Danceny; ce que j'ai constamment refusé. En voici les raisons, que vous approuverez sans doute. D'abord, celle que c'était me compromettre vis-à -vis de Danceny; et si c'était la seule dont je pus me servir avec la petite, il y en avait beaucoup d'autres de vous à moi. Ne serait-ce pas risquer le fruit de mes travaux que de donner sitÎt à nos jeunes gens un moyen si facile d'adoucir leurs peines? Et puis, je ne serais pas fùchée de les obliger à mÃÂȘler quelques domestiques dans cette aventure; car enfin si elle se conduit à bien, comme je l'espÚre, il faudra qu'elle se sache immédiatement aprÚs le mariage; et il y a peu de moyens plus sûrs pour la répandre; ou, si par miracle ils ne parlaient pas, nous parlerions, nous, et il sera plus commode de mettre l'indiscrétion sur leur compte. Il faudra donc que vous donniez aujourd'hui cette idée à Danceny; et comme je ne suis pas sûre de la Femme de chambre de la petite Volanges, dont elle- mÃÂȘme paraÃt se défier, indiquez-lui la mienne, ma fidÚle Victoire. J'aurai soin que la démarche réussisse. Cette idée me plaÃt d'autant plus, que la confidence ne sera utile qu'à nous, et point à eux car je ne suis pas à la fin de mon récit. Pendant que je me défendais de me charger de la Lettre de la petite, je craignais à tout moment qu'elle ne me proposùt de la mettre à la Petite-Poste; ce que je n'aurais guÚre pu refuser. Heureusement, soit trouble, soit ignorance de sa part, ou encore qu'elle tÃnt moins à la Lettre qu'à la Réponse, qu'elle n'aurait pas pu avoir par ce moyen, elle ne m'en a point parlé mais pour éviter que cette idée ne lui vÃnt, ou au moins qu'elle ne pût s'en servir, j'ai pris mon parti sur-le-champ; et en rentrant chez la mÚre, je l'ai décidée à éloigner sa fille pour quelque temps, à la mener à la Campagne... Et oÃÂč? Le cÅ“ur ne vous bat pas de joie?... Chez votre tante, chez la vieille Rosemonde. Elle doit l'en prévenir aujourd'hui ainsi vous voilà autorisé à aller retrouver votre Dévote qui n'aura plus à vous objecter le scandale du tÃÂȘte-à -tÃÂȘte, et grùce à mes soins, Madame de Volanges réparera elle-mÃÂȘme le tort qu'elle vous a fait. Mais écoutez-moi, et ne vous occupez pas si vivement de vos affaires, que vous perdiez celle-ci de vue; songez qu'elle m'intéresse. Je veux que vous vous rendiez le correspondant et le conseil des deux jeunes gens. Apprenez donc ce voyage à Danceny, et offrez-lui vos services. Ne trouvez de difficulté qu'à faire parvenir entre les mains de la Belle votre Lettre de créance; et levez cet obstacle sur-le-champ, en lui indiquant la voie de ma Femme de chambre. Il n'y a point de doute qu'il n'accepte; et vous aurez pour prix de vos peines la confidence d'un cÅ“ur neuf, qui est toujours intéressante. La pauvre petite! comme elle rougira en vous remettant sa premiÚre Lettre! Au vrai, ce rÎle de confident, contre lequel il s'est établi des préjugés, me paraÃt un trÚs joli délassement, quand on est occupé d'ailleurs; et c'est le cas oÃÂč vous serez. C'est de vos soins que va dépendre le dénouement de cette intrigue. Jugez du moment oÃÂč il faudra réunir les Acteurs. La Campagne offre mille moyens; et Danceny à coup sûr, sera prÃÂȘt à s'y rendre à votre premier signal. Une nuit, un déguisement, une fenÃÂȘtre... que sais-je, moi? Mais enfin, si la petite fille en revient telle qu'elle y aura été, je m'en prendrai à vous. Si vous jugez qu'elle ait besoin de quelque encouragement de ma part, mandez-le-moi. Je crois lui avoir donné une assez bonne leçon sur le danger de garder des Lettres, pour oser lui écrire à présent; et je suis toujours dans le dessein d'en faire mon élÚve. Je crois avoir oublié de vous dire que ses soupçons au sujet de sa correspondance trahie s'étaient portés d'abord sur sa Femme de chambre, et que je les ai détournés sur le Confesseur. C'est faire d'une pierre deux coups. Adieu, Vicomte; voilà bien longtemps que je suis à vous écrire, et mon dÃner en a été retardé mais l'amour-propre et l'amitié dictaient ma Lettre, et tous deux sont bavards. Au reste, elle sera chez vous à trois heures, et c'est tout ce qu'il vous faut. Plaignez-vous de moi à présent, si vous l'osez; et allez revoir, si vous en ÃÂȘtes tenté, le bois du Comte de B***. Vous dites qu'il le garde pour le plaisir de ses amis! Cet homme est donc l'ami de tout le monde? Mais adieu, j'ai faim. De ..., ce 9 septembre 17** LETTRE LXIV LE CHEVALIER DANCENY A MADAME DE VOLANGES MINUTE JOINTE A LA LETTRE LXVI DU VICOMTE A LA MARQUISE. Sans chercher, Madame, à justifier ma conduite, et sans me plaindre de la vÎtre, je ne puis que m'affliger d'un événement qui fait le malheur de trois personnes, toutes trois dignes d'un sort plus heureux. Plus sensible encore au chagrin d'en ÃÂȘtre la cause qu'à celui d'en ÃÂȘtre victime, j'ai souvent essayé, depuis hier, d'avoir l'honneur de vous répondre sans pouvoir en trouver la force. J'ai cependant tant de choses à vous dire qu'il faut bien faire un effort sur soi-mÃÂȘme; et si cette Lettre a peu d'ordre et de suite, vous devez sentir assez combien ma situation est douloureuse, pour m'accorder quelque indulgence. Permettez-moi d'abord de réclamer contre la premiÚre phrase de votre Lettre. Je n'ai abusé, j'ose le dire, ni de votre confiance ni de l'innocence de Mademoiselle de Volanges; j'ai respecté l'une et l'autre dans mes actions. Elles seules dépendaient de moi; et quand vous me rendriez responsable d'un sentiment involontaire, je ne crains pas d'ajouter que celui que m'a inspiré Mademoiselle votre fille est tel qu'il peut vous déplaire, mais non vous offenser. Sur cet objet qui me touche plus que je ne puis vous dire, je ne veux que vous pour juge, et mes Lettres pour témoins. Vous me défendez de me présenter chez vous à l'avenir, et sans doute je me soumettrai à tout ce qu'il vous plaira d'ordonner à ce sujet mais cette absence subite et totale ne donnera-t-elle donc pas autant de prise aux remarques que vous voulez éviter, que l'ordre que, par cette raison mÃÂȘme, vous n'avez point voulu donner à votre porte? J'insisterai d'autant plus sur ce point, qu'il est bien plus important pour Mademoiselle de Volanges que pour moi. Je vous supplie donc de peser attentivement toutes choses, et de ne pas permettre que votre sévérité altÚre votre prudence. Persuadé que l'intérÃÂȘt seul de Mademoiselle votre fille dictera vos résolutions, j'attendrai de nouveaux ordres de votre part. Cependant, dans le cas oÃÂč vous me permettriez de vous faire ma cour quelquefois, je m'engage, Madame et vous pouvez compter sur ma promesse, à ne point abuser de ces occasions pour tenter de parler en particulier à Mademoiselle de Volanges, ou de lui faire tenir aucune Lettre. La crainte de ce qui pourrait compromettre sa réputation m'engage à ce sacrifice; et le bonheur de la voir quelquefois m'en dédommagera. Cet article de ma Lettre est aussi la seule réponse que je puisse faire à ce que vous me dites sur le sort que vous destinez à Mademoiselle de Volanges, et que vous voulez rendre dépendant de ma conduite. Ce serait vous tromper que de vous promettre davantage. Un vil séducteur peut plier ses projets aux circonstances, et calculer avec les événements mais l'Amour qui m'anime ne me permet que deux sentiments le courage et la constance. Qui, moi! consentir à ÃÂȘtre oublié de Mademoiselle de Volanges, à l'oublier moi-mÃÂȘme? non, non jamais! Je lui serai fidÚle; elle en a reçu le serment, et je le renouvelle en ce jour. Pardon, Madame, je m'égare, il faut revenir. Il me reste un autre objet à traiter avec vous, celui des Lettres que vous me demandez. Je suis vraiment peiné d'ajouter un refus aux torts que vous me trouvez déjà mais, je vous en supplie, écoutez mes raisons, et daignez vous souvenir, pour les apprécier, que la seule consolation au malheur d'avoir perdu votre amitié est l'espoir de conserver votre estime. Les Lettres de Mademoiselle de Volanges, toujours si précieuses pour moi, me le deviennent bien plus dans ce moment. Elles sont l'unique bien qui me reste; elles seules me retracent encore un sentiment qui fait tout le charme de ma vie. Cependant, vous pouvez m'en croire, je ne balancerais pas un instant à vous en faire le sacrifice, et le regret d'en ÃÂȘtre privé céderait au désir de vous prouver ma déférence respectueuse; mais des considérations puissantes me retiennent, et je m'assure que vous-mÃÂȘme ne pourrez les blùmer. Vous avez, il est vrai, le secret de Mademoiselle de Volanges; mais permettez- moi de le dire, je suis autorisé à croire que c'est l'effet de la surprise, et non de la confiance. Je ne prétends pas blùmer une démarche qu'autorise, peut-ÃÂȘtre, la sollicitude maternelle. Je respecte vos droits, mais ils ne vont pas jusqu'à me dispenser de mes devoirs. Le plus sacré de tous est de ne jamais trahir la confiance qu'on nous accorde. Ce serait y manquer, que d'exposer aux yeux d'un autre les secrets d'un cÅ“ur qui n'a voulu les dévoiler qu'aux miens. Si Mademoiselle votre fille consent à vous les confier, qu'elle parle; ses Lettres vous sont inutiles. Si elle veut, au contraire, renfermer son secret en elle- mÃÂȘme, vous n'attendez pas, sans doute, que ce soit moi qui vous en instruise. Quant au mystÚre dans lequel vous désirez que cet événement reste enseveli, soyez tranquille, Madame; sur tout ce qui intéresse Mademoiselle de Volanges, je peux défier le cÅ“ur mÃÂȘme d'une mÚre. Pour achever de vous Îter toute inquiétude, j'ai tout prévu. Ce dépÎt précieux, qui portait jusqu'ici pour suscription papiers à brûler porte à présent papiers appartenant à Madame de Volanges . Ce parti que je prends doit vous prouver ainsi que mes refus ne portent pas sur la crainte que vous trouviez dans ces lettres un seul sentiment dont vous ayez personnellement à vous plaindre. Voilà , Madame, une bien longue Lettre. Elle ne le serait pas encore assez, si elle vous laissait le moindre doute de l'honnÃÂȘteté de mes sentiments, du regret bien sincÚre de vous avoir déplu, et du profond respect avec lequel j'ai l'honneur d'ÃÂȘtre, etc. De ..., ce 9 septembre17** LETTRE LXV LE CHEVALIER DANCENY A CECILE VOLANGES ENVOYEE OUVERTE A LA MARQUISE DE MERTEUIL DANS LA LETTRE LXVI DU VICOMTE. Ô ma Cécile, qu'allons-nous devenir? quel Dieu nous sauvera des malheurs qui nous menacent? Que l'Amour nous donne au moins le courage de les supporter! Comment vous peindre mon étonnement, mon désespoir à la vue de mes Lettres, à la lecture du billet de Madame de Volanges? qui a pu nous trahir? sur qui tombent vos soupçons? auriez-vous commis quelque imprudence? que faites-vous à présent? que vous a-t-on dit? Je voudrais tout savoir, et j'ignore tout. Peut-ÃÂȘtre vous-mÃÂȘme n'ÃÂȘtes-vous pas plus instruite que moi. Je vous envoie le billet de votre maman, et la copie de ma Réponse. J'espÚre que vous approuverez ce que je lui dis. J'ai bien besoin que vous approuviez aussi les démarches que j'ai faites depuis ce fatal événement, elles ont toutes pour but d'avoir de vos nouvelles, de vous donner des miennes; et, que sait- on? peut-ÃÂȘtre de vous revoir encore, et plus librement que jamais. Concevez-vous, ma Cécile, quel plaisir de nous retrouver ensemble, de pouvoir nous jurer de nouveau un amour éternel, et de voir dans nos yeux, de sentir dans nos ùmes que ce serment ne sera pas trompeur? Quelles peines un moment si doux ne ferait-il pas oublier? Hé bien! j'ai l'espoir de le voir naÃtre, et je le dois à ces mÃÂȘmes démarches que je vous supplie d'approuver. Que dis-je? je le dois aux soins consolateurs de l'ami le plus tendre; et mon unique demande est que vous permettiez que cet ami soit aussi le vÎtre. Peut-ÃÂȘtre ne devais-je pas donner votre confiance sans votre aveu? mais j'ai pour excuse le malheur et la nécessité. C'est l'amour qui m'a conduit; c'est lui qui réclame votre indulgence, qui vous demande de pardonner une confidence nécessaire, et sans laquelle nous restions peut-ÃÂȘtre à jamais séparés [M. Danceny n'accuse pas vrai. Il avait déjà fait sa confidence à M. de Valmont avant cet événement. Voyez la Lettre LVII]. Vous connaissez l'ami dont je vous parle; il est celui de la femme que vous aimez le mieux. C'est le Vicomte de Valmont. Mon projet, en m'adressant à lui, était d'abord de le prier d'engager Madame de Merteuil à se charger d'une Lettre pour vous. Il n'a pas cru que ce moyen pût réussir; mais au défaut de la MaÃtresse, il répond de la Femme de chambre, qui lui a des obligations. Ce sera elle qui vous remettra cette Lettre, et vous pourrez lui donner votre Réponse. Ce secours ne nous sera guÚre utile, si, comme le croit M. de Valmont, vous partez incessamment pour la campagne. Mais alors c'est lui-mÃÂȘme qui veut nous servir. La femme chez qui vous allez est sa parente. Il profitera de ce prétexte pour s'y rendre dans le mÃÂȘme temps que vous; et ce sera par lui que passera notre correspondance mutuelle. Il assure mÃÂȘme que, si vous voulez vous laisser conduire, il nous procurera les moyens de nous y voir sans risquer de vous compromettre en rien. A présent, ma Cécile, si vous m'aimez, si vous plaignez mon malheur, si, comme je l'espÚre, vous partagez mes regrets, refuserez-vous votre confiance à un homme qui sera notre ange tutélaire? Sans lui, je serais réduit au désespoir de ne pouvoir mÃÂȘme adoucir les chagrins que je vous cause. Ils finiront, je l'espÚre mais, ma tendre amie, promettez-moi de ne pas trop vous y livrer, de ne point vous en laisser abattre. L'idée de votre douleur m'est un tourment insupportable. Je donnerais ma vie pour vous rendre heureuse! Vous le savez bien. Puisse la certitude d'ÃÂȘtre adorée porter quelque consolation dans votre ùme! La mienne a besoin que vous m'assuriez que vous pardonnez à l'amour les maux qu'il vous fait souffrir. Adieu, ma Cécile, adieu, ma tendre amie. De ..., ce 9 septembre 17** LETTRE LXVI LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Vous verrez, ma belle amie, en lisant les deux Lettres ci-jointes, si j'ai bien rempli votre projet. Quoique toutes deux soient datées d'aujourd'hui, elles ont été écrites hier, chez moi, et sous mes yeux celle à la petite fille dit tout ce que nous voulions. On ne peut que s'humilier devant la profondeur de vos vues, si on en juge par le succÚs de vos démarches. Danceny est tout de feu; et sûrement à la premiÚre occasion, vous n'aurez plus de reproches à lui faire. Si sa belle ingénue veut ÃÂȘtre docile, tout sera terminé peu de temps aprÚs son arrivée à la campagne; j'ai cent moyens tout prÃÂȘts. Grùce à vos soins me voilà bien décidément l'ami de Danceny ; il ne lui manque plus que d'ÃÂȘtre Prince [Expression relative à un passage d'un PoÚme de M. de Voltaire]. Il est encore bien jeune, ce Danceny! croiriez-vous que je n'ai jamais pu obtenir de lui qu'il promÃt à la mÚre de renoncer à son amour; comme s'il était bien gÃÂȘnant de promettre, quand on est décidé à ne pas tenir! Ce serait tromper, me répétait-il sans cesse ce scrupule n'est-il pas édifiant, surtout en voulant séduire la fille? Voilà bien les hommes! tous également scélérats dans leurs projets, ce qu'ils mettent de faiblesse dans l'exécution, ils l'appellent probité. C'est votre affaire d'empÃÂȘcher que Madame de Volanges ne s'effarouche des petites échappées que notre jeune homme s'est permises dans sa Lettre; préservez-nous du Couvent; tùchez aussi de faire abandonner la demande des Lettres de la petite. D'abord il ne les rendra point, il ne le veut pas, et je suis de son avis; ici l'amour et la raison sont d'accord. Je les ai lues ces Lettres, j'en ai dévoré l'ennui. Elles peuvent devenir utiles. Je m'explique. Malgré la prudence que nous y mettrons, il peut arriver un éclat; il ferait manquer le mariage, n'est-il pas vrai, et échouer tous nos projets Gercourt? Mais comme, pour mon compte, j'ai aussi à me venger de la mÚre, je me réserve en ce cas de déshonorer la fille. En choisissant bien dans cette correspondance, et n'en produisant qu'une partie, la petite Volanges paraÃtrait avoir fait toutes les premiÚres démarches, et s'ÃÂȘtre absolument jetée à la tÃÂȘte. Quelques-unes des Lettres pourraient mÃÂȘme compromettre la mÚre, et l'entacheraient au moins d'une négligence impardonnable. Je sens bien que le scrupuleux Danceny se révolterait d'abord; mais comme il serait personnellement attaqué, je crois qu'on en viendrait à bout. Il y a mille à parier contre un que la chance ne tournera pas ainsi; mais il faut tout prévoir. Adieu, ma belle amie; vous seriez bien aimable de venir souper demain chez la Maréchale de ***; je n'ai pas pu refuser. J'imagine que je n'ai pas besoin de vous recommander le secret, vis-à -vis de Madame de Volanges, sur mon projet de Campagne; elle aurait bientÎt celui de rester à la Ville au lieu qu'une fois arrivée, elle ne repartira pas le lendemain; et si elle nous donne seulement huit jours, je réponds de tout. De ..., ce 9 septembre 17** LETTRE LXVII LA PRESIDENTE DE TOURVEL AU VICOMTE DE VALMONT Je ne voulais plus vous répondre, Monsieur, et peut-ÃÂȘtre l'embarras que j'éprouve en ce moment est-il lui-mÃÂȘme une preuve qu'en effet je ne le devrais pas. Cependant je ne veux vous laisser aucun sujet de plainte contre moi; je veux vous convaincre que j'ai fait pour vous tout ce que je pouvais faire. Je vous ai permis de m'écrire, dites-vous? j'en conviens; mais quand vous me rappelez cette permission, croyez-vous que j'oublie à quelles conditions elle vous fut donnée? Si j'y eusse été aussi fidÚle que vous l'avez été peu, auriez- vous reçu une seule réponse de moi? Voilà pourtant la troisiÚme; et quand vous faites tout ce qu'il faut pour m'obliger à rompre cette correspondance, c'est moi qui m'occupe des moyens de l'entretenir. Il en est un, mais c'est le seul; et si vous refusez de le prendre, ce sera, quoi que vous puissiez dire, me prouver assez combien peu vous y mettez de prix. Quittez donc un langage que je ne puis ni ne veux entendre; renoncez à un sentiment qui m'offense et m'effraie, et auquel, peut-ÃÂȘtre, vous devriez ÃÂȘtre moins attaché en songeant qu'il est l'obstacle qui nous sépare. Ce sentiment est-il donc le seul que vous puissiez connaÃtre, et l'amour aura-t-il ce tort de plus à mes yeux, d'exclure l'amitié? vous-mÃÂȘme, auriez-vous celui de ne pas vouloir pour votre amie celle en qui vous avez désiré des sentiments plus tendres? Je ne veux pas le croire cette idée humiliante me révolterait, m'éloignerait de vous sans retour. En vous offrant mon amitié, Monsieur, je vous donne tout ce qui est à moi, tout ce dont je puis disposer. Que pouvez-vous désirer davantage? Pour me livrer à ce sentiment si doux, si bien fait pour mon cÅ“ur, je n'attends que votre aveu; et la parole que j'exige de vous, que cette amitié suffira à votre bonheur. J'oublierai tout ce qu'on a pu me dire; je me reposerai sur vous du soin de justifier mon choix. Vous voyez ma franchise, elle doit vous prouver ma confiance; il ne tiendra qu'à vous de l'augmenter encore mais je vous préviens que le premier mot d'amour la détruit à jamais, et me rend toutes mes craintes; que surtout il deviendra pour moi le signal d'un silence éternel vis-à -vis de vous. Si, comme vous le dites, vous ÃÂȘtes revenu de vos erreurs , n'aimerez-vous pas mieux ÃÂȘtre l'objet de l'amitié d'une femme honnÃÂȘte, que celui des remords d'une femme coupable? Adieu, Monsieur; vous sentez qu'aprÚs avoir parlé ainsi je ne puis plus rien dire que vous ne m'ayez répondu. De ..., ce 9 septembre 17** LETTRE LXVIII LE VICOMTE DE VALMONT A LA PRESIDENTE DE TOURVEL Comment répondre, Madame, à votre derniÚre Lettre? Comment oser ÃÂȘtre vrai, quand ma sincérité peut me perdre auprÚs de vous? N'importe, il le faut; j'en aurai le courage. Je me dis, je me répÚte, qu'il vaut mieux vous mériter que vous obtenir; et dussiez-vous me refuser toujours un bonheur que je désirerai sans cesse, il faut vous prouver au moins que mon cÅ“ur en est digne. Quel dommage que, comme vous le dites, je sois revenu de mes erreurs ! avec quels transports de joie j'aurais lu cette mÃÂȘme Lettre à laquelle je tremble de répondre aujourd'hui! Vous m'y parlez avec franchise , vous me témoignez de la confiance , vous m'offrez enfin votre amitié que de biens, Madame, et quels regrets de ne pouvoir en profiter! Pourquoi ne suis-je plus le mÃÂȘme? Si je l'étais en effet; si je n'avais pour vous qu'un goût ordinaire, que ce goût léger, enfant de la séduction et du plaisir, qu'aujourd'hui pourtant on nomme amour, je me hùterais de tirer avantage de tout ce que je pourrais obtenir. Peu délicat sur les moyens, pourvu qu'ils me procurassent le succÚs, j'encouragerais votre franchise par le besoin de vous deviner; je désirerais votre confiance, dans le dessein de la trahir; j'accepterais votre amitié dans l'espoir de l'égarer. Quoi! Madame, ce tableau vous effraie? hé bien! il serait pourtant tracé d'aprÚs moi, si je vous disais que je consens à n'ÃÂȘtre que votre ami. Qui, moi! je consentirais à partager avec quelqu'un un sentiment émané de votre ùme? Si jamais je vous le dis, ne me croyez plus. De ce moment je chercherai à vous tromper; je pourrai vous désirer encore, mais à coup sûr je ne vous aimerai plus. Ce n'est pas que l'aimable franchise, la douce confiance, la sensible amitié, soient sans prix à mes yeux... Mais l'amour! l'amour véritable, et tel que vous l'inspirez, en réunissant tous ces sentiments, en leur donnant plus d'énergie, ne saurait se prÃÂȘter, comme eux, à cette tranquillité, à cette froideur de l'ùme, qui permet des comparaisons, qui souffre mÃÂȘme des préférences. Non, Madame, je ne serai point votre ami; je vous aimerai de l'amour le plus tendre, et mÃÂȘme le plus ardent, quoique le plus respectueux. Vous pourrez le désespérer, mais non l'anéantir. De quel droit prétendez-vous disposer d'un cÅ“ur dont vous refusez l'hommage? Par quel raffinement de cruauté, m'enviez-vous jusqu'au bonheur de vous aimer? Celui-là est à moi, il est indépendant de vous; je saurai le défendre. S'il est la source de mes maux, il en est aussi le remÚde. Non, encore une fois, non. Persistez dans vos refus cruels; mais laissez-moi mon amour. Vous vous plaisez à me rendre malheureux! eh bien! soit; essayez de lasser mon courage, je saurai vous forcer au moins à décider de mon sort; et peut-ÃÂȘtre, quelque jour, vous me rendrez plus de justice. Ce n'est pas que j'espÚre vous rendre jamais sensible mais sans ÃÂȘtre persuadée, vous serez convaincue, vous vous direz Je l'avais mal jugé. Disons mieux, c'est à vous que vous faites injustice. Vous connaÃtre sans vous aimer, vous aimer sans ÃÂȘtre constant, sont tous deux également impossibles; et malgré la modestie qui vous pare, il doit vous ÃÂȘtre plus facile de vous plaindre, que de vous étonner de sentiments que vous faites naÃtre. Pour moi, dont le seul mérite est d'avoir su vous apprécier, je ne veux pas le perdre; et loin de consentir à vos offres insidieuses, je renouvelle à vos pieds le serment de vous aimer toujours. De ..., ce 10 septembre 17** LETTRE LXIX CECILE VOLANGES AU CHEVALIER DANCENY BILLET ECRIT AU CRAYON, ET RECOPIE PAR DANCENY. Vous me demandez ce que je fais; je vous aime, et je pleure. Ma mÚre ne me parle plus; elle m'a Îté papier, plumes et encre; je me sers d'un crayon, qui par bonheur m'est resté, et je vous écris sur un morceau de votre Lettre. Il faut bien que j'approuve tout ce que vous avez fait; je vous aime trop pour ne pas prendre tous les moyens d'avoir de vos nouvelles et de vous donner des miennes. Je n'aimais pas M. de Valmont, et je ne le croyais pas tant votre ami; je tùcherai de m'accoutumer à lui, et je l'aimerai à cause de vous. Je ne sais pas qui est-ce qui nous a trahis; ce ne peut ÃÂȘtre que ma Femme de chambre ou mon Confesseur. Je suis bien malheureuse nous partons demain pour la campagne; j'ignore pour combien de temps. Mon Dieu! ne plus vous voir! Je n'ai plus de place. Adieu; tùchez de me lire. Ces mots tracés au crayons effaceront peut-ÃÂȘtre, mais jamais les sentiments gravés dans mon cÅ“ur. De ..., ce 10 septembre 17** LETTRE LXX LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL J'ai un avis important à vous donner, ma chÚre amie. Je soupai hier, comme vous savez, chez la Maréchale de ***, on y parla de vous, et j'en dis, non pas tout le bien que j'en pense, mais tout celui que je n'en pense pas. Tout le monde paraissait ÃÂȘtre de mon avis, et la conversation languissait, comme il arrive toujours, quand on ne dit que du bien de son prochain, lorsqu'il s'éleva un contradicteur c'était Prévan. " A Dieu ne plaise, dit-il en se levant, que je doute de la sagesse de Madame de Merteuil! mais j'oserais croire qu'elle la doit plus à sa légÚreté qu'à ses principes. Il est peut-ÃÂȘtre plus difficile de la suivre que de lui plaire; et comme on ne manque guÚre, en courant aprÚs une femme, d'en rencontrer d'autres sur son chemin, comme, à tout prendre, ces autres-là peuvent valoir autant et plus qu'elle; les uns sont distraits par un goût nouveau, les autres s'arrÃÂȘtent de lassitude; et c'est peut-ÃÂȘtre la femme de Paris qui a eu le moins à se défendre. Pour moi, ajouta-t-il encouragé par le sourire de quelques femmes, je ne croirai à la vertu de Madame de Merteuil, qu'aprÚs avoir crevé six chevaux à lui faire ma cour. " Cette mauvaise plaisanterie réussit, comme toutes celles qui tiennent à la médisance; et pendant le rire qu'elle excitait, Prévan reprit sa place, et la conversation générale changea. Mais les deux Comtesses de P. , auprÚs de qui était notre incrédule, en firent avec lui leur conversation particuliÚre, qu'heureusement je me trouvais à portée d'entendre. Le défi de vous rendre sensible a été accepté; la parole de tout dire a été donnée; et de toutes celles qui se donneraient dans cette aventure, ce serait sûrement la plus religieusement gardée. Mais vous voilà bien avertie, et vous savez le proverbe. Il me reste à vous dire que ce Prévan, que vous ne connaissez pas, est infiniment aimable, et encore plus adroit. Que si quelquefois vous m'avez entendu dire le contraire, c'est seulement que je ne l'aime pas, que je me plais à contrarier ses succÚs et que je n'ignore pas de quel poids est mon suffrage auprÚs d'une trentaine de nos femmes les plus à la mode. En effet, je l'ai empÃÂȘché longtemps, par ce moyen, de paraÃtre sur ce que nous appelons le grand théùtre; et il faisait des prodiges, sans en avoir plus de réputation. Mais l'éclat de sa triple aventure, en fixant les yeux sur lui, lui a donné cette confiance qui lui manquait jusque-là , et l'a rendu vraiment redoutable. C'est enfin aujourd'hui le seul homme, peut-ÃÂȘtre, que je craindrais de rencontrer sur mon chemin; et votre intérÃÂȘt à part, vous me rendrez un vrai service de lui donner quelque ridicule chemin faisant. Je le laisse en bonnes mains; et j'ai l'espoir qu'à mon retour, ce sera un homme noyé. Je vous promets, en revanche, de mener à bien l'aventure de votre pupille, et de m'occuper d'elle autant que de ma belle Prude. Celle-ci vient de m'envoyer un projet de capitulation. Toute sa Lettre annonce le désir d'ÃÂȘtre trompée. Il est impossible d'en offrir un moyen plus commode et aussi plus usé. Elle veut que je sois son ami . Mais moi, qui aime les méthodes nouvelles et difficiles, je ne prétends pas l'en tenir quitte à si bon marché; et assurément je n'aurai pas pris tant de peine auprÚs d'elle, pour terminer par une séduction ordinaire. Mon projet, au contraire, est qu'elle sente, qu'elle sente bien la valeur et l'étendue de chacun des sacrifices qu'elle me fera; de ne pas la conduire si vite que le remords ne puisse la suivre; de faire expirer sa vertu dans une lente agonie; de la fixer sans cesse sur ce désolant spectacle; et de ne lui accorder le bonheur de m'avoir dans ses bras, qu'aprÚs l'avoir forcée à n'en plus dissimuler le désir. Au fait, je vaux bien peu, si je ne vaux pas la peine d'ÃÂȘtre demandé. Et puis-je me venger moins d'une femme hautaine, qui semble rougir d'avouer qu'elle adore? J'ai donc refusé la précieuse amitié, et m'en suis tenu à mon titre d'Amant. Comme je ne me dissimule point que ce titre, qui ne paraÃt d'abord qu'une dispute de mots, est pourtant d'une importance réelle à obtenir, j'ai mis beaucoup de soin à ma Lettre, et j'ai tùché d'y répandre ce désordre, qui peut seul peindre le sentiment. J'ai enfin déraisonné le plus qu'il m'a été possible car sans déraisonnement, point de tendresse; et c'est, je crois, par cette raison que les femmes nous sont si supérieures dans les Lettres d'Amour. J'ai fini la mienne par une cajolerie, et c'est encore une suite de mes profondes observations. AprÚs que le cÅ“ur d'une femme a été exercé quelque temps, il a besoin de repos; et j'ai remarqué qu'une cajolerie était, pour toutes, l'oreiller le plus doux à leur offrir. Adieu, ma belle amie. Je pars demain. Si vous avez des ordres à me donner pour la Comtesse de ***, je m'arrÃÂȘterai chez elle, au moins pour dÃner. Je suis fùché de partir sans vous voir. Faites-moi passer vos sublimes instructions, et aidez-moi de vos sages conseils, dans ce moment décisif. Surtout, défendez-vous de Prévan; et puissé-je un jour vous dédommager de ce sacrifice! Adieu. De ..., ce 11 septembre 17** LETTRE LXXI LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Mon étourdi de Chasseur n'a-t-il pas laissé mon portefeuille à Paris! Les lettres de ma Belle, celles de Danceny pour la petite Volanges, tout est resté, et j'ai besoin de tout. Il va partir pour réparer sa sottise; et tandis qu'il selle son cheval, je vous raconterai mon histoire de cette nuit car je vous prie de croire que je ne perds pas mon temps. L'aventure, par elle-mÃÂȘme, est bien peu de chose; ce n'est qu'un réchauffé avec la Vicomtesse de M... Mais elle m'a intéressé par les détails. Je suis bien aise d'ailleurs de vous faire voir que si j'ai le talent de perdre les femmes, je n'ai pas moins, quand je veux, celui de les sauver. Le parti le plus difficile, ou le plus gai, est toujours celui que je prends; et je ne me reproche pas une bonne action, pourvu qu'elle m'exerce ou m'amuse. J'ai donc trouvé la Vicomtesse ici, et comme elle joignait ses instances aux persécutions qu'on me faisait pour passer la nuit au chùteau " Eh bien! j'y consens, lui dis-je, à condition que je la passerai avec vous. " - " Cela m'est impossible, me répondit-elle, Vressac est ici. " Jusque-là je n'avais cru que lui dire une honnÃÂȘteté mais ce mot d'impossible, me révolta comme de coutume. Je me sentis humilié d'ÃÂȘtre sacrifié à Vressac, et je résolus de ne le pas souffrir j'insistai donc. Les circonstances ne m'étaient pas favorables. Ce Vressac a eu la gaucherie de donner de l'ombrage au Vicomte; en sorte que la Vicomtesse ne peut plus le recevoir chez elle et ce voyage chez la bonne Comtesse avait été concerté entre eux, pour tùcher d'y dérober quelques nuits. Le Vicomte avait mÃÂȘme d'abord montré de l'humeur d'y rencontrer Vressac; mais comme il est encore plus Chasseur que jaloux, il n'en est pas moins resté et la Comtesse, toujours telle que vous la connaissez, aprÚs avoir logé la femme dans le grand corridor, a mis le mari d'un cÎté et l'Amant de l'autre, et les a laissés s'arranger entre eux. Le mauvais destin de tous deux a voulu que je fusse logé vis-à -vis. Ce jour-là mÃÂȘme, c'est-à -dire hier, Vressac, qui, comme vous pouvez croire, cajole le Vicomte, chassait avec lui, malgré son peu de goût pour la chasse, et comptait bien se consoler la nuit, entre les bras de la femme, de l'ennui que le mari lui causait tout le jour mais moi, je jugeai qu'il aurait besoin de repos, et je m'occupai des moyens de décider sa MaÃtresse à lui laisser le temps d'en prendre. Je réussis, et j'obtins qu'elle lui ferait une querelle de cette mÃÂȘme partie de chasse, à laquelle, bien évidemment, il n'avait consenti que pour elle. On ne pouvait prendre un plus mauvais prétexte mais nulle femme n'a mieux que la Vicomtesse ce talent, commun à toutes, de mettre l'humeur à la place de la raison, et de n'ÃÂȘtre jamais si difficile à apaiser que quand elle a tort. Le moment d'ailleurs n'était pas commode pour les explications; et ne voulant qu'une nuit, je consentais qu'ils se raccommodassent le lendemain. Vressac fut donc boudé à son retour. Il voulut en demander la cause, on le querella. Il essaya de se justifier; le mari qui était présent, servit de prétexte pour rompre la conversation; il tenta enfin de profiter d'un moment oÃÂč le mari était absent, pour demander qu'on voulût bien l'entendre le soir ce fut alors que la Vicomtesse devint sublime. Elle s'indigna contre l'audace des hommes qui, parce qu'ils ont éprouvé les bontés d'une femme, croient avoir le droit d'en abuser encore, mÃÂȘme alors qu'elle a à se plaindre d'eux; et ayant changé de thÚse par cette adresse, elle parla si bien délicatesse et sentiment, que Vressac resta muet et confus; et que moi-mÃÂȘme je fus tenté de croire qu'elle avait raison car vous saurez que comme ami de tous deux, j'étais en tiers dans cette conversation. Enfin, elle déclara positivement qu'elle n'ajouterait pas les fatigues de l'amour à celles de la chasse, et qu'elle se reprocherait de troubler d'aussi doux plaisirs. Le mari rentra. Le désolé Vressac, qui n'avait plus la liberté de répondre, s'adressa à moi; et aprÚs m'avoir fort longuement conté ses raisons, que je savais aussi bien que lui, il me pria de parler à la Vicomtesse, et je le lui promis. Je lui parlai en effet; mais ce fut pour la remercier, et convenir avec elle de l'heure et des moyens de notre rendez-vous. Elle me dit que logée entre son mari et son Amant elle avait trouvé plus prudent d'aller chez Vressac, que de le recevoir dans son appartement; et que, puisque je logeais vis-à -vis d'elle, elle croyait plus sûr aussi de venir chez moi; qu'elle s'y rendrait aussitÎt que sa Femme de chambre l'aurait laissée seule; que je n'avais qu'à tenir ma porte entrouverte, et l'attendre. Tout s'exécuta comme nous en étions convenus; et elle arriva chez moi vers une heure du matin ... dans le simple appareil D'une beauté qu'on vient d'arracher au sommeil [Racine. Tragédie de Britannicus]. Comme je n'ai point de vanité, je ne m'arrÃÂȘte pas aux détails de la nuit mais vous me connaissez, et j'ai été content de moi. Au point du jour, il a fallu se séparer. C'est ici que l'intérÃÂȘt commence. L'étourdie avait cru laisser sa porte entrouverte, nous la trouvùmes fermée, et la clef était restée en dedans vous n'avez pas d'idée de l'expression de désespoir avec laquelle la Vicomtesse me dit aussitÎt " Ah! je suis perdue. " Il faut convenir qu'il eût été plaisant de la laisser dans cette situation mais pouvais-je souffrir qu'une femme fût perdue pour moi, sans l'ÃÂȘtre par moi? Et devais-je, comme le commun des hommes, me laisser maÃtriser par les circonstances? Il fallait donc trouver un moyen. Qu'eussiez-vous fait, ma belle amie? Voici ma conduite, et elle a réussi. J'eus bientÎt reconnu que la porte en question pouvait s'enfoncer, en se permettant de faire beaucoup de bruit. J'obtins donc de la Vicomtesse, non sans peine, qu'elle jetterait des cris perçants et d'effroi, comme au voleur, à l'assassin, etc. Et nous convÃnmes qu'au premier cri, j'enfoncerais la porte, et qu'elle courrait à son lit. Vous ne sauriez croire combien il fallut de temps pour la décider, mÃÂȘme aprÚs qu'elle eut consenti. Il fallut pourtant finir par là , et au premier coup de pied la porte céda. La Vicomtesse fit bien de ne pas perdre de temps; car au mÃÂȘme instant, le Vicomte et Vressac furent dans le corridor; et la Femme de chambre accourut aussi à la chambre de sa MaÃtresse. J'étais seul de sang-froid, et j'en profitai pour aller éteindre une veilleuse qui brûlait encore et la renverser par terre; car jugez combien il eût été ridicule de feindre cette terreur panique, en ayant de la lumiÚre dans sa chambre. Je querellai ensuite le mari et l'Amant sur leur sommeil léthargique, en les assurant que les cris auxquels j'étais accouru, et mes efforts pour enfoncer la porte, avaient duré au moins cinq minutes. La Vicomtesse qui avait retrouvé son courage dans son lit, me seconda assez bien, et jura ses grands Dieux qu'il y avait un voleur dans son appartement; elle protesta avec plus de sincérité que de la vie elle n'avait eu tant de peur. Nous cherchions partout et nous ne trouvions rien, lorsque je fis apercevoir la veilleuse renversée, et conclus que, sans doute, un rat avait causé le dommage et la frayeur; mon avis passa tout d'une voix, et aprÚs quelques plaisanteries rebattues sur les rats, le Vicomte s'en alla le premier regagner sa chambre et son lit, en priant sa femme d'avoir à l'avenir des rats plus tranquilles. Vressac, resté seul avec nous, s'approcha de la Vicomtesse pour lui dire tendrement que c'était une vengeance de l'Amour; à quoi elle répondit en me regardant " Il était donc bien en colÚre, car il s'est beaucoup vengé, mais, ajouta-t-elle, je suis rendue de fatigue et je veux dormir. " J'étais dans un moment de bonté; en conséquence, avant de nous séparer, je plaidai la cause de Vressac, et j'amenai le raccommodement. Les deux Amants s'embrassÚrent, et je fus, à mon tour, embrassé par tous deux. Je ne me souciais plus des baisers de la Vicomtesse mais j'avoue que celui de Vressac me fit plaisir. Nous sortÃmes ensemble; et aprÚs avoir reçu ses longs remerciements, nous allùmes chacun nous remettre au lit. Si vous trouvez cette histoire plaisante, je ne vous en demande pas le secret. A présent que je m'en suis amusé, il est juste que le Public ait son tour. Pour le moment, je ne parle que de l'histoire, peut-ÃÂȘtre bientÎt en dirons-nous autant de l'héroïne? Adieu, il y a une heure que mon Chasseur attend; je ne prends plus que le moment de vous embrasser, et de vous recommander surtout de vous garder de Prévan. Du Chùteau de ..., ce 13 septembre 17** LETTRE LXXII LE CHEVALIER DANCENY A CECILE VOLANGES REMISE SEULEMENT LE 14. Ô ma Cécile! que j'envie le sort de Valmont! demain il vous verra. C'est lui qui vous remettra cette Lettre; et moi, languissant loin de vous, je traÃnerai ma pénible existence entre les regrets et le malheur. Mon amie, ma tendre amie, plaignez-moi de mes maux; surtout plaignez-moi des vÎtres; c'est contre eux que le courage m'abandonne. Qu'il m'est affreux de causer votre malheur! sans moi, vous seriez heureuse et tranquille. Me pardonnez-vous? dites! ah! dites que vous me pardonnez; dites-moi aussi que vous m'aimez, que vous m'aimerez toujours. J'ai besoin que vous me le répétiez. Ce n'est pas que j'en doute mais il me semble que plus on en est sûr, et plus il est doux de se l'entendre dire. Vous m'aimez, n'est-ce pas? oui, vous m'aimez de toute votre ùme. Je n'oublie pas que c'est la derniÚre parole que je vous ai entendue prononcer. Comme je l'ai recueillie dans mon cÅ“ur! comme elle s'y est profondément gravée! et avec quels transports le mien y a répondu! Hélas! dans ce moment de bonheur, j'étais loin de prévoir le sort affreux qui nous attendait. Occupons-nous, ma Cécile, des moyens de l'adoucir. Si j'en crois mon ami il suffira, pour y parvenir, que vous preniez en lui une confiance qu'il mérite. J'ai été peiné, je l'avoue, de l'idée désavantageuse que vous paraissez avoir de lui. J'y ai reconnu les préventions de votre Maman c'était pour m'y soumettre que j'avais négligé, depuis quelque temps, cet homme vraiment aimable, qui aujourd'hui fait tout pour moi; qui enfin travaille à nous réunir, lorsque votre Maman nous a séparés. Je vous en conjure, ma chÚre amie, voyez-le d'un oeil plus favorable. Songez qu'il est mon ami, qu'il veut ÃÂȘtre le vÎtre, qu'il peut me rendre le bonheur de vous voir. Si ces raisons ne vous ramÚnent pas, ma Cécile, vous ne m'aimez pas autant que je vous aime, vous ne m'aimez plus autant que vous m'aimiez. Ah! si jamais vous deviez m'aimer moins... Mais non, le cÅ“ur de ma Cécile est à moi; il y est pour la vie; et si j'ai à craindre les peines d'un amour malheureux, sa constance au moins me sauvera des tourments d'un amour trahi. Adieu, ma charmante amie; n'oubliez pas que je souffre, et qu'il ne tient qu'à vous de me rendre heureux, parfaitement heureux. Ecoutez le vÅ“u de mon cÅ“ur, et recevez les plus tendres baisers de l'amour. Paris, ce 11 septembre 17**. LETTRE LXXIII LE VICOMTE DE VALMONT A CECILE VOLANGES Jointe à la précédente. L'ami qui vous sert a su que vous n'aviez rien de ce qu'il vous fallait pour écrire, et il y a déjà pourvu. Vous trouverez dans l'antichambre de l'appartement que vous occupez, sous la grande armoire à main gauche, une provision de papier, de plumes et d'encre, qu'il renouvellera quand vous voudrez, et qu'il lui semble que vous pouvez laisser à cette mÃÂȘme place si vous n'en trouvez pas de plus sûre. Il vous demande de ne pas vous offenser, s'il a l'air de ne faire aucune attention à vous dans le cercle, et de ne vous y regarder que comme un enfant. Cette conduite lui paraÃt nécessaire pour inspirer la sécurité dont il a besoin, et pouvoir travailler plus efficacement au bonheur de son ami et au vÎtre. Il tùchera de faire naÃtre les occasions de vous parler, quand il aura quelque chose à vous apprendre ou à vous remettre; et il espÚre y parvenir, si vous mettez du zÚle à le seconder. Il vous conseille aussi de lui rendre, à mesure, les Lettres que vous aurez reçues, afin de risquer moins de vous compromettre. Il finit par vous assurer que si vous voulez lui donner votre confiance, il mettra tous ses soins à adoucir la persécution qu'une mÚre trop cruelle fait éprouver à deux personnes, dont l'une est déjà son meilleur ami et l'autre lui paraÃt mériter l'intérÃÂȘt le plus tendre. Du Chùteau de ..., ce 14 septembre 17** LETTRE LXXIV LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT Eh! depuis quand, mon ami, vous effrayez-vous si facilement? ce Prévan est donc bien redoutable? Mais voyez combien je suis simple et modeste! Je l'ai rencontré souvent, ce superbe vainqueur; à peine l'avais-je regardé! Il ne fallait pas moins que votre Lettre pour m'y faire faire attention. J'ai réparé mon injustice hier. Il était à l'Opéra, presque vis-à -vis de moi, et je m'en suis occupée. Il est joli au moins, mais trÚs joli; des traits fins et délicats! il doit gagner à ÃÂȘtre vu de prÚs. Et vous dites qu'il veut m'avoir! assurément il me fera honneur et plaisir. Sérieusement, j'en ai fantaisie, et je vous confie ici que j'ai fait les premiÚres démarches. Je ne sais pas si elles réussiront. Voilà le fait. Il était à deux pas de moi, à la sortie de l'Opéra, et j'ai donné, trÚs haut, rendez-vous à la Marquise de *** pour souper le Vendredi chez la Maréchale. C'est, je crois, la seule maison oÃÂč je peux le rencontrer. Je ne doute pas qu'il m'ait entendue. Si l'ingrat allait n'y pas venir? Mais, dites-moi donc, croyez- vous qu'il vienne? Savez-vous que, s'il n'y vient pas, j'aurai de l'humeur toute la soirée? Vous voyez qu'il ne trouvera pas tant de difficulté à me suivre; et ce qui vous étonnera davantage, c'est qu'il en trouvera moins encore à me plaire. Il veut, dit-il, crever six chevaux à me faire sa cour! Oh! je sauverai la vie à ces chevaux-là . Je n'aurai jamais la patience d'attendre si longtemps. Vous savez qu'il n'est pas dans mes principes de faire languir, quand une fois je suis décidée, et je le suis pour lui. Oh! ça, convenez qu'il y a plaisir à me parler raison! Votre avis important n'a-t-il pas un grand succÚs? Mais que voulez-vous? je végÚte depuis si longtemps! il y a plus de six semaines que je ne me suis pas permis une gaieté. Celle-là se présente; puis-je me la refuser? le sujet n'en vaut-il pas la peine? en est-il de plus agréable, dans quelque sens que vous preniez ce mot? Vous-mÃÂȘme, vous ÃÂȘtes forcé de lui rendre justice; vous faites plus que le louer, vous en ÃÂȘtes jaloux. Eh bien! je m'établis juge entre vous deux mais d'abord, il faut s'instruire, et c'est ce que je veux faire. Je serai juge intÚgre, et vous serez pesés tous deux dans la mÃÂȘme balance. Pour vous, j'ai déjà vos mémoires, et votre affaire est parfaitement instruite. N'est-il pas juste que je m'occupe à présent de votre adversaire? Allons, exécutez-vous de bonne grùce; et, pour commencer, apprenez-moi je vous prie, quelle est cette triple aventure dont il est le héros. Vous m'en parlez, comme si je ne connaissais autre chose, et je n'en sais pas le premier mot. Apparemment elle se sera passée pendant mon voyage à GenÚve, et votre jalousie vous aura empÃÂȘché de me l'écrire. Réparez cette faute au plus tÎt; songez que rien de ce qui l'intéresse ne m'est étranger . Il me semble bien qu'on en parlait encore à mon retour mais j'étais occupée d'autre chose, et j'écoute rarement en ce genre tout ce qui n'est pas du jour ou de la veille. Quand ce que je vous demande vous contrarierait un peu, n'est-ce pas le moindre prix que vous deviez aux soins que je me suis donnés pour vous? ne sont-ce pas eux qui vous ont rapproché de votre Présidente, quand vos sottises vous en avaient éloigné? n'est-ce pas encore moi qui ai remis entre vos mains de quoi vous venger du zÚle amer de Madame de Volanges? Vous vous ÃÂȘtes plaint si souvent du temps que vous perdiez à aller chercher vos aventures. A présent vous les avez sous la main. L'amour, la haine, vous n'avez qu'à choisir, tout couche sous le mÃÂȘme toit; et vous pouvez, doublant, votre existence, caresser d'une main et frapper de l'autre. C'est mÃÂȘme encore à moi que vous devez l'aventure de la Vicomtesse. J'en suis assez contente mais, comme vous dites, il faut qu'on en parle car si l'occasion a pu vous engager, comme je le conçois, à préférer pour le moment le mystÚre à l'éclat, il faut convenir pourtant que cette femme ne méritait pas un procédé si honnÃÂȘte. J'ai d'ailleurs à m'en plaindre. Le Chevalier de Belleroche la trouve plus jolie que je ne voudrais; et par beaucoup de raisons, je serai bien aise d'avoir un prétexte pour rompre avec elle or, il n'en est pas de plus commode, que d'avoir à dire On ne peut plus voir cette femme-là . Adieu, Vicomte; songez que, placé oÃÂč vous ÃÂȘtes, le temps est précieux je vais employer le mien à m'occuper du bonheur de Prévan. Paris, ce 15 septembre l7**. LETTRE LXXV Nota Dans cette Lettre, Cécile Volanges rend compte avec le plus grand détail de tout ce qui est relatif à elle dans les événements que le Lecteur a vus Lettre LIX et suivantes. On a cru devoir supprimer cette répétition. Elle parle enfin du Vicomte de Valmont, et elle exprime ainsi CECILE VOLANGES A SOPHIE CARNAY Je t'assure que c'est un homme bien extraordinaire. Maman en dit beaucoup de mal; mais le Chevalier Danceny en dit beaucoup de bien, et je crois que c'est lui qui a raison. Je n'ai jamais vu d'homme aussi adroit. Quand il m'a rendu la Lettre de Danceny, c'était au milieu de tout le monde, et personne n'en a rien vu; il est vrai que j'ai eu bien peur parce que je n'étais prévenue de rien mais à présent je m'y attendrai. J'ai déjà fort bien compris comment il voulait que je fisse pour lui remettre ma Réponse. Il est bien facile de s'entendre avec lui, car il a un regard qui dit tout ce qu'il veut. Je ne sais pas comment il fait il me disait dans le billet dont je t'ai parlé qu'il n'aurait pas l'air de s'occuper de moi devant Maman en effet, on dirait toujours qu'il n'y songe pas; et pourtant toutes les fois que je cherche ses yeux, je suis sûre de les rencontrer tout de suite. Il y a ici une bonne amie de Maman, que je ne connaissais pas, qui a aussi l'air de ne guÚre aimer M. de Valmont, quoiqu'il ait bien des attentions pour elle. J'ai peur qu'il ne s'ennuie bientÎt de la vie qu'on mÚne ici, et qu'il ne s'en retourne à Paris; cela serait bien fùcheux. Il faut qu'il ait bien bon cÅ“ur d'ÃÂȘtre venu exprÚs pour rendre service à son ami et à moi! Je voudrais bien lui en témoigner ma reconnaissance, mais je ne sais comment faire pour lui parler; et quand j'en trouverais l'occasion, je serais si honteuse, que je ne saurais peut-ÃÂȘtre que lui dire. Il n'y a que Madame de Merteuil avec qui je parle librement, quand je parle de mon amour. Peut-ÃÂȘtre mÃÂȘme qu'avec toi, à qui je dis tout, si c'était en causant, je serais embarrassée. Avec Danceny lui-mÃÂȘme, j'ai souvent senti, comme malgré moi, une certaine crainte qui m'empÃÂȘchait de lui dire tout ce que je pensais. Je me le reproche bien à présent, et je donnerais tout au monde pour trouver le moment de lui dire une fois, une seule fois, combien je l'aime. M. de Valmont lui a promis que, si je me laissais conduire, il nous procurerait l'occasion de nous revoir. Je ferai bien assez ce qu'il voudra; mais je ne peux pas concevoir que cela soit possible. Adieu, ma bonne amie, je n'ai plus de place [Mademoiselle de Volanges ayant, peu de temps aprÚs, changé de confidente, comme on le verra par la suite de ces Lettres, on ne trouvera plus dans ce Recueil aucune de celles qu'elle a continué d'écrire à son amie du Couvent, elles n'apprendraient rien au Lecteur]. Du Chùteau de ..., ce 14 septembre 17** LETTRE LXXVI LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Ou votre Lettre est un persiflage, que je n'ai pas compris; ou vous étiez, en me l'écrivant, dans un délire trÚs dangereux. Si je vous connaissais moins, ma belle amie, je serais vraiment trÚs effrayé; et quoi que vous en puissiez dire, je ne m'effraierais pas trop facilement. J'ai beau vous lire et vous relire, je n'en suis pas plus avancé; car, de prendre votre Lettre dans le sens naturel qu'elle présente, il n'y a pas moyen. Qu'avez- vous donc voulu dire? Est-ce seulement qu'il était inutile de se donner tant de soins contre un ennemi si peu redoutable? mais, dans ce cas, vous pourriez avoir tort. Prévan est réellement aimable; il l'est plus que vous ne le croyez; il a surtout le talent trÚs utile d'occuper beaucoup de son amour, par l'adresse qu'il a d'en parler dans le cercle, et devant tout le monde, en se servant de la premiÚre conversation qu'il trouve. Il est peu de femmes qui se sauvent alors du piÚge d'y répondre, parce que toutes ayant des prétentions à la finesse, aucune ne veut perdre l'occasion d'en montrer. Or, vous savez assez que femme qui consent à parler d'amour, finit bientÎt par en prendre, ou au moins par se conduire comme si elle en avait. Il gagne encore à cette méthode, qu'il a réellement perfectionnée, d'appeler souvent les femmes elles-mÃÂȘmes en témoignage de leur défaite; et cela, je vous en parle pour l'avoir vu. Je n'étais dans le secret que de la seconde main; car jamais je n'ai été lié avec Prévan mais enfin nous y étions six et la Comtesse de P***, tout en se croyant bien fine, et ayant l'air en effet, pour tout ce qui n'était pas instruit, de tenir une conversation générale, nous raconta dans le plus grand détail, et comme quoi elle s'était rendue à Prévan, et tout ce qui s'était passé entre eux. Elle faisait ce récit avec une telle sécurité, qu'elle ne fut pas mÃÂȘme troublée par un fou rire qui nous prit à tous six en mÃÂȘme temps; et je me souviendrai toujours qu'un de nous ayant voulu, pour s'excuser, feindre de douter de ce qu'elle disait, ou plutÎt de ce qu'elle avait l'air de dire, elle répondit gravement qu'à coup sûr nous n'étions aucun aussi bien instruits qu'elle; et elle ne craignit pas mÃÂȘme de s'adresser à Prévan, pour lui demander si elle s'était trompée d'un mot. J'ai donc pu croire cet homme dangereux pour tout le monde mais pour vous, Marquise, ne suffisait-il pas qu'il fût joli, trÚs joli , comme vous le dites vous-mÃÂȘme? ou qu'il vous fÃt une de ces attaques, que vous vous plaisiez quelquefois à récompenser, sans autre motif que de les trouver bien faites ? ou que vous eussiez trouvé plaisant de vous rendre par une raison quelconque? ou que sais-je? puis-je deviner les mille caprices qui gouvernent la tÃÂȘte d'une femme, et par qui seuls vous tenez encore à votre sexe? A présent que vous ÃÂȘtes avertie du danger, je ne doute pas que vous ne vous en sauviez facilement mais pourtant fallait-il vous avertir. Je reviens donc à mon texte; qu'avez-vous voulu dire? Si ce n'est qu'un persiflage sur Prévan, outre qu'il est bien long, ce n'était pas vis-à -vis de moi qu'il était utile; c'est dans le monde qu'il faut lui donner quelque bon ridicule, et je vous renouvelle ma priÚre à ce sujet. Ah! je crois tenir le mot de l'énigme! votre Lettre est une prophétie, non de ce que vous ferez, mais de ce qu'il vous croira prÃÂȘte à faire au moment de la chute que vous lui préparez. J'approuve assez ce projet; il exige pourtant de grands ménagements. Vous savez comme moi que, pour l'effet public, avoir un homme ou recevoir ses soins, est absolument la mÃÂȘme chose, à moins que cet homme ne soit un sot; et Prévan ne l'est pas, à beaucoup prÚs. S'il peut gagner seulement une apparence, il se vantera, et tout sera dit. Les sots y croiront, les méchants auront l'air d'y croire quelles seront vos ressources? Tenez, j'ai peur. Ce n'est pas que je doute de votre adresse mais ce sont les bons nageurs qui se noient. Je ne me crois pas plus bÃÂȘte qu'un autre; des moyens de déshonorer une femme, j'en ai trouvé cent, j'en ai trouvé mille mais quand je me suis occupé de chercher comment elle pourrait s'en sauver, je n'en ai jamais vu la possibilité. Vous-mÃÂȘme, ma belle amie, dont la conduite est un chef-d'Å“uvre, cent fois j'ai cru vous voir plus de bonheur que de bien joué. Mais aprÚs tout, je cherche peut-ÃÂȘtre une raison à ce qui n'en a point. J'admire comment, depuis une heure, je traite sérieusement ce qui n'est, à coup sûr, qu'une plaisanterie de votre part. Vous allez vous moquer de moi! Hé bien! soit; mais dépÃÂȘchez-vous, et parlons d'autre chose. D'autre chose! je me trompe, c'est toujours de la mÃÂȘme; toujours des femmes à avoir ou à perdre, et souvent tous les deux. J'ai ici, comme vous l'avez fort bien remarqué, de quoi m'exercer dans les deux genres, mais non pas avec la mÃÂȘme facilité. Je prévois que la vengeance ira plus vite que l'amour. La petite Volanges est rendue, j'en réponds; elle ne dépend plus que de l'occasion, et je me charge de la faire naÃtre. Mais il n'en est pas de mÃÂȘme de Madame de Tourvel cette femme est désolante, je ne la conçois pas; j'ai cent preuves de son amour, mais j'en ai mille de sa résistance; et en vérité, je crains qu'elle ne m'échappe. Le premier effet qu'avait produit mon retour me faisait espérer davantage. Vous devinez que je voulais en juger par moi-mÃÂȘme; et pour m'assurer de voir les premiers mouvements, je ne m'étais fait précéder par personne, et j'avais calculé ma route pour arriver pendant qu'on serait à table. En effet, je tombai des nues, comme une Divinité d'Opéra qui vient faire un dénouement. Ayant fait assez de bruit en entrant pour fixer les regards sur moi, je pus voir du mÃÂȘme coup d'oeil la joie de ma vieille tante, le dépit de Madame de Volanges, et le plaisir décontenancé de sa fille. Ma Belle, par la place qu'elle occupait, tournait le dos à la porte. Occupée dans ce moment à couper quelque chose, elle ne tourna seulement pas la tÃÂȘte mais j'adressai la parole à Madame de Rosemonde; et au premier mot, la sensible Dévote ayant reconnu ma voix, il lui échappa un cri dans lequel je crus reconnaÃtre plus d'amour que de surprise et d'effroi. Je m'étais alors assez avancé pour voir sa figure le tumulte de son ùme, le combat de ses idées et de ses sentiments, s'y peignirent de vingt façons différentes. Je me mis à table à cÎté d'elle; elle ne savait exactement rien de ce qu'elle faisait ni de ce qu'elle disait. Elle essaya de continuer de manger; il n'y eut pas moyen enfin, moins d'un quart d'heure aprÚs, son embarras et son plaisir devenant plus forts qu'elle, elle n'imagina rien de mieux que de demander permission de sortir de table, et elle se sauva dans le parc, sous le prétexte d'avoir besoin de prendre l'air. Madame de Volanges voulut l'accompagner; la tendre Prude ne le permit pas trop heureuse, sans doute, de trouver un prétexte pour ÃÂȘtre seule, et se livrer sans contrainte à la douce émotion de son cÅ“ur. J'abrégeai le dÃner le plus qu'il me fut possible. A peine avait-on servi le dessert, que l'infernale Volanges, pressée apparemment du besoin de me nuire, se leva de sa place pour aller trouver la charmante malade mais j'avais prévu ce projet, et je le traversai. Je feignis donc de prendre ce mouvement particulier pour le mouvement général; et m'étant levé en mÃÂȘme temps, la petite Volanges et le Curé du lieu se laissÚrent entraÃner par ce double exemple; en sorte que Madame de Rosemonde se trouva seule à table avec le vieux Commandeur de T. , et tous deux prirent aussi le parti d'en sortir. Nous allùmes donc tous rejoindre ma Belle, que nous trouvùmes dans le bosquet prÚs du Chùteau; et comme elle avait besoin de solitude et non de promenade, elle aima autant revenir avec nous, que nous faire rester avec elle. DÚs que je fus assuré que Madame de Volanges n'aurait pas l'occasion de lui parler seule, je songeai à exécuter vos ordres, et je m'occupai des intérÃÂȘts de votre pupille. AussitÎt aprÚs le café, je montai chez moi, et j'entrai aussi chez les autres, pour reconnaÃtre le terrain; je fis mes dispositions pour assurer la correspondance de la petite; et aprÚs ce premier bienfait, j'écrivis un mot pour l'en instruire et lui demander sa confiance; je joignis mon billet à la Lettre de Danceny. Je revins au salon. J'y trouvai ma Belle établie sur une chaise longue dans un abandon délicieux. Ce spectacle, en éveillant mes désirs, anima mes regards; je sentis qu'ils devaient ÃÂȘtre tendres et pressants, et je me plaçai de maniÚre à pouvoir en faire usage. Leur premier effet fut de faire baisser les grands yeux modestes de la céleste Prude. Je considérai quelque temps cette figure angélique; puis, parcourant toute sa personne je m'amusais à deviner les contours et les formes à travers un vÃÂȘtement léger, mais toujours importun. AprÚs ÃÂȘtre descendu de la tÃÂȘte aux pieds, je remontais des pieds à la tÃÂȘte. Ma belle amie, le doux regard était fixé sur moi; sur-le-champ il se baissa de nouveau, mais voulant en favoriser le retour, je détournai mes yeux. Alors s'établit entre nous cette convention tacite, premier traité de l'amour timide, qui, pour satisfaire le besoin mutuel de se voir, permet aux regards de se succéder en attendant qu'ils se confondent. Persuadé que ce nouveau plaisir occupait ma Belle tout entiÚre, je me chargeai de veiller à notre commune sûreté mais aprÚs m'ÃÂȘtre assuré qu'une conversation assez vive nous sauvait des remarques du cercle, je tùchai d'obtenir de ses yeux qu'ils parlassent franchement leur langage. Pour cela je surpris d'abord quelques regards; mais avec tant de réserve, que la modestie n'en pouvait ÃÂȘtre alarmée; et pour mettre la timide personne plus à son aise, je paraissais moi-mÃÂȘme aussi embarrassé qu'elle. Peu à peu nos yeux, accoutumés à se rencontrer, se fixÚrent plus longtemps; enfin ils ne se quittÚrent plus, et j'aperçus dans les siens cette douce langueur, signal heureux de l'amour et du désir; mais ce ne fut qu'un moment; et bientÎt revenue à elle-mÃÂȘme, elle changea, non sans quelque honte, son maintien et son regard. Ne voulant pas qu'elle pût douter que j'eusse remarqué ses divers mouvements, je me levai avec vivacité, en lui demandant, avec l'air de l'effroi, si elle se trouvait mal. AussitÎt tout le monde vint l'entourer. Je les laissai tous passer devant moi; et comme la petite Volanges, qui travaillait à la tapisserie auprÚs d'une fenÃÂȘtre, eut besoin de quelque temps pour quitter son métier, je saisis ce moment pour lui remettre la Lettre de Danceny. J'étais un peu loin d'elle; je jetai l'EpÃtre sur ses genoux. Elle ne savait en vérité qu'en faire. Vous auriez trop ri de son air de surprise et d'embarras; pourtant, je ne riais point, car je craignais que tant de gaucherie ne nous trahÃt. Mais un coup d'oeil et un geste fortement prononcés lui firent enfin comprendre qu'il fallait mettre le paquet dans sa poche. Le reste de la journée n'eut rien d'intéressant. Ce qui s'est passé depuis amÚnera peut-ÃÂȘtre des événements dont vous serez contente, au moins pour ce qui regarde votre pupille; mais il vaut mieux employer son temps à exécuter ses projets qu'à les raconter. Voilà d'ailleurs la huitiÚme page que j'écris, et j'en suis fatigué; ainsi, adieu. Vous vous doutez bien, sans que je vous le dise, que la petite a répondu à Danceny [Cette Lettre ne s'est pas retrouvée]. J'ai eu aussi une Réponse de ma Belle, à qui j'avais écrit le lendemain de mon arrivée. Je vous envoie les deux Lettres. Vous les lirez ou vous ne les lirez pas car ce perpétuel rabùchage, qui déjà ne m'amuse pas trop, doit ÃÂȘtre bien insipide, pour toute personne désintéressée. Encore une fois, adieu. Je vous aime toujours beaucoup; mais je vous en prie, si vous me reparlez de Prévan, faites en sorte que je vous entende. Du Chùteau de ..., ce 17 septembre 17** LETTRE LXXVII LE VICOMTE DE VALMONT A LA PRESIDENTE DE TOURVEL D'oÃÂč peut venir, Madame, le soin cruel que vous mettez à me fuir? comment se peut-il que l'empressement le plus tendre de ma part n'obtienne de la vÎtre que des procédés qu'on se permettrait à peine envers l'homme dont on aurait le plus à se plaindre? Quoi! l'amour me ramÚne à vos pieds; et quand un heureux hasard me place à cÎté de vous, vous aimez mieux feindre une indisposition, alarmer vos amis, que de consentir à rester prÚs de moi! Combien de fois hier n'avez-vous pas détourné vos yeux pour me priver de la faveur d'un regard? et si un seul instant j'ai pu y voir moins de sévérité, ce moment a été si court qu'il semble que vous ayez voulu moins m'en faire jouir que me faire sentir ce que je perdais à en ÃÂȘtre privé. Ce n'est là , j'ose le dire, ni le traitement que mérite l'amour, ni celui que peut se permettre l'amitié; et toutefois, de ces deux sentiments, vous savez si l'un m'anime, et j'étais, ce me semble, autorisé à croire que vous ne vous refusiez pas à l'autre. Cette amitié précieuse, dont sans doute vous m'avez cru digne, puisque vous avez bien voulu me l'offrir, qu'ai-je donc fait pour l'avoir perdue depuis? me serais-je nui par ma confiance, et me puniriez-vous de ma franchise? ne craignez-vous pas au moins d'abuser de l'une et de l'autre? En effet, n'est-ce pas dans le sein de mon amie, que j'ai déposé le secret de mon cÅ“ur? n'est-ce pas vis-à -vis d'elle seule, que j'ai pu me croire obligé de refuser des conditions qu'il me suffisait d'accepter, pour me donner la facilité de ne les pas tenir, et peut-ÃÂȘtre celle d'en abuser utilement? Voudriez-vous enfin, par une rigueur si peu méritée, me forcer à croire qu'il n'eût fallu que vous tromper pour obtenir plus d'indulgence? Je ne me repens point d'une conduite que je vous devais, que je me devais à moi-mÃÂȘme; mais par quelle fatalité, chaque action louable devient-elle pour moi le signal d'un malheur nouveau? C'est aprÚs avoir donné lieu au seul éloge que vous ayez encore daigné faire de ma conduite, que j'ai eu, pour la premiÚre fois, à gémir du malheur de vous avoir déplu. C'est aprÚs vous avoir prouvé ma soumission parfaite, en me privant du bonheur de vous voir, uniquement pour rassurer votre délicatesse, que vous avez voulu rompre toute correspondance avec moi, m'Îter ce faible dédommagement d'un sacrifice que vous aviez exigé, et me ravir jusqu'à l'amour qui seul avait pu vous en donner le droit. C'est enfin aprÚs vous avoir parlé avec une sincérité que l'intérÃÂȘt mÃÂȘme de cet amour n'a pu affaiblir, que vous me fuyez aujourd'hui comme un séducteur dangereux, dont vous auriez reconnu la perfidie. Ne vous lasserez-vous donc jamais d'ÃÂȘtre injuste? Apprenez-moi du moins quels nouveaux torts ont pu vous porter à tant de sévérité, et ne refusez pas de me dicter les ordres que vous voulez que je suive; quand je m'engage à les exécuter, est-ce trop prétendre que de demander à les connaÃtre? De ..., ce 15 septembre 17** LETTRE LXXVIII LA PRESIDENTE DE TOURVEL AU VICOMTE DE VALMONT Vous paraissez, Monsieur, surpris de ma conduite, et peu s'en faut mÃÂȘme que vous ne m'en demandiez compte, comme ayant le droit de la blùmer. J'avoue que je me serais crue plus autorisée que vous à m'étonner et à me plaindre; mais depuis le refus contenu dans votre derniÚre réponse, j'ai pris le parti de me renfermer dans une indifférence qui ne laisse plus lieu aux remarques ni aux reproches. Cependant, comme vous me demandez des éclaircissements, et que, grùces au Ciel, je ne sens rien en moi qui puisse m'empÃÂȘcher de vous les donner, je veux bien entrer encore une fois en explication avec vous. Qui lirait vos Lettres me croirait injuste ou bizarre. Je crois mériter que personne n'ait cette idée de moi; il me semble surtout que vous étiez moins qu'un autre dans le cas de la prendre. Sans doute, vous avez senti qu'en nécessitant ma justification vous me forciez à rappeler tout ce qui s'est passé entre nous. Apparemment vous avez cru n'avoir qu'à gagner à cet examen comme, de mon cÎté, je ne crois pas avoir à y perdre, au moins à vos yeux, je ne crains pas de m'y livrer. Peut-ÃÂȘtre est-ce, en effet, le seul moyen de connaÃtre qui de nous deux a le droit de se plaindre de l'autre. A compter, Monsieur, du jour de votre arrivée dans ce Chùteau, vous avouerez, je crois, qu'au moins votre réputation m'autorisait à user de quelque réserve avec vous, et que j'aurais pu, sans craindre d'ÃÂȘtre taxée d'un excÚs de pruderie, m'en tenir aux seules expressions de la politesse la plus froide. Vous-mÃÂȘme m'eussiez traitée avec indulgence, et vous eussiez trouvé simple qu'une femme aussi peu formée n'eût pas mÃÂȘme le mérite nécessaire pour apprécier le vÎtre. C'était sûrement là le parti de la prudence; et il m'eût d'autant moins coûté à suivre, que je ne vous cacherai pas que, quand Madame de Rosemonde vint me faire part de votre arrivée, j'eus besoin de me rappeler mon amitié pour elle, et celle qu'elle a pour vous, pour ne pas lui laisser voir combien cette nouvelle me contrariait. Je conviens volontiers que vous vous ÃÂȘtes montré d'abord sous un aspect plus favorable que je ne l'avais imaginé; mais vous conviendrez à votre tour qu'il a bien peu duré, et que vous vous ÃÂȘtes bientÎt lassé d'une contrainte, dont apparemment vous ne vous ÃÂȘtes pas cru suffisamment dédommagé par l'idée avantageuse qu'elle m'avait fait prendre de vous. C'est alors qu'abusant de ma bonne foi, de ma sécurité, vous n'avez pas craint de m'entretenir d'un sentiment dont vous ne pouviez pas douter que je ne me trouvasse offensée; et moi, tandis que vous ne vous occupiez qu'à aggraver vos torts en les multipliant, je cherchais un motif pour les oublier, en vous offrant l'occasion de les réparer, au moins en partie. Ma demande était si juste que vous-mÃÂȘme ne crûtes pas devoir vous y refuser mais vous faisant un droit de mon indulgence, vous en profitùtes pour me demander une permission, que, sans doute, je n'aurais pas dû accorder, et que pourtant vous avez obtenue. Des conditions qui y furent mises, vous n'en avez tenu aucune; et votre correspondance a été telle, que chacune de vos Lettres me faisait un devoir de ne plus vous répondre. C'est dans le moment mÃÂȘme oÃÂč votre obstination me forçait à vous éloigner de moi que, par une condescendance peut-ÃÂȘtre blùmable, j'ai tenté le seul moyen qui pouvait me permettre de vous en rapprocher mais de quel prix est à vos yeux un sentiment honnÃÂȘte? Vous méprisez l'amitié; et dans votre folle ivresse, comptant pour rien les malheurs et la honte, vous ne cherchez que des plaisirs et des victimes. Aussi léger dans vos démarches qu'inconséquent dans vos reproches, vous oubliez vos promesses, ou plutÎt vous vous faites un jeu de les violer, et aprÚs avoir consenti à vous éloigner de moi, vous revenez ici sans y ÃÂȘtre rappelé; sans égard pour mes priÚres, pour mes raisons, sans avoir mÃÂȘme l'attention de m'en prévenir, vous n'avez pas craint de m'exposer à une surprise dont l'effet, quoique bien simple assurément, aurait pu ÃÂȘtre interprété défavorablement pour moi, par les personnes qui nous entouraient. Ce moment d'embarras que vous aviez fait naÃtre, loin de chercher à en distraire, ou à le dissiper, vous avez paru mettre tous vos soins à l'augmenter encore. A table, vous choisissez précisément votre place à cÎté de la mienne une légÚre indisposition me force d'en sortir avant les autres; et au lieu de respecter ma solitude, vous engagez tout le monde à venir la troubler. Rentrée au salon, si je fais un pas, je vous trouve à cÎté de moi; si je dis une parole, c'est toujours vous qui me répondez. Le mot le plus indifférent vous sert de prétexte pour ramener une conversation que je ne voulais pas entendre, qui pouvait mÃÂȘme me compromettre car enfin, Monsieur, quelque adresse que vous y mettiez, ce que je comprends, je crois que les autres peuvent aussi le comprendre. Forcée ainsi par vous à l'immobilité et au silence, vous n'en continuez pas moins de me poursuivre; je ne puis lever les yeux sans rencontrer les vÎtres. Je suis sans cesse obligée de détourner mes regards; et par une inconséquence bien incompréhensible, vous fixez sur moi ceux du cercle, dans un moment oÃÂč j'aurais voulu pouvoir mÃÂȘme me dérober aux miens. Et vous vous plaignez de mes procédés! et vous vous étonnez de mon empressement à vous fuir! Ah! blùmez-moi plutÎt de mon indulgence, étonnez-vous que je ne sois pas partie au moment de votre arrivée. Je l'aurais dû peut-ÃÂȘtre, et vous me forcerez à ce parti violent mais nécessaire, si vous ne cessez enfin des poursuites offensantes. Non, je n'oublie point, je n'oublierai jamais ce que je me dois, ce que je dois à des nÅ“uds que j'ai formés, que je respecte et que je chéris; et je vous prie de croire que, si jamais je me trouvais réduite à ce choix malheureux de les sacrifier ou de me sacrifier moi-mÃÂȘme, je ne balancerais pas un instant. Adieu, Monsieur. De ..., ce 16 septembre l7**. LETTRE LXXIX LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Je comptais aller à la chasse ce matin mais il fait un temps détestable. Je n'ai pour toute lecture qu'un Roman nouveau, qui ennuierait mÃÂȘme une Pensionnaire. On déjeunera au plus tÎt dans deux heures ainsi malgré ma longue Lettre d'hier, je vais encore causer avec vous. Je suis bien sûr de ne pas vous ennuyer, car je vous parlerai du trÚs joli Prévan . Comment n'avez-vous pas su sa fameuse aventure, celle qui a séparé les inséparables . Je parie que vous vous la rappellerez au premier mot. La voici pourtant, puisque vous la désirez. Vous vous souvenez que tout Paris s'étonnait que trois femmes, toutes trois jolies, ayant toutes trois les mÃÂȘmes talents, et pouvant avoir les mÃÂȘmes prétentions, restassent intimement liées entre elles depuis le moment de leur entrée dans le monde. On crut d'abord en trouver la raison dans leur extrÃÂȘme timidité mais bientÎt, entourées d'une cour nombreuse dont elles partageaient les hommages, et éclairées sur leur valeur par l'empressement et les soins dont elles étaient l'objet, leur union n'en devint pourtant que plus forte; et l'on eût dit que le triomphe de l'une était toujours celui des deux autres. On espérait au moins que le moment de l'amour amÚnerait quelque rivalité. Nos agréables se disputaient l'honneur d'ÃÂȘtre la pomme de discorde; et moi-mÃÂȘme, je me serais mis alors sur les rangs, si la grande faveur oÃÂč la Comtesse de ... s'éleva dans ce mÃÂȘme temps, m'eût permis de lui ÃÂȘtre infidÚle avant d'avoir obtenu l'agrément que je demandais. Cependant nos trois Beautés, dans le mÃÂȘme carnaval, firent leur choix comme de concert; et loin qu'il excitùt les orages qu'on s'en était promis, il ne fit que rendre leur amitié plus intéressante, par le charme des confidences. La foule des prétendants malheureux se joignit alors à celle des femmes jalouses, et la scandaleuse constance fut soumise à la censure publique. Les uns prétendaient que dans cette société des inséparables ainsi la nommait-on alors, la loi fondamentale était la communauté de biens, et que l'amour mÃÂȘme y était soumis; d'autres assuraient que les trois Amants, exempts de rivaux, ne l'étaient pas de rivales on alla mÃÂȘme jusqu'à dire qu'ils n'avaient été admis que par décence, et n'avaient obtenu qu'un titre sans fonction. Ces bruits, vrais ou faux, n'eurent pas l'effet qu'on s'en était promis. Les trois couples, au contraire, sentirent qu'ils étaient perdus s'ils se séparaient dans ce moment; ils prirent le parti de faire tÃÂȘte à l'orage. Le public, qui se lasse de tout, se lassa bientÎt d'une satire infructueuse. Emporté par sa légÚreté naturelle, il s'occupa d'autres objets puis, revenant à celui-ci avec son inconséquence ordinaire, il changea la critique en éloge. Comme ici tout est de mode, l'enthousiasme gagna; il devenait un vrai délire, lorsque Prévan entreprit de vérifier ces prodiges, et de fixer sur eux l'opinion publique et la sienne. Il rechercha donc ces modÚles de perfection. Admis facilement dans leur société, il en tira un favorable augure. Il savait assez que les gens heureux ne sont pas d'un accÚs si facile. Il vit bientÎt, en effet, que ce bonheur si vanté était, comme celui des Rois, plus envié que désirable. Il remarqua que, parmi ces prétendus inséparables, on commençait à rechercher les plaisirs du dehors, qu'on s'y occupait mÃÂȘme de distraction; et il en conclut que les liens d'amour ou d'amitié étaient déjà relùchés ou rompus, et que ceux de l'amour- propre et de l'habitude conservaient seuls quelque force. Cependant les femmes, que le besoin rassemblait, conservaient entre elles l'apparence de la mÃÂȘme intimité mais les hommes, plus libres dans leurs démarches, retrouvaient des devoirs à remplir ou des affaires à suivre; ils s'en plaignaient encore, mais ne s'en dispensaient plus, et rarement les soirées étaient complÚtes. Cette conduite de leur part fut profitable à l'assidu Prévan, qui, placé naturellement auprÚs de la délaissée du jour, trouvait à offrir alternativement, et selon les circonstances, le mÃÂȘme hommage aux trois amies. Il sentit facilement que faire un choix entre elles, c'était se perdre; que la fausse honte de se trouver la premiÚre infidÚle effaroucherait la préférée; que la vanité blessée des deux autres les rendrait ennemies du nouvel Amant, et qu'elles ne manqueraient pas de déployer contre lui la sévérité des grands principes; enfin, que la jalousie ramÚnerait à coup sûr les soins d'un rival qui pouvait ÃÂȘtre encore à craindre. Tout fût devenu obstacle; tout devenait facile dans son triple projet; chaque femme était indulgente, parce qu'elle y était intéressée, chaque homme, parce qu'il croyait ne pas l'ÃÂȘtre. Prévan, qui n'avait alors qu'une seule femme à sacrifier, fut assez heureux pour qu'elle prÃt de la célébrité. Sa qualité d'étrangÚre et l'hommage d'un grand Prince assez adroitement, refusé avaient fixé sur elle l'attention de la Cour et de la Ville; son Amant en partageait l'honneur, et en profita auprÚs de ses nouvelles MaÃtresses. La seule difficulté était de mener de front ces trois intrigues, dont la marche devait forcément se régler sur la plus tardive; en effet, je tiens d'un de ses confidents que sa plus grande peine fut d'en arrÃÂȘter une, qui se trouva prÃÂȘte à éclore prÚs de quinze jours avant les autres. Enfin le grand jour arriva. Prévan, qui avait obtenu les trois aveux, se trouvait déjà maÃtre des démarches, et les régla comme vous allez voir. Des trois maris, l'un était absent, l'autre partait le lendemain au point du jour, le troisiÚme était à la Ville. Les inséparables amies devaient souper chez la veuve future; mais le nouveau MaÃtre n'avait pas permis que les anciens Serviteurs y fussent invités. Le matin mÃÂȘme de ce jour, il fait trois lots des Lettres de sa Belle, il accompagne l'un du portrait qu'il avait reçu d'elle le second d'un chiffre amoureux qu'elle-mÃÂȘme avait peint, le troisiÚme d'une boucle de ses cheveux; chacune reçut pour complet ce tiers de sacrifice, et consentit, en échange, à envoyer à l'Amant disgracié une Lettre éclatante de rupture. C'était beaucoup; ce n'était pas assez. Celle dont le mari était à la Ville ne pouvait disposer que de la journée; il fut convenu qu'une feinte indisposition la dispenserait d'aller souper chez son amie, et que la soirée serait toute à Prévan la nuit fut accordée par celle dont le mari fut absent et le point du jour, moment du départ du troisiÚme époux, fut marqué par la derniÚre, pour l'heure du Berger. Prévan qui ne néglige rien, court ensuite chez la belle étrangÚre, y porte et y fait naÃtre l'humeur dont il avait besoin, et n'en sort qu'aprÚs avoir établi une querelle qui lui assure vingt-quatre heures de liberté. Ses dispositions ainsi faites, il rentra chez lui, comptant prendre quelque repos; d'autres affaires l'y attendaient. Les Lettres de rupture avaient été un coup de lumiÚre pour les Amants disgraciés chacun d'eux ne pouvait douter qu'il n'eût été sacrifié à Prévan; et le dépit d'avoir été joué, se joignant à l'humeur que donne presque toujours la petite humiliation d'ÃÂȘtre quitté, tous trois, sans se communiquer, mais comme de concert, avaient résolu d'en avoir raison, et pris le parti de la demander à leur fortuné rival. Celui-ci trouva donc chez lui les trois cartels; il les accepta loyalement mais ne voulant perdre ni les plaisirs, ni l'éclat de cette aventure, il fixa les rendez- vous au lendemain matin, et les assigna tous les trois au mÃÂȘme lieu et à la mÃÂȘme heure. Ce fut à une des portes du bois de Boulogne. Le soir venu, il courut sa triple carriÚre avec un succÚs égal; au moins s'est-il vanté depuis que chacune de ses nouvelles MaÃtresses avait reçu trois fois le gage et le serment de son amour. Ici, comme vous le jugez bien, les preuves manquent à l'histoire; tout ce que peut faire l'Historien impartial, c'est de faire remarquer au Lecteur incrédule que la vanité et l'imagination exaltées peuvent enfanter des prodiges, et de plus, que la matinée qui devait suivre une si brillante nuit, paraissait devoir dispenser de ménagement pour l'avenir. Quoi qu'il en soit, les faits suivants ont plus de certitude. Prévan se rendit exactement au rendez-vous qu'il avait indiqué; il y trouva ses trois rivaux, un peu surpris de leur rencontre, et peut-ÃÂȘtre chacun d'eux déjà consolé en partie, en se voyant des compagnons d'infortune. Il les aborda d'un air affable et cavalier, et leur tint ce discours, qu'on m'a rendu fidÚlement " Messieurs, leur dit-il, en vous trouvant rassemblés ici, vous avez deviné sans doute que vous aviez tous trois le mÃÂȘme sujet de plainte contre moi. Je suis prÃÂȘt à vous rendre raison. Que le sort décide, entre vous, qui des trois tentera le premier une vengeance à laquelle vous avez tous un droit égal. Je n'ai amené ici ni second, ni témoins. Je n'en ai point pris pour l'offense; je n'en demande point pour la réparation. " Puis cédant à son caractÚre joueur " Je sais, ajouta-t-il, qu'on gagne rarement le sept et le va ; mais quel que soit le sort qui m'attend, on a toujours assez vécu, quand on a eu le temps d'acquérir l'amour des femmes et l'estime des hommes. " Pendant que ses adversaires étonnés se regardaient en silence, et que leur délicatesse calculait peut-ÃÂȘtre que ce triple combat ne laissait pas la partie égale, Prévan reprit la parole " Je ne vous cache pas, continua-t-il donc, que la nuit que je viens de passer m'a cruellement fatigué. Il serait généreux à vous de me permettre de réparer mes forces. J'ai donné mes ordres pour qu'on tÃnt ici un déjeuner prÃÂȘt; faites-moi l'honneur de l'accepter. Déjeunons ensemble, et surtout déjeunons gaiement. On peut se battre pour de semblables bagatelles; mais elles ne doivent pas, je crois, altérer notre humeur. " Le déjeuner fut accepté. Jamais, dit-on, Prévan ne fut plus aimable. Il eut l'adresse de n'humilier aucun de ses rivaux; de leur persuader que tous eussent eu facilement les mÃÂȘmes succÚs, et surtout de les faire convenir qu'ils n'en eussent pas plus que lui laissé échapper l'occasion. Ces faits une fois avoués, tout s'arrangeait de soi-mÃÂȘme. Aussi le déjeuner n'était-il pas fini, qu'on y avait déjà répété dix fois que de pareilles femmes ne méritaient pas que d'honnÃÂȘtes gens se battissent pour elles. Cette idée amena la cordialité; le vin la fortifia; si bien que peu de moments aprÚs, ce ne fut pas assez de n'avoir plus de rancune, on se jura amitié sans réserve. Prévan, qui sans doute aimait bien autant ce dénouement que l'autre, ne voulait pourtant y rien perdre de sa célébrité. En conséquence, pliant adroitement ses projets aux circonstances " En effet, dit-il aux trois offensés, ce n'est pas de moi, mais de vos infidÚles MaÃtresses que vous avez à vous venger. Je vous en offre l'occasion. Déjà je ressens, comme vous-mÃÂȘmes, une injure que bien tÎt je partagerai car si chacun de vous n'a pu parvenir à en fixer une seule, puis-je espérer de les fixer toutes trois? Votre querelle devient la mienne. Acceptez pour ce soir un souper dans ma petite maison, et j'espÚre ne pas différer plus long temps votre vengeance. " On voulut le faire expliquer mais lui, avec ce ton de supériorité que la circonstance l'autorisait à prendre " Messieurs, répondit-il, je crois vous avoir prouvé que j'avais quelque esprit de conduite; reposez-vous sur moi. " Tous consentirent; et aprÚs avoir embrassé leur nouvel ami, ils se séparÚrent jusqu'au soir, en attendant l'effet de ses promesses. Celui-ci, sans perdre de temps, retourne à Paris, et va, suivant l'usage, visiter ses nouvelles conquÃÂȘtes. Il obtint de toutes trois qu'elles viendraient le soir mÃÂȘme souper en tÃÂȘte-à -tÃÂȘte à sa petite maison. Deux d'entre elles firent bien quelques difficultés, mais que reste-t-il à refuser le lendemain? Il donna le rendez-vous à une heure de distance, temps nécessaire à ses projets. AprÚs ces préparatifs, il se retira, fit avertir les trois autres conjurés, et tous quatre allÚrent gaiement attendre leurs victimes. On entend arriver la premiÚre. Prévan se présente seul, la reçoit avec l'air de l'empressement, la conduit jusque dans le sanctuaire dont elle se croyait la Divinité; puis, disparaissant sur un léger prétexte, il se fait remplacer aussitÎt par l'Amant outragé. Vous jugez que la confusion d'une femme qui n'a point encore l'usage des aventures rendait, en ce moment, le triomphe bien facile tout reproche qui ne fut pas fait fut compté pour une grùce; et l'esclave fugitive, livrée de nouveau à son ancien maÃtre, fut trop heureuse de pouvoir espérer son pardon, en reprenant sa premiÚre chaÃne. Le traité de paix se ratifia dans un lieu plus solitaire, et la scÚne, restée vide, fut alternativement remplie par les autres Acteurs, à peu prÚs de la mÃÂȘme maniÚre, et surtout avec le mÃÂȘme dénouement. Chacune des femmes pourtant se croyait encore seule en jeu. Leur étonnement et leur embarras augmentÚrent, quand, au moment du souper, les trois couples se réunirent; mais la confusion fut au comble, quand Prévan, qui reparut au milieu de tous, eut la cruauté de faire aux trois infidÚles des excuses, qui, en livrant leur secret, leur apprenaient entiÚrement jusqu'à quel point elles avaient été jouées. Cependant on se mit à table, et peu aprÚs la contenance revint les hommes se livrÚrent, les femmes se soumirent. Tous avaient la haine dans le cÅ“ur; mais les propos n'en étaient pas moins tendres la gaieté éveilla le désir, qui, à son tour, lui prÃÂȘta de nouveaux charmes. Cette étonnante orgie dura jusqu'au matin; et quand on se sépara, les femmes durent se croire pardonnées mais les hommes, qui avaient conservé leur ressentiment, firent dÚs le lendemain une rupture qui n'eut point de retour; et non contents de quitter leurs légÚres MaÃtresses, ils achevÚrent leur vengeance, en publiant leur aventure. Depuis ce temps, une d'elles est au Couvent, et les deux autres languissent exilées dans leurs Terres. Voilà l'histoire de Prévan; c'est à vous de voir si vous voulez ajouter à sa gloire, et vous atteler à son char de triomphe. Votre Lettre m'a vraiment donné de l'inquiétude, et j'attends avec impatience une réponse plus sage et plus claire à la derniÚre que je vous ai écrite. Adieu, ma belle amie, méfiez-vous des idées plaisantes ou bizarres qui vous séduisent toujours trop facilement. Songez que, dans la carriÚre que vous courez, l'esprit ne suffit pas, qu'une seule imprudence y devient un mal sans remÚde. Souffrez enfin que la prudente amitié soit quelquefois le guide de vos plaisirs. Adieu. Je vous aime pourtant comme si vous étiez raisonnable. De ..., ce 18 septembre 17** LETTRE LXXX LE CHEVALIER DANCENY A CECILE VOLANGES Cécile, ma chÚre Cécile, quand viendra le temps de nous revoir? qui m'apprendra à vivre loin de vous? qui m'en donnera la force et le courage? Jamais, non, jamais, je ne pourrai supporter cette fatale absence. Chaque jour ajoute à mon malheur et n'y point voir de terme! Valmont qui m'avait promis des secours, des consolations, Valmont me néglige, et peut-ÃÂȘtre m'oublie. Il est auprÚs de ce qu'il aime; il ne sait plus ce qu'on souffre quand on en est éloigné. En me faisant passer votre derniÚre Lettre, il ne m'a point écrit. C'est lui pourtant qui doit m'apprendre quand je pourrai vous voir et par quel moyen. N'a-t-il donc rien à me dire? Vous-mÃÂȘme, vous ne m'en parlez pas, serait-ce que vous n'en partagez plus le désir? Ah! Cécile, Cécile, je suis bien malheureux. Je vous aime plus que jamais mais cet amour, qui fait le charme de ma vie, en devient le tourment. Non, je ne peux plus vivre ainsi, il faut que je vous voie, il le faut, ne fût-ce qu'un moment. Quand je me lÚve, je me dis; " Je ne la verrai pas. " Je me couche en disant " Je ne l'ai point vue. " Les journées si longues n'ont pas un moment pour le bonheur. Tout est privation, tout est regret, tout est désespoir; et tous ces maux me viennent d'oÃÂč j'attendais tous mes plaisirs! Ajoutez à ces peines mortelles mon inquiétude sur les vÎtres, et vous aurez une idée de ma situation. Je pense à vous sans cesse, et n'y pense jamais sans trouble. Si je vous vois affligée, malheureuse, je souffre de tous vos chagrins; si je vous vois tranquille et consolée, ce sont les miens qui redoublent. Partout je trouve le malheur. Ah! qu'il n'en était pas ainsi, quand vous habitiez les mÃÂȘmes lieux que moi! Tout alors était plaisir. La certitude de vous voir embellissait mÃÂȘme les moments de l'absence; le temps qu'il fallait passer loin de vous m'approchait de vous en s'écoulant. L'emploi que j'en faisais ne vous était jamais étranger. Si je remplissais des devoirs, ils me rendaient plus digne de vous; si je cultivais quelque talent, j'espérais vous plaire davantage. Lors mÃÂȘme que les distractions du monde m'emportaient loin de vous, je n'en étais point séparé. Au Spectacle, je cherchais à deviner ce qui vous aurait plu; un concert me rappelait vos talents et nos si douces occupations. Dans le cercle, comme aux promenades, je saisissais la plus légÚre ressemblance. Je vous comparais à tout; partout vous aviez l'avantage. Chaque moment du jour était marqué par un hommage nouveau, et chaque soir j'en apportais le tribut à vos pieds. A présent, que me reste-t-il? des regrets douloureux, des privations éternelles, et un léger espoir que le silence de Valmont diminue, que le vÎtre change en inquiétude. Dix lieues seulement nous séparent, et cet espace si facile à franchir devient pour moi seul un obstacle insurmontable! et quand, pour m'aider à le vaincre, j'implore mon ami, ma MaÃtresse, tous deux restent froids et tranquilles! Loin de me secourir, ils ne me répondent mÃÂȘme pas. Qu'est donc devenue l'amitié active de Valmont? que sont devenus, surtout, vos sentiments si tendres, et qui vous rendaient si ingénieuse pour trouver les moyens de nous voir tous les jours? Quelquefois, je m'en souviens, sans cesser d'en avoir le désir, je me trouvais forcé de le sacrifier à des considérations, à des devoirs; que ne me disiez-vous pas alors? par combien de prétextes ne combattiez-vous pas mes raisons! Et qu'il vous en souvienne, ma Cécile, toujours mes raisons cédaient à vos désirs. Je ne m'en fais point un mérite! je n'avais pas mÃÂȘme celui du sacrifice. Ce que vous désiriez d'obtenir, je brûlais de l'accorder. Mais enfin je demande à mon tour et quelle est cette demande? de vous voir un moment, de vous renouveler et de recevoir le serment d'un amour éternel. N'est-ce donc plus votre bonheur comme le mien? Je repousse cette idée désespérante, qui mettrait le comble à mes maux. Vous m'aimez, vous m'aimerez toujours; je le crois, j'en suis sûr, je ne veux jamais en douter mais ma situation est affreuse et je ne puis la soutenir plus longtemps. Adieu, Cécile. Paris, ce 18 septembre 17** LETTRE LXXXI LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT Que vos craintes me causent de pitié! Combien elles me prouvent ma supériorité sur vous! et vous voulez m'enseigner, me conduire? Ah! mon pauvre Valmont, quelle distance il y a encore de vous à moi! Non, tout l'orgueil de votre sexe ne suffirait pas pour remplir l'intervalle qui nous sépare. Parce que vous ne pourriez exécuter mes projets, vous les jugez impossibles! Etre orgueilleux et faible, il te sied bien de vouloir calculer mes moyens et juger de mes ressources! Au vrai, Vicomte, vos conseils m'ont donné de l'humeur, et je ne puis vous le cacher. Que pour masquer votre incroyable gaucherie auprÚs de votre Présidente, vous m'étaliez comme un triomphe d'avoir déconcerté un moment cette femme timide et qui vous aime, j'y consens; d'en avoir obtenu un regard, un seul regard, je souris et vous le passe. Que sentant, malgré vous, le peu de valeur de votre conduite, vous espériez la dérober à mon attention, en me flattant de l'effort sublime de rapprocher deux enfants qui, tous deux, brûlent de se voir, et qui, soit dit en passant, doivent à moi seule l'ardeur de ce désir, je le veux bien encore. Qu'enfin vous vous autorisiez de ces actions d'éclat, pour me dire d'un ton doctoral qu'il vaut mieux employer son temps à exécuter ses projets qu'à les raconter ; cette vanité ne me nuit pas, et je la pardonne. Mais que vous puissiez croire que j'aie besoin de votre prudence, que je m'égarerais en ne déférant pas à vos avis, que je dois leur sacrifier un plaisir, une fantaisie en vérité, Vicomte, c'est aussi vous trop enorgueillir de la confiance que je veux bien avoir en vous! Et qu'avez-vous donc fait que je n'aie surpassé mille fois? Vous avez séduit, perdu mÃÂȘme beaucoup de femmes mais quelles difficultés avez-vous eues à vaincre? quels obstacles à surmonter? oÃÂč est le mérite qui soit véritablement à vous? Une belle figure, pur effet du hasard; des grùces, que l'usage donne presque toujours, de l'esprit à la vérité, mais auquel du jargon suppléerait au besoin; une impudence assez louable, mais peut-ÃÂȘtre uniquement due à la facilité de vos premiers succÚs; si je ne me trompe, voilà tous vos moyens car, pour la célébrité que vous avez pu acquérir, vous n'exigerez pas, je crois, que je compte pour beaucoup l'art de faire naÃtre ou de saisir l'occasion d'un scandale. Quant à la prudence, à la finesse, je ne parle pas de moi mais quelle femme n'en aurait pas plus que vous? Eh! votre Présidente vous mÚne comme un enfant. Croyez-moi, Vicomte, on acquiert rarement les qualités dont on peut se passer. Combattant sans risque, vous devez agir sans précaution. Pour vous autres hommes, les défaites ne sont que des succÚs de moins. Dans cette partie si inégale, notre fortune est de ne pas perdre, et votre malheur de ne pas gagner. Quand je vous accorderais autant de talents qu'à nous, de combien encore ne devrions-nous pas vous surpasser, par la nécessité oÃÂč nous sommes d'en faire un continuel usage! Supposons, j'y consens, que vous mettiez autant d'adresse à nous vaincre, que nous à nous défendre ou à céder, vous conviendrez au moins qu'elle vous devient inutile aprÚs le succÚs. Uniquement occupé de votre nouveau goût, vous vous y livrez sans crainte, sans réserve ce n'est pas à vous que sa durée importe. En effet, ces liens réciproquement donnés et reçus, pour parler le jargon de l'amour, vous seul pouvez, à votre choix, les resserrer ou les rompre heureuses encore, si dans votre légÚreté, préférant le mystÚre à l'éclat, vous vous contentez d'un abandon humiliant, et ne faites pas de l'idole de la veille la victime du lendemain. Mais qu'une femme infortunée sente la premiÚre le poids de sa chaÃne, quels risques n'a-t-elle pas à courir, si elle tente de s'y soustraire, si elle ose seulement la soulever? Ce n'est qu'en tremblant qu'elle essaie d'éloigner d'elle l'homme que son cÅ“ur repousse avec effort. S'obstine-t-il à rester, ce qu'elle accordait à l'amour, il faut le livrer à la crainte Ses bras s'ouvrent encor, quand son cÅ“ur est fermé. Sa prudence doit dénouer avec adresse ces mÃÂȘmes liens que vous auriez rompus. A la merci de son ennemi, elle est sans ressource, s'il est sans générosité et comment en espérer de lui, lorsque, si quelquefois on le loue d'en avoir, jamais pourtant on ne le blùme d'en manquer? Sans doute, vous ne nierez pas ces vérités que leur évidence a rendues triviales. Si cependant vous m'avez vue, disposant des événements et des opinions, faire de ces hommes si redoutables le jouet de mes caprices ou de mes fantaisies; Îter aux uns la volonté, aux autres la puissance de me nuire; si j'ai su tour à tour, et suivant mes goûts mobiles, attacher à ma suite ou rejeter loin de moi Ces Tyrans détrÎnés devenus mes esclaves [On ne sait si ce vers, ainsi que celui qui se trouve plus haut, Ses bras s'ouvrent encor, quand son cÅ“ur est fermé , sont des citations d'Ouvrages peu connus; ou s'ils font partie de la prose de Madame de Merteuil. Ce qui le ferait croire, c'est la multitude de fautes de ce genre qui se trouvent dans toutes les Lettres de cette correspondance. Celles du Chevalier Danceny sont les seules qui en soient exemptes peut-ÃÂȘtre que, comme il s'occupait quelquefois de Poésie, son oreille plus exercée lui faisait éviter plus facilement ce défaut.] si, au milieu de ces révolutions fréquentes, ma réputation s'est pourtant conservée pure; n'avez-vous pas dû en conclure que, née pour venger mon sexe et maÃtriser le vÎtre, j'avais su me créer des moyens inconnus jusqu'à moi? Ah! gardez vos conseils et vos craintes pour ces femmes à délire, et qui se disent à sentiment; dont l'imagination exaltée ferait croire que la nature a placé leurs sens dans leur tÃÂȘte; qui, n'ayant jamais réfléchi, confondent sans cesse l'amour et l'Amant; qui, dans leur folle illusion, croient que celui-là seul avec qui elles ont cherché le plaisir en est l'unique dépositaire; et vraies superstitieuses, ont pour le PrÃÂȘtre le respect et la foi qui n'est dû qu'à la Divinité. Craignez encore pour celles qui, plus vaines que prudentes, ne savent pas au besoin consentir à se faire quitter. Tremblez surtout pour ces femmes actives dans leur oisiveté, que vous nommez sensibles, et dont l'amour s'empare si facilement et avec tant de puissance; qui sentent le besoin de s'en occuper encore, mÃÂȘme lorsqu'elles n'en jouissent pas; et s'abandonnant sans réserve à la fermentation de leurs idées, enfantent par elles ces Lettres si douces, mais si dangereuses à écrire; et ne craignent pas de confier ces preuves de leur faiblesse à l'objet qui les cause imprudentes, qui, dans leur Amant actuel, ne savent pas voir leur ennemi futur. Mais moi, qu'ai-je de commun avec ces femmes inconsidérées? quand m'avez-vous vue m'écarter des rÚgles que je me suis prescrites, et manquer à mes principes? je dis mes principes, et je le dis à dessein car ils ne sont pas comme ceux des autres femmes, donnés au hasard, reçus sans examen et suivis par habitude, ils sont le fruit de mes profondes réflexions; je les ai créés, et je puis dire que je suis mon ouvrage. Entrée dans le monde dans le temps oÃÂč, fille encore, j'étais vouée par état au silence et à l'inaction, j'ai su en profiter pour observer et réfléchir. Tandis qu'on me croyait étourdie ou distraite, écoutant peu à la vérité les discours qu'on s'empressait à me tenir, je recueillais avec soin ceux qu'on cherchait à me cacher. Cette utile curiosité, en servant à m'instruire, m'apprit encore à dissimuler forcée souvent de cacher les objets de mon attention aux yeux de ceux qui m'entouraient, j'essayai de guider les miens à mon gré; j'obtins dÚs lors de prendre à volonté ce regard distrait que vous avez loué si souvent. Encouragée par ce premier succÚs, je tùchai de régler de mÃÂȘme les divers mouvements de ma figure. Ressentais-je quelque chagrin, je m'étudiais à prendre l'air de la sérénité, mÃÂȘme celui de la joie; j'ai porté le zÚle jusqu'à me causer des douleurs volontaires, pour chercher pendant ce temps l'expression du plaisir. Je me suis travaillée avec le mÃÂȘme soin et plus de peine, pour réprimer les symptÎmes d'une joie inattendue. C'est ainsi que j'ai su prendre sur ma physionomie cette puissance dont je vous ai vu quelquefois si étonné. J'étais bien jeune encore, et presque sans intérÃÂȘt mais je n'avais à moi que ma pensée, et je m'indignais qu'on pût me la ravir ou me la surprendre contre ma volonté. Munie de ces premiÚres armes, j'en essayai l'usage non contente de ne plus me laisser pénétrer, je m'amusais à me montrer sous des formes différentes; sûre de mes gestes, j'observais mes discours; je réglai les uns et les autres, suivant les circonstances, ou mÃÂȘme seulement suivant mes fantaisies dÚs ce moment, ma façon de penser fut pour moi seule, et je ne montrai plus que celle qu'il m'était utile de laisser voir. Ce travail sur moi-mÃÂȘme avait fixé mon attention sur l'expression des figures et le caractÚre des physionomies; et j'y gagnai ce coup d'oeil pénétrant, auquel l'expérience m'a pourtant appris à ne pas me fier entiÚrement; mais qui, en tout, m'a rarement trompée. Je n'avais pas quinze ans, je possédais déjà les talents auxquels la plus grande partie de nos Politiques doivent leur réputation, et je ne me trouvais encore qu'aux premiers éléments de la science que je voulais acquérir. Vous jugez bien que, comme toutes les jeunes filles, je cherchais à deviner l'amour et ses plaisirs mais n'ayant jamais été au Couvent, n'ayant point de bonne amie, et surveillée par une mÚre vigilante, je n'avais que des idées vagues et que je ne pouvais fixer; la nature mÃÂȘme, dont assurément je n'ai eu qu'à me louer depuis, ne me donnait encore aucun indice. On eût dit qu'elle travaillait en silence à perfectionner son ouvrage. Ma tÃÂȘte seule fermentait; je ne désirais pas de jouir, je voulais savoir; le désir de m'instruire m'en suggéra les moyens. Je sentis que le seul homme avec qui je pouvais parler sur cet objet, sans me compromettre, était mon Confesseur. AussitÎt je pris mon parti; je surmontai ma petite honte; et me vantant d'une faute que je n'avais pas commise, je m'accusai d'avoir fait tout ce que font les femmes . Ce fut mon expression; mais en parlant ainsi je ne savais en vérité quelle idée j'exprimais. Mon espoir ne fut ni tout à fait trompé, ni entiÚrement rempli, la crainte de me trahir m'empÃÂȘchait de m'éclairer mais le bon PÚre me fit le mal si grand que j'en conclus que le plaisir devait ÃÂȘtre extrÃÂȘme; et au désir de le connaÃtre succéda celui de le goûter. Je ne sais oÃÂč ce désir m'aurait conduite; et alors dénuée d'expérience, peut- ÃÂȘtre une seule occasion m'eût perdue heureusement pour moi, ma mÚre m'annonça peu de jours aprÚs que j'allais me marier; sur-le-champ la certitude de savoir éteignit ma curiosité, et j'arrivai vierge entre les bras de M. de Merteuil. J'attendais avec sécurité le moment qui devait m'instruire, et j'eus besoin de réflexion pour montrer de l'embarras et de la crainte. Cette premiÚre nuit, dont on se fait pour l'ordinaire une idée si cruelle ou si douce ne me présentait qu'une occasion d'expérience douleur et plaisir, j'observai tout exactement, et ne voyais dans ces diverses sensations que des faits à recueillir et à méditer. Ce genre d'étude parvint bientÎt à me plaire mais fidÚle à mes principes, et sentant peut-ÃÂȘtre par instinct, que nul ne devait ÃÂȘtre plus loin de ma confiance que mon mari, je résolus, par cela seul que j'étais sensible, de me montrer impassible à ses yeux. Cette froideur apparente fut par la suite le fondement inébranlable de son aveugle confiance j'y joignis, par une seconde réflexion, l'air d'étourderie qu'autorisait mon ùge; et jamais il ne me jugea plus enfant que dans les moments oÃÂč je le jouais avec plus d'audace. Cependant, je l'avouerai, je me laissai d'abord entraÃner par le tourbillon du monde, et je me livrai tout entiÚre à ses distractions futiles. Mais au bout de quelques mois, M. de Merteuil m'ayant menée à sa triste campagne, la crainte de l'ennui fit revenir le goût de l'étude; et ne m'y trouvant entourée que de gens dont la distance avec moi me mettait à l'abri de tout soupçon, j'en profitai pour donner un champ plus vaste à mes expériences. Ce fut là , surtout, que je m'assurai que l'amour que l'on nous vante comme la cause de nos plaisirs n'en est au plus que le prétexte. La maladie de M. de Merteuil vint interrompre de si douces occupations; il fallut le suivre à la Ville, oÃÂč il venait chercher des secours. Il mourut, comme vous savez, peu de temps aprÚs; et quoique à tout prendre, je n'eusse pas à me plaindre de lui, je n'en sentis pas moins vivement le prix de la liberté qu'allait me donner mon veuvage, et je me promis bien d'en profiter. Ma mÚre comptait que j'entrerais au Couvent, ou reviendrais vivre avec elle. Je refusai l'un et l'autre parti; et tout ce que j'accordai à la décence fut de retourner dans cette mÃÂȘme campagne oÃÂč il me restait bien encore quelques observations à faire. Je les fortifiai par le secours de la lecture mais ne croyez pas qu'elle fût toute du genre que vous la supposez. J'étudiai nos mÅ“urs dans les Romans; nos opinions dans les Philosophes; je cherchai mÃÂȘme dans les Moralistes les plus sévÚres ce qu'ils exigeaient de nous, et je m'assurai ainsi de ce qu'on pouvait faire, de ce qu'on devait penser et de ce qu'il fallait paraÃtre. Une fois fixée sur ces trois objets, le dernier seul présentait quelques difficultés dans son exécution; j'espérai les vaincre et j'en méditai les moyens. Je commençais à m'ennuyer de mes plaisirs rustiques, trop peu variés pour ma tÃÂȘte active; je sentais un besoin de coquetterie qui me raccommoda avec l'amour; non pour le ressentir à la vérité, mais pour l'inspirer et le feindre. En vain m'avait-on dit et avais-je lu qu'on ne pouvait feindre ce sentiment, je voyais pourtant que, pour y parvenir, il suffisait de joindre à l'esprit d'un Auteur le talent d'un Comédien. Je m'exerçai dans les deux genres, et peut- ÃÂȘtre avec quelque succÚs mais au lieu de rechercher les vains applaudissements du Théùtre, je résolus d'employer à mon bonheur ce que tant d'autres sacrifiaient à la vanité. Un an se passa dans ces occupations différentes. Mon deuil me permettant alors de reparaÃtre, je revins à la Ville avec mes grands projets; je ne m'attendais pas au premier obstacle que j'y rencontrai. Cette longue solitude, cette austÚre retraite avaient jeté sur moi un vernis de pruderie qui effrayait nos plus agréables; ils se tenaient à l'écart, et me laissaient livrée à une foule d'ennuyeux, qui tous prétendaient à ma main. L'embarras n'était pas de les refuser; mais plusieurs de ces refus déplaisaient à ma famille, et je perdais dans ces tracasseries intérieures le temps dont je m'étais promis un si charmant usage. Je fus donc obligée, pour rappeler les uns et éloigner les autres, d'afficher quelques inconséquences, et d'employer à nuire à ma réputation le soin que je comptais mettre à la conserver. Je réussis facilement, comme vous pouvez croire. Mais n'étant emportée par aucune passion, je ne fis que ce que je jugeai nécessaire et mesurai avec prudence les doses de mon étourderie. DÚs que j'eus touché le but que je voulais atteindre, je revins sur mes pas, et fis honneur de mon amendement à quelques-unes de ces femmes qui, dans l'impuissance d'avoir des prétentions à l'agrément, se rejettent sur celles du mérite et de la vertu. Ce fut un coup de partie qui me valut plus que je n'avais espéré. Ces reconnaissantes DuÚgnes s'établirent mes apologistes; et leur zÚle aveugle pour ce qu'elles appelaient leur ouvrage fut porté au point qu'au moindre propos qu'on se permettait sur moi, tout le parti Prude criait au scandale et à l'injure. Le mÃÂȘme moyen me valut encore le suffrage de nos femmes à prétentions, qui, persuadées que je renonçais à courir la mÃÂȘme carriÚre qu'elles, me choisirent pour l'objet de leurs éloges, toutes les fois qu'elles voulaient prouver qu'elles ne médisaient pas de tout le monde. Cependant ma conduite précédente avait ramené les Amants; et pour me ménager entre eux et mes fidÚles protectrices, je me montrai comme une femme sensible, mais difficile, à qui l'excÚs de sa délicatesse fournissait des armes contre l'amour. Alors je commençai à déployer sur le grand Théùtre les talents que je m'étais donnés. Mon premier soin fut d'acquérir le renom d'invincible. Pour y parvenir, les hommes qui ne me plaisaient point furent toujours les seuls dont j'eus l'air d'accepter les hommages. Je les employais utilement à me procurer les honneurs de la résistance, tandis que je me livrais sans crainte à l'Amant préféré. Mais, celui-là , ma feinte timidité ne lui a jamais permis de me suivre dans le monde; et les regards du cercle ont été, ainsi, toujours fixés sur l'Amant malheureux. Vous savez combien je me décide vite c'est pour avoir observé que ce sont presque toujours les soins antérieurs qui livrent le secret des femmes. Quoi qu'on puisse faire, le ton n'est jamais le mÃÂȘme, avant ou aprÚs le succÚs. Cette différence n'échappe point à l'observateur attentif et j'ai trouvé moins dangereux de me tromper dans le choix, que de le laisser pénétrer. Je gagne encore par là d'Îter les vraisemblances, sur lesquelles seules on peut nous juger. Ces précautions et celle de ne jamais écrire, de ne livrer jamais aucune preuve de ma défaite, pouvaient paraÃtre excessives, et ne m'ont jamais paru suffisantes. Descendue dans mon cÅ“ur, j'y ai étudié celui des autres. J'y ai vu qu'il n'est personne qui n'y conserve un secret qu'il lui importe qui ne soit point dévoilé vérité que l'Antiquité paraÃt avoir mieux connue que nous, et dont l'histoire de Samson pourrait n'ÃÂȘtre qu'un ingénieux emblÚme. Nouvelle Dalila, j'ai toujours, comme elle, employé ma puissance à surprendre ce secret important. Hé! de combien de nos Samsons modernes, ne tiens-je pas la chevelure sous le ciseau! et ceux-là , j'ai cessé de les craindre; ce sont les seuls que je me sois permis d'humilier quelquefois. Plus souple avec les autres, l'art de les rendre infidÚles pour éviter de leur paraÃtre volage, une feinte amitié, une apparente confiance, quelques procédés généreux, l'idée flatteuse et que chacun conserve d'avoir été mon seul Amant, m'ont obtenu leur discrétion. Enfin, quand ces moyens m'ont manqué, j'ai su, prévoyant mes ruptures, étouffer d'avance, sous le ridicule ou la calomnie, la confiance que ces hommes dangereux auraient pu obtenir. Ce que je vous dis là , vous me le voyez pratiquer sans cesse; et vous doutez de ma prudence! Hé bien! rappelez-vous le temps oÃÂč vous me rendÃtes vos premiers soins jamais hommage ne me flatta autant; je vous désirais avant de vous avoir vu. Séduite par votre réputation, il me semblait que vous manquiez à ma gloire; je brûlais de vous combattre corps à corps. C'est le seul de mes goûts qui ait jamais pris un moment d'empire sur moi. Cependant, si vous eussiez voulu me perdre; quels moyens eussiez-vous trouvés? de vains discours qui ne laissent aucune trace aprÚs eux, que votre réputation mÃÂȘme eût aidé à rendre suspects, et une suite de faits sans vraisemblance, dont le récit sincÚre aurait eu l'air d'un Roman mal tissu. A la vérité, je vous ai depuis livré tous mes secrets mais vous savez quels intérÃÂȘts nous unissent, et si de nous deux, c'est moi qu'on doit taxer d'imprudence. [On saura dans la suite, Lettre CLII, non pas le secret de M. de Valmont à peu prÚs de quel genre il était; et le Lecteur sentira qu'on n'a pas pu l'éclaircir davantage sur cet objet] Puisque je suis en train de vous rendre compte, je veux le faire exactement. Je vous entends d'ici me dire que je suis au moins à la merci de ma Femme de chambre; en effet, si elle n'a pas le secret de mes sentiments, elle a celui de mes actions. Quand vous m'en parlùtes jadis, je vous répondis seulement que j'étais sûre d'elle; et la preuve que cette réponse suffit alors à votre tranquillité, c'est que vous lui avez confié depuis, et pour votre compte, des secrets assez dangereux. Mais à présent que Prévan vous donne de l'ombrage, et que la tÃÂȘte vous en tourne, je me doute bien que vous ne me croyez plus sur parole. Il faut donc vous édifier. PremiÚrement, cette fille est ma sÅ“ur de lait, et ce lien qui ne nous en paraÃt pas un, n'est pas sans force pour les gens de cet état de plus, j'ai son secret, et mieux encore; victime d'une folie de l'amour, elle était perdue si je ne l'eusse sauvée. Ses parents, tout hérissés d'honneur, ne voulaient pas moins que la faire enfermer. Ils s'adressÚrent à moi. Je vis, d'un coup d'oeil, combien leur courroux pouvait m'ÃÂȘtre utile. Je le secondai, et sollicitai l'ordre, que j'obtins. Puis passant tout à coup au parti de la clémence auquel j'amenai ses parents, et profitant de mon crédit auprÚs du vieux Ministre, je les fis tous consentir à me laisser dépositaire de cet ordre, et maÃtresse d'en arrÃÂȘter ou demander l'exécution, suivant que je jugerais du mérite de la conduite future de cette fille. Elle sait donc que j'ai son sort entre les mains, et quand, par impossible, ces moyens puissants ne l'arrÃÂȘteraient point, n'est-il pas évident que sa conduite dévoilée et sa punition authentique Îteraient bientÎt toute créance à ses discours? A ces précautions que j'appelle fondamentales, s'en joignent mille autres, ou locales ou d'occasion, que la réflexion et l'habitude font trouver au besoin; dont le détail serait minutieux, mais dont la pratique est importante, et qu'il faut vous donner la peine de recueillir dans l'ensemble de ma conduite, si vous voulez parvenir à les connaÃtre. Mais de prétendre que je me sois donné tant de soins pour n'en pas retirer de fruits; qu'aprÚs m'ÃÂȘtre autant élevée au-dessus des autres femmes par mes travaux pénibles, je consente à ramper comme elles dans ma marche, entre l'imprudence et la timidité; que surtout je pusse redouter un homme au point de ne plus voir mon salut que dans la fuite? Non, Vicomte; jamais. Il faut vaincre ou périr. Quant à Prévan, je veux l'avoir et je l'aurai; il veut le dire, et il ne le dira pas en deux mots, voilà notre Roman. Adieu. De ..., ce 20 septembre 17** LETTRE LXXXII CECILE VOLANGES AU CHEVALIER DANCENY Mon Dieu, que votre Lettre m'a fait de peine! J'avais bien besoin d'avoir tant d'impatience de la recevoir! J'espérais y trouver de la consolation, et voilà que je suis plus affligée qu'avant de l'avoir reçue. J'ai bien pleuré en la lisant ce n'est pas cela que je vous reproche; j'ai déjà bien pleuré des fois à cause de vous, sans que ça me fasse de la peine. Mais cette fois-ci, ce n'est pas la mÃÂȘme chose. Qu'est-ce donc que vous voulez dire, que votre amour devient un tourment pour vous, que vous ne pouvez plus vivre ainsi, ni soutenir plus longtemps votre situation? Est-ce que vous allez cesser de m'aimer, parce que cela n'est pas si agréable qu'autrefois? Il me semble que je ne suis pas plus heureuse que vous, bien au contraire; et pourtant je ne vous aime que davantage. Si M. de Valmont ne vous a pas écrit, ce n'est pas ma faute; je n'ai pas pu l'en prier, parce que je n'ai pas été seule avec lui, et que nous sommes convenus que nous ne nous parlerions jamais devant le monde et ça, c'est encore pour vous; afin qu'il puisse faire le plus tÎt ce que vous désirez. Je ne dis pas que je ne le désire pas aussi, et vous devez en ÃÂȘtre bien sûr mais comment voulez- vous que je fasse? Si vous croyez que c'est facile, trouvez donc le moyen, je ne demande pas mieux. Croyez-vous qu'il me soit bien agréable d'ÃÂȘtre grondée tous les jours par Maman, elle qui auparavant ne me disait jamais rien, bien au contraire? A présent, c'est pis que si j'étais au Couvent. Je m'en consolais pourtant en songeant que c'était pour vous; il y avait mÃÂȘme des moments oÃÂč je trouvais que j'en étais bien aise; mais quand je vois que vous ÃÂȘtes fùché aussi, et ça sans qu'il y ait du tout de ma faute, je deviens plus chagrine que pour tout ce qui vient de m'arriver jusqu'ici. Rien que pour recevoir vos Lettres, c'est un embarras, que si M. de Valmont n'était pas aussi complaisant et aussi adroit qu'il l'est, je ne saurais comment faire; et pour vous écrire, c'est plus difficile encore. De toute la matinée, je n'ose pas, parce que Maman est tout prÚs de moi, et qu'elle vient à tout moment dans ma chambre. Quelquefois je le peux l'aprÚs-midi; sous prétexte de chanter ou de jouer de la harpe; encore faut-il que j'interrompe à chaque ligne pour qu'on entende que j'étudie. Heureusement ma Femme de chambre s'endort quelquefois le soir, et je lui dis que je me coucherai bien toute seule, afin qu'elle s'en aille et me laisse de la lumiÚre. Et puis, il faut que je me mette sous mon rideau, pour qu'on ne puisse pas voir de clarté, et puis que j'écoute au moindre bruit pour pouvoir tout cacher dans mon lit, si on venait. Je voudrais que vous y fussiez, pour voir! Vous verriez bien qu'il faut bien aimer pour faire ça. Enfin, il est bien vrai que je fais tout ce que je peux, et que je voudrais en pouvoir faire davantage. Assurément, je ne refuse pas de vous dire que je vous aime et que je vous aimerai toujours; jamais je ne l'ai dit de meilleur cÅ“ur; et vous ÃÂȘtes fùché! Vous m'aviez pourtant bien assuré, avant que je vous l'eusse dit, que cela suffisait pour vous rendre heureux. Vous ne pouvez pas le nier c'est dans vos Lettres. Quoique je ne les aie plus, je m'en souviens comme quand je les lisais tous les jours. Et parce que nous voilà absents, vous ne pensez plus de mÃÂȘme! Mais cette absence ne durera pas toujours, peut-ÃÂȘtre? Mon Dieu, que je suis malheureuse! et c'est bien vous qui en ÃÂȘtes cause! A propos de vos Lettres, j'espÚre que vous avez gardé celles que Maman m'a prises, et qu'elle vous a renvoyées; il faudra bien qu'il vienne un temps oÃÂč je ne serai plus si gÃÂȘnée qu'à présent, et vous me les rendrez toutes. Comme je serai heureuse, quand je pourrai les garder toujours, sans que personne ait rien à y voir! A présent, je les remets à M. de Valmont, parce qu'il y aurait trop à risquer autrement malgré cela je ne lui en rends jamais, que cela ne me fasse bien de la peine. Adieu, mon cher ami. Je vous aime de tout mon cÅ“ur. Je vous aimerai toute ma vie. J'espÚre qu'à présent vous n'ÃÂȘtes plus fùché; et si j'en étais sûre, je ne le serais plus moi-mÃÂȘme. Ecrivez-moi le plus tÎt que vous pourrez, car je sens que jusque-là je serai toujours triste. Du Chùteau de ce 21 septembre 17** LETTRE LXXXIII LE VICOMTE DE VALMONT A LA PRESIDENTE DE TOURVEL De grùce, Madame, renouons cet entretien si malheureusement rompu! Que je puisse achever de vous prouver combien je diffÚre de l'odieux portrait qu'on vous avait fait de moi; que je puisse, surtout, jouir encore de cette aimable confiance que vous commenciez à me témoigner! Que de charmes vous savez prÃÂȘter à la vertu! comme vous embellissez et faites chérir tous les sentiments honnÃÂȘtes! Ah! c'est là votre séduction; c'est la plus forte; c'est la seule qui soit, à la fois, puissante et respectable. Sans doute il suffit de vous voir, pour désirer de vous plaire; de vous entendre dans le cercle, pour que ce désir augmente. Mais celui qui a le bonheur de vous connaÃtre davantage, qui peut quelquefois lire dans votre ùme, cÚde bientÎt à un plus noble enthousiasme, et pénétré de vénération comme d'amour, adore en vous l'image de toutes les vertus. Plus fait qu'un autre, peut-ÃÂȘtre, pour les aimer et les suivre, entraÃné par quelques erreurs qui m'avaient éloigné d'elles, c'est vous qui m'en avez rapproché, qui m'en avez de nouveau fait sentir tout le charme me ferez-vous un crime de ce nouvel amour? blùmerez-vous votre ouvrage? Vous reprocheriez-vous mÃÂȘme l'intérÃÂȘt que vous pourriez y prendre? Quel mal peut-on craindre d'un sentiment si pur, et quelles douceurs n'y aurait-il pas à le goûter? Mon amour vous effraie, vous le trouvez violent, effréné? Tempérez-le par un amour plus doux; ne refusez pas l'empire que je vous offre, auquel je jure de ne jamais me soustraire, et qui, j'ose le croire, ne serait pas entiÚrement perdu pour la vertu. Quel sacrifice pourrait me paraÃtre pénible, sûr que votre cÅ“ur m'en garderait le prix? Quel est donc l'homme assez malheureux pour ne pas savoir jouir des privations qu'il s'impose; pour ne pas préférer un mot, un regard accordés, à toutes les jouissances qu'il pourrait ravir ou surprendre! et vous avez cru que j'étais cet homme-là ! et vous m'avez craint! Ah! pourquoi votre bonheur ne dépend-il pas de moi? comme je me vengerais de vous, en vous rendant heureuse! Mais ce doux empire, la stérile amitié ne le produit pas; il n'est dû qu'à l'amour. Ce mot vous intimide! et pourquoi? un attachement plus tendre, une union plus forte, une seule pensée; le mÃÂȘme bonheur comme les mÃÂȘmes peines, qu'y a-t-il donc là d'étranger à votre ùme? Tel est pourtant l'amour! tel est au moins celui que vous inspirez et que je ressens! C'est lui surtout, qui, calculant sans intérÃÂȘt, sait apprécier les actions sur leur mérite et non sur leur valeur; trésor inépuisable des ùmes sensibles, tout devient précieux, fait par lui ou pour lui. Ces vérités si faciles à saisir, si douces à pratiquer, qu'ont-elles donc d'effrayant? Quelles craintes peut aussi vous causer un homme sensible, à qui l'amour ne permet plus un autre bonheur que le vÎtre? C'est aujourd'hui l'unique vÅ“u que je forme je sacrifierai tout pour le remplir, excepté le sentiment qui l'inspire; et ce sentiment lui-mÃÂȘme, consentez à le partager, et vous le réglerez à votre choix. Mais ne souffrons plus qu'il nous divise, lorsqu'il devrait nous réunir. Si l'amitié que vous m'avez offerte n'est pas un vain mot; si, comme vous me le disiez hier, c'est le sentiment le plus doux que votre ùme connaisse; que ce soit elle qui stipule entre nous, je ne la récuserai point mais juge de l'amour, qu'elle consente à l'écouter; le refus de l'entendre deviendrait une injustice, et l'amitié n'est point injuste. Un second entretien n'aura pas plus d'inconvénients que le premier le hasard peut encore en fournir l'occasion; vous pourriez vous-mÃÂȘme en indiquer le moment. Je veux croire que j'ai tort; n'aimerez-vous pas mieux me ramener que me combattre, et doutez-vous de ma docilité? Si ce tiers importun ne fût pas venu nous interrompre, peut-ÃÂȘtre serais-je déjà entiÚrement revenu à votre avis; qui sait jusqu'oÃÂč peut aller votre pouvoir? Vous le dirai-je? cette puissance invincible, à laquelle je me livre sans oser la calculer, ce charme irrésistible, qui vous rend souveraine de mes pensées comme de mes actions, il m'arrive quelquefois de les craindre. Hélas! cet entretien que je vous demande, peut-ÃÂȘtre est-ce à moi à le redouter! peut-ÃÂȘtre aprÚs, enchaÃné par mes promesses, me verrai-je réduit à brûler d'un amour que je sens bien qui ne pourra s'éteindre, sans oser mÃÂȘme implorer votre secours! Ah! Madame, de grùce, n'abusez pas de votre empire! Mais quoi! si vous devez en ÃÂȘtre plus heureuse, si je dois vous en paraÃtre plus digne de vous, quelles peines ne sont pas adoucies par ces idées consolantes! Oui, je le sens; vous parler encore, c'est vous donner contre moi de plus fortes armes; c'est me soumettre plus entiÚrement à votre volonté. Il est plus aisé de se défendre contre vos Lettres; ce sont bien vos mÃÂȘmes discours, mais vous n'ÃÂȘtes pas là pour leur prÃÂȘter des forces. Cependant, le plaisir de vous entendre m'en fait braver le danger au moins aurai-je ce bonheur d'avoir tout fait pour vous, mÃÂȘme contre moi; et mes sacrifices deviendront un hommage. Trop heureux de vous prouver de mille maniÚres, comme je le sens de mille façons, que, sans m'en excepter, vous ÃÂȘtes, vous serez toujours l'objet le plus cher à mon cÅ“ur. Du Chùteau de ce 23 septembre 17** LETTRE LXXXIV LE VICOMTE DE VALMONT A CECILE VOLANGES Vous avez vu combien nous avons été contrariés hier. De toute la journée je n'ai pas pu vous remettre la Lettre que j'avais pour vous; j'ignore si j'y trouverai plus de facilité aujourd'hui. Je crains de vous compromettre, en y mettant plus de zÚle que d'adresse; et je ne me pardonnerais pas une imprudence qui vous deviendrait si fatale, et causerait le désespoir de mon ami, en vous rendant éternellement malheureuse. Cependant je connais les impatiences de l'amour; je sens combien il doit ÃÂȘtre pénible, dans votre situation, d'éprouver quelque retard à la seule consolation que vous puissiez goûter dans ce moment. A force de m'occuper des moyens d'écarter les obstacles, j'en ai trouvé un dont l'exécution sera aisée, si vous y mettez quelque soin. Je crois avoir remarqué que la clef de la porte de votre Chambre, qui donne sur le corridor, est toujours sur la cheminée de votre Maman. Tout deviendrait facile avec cette clef, vous devez bien le sentir; mais à son défaut, je vous en procurerai une semblable, et qui la suppléera. Il me suffira, pour y parvenir, d'avoir l'autre une heure ou deux à ma disposition. Vous devez trouver aisément l'occasion de la prendre, et pour qu'on ne s'aperçoive pas qu'elle manque, j'en joins ici une à moi, qui est assez semblable, pour qu'on n'en voie pas la différence, à moins qu'on ne l'essaie; ce qu'on ne tentera pas. Il faudra seulement que vous ayez soin d'y mettre un ruban, bleu et passé, comme celui qui est à la vÎtre. Il faudrait tùcher d'avoir cette clef pour demain ou aprÚs-demain, à l'heure du déjeuner; parce qu'il vous sera plus facile de me la donner alors, et qu'elle pourra ÃÂȘtre remise à sa place pour le soir, temps oÃÂč votre Maman pourrait y faire plus d'attention. Je pourrai vous la rendre au moment du dÃner, si nous nous entendons bien. Vous savez que quand on passe du salon à la salle à manger, c'est toujours Madame de Rosemonde qui marche la derniÚre. Je lui donnerai la main. Vous n'aurez qu'à quitter votre métier de tapisserie lentement, ou bien laisser tomber quelque chose, de façon à rester en arriÚre vous saurez bien alors prendre la clef, que j'aurai soin de tenir derriÚre moi. Il ne faudra pas négliger, aussitÎt aprÚs l'avoir prise, de rejoindre ma vieille tante, et de lui faire quelques caresses. Si par hasard vous laissiez tomber cette clef, n'allez pas vous déconcerter; je feindrai que c'est moi, et je vous réponds de tout. Le peu de confiance que vous témoigne votre Maman et ses procédés si durs envers vous autorisent de reste cette petite supercherie. C'est au surplus le seul moyen de continuer à recevoir les Lettres de Danceny, et à lui faire passer les vÎtres; tout autre est réellement trop dangereux, et pourrait vous perdre tous deux sans ressource aussi ma prudente amitié se reprocherait-elle de les employer davantage. Une fois maÃtres de la clef, il nous restera quelques précautions à prendre contre le bruit de la porte et de la serrure mais elles sont bien faciles. Vous trouverez, sous la mÃÂȘme armoire oÃÂč j'avais mis votre papier, de l'huile et une plume. Vous allez quelquefois chez vous à des heures oÃÂč vous y ÃÂȘtes seule il faut en profiter pour huiler la serrure et les gonds. La seule attention à avoir, est de prendre garde aux taches qui déposeraient contre vous. Il faudra aussi attendre que la nuit soit venue, parce que, si cela se fait avec l'intelligence dont vous ÃÂȘtes capable, il n'y paraÃtra plus le lendemain matin. Si pourtant on s'en aperçoit, n'hésitez pas à dire que c'est le Frotteur du Chùteau. Il faudrait, dans ce cas, spécifier le temps, mÃÂȘme les discours qu'il vous aura tenus comme par exemple, qu'il prend ce soin contre la rouille, pour toutes les serrures dont on ne fait pas usage. Car vous sentez qu'il ne serait pas vraisemblable que vous eussiez été témoin de ce tracas sans en demander la cause. Ce sont ces petits détails qui donnent la vraisemblance, et la vraisemblance rend les mensonges sans conséquence, en Îtant le désir de les vérifier. AprÚs que vous aurez lu cette Lettre, je vous prie de la relire, et mÃÂȘme de vous en occuper d'abord, c'est qu'il faut bien savoir ce qu'on veut bien faire; ensuite, pour vous assurer que je n'ai rien omis. Peu accoutumé à employer la finesse pour mon compte, je n'en ai pas grand usage; il n'a pas mÃÂȘme fallu moins que ma vive amitié pour Danceny, et l'intérÃÂȘt que vous inspirez, pour me déterminer à me servir de ces moyens, quelque innocents qu'ils soient. Je hais tout ce qui a l'air de la tromperie; c'est là mon caractÚre. Mais vos malheurs m'ont touché au point que je tenterai tout pour les adoucir. Vous pensez bien que, cette communication une fois établie entre nous, il me sera bien plus facile de vous procurer, avec Danceny, l'entretien qu'il désire. Cependant ne lui parlez pas encore de tout ceci; vous ne feriez qu'augmenter son impatience, et le moment de la satisfaire n'est pas encore tout à fait venu. Vous lui devez, je crois, de la calmer plutÎt que de l'aigrir. Je m'en rapporte là - dessus à votre délicatesse. Adieu, ma belle pupille car vous ÃÂȘtes ma pupille. Aimez un peu votre tuteur, et surtout ayez avec lui de la docilité; vous vous en trouverez bien. Je m'occupe de votre bonheur, et soyez sûre que j'y trouverai le mien. De ..., ce 24 septembre 17** LETTRE LXXXV LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT Enfin vous serez tranquille et surtout vous me rendrez justice. Ecoutez, et ne me confondez plus avec les autres femmes. J'ai mis à fin mon aventure avec Prévan; à fin ! entendez-vous bien ce que cela veut dire? A présent vous allez juger qui de lui ou de moi pourra se vanter. Le récit ne sera pas si plaisant que l'action aussi ne serait-il pas juste que, tandis que vous n'avez fait que raisonner bien ou mal sur cette affaire, il vous en revÃnt autant de plaisir qu'à moi, qui y donnais mon temps et ma peine. Cependant, si vous avez quelque grand coup à faire, si vous devez tenter quelque entreprise oÃÂč ce Rival dangereux vous paraisse à craindre, arrivez. Il vous laisse le champ libre, au moins pour quelque temps; peut-ÃÂȘtre mÃÂȘme ne se relÚvera-t-il jamais du coup que je lui ai porté. Que vous ÃÂȘtes heureux de m'avoir pour amie! Je suis pour vous une Fée bienfaisante. Vous languissez loin de la Beauté qui vous engage; je dis un mot, et vous vous retrouvez auprÚs d'elle. Vous voulez vous venger d'une femme qui vous nuit; je vous marque l'endroit oÃÂč vous devez frapper et la livre à votre discrétion. Enfin, pour écarter de la lice un concurrent redoutable, c'est encore moi que vous invoquez, et je vous exauce. En vérité, si vous ne passez pas votre vie à me remercier, c'est que vous ÃÂȘtes un ingrat. Je reviens à mon aventure et la reprends d'origine. Le rendez-vous, donné si haut, à la sortie de l'Opéra [Voyez la Lettre LXXIV], fut entendu comme je l'avais espéré. Prévan s'y rendit; et quand la Maréchale lui dit obligeamment qu'elle se félicitait de le voir deux fois de suite à ses jours, il eut soin de répondre que depuis Mardi soir il avait défait mille arrangements, pour pouvoir ainsi disposer de cette soirée. A bon entendeur, salut! Comme je voulais pourtant savoir, avec plus de certitude, si j'étais ou non le véritable objet de cet empressement flatteur, je voulus forcer le soupirant nouveau de choisir entre moi et son goût dominant. Je déclarai que je ne jouerais point; en effet, il trouva, de son cÎté, mille prétextes pour ne pas jouer; et mon premier triomphe fut sur le lansquenet. Je m'emparai de l'EvÃÂȘque de ... pour ma conversation; je le choisis à cause de sa liaison avec le héros du jour, à qui je voulais donner toute facilité de m'aborder. J'étais bien aise aussi d'avoir un témoin respectable qui pût, au besoin, déposer de ma conduite et de mes discours. Cet arrangement réussit. AprÚs les propos vagues et d'usage, Prévan, s'étant bientÎt rendu maÃtre de la conversation, prit tour à tour différents tons, pour essayer celui qui pourrait me plaire. Je refusai celui du sentiment, comme n'y croyant pas; j'arrÃÂȘtai par mon sérieux sa gaieté qui me parut trop légÚre pour un début; il se rabattit sur la délicate amitié; et ce fut sous ce drapeau banal que nous commençùmes notre attaque réciproque. Au moment du souper, l'EvÃÂȘque, ne descendait pas; Prévan me donna donc la main, et se trouva naturellement placé à table à cÎté de moi. Il faut ÃÂȘtre juste; il soutint avec beaucoup d'adresse notre conversation particuliÚre, en ne paraissant s'occuper que de la conversation générale, dont il eut l'air de faire tous les frais. Au dessert, on parla d'une PiÚce nouvelle qu'on devait donner le Lundi suivant aux Français. Je témoignai quelques regrets de n'avoir pas ma loge; il m'offrit la sienne que je refusai d'abord, comme cela se pratique à quoi il répondit assez plaisamment que je ne l'entendais pas, qu'à coup sûr il ne ferait pas le sacrifice de sa loge à quelqu'un qu'il ne connaissait pas, mais qu'il m'avertissait seulement que Madame la Maréchale en disposerait. Elle se prÃÂȘta à cette plaisanterie, et j'acceptai. Remonté au salon, il demanda, comme vous pouvez croire, une place dans cette loge; et comme la Maréchale, qui le traite avec beaucoup de bonté, la lui promit s'il était sage , il en prit l'occasion d'une de ces conversations à double entente, pour lesquelles vous m'avez vanté son talent. En effet, s'étant mis à ses genoux, comme un enfant soumis, disait-il, sous prétexte de lui demander ses avis et d'implorer sa raison, il dit beaucoup de choses flatteuses et assez tendres, dont il m'était facile de me faire l'application. Plusieurs personnes ne s'étant pas remises au jeu l'aprÚs-souper, la conversation fut plus générale et moins intéressante mais nos yeux parlÚrent beaucoup. Je dis nos yeux je devrais dire les siens; car les miens n'eurent qu'un langage, celui de la surprise. Il dut penser que je m'étonnais et m'occupais excessivement de l'effet prodigieux qu'il faisait sur moi. Je crois que je le laissai fort satisfait; je n'étais pas moins contente. Le Lundi suivant, je fus aux Français, comme nous en étions convenus. Malgré votre curiosité littéraire, je ne puis vous rien dire du Spectacle, sinon que Prévan a un talent merveilleux pour la cajolerie, et que la PiÚce est tombée voilà tout ce que j'y ai appris. Je voyais avec peine finir cette soirée, qui réellement me plaisait beaucoup; et pour la prolonger, j'offris à la Maréchale de venir souper chez moi ce qui me fournit le prétexte de le proposer à l'aimable Cajoleur, qui ne demanda que le temps de courir, pour se dégager, jusque chez les Comtesses de P. [Voyez la lettre LXX]. Ce nom me rendit toute ma colÚre; je vis clairement qu'il allait commencer les confidences je me rappelai vos sages conseils et me promis bien de poursuivre l'aventure; sûre que je le guérirais de cette dangereuse indiscrétion. Etranger dans ma société, qui ce soir-là était peu nombreuse, il me devait les soins d'usage; aussi, quand on alla souper, m'offrit-il la main. J'eus la malice, en l'acceptant, de mettre dans la mienne un léger frémissement, et d'avoir, pendant ma marche, les yeux baissés et la respiration haute. J'avais l'air de pressentir ma défaite, et de redouter mon vainqueur. Il le remarqua à merveille; aussi le traÃtre changea-t-il sur-le-champ de ton et de maintien. Il était galant, il devint tendre. Ce n'est pas que les propos ne fussent à peu prÚs les mÃÂȘmes; la circonstance y forçait mais son regard, devenu moins vif, était plus caressant; l'inflexion de sa voix plus douce; son sourire n'était plus celui de la finesse, mais du contentement. Enfin dans ses discours, éteignant peu à peu le feu de la saillie, l'esprit fit place à la délicatesse. Je vous le demande, qu'eussiez-vous fait de mieux? De mon cÎté, je devins rÃÂȘveuse, à tel point qu'on fut forcé de s'en apercevoir, et quand on m'en fit le reproche, j'eus l'adresse de m'en défendre maladroitement, et de jeter sur Prévan un coup d'oeil prompt, mais timide et déconcerté, et propre à lui faire croire que toute ma crainte était qu'il ne devinùt la cause de mon trouble. AprÚs souper, je profitai du temps oÃÂč la bonne Maréchale contait une de ces histoires qu'elle conte toujours, pour me placer sur mon Ottomane, dans cet abandon que donne une tendre rÃÂȘverie. Je n'étais pas fùchée que Prévan me vÃt ainsi; il m'honora, en effet, d'une attention toute particuliÚre. Vous jugez bien que mes timides regards n'osaient chercher les yeux de mon vainqueur mais dirigés vers lui d'une maniÚre plus humble, ils m'apprirent bientÎt que j'obtenais l'effet que je voulais produire. Il fallait encore lui persuader que je le partageais aussi, quand la Maréchale annonça qu'elle allait se retirer, je m'écriai d'une voix molle et tendre " Ah Dieu! j'étais si bien là ! " Je me levai pourtant mais avant de me séparer d'elle, je lui demandai ses projets, pour avoir un prétexte de dire les miens et de faire savoir que je resterais chez moi le surlendemain. Là -dessus tout le monde se sépara. Alors je me mis à réfléchir. Je ne doutais pas que Prévan ne profitùt de l'espÚce de rendez-vous que je venais de lui donner; qu'il n'y vÃnt d'assez bonne heure pour me trouver seule, et que l'attaque ne fût vive mais j'étais bien sûre aussi, d'aprÚs ma réputation, qu'il ne me traiterait pas avec cette légÚreté que, pour peu qu'on ait d'usage, on n'emploie qu'avec les femmes à aventures, ou celles qui n'ont aucune expérience; et je voyais mon succÚs certain s'il prononçait le mot d'amour, s'il avait la prétention, surtout, de l'obtenir de moi. Qu'il est commode d'avoir affaire à vous autres gens à principes ! quelquefois un brouillon d'Amoureux vous déconcerte par sa timidité ou vous embarrasse par ses fougueux transports; c'est une fiÚvre qui, comme l'autre, a ses frissons et son ardeur, et quelquefois varie dans ses symptÎmes. Mais votre marche réglée se devine si facilement! L'arrivée, le maintien, le ton, les discours, je savais tout dÚs la veille. Je ne vous rendrai donc pas notre conversation que vous suppléerez aisément. Observez seulement que, dans ma feinte défense, je l'aidais de tout mon pouvoir embarras, pour lui donner le temps de parler; mauvaises raisons, pour ÃÂȘtre combattues; crainte et méfiance, pour ramener les protestations; et ce refrain perpétuel de sa part, je ne vous demande qu'un mot ; et ce silence de la mienne, qui semble ne le laisser attendre que pour le faire désirer davantage; au travers de tout cela, une main cent fois prise, qui se retire toujours et ne se refuse jamais. On passerait ainsi tout un jour; nous y passùmes une mortelle heure nous y serions peut-ÃÂȘtre encore si nous n'avions entendu entrer un carrosse dans ma cour. Cet heureux contretemps rendit, comme de raison, ses instances plus vives; et moi, voyant le moment arrivé, oÃÂč j'étais à l'abri de toute surprise, aprÚs m'ÃÂȘtre préparée par un long soupir, j'accordai le mot précieux. On annonça, et peu de temps aprÚs, j'eus un cercle assez nombreux. Prévan me demanda de venir le lendemain matin, et j'y consentis mais soigneuse de me défendre, j'ordonnai à ma Femme de chambre de rester tout le temps de cette visite dans ma chambre à coucher, d'oÃÂč vous savez qu'on voit tout ce qui se passe dans mon cabinet de toilette, et ce fut là que je le reçus. Libres dans notre conversation, et ayant tous deux le mÃÂȘme désir, nous fûmes bientÎt d'accord mais il fallait se défaire de ce spectateur importun; c'était oÃÂč je l'attendais. Alors, lui faisant à mon gré le tableau de ma vie intérieure, je lui persuadai aisément que nous ne trouverions jamais un moment de liberté; et qu'il fallait regarder comme une espÚce de miracle, celle dont nous avions joui hier, qui mÃÂȘme laisserait encore des dangers trop grands pour m'y exposer, puisque à tout moment on pouvait entrer dans mon salon. Je ne manquai pas d'ajouter que tous ces usages s'étaient établis, parce que, jusqu'à ce jour, ils ne m'avaient jamais contrariée; et j'insistai en mÃÂȘme temps sur l'impossibilité de les changer, sans me compromettre aux yeux de mes Gens. Il essaya de s'attrister, de prendre de l'humeur, de me dire que j'avais peu d'amour; et vous devinez combien tout cela me touchait! Mais voulant frapper le coup décisif, j'appelai les larmes à mon secours. Ce fut exactement le Zaïre, vous pleurez . Cet empire qu'il se crut sur moi, et l'espoir qu'il en conçut de me perdre à son gré, lui tinrent lieu de tout l'amour d'Orosmane. Ce coup de théùtre passé, nous revÃnmes aux arrangements. Au défaut du jour, nous nous occupùmes de la nuit mais mon Suisse devenait un obstacle insurmontable, et je ne permettais pas qu'on essayùt de le gagner. Il me proposa la petite porte de mon jardin mais je l'avais prévu, et j'y créai un chien qui, tranquille et silencieux le jour, était un vrai démon la nuit. La facilité avec laquelle j'entrai dans tous ces détails était bien propre à l'enhardir; aussi vint-il à me proposer l'expédient le plus ridicule, et ce fut celui que j'acceptai. D'abord, son Domestique était sûr comme lui-mÃÂȘme en cela il ne trompait guÚre, l'un l'était bien autant que l'autre. J'aurais un grand souper chez moi; il y serait, il prendrait son temps pour sortir seul. L'adroit confident appellerait la voiture, ouvrirait la portiÚre; et lui Prévan, au lieu de monter, s'esquiverait adroitement. Son cocher ne pouvait s'en apercevoir en aucune façon; ainsi sorti pour tout le monde, et cependant resté chez moi, il s'agissait de savoir s'il pourrait parvenir à mon appartement. J'avoue que d'abord mon embarras fut de trouver, contre ce projet, d'assez mauvaises raisons pour qu'il pût avoir l'air de les détruire; il y répondit par des exemples. A l'entendre, rien n'était plus ordinaire que ce moyen; lui-mÃÂȘme s'en était beaucoup servi; c'était mÃÂȘme celui dont il faisait le plus d'usage, comme le moins dangereux. Subjuguée par ces autorités irrécusables, je convins, avec candeur, que j'avais bien un escalier dérobé qui conduisait trÚs prÚs de mon boudoir; que je pouvais y laisser la clef, et qu'il lui serait possible de s'y enfermer, et d'attendre, sans beaucoup de risques, que mes Femmes fussent retirées; et puis, pour donner plus de vraisemblance à mon consentement, le moment d'aprÚs je ne voulais plus, je ne revenais à consentir qu'à condition d'une soumission parfaite, d'une sagesse... Ah! quelle sagesse! Enfin je voulais bien lui prouver mon amour, mais non pas satisfaire le sien. La sortie, dont j'oubliais de vous parler, devait se faire par la petite porte du jardin il ne s'agissait que d'attendre le point du jour, le CerbÚre ne dirait plus mot. Pas une ùme ne passe à cette heure-là , et les gens sont dans le plus fort du sommeil. Si vous vous étonnez de ce tas de mauvais raisonnements, c'est que vous oubliez notre situation réciproque. Qu'avions-nous besoin d'en faire de meilleurs? Il ne demandait pas mieux que tout cela se sût, et moi, j'étais bien sûre qu'on ne le saurait pas. Le jour fixé fut au surlendemain. Remarquez que voilà une affaire arrangée, et que personne n'a encore vu Prévan dans ma société. Je le rencontre à souper chez une de mes amies, il lui offre sa loge pour une piÚce nouvelle, et j'y accepte une place. J'invite cette femme à souper, pendant le Spectacle et devant Prévan; je ne puis presque pas me dispenser de lui proposer d'en ÃÂȘtre. Il accepte et me fait, deux jours aprÚs, une visite que l'usage exige. Il vient, à la vérité, me voir le lendemain matin mais, outre que les visites du matin ne marquent plus, il ne tient qu'à moi de trouver celle-ci trop leste; et je le mets en effet dans la classe des gens moins liés avec moi, par une invitation écrite, pour un souper de cérémonie. Je puis bien dire comme Annette Mais voilà tout, pourtant! Le jour fatal arrivé, ce jour oÃÂč je devais perdre ma vertu et ma réputation, je donnai mes instructions à ma fidÚle Victoire, et elle les exécuta comme vous le verrez bientÎt. Cependant le soir vint. J'avais déjà beaucoup de monde chez moi, quand on y annonça Prévan. Je le reçus avec une politesse marquée, qui constatait mon peu de liaison avec lui; et je le mis à la partie de la Maréchale, comme étant celle par qui j'avais fait cette connaissance. La soirée ne produisit rien qu'un trÚs petit billet, que le discret Amoureux trouva moyen de me remettre, et que j'ai brûlé suivant ma coutume. Il m'y annonçait que je pouvais compter sur lui; et ce mot essentiel était entouré de tous les mots parasites, d'amour, de bonheur, etc., qui ne manquent jamais de se trouver à pareille fÃÂȘte. A minuit, les parties étant finies, je proposai une courte macédoine [Quelques personnes ignorent peut-ÃÂȘtre qu'une macédoine est un assemblage de plusieurs jeux de hasard, parmi lesquels chaque Coupeur a droit de choisir lorsque c'est à lui à tenir la main. C'est une des inventions du siÚcle.]. J'avais le double projet de favoriser l'évasion de Prévan, et en mÃÂȘme temps de la faire remarquer; ce qui ne pouvait pas manquer d'arriver, vu sa réputation de Joueur. J'étais bien aise aussi qu'on pût se rappeler au besoin que je n'avais pas été pressée de rester seule. Le jeu dura plus que je n'avais pensé. Le Diable me tentait, et je succombai au désir d'aller consoler l'impatient prisonnier. Je m'acheminais ainsi à ma perte, quand je réfléchis qu'une fois rendue tout à fait, je n'aurais plus sur lui l'empire de le tenir dans le costume de décence nécessaire à mes projets. J'eus la force de résister. Je rebroussai chemin, et revins, non sans humeur, reprendre place à ce jeu éternel. Il finit pourtant, et chacun s'en alla. Pour moi, je sonnai mes femmes, je me déshabillai fort vite, et les renvoyai de mÃÂȘme. Me voyez-vous, Vicomte, dans ma toilette légÚre, marcher d'un pas timide et circonspect, et d'une main mal assurée ouvrir la porte à mon vainqueur? Il m'aperçut, l'éclair n'est pas plus prompt. Que vous dirai-je? je fus vaincue, tout à fait vaincue, avant d'avoir pu dire un mot pour l'arrÃÂȘter ou me défendre. Il voulut ensuite prendre une situation plus commode et plus convenable aux circonstances. Il maudissait sa parure, qui, disait-il, l'éloignait de moi, il voulait me combattre à armes égales mais mon extrÃÂȘme timidité s'opposa à ce projet, et mes tendres caresses ne lui en laissÚrent pas le temps. Il s'occupa d'autre chose. Ses droits étaient doublés, et ses prétentions revinrent; mais alors " Ecoutez- moi, lui dis-je; vous aurez jusqu'ici un assez agréable récit à faire aux deux Comtesses de P***, et à mille autres mais je suis curieuse de savoir comment vous raconterez la fin de l'aventure. " En parlant ainsi, je sonnais de toutes mes forces. Pour le coup j'eus mon tour, et mon action fut plus vive que sa parole. Il n'avait encore que balbutié, quand j'entendis Victoire accourir, et appeler les Gens qu'elle avait gardés chez elle, comme je le lui avais ordonné. Là , prenant mon ton de Reine, et élevant la voix " Sortez, Monsieur, continuai-je, et ne reparaissez jamais devant moi. " Là -dessus, la foule de mes gens entra. Le pauvre Prévan perdit la tÃÂȘte, et croyant voir un guet-apens dans ce qui n'était au fond qu'une plaisanterie, il se jeta sur son épée. Mal lui en prit car mon Valet de chambre, brave et vigoureux, le saisit au corps et le terrassa. J'eus, je l'avoue, une frayeur mortelle. Je criai qu'on arrÃÂȘtùt, et ordonnai qu'on laissùt sa retraite libre, en s'assurant seulement qu'il sortÃt de chez moi. Mes gens m'obéirent mais la rumeur était grande parmi eux ils s'indignaient qu'on eût osé manquer à leur vertueuse MaÃtresse . Tous accompagnÚrent le malheureux Chevalier, avec bruit et scandale, comme je le souhaitais. La seule Victoire resta, et nous nous occupùmes pendant ce temps à réparer le désordre de mon lit. Mes gens remontÚrent toujours en tumulte; et moi, encore tout émue , je leur demandai par quel bonheur ils s'étaient encore trouvés levés; et Victoire me raconta qu'elle avait donné à souper à deux de ses amies, qu'on avait veillé chez elle, et enfin tout ce dont nous étions convenues ensemble. Je les remerciai tous, et les fis retirer, en ordonnant pourtant à l'un d'eux d'aller sur- le-champ chercher mon Médecin. Il me parut que j'étais autorisée à craindre l'effet de mon saisissement mortel ; et c'était un moyen sûr de donner du cours et de la célébrité à cette nouvelle. Il vint en effet, me plaignit beaucoup, et ne m'ordonna que du repos. Moi, j'ordonnai de plus à Victoire d'aller le matin de bonne heure bavarder dans le voisinage. Tout a si bien réussi qu'avant midi, et aussitÎt qu'il a été jour chez moi, ma dévote Voisine était déjà au chevet de mon lit, pour savoir la vérité et les détails de cette horrible aventure. J'ai été obligée de me désoler avec elle, pendant une heure, sur la corruption du siÚcle. Un moment aprÚs, j'ai reçu de la Maréchale le billet que je joins ici. Enfin, avant cinq heures, j'ai vu arriver, à mon grand étonnement, M... [Le Commandant du corps dans lequel M. de Prévan servait]. Il venait, m'a-t-il dit, me faire ses excuses, de ce qu'un Officier de son corps avait pu me manquer à ce point. Il ne l'avait appris qu'à dÃner chez la Maréchale, et avait sur-le-champ envoyé ordre à Prévan de se rendre en prison. J'ai demandé grùce, et il me l'a refusée. Alors j'ai pensé que, comme complice, il fallait m'exécuter de mon cÎté, et garder au moins de rigides arrÃÂȘts. J'ai fait fermer ma porte, et dire que j'étais incommodée. C'est à ma solitude que vous devez cette longue Lettre. J'en écrirai une à Madame de Volanges, dont sûrement elle fera lecture publique et oÃÂč vous verrez cette histoire telle qu'il faut la raconter. J'oubliais de vous dire que Belleroche est outré, et veut absolument se battre avec Prévan. Le pauvre garçon! heureusement j'aurai le temps de calmer sa tÃÂȘte. En attendant, je vais reposer la mienne, qui est fatiguée d'écrire. Adieu, Vicomte. Paris, ce 25 septembre 17**, au soir. LETTRE LXXXVI LA MARECHALE DE *** A LA MARQUISE DE MERTEUIL BILLET INCLUS DANS LA PRECEDENTE. Mon Dieu! qu'est-ce donc que j'apprends, ma chÚre Madame? est-il possible que ce petit Prévan fasse de pareilles abominations? et encore vis-à -vis de vous! A quoi on est exposé! on ne sera donc plus en sûreté chez soi! En vérité, ces événements-là consolent d'ÃÂȘtre vieille. Mais de quoi je ne me consolerai jamais, c'est d'avoir été en partie cause de ce que vous avez reçu un pareil monstre chez vous. Je vous promets bien que si ce qu'on m'en a dit est vrai, il ne remettra plus les pieds chez moi; c'est le parti que tous les honnÃÂȘtes gens prendront avec lui, s'ils font ce qu'ils doivent. On m'a dit que vous vous étiez trouvée bien mal, et je suis inquiÚte de votre santé. Donnez-moi, je vous prie, de vos chÚres nouvelles; ou faites-m'en donner par une de vos Femmes, si vous ne le pouvez pas vous-mÃÂȘme. Je ne vous demande qu'un mot pour me tranquilliser. Je serais accourue chez vous ce matin, sans mes bains que mon Docteur ne me permet pas d'interrompre; et il faut que j'aille cet aprÚs-midi à Versailles, toujours pour l'affaire de mon neveu. Adieu, ma chÚre Madame; comptez pour la vie sur ma sincÚre amitié. Paris, ce 25 septembre 17** LETTRE LXXXVII LA MARQUISE DE MERTEUIL A MADAME DE VOLANGES Je vous écris de mon lit, ma chÚre bonne amie. L'événement le plus désagréable et le plus impossible à prévoir, m'a rendue malade de saisissement et de chagrin. Ce n'est pas qu'assurément j'aie rien à me reprocher mais il est toujours si pénible pour une femme honnÃÂȘte et qui conserve la modestie convenable à son sexe, de fixer sur elle l'attention publique, que je donnerais tout au monde pour avoir pu éviter cette malheureuse aventure, et que je ne sais encore si je ne prendrai pas le parti d'aller à la campagne, attendre qu'elle soit oubliée. Voici ce dont il s'agit. J'ai rencontré chez la Maréchale de ... un M. de Prévan que vous connaissez sûrement de nom, et que je ne connaissais pas autrement. Mais en le trouvant dans cette maison, j'étais bien autorisée, ce me semble, à le croire bonne compagnie. Il est assez bien fait de sa personne, et m'a paru ne pas manquer d'esprit. Le hasard et l'ennui du jeu me laissÚrent seule de femme entre lui et l'EvÃÂȘque de ... , tandis que tout le monde était occupé au lansquenet. Nous causùmes tous trois jusqu'au moment du souper. A table, une nouveauté dont on parla lui donna l'occasion d'offrir sa loge à la Maréchale, qui l'accepta; et il fut convenu que j'y aurais une place. C'était pour Lundi dernier, aux Français. Comme la Maréchale venait souper chez moi au sortir du Spectacle, je proposai à ce Monsieur de l'y accompagner, et il y vint. Le surlendemain il me fit une visite qui se passa en propos d'usage, et sans qu'il y eût du tout rien de marqué. Le lendemain il vint me voir le matin, ce qui me parut bien un peu leste mais je crus qu'au lieu de le lui faire sentir par ma façon de le recevoir, il valait mieux l'avertir par une politesse, que nous n'étions pas encore aussi intimement liés qu'il paraissait le croire. Pour cela je lui envoyai, le jour mÃÂȘme, une invitation bien sÚche et bien cérémonieuse, pour un souper que je donnais avant-hier. Je ne lui adressai pas la parole quatre fois dans toute la soirée; et lui de son cÎté se retira aussitÎt sa partie finie. Vous conviendrez que jusque-là rien n'a moins l'air de conduire à une aventure on fit, aprÚs les parties, une macédoine qui nous mena jusqu'à prÚs de deux heures; et enfin je me mis au lit. Il y avait au moins une mortelle demi-heure que mes femmes étaient retirées, quand j'entendis du bruit dans mon appartement. J'ouvris mon rideau avec beaucoup de frayeur, et vis un homme entrer par la porte qui conduit à mon boudoir. Je jetai un cri perçant; et je reconnus, à la clarté de ma veilleuse, ce M. de Prévan, qui, avec une effronterie inconcevable, me dit de ne pas m'alarmer; qu'il allait m'éclaircir le mystÚre de sa conduite, et qu'il me suppliait de ne faire aucun bruit. En parlant ainsi, il allumait une bougie; j'étais saisie au point que je ne pouvais parler. Son air aisé et tranquille me pétrifiait, je crois, encore davantage. Mais il n'eut pas dit deux mots, que je vis quel était ce prétendu mystÚre; et ma seule réponse fut, comme vous pouvez le croire, de me pendre à ma sonnette. Par un bonheur incroyable, tous les Gens de l'office avaient veillé chez une de mes Femmes, et n'étaient pas encore couchés. Ma Femme de chambre, qui, en venant chez moi, m'entendit parler avec beaucoup de chaleur, fut effrayée, et appela tout ce monde-là . Vous jugez quel scandale! Mes Gens étaient furieux; je vis le moment oÃÂč mon Valet de chambre tuait Prévan. J'avoue que, pour l'instant, je fus fort aise de me voir en force en y réfléchissant aujourd'hui, j'aimerais mieux qu'il ne fût venu que ma Femme de chambre; elle aurait suffi, et j'aurais peut-ÃÂȘtre évité cet éclat qui m'afflige. Au lieu de cela, le tumulte a réveillé les voisins, les Gens ont parlé, et c'est depuis hier la nouvelle de tout Paris. M. de Prévan est en prison par ordre du Commandant de son corps, qui a eu l'honnÃÂȘteté de passer chez moi, pour me faire des excuses, m'a-t-il dit. Cette prison va encore augmenter le bruit mais je n'ai jamais pu obtenir que cela fût autrement. La Ville et la Cour se sont fait écrire à ma porte, que j'ai fermée à tout le monde. Le peu de personnes que j'ai vues m'a dit qu'on me rendait justice, et que l'indignation publique était au comble contre M. de Prévan assurément, il le mérite bien, mais cela n'Îte pas le désagrément de cette aventure. De plus, cet homme a sûrement quelques amis, et ses amis doivent ÃÂȘtre méchants qui sait, qui peut savoir ce qu'ils inventeront pour me nuire? Mon Dieu, qu'une jeune femme est malheureuse! elle n'a rien fait encore, quand elle s'est mise à l'abri de la médisance; il faut qu'elle en impose mÃÂȘme à la calomnie. Mandez-moi, je vous prie, ce que vous auriez fait, ce que vous feriez à ma place; enfin tout ce que vous pensez. C'est toujours de vous que j'ai reçu les consolations les plus douces et les avis les plus sages; c'est de vous aussi que j'aime le mieux à en recevoir. Adieu, ma chÚre et bonne amie; vous connaissez les sentiments qui m'attachent à vous pour jamais. J'embrasse votre aimable fille. Paris, ce 26 septembre 17** TROISIEME PARTIE LETTRE LXXXVIII CECILE VOLANGES AU VICOMTE DE VALMONT Malgré tout le plaisir que j'ai, Monsieur, à recevoir les Lettres de M. le Chevalier Danceny, et quoique je ne désire pas moins que lui que nous puissions nous voir encore, sans qu'on puisse nous en empÃÂȘcher, je n'ai pas osé cependant faire ce que vous me proposez. PremiÚrement, c'est trop dangereux; cette clef que vous voulez que je mette à la place de l'autre lui ressemble bien assez à la vérité mais pourtant, il ne laisse pas d'y avoir encore de la différence, et Maman regarde à tout, et s'aperçoit de tout. De plus, quoiqu'on ne s'en soit pas encore servi depuis que nous sommes ici, il ne faut qu'un malheur; et si on s'en apercevait, je serais perdue pour toujours. Et puis, il me semble aussi que ce serait bien mal; faire comme cela une double clef c'est bien fort! Il est vrai que c'est vous qui auriez la bonté de vous en charger; mais malgré cela, si on le savait, je n'en porterais pas moins le blùme et la faute, puisque ce serait pour moi que vous l'auriez faite. Enfin, j'ai voulu essayer deux fois de la prendre, et certainement cela serait bien facile, si c'était toute autre chose mais je ne sais pas pourquoi je me suis toujours mise à trembler, et n'en ai jamais eu le courage. Je crois donc qu'il vaut mieux rester comme nous sommes. Si vous avez toujours la bonté d'ÃÂȘtre aussi complaisant que jusqu'ici, vous trouverez toujours bien le moyen de me remettre une Lettre. MÃÂȘme pour la derniÚre, sans le malheur qui a voulu que vous vous retourniez tout de suite dans un certain moment, nous aurions eu bien aisé. Je sens bien que vous ne pouvez pas, comme moi, ne songer qu'à ça; mais j'aime mieux avoir plus de patience et ne pas tant risquer. Je suis sûre que M. Danceny dirait comme moi car toutes les fois qu'il voulait quelque chose qui me faisait trop de peine, il consentait toujours que cela ne fût pas. Je vous remettrai, Monsieur, en mÃÂȘme temps que cette Lettre, la vÎtre, celle de M. Danceny, et votre clef. Je n'en suis pas moins reconnaissante de toutes vos bontés et je vous prie bien de me les continuer. Il est bien vrai que je suis bien malheureuse, et que sans vous je le serais encore bien davantage mais, aprÚs tout, c'est ma mÚre; il faut bien prendre patience. Et pourvu que M. Danceny m'aime toujours, et que vous ne m'abandonniez pas, il viendra peut- ÃÂȘtre un temps plus heureux. J'ai l'honneur d'ÃÂȘtre, Monsieur, avec bien de la reconnaissance, votre trÚs humble et trÚs obéissante servante. De ..., ce 26 septembre 17** LETTRE LXXXIX LE VICOMTE DE VALMONT AU CHEVALIER DANCENY Si vos affaires ne vont pas toujours aussi vite que vous le voudriez, mon ami, ce n'est pas tout à fait à moi qu'il faut vous en prendre. J'ai ici plus d'un obstacle à vaincre. La vigilance et la sévérité de Madame de Volanges ne sont pas les seuls; votre jeune amie m'en oppose aussi quelques-uns. Soit froideur, ou timidité, elle ne fait pas toujours ce que je lui conseille; et je crois cependant savoir mieux qu'elle ce qu'il faut faire. J'avais trouvé un moyen simple, commode et sûr de lui remettre vos Lettres, et mÃÂȘme de faciliter, par la suite, les entrevues que vous désirez mais je n'ai pu la décider à s'en servir. J'en suis d'autant plus affligé, que je n'en vois pas d'autre pour vous rapprocher d'elle; et que mÃÂȘme pour votre correspondance, je crains sans cesse de nous compromettre tous trois. Or, vous jugez que je ne veux ni courir ce risque-là , ni vous y exposer l'un et l'autre. Je serais pourtant vraiment peiné que le peu de confiance de votre petite amie m'empÃÂȘchùt de vous ÃÂȘtre utile; peut-ÃÂȘtre feriez-vous bien de lui en écrire. Voyez ce que vous voulez faire, c'est à vous seul à décider; car ce n'est pas assez de servir ses amis, il faut encore les servir à leur maniÚre. Ce pourrait ÃÂȘtre aussi une façon de plus de vous assurer de ses sentiments pour vous; car la femme qui garde une volonté à elle n'aime pas autant qu'elle le dit. Ce n'est pas que je soupçonne votre MaÃtresse d'inconstance mais elle est bien jeune elle a grand-peur de sa Maman, qui, comme vous le savez, ne cherche qu'à vous nuire; et peut-ÃÂȘtre serait-il dangereux de rester trop longtemps sans l'occuper de vous. N'allez pas cependant vous inquiéter à un certain point de ce que je vous dis là . Je n'ai dans le fond nulle raison de méfiance; c'est uniquement la sollicitude de l'amitié. Je ne vous écris pas plus longuement, parce que j'ai bien aussi quelques affaires pour mon compte. Je ne suis pas aussi avancé que vous mais j'aime autant, et cela console; et quand je ne réussirais pas pour moi, si je parviens à vous ÃÂȘtre utile, je trouverai que j'ai bien employé mon temps. Adieu, mon ami. Du Chùteau de ..., ce 26 septembre 17** LETTRE XC LA PRESIDENTE DE TOURVEL AU VICOMTE DE VALMONT Je désire beaucoup, Monsieur, que cette Lettre ne vous fasse aucune peine; ou, si elle doit vous en causer, qu'au moins elle puisse ÃÂȘtre adoucie par celle que j'éprouve en vous l'écrivant. Vous devez me connaÃtre assez à présent pour ÃÂȘtre bien sûr que ma volonté n'est pas de vous affliger; mais vous, sans doute, vous ne voudriez pas non plus me plonger dans un désespoir éternel. Je vous conjure donc, au nom de l'amitié tendre que je vous ai promise, au nom mÃÂȘme des sentiments peut-ÃÂȘtre plus vifs, mais à coup sûr pas plus sincÚres, que vous avez pour moi, ne nous voyons plus; partez; et, jusque-là , fuyons surtout ces entretiens particuliers et trop dangereux, oÃÂč, par une inconcevable puissance, sans jamais parvenir à vous dire ce que je veux, je passe mon temps à écouter ce que je ne devrais pas entendre. Hier encore, quand vous vÃntes me joindre dans le parc, j'avais bien pour unique objet de vous dire ce que je vous écris aujourd'hui; et cependant qu'ai- je fait? que m'occuper de votre amour;... de votre amour, auquel jamais je ne dois répondre! Ah! de grùce, éloignez-vous de moi. Ne craignez pas que votre absence altÚre jamais mes sentiments pour vous; comment parviendrais-je à les vaincre, quand je n'ai plus le courage de les combattre? Vous le voyez, je vous dis tout, je crains moins d'avouer ma faiblesse, que d'y succomber mais cet empire que j'ai perdu sur mes sentiments, je le conserverai sur mes actions; oui, je le conserverai, j'y suis résolue; fût-ce aux dépens de ma vie. Hélas! le temps n'est pas loin, oÃÂč je me croyais bien sûre de n'avoir jamais de pareils combats à soutenir. Je m'en félicitais; je m'en glorifiais peut-ÃÂȘtre trop. Le Ciel a puni, cruellement puni cet orgueil mais plein de miséricorde au moment mÃÂȘme qu'il nous frappe, il m'avertit encore avant ma chute; et je serais doublement coupable, si je continuais à manquer de prudence, déjà prévenue que je n'ai plus de force. Vous m'avez dit cent fois que vous ne voudriez pas d'un bonheur acheté par mes larmes. Ah! ne parlons plus de bonheur, mais laissez-moi reprendre quelque tranquillité. En accordant ma demande, quels nouveaux droits n'acquerrez-vous pas sur mon cÅ“ur? Et ceux-là , fondés sur la vertu, je n'aurai point à m'en défendre. Combien je me plairai dans ma reconnaissance! Je vous devrai la douceur de goûter sans remords un sentiment délicieux. A présent, au contraire, effrayée de mes sentiments, de mes pensées, je crains également de m'occuper de vous et de moi; votre idée mÃÂȘme m'épouvante quand je ne peux la fuir, je la combats; je ne l'éloigne pas, mais je la repousse. Ne vaut-il pas mieux pour tous deux faire cesser cet état de trouble et d'anxiété? Ô vous, dont l'ùme toujours sensible, mÃÂȘme au milieu de ses erreurs, est restée amie de la vertu, vous aurez égard à ma situation douloureuse, vous ne rejetterez pas ma priÚre! Un intérÃÂȘt plus doux, mais non moins , ces agitations violentes alors respirant par vos bienfaits, je chérirai mon existence, et je dirai dans la joie de mon cÅ“ur " Ce calme que je ressens, je le dois à mon ami " . En vous soumettant à quelques privations légÚres, que je ne vous impose point, mais que je vous demande, croirez-vous donc acheter trop cher la fin de mes tourments? Ah! si, pour vous rendre heureux, il ne fallait que consentir à ÃÂȘtre malheureuse, vous pouvez m'en croire, je n'hésiterais pas un moment... Mais devenir coupable!... non, mon ami, non, plutÎt mourir mille fois. Déjà assaillie par la honte, à la veille des remords, je redoute et les autres et moi-mÃÂȘme; je rougis dans le cercle, et frémis dans la solitude; je n'ai plus qu'une vie de douleur; je n'aurai de tranquillité que par votre consentement. Mes résolutions les plus louables ne suffisent pas pour me rassurer; j'ai formé celle-ci dÚs hier, et cependant j'ai passé la nuit dans les larmes. Voyez votre amie, celle que vous aimez, confuse et suppliante, vous demander le repos et l'innocence. Ah Dieu! sans vous, eût-elle jamais été réduite à cette humiliante demande? Je ne vous reproche rien; je sens trop par moi-mÃÂȘme combien il est difficile de résister à un sentiment impérieux. Une plainte n'est pas un murmure. Faites par générosité ce que je fais par devoir; et à tous les sentiments que vous m'avez inspirés, je joindrai celui d'une éternelle reconnaissance. Adieu, adieu, Monsieur. De ..., ce 27 septembre 17** LETTRE XCI LE VICOMTE DE VALMONT A LA PRESIDENTE DE TOURVEL Consterné par votre Lettre, j'ignore encore, Madame, comment je pourrai y répondre. Sans doute, s'il faut choisir entre votre malheur et le mien, c'est à moi à me sacrifier, et je ne balance pas; mais de si grands intérÃÂȘts méritent bien, ce me semble, d'ÃÂȘtre avant tout discutés et éclaircis; et comment y parvenir, si nous ne devons plus nous parler ni nous voir? Quoi! tandis que les sentiments les plus doux nous unissent, une vaine terreur suffira pour nous séparer, peut-ÃÂȘtre sans retour! En vain l'amitié tendre, l'ardent amour, réclameront leurs droits; leurs voix ne seront point entendues et pourquoi? quel est donc ce danger pressant qui vous menace? Ah! croyez- moi, de pareilles craintes, et si légÚrement conçues, sont déjà , ce me semble, d'assez puissants motifs de sécurité. Permettez-moi de vous le dire, je retrouve ici la trace des impressions défavorables qu'on vous a données sur moi. On ne tremble point auprÚs de l'homme qu'on estime; on n'éloigne pas, surtout, celui qu'on a jugé digne de quelque amitié c'est l'homme dangereux qu'on redoute et qu'on fuit. Cependant, qui fut jamais plus respectueux et plus soumis que moi? Déjà , vous le voyez, je m'observe dans mon langage; je ne me permets plus ces noms si doux, si chers à mon cÅ“ur, et qu'il ne cesse de vous donner en secret. Ce n'est plus l'amant fidÚle et malheureux, recevant les conseils et les consolations d'une amie tendre et sensible; c'est l'accusé devant son juge, l'esclave devant son maÃtre. Ces nouveaux titres imposent sans doute de nouveaux devoirs; je m'engage à les remplir tous. Ecoutez-moi, et si vous me condamnez, j'y souscris et je pars. Je promets davantage; préférez-vous ce despotisme qui juge sans entendre? vous sentez-vous le courage d'ÃÂȘtre injuste? ordonnez et j'obéis encore. Mais ce jugement, ou cet ordre, que je l'entende de votre bouche. Et pourquoi? m'allez-vous dire à votre tour. Ah! que si vous faites cette question, vous connaissez peu l'amour et mon cÅ“ur! N'est-ce donc rien que de vous voir encore une fois? Eh! quand vous porterez le désespoir dans mon ùme, peut-ÃÂȘtre un regard consolateur l'empÃÂȘchera d'y succomber. Enfin s'il me faut renoncer à l'amour, à l'amitié, pour qui seuls j'existe, au moins vous verrez votre ouvrage, et votre pitié me restera cette faveur légÚre, quand mÃÂȘme je ne la mériterais pas, je me soumets, ce me semble, à la payer assez cher, pour espérer de l'obtenir. Quoi! vous allez m'éloigner de vous! Vous consentez donc à ce que nous devenions étrangers l'un à l'autre! que dis-je? vous le désirez; et tandis que vous m'assurez que mon absence n'altérera point vos sentiments, vous ne pressez mon départ que pour travailler plus facilement à les détruire. Déjà , vous me parlez de les remplacer par de la reconnaissance. Ainsi le sentiment qu'obtiendrait de vous un inconnu pour le plus léger service, votre ennemi mÃÂȘme en cessant de vous nuire, voilà ce que vous m'offrez! et vous voulez que mon cÅ“ur s'en contente! Interrogez le vÎtre si votre amant, si votre ami, venaient un jour vous parler de leur reconnaissance, ne leur diriez-vous pas avec indignation " Retirez-vous, vous ÃÂȘtes des ingrats " ? Je m'arrÃÂȘte et réclame votre indulgence. Pardonnez l'expression d'une douleur que vous faites naÃtre elle ne nuira point à ma soumission parfaite. Mais je vous en conjure à mon tour, au nom de ces sentiments si doux, que vous- mÃÂȘme vous réclamez, ne refusez pas de m'entendre; et par pitié du moins pour le trouble mortel oÃÂč vous m'avez plongé, n'en éloignez pas le moment. Adieu, Madame. De ..., ce 27 septembre 17**, au soir. LETTRE XCII LE CHEVALIER DANCENY AU VICOMTE DE VALMONT Ô mon ami! votre Lettre m'a glacé d'effroi. Cécile... Ô Dieu! est-il possible? Cécile ne m'aime plus. Oui, je vois cette affreuse vérité à travers le voile dont votre amitié l'entoure. Vous avez voulu me préparer à recevoir ce coup mortel. Je vous remercie de vos soins, mais peut-on en imposer à l'amour? Il court au-devant de ce qui l'intéresse; il n'apprend pas son sort, il le devine. Je ne doute plus du mien parlez-moi sans détour, vous le pouvez, et je vous en prie. Mandez-moi tout; ce qui a fait naÃtre vos soupçons, ce qui les a confirmés. Les moindres détails sont précieux. Tùchez, surtout, de vous rappeler ses paroles. Un mot pour l'autre peut changer toute une phrase; le mÃÂȘme a quelquefois deux sens... Vous pouvez vous ÃÂȘtre trompé hélas, je cherche à me flatter encore. Que vous a-t-elle dit? me fait-elle quelque reproche? au moins ne se défend-elle pas de ses torts? J'aurais dû prévoir ce changement, par les difficultés que, depuis un temps, elle trouve à tout. L'amour ne connaÃt pas tant d'obstacles. Quel parti dois-je prendre? que me conseillez-vous? Si je tentais de la voir? cela est-il donc impossible? L'absence est si cruelle, si funeste... et elle a refusé un moyen de me voir! Vous ne me dites pas quel il était; s'il y avait en effet trop de danger, elle sait bien que je ne veux pas qu'elle se risque trop. Mais aussi je connais votre prudence; et pour mon malheur, je ne peux pas ne pas y croire. Que vais-je faire à présent? comment lui écrire? Si je lui laisse voir mes soupçons, ils la chagrineront peut-ÃÂȘtre; et s'ils sont injustes, me pardonnerais- je de l'avoir affligée? Si je les lui cache, c'est la tromper, et je ne sais point dissimuler avec elle. Oh! si, elle pouvait savoir ce que je souffre, ma peine la toucherait. Je la connais sensible; elle a le cÅ“ur excellent et j'ai mille preuves de son amour. Trop de timidité, quelque embarras, elle est si jeune! et sa mÚre la traite avec tant de sévérité! Je vais lui écrire; je me contiendrai; je lui demanderai seulement de s'en remettre entiÚrement à vous. Quand mÃÂȘme elle refuserait encore, elle ne pourra pas au moins se fùcher de ma priÚre, et peut-ÃÂȘtre elle consentira. Vous, mon ami, je vous fais mille excuses, et pour elle et pour moi. Je vous assure qu'elle sent le prix de vos soins, qu'elle en est reconnaissante. Ce n'est pas méfiance, c'est timidité. Ayez de l'indulgence; c'est le plus beau caractÚre de l'amitié. La vÎtre m'est bien précieuse, et je ne sais comment reconnaÃtre tout ce que vous faites pour moi. Adieu, je vais écrire tout de suite. Je sens toutes mes craintes revenir; qui m'eût dit que jamais il m'en coûterait de lui écrire! Hélas! hier encore, c'était mon plaisir le plus doux. Adieu, mon ami; continuez-moi vos soins, et plaignez-moi beaucoup. Paris, ce 27 septembre 17** LETTRE XCIII LE CHEVALIER DANCENY A CECILE VOLANGES JOINTE A LA PRECEDENTE. Je ne puis vous dissimuler combien j'ai été affligé en apprenant de Valmont le peu de confiance que vous continuez à avoir en lui. Vous n'ignorez pas qu'il est mon ami, qu'il est la seule personne qui puisse nous rapprocher l'un de l'autre j'avais cru que ces titres seraient suffisants auprÚs de vous; je vois avec peine que je me suis trompé. Puis-je espérer qu'au moins vous m'instruirez de vos raisons? Ne trouverez-vous pas encore quelques difficultés qui vous en empÃÂȘcheront? Je ne puis cependant deviner, sans vous, le mystÚre de cette conduite. Je n'ose soupçonner votre amour, sans doute aussi vous n'oseriez trahir le mien. Ah! Cécile!... Il est donc vrai que vous avez refusé un moyen de me voir? un moyen simple, commode et sûr [Danceny ne sait pas quel était ce moyen; il répÚte seulement l'expression de Valmont]? Et c'est ainsi que vous m'aimez! Une si courte absence a bien changé vos sentiments. Mais pourquoi me tromper? pourquoi me dire que vous m'aimez toujours, que vous m'aimez davantage? Votre Maman, en détruisant votre amour, a-t-elle aussi détruit votre candeur? Si au moins elle vous a laissé quelque pitié, vous n'apprendrez pas sans peine les tourments affreux que vous me causez. Ah! je souffrirais moins pour mourir. Dites-moi donc, votre cÅ“ur m'est-il fermé sans retour? m'avez-vous entiÚrement oublié? Grùce à vos refus, je ne sais, ni quand vous entendrez mes plaintes, ni quand vous y répondrez. L'amitié de Valmont avait assuré notre correspondance mais vous, vous n'avez pas voulu; vous la trouviez pénible, vous avez préféré qu'elle fût rare. Non, je ne croirai plus à l'amour, à la bonne foi. Eh! qui peut-on croire, si Cécile m'a trompé? Répondez-moi donc est-il vrai que vous ne m'aimez plus? Non cela n'est pas possible; vous vous faites illusion; vous calomniez votre cÅ“ur. Une crainte passagÚre, un moment de découragement, mais que l'amour a bientÎt fait disparaÃtre; n'est-il pas vrai, ma Cécile? ah! sans doute, et j'ai tort de vous accuser. Que je serais heureux d'avoir tort! que j'aimerais à vous faire de tendres excuses, à réparer ce moment d'injustice par une éternité d'amour! Cécile, Cécile, ayez pitié de moi! Consentez à me voir, prenez-en tous les moyens! Voyez ce que produit l'absence! des craintes, des soupçons, peut- ÃÂȘtre de la froideur! un seul regard, un seul mot et nous serons heureux. Mais quoi! puis-je encore parler de bonheur? peut-ÃÂȘtre est-il perdu pour moi, perdu pour jamais. Tourmenté par la crainte, cruellement pressé entre les soupçons injustes et la vérité plus cruelle, je ne puis m'arrÃÂȘter à aucune pensée; je ne conserve d'existence que pour souffrir et vous aimer. Ah! Cécile! vous seule avez le droit de me la rendre chÚre; et j'attends du premier mot que vous prononcerez le retour du bonheur ou la certitude d'un désespoir éternel. Paris, ce 27 septembre 17** LETTRE XCIV CECILE VOLANGES AU CHEVALIER DANCENY Je ne conçois rien à votre Lettre, sinon la peine qu'elle me cause. Qu'est-ce que M. de Valmont vous a donc mandé, et qu'est-ce qui a pu vous faire croire que je ne vous aimais plus? Cela serait peut-ÃÂȘtre bien heureux pour moi, car sûrement j'en serais moins tourmentée; et il est bien dur, quand je vous aime comme je fais, de voir que vous croyez toujours que j'ai tort, et qu'au lieu de me consoler, ce soit de vous que me viennent toujours les peines qui me font le plus de chagrin. Vous croyez que je vous trompe, et que je vous dis ce qui n'est pas! vous avez là une jolie idée de moi! Mais quand je serais menteuse comme vous me le reprochez, quel intérÃÂȘt y aurais-je? Assurément, si je ne vous aimais plus je n'aurais qu'à le dire, et tout le monde m'en louerait; mais, par malheur, c'est plus fort que moi; et il faut que ce soit pour quelqu'un qui ne m'en a pas d'obligation du tout! Qu'est-ce que j'ai donc fait pour vous tant fùcher? Je n'ai pas osé prendre une clef, parce que je craignais que Maman ne s'en aperçût, et que cela ne me causùt encore du chagrin, et à vous aussi à cause de moi; et puis encore, parce qu'il me semble que c'est mal fait. Mais ce n'était que M. de Valmont qui m'en avait parlé; je ne pouvais pas savoir si vous le vouliez ou non, puisque vous n'en saviez rien. A présent que je sais que vous le désirez, est-ce que je refuse de la prendre, cette clef? je la prendrai dÚs demain; et puis nous verrons ce que vous aurez, encore à dire. M. de Valmont a beau ÃÂȘtre votre ami, je crois que je vous aime bien autant qu'il peut vous aimer, pour le moins; et cependant c'est toujours lui qui a raison, et moi j'ai toujours tort. Je vous assure que je suis bien fùchée. Ça vous est bien égal, parce que vous savez que je m'apaise tout de suite mais à présent que j'aurai la clef, je pourrai vous voir quand je voudrai; et je vous assure que je ne voudrai pas quand vous agirez comme ça. J'aime mieux avoir du chagrin qui me vienne de moi, que s'il me venait de vous voyez ce que vous voulez faire. Si vous vouliez, nous nous aimerions tant! et au moins n'aurions-nous de peines que celles qu'on nous fait! Je vous assure bien que si j'étais maÃtresse, vous n'auriez jamais à vous plaindre de moi mais si vous ne me croyez pas, nous serons toujours bien malheureux, et ce ne sera pas ma faute. J'espÚre que bientÎt nous pourrons nous voir, et qu'alors nous n'aurons plus d'occasions de nous chagriner comme à présent. Si j'avais pu prévoir ça, j'aurais pris cette clef tout de suite mais, en vérité, je croyais bien faire. Ne m'en voulez donc pas, je vous en prie. Ne soyez plus triste, et aimez-moi toujours autant que je vous aime; alors je serai bien contente. Adieu, mon cher ami. Du Chùteau de ..., ce 28 septembre 17** LETTRE XCV CECILE VOLANGES AU VICOMTE DE VALMONT Je vous prie, Monsieur, de vouloir bien avoir la bonté de me remettre cette clef que vous m'aviez donnée pour mettre à la place de l'autre; puisque tout le monde le veut, il faut bien que j'y consente aussi. Je ne sais pas pourquoi vous avez mandé à M. Danceny que je ne l'aimais plus je ne crois pas vous avoir jamais donné lieu de le penser; et cela lui a fait bien de la peine, et à moi aussi. Je sais bien que vous ÃÂȘtes son ami; mais ce n'est pas une raison pour le chagriner, ni moi non plus. Vous me feriez bien plaisir de lui mander le contraire, la premiÚre fois que vous lui écrirez, et que vous en ÃÂȘtes sûr car c'est en vous qu'il a le plus confiance; et moi, quand j'ai dit une chose, et qu'on ne la croit pas, je ne sais plus comment faire. Pour ce qui est de la clef, vous pouvez ÃÂȘtre tranquille; j'ai bien retenu tout ce que vous me recommandiez dans votre Lettre. Cependant, si vous l'avez encore, et que vous vouliez me la donner en mÃÂȘme temps, je vous promets que j'y ferai bien attention. Si ce pouvait ÃÂȘtre demain en allant dÃner, je vous donnerais l'autre clef aprÚs-demain à déjeuner, et vous me la remettriez de la mÃÂȘme façon que la premiÚre. Je voudrais bien que cela ne fût pas long, parce qu'il y aurait moins de temps à risquer que Maman ne s'en aperçût. Et puis, quand une fois vous aurez cette clef-là , vous aurez bien la bonté de vous en servir aussi pour prendre mes Lettres; et comme cela, M. Danceny aura plus souvent de mes nouvelles. Il est vrai que ce sera bien plus commode qu'à présent; mais c'est que d'abord, cela m'a fait trop peur je vous prie de m'excuser, et j'espÚre que vous n'en continuerez pas moins d'ÃÂȘtre aussi complaisant que par le passé. J'en serai aussi toujours bien reconnaissante. J'ai l'honneur d'ÃÂȘtre, Monsieur, votre trÚs humble et trÚs obéissante servante. De ..., ce 28 septembre 17**LETTRE XCVI LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Je parie bien que, depuis votre aventure, vous attendez chaque jour mes compliments et mes éloges; je ne doute mÃÂȘme pas que vous n'ayez pris un peu d'humeur de mon long silence mais que voulez-vous? j'ai toujours pensé que quand il n'y avait plus que des louanges à donner à une femme, on pouvait s'en reposer sur elle, et s'occuper d'autre chose. Cependant je vous remercie pour mon compte, et vous félicite pour le vÎtre. Je veux bien mÃÂȘme, pour vous rendre parfaitement heureuse, convenir que pour cette fois vous avez surpassé mon attente. AprÚs cela, voyons si de mon cÎté j'aurai du moins rempli la vÎtre en partie. Ce n'est pas de Madame de Tourvel dont je veux vous parler; sa marche trop lente vous déplaÃt. Vous n'aimez que les affaires faites. Les scÚnes filées vous ennuient; et moi, jamais je n'avais goûté le plaisir que j'éprouve dans ces lenteurs prétendues. Oui, j'aime à voir, à considérer cette femme prudente, engagée, sans s'en ÃÂȘtre aperçue, dans un sentier qui ne permet plus de retour, et dont la pente rapide et dangereuse l'entraÃne malgré elle, et la force à me suivre. Là , effrayée du péril qu'elle court, elle voudrait s'arrÃÂȘter et ne peut se retenir. Ses soins et son adresse peuvent bien rendre ses pas moins grands; mais il faut qu'ils se succÚdent. Quelquefois, n'osant fixer le danger, elle ferme les yeux, et se laissant aller, s'abandonne à mes soins. Plus souvent, une nouvelle crainte ranime ses efforts dans son effroi mortel, elle veut tenter encore de retourner en arriÚre; elle épuise ses forces pour gravir péniblement un court espace; et bientÎt un magique pouvoir la replace plus prÚs de ce danger, que vainement elle avait voulu fuir. Alors n'ayant plus que moi pour guide et pour appui, sans songer à me reprocher davantage une chute inévitable, elle m'implore pour la retarder. Les ferventes priÚres, les humbles supplications, tout ce que les mortels, dans leur crainte, offrent à la Divinité, c'est moi qui les reçois d'elle; et vous voulez que, sourd à ses vÅ“ux, et détruisant moi-mÃÂȘme le culte qu'elle me rend, j'emploie à la précipiter la puissance qu'elle invoque pour la soutenir! Ah! laissez-moi du moins le temps d'observer ces touchants combats entre l'amour et la vertu. Eh quoi! ce mÃÂȘme spectacle qui vous fait courir au Théùtre avec empressement, que vous y applaudissez avec fureur, le croyez-vous moins attachant dans la réalité? Ces sentiments d'une ùme pure et tendre, qui redoute le bonheur qu'elle désire, et ne cesse pas de se défendre, mÃÂȘme alors qu'elle cesse de résister, vous les écoutez avec enthousiasme ne seraient-ils sans prix que pour celui qui les fait naÃtre? Voilà pourtant, voilà les délicieuses jouissances que cette femme céleste m'offre chaque jour; et vous me reprochez d'en savourer les douceurs! Ah! le temps ne viendra que trop tÎt, oÃÂč, dégradée par sa chute, elle ne sera plus pour moi qu'une femme ordinaire. Mais j'oublie, en vous parlant d'elle, que je ne voulais pas vous en parler. Je ne sais quelle puissance m'y attache, m'y ramÚne sans cesse, mÃÂȘme alors que je l'outrage. Ecartons sa dangereuse idée; que je redevienne moi-mÃÂȘme pour traiter un sujet plus gai. Il s'agit de votre pupille, à présent devenue la mienne, et j'espÚre qu'ici vous allez me reconnaÃtre. Depuis quelques jours, mieux traité par ma tendre Dévote, et par conséquent moins occupé d'elle, j'avais remarqué que la petite Volanges était en effet fort jolie; et que s'il y avait de la sottise à en ÃÂȘtre amoureux comme Danceny, peut-ÃÂȘtre n'y en avait-il pas moins de ma part à ne pas chercher auprÚs d'elle une distraction que ma solitude me rendait nécessaire. Il me parut juste aussi de me payer des soins que je me donnais pour elle je me rappelais en outre que vous me l'aviez offerte, avant que Danceny eût rien à y prétendre; et je me trouvais fondé à réclamer quelques droits sur un bien qu'il ne possédait qu'à mon refus et par mon abandon. La jolie mine de la petite personne, sa bouche si fraÃche, son air enfantin, sa gaucherie mÃÂȘme fortifiaient ces sages réflexions; je résolus d'agir en conséquence, et le succÚs a couronné l'entreprise. Déjà vous cherchez par quel moyen j'ai supplanté si tÎt l'amant chéri; quelle séduction convient à cet ùge, à cette inexpérience. Epargnez-vous tant de peine, je n'en ai employé aucune. Tandis que, maniant avec adresse les armes de votre sexe, vous triomphiez par la finesse; moi, rendant à l'homme ses droits imprescriptibles, je subjuguais par l'autorité. Sûr de saisir ma proie si je pouvais la joindre, je n'avais besoin de ruse que pour m'en approcher, et mÃÂȘme celle dont je me suis servi ne mérite presque pas ce nom. Je profitai de la premiÚre lettre que je reçus de Danceny pour sa Belle, et aprÚs l'en avoir avertie par le signal convenu entre nous, au lieu de mettre mon adresse à la lui rendre, je la mis à n'en pas trouver le moyen cette impatience que je faisais naÃtre, je feignais de la partager, et aprÚs avoir causé le mal, j'indiquai le remÚde. La jeune personne habite une chambre dont une porte donne sur le corridor; mais comme de raison, la mÚre en avait pris la clef. Il ne s'agissait que de s'en rendre maÃtre. Rien de plus facile dans l'exécution; je ne demandais que d'en disposer deux heures, et je répondais d'en avoir une semblable. Alors correspondances, entrevues, rendez-vous nocturnes; tout devenait commode et sûr cependant, le croiriez-vous? l'enfant timide prit peur et refusa. Un autre s'en serait désolé; moi, je n'y vis que l'occasion d'un plaisir plus piquant. J'écrivis à Danceny pour me plaindre de ce refus, et je fis si bien que notre étourdi n'eut de cesse qu'il n'eût obtenu, exigé mÃÂȘme de sa craintive MaÃtresse, qu'elle accordùt ma demande et se livrùt toute à ma discrétion. J'étais bien aise, je l'avoue, d'avoir ainsi changé de rÎle, et que le jeune homme fÃt pour moi ce qu'il comptait que je ferais pour lui. Cette idée doublait, à mes yeux, le prix de l'aventure aussi dÚs que j'ai eu la précieuse clef, me suis-je hùté d'en faire usage, c'était la nuit derniÚre. AprÚs m'ÃÂȘtre assuré que tout était tranquille dans le Chùteau; armé de ma lanterne sourde, et dans la toilette que comportait l'heure et qu'exigeait la circonstance, j'ai rendu ma premiÚre visite à votre pupille. J'avais tout fait préparer et cela par elle-mÃÂȘme, pour pouvoir entrer sans bruit. Elle était dans son premier sommeil, et dans celui de son ùge; de façon que je suis arrivé jusqu'à son lit, sans qu'elle se soit réveillée. J'ai d'abord été tenté d'aller plus avant, et d'essayer de passer pour un songe; mais craignant l'effet de la surprise et le bruit qu'elle entraÃne, j'ai préféré d'éveiller avec précaution la jolie dormeuse, et suis en effet parvenu à prévenir le cri que je redoutais. AprÚs avoir calmé ses premiÚres craintes, comme je n'étais pas venu là pour causer, j'ai risqué quelques libertés. Sans doute on ne lui a pas bien appris dans son Couvent à combien de périls divers est exposée la timide innocence, et tout ce qu'elle a à garder pour n'ÃÂȘtre pas surprise car, portant toute son attention, toutes ses forces à se défendre d'un baiser, qui n'était qu'une fausse attaque, tout le reste était laissé sans défense; le moyen de n'en pas profiter! J'ai donc changé ma marche, et sur le champ j'ai pris poste. Ici nous avons pensé ÃÂȘtre perdus tous deux la petite fille, tout effarouchée, a voulu crier de bonne foi; heureusement sa voix s'est éteinte dans les pleurs. Elle s'était jetée aussi au cordon de sa sonnette, mais mon adresse a retenu son bras à temps. " Que voulez-vous faire lui ai-je dit alors, vous perdre pour toujours? Qu'on vienne, et que m'importe? à qui persuaderez-vous que je ne sois pas ici de votre aveu? Quel autre que vous m'aura fourni le moyen de m'y introduire? et cette clef que je tiens de vous, que je n'ai pu avoir que par vous, vous chargerez-vous d'en indiquer l'usage? " Cette courte harangue n'a calmé ni la douleur, ni la colÚre, mais elle a amené la soumission. Je ne sais si j'avais le ton de l'éloquence; au moins est-il vrai que je n'en avais pas le geste. Une main occupée pour la force, l'autre pour l'amour, quel Orateur pourrait prétendre à la grùce en pareille situation? Si vous vous la peignez bien, vous conviendrez qu'au moins elle était favorable à l'attaque mais moi, je n'entends rien à rien, et comme vous dites, la femme la plus simple, une pensionnaire, me mÚne comme un enfant. Celle-ci, tout en se désolant, sentait qu'il fallait prendre un parti, et entrer en composition. Les priÚres me trouvant inexorable, il a fallu passer aux offres. Vous croyez que j'ai vendu bien cher ce poste important non, j'ai tout promis pour un baiser. Il est vrai que, le baiser pris, je n'ai pas tenu ma promesse mais j'avais de bonnes raisons. Etions-nous convenus qu'il serait pris ou donné? A force de marchander, nous sommes tombés d'accord pour un second, et celui-là , il était dit qu'il serait reçu. Alors ayant guidé ses bras timides autour de mon corps, et la pressant de l'un des miens plus amoureusement, le doux baiser a été reçu en effet; mais bien, mais parfaitement reçu tellement enfin que l'Amour n'aurait pas pu mieux faire. Tant de bonne foi méritait récompense, aussi ai-je aussitÎt accordé la demande. La main s'est retirée; mais je ne sais par quel hasard je me suis trouvé moi-mÃÂȘme à sa place. Vous me supposez là bien empressé, bien actif, n'est-il pas vrai? point du tout. J'ai pris goût aux lenteurs, vous dis-je. Une fois sûr d'arriver, pourquoi tant presser le voyage? Sérieusement, j'étais bien aise d'observer une fois la puissance de l'occasion, et je la trouvais ici dénuée de tout secours étranger. Elle avait pourtant à combattre l'amour, et l'amour soutenu par la pudeur ou la honte, et fortifié surtout par l'humeur que j'avais donnée, et dont on avait beaucoup pris. L'occasion était seule; mais elle était là , toujours offerte, toujours présente, et l'Amour était absent. Pour assurer mes observations, j'avais la malice de n'employer de force que ce qu'on en pouvait combattre. Seulement si ma charmante ennemie, abusant de ma facilité, se trouvait prÃÂȘte à m'échapper, je la contenais par cette mÃÂȘme crainte, dont j'avais déjà éprouvé les heureux effets. Hé bien! sans autre soin, la tendre amoureuse, oubliant ses serments, a cédé d'abord et fini par consentir non pas qu'aprÚs ce premier moment les reproches et les larmes ne soient revenus de concert; j'ignore s'ils étaient vrais ou feints mais, comme il arrive toujours, ils ont cessé, dÚs que je me suis occupé à y donner lieu de nouveau. Enfin, de faiblesse en reproche, et de reproche en faiblesse, nous ne nous sommes séparés que satisfaits l'un de l'autre, et également d'accord pour le rendez-vous de ce soir. Je ne me suis retiré chez moi qu'au point du jour, et j'étais rendu de fatigue et de sommeil cependant j'ai sacrifié l'un et l'autre au désir de me trouver ce matin au déjeuner j'aime, de passion, les mines de lendemain. Vous n'avez pas d'idée de celle-ci. C'était un embarras dans le maintien! une difficulté dans la marche! des yeux toujours baissés, et si gros et si battus! Cette figure si ronde s'était tant allongée! rien n'était si plaisant. Et pour la premiÚre fois, sa mÚre, alarmée de ce changement extrÃÂȘme, lui témoignait un intérÃÂȘt assez tendre! et la Présidente aussi, qui s'empressait autour d'elle! Oh! pour ces soins-là ils ne sont que prÃÂȘtés; un jour viendra oÃÂč on pourra les lui rendre, et ce jour n'est pas loin. Adieu, ma belle amie. Du Chùteau de ..., ce 1er octobre 17** LETTRE XCVII CECILE VOLANGES A LA MARQUISE DE MERTEUIL Ah! mon Dieu, Madame, que je suis affligée! que je suis malheureuse! Qui me consolera dans mes peines? qui me conseillera dans l'embarras oÃÂč je me trouve? Ce M. de Valmont... et Danceny! non, l'idée de Danceny me met au désespoir... Comment vous raconter? comment vous dire?... Je ne sais comment faire. Cependant mon cÅ“ur est plein... Il faut que je parle à quelqu'un, et vous ÃÂȘtes la seule à qui je puisse, à qui j'ose me confier. Vous avez tant de bonté pour moi! Mais n'en ayez pas dans ce moment-ci; je n'en suis pas digne que vous dirai-je? je ne le désire point. Tout le monde ici m'a témoigné de l'intérÃÂȘt aujourd'hui... ils ont tous augmenté ma peine. Je sentais tant que je ne le méritais pas! Grondez-moi au contraire; grondez-moi bien, car je suis bien coupable mais aprÚs, sauvez-moi; si vous n'avez pas la bonté de me conseiller, je mourrai de chagrin. Apprenez donc... ma main tremble, comme vous voyez, je ne peux presque pas écrire, je me sens le visage tout en feu... Ah! c'est bien le rouge de la honte. Hé bien! je la souffrirai; ce sera la premiÚre punition de ma faute. Oui, je vous dirai tout. Vous saurez donc que M. de Valmont, qui m'a remis jusqu'ici les Lettres de M. Danceny, a trouvé tout d'un coup que c'était trop difficile; il a voulu avoir une clef de ma chambre. Je puis bien vous assurer que je ne voulais pas; mais il a été en écrire à Danceny, et Danceny l'a voulu aussi; et moi, ça me fait tant de peine quand je lui refuse quelque chose, surtout depuis mon absence qui le rend si malheureux, que j'ai fini par y consentir. Je ne prévoyais pas le malheur qui en arriverait. Hier, M. de Valmont s'est servi de cette clef pour venir dans ma chambre, comme j'étais endormie; je m'y attendais si peu, qu'il m'a fait bien peur en me réveillant; mais comme il m'a parlé tout de suite, je l'ai reconnu, et je n'ai pas crié; et puis l'idée m'est venue d'abord qu'il venait peut-ÃÂȘtre m'apporter une Lettre de Danceny. C'en était bien loin. Un petit moment aprÚs, il a voulu m'embrasser; et pendant que je me défendais, comme c'est naturel, il a si bien fait, que je n'aurais pas voulu pour toute chose au monde... mais, lui voulait un baiser auparavant. Il a bien fallu, car comment faire? d'autant que j'avais essayé d'appeler, mais outre que je n'ai pas pu, il a bien su me dire que, s'il venait quelqu'un, il saurait bien rejeter toute la faute sur moi; et, en effet, c'était bien facile, à cause de cette clef. Ensuite il ne s'est pas retiré davantage. Il en a voulu un second; et celui-là , je ne savais pas ce qui en était, mais il m'a toute troublée; et aprÚs, c'était encore pis qu'auparavant. Oh! par exemple, c'est bien mal ça. Enfin aprÚs... , vous m'exempterez bien de dire le reste; mais je suis malheureuse autant qu'on puisse l'ÃÂȘtre. Ce que je me reproche le plus, et dont pourtant il faut que je vous parle, c'est que j'ai peur de ne pas m'ÃÂȘtre défendue autant que je le pouvais. Je ne sais pas comment cela se faisait sûrement, je n'aime pas M. de Valmont, bien au contraire; et il y avait des moments oÃÂč j'étais comme si je l'aimais... Vous jugez bien que ça ne m'empÃÂȘchait pas de lui dire toujours que non mais je sentais bien que je ne faisais pas comme je disais; et ça, c'était comme malgré moi; et puis aussi, j'étais bien troublée! S'il est toujours aussi difficile que ça de se défendre, il faut y ÃÂȘtre bien accoutumée! Il est vrai que M. de Valmont a des façons de dire, qu'on ne sait pas comment faire pour lui répondre enfin, croiriez-vous que quand il s'en est allé, j'en étais comme fùchée, et que j'ai eu la faiblesse de consentir qu'il revÃnt ce soir ça me désole encore plus que tout le reste. Oh! malgré ça, je vous promets bien que je l'empÃÂȘcherai d'y venir. Il n'a pas été sorti, que j'ai bien senti que j'avais eu bien tort de lui promettre. Aussi, j'ai pleuré tout le reste du temps. C'est surtout Danceny qui me faisait de la peine! toutes les fois que je songeais à lui, mes pleurs redoublaient que j'en étais suffoquée, et j'y songeais toujours... et à présent encore, vous en voyez l'effet; voilà mon papier tout trempé. Non, je ne me consolerai jamais, ne fût-ce qu'à cause de lui... Enfin, je n'en pouvais plus, et pourtant je n'ai pas pu dormir une minute. Et ce matin en me levant, quand je me suis regardée au miroir, je faisais peur, tant j'étais changée. Maman s'en est aperçue dÚs qu'elle m'a vue et elle m'a demandé ce que j'avais. Moi, je me suis mise à pleurer tout de suite. Je croyais qu'elle m'allait gronder, et peut-ÃÂȘtre ça m'aurait fait moins de peine mais, au contraire. Elle m'a parlé avec douceur! Je ne le méritais guÚre. Elle m'a dit de ne pas m'affliger comme ça. Elle ne savait pas le sujet de mon affliction. Que je me rendrais malade! Il y a des moments oÃÂč je voudrais ÃÂȘtre morte. Je n'ai pas pu y tenir. Je me suis jetée dans ses bras en sanglotant, et en lui disant " Ah! Maman, votre fille est bien malheureuse! " Maman n'a pu s'empÃÂȘcher de pleurer un peu; et tout cela n'a fait qu'augmenter mon chagrin heureusement elle ne m'a pas demandé pourquoi j'étais si malheureuse, car je n'aurais su que lui dire. Je vous en supplie, Madame, écrivez-moi le plus tÎt que vous pourrez, et dites-moi ce que je dois faire, car je n'ai le courage de songer à rien, et je ne fais que m'affliger. Vous voudrez bien m'adresser votre Lettre par M. de Valmont; mais je vous en prie, si vous lui écrivez en mÃÂȘme temps, ne lui parlez pas que je vous aie rien dit. J'ai l'honneur d'ÃÂȘtre, Madame, avec toujours bien de l'amitié, votre trÚs humble et trÚs obéissante servante... Je n'ose pas signer cette Lettre. Du Chùteau de ..., ce 1er octobre 17**. LETTRE XCVIII MADAME DE VOLANGES A LA MARQUISE DE MERTEUIL Il y a bien peu de jours, ma charmante amie, que c'était vous qui me demandiez des consolations et des conseils aujourd'hui, c'est mon tour; et je vous fais pour moi la mÃÂȘme demande que vous me faisiez pour vous. Je suis bien réellement affligée, et je crains de n'avoir pas pris les meilleurs moyens pour éviter les chagrins que j'éprouve. C'est ma fille qui cause mon inquiétude. Depuis mon départ je l'avais bien vue toujours triste et chagrine; mais je m'y attendais, et j'avais armé mon cÅ“ur d'une sévérité que je jugeais nécessaire. J'espérais que l'absence, les distractions détruiraient bientÎt un amour que je regardais plutÎt comme une erreur de l'enfance que comme une véritable passion. Cependant, loin d'avoir rien gagné depuis mon séjour ici, je m'aperçois que cet enfant se livre de plus en plus à une mélancolie dangereuse; et je crains, tout de bon, que sa santé ne s'altÚre. ParticuliÚrement depuis quelques jours elle change à vue d'oeil. Hier, surtout, elle me frappa, et tout le monde ici en fut vraiment alarmé. Ce qui me prouve encore combien elle est affectée vivement, c'est que je la vois prÃÂȘte à surmonter la timidité qu'elle a toujours eue avec moi. Hier matin, sur la simple demande que je lui fis si elle était malade, elle se précipita dans mes bras en me disant qu'elle était bien malheureuse; et elle pleura aux sanglots. Je ne puis vous rendre la peine qu'elle m'a faite; les larmes me sont venues aux yeux tout de suite et je n'ai eu que le temps de me détourner, pour empÃÂȘcher qu'elle ne me vÃt. Heureusement j'ai eu la prudence de ne lui faire aucune question, et elle n'a pas osé m'en dire davantage mais il n'en est pas moins clair que c'est cette malheureuse passion qui la tourmente. Quel parti prendre pourtant, si cela dure? ferai-je le malheur de ma fille? tournerai-je contre elle les qualités les plus précieuses de l'ùme, la sensibilité et la constance? est-ce pour cela que je suis sa mÚre? et quand j'étoufferais ce sentiment si naturel qui nous fait vouloir le bonheur de nos enfants; quand je regarderais comme une faiblesse ce que je crois, au contraire, le premier, le plus sacré de nos devoirs; si je force son choix, n'aurai-je pas à répondre des suites funestes qu'il peut avoir? Quel usage à faire de l'autorité maternelle que de placer sa fille entre le crime et le malheur! Mon amie, je n'imiterai pas ce que j'ai blùmé si souvent. J'ai pu, sans doute, tenter de faire un choix pour ma fille; je ne faisais en cela que l'aider de mon expérience ce n'était pas un droit que j'exerçais, je remplissais un devoir. J'en trahirais un, au contraire, en disposant d'elle au mépris d'un penchant que je n'ai pas su empÃÂȘcher de naÃtre et dont ni elle, ni moi ne pouvons connaÃtre ni l'étendue ni la durée. Non, je ne souffrirai point qu'elle épouse celui-ci pour aimer celui-là , et j'aime mieux compromettre mon autorité que sa vertu. Je crois donc que je vais prendre le parti le plus sage de retirer la parole que j'ai donnée à M. de Gercourt. Vous venez d'en voir les raisons; elles me paraissent devoir l'emporter sur mes promesses. Je dis plus dans l'état oÃÂč sont les choses, remplir mon engagement, ce serait véritablement le violer. Car enfin, si je dois à ma fille de ne pas livrer son secret à M. de Gercourt, je dois au moins à celui-ci de ne pas abuser de l'ignorance oÃÂč je le laisse, et de faire pour lui tout ce que je crois qu'il ferait lui-mÃÂȘme, s'il était instruit. Irai-je, au contraire, le trahir indignement, quand il se livre à ma foi, et, tandis qu'il m'honore en me choisissant pour sa seconde mÚre, le tromper dans le choix qu'il veut faire de la mÚre de ses enfants? Ces réflexions si vraies et auxquelles je ne peux me refuser m'alarment plus que je ne puis vous dire. Aux malheurs qu'elles me font redouter, je compare ma fille, heureuse avec l'époux que son cÅ“ur a choisi, ne connaissant ses devoirs que par la douceur qu'elle trouve à les remplir; mon gendre également satisfait et se félicitant, chaque jour, de son choix; chacun d'eux ne trouvant de bonheur que dans le bonheur de l'autre, et celui de tous deux se réunissant pour augmenter le mien. L'espoir d'un avenir si doux doit-il ÃÂȘtre sacrifié à de vaines considérations? Et quelles sont celles qui me retiennent? uniquement des vues d'intérÃÂȘt. De quel avantage sera-t-il donc pour ma fille d'ÃÂȘtre née riche, si elle n'en doit pas moins ÃÂȘtre esclave de la fortune? Je conviens que M. de Gercourt est un parti meilleur, peut-ÃÂȘtre, que je ne devais l'espérer pour ma fille; j'avoue mÃÂȘme que j'ai été extrÃÂȘmement flattée du choix qu'il a fait d'elle. Mais enfin, Danceny est d'une aussi bonne maison que lui; il ne lui cÚde en rien pour les qualités personnelles; il a sur M. de Gercourt l'avantage d'aimer et d'ÃÂȘtre aimé il n'est pas riche à la vérité; mais ma fille ne l'est-elle pas assez pour eux deux? Ah! pourquoi lui ravir la satisfaction si douce d'enrichir ce qu'elle aime! Ces mariages qu'on calcule au lieu de les assortir, qu'on appelle de convenance, et oÃÂč tout se convient en effet, hors les goûts et les caractÚres, ne sont-ils pas la source la plus féconde de ces éclats scandaleux qui deviennent tous les jours plus fréquents? J'aime mieux différer au moins j'aurai le temps d'étudier ma fille que je ne connais pas. Je me sens bien le courage de lui causer un chagrin passager, si elle en doit recueillir un bonheur plus solide mais de risquer de la livrer à un désespoir éternel, cela n'est pas dans mon cÅ“ur. Voilà , ma chÚre amie, les idées qui me tourmentent, et sur quoi je réclame vos conseils. Ces objets sévÚres contrastent beaucoup avec votre aimable gaieté, et ne paraissent guÚre de votre ùge mais votre raison l'a tant devancé! Votre amitié d'ailleurs aidera votre prudence; et je ne crains point que l'une ou l'autre se refusent à la sollicitude maternelle qui les implore. Adieu, ma charmante amie; ne doutez jamais de la sincérité de mes sentiments. Du Chùteau de ..., ce 2 octobre 17**. LETTRE XCIX LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Encore de petits événements, ma belle amie; mais des scÚnes seulement, point d'actions. Ainsi, armez-vous de patience; prenez-en mÃÂȘme beaucoup car tandis que ma Présidente marche à si petits pas, votre pupille recule, et c'est bien pis encore. Hé bien! j'ai le bon esprit de m'amuser de ces misÚres-là . Véritablement je m'accoutume fort bien à mon séjour ici; et je puis dire que dans le triste Chùteau de ma vieille tante, je n'ai pas éprouvé un moment d'ennui. Au fait, n'y ai-je pas jouissances, privations, espoir, incertitude? Qu'a- t-on de plus sur un plus grand théùtre? des spectateurs? Hé! laissez faire, ils ne me manqueront pas. S'ils ne me voient pas à l'ouvrage, je leur montrerai ma besogne faite; ils n'auront plus qu'à admirer et applaudir. Oui, ils applaudiront; car je puis enfin prédire, avec certitude, le moment de la chute de mon austÚre Dévote. J'ai assisté ce soir à l'agonie de la vertu. La douce faiblesse va régner à sa place. Je n'en fixe pas l'époque plus tard qu'à notre premiÚre entrevue mais déjà je vous entends crier à l'orgueil. Annoncer sa victoire, se vanter à l'avance. Hé, là , là , calmez-vous! Pour vous prouver ma modestie, je vais commencer par l'histoire de ma défaite. En vérité, votre pupille est une petite personne bien ridicule! C'est bien un enfant qu'il faudrait traiter comme tel, et à qui on ferait grùce en ne le mettant qu'en pénitence! Croiriez-vous qu'aprÚs ce qui s'est passé avant-hier entre elle et moi, aprÚs la façon amicale dont nous nous sommes quittés hier matin; lorsque j'ai voulu y retourner le soir, comme elle en était convenue, j'ai trouvé sa porte fermée en dedans? Qu'en dites-vous? on éprouve quelquefois de ces enfantillages-là la veille mais le lendemain! cela n'est-il pas plaisant? Je n'en ai pourtant pas ri d'abord, jamais je n'avais autant senti l'empire de mon caractÚre. Assurément j'allais à ce rendez-vous sans plaisir, et uniquement par procédé. Mon lit, dont j'avais grand besoin, me semblait, pour le moment, préférable à celui de tout autre, et je ne m'en étais éloigné qu'à regret. Cependant je n'ai pas eu plutÎt trouvé un obstacle que je brûlais de le franchir; j'étais humilié, surtout, qu'un enfant m'eût joué. Je me retirai donc avec beaucoup d'humeur et dans le projet de ne plus me mÃÂȘler de ce sot enfant, ni de ses affaires, je lui avais écrit, sur-le-champ, un billet que je comptais lui remettre aujourd'hui, et oÃÂč je l'évaluais à son juste prix. Mais, comme on dit, la nuit porte conseil; j'ai trouvé ce matin que, n'ayant pas ici le choix des distractions, il fallait garder celle-là ; j'ai donc supprimé le sévÚre billet. Depuis que j'y ai réfléchi, je ne reviens pas d'avoir eu l'idée de finir une aventure, avant d'avoir en main de quoi en perdre l'Héroïne. OÃÂč nous mÚne pourtant un premier mouvement! Heureux, ma belle amie, qui a su, comme vous, s'accoutumer à n'y jamais céder. Enfin j'ai différé ma vengeance; j'ai fait ce sacrifice à vos vues sur Gercourt. A présent que je ne suis plus en colÚre, je ne vois plus que du ridicule dans la conduite de votre pupille. En effet, je voudrais bien savoir ce qu'elle espÚre gagner par là ! pour moi je m'y perds si ce n'est que pour se défendre, il faut convenir qu'elle s'y prend un peu tard. Il faudra bien qu'un jour elle me dise le mot de cette énigme! J'ai grande envie de le savoir. C'est peut-ÃÂȘtre seulement qu'elle se trouvait fatiguée? franchement cela se pourrait; car sans doute elle ignore encore que les flÚches de l'Amour, comme la lance d'Achille, portent avec elles le remÚde aux blessures qu'elles font. Mais non, à sa petite grimace de toute la journée, je parierais qu'il entre là -dedans du repentir... là ... quelque chose... comme de la vertu... De la vertu!... c'est bien à elle qu'il convient d'en avoir! Ah! qu'elle la laisse à la femme véritablement née pour elle, la seule qui sache l'embellir, qui la ferait aimer!... Pardon, ma belle amie mais c'est ce soir mÃÂȘme que s'est passée, entre Madame de Tourvel et moi, la scÚne dont j'ai à vous rendre compte, et j'en conserve encore quelque émotion. J'ai besoin de me faire violence pour me distraire de l'impression qu'elle m'a faite, c'est mÃÂȘme pour m'y aider, que je me suis mis à vous écrire. Il faut pardonner quelque chose à ce premier moment. Il y a déjà quelques jours que nous sommes d'accord, Madame de Tourvel et moi, sur nos sentiments; nous ne disputons plus que sur les mots. C'était toujours, à la vérité, son amitié qui répondait à mon amour mais ce langage de convention ne changeait pas le fond des choses; et quand nous serions restés ainsi, j'en aurais peut-ÃÂȘtre été moins vite, mais non pas moins sûrement. Déjà mÃÂȘme il n'était plus question de m'éloigner, comme elle le voulait d'abord; et pour les entretiens que nous avons journellement, si je mets mes soins à lui en offrir l'occasion, elle met les siens à la saisir. Comme c'est ordinairement à la promenade que se passent nos petits rendez- vous, le temps affreux qu'il a fait tout aujourd'hui ne me laissait rien espérer j'en étais mÃÂȘme vraiment contrarié; je ne prévoyais pas combien je devais gagner à ce contretemps. Ne pouvant se promener, on s'est mis à jouer en sortant de table; et comme je joue peu, et que je ne suis plus nécessaire, j'ai pris ce temps pour monter chez moi, sans autre projet que d'y attendre, à peu prÚs, la fin de la partie. Je retournais joindre le cercle, quand j'ai trouvé la charmante femme qui entrait dans son appartement, et qui, soit imprudence ou faiblesse, m'a dit de sa douce voix " OÃÂč allez-vous donc? Il n'y a personne au salon. " Il ne m'en a pas fallu davantage, comme vous pouvez croire, pour essayer d'entrer chez elle; j'y ai trouvé moins de résistance que je ne m'y attendais. Il est vrai que j'avais eu la précaution de commencer la conversation à la porte, et de la commencer indifférente; mais à peine avons-nous été établis, que j'ai ramené la véritable, et que j'ai parlé de mon amour à mon amie . Sa premiÚre réponse, quoique simple, m'a paru assez expressive " Oh! tenez, m'a-t-elle dit, ne parlons pas de cela ici " , et elle tremblait. La pauvre femme! elle se voit mourir. Pourtant elle avait tort de craindre. Depuis quelque temps, assuré du succÚs un jour ou l'autre, et la voyant user tant de force dans d'inutiles combats, j'avais résolu de ménager les miennes, et d'attendre sans effort qu'elle se rendÃt de lassitude. Vous sentez bien qu'ici il faut un triomphe complet, et que je ne veux rien devoir à l'occasion. C'était mÃÂȘme d'aprÚs ce plan formé, et pour pouvoir ÃÂȘtre pressant, sans m'engager trop, que je suis revenu à ce mot d'amour, si obstinément refusé; sûr qu'on me croyait assez d'ardeur, j'ai essayé un ton plus tendre. Ce refus ne me fùchait plus, il m'affligeait; ma sensible amie ne me devait-elle pas quelques consolations? Tout en me consolant, une main était restée dans la mienne; le joli corps était appuyé sur mon bras, et nous étions extrÃÂȘmement rapprochés. Vous avez sûrement remarqué combien, dans cette situation, à mesure que la défense mollit, les demandes et les refus se passent de plus prÚs; comment la tÃÂȘte se détourne et les regards se baissent, tandis que les discours, toujours prononcés d'une voix faible, deviennent rares et entrecoupés. Ces symptÎmes précieux annoncent, d'une maniÚre non équivoque, le consentement de l'ùme mais rarement a-t-il encore passé jusqu'aux sens; je crois mÃÂȘme qu'il est toujours dangereux de tenter alors quelque entreprise trop marquée; parce que cet état d'abandon n'étant jamais sans un plaisir trÚs doux, on ne saurait forcer d'en sortir, sans causer une humeur qui tourne infailliblement au profit de la défense. Mais, dans le cas présent, la prudence m'était d'autant plus nécessaire, que j'avais surtout à redouter l'effroi que cet oubli d'elle-mÃÂȘme ne manquerait pas de causer à ma tendre rÃÂȘveuse. Aussi cet aveu que je demandais, je n'exigeais pas mÃÂȘme qu'il fût prononcé; un regard pouvait suffire; un seul regard, et j'étais heureux. Ma belle amie, les beaux yeux se sont en effet levés sur moi, la bouche céleste a mÃÂȘme prononcé " Eh bien! oui, je... " Mais tout à coup le regard s'est éteint, la voix a manqué, et cette femme adorable est tombée dans mes bras. A peine avais-je eu le temps de l'y recevoir, que se dégageant avec une force convulsive, la vue égarée, et les mains élevées vers le Ciel... " Dieu... Î mon Dieu, sauvez-moi " , s'est-elle écriée; et sur-le-champ, plus prompte que l'éclair, elle était à genoux à dix pas de moi. Je l'entendais prÃÂȘte à suffoquer. Je me suis avancé pour la secourir; mais elle, prenant mes mains qu'elle baignait de pleurs, quelquefois mÃÂȘme embrassant mes genoux " Oui, ce sera vous, disait-elle, ce sera vous qui me sauverez! Vous ne voulez pas ma mort, laissez-moi; sauvez-moi; laissez-moi; au nom de Dieu, laissez-moi! " Et ces discours peu suivis s'échappaient à peine à travers des sanglots redoublés. Cependant elle me tenait avec une force qui ne m'aurait pas permis de m'éloigner; alors rassemblant les miennes, je l'ai soulevée dans mes bras. Au mÃÂȘme instant les pleurs ont cessé; elle ne parlait plus; tous ses membres se sont roidis, et de violentes convulsions ont succédé à cet orage. J'étais, je l'avoue, vivement ému, et je crois que j'aurais consenti à sa demande, quand les circonstances ne m'y auraient pas forcé. Ce qu'il y a de vrai, c'est qu'aprÚs lui avoir donné quelques secours, je l'ai laissée comme elle m'en priait, et que je m'en félicite. Déjà j'en ai presque reçu le prix. Je m'attendais qu'ainsi que le jour de ma premiÚre déclaration, elle ne se montrerait pas de la soirée. Mais vers les huit heures, elle est descendue au salon, et a seulement annoncé au cercle qu'elle s'était trouvée fort incommodée. Sa figure était abattue, sa voix faible, et son maintien composé; mais son regard était doux, et souvent il s'est fixé sur moi. Son refus de jouer m'ayant mÃÂȘme obligé de prendre sa place, elle a pris la sienne à mon cÎté. Pendant le souper, elle est restée seule dans le salon. Quand on y est revenu, j'ai cru m'apercevoir qu'elle avait pleuré pour m'en éclaircir, je lui ai dit qu'il me semblait qu'elle s'était encore ressentie de son incommodité; à quoi elle m'a obligeamment répondu " Ce mal-là ne s'en va pas si vite qu'il vient! " Enfin quand on s'est retiré, je lui ai donné la main; et à la porte de son appartement elle a serré la mienne avec force. Il est vrai que ce mouvement m'a paru avoir quelque chose d'involontaire mais tant mieux; c'est une preuve de plus de mon empire. Je parierais qu'à présent elle est enchantée d'en ÃÂȘtre là tous les frais sont faits; il ne reste plus qu'à jouir. Peut-ÃÂȘtre, pendant que je vous écris, s'occupe-t-elle déjà de cette douce idée! et quand mÃÂȘme elle s'occuperait, au contraire, d'un nouveau projet de défense, ne savons-nous pas bien ce que deviennent tous ces projets-là ? Je vous le demande, cela peut-il aller plus loin que notre prochaine entrevue? Je m'attends bien, par exemple, qu'il y aura quelques façons pour l'accorder, mais bon! le premier pas franchi, ces Prudes austÚres savent-elles s'arrÃÂȘter? leur amour est une véritable explosion; la résistance y donne plus de force. Ma farouche Dévote courrait aprÚs moi, si je cessais de courir aprÚs elle. Enfin, ma belle amie, incessamment j'arriverai chez vous, pour vous sommer de votre parole. Vous n'avez pas oublié sans doute ce que vous m'avez promis aprÚs le succÚs; cette infidélité à votre Chevalier? ÃÂȘtes-vous prÃÂȘte? pour moi je le désire comme si nous ne nous étions jamais connus. Au reste, vous connaÃtre est peut-ÃÂȘtre une raison pour le désirer davantage Je suis juste, et ne suis point galant [VOLTAIRE, Comédie de Nanine]. Aussi ce sera la premiÚre infidélité que je ferai à ma grave conquÃÂȘte; et je vous promets de profiter du premier prétexte pour m'absenter vingt-quatre heures d'auprÚs d'elle. Ce sera sa punition, de m'avoir tenu si longtemps éloigné de vous. Savez-vous que voilà plus de deux mois que cette aventure m'occupe? oui, deux mois et trois jours; il est vrai que je compte demain, puisqu'elle ne sera véritablement consommée qu'alors. Cela me rappelle que Mademoiselle de B*** a résisté les trois mois complets. Je suis bien aise de voir que la franche coquetterie a plus de défense que l'austÚre vertu. Adieu, ma belle amie; il faut vous quitter, car il est fort tard. Cette Lettre m'a mené plus loin que je ne comptais; mais comme j'envoie demain matin à Paris, j'ai voulu en profiter, pour vous faire partager un jour plus tÎt la joie de votre ami. Du Chùteau de ..., ce 2 octobre 17**, au soir. LETTRE C LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Mon amie, je suis joué, trahi, perdu; je suis au désespoir Madame de Tourvel est partie. Elle est partie, et je ne l'ai pas su! et je n'étais pas là pour m'opposer à son départ, pour lui reprocher son indigne trahison! Ah! ne croyez pas que je l'eusse laissée partir, elle serait restée; oui, elle serait restée, eussé-je dû employer la violence. Mais quoi! dans ma crédule sécurité, je dormais tranquillement; je dormais, et la foudre est tombée sur moi. Non, je ne conçois rien à ce départ il faut renoncer à connaÃtre les femmes. Quand je me rappelle la journée d'hier! que dis-je? la soirée mÃÂȘme! Ce regard si doux, cette voix si tendre! et cette main serrée! et pendant ce temps, elle projetait de me fuir! Ô femmes, femmes! Plaignez-vous donc, si l'on vous trompe! Mais oui, toute perfidie qu'on emploie est un vol qu'on vous fait. Quel plaisir j'aurai à me venger! je la retrouverai, cette femme perfide; je reprendrai mon empire sur elle. Si l'amour m'a suffi pour en trouver les moyens, que ne fera-t-il pas, aidé de la vengeance? Je la verrai encore à mes genoux, tremblante et baignée de pleurs, me criant merci de sa trompeuse voix; et moi, je serai sans pitié. Que fait-elle à présent? que pense-t-elle? Peut-ÃÂȘtre elle s'applaudit de m'avoir trompé; et fidÚle aux goûts de son sexe, ce plaisir lui paraÃt le plus doux. Ce que n'a pu la vertu tant vantée, l'esprit de ruse l'a produit sans effort. Insensé! je redoutais sa sagesse; c'était sa mauvaise foi que je devais craindre. Et ÃÂȘtre obligé de dévorer mon ressentiment! n'oser montrer qu'une tendre douleur, quand j'ai le cÅ“ur rempli de rage! me voir réduit à supplier encore une femme rebelle, qui s'est soustraite à mon empire! devais-je donc ÃÂȘtre humilié à ce point? et par qui? par une femme timide, et qui jamais ne s'est exercée à combattre. A quoi me sert de m'ÃÂȘtre établi dans son cÅ“ur, de l'avoir embrasé de tous les feux de l'amour, d'avoir porté jusqu'au délire le trouble de ses sens; si tranquille dans sa retraite, elle peut aujourd'hui s'enorgueillir de sa fuite plus que moi de mes victoires? Et je le souffrirais? mon amie, vous ne le croyez pas; vous n'avez pas de moi cette humiliante idée! Mais quelle fatalité m'attache à cette femme? cent autres ne désirent-elles pas mes soins? ne s'empresseront-elles pas d'y répondre? quand mÃÂȘme aucune ne vaudrait celle-ci, l'attrait de la variété, le charme des nouvelles conquÃÂȘtes, l'éclat de leur nombre, n'offrent-ils pas des plaisirs assez doux? Pourquoi courir aprÚs celui qui nous fuit, et négliger ceux qui se présentent? Ah! pourquoi?... Je l'ignore, mais je l'éprouve fortement. Il n'est plus pour moi de bonheur, de repos, que par la possession de cette femme que je hais et que j'aime avec une égale fureur. Je ne supporterai mon sort que du moment oÃÂč je disposerai du sien. Alors tranquille et satisfait, je la verrai, à son tour, livrée aux orages que j'éprouve en ce moment, j'en exciterai mille autres encore. L'espoir et la crainte, la méfiance et la sécurité, tous les maux inventés par la haine, tous les biens accordés par l'amour, je veux qu'ils remplissent son cÅ“ur, qu'ils s'y succÚdent à ma volonté. Ce temps viendra... Mais que de travaux encore! que j'en étais prÚs hier, et qu'aujourd'hui je m'en vois éloigné! Comment m'en rapprocher? je n'ose tenter aucune démarche; je sens que pour prendre un parti il faudrait ÃÂȘtre plus calme, et mon sang bout dans mes veines. Ce qui redouble mon tourment, c'est le sang-froid avec lequel chacun répond ici à mes questions sur cet événement, sur sa cause, sur tout ce qu'il offre d'extraordinaire. Personne ne sait rien, personne ne désire de rien savoir à peine en aurait-on parlé, si j'avais consenti qu'on parlùt d'autre chose. Madame de Rosemonde, chez qui j'ai couru ce matin quand j'ai appris cette nouvelle, m'a répondu avec le froid de son ùge que c'était la suite naturelle de l'indisposition que Madame de Tourvel avait eue hier; qu'elle avait craint une maladie, et qu'elle avait préféré d'ÃÂȘtre chez elle elle trouve cela tout simple, elle en aurait fait autant, m'a-t-elle dit, comme s'il pouvait y avoir quelque chose de commun entre elles deux! entre elle, qui n'a plus qu'à mourir; et l'autre, qui fait le charme et le tourment de ma vie! Madame de Volanges, que d'abord j'avais soupçonnée d'ÃÂȘtre complice, ne paraÃt affectée que de n'avoir pas été consultée sur cette démarche. Je suis bien aise, je l'avoue, qu'elle n'ait pas eu le plaisir de me nuire. Cela me prouve encore qu'elle n'a pas, autant que je le craignais, la confiance de cette femme; c'est toujours une ennemie de moins. Comme elle se féliciterait, si elle savait que c'est moi qu'on a fui! comme elle se serait gonflée d'orgueil, si c'eût été par ses conseils! comme son importance en aurait redoublé! Mon Dieu! que je la hais! Oh! je renouerai avec sa fille; je veux la travailler à ma fantaisie aussi bien, je crois que je resterai ici quelque temps; au moins, le peu de réflexions que j'ai pu faire me porte à ce parti. Ne croyez-vous pas, en effet, qu'aprÚs une démarche aussi marquée, mon ingrate doit redouter ma présence? Si donc l'idée lui est venue que je pourrais la suivre, elle n'aura pas manqué de me fermer sa porte; et je ne veux pas plus l'accoutumer à ce moyen, qu'en souffrir l'humiliation. J'aime mieux lui annoncer au contraire que je reste ici; je lui ferai mÃÂȘme des instances pour qu'elle y revienne; et quand elle sera bien persuadée de mon absence, j'arriverai chez elle nous verrons comment elle supportera cette entrevue. Mais il faut la différer pour en augmenter l'effet, et je ne sais encore si j'en aurai la patience j'ai eu, vingt fois dans la journée, la bouche ouverte pour demander mes chevaux. Cependant je prendrai sur moi; je m'engage à recevoir votre réponse ici; je vous demande seulement, ma belle amie, de ne pas me la faire attendre. Ce qui me contrarierait le plus serait de ne pas savoir ce qui se passe mais mon Chasseur, qui est à Paris, a des droits à quelque accÚs auprÚs de la Femme de chambre il pourra me servir. Je lui envoie une instruction et de l'argent. Je vous prie de trouver bon que je joigne l'un et l'autre à cette Lettre, et aussi d'avoir soin de les lui envoyer par un de vos gens, avec ordre de les lui remettre à lui-mÃÂȘme. Je prends cette précaution, parce que le drÎle a l'habitude de n'avoir jamais reçu les Lettres que je lui écris, quand elles lui prescrivent quelque chose qui le gÃÂȘne; et que, pour le moment, il ne me paraÃt pas aussi épris de sa conquÃÂȘte que je voudrais qu'il le fût. Adieu, ma belle amie; s'il vous vient quelque idée heureuse, quelque moyen de hùter ma marche, faites-m'en part. J'ai éprouvé plus d'une fois combien votre amitié pouvait ÃÂȘtre utile; je l'éprouve encore en ce moment; car je me sens plus calme depuis que je vous écris; au moins, je parle à quelqu'un qui m'entend, et non aux automates prÚs de qui je végÚte depuis ce matin. En vérité, plus je vais, et plus je suis tenté de croire qu'il n'y a que vous et moi dans le monde, qui valions quelque chose. Du Chùteau de ..., ce 3 octobre 17**. LETTRE CI LE VICOMTE DE VALMONT A AZOLAN, SON CHASSEUR. JOINTE A LA PRECEDENTE. Il faut que vous soyez bien imbécile, vous qui ÃÂȘtes parti d'ici ce matin, de n'avoir pas su que Madame de Tourvel en partait aussi; ou, si vous l'avez su, de n'ÃÂȘtre pas venu m'en avertir. A quoi sert-il donc que vous dépensiez mon argent à vous enivrer avec les Valets; que le temps que vous devriez employer à me servir, vous le passiez à faire l'agréable auprÚs des Femmes de chambre, si je n'en suis pas mieux informé de ce qui se passe? Voilà pourtant de vos négligences! Mais je vous préviens que s'il vous en arrive une seule dans cette affaire-ci, ce sera la derniÚre que vous aurez à mon service. Il faut que vous m'instruisiez de tout ce qui se passe chez Madame de Tourvel de sa santé, si elle dort; si elle est triste ou gaie; si elle sort souvent, et chez qui elle va; si elle reçoit du monde chez elle, et qui y vient; à quoi elle passe son temps, si elle a de l'humeur avec ses Femmes, particuliÚrement avec celle qu'elle avait amenée ici; ce qu'elle fait, quand elle est seule; si, quand elle lit, elle lit de suite, ou si elle interrompt sa lecture pour rÃÂȘver; de mÃÂȘme quand elle écrit. Songez aussi à vous rendre l'ami de celui qui porte ses Lettres à la Poste. Offrez-vous souvent à lui pour faire cette commission à sa place et quand il acceptera, ne faites partir que celles qui vous paraÃtront indifférentes, et envoyez-moi les autres, surtout celles à Madame de Volanges, si vous en rencontrez. Arrangez-vous pour ÃÂȘtre encore quelque temps l'amant heureux de votre Julie. Si elle en a un autre, comme vous l'avez cru, faites-la consentir à se partager; et n'allez pas vous piquer d'une ridicule délicatesse vous serez dans le cas de bien d'autres, qui valent mieux que vous. Si pourtant votre second se rendait trop importun; si vous vous aperceviez, par exemple, qu'il occupùt trop Julie pendant la journée, et qu'elle en fût moins souvent auprÚs de sa MaÃtresse, écartez-le par quelque moyen, ou cherchez-lui querelle n'en craignez pas les suites, je vous soutiendrai. Surtout ne quittez pas cette maison. C'est par l'assiduité qu'on voit tout, et qu'on voit bien. Si mÃÂȘme le hasard faisait renvoyer quelqu'un des Gens, présentez-vous pour le remplacer, comme n'étant plus à moi. Dites, dans ce cas, que vous m'avez quitté pour chercher une maison plus tranquille et plus réglée. Tùchez enfin de vous faire accepter. Je ne vous en garderai pas moins à mon service pendant ce temps; ce sera comme chez la Duchesse de ***; et par la suite, Madame de Tourvel vous en récompensera de mÃÂȘme. Si vous aviez assez d'adresse et de zÚle, cette instruction devrait suffire; mais pour suppléer à l'un et à l'autre, je vous envoie de l'argent. Le billet ci-joint vous autorise, comme vous verrez, à toucher vingt-cinq louis chez mon homme d'affaires; car je ne doute pas que vous ne soyez sans le sou. Vous emploierez de cette somme ce qui sera nécessaire pour décider Julie à établir une correspondance avec moi. Le reste servira à faire boire les Gens. Ayez soin, autant que cela se pourra, que ce soit chez le Suisse de la maison, afin qu'il aime à vous y voir venir. Mais n'oubliez pas que ce ne sont pas vos plaisirs que je veux payer, mais vos services. Accoutumez Julie à observer tout et à tout rapporter, mÃÂȘme ce qui lui paraÃtrait minutieux. Il vaut mieux qu'elle écrive dix phrases inutiles, que d'en omettre une intéressante; et souvent ce qui paraÃt indifférent ne l'est pas. Comme il faut que je puisse ÃÂȘtre instruit sur-le-champ, s'il arrivait quelque chose qui vous parût mériter attention, aussitÎt cette Lettre reçue, vous enverrez Philippe, sur le cheval de commission, s'établir à ... [Village à moitié chemin de Paris au chùteau de Madame de Rosemonde]; il y restera jusqu'à nouvel ordre; ce sera un relais en cas de besoin. Pour la correspondance courante, la Poste suffira. Prenez garde de perdre cette Lettre. Relisez-la tous les jours, tant pour vous assurer de ne rien oublier, que pour ÃÂȘtre sûr de l'avoir encore. Faites enfin tout ce qu'il faut faire, quand on est honoré de ma confiance. Vous savez que, si je suis content de vous, vous le serez de moi. Du Chùteau de ..., ce 3 octobre 17**. LETTRE CII LA PRESIDENTE DE TOURVEL A MADAME DE ROSEMONDE Vous serez bien étonnée, Madame, en apprenant que je pars de chez vous aussi précipitamment. Cette démarche va vous paraÃtre bien extraordinaire mais que votre surprise va redoubler encore quand vous en saurez les raisons! Peut-ÃÂȘtre trouverez-vous qu'en vous les confiant, je ne respecte pas assez la tranquillité nécessaire à votre ùge; que je m'écarte mÃÂȘme des sentiments de vénération qui vous sont dus à tant de titres? Ah! Madame, pardon mais mon cÅ“ur est oppressé; il a besoin d'épancher sa douleur dans le sein d'une amie également douce et prudente quelle autre que vous pouvait-il choisir? Regardez-moi comme votre enfant. Ayez pour moi les bontés maternelles; je les implore. J'y ai peut-ÃÂȘtre quelques droits par mes sentiments pour vous. OÃÂč est le temps oÃÂč, tout entiÚre à ces sentiments louables, je ne connaissais point ceux qui, portant dans l'ùme le trouble mortel que j'éprouve, Îtent la force de les combattre en mÃÂȘme temps qu'ils en imposent le devoir? Ah! ce fatal voyage m'a perdue... Que vous dirai-je enfin? j'aime, oui, j'aime éperdument. Hélas! ce mot que j'écris pour la premiÚre fois, ce mot si souvent demandé sans ÃÂȘtre obtenu, je payerais de ma vie la douceur de pouvoir une fois seulement le faire entendre à celui qui l'inspire; et pourtant il faut le refuser sans cesse! Il va douter encore de mes sentiments; il croira avoir à s'en plaindre. Je suis bien malheureuse! Que ne lui est-il aussi facile de lire dans mon cÅ“ur que d'y régner? Oui, je souffrirais moins, s'il savait tout ce que je souffre; mais vous-mÃÂȘme, à qui je le dis, vous n'en aurez encore qu'une faible idée. Dans peu de moments, je vais le fuir et l'affliger. Tandis qu'il se croira encore prÚs de moi, je serai déjà loin de lui à l'heure oÃÂč j'avais coutume de le voir chaque jour, je serai dans des lieux oÃÂč il n'est jamais venu, oÃÂč je ne dois pas permettre qu'il vienne. Déjà tous mes préparatifs sont faits; tout est là , sous mes yeux; je ne puis les reposer sur rien qui ne m'annonce ce cruel départ. Tout est prÃÂȘt, excepté moi!... et plus mon cÅ“ur s'y refuse, plus il me prouve la nécessité de m'y soumettre. Je m'y soumettrai sans doute, il vaut mieux mourir que de vivre coupable. Déjà , je le sens, je ne le suis que trop; je n'ai sauvé que ma sagesse, la vertu s'est évanouie. Faut-il vous l'avouer, ce qui me reste encore, je le dois à sa générosité. Enivrée du plaisir de le voir, de l'entendre, de la douceur de le sentir auprÚs de moi, du bonheur plus grand de pouvoir faire le sien, j'étais sans puissance et sans force; à peine m'en restait-il pour combattre, je n'en avais plus pour résister; je frémissais de mon danger, sans pouvoir le fuir. Hé bien! il a vu ma peine, et il a eu pitié de moi. Comment ne le chérirais-je pas? Je lui dois bien plus que la vie. Ah! si en restant auprÚs de lui je n'avais à trembler que pour elle, ne croyez pas que jamais je consentisse à m'éloigner. Que m'est-elle sans lui, ne serais-je pas trop heureuse de la perdre? Condamnée à faire éternellement son malheur et le mien; à n'oser ni me plaindre, ni le consoler; à me défendre chaque jour contre lui, contre moi-mÃÂȘme; à mettre mes soins à causer sa peine, quand je voudrais les consacrer tous à son bonheur. Vivre ainsi n'est-ce pas mourir mille fois? Voilà pourtant quel va ÃÂȘtre mon sort. Je le supporterai cependant, j'en aurai le courage. Ô vous, que je choisis pour ma mÚre, recevez-en le serment! Recevez aussi celui que je fais de ne vous dérober aucune de mes actions; recevez-le, je vous en conjure; je vous le demande comme un secours dont j'ai besoin ainsi, engagée à vous dire tout, je m'accoutumerai à me croire toujours en votre présence. Votre vertu remplacera la mienne. Jamais, sans doute, je ne consentirai à rougir à vos yeux; et retenue par ce frein puissant, tandis que je chérirai en vous l'indulgente amie, confidente de ma faiblesse, j'y honorerai encore l'Ange tutélaire qui me sauvera de la honte. C'est bien en éprouver assez que d'avoir à faire cette demande. Fatal effet d'une présomptueuse confiance! pourquoi n'ai-je pas redouté plus tÎt ce penchant que j'ai senti naÃtre? Pourquoi me suis-je flattée de pouvoir à mon gré le maÃtriser ou le vaincre? Insensée! je connaissais bien peu l'amour! Ah! si je l'avais combattu avec plus de soin, peut-ÃÂȘtre eût-il pris moins d'empire! peut-ÃÂȘtre alors ce départ n'eût pas été nécessaire; ou mÃÂȘme, en me soumettant à ce parti douloureux, j'aurais pu ne pas rompre entiÚrement une liaison qu'il eût suffi de rendre moins fréquente! Mais tout perdre à la fois! et pour jamais! Ô mon amie!... Mais quoi! mÃÂȘme en vous écrivant, je m'égare encore dans des vÅ“ux criminels. Ah! partons, partons, et que du moins ces torts involontaires soient expiés par mes sacrifices. Adieu, ma respectable amie; aimez-moi comme votre fille, adoptez-moi pour telle; et soyez sûre que, malgré ma faiblesse, j'aimerais mieux mourir que de me rendre indigne de votre choix. De ..., ce 3 octobre 17**, à une heure du matin. LETTRE CIII MADAME DE ROSEMONDE A LA PRESIDENTE DE TOURVEL J'ai été, ma chÚre Belle, plus affligée de votre départ que surprise de sa cause; une longue expérience et l'intérÃÂȘt que vous inspirez avaient suffi pour m'éclairer sur l'état de votre cÅ“ur; et s'il faut tout dire, vous ne m'avez rien ou presque rien appris par votre Lettre. Si je n'avais été instruite que par elle, j'ignorerais encore quel est celui que vous aimez; car en me parlant de lui tout le temps, vous n'avez pas écrit son nom une seule fois. Je n'en avais pas besoin; je sais bien qui c'est. Mais je le remarque, parce que je me suis rappelé que c'est toujours là le style de l'amour. Je vois qu'il en est encore comme au temps passé. Je ne croyais guÚre ÃÂȘtre jamais dans le cas de revenir sur des souvenirs si éloignés de moi, et si étrangers à mon ùge. Pourtant, depuis hier, je m'en suis vraiment beaucoup occupée, par le désir que j'avais d'y trouver quelque chose qui pût vous ÃÂȘtre utile. Mais que puis-je faire, que vous admirer et vous plaindre? Je loue le parti sage que vous avez pris mais il m'effraie, parce que j'en conclus que vous l'avez jugé nécessaire; et quand on en est là , il est bien difficile de se tenir toujours éloignée de celui dont notre cÅ“ur nous rapproche sans cesse. Cependant ne vous découragez pas. Rien ne doit ÃÂȘtre impossible à votre belle ùme; et quand vous devriez un jour avoir le malheur de succomber ce qu'à Dieu ne plaise!, croyez-moi, ma chÚre Belle, réservez-vous au moins la consolation d'avoir combattu de toute votre puissance. Et puis, ce que ne peut la sagesse humaine, la grùce divine l'opÚre quand il lui plaÃt. Peut-ÃÂȘtre ÃÂȘtes- vous à la veille de ses secours; et votre vertu, éprouvée dans ces combats terribles, en sortira plus pure, et plus brillante. La force que vous n'avez pas aujourd'hui, espérez que vous la recevrez demain. N'y comptez pas pour vous en reposer sur elle, mais pour vous encourager à user de toutes les vÎtres. En laissant à la Providence le soin de vous secourir dans un danger contre lequel je ne peux rien, je me réserve de vous soutenir et vous consoler autant qu'il sera en moi. Je ne soulagerai pas vos peines, mais je les partagerai. C'est à ce titre que je recevrai volontiers vos confidences. Je sens que votre cÅ“ur doit avoir besoin de s'épancher. Je vous ouvre le mien; l'ùge ne l'a pas encore refroidi au point d'ÃÂȘtre insensible à l'amitié. Vous le trouverez toujours prÃÂȘt à vous recevoir. Ce sera un faible soulagement à vos douleurs, mais au moins vous ne pleurerez pas seule et quand ce malheureux amour, prenant trop d'empire sur vous, vous forcera d'en parler, il vaut mieux que ce soit avec moi qu'avec lui . Voilà que je parle comme vous; et je crois qu'à nous deux nous ne parviendrons pas à le nommer; au reste, nous nous entendons. Je ne sais si je fais bien de vous dire qu'il m'a paru vivement affecté de votre départ; il serait peut-ÃÂȘtre plus sage de ne vous en pas parler mais je n'aime pas cette sagesse qui afflige ses amis. Je suis pourtant forcée de n'en pas parler plus longtemps. Ma vue débile et ma main tremblante ne me permettent pas de longues Lettres, quand il faut les écrire moi-mÃÂȘme. Adieu donc, ma chÚre Belle; adieu, mon aimable enfant; oui, je vous adopte volontiers pour ma fille, et vous avez bien tout ce qu'il faut pour faire l'orgueil et le plaisir d'une mÚre. Du Chùteau de ..., ce 3 octobre 17**. LETTRE CIV LA MARQUISE DE MERTEUIL A MADAME DE VOLANGES En vérité, ma chÚre et bonne amie, j'ai eu peine à me défendre d'un mouvement d'orgueil, en lisant votre Lettre. Quoi! vous m'honorez de votre entiÚre confiance! vous allez mÃÂȘme jusqu'à me demander des conseils! Ah! je suis bien heureuse, si je mérite cette opinion favorable de votre part si je ne la dois pas seulement à la prévention de l'amitié. Au reste, quel qu'en soit le motif, elle n'en est pas moins précieuse à mon cÅ“ur; et l'avoir obtenue n'est à mes yeux qu'une raison de plus pour travailler davantage à la mériter. Je vais donc mais sans prétendre vous donner un avis vous dire librement ma façon de penser. Je m'en méfie, parce qu'elle diffÚre de la vÎtre; mais quand je vous aurai exposé mes raisons, vous les jugerez; et si vous les condamnez, je souscris d'avance à votre jugement. J'aurai au moins cette sagesse de ne pas me croire plus sage que vous. Si pourtant, et pour cette seule fois, mon avis se trouvait préférable, il faudrait en chercher la cause dans les illusions de l'amour maternel. Puisque ce sentiment est louable, il doit se trouver en vous. Qu'il se reconnaÃt bien en effet dans le parti que vous ÃÂȘtes tentée de prendre! c'est ainsi que, s'il vous arrive d'errer quelquefois, ce n'est jamais que dans le choix des vertus. La prudence est, à ce qu'il me semble, celle qu'il faut préférer, quand on dispose du sort des autres, et surtout quand il s'agit de le fixer par un lien indissoluble et sacré, tel que celui du mariage. C'est alors qu'une mÚre, également sage et tendre, doit comme vous le dites si bien, aider sa fille de son expérience . Or, je vous le demande, qu'a-t-elle à faire pour y parvenir? sinon de distinguer pour elle, entre ce qui plaÃt et ce qui convient. Ne serait-ce donc pas avilir l'autorité maternelle, ne serait-ce pas l'anéantir, que de la subordonner à un goût frivole dont la puissance illusoire ne se fait sentir qu'à ceux qui la redoutent, et disparaÃt sitÎt qu'on la méprise? Pour moi, je l'avoue, je n'ai jamais cru à ces passions entraÃnantes et irrésistibles, dont il semble qu'on soit convenu de faire l'excuse générale de nos dérÚglements. Je ne conçois point comment un goût, qu'un moment voit naÃtre et qu'un autre voit mourir, peut avoir plus de force que les principes inaltérables de pudeur, d'honnÃÂȘteté et de modestie; et je n'entends pas plus qu'une femme qui les trahit puisse ÃÂȘtre justifiée par sa passion prétendue, qu'un voleur ne le serait par la passion de l'argent, ou un assassin par celle de la vengeance. Eh! qui peut dire n'avoir jamais eu à combattre? Mais j'ai toujours cherché à me persuader que, pour résister, il suffisait de le vouloir, et jusqu'alors au moins, mon expérience a confirmé mon opinion. Que serait la vertu, sans les devoirs qu'elle impose? son culte est dans nos sacrifices, sa récompense dans nos cÅ“urs. Ces vérités ne peuvent ÃÂȘtre niées que par ceux qui ont intérÃÂȘt de les méconnaÃtre; et qui, déjà dépravés, espÚrent faire un moment illusion, en essayant de justifier leur mauvaise conduite par de mauvaises raisons. Mais pourrait-on le craindre d'un enfant simple et timide; d'un enfant né de vous, et dont l'éducation modeste et pure n'a pu que fortifier l'heureux naturel? C'est pourtant à cette crainte, que j'ose dire humiliante pour votre fille, que vous voulez sacrifier le mariage avantageux que votre prudence avait ménagé pour elle! J'aime beaucoup Danceny; et depuis longtemps, comme vous savez, je vois peu M. de Gercourt; mais mon amitié pour l'un, mon indifférence pour l'autre, ne m'empÃÂȘchent point de sentir l'énorme différence qui se trouve entre ces deux partis. Leur naissance est égale, j'en conviens; mais l'un est sans fortune, et celle de l'autre est telle que, mÃÂȘme sans naissance, elle aurait suffi pour le mener à tout. J'avoue bien que l'argent ne fait pas le bonheur; mais il faut avouer aussi qu'il le facilite beaucoup. Mademoiselle de Volanges est, comme vous le dites, assez riche pour deux cependant, soixante mille livres de rente dont elle va jouir ne sont pas déjà tant quand on porte le nom de Danceny, quand il faut monter et soutenir une maison qui y réponde. Nous ne sommes plus au temps de Madame de Sévigné. Le luxe absorbe tout on le blùme, mais il faut l'imiter, et le superflu finit par priver du nécessaire. Quant aux qualités personnelles que vous comptez pour beaucoup, et avec beaucoup de raison, assurément M. de Gercourt est sans reproche de ce cÎté; et à lui, ses preuves sont faites. J'aime à croire, et je crois qu'en effet Danceny ne lui cÚde en rien; mais en sommes-nous aussi sûres? Il est vrai qu'il a paru jusqu'ici exempt des défauts de son ùge, et que malgré le ton du jour il montre un goût pour la bonne compagnie qui fait augurer favorablement de lui mais qui sait si cette sagesse apparente, il ne la doit pas à la médiocrité de sa fortune? Pour peu qu'on craigne d'ÃÂȘtre fripon ou crapuleux, il faut de l'argent pour ÃÂȘtre joueur et libertin, et l'on peut encore aimer les défauts dont on redoute les excÚs. Enfin il ne serait pas le milliÚme qui aurait vu la bonne compagnie uniquement faute de pouvoir mieux faire. Je ne dis pas à Dieu ne plaise! que je croie tout cela de lui mais ce serait toujours un risque à courir; et quels reproches n'auriez-vous pas à vous faire, si l'événement n'était pas heureux! Que répondriez-vous à votre fille, qui vous dirait " Ma mÚre, j'étais jeune et sans expérience; j'étais mÃÂȘme séduite par une erreur pardonnable à mon ùge mais le Ciel, qui avait prévu ma faiblesse, m'avait accordé une mÚre sage, pour y remédier et m'en garantir. Pourquoi donc, oubliant votre prudence, avez-vous consenti à mon malheur? était-ce à moi à me choisir un époux, quand je ne connaissais rien de l'état du mariage? Quand je l'aurais voulu, n'était-ce pas à vous à vous y opposer? Mais je n'ai jamais eu cette folle volonté. Décidée à vous obéir, j'ai attendu votre choix avec une respectueuse résignation; jamais je ne me suis écartée de la soumission que je vous devais, et cependant je porte aujourd'hui la peine qui n'est due qu'aux enfants rebelles. Ah! votre faiblesse m'a perdue ... " Peut-ÃÂȘtre son respect étoufferait-il ces plaintes; mais l'amour maternel les devinerait et les larmes de votre fille, pour ÃÂȘtre dérobées, n'en couleraient pas moins sur votre cÅ“ur. OÃÂč chercherez-vous alors vos consolations? Sera-ce dans ce fol amour, contre lequel vous auriez dû l'armer, et par qui au contraire vous vous serez laissé séduire? J'ignore, ma chÚre amie, si j'ai contre cette passion une prévention trop forte; mais je la crois redoutable, mÃÂȘme dans le mariage. Ce n'est pas que je désapprouve qu'un sentiment honnÃÂȘte et doux vienne embellir le lien conjugal, et adoucir en quelque sorte les devoirs qu'il impose; mais ce n'est pas à lui qu'il appartient de le former; ce n'est pas à l'illusion d'un moment à régler le choix de notre vie. En effet, pour choisir, il faut comparer; et comment le pouvoir, quand un seul objet nous occupe; quand celui-là mÃÂȘme on ne peut le connaÃtre, plongé que l'on est dans l'ivresse et l'aveuglement? J'ai rencontré, comme vous pouvez croire, plusieurs femmes atteintes de ce mal dangereux; j'ai reçu les confidences de quelques-unes. A les entendre, il n'en est point dont l'Amant ne soit un ÃÂȘtre parfait mais ces perfections chimériques n'existent que dans leur imagination. Leur tÃÂȘte exaltée ne rÃÂȘve qu'agréments et vertus; elles en parent à plaisir celui qu'elles préfÚrent c'est la draperie d'un Dieu, portée souvent par un modÚle abject mais quel qu'il soit, à peine l'en ont-elles revÃÂȘtu, que, dupes de leur propre ouvrage, elles se prosternent pour l'adorer. Ou votre fille n'aime pas Danceny, ou elle éprouve cette mÃÂȘme illusion; elle est commune à tous deux, si leur amour est réciproque. Ainsi votre raison pour les unir à jamais se réduit à la certitude qu'ils ne se connaissent pas, qu'ils ne peuvent se connaÃtre. Mais me direz-vous, M. de Gercourt et ma fille se connaissent-ils davantage? Non, sans doute; mais au moins ne s'abusent-ils pas, ils s'ignorent seulement. Qu'arrive-t-il dans ce cas entre deux époux que je suppose honnÃÂȘtes? c'est que chacun d'eux étudie l'autre, s'observe vis-à -vis de lui, cherche et reconnaÃt bientÎt ce qu'il faut qu'il cÚde de ses goûts et de ses volontés, pour la tranquillité commune. Ces légers sacrifices se font sans peine, parce qu'ils sont réciproques et qu'on les a prévus bientÎt ils font naÃtre une bienveillance mutuelle; et l'habitude, qui fortifie tous les penchants qu'elle ne détruit pas, amÚne peu à peu cette douce amitié, cette tendre confiance, qui, jointes à l'estime, forment, ce me semble, le véritable, le solide bonheur des mariages. Les illusions de l'amour peuvent ÃÂȘtre plus douces; mais qui ne sait aussi qu'elles sont moins durables? et quels dangers n'amÚne pas le moment qui les détruit! C'est alors que les moindres défauts paraissent choquants et insupportables, par le contraste qu'ils forment avec l'idée de perfection qui nous avait séduits. Chacun des deux époux croit cependant que l'autre seul a changé, et que lui vaut toujours ce qu'un moment d'erreur l'avait fait apprécier. Le charme qu'il n'éprouve plus, il s'étonne de ne le plus faire naÃtre; il en est humilié la vanité blessée aigrit les esprits, augmente les torts, produit l'humeur, enfante la haine; et de frivoles plaisirs sont payés enfin par de longues infortunes. Voilà , ma chÚre amie, ma façon de penser sur l'objet qui nous occupe; je ne la défends pas, je l'expose seulement; c'est à vous à décider. Mais si vous persistez dans votre avis, je vous demande de me faire connaÃtre les raisons qui auront combattu les miennes je serai bien aise de m'éclairer auprÚs de vous, et surtout d'ÃÂȘtre rassurée sur le sort de votre aimable enfant, dont je désire bien ardemment le bonheur, et par mon amitié pour elle, et par celle qui m'unit à vous pour la vie. Paris, ce 4 octobre 17**. LETTRE CV LA MARQUISE DE MERTEUIL A CECILE VOLANGES Hé bien! Petite, vous voilà donc bien fùchée, bien honteuse, et ce M. de Valmont est un méchant homme, n'est-ce pas? Comment! il ose vous traiter comme la femme qu'il aimerait le mieux! Il vous apprend ce que vous mouriez d'envie de savoir! En vérité, ces procédés-là sont impardonnables. Et vous, de votre cÎté, vous voulez garder votre sagesse pour votre Amant qui n'en abuse pas; vous ne chérissez de l'amour que les peines, et non les plaisirs! Rien de mieux, et vous figurerez à merveille dans un Roman. De la passion, de l'infortune, de la vertu par-dessus tout, que de belles choses! Au milieu de ce brillant cortÚge, on s'ennuie quelquefois à la vérité, mais on le rend bien. Voyez donc, la pauvre enfant, comme elle est à plaindre! Elle avait les yeux battus le lendemain! Et que diriez-vous donc, quand ce seront ceux de votre Amant? Allez, mon bel Ange, vous ne les aurez pas toujours ainsi; tous les hommes ne sont pas des Valmont. Et puis, ne plus oser lever ces yeux-là ! Oh! par exemple, vous avez eu bien raison; tout le monde y aurait lu votre aventure. Croyez-moi cependant, s'il en était ainsi, nos Femmes et mÃÂȘme nos Demoiselles auraient le regard plus modeste. Malgré les louanges que je suis forcée de vous donner, comme vous voyez, il faut convenir pourtant que vous avez manqué votre chef-d'Å“uvre; c'était de tout dire à votre Maman. Vous aviez si bien commencé! déjà vous vous étiez jetée dans ses bras, vous sanglotiez, elle pleurait aussi; quelle scÚne pathétique! et quel dommage de ne l'avoir pas achevée! Votre tendre mÚre, toute ravie d'aise, et pour aider à votre vertu, vous aurait cloÃtrée, pour toute votre vie; et là vous auriez aimé Danceny tant que vous auriez voulu, sans rivaux et sans péché; vous vous seriez désolée tout à votre aise; et Valmont, à coup sûr, n'aurait pas été troubler votre douleur par de contrariants plaisirs. Sérieusement peut-on, à quinze ans passés, ÃÂȘtre enfant comme vous l'ÃÂȘtes? Vous avez bien raison de dire que vous ne méritez pas mes bontés. Je voulais pourtant ÃÂȘtre votre amie vous en avez besoin peut-ÃÂȘtre avec la mÚre que vous avez, et le mari qu'elle veut vous donner! Mais si vous ne vous formez pas davantage, que voulez-vous qu'on fasse de vous? Que peut-on espérer, si ce qui fait venir l'esprit aux filles semble au contraire vous l'Îter? Si vous pouviez prendre sur vous de raisonner un moment, vous trouveriez bientÎt que vous devez vous féliciter au lieu de vous plaindre. Mais vous ÃÂȘtes honteuse, et cela vous gÃÂȘne! Hé! tranquillisez-vous; la honte que cause l'amour est comme sa douleur on ne l'éprouve qu'une fois. On peut encore la feindre aprÚs; mais on ne la sent plus. Cependant le plaisir reste, et c'est bien quelque chose. Je crois mÃÂȘme avoir démÃÂȘlé, à travers votre petit bavardage, que vous pourriez le compter pour beaucoup. Allons, un peu de bonne foi. Là , ce trouble qui vous empÃÂȘchait de faire comme vous disiez , qui vous faisait trouver si difficile de se défendre , qui vous rendait comme fùchée , quand Valmont s'en est allé, était-ce bien la honte qui le causait? ou si c'était le plaisir? et ses façons de dire auxquelles on ne sait comment répondre , cela ne viendrait-il pas de ses façons de faire? Ah! petite fille, vous mentez, et vous mentez à votre amie! Cela n'est pas bien. Mais brisons là . Ce qui pour tout le monde serait un plaisir, et pourrait n'ÃÂȘtre que cela, devient dans votre situation un véritable bonheur. En effet, placée entre une mÚre dont il vous importe d'ÃÂȘtre aimée, et un Amant dont vous désirez de l'ÃÂȘtre toujours, comment ne voyez-vous pas que le seul moyen d'obtenir ces succÚs opposés est de vous occuper d'un tiers? Distraite par cette nouvelle aventure, tandis que vis-à -vis de votre Maman vous aurez l'air de sacrifier à votre soumission pour elle un goût qui lui déplaÃt, vous acquerrez vis-à -vis de votre Amant l'honneur d'une belle défense. En l'assurant sans cesse de votre amour, vous ne lui en accorderez pas les derniÚres preuves. Ces refus, si peu pénibles dans le cas oÃÂč vous serez, il ne manquera pas de les mettre sur le compte de votre vertu; il s'en plaindra peut-ÃÂȘtre, mais il vous en aimera davantage, et pour avoir le double mérite, aux yeux de l'un de sacrifier l'amour, à ceux de l'autre, d'y résister, il ne vous en coûtera que d'en goûter les plaisirs. Oh! combien de femmes ont perdu leur réputation, qui l'eussent conservée avec soin, si elles avaient pu la soutenir par de pareils moyens! Ce parti que je vous propose, ne vous paraÃt-il pas le plus raisonnable, comme le plus doux? Savez-vous ce que vous avez gagné à celui que vous avez pris? c'est que votre Maman a attribué votre redoublement de tristesse à un redoublement d'amour, qu'elle en est outrée, et que pour vous en punir elle n'attend que d'en ÃÂȘtre plus sûre. Elle vient de m'en écrire; elle tentera tout pour obtenir cet aveu de vous-mÃÂȘme. Elle ira, peut-ÃÂȘtre, me dit-elle, jusqu'à vous proposer Danceny pour époux; et cela pour vous engager à parler. Et si, vous laissant séduire par cette trompeuse tendresse, vous répondiez, selon votre cÅ“ur, bientÎt renfermée pour longtemps, peut-ÃÂȘtre pour toujours, vous pleureriez à loisir votre aveugle crédulité. Cette ruse qu'elle veut employer contre vous, il faut la combattre par une autre. Commencez donc, en lui montrant moins de tristesse, à lui faire croire que vous songez moins à Danceny. Elle se le persuadera d'autant plus facilement, que c'est l'effet ordinaire de l'absence; et elle vous en saura d'autant plus de gré, qu'elle y trouvera une occasion de s'applaudir de sa prudence, qui lui a suggéré ce moyen. Mais si, conservant quelque doute, elle persistait pourtant à vous éprouver, et qu'elle vÃnt à vous parler de mariage, renfermez-vous, en fille bien née, dans une parfaite soumission. Au fait, qu'y risquez-vous? Pour ce qu'on fait d'un mari, l'un vaut toujours bien l'autre; et le plus incommode est encore moins gÃÂȘnant qu'une mÚre. Une fois plus contente de vous, votre Maman vous mariera enfin; et alors, plus libre dans vos démarches, vous pourrez, à votre choix, quitter Valmont pour prendre Danceny, ou mÃÂȘme les garder tous deux. Car, prenez-y garde, votre Danceny est gentil mais c'est un de ces hommes qu'on a quand on veut et tant qu'on veut; on peut donc se mettre à l'aise avec lui. Il n'en est pas de mÃÂȘme de Valmont on le garde difficilement; et il est dangereux de le quitter. Il faut avec lui beaucoup d'adresse, ou, quand on n'en a pas, beaucoup de docilité. Mais, aussi, si vous pouviez parvenir à vous l'attacher comme ami, ce serait là un bonheur! il vous mettrait tout de suite au premier rang de nos femmes à la mode. C'est comme cela qu'on acquiert une consistance dans le monde, et non pas à rougir et à pleurer, comme quand vos Religieuses vous faisaient dÃner à genoux. Vous tùcherez donc, si vous ÃÂȘtes sage, de vous raccommoder avec Valmont, qui doit ÃÂȘtre trÚs en colÚre contre vous; et comme il faut savoir réparer ses sottises, ne craignez pas de lui faire quelques avances; aussi bien apprendrez- vous bientÎt, que si les hommes nous font les premiÚres, nous sommes presque toujours obligées de faire les secondes. Vous avez un prétexte pour celles-ci car il ne faut pas que vous gardiez cette Lettre; et j'exige de vous de la remettre à Valmont aussitÎt que vous l'aurez lue. N'oubliez pas pourtant de la recacheter auparavant. D'abord, c'est qu'il faut vous laisser le mérite de la démarche que vous ferez vis-à -vis de lui, et qu'elle n'ait pas l'air de vous avoir été conseillée; et puis, c'est qu'il n'y a que vous au monde dont je sois assez l'amie pour vous parler comme je fais. Adieu, bel Ange, suivez mes conseils, et vous me manderez si vous vous en trouvez bien. A propos, j'oubliais... un mot encore. Voyez donc à soigner davantage votre style. Vous écrivez toujours comme un enfant. Je vois bien d'oÃÂč cela vient; c'est que vous dites tout ce que vous pensez, et rien de ce que vous ne pensez pas. Cela peut passer ainsi de vous à moi, qui devons n'avoir rien de caché l'une pour l'autre mais avec tout le monde! avec votre Amant surtout! vous auriez toujours l'air d'une petite sotte. Vous voyez bien que, quand vous écrivez à quelqu'un, c'est pour lui et non pas pour vous vous devez donc moins chercher à lui dire ce que vous pensez, que ce qui lui plaÃt davantage. Adieu, mon cÅ“ur je vous embrasse au lieu de vous gronder dans l'espérance que vous serez plus raisonnable. Paris, ce 4 octobre 17**. LETTRE CVI LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT A merveille, Vicomte, et pour le coup, je vous aime à la fureur! Au reste, aprÚs la premiÚre de vos deux Lettres, on pouvait s'attendre à la seconde aussi ne m'a-t-elle point étonnée; et tandis que déjà fier de vos succÚs à venir, vous en sollicitiez la récompense, et que vous me demandiez si j'étais prÃÂȘte, je voyais bien que je n'avais pas tant besoin de me presser. Oui, d'honneur, en lisant le beau récit de cette scÚne tendre, et qui vous avait si vivement ému ; en voyant votre retenue, digne des plus beaux temps de notre Chevalerie, j'ai dit vingt fois " Voilà une affaire manquée! " Mais c'est que cela ne pouvait pas ÃÂȘtre autrement. Que voulez-vous que fasse une pauvre femme qui se rend et qu'on ne prend pas? Ma foi, dans ce cas-là , il faut au moins sauver l'honneur; et c'est ce qu'a fait votre Présidente. Je sais bien que pour moi, qui ai senti que la marche qu'elle a prise n'est vraiment pas sans quelque effet, je me propose d'en faire usage, pour mon compte, à la premiÚre occasion un peu sérieuse qui se présentera mais je promets bien que si celui pour qui j'en ferai les frais n'en profite pas mieux que vous, il peut assurément renoncer à moi pour toujours. Vous voilà donc absolument réduit à rien et cela entre deux femmes, dont l'une était déjà au lendemain, et l'autre ne demandait pas mieux que d'y ÃÂȘtre! Hé bien! vous allez croire que je me vante, et dire qu'il est facile de prophétiser aprÚs l'événement; mais je peux vous jurer que je m'y attendais. C'est que réellement vous n'avez pas le génie de votre état; vous n'en savez que ce que vous en avez appris, et vous n'inventez rien. Aussi, dÚs que les circonstances ne se prÃÂȘtent plus à vos formules d'usage, et qu'il vous faut sortir de la route ordinaire, vous restez court comme un Ecolier. Enfin, un enfantillage, d'une part; de l'autre, un retour de pruderie, parce qu'on ne les éprouve pas tous les jours suffisent pour vous déconcerter et vous ne savez ni les prévenir, ni y remédier. Ah! Vicomte! Vicomte! vous m'apprenez à ne pas juger les hommes par leurs succÚs; et bientÎt, il faudra dire de vous; " Il fut brave un tel jour. " Et quand vous avez fait sottises sur sottises, vous recourez à moi! Il semble que je n'aie rien autre chose à faire que de les réparer. Il est vrai que ce serait bien assez d'ouvrage. Quoi qu'il en soit, de ces deux aventures, l'une est entreprise contre mon gré, et je ne m'en mÃÂȘle point; pour l'autre, comme vous y avez mis quelque complaisance pour moi, j'en fais mon affaire. La Lettre que je joins ici, que vous lirez d'abord, et que vous remettrez ensuite à la petite Volanges, est plus que suffisante pour vous la ramener mais, je vous en prie, donnez quelques soins à cet enfant, et faisons-en, de concert, le désespoir de sa mÚre et de Gercourt. Il n'y a pas à craindre de forcer les doses. Je vois clairement que la petite personne n'en sera point effrayée; et nos vues sur elle une fois remplies, elle deviendra ce qu'elle pourra. Je me désintéresse entiÚrement sur son compte. J'avais eu quelque envie d'en faire au moins une intrigante subalterne, et de la prendre pour jouer les seconds sous moi mais je vois qu'il n'y a pas d'étoffe; elle a une sotte ingénuité qui n'a pas cédé mÃÂȘme au spécifique que vous avez employé, lequel pourtant n'en manque guÚre; et c'est selon moi la maladie la plus dangereuse que femme puisse avoir. Elle dénote, surtout, une faiblesse de caractÚre presque toujours incurable et qui s'oppose à tout; de sorte que, tandis que nous nous occuperions à former cette petite fille pour l'intrigue, nous n'en ferions qu'une femme facile. Or, je ne connais rien de si plat que cette facilité de bÃÂȘtise, qui se rend sans savoir ni comment ni pourquoi, uniquement parce qu'on l'attaque et qu'elle ne sait pas résister. Ces sortes de femmes ne sont absolument que des machines à plaisir. Vous me direz qu'il n'y a qu'à n'en faire que cela, et que c'est assez pour nos projets. A la bonne heure! mais n'oublions pas que de ces machines-là , tout le monde parvient bientÎt à en connaÃtre les ressorts et les moteurs; ainsi, que pour se servir de celle-ci sans danger, il faut se dépÃÂȘcher, s'arrÃÂȘter de bonne heure, et la briser ensuite. A la vérité, les moyens ne nous manqueront pas pour nous en défaire, et Gercourt la fera toujours bien enfermer quand nous voudrons. Au fait, quand il ne pourra plus douter de sa déconvenue, quand elle sera bien publique et bien notoire, que nous importe qu'il se venge, pourvu qu'il ne se console pas? Ce que je dis du mari, vous le pensez sans doute de la mÚre; ainsi cela vaut fait. Ce parti que je crois le meilleur, et auquel je me suis arrÃÂȘtée, m'a décidée à mener la jeune personne un peu vite, comme vous verrez par ma Lettre; cela rend aussi trÚs important de ne rien laisser entre ses mains qui puisse nous compromettre, et je vous prie d'y avoir attention. Cette précaution une fois prise, je me charge du moral, le reste vous regarde. Si pourtant nous voyons par la suite que l'ingénuité se corrige, nous serons toujours à temps de changer de projet. Il n'en aurait pas moins fallu, un jour ou l'autre, nous occuper de ce que nous allons faire dans aucun cas, nos soins ne seront perdus. Savez-vous que les miens ont risqué de l'ÃÂȘtre, et que l'étoile de Gercourt a pensé l'emporter sur ma prudence? Madame de Volanges n'a-t-elle pas eu un moment de faiblesse maternelle? ne voulait-elle pas donner sa fille à Danceny? C'était là ce qu'annonçait cet intérÃÂȘt plus tendre, que vous aviez remarqué le lendemain . C'est encore vous qui auriez été cause de ce beau chef-d'Å“uvre! Heureusement la tendre mÚre m'en a écrit, et j'espÚre que ma réponse l'en dégoûtera. J'y parle tant de vertu, et surtout je la cajole tant, qu'elle doit trouver que j'ai raison. Je suis fùchée de n'avoir pas eu le temps de prendre copie de ma Lettre, pour vous édifier sur l'austérité de ma morale. Vous verriez comme je méprise les femmes assez dépravées pour avoir un Amant! Il est si commode d'ÃÂȘtre rigoriste dans ses discours! cela ne nuit jamais qu'aux autres, et ne nous gÃÂȘne aucunement... Et puis je n'ignore pas que la bonne Dame a eu ses petites faiblesses comme une autre, dans son jeune temps, et je n'étais pas fùchée de l'humilier au moins dans sa conscience; cela me consolait un peu des louanges que je lui donnais contre la mienne. C'est ainsi que dans la mÃÂȘme Lettre, l'idée de nuire à Gercourt m'a donné le courage d'en dire du bien. Adieu, Vicomte; j'approuve beaucoup le parti que vous prenez de rester quelque temps oÃÂč vous ÃÂȘtes. Je n'ai point de moyens pour hùter votre marche; mais je vous invite à vous désennuyer avec notre commune Pupille. Pour ce qui est de moi, malgré votre citation polie, vous voyez bien qu'il faut encore attendre; et vous conviendrez, sans doute, que ce n'est pas ma faute. Paris, ce 4 octobre 17**. LETTRE CVII AZOLAN AU VICOMTE DE VALMONT Monsieur, Conformément à vos ordres, j'ai été, aussitÎt la réception de votre Lettre, chez M. Bertrand, qui m'a remis les vingt-cinq louis, comme vous lui aviez ordonné. Je lui en avais demandé deux de plus pour Philippe, à qui j'avais dit de partir sur-le-champ, comme Monsieur me l'avait mandé, et qui n'avait pas d'argent; mais Monsieur votre homme d'affaires n'a pas voulu, en disant qu'il n'avait pas d'ordre de ça de vous. J'ai donc été obligé de les donner de moi et Monsieur m'en tiendra compte, si c'est sa bonté. Philippe est parti hier au soir. Je lui ai bien recommandé de ne pas quitter le cabaret, afin qu'on puisse ÃÂȘtre sûr de le trouver si on en a besoin. J'ai été tout de suite aprÚs chez Madame la Présidente pour voir Mademoiselle Julie mais elle était sortie, et je n'ai parlé qu'à La Fleur, de qui je n'ai pu rien savoir, parce que depuis son arrivée il n'avait été à l'hÎtel qu'à l'heure des repas. C'est le second qui a fait tout le service, et Monsieur sait bien que je ne connaissais pas celui-là . Mais j'ai commencé aujourd'hui. Je suis retourné ce matin chez Mademoiselle Julie, et elle a paru bien aise de me voir. Je l'ai interrogée sur la cause du retour de sa MaÃtresse; mais elle m'a dit n'en rien savoir, et je crois qu'elle a dit vrai. Je lui ai reproché de ne pas m'avoir averti de son départ, et elle m'a assuré qu'elle ne l'avait su que le soir mÃÂȘme en allant coucher Madame si bien qu'elle a passé toute la nuit à ranger, et que la pauvre fille n'a pas dormi deux heures. Elle n'est sortie ce soir-là de la chambre de sa MaÃtresse qu'à une heure passée, et elle l'a laissée qui se mettait seulement à écrire. Le matin, Madame de Tourvel, en partant, a remis une Lettre au Concierge du Chùteau. Mademoiselle Julie ne sait pas pour qui elle dit que c'était peut-ÃÂȘtre pour Monsieur; mais Monsieur ne m'en parle pas. Pendant tout le voyage, Madame a eu un grand capuchon sur sa figure, ce qui faisait qu'on ne pouvait la voir; mais Mademoiselle Julie croit ÃÂȘtre sûre qu'elle a pleuré souvent. Elle n'a pas dit une parole pendant la route, et elle n'a pas voulu s'arrÃÂȘter à ... [Toujours le mÃÂȘme village, à moitié chemin de la route], comme elle avait fait en allant, ce qui n'a pas fait trop de plaisir à Mademoiselle Julie, qui n'avait pas déjeuné. Mais, comme je lui ai dit, les MaÃtres sont les MaÃtres. En arrivant, Madame s'est couchée; mais elle n'est restée au lit que deux heures. En se levant, elle a fait venir son Suisse, et lui a donné ordre de ne laisser entrer personne. Elle n'a point fait de toilette du tout. Elle s'est mise à table pour dÃner; mais elle n'a mangé qu'un peu de potage, et elle en est sortie tout de suite. On lui a porté son café chez elle et Mademoiselle Julie est entrée en mÃÂȘme temps. Elle a trouvé sa MaÃtresse qui rangeait des papiers dans son secrétaire, et elle a vu que c'était des Lettres. Je parierais bien que ce sont celles de Monsieur; et des trois qui lui sont arrivées dans l'aprÚs-midi, il y en a une qu'elle avait encore devant elle tout au soir! Je suis bien sûr que c'est encore une de Monsieur. Mais pourquoi donc est-ce qu'elle s'en est allée comme ça? ça m'étonne, moi! au reste, sûrement que Monsieur le sait bien? Et ce ne sont pas mes affaires. Madame la Présidente est allée l'aprÚs-midi dans la BibliothÚque, et elle y a pris deux Livres qu'elle a emportés dans son boudoir mais Mademoiselle Julie assure qu'elle n'a pas lu dedans un quart d'heure dans toute la journée, et qu'elle n'a fait que lire cette Lettre, rÃÂȘver et ÃÂȘtre appuyée sur sa main. Comme j'ai imaginé que Monsieur serait bien aise de savoir quels sont ces Livres-là , et que Mademoiselle Julie ne le savait pas, je me suis fait mener aujourd'hui dans la BibliothÚque, sous prétexte de la voir. Il n'y a de vide que pour deux livres l'un est le second volume des Pensées chrétiennes et l'autre le premier d'un Livre qui a pour titre Clarisse . J'écris bien comme il y a Monsieur saura peut-ÃÂȘtre ce que c'est. Hier au soir, Madame n'a pas soupé; elle n'a pris que du thé. Elle a sonné de bonne heure ce matin; elle a demandé ses chevaux tout de suite, et elle a été avant neuf heures aux Feuillants, oÃÂč elle a entendu la Messe. Elle a voulu se confesser; mais son Confesseur était absent, et il ne reviendra pas de huit à dix jours. J'ai cru qu'il était bon de mander cela à Monsieur. Elle est rentrée ensuite, elle a déjeuné, et puis s'est mise à écrire, et elle y est restée jusqu'à prÚs d'une heure. J'ai trouvé occasion de faire bientÎt ce que Monsieur désirait le plus car c'est moi qui ai porté les Lettres à la poste. Il n'y en avait pas pour Madame de Volanges; mais j'en envoie une à Monsieur, qui était pour M. le Président il m'a paru que ça devait ÃÂȘtre la plus intéressante. Il y en avait une aussi pour Madame de Rosemonde; mais j'ai imaginé que Monsieur la verrait toujours bien quand il voudrait, et je l'ai laissée partir. Au reste, Monsieur saura bien tout, puisque Madame la Présidente lui écrit aussi. J'aurai par la suite toutes celles qu'il voudra; car c'est presque toujours Mademoiselle Julie qui les remet aux Gens, et elle m'a assuré que, par amitié pour moi, et puis aussi pour Monsieur, elle ferait volontiers ce que je voudrais. Elle n'a pas mÃÂȘme voulu de l'argent que je lui ai offert mais je pense bien que Monsieur voudra lui faire quelque petit présent; et si c'est sa volonté, et qu'il veuille m'en charger, je saurai aisément ce qui lui fera plaisir. J'espÚre que Monsieur ne trouvera pas que j'aie mis de la négligence à le servir, et j'ai bien à cÅ“ur de me justifier des reproches qu'il me fait. Si je n'ai pas su le départ de Madame la Présidente, c'est au contraire mon zÚle pour le service de Monsieur qui en est cause, puisque c'est lui qui m'a fait partir à trois heures du matin; ce qui fait que je n'ai pas vu Mademoiselle Julie la veille, au soir, comme de coutume, ayant été coucher au Tournebride, pour ne pas réveiller dans le Chùteau. Quant à ce que Monsieur me reproche d'ÃÂȘtre souvent sans argent, d'abord c'est que j'aime à me tenir proprement, comme Monsieur peut voir; et puis, il faut bien soutenir l'honneur de l'habit qu'on porte; je sais bien que je devrais peut-ÃÂȘtre un peu épargner pour la suite; mais je me confie entiÚrement dans la générosité de Monsieur, qui est si bon MaÃtre. Pour ce qui est d'entrer au service de Madame de Tourvel, en restant à celui de Monsieur, j'espÚre que Monsieur ne l'exigera pas de moi. C'était bien différent chez Madame la Duchesse; mais assurément je n'irai pas porter la livrée, et encore une livrée de Robe, aprÚs avoir eu l'honneur d'ÃÂȘtre Chasseur de Monsieur. Pour tout ce qui est du reste, Monsieur peut disposer de celui qui a l'honneur d'ÃÂȘtre, avec autant de respect que d'affection, son trÚs humble. Serviteur. Roux Azolan, Chasseur. Paris, ce 5 octobre 17**, à onze heures du soir. LETTRE CVIII LA PRESIDENTE DE TOURVEL A MADAME DE ROSEMONDE Ô mon indulgente mÚre! que j'ai de grùces à vous rendre, et que j'avais besoin de votre Lettre! Je l'ai lue et relue sans cesse; je ne pouvais pas m'en détacher. Je lui dois les seuls moments moins pénibles que j'aie passés depuis mon départ. Comme vous ÃÂȘtes bonne! la sagesse, la vertu savent donc compatir à la faiblesse! vous avez pitié de mes maux! ah! si vous les connaissiez... ils sont affreux. Je croyais avoir éprouvé les peines de l'amour, mais le tourment inexprimable, celui qu'il faut avoir senti pour en avoir l'idée, c'est de se séparer de ce qu'on aime, de s'en séparer pour toujours!... Oui, la peine qui m'accable aujourd'hui reviendra demain, aprÚs-demain, toute ma vie! Mon Dieu, que je suis jeune encore, et qu'il me reste de temps à souffrir! Etre soi-mÃÂȘme l'artisan de son malheur; se déchirer le cÅ“ur de ses propres mains; et tandis qu'on souffre ces douleurs insupportables, sentir à chaque instant qu'on peut les faire cesser d'un mot et que ce mot soit un crime! ah! mon amie!... Quand j'ai pris ce parti si pénible de m'éloigner de lui, j'espérais que l'absence augmenterait mon courage et mes forces combien je me suis trompée! il semble au contraire qu'elle ait achevé de les détruire. J'avais plus à combattre, il est vrai mais mÃÂȘme en résistant, tout n'était pas privation; au moins je le voyais quelquefois; souvent mÃÂȘme, sans oser porter mes regards sur lui, je sentais les siens fixés sur moi oui, mon amie, je les sentais, il semblait qu'ils réchauffassent mon ùme; et sans passer par mes yeux, ils n'en arrivaient pas moins à mon cÅ“ur. A présent, dans ma pénible solitude, isolée de tout ce qui m'est cher, tÃÂȘte à tÃÂȘte avec mon infortune, tous les moments de ma triste existence sont marqués par mes larmes, et rien n'en adoucit l'amertume, nulle consolation ne se mÃÂȘle à mes sacrifices; et ceux que j'ai faits jusqu'à présent n'ont servi qu'à me rendre plus douloureux ceux qui me restent à faire. Hier encore, je l'ai bien vivement senti. Dans les Lettres qu'on m'a remises, il y en avait une de lui; on était encore à deux pas de moi, que je l'avais reconnue entre les autres. Je me suis levée involontairement je tremblais, j'avais peine à cacher mon émotion; et cet état n'était pas sans plaisir. Restée seule le moment d'aprÚs, cette trompeuse douceur s'est bientÎt évanouie, et ne m'a laissé qu'un sacrifice de plus à faire. En effet, pouvais-je ouvrir cette Lettre, que pourtant je brûlais de lire? Par la fatalité qui me poursuit, les consolations qui paraissent se présenter à moi ne font, au contraire, que m'imposer de nouvelles privations; et celles-ci deviennent plus cruelles encore, par l'idée que M. de Valmont les partage. Le voilà enfin, ce nom qui m'occupe sans cesse, et que j'ai eu tant de peine à écrire; l'espÚce de reproche que vous m'en faites m'a véritablement alarmée. Je vous supplie de croire qu'une fausse honte n'a point altéré ma confiance en vous; et pourquoi craindrais-je de le nommer? ah! je rougis de mes sentiments, et non de l'objet qui les cause. Quel autre que lui est plus digne de les inspirer! Cependant je ne sais pourquoi ce nom ne se présente point naturellement sous ma plume; et cette fois encore, j'ai eu besoin de réflexion pour le placer. Je reviens à lui. Vous me mandez qu'il vous a paru vivement affecté de mon départ . Qu'a- t-il donc fait? qu'a-t-il dit? a-t-il parlé de revenir à Paris? Je vous prie de l'en détourner autant que vous pourrez. S'il m'a bien jugée, il ne doit pas m'en vouloir de cette démarche mais il doit sentir aussi que c'est un parti pris sans retour. Un de mes plus grands tourments est de ne pas savoir ce qu'il pense. J'ai bien encore là sa Lettre... , mais vous ÃÂȘtes sûrement de mon avis, je ne dois pas l'ouvrir. Ce n'est que par vous, mon indulgente amie, que je puis ne pas ÃÂȘtre entiÚrement séparée de lui. Je ne veux pas abuser de vos bontés; je sens à merveille que vos Lettres ne peuvent pas ÃÂȘtre longues mais vous ne refuserez pas deux mots à votre enfant; un pour soutenir son courage, et l'autre pour l'en consoler. Adieu, ma respectable amie. Paris, ce 5 octobre 17**. LETTRE CIX CECILE VOLANGES A LA MARQUISE DE MERTEUIL Ce n'est que d'aujourd'hui, Madame, que j'ai remis à M. de Valmont la Lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire. Je l'ai gardée quatre jours, malgré les frayeurs que j'avais souvent qu'on ne la trouvùt, mais je la cachais avec bien du soin; et quand le chagrin me reprenait, je m'enfermais pour la relire. Je vois bien que ce que je croyais un si grand malheur n'en est presque pas un; et il faut avouer qu'il y a bien du plaisir; de façon que je ne m'afflige presque plus. Il n'y a que l'idée de M. Danceny qui me tourmente toujours quelquefois. Mais il y a déjà tout plein de moments oÃÂč je n'y songe pas du tout! aussi c'est que M. de Valmont est bien aimable! Je me suis raccommodée avec lui depuis deux jours ça m'a été bien facile; car je ne lui avais encore dit que deux paroles, qu'il m'a dit que si j'avais quelque chose à lui dire, il viendrait le soir dans ma chambre, et je n'ai eu qu'à répondre que je le voulais bien. Et puis, dÚs qu'il y a été, il n'a pas paru plus fùché que si je ne lui avais jamais rien fait. Il ne m'a grondée qu'aprÚs, et encore bien doucement, et c'était d'une maniÚre... Tout comme vous; ce qui m'a prouvé qu'il avait aussi bien de l'amitié pour moi. Je ne saurais vous dire combien il m'a raconté de drÎles de choses et que je n'aurais jamais crues, particuliÚrement sur Maman. Vous me feriez bien plaisir de me mander si tout cela est vrai. Ce qui est bien sûr, c'est que je ne pouvais pas me retenir de rire; si bien qu'une fois j'ai ri aux éclats, ce qui nous a fait bien peur; car Maman aurait pu entendre; et si elle était venue voir, qu'est-ce que je serais devenue? C'est bien pour le coup qu'elle m'aurait remise au Couvent! Comme il faut ÃÂȘtre prudent, et que, comme M. de Valmont m'a dit lui-mÃÂȘme, pour rien au monde il ne voudrait risquer de me compromettre, nous sommes convenus que dorénavant il viendrait seulement ouvrir la porte, et que nous irions dans sa chambre. Pour là , il n'y a rien à craindre; j'y ai déjà été hier, et actuellement que je vous écris, j'attends encore qu'il vienne. A présent, Madame, j'espÚre que vous ne me gronderez plus. Il y a pourtant une chose qui m'a bien surprise dans votre Lettre; c'est ce que vous me mandez pour quand je serai mariée, au sujet de Danceny et de M. de Valmont. Il me semble qu'un jour à l'Opéra vous me disiez au contraire qu'une fois mariée, je ne pourrais plus aimer que mon mari, et qu'il me faudrait mÃÂȘme oublier Danceny au reste, peut-ÃÂȘtre que j'avais mal entendu, et j'aime bien mieux que cela soit autrement, parce qu'à présent je ne craindrai plus tant le moment de mon mariage. Je le désire mÃÂȘme, puisque j'aurai plus de liberté; et j'espÚre qu'alors je pourrai m'arranger de façon à ne plus songer qu'à Danceny. Je sens bien que je ne serai véritablement heureuse qu'avec lui; car à présent son idée me tourmente toujours et je n'ai de bonheur que quand je peux ne pas penser à lui, ce qui est bien difficile; et dÚs que j'y pense, je redeviens chagrine tout de suite. Ce qui me console un peu c'est que vous m'assurez que Danceny m'en aimera davantage; mais en ÃÂȘtes-vous bien sûre?... Oh! oui, vous ne voudriez pas me tromper. C'est pourtant plaisant que ce soit Danceny que j'aime et que M. de Valmont... Mais, comme vous dites, c'est peut-ÃÂȘtre un bonheur! Enfin, nous verrons. Je n'ai pas trop entendu ce que vous me marquez au sujet de ma façon d'écrire. Il me semble que Danceny trouve mes Lettres bien comme elles sont. Je sens pourtant bien que je ne dois rien lui dire de tout ce qui se passe avec M. de Valmont; ainsi vous n'avez que faire de craindre. Maman ne m'a point encore parlé de mon mariage mais laissez faire; quand elle m'en parlera, puisque c'est pour m'attraper, je vous promets que je saurai mentir. Adieu, ma bien bonne amie; je vous remercie bien, et je vous promets que je n'oublierai jamais toutes vos bontés pour moi. Il faut que je finisse, car il est prÚs d'une heure; ainsi M. de Valmont ne doit pas tarder. Du Chùteau de .. , ce 10 octobre 17**. LETTRE CX LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Puissances du Ciel, j'avais une ùme pour la douleur donnez-m'en une pour la félicité [Nouvelle Héloïse]! C'est, je crois, le tendre Saint-Preux qui s'exprime ainsi. Mieux partagé que lui, je possÚde à la fois les deux existences. Oui, mon amie, je suis, en mÃÂȘme temps, trÚs heureux et trÚs malheureux; et puisque vous avez mon entiÚre confiance, je vous dois le double récit de mes peines et de mes plaisirs. Sachez donc que mon ingrate Dévote me tient toujours rigueur. J'en suis à ma quatriÚme Lettre renvoyée. J'ai peut-ÃÂȘtre tort de dire la quatriÚme; car ayant bien deviné dÚs le premier renvoi qu'il serait suivi de beaucoup d'autres, et ne voulant pas perdre ainsi mon temps, j'ai pris le parti de mettre mes doléances en lieux communs, et de ne point dater et depuis le second Courrier, c'est toujours la mÃÂȘme Lettre qui va et vient; je ne fais que changer d'enveloppe. Si ma Belle finit comme finissent ordinairement les Belles, et s'attendrit un jour, au moins de lassitude, elle gardera enfin la missive, et il sera temps alors de me remettre au courant. Vous voyez qu'avec ce nouveau genre de correspondance, je ne peux pas ÃÂȘtre parfaitement instruit. J'ai découvert pourtant que la légÚre personne a changé de Confidente, au moins me suis-je assuré que, depuis son départ du Chùteau, il n'y est venu aucune Lettre d'elle pour Madame de Volanges, tandis qu'il en est venu deux pour la vieille Rosemonde; et comme celle-ci ne nous en a rien dit, comme elle n'ouvre plus la bouche de sa chÚre Belle , dont auparavant elle parlait sans cesse, j'en ai conclu que c'était elle qui avait la confidence. Je présume que d'une part, le besoin de parler de moi, et de l'autre, la petite honte de revenir vis-à -vis de Madame de Volanges sur un sentiment si longtemps désavoué, ont produit cette grande révolution. Je crains d'avoir encore perdu au change car plus les femmes vieillissent, et plus elles deviennent rÃÂȘches et sévÚres. La premiÚre lui aurait dit bien plus de mal de moi; mais celle-ci lui en dira plus de l'amour; et la sensible Prude a bien plus de frayeur du sentiment que de la personne. Le seul moyen de me mettre au fait, est, comme vous voyez, d'intercepter le commerce clandestin. J'en ai déjà envoyé l'ordre à mon Chasseur; et j'en attends l'exécution de jour en jour. Jusque-là , je ne puis rien faire qu'au hasard aussi, depuis huit jours, je repasse inutilement tous les moyens connus, tous ceux des Romans et de mes Mémoires secrets; je n'en trouve aucun qui convienne, ni aux circonstances de l'aventure, ni au caractÚre de l'Héroïne. La difficulté ne serait pas de m'introduire chez elle, mÃÂȘme la nuit, mÃÂȘme encore de l'endormir, et d'en faire une nouvelle Clarisse mais aprÚs plus de deux mois de soins et de peines, recourir à des moyens qui me soient étrangers! me traÃner servilement sur la trace des autres, et triompher sans gloire!... Non, elle n'aura pas les plaisirs du vice et les honneurs de la vertu [Nouvelle Héloïse]. Ce n'est pas assez pour moi de la posséder, je veux qu'elle se livre. Or, il faut pour cela non seulement pénétrer jusqu'à elle, mais y arriver de son aveu; la trouver seule et dans l'intention de m'écouter; surtout, lui fermer les yeux sur le danger, car si elle le voit, elle saura le surmonter ou mourir. Mais mieux je sais ce qu'il faut faire, plus j'en trouve l'exécution difficile; et dussiez-vous encore vous moquer de moi, je vous avouerai que mon embarras redouble à mesure que je m'en occupe davantage. La tÃÂȘte m'en tournerait, je crois, sans les heureuses distractions que me donne notre commune Pupille; c'est à elle que je dois d'avoir encore à faire autre chose que des Elégies. Croiriez-vous que cette petite fille était tellement effarouchée, qu'il s'est passé trois grands jours avant que votre Lettre ait produit tout son effet? Voilà comme une seule idée fausse peut gùter le plus heureux naturel! Enfin, ce n'est que Samedi qu'on est venu tourner autour de moi et me balbutier quelques mots; encore prononcés si bas et tellement étouffés par la honte, qu'il était impossible de les entendre. Mais la rougeur qu'ils causÚrent m'en fit deviner le sens. Jusque-là , je m'étais tenu fier mais fléchi par un si plaisant repentir je voulus bien promettre d'aller trouver le soir mÃÂȘme la jolie Pénitente; et cette grùce de ma part fut reçue avec toute la reconnaissance due à un si grand bienfait. Comme je ne perds jamais de vue ni vos projets ni les miens, j'ai résolu de profiter de cette occasion pour connaÃtre au juste la valeur de cette enfant, et aussi pour accélérer son éducation. Mais pour suivre ce travail avec plus de liberté j'avais besoin de changer le lieu de nos rendez-vous; car un simple cabinet, qui sépare la chambre de votre Pupille de celle de sa mÚre, ne pouvait lui inspirer assez de sécurité, pour la laisser se déployer à l'aise. Je m'étais donc promis de faire innocemment quelque bruit, qui pût lui causer assez de crainte pour la décider à prendre, à l'avenir, un asile plus sûr; elle m'a encore épargné ce soin. La petite personne est rieuse; et, pour favoriser sa gaieté, je m'avisai, dans nos entractes, de lui raconter toutes les aventures scandaleuses qui me passaient par la tÃÂȘte; et pour les rendre plus piquantes et fixer davantage son attention, je les mettais toutes sur le compte de sa Maman, que je me plaisais à chamarrer ainsi de vices et de ridicules. Ce n'était pas sans motif que j'avais fait ce choix; il encourageait mieux que tout autre ma timide écoliÚre, et je lui inspirais en mÃÂȘme temps le plus profond mépris pour sa mÚre. J'ai remarqué depuis longtemps, que si ce moyen n'est pas toujours nécessaire à employer pour séduire une jeune fille, il est indispensable, et souvent mÃÂȘme le plus efficace, quand on veut la dépraver; car celle qui ne respecte pas sa mÚre ne se respectera pas elle-mÃÂȘme vérité morale que je crois si utile que j'ai été bien aise de fournir un exemple à l'appui du précepte. Cependant votre Pupille, qui ne songeait pas à la morale, étouffait de rire à chaque instant; et enfin, une fois, elle pensa éclater. Je n'eus pas de peine à lui faire croire qu'elle avait fait un bruit affreux . Je feignis une grande frayeur, qu'elle partagea facilement. Pour qu'elle s'en ressouvÃnt mieux, je ne permis plus au plaisir de reparaÃtre, et la laissai seule trois heures plus tÎt que de coutume aussi convÃnmes-nous, en nous séparant, que dÚs le lendemain ce serait dans ma chambre que nous nous rassemblerions. Je l'y ai déjà reçue deux fois, et dans ce court intervalle l'écoliÚre est devenue presque aussi savante que le maÃtre. Oui, en vérité, je lui ai tout appris, jusqu'aux complaisances! je n'ai excepté que les précautions. Ainsi occupé toute la nuit, j'y gagne de dormir une grande partie du jour; et, comme la société actuelle du Chùteau n'a rien qui m'attire, à peine parais-je une heure au salon dans la journée. J'ai mÃÂȘme, d'aujourd'hui, pris le parti de manger dans ma chambre, et je ne compte plus la quitter que pour de courtes promenades. Ces bizarreries passent sur le compte de ma santé. J'ai déclaré que j'étais perdu de vapeurs ; j'ai annoncé aussi un peu de fiÚvre. Il ne m'en coûte que de parler d'une voix lente et éteinte. Quant au changement de ma figure, fiez-vous-en à votre Pupille. L'amour y pourvoira . [Regnard, Folies amoureuses] J'occupe mon loisir en rÃÂȘvant aux moyens de reprendre sur mon ingrate les avantages que j'ai perdus, et aussi à composer une espÚce de catéchisme de débauche, à l'usage de mon écoliÚre. Je m'amuse à n'y rien nommer que par le mot technique; et je ris d'avance de l'intéressante conversation que cela doit fournir entre elle et Gercourt la premiÚre nuit de leur mariage. Rien n'est plus plaisant que l'ingénuité avec laquelle elle se sert déjà du peu qu'elle sait de cette langue! elle n'imagine pas qu'on puisse parler autrement. Cette enfant est réellement séduisante! Ce contraste de la candeur naïve avec le langage de l'effronterie ne laisse pas de faire de l'effet; et, je ne sais pourquoi, il n'y a plus que les choses bizarres qui me plaisent. Peut-ÃÂȘtre je me livre trop à celle-ci, puisque j'y compromets mon temps et ma santé mais j'espÚre que ma feinte maladie, outre qu'elle me sauvera de l'ennui du salon, pourra m'ÃÂȘtre encore de quelque utilité auprÚs de l'austÚre Dévote, dont la vertu tigresse s'allie pourtant avec la douce sensibilité! Je ne doute pas qu'elle ne soit déjà instruite de ce grand événement, et j'ai beaucoup d'envie de savoir ce qu'elle en pense; d'autant plus que je parierais bien qu'elle ne manquera pas de s'en attribuer l'honneur. Je réglerai l'état de ma santé sur l'impression qu'il fera sur elle. Vous voilà , ma belle amie, au courant de mes affaires comme moi-mÃÂȘme. Je désire avoir bientÎt des nouvelles plus intéressantes à vous apprendre; et je vous prie de croire que, dans le plaisir que je m'en promets, je compte pour beaucoup la récompense que j'attends de vous. Du Chùteau de .. , ce 11 octobre 17**. LETTRE CXI LE COMTE DE GERCOURT A MADAME DE VOLANGES Tout paraÃt, Madame, devoir ÃÂȘtre tranquille dans ce pays; et nous attendons, de jour en jour, la permission de rentrer en France. J'espÚre que vous ne douterez pas que je n'aie toujours le mÃÂȘme empressement à m'y rendre, et à y former les nÅ“uds qui doivent m'unir à vous et à Mademoiselle de Volanges. Cependant M. le Duc de ***, mon cousin, et à qui vous savez que j'ai tant d'obligations, vient de me faire part de son rappel de Naples. Il me mande qu'il compte passer par Rome, et voir, dans sa route, la partie d'Italie qui lui reste à connaÃtre. Il m'engage à l'accompagner dans ce voyage, qui sera environ de six semaines ou deux mois. Je ne vous cache pas qu'il me serait agréable de profiter de cette occasion; sentant bien qu'une fois marié, je prendrai difficilement le temps de faire d'autres absences que celles que mon service exigera. Peut-ÃÂȘtre aussi serait-il plus convenable d'attendre l'hiver pour ce mariage; puisque ce ne peut ÃÂȘtre qu'alors que tous mes parents seront rassemblés à Paris; et nommément M. le Marquis de *** à qui je dois l'espoir de vous appartenir. Malgré ces considérations, mes projets à cet égard seront absolument subordonnés aux vÎtres; et pour peu que vous préfériez vos premiers arrangements, je suis prÃÂȘt à renoncer aux miens. Je vous prie seulement de me faire savoir le plus tÎt possible vos intentions à ce sujet. J'attendrai votre réponse ici, et elle seule réglera ma conduite. Je suis avec respect, Madame, et avec tous les sentiments qui conviennent à un fils, votre trÚs humble, etc, Le Comte de Gercourt. Bastia, ce 10 octobre 17**. LETTRE CXII MADAME DE ROSEMONDE A LA PRESIDENTE DE TOURVEL DICTEE SEULEMENT. Je ne reçois qu'à l'instant mÃÂȘme, ma chÚre Belle, votre Lettre du 11 [Cette Lettre ne s'est pas retrouvée] et les doux reproches qu'elle contient. Convenez que vous aviez bien envie de m'en faire davantage; et que si vous ne vous étiez pas ressouvenue que vous étiez ma fille , vous m'auriez réellement grondée. Vous auriez été pourtant bien injuste! C'était le désir et l'espoir de pouvoir vous répondre moi-mÃÂȘme, qui me faisait différer chaque jour, et vous voyez qu'encore aujourd'hui, je suis obligée d'emprunter la main de ma Femme de chambre. Mon malheureux rhumatisme m'a reprise, il, s'est niché cette fois sur le bras droit, et je suis absolument manchote. Voilà ce que c'est, jeune et fraÃche comme vous ÃÂȘtes, d'avoir une si vieille amie! on souffre de ses incommodités. AussitÎt que mes douleurs me donneront un peu de relùche, je me promets bien de causer longuement avec vous. En attendant, sachez seulement que j'ai reçu vos deux Lettres; qu'elles auraient redoublé, s'il était possible, ma tendre amitié pour vous; et que je ne cesserai jamais de prendre part, bien vivement, à tout ce qui vous intéresse. Mon neveu est aussi un peu indisposé, mais sans aucun danger et sans qu'il faille en prendre aucune inquiétude; c'est une incommodité légÚre, qui, à ce qu'il me semble, affecte plus son humeur que sa santé. Nous ne le voyons presque plus. Sa retraite et votre départ ne rendent pas notre petit cercle plus gai. La petite Volanges, surtout, vous trouve furieusement à dire, et baille, tant que la journée dure, à avaler ses poings. ParticuliÚrement depuis quelques jours, elle nous fait l'honneur de s'endormir profondément toutes les aprÚs-dÃners. Adieu, ma chÚre Belle; je suis pour toujours votre bien bonne amie, votre maman, votre sÅ“ur mÃÂȘme, si mon grand ùge me permettait ce titre. Enfin je vous suis attachée par tous les plus tendres sentiments. Signé Adélaïde, pour Madame de Rosemonde. Du Chùteau de .. , ce 14 octobre 17**. LETTRE CXIII LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT Je crois devoir vous prévenir, Vicomte, qu'on commence à s'occuper de vous à Paris; qu'on y remarque votre absence, et que déjà on en devine la cause. J'étais hier à un souper fort nombreux; il y fut dit positivement que vous étiez retenu au Village par un amour romanesque et malheureux aussitÎt la joie se peignit sur le visage de tous les envieux de vos succÚs et de toutes les femmes que vous avez négligées. Si vous m'en croyez, vous ne laisserez pas prendre consistance à ces bruits dangereux, et vous viendrez sur-le-champ les détruire par votre présence. Songez que si une fois vous laissez perdre l'idée qu'on ne vous résiste pas, vous éprouverez bientÎt qu'on vous résistera en effet plus facilement; que vos rivaux vont aussi perdre de leur respect pour vous, et oser vous combattre car lequel d'entre eux ne se croit pas plus fort que la vertu? Songez surtout que dans la multitude des femmes que vous avez affichées, toutes celles que vous n'avez pas eues vont tenter de détromper le Public, tandis que les autres s'efforceront de l'abuser. Enfin, il faut vous attendre à ÃÂȘtre apprécié peut-ÃÂȘtre autant au-dessous de votre valeur, que vous l'avez été au-dessus jusqu'à présent. Revenez donc, Vicomte, et ne sacrifiez pas votre réputation à un caprice puéril. Vous avez fait tout ce que nous voulions de la petite Volanges; et pour votre Présidente, ce ne sera pas apparemment en restant à dix lieues d'elle, que vous vous en passerez la fantaisie. Croyez-vous qu'elle ira vous chercher? Peut-ÃÂȘtre ne songe-t-elle déjà plus à vous, ou ne s'en occupe-t-elle encore que pour se féliciter de vous avoir humilié. Au moins ici, pourrez-vous trouver quelque occasion de reparaÃtre avec éclat, et vous en avez besoin; et quand vous vous obstineriez à votre ridicule aventure, je ne vois pas que votre retour y puisse nuire... ; au contraire. En effet, si votre Présidente vous adore , comme vous me l'avez tant dit et si peu prouvé, son unique consolation, son seul plaisir, doivent ÃÂȘtre à présent de parler de vous, et de savoir ce que vous faites, ce que vous dites, ce que vous pensez, et jusqu'à la moindre des choses qui vous intéressent. Ces misÚres-là prennent du prix, en raison des privations qu'on éprouve. Ce sont les miettes de pain tombantes de la table du riche celui-ci les dédaigne; mais le pauvre les recueille avidement et s'en nourrit. Or, la pauvre Présidente reçoit à présent toutes ces miettes-là et plus elle en aura, moins elle sera pressée de se livrer à l'appétit du reste. De plus, depuis que vous connaissez sa Confidente, vous ne doutez pas que chaque Lettre d'elle ne contienne au moins un petit sermon, et tout ce qu'elle croit propre à corroborer sa sagesse et fortifier sa vertu [On ne s'avise jamais de tout! Comédie]. Pourquoi donc laisser à l'une des ressources pour se défendre, et à l'autre pour vous nuire? Ce n'est pas que je sois du tout de votre avis sur la perte que vous croyez avoir faite au changement de Confidente. D'abord, Madame de Volanges vous hait, et la haine est toujours plus clairvoyante et plus ingénieuse que l'amitié. Toute la vertu de votre vieille tante ne l'engagera pas à médire un seul instant de son cher neveu; car la vertu a aussi ses faiblesses. Ensuite vos craintes portent sur une remarque absolument fausse. Il n'est pas vrai que plus les femmes vieillissent, et plus elles deviennent rÃÂȘches et sévÚres . C'est de quarante à cinquante ans que le désespoir de voir leur figure se flétrir, la rage de se sentir obligées d'abandonner des prétentions et des plaisirs auxquels elles tiennent encore, rendent presque toutes les femmes bégueules et acariùtres. Il leur faut ce long intervalle pour faire en entier ce grand sacrifice mais dÚs qu'il est consommé, toutes se partagent en deux classes. La plus nombreuse, celle des femmes qui n'ont eu pour elles que leur figure et leur jeunesse, tombe dans une imbécile apathie, et n'en sort plus que pour le jeu et pour quelques pratiques de dévotion; celle-là est toujours ennuyeuse, souvent grondeuse, quelquefois un peu tracassiÚre, mais rarement méchante. On ne peut pas dire non plus que ces femmes soient ou ne soient pas sévÚres sans idées et sans existence, elles répÚtent, sans le comprendre et indifféremment, tout ce qu'elles entendent dire, et restent par elles-mÃÂȘmes absolument nulles. L'autre classe, beaucoup plus rare, mais véritablement précieuse, est celle des femmes qui, ayant eu un caractÚre et n'ayant pas négligé de nourrir leur raison, savent se créer une existence, quand celle de la nature leur manque, et prennent le parti de mettre à leur esprit les parures qu'elles employaient avant pour leur figure. Celles-ci ont pour l'ordinaire le jugement trÚs sain, et l'esprit à la fois solide, gai et gracieux. Elles remplacent les charmes séduisants par l'attachante bonté, et encore par l'enjouement dont le charme augmente en proportion de l'ùge c'est ainsi qu'elles parviennent en quelque sorte à se rapprocher de la jeunesse en s'en faisant aimer. Mais alors, loin d'ÃÂȘtre, comme vous le dites, rÃÂȘches et sévÚres , l'habitude de l'indulgence, leurs longues réflexions sur la faiblesse humaine, et surtout les souvenirs de leur jeunesse, par lesquels seuls elles tiennent encore à la vie, les placeraient plutÎt peut-ÃÂȘtre trop prÚs de la facilité. Ce que je peux vous dire enfin, c'est qu'ayant toujours recherché les vieilles femmes, dont j'ai reconnu de bonne heure l'utilité des suffrages, j'ai rencontré plusieurs d'entre elles auprÚs de qui l'inclination me ramenait autant que l'intérÃÂȘt. Je m'arrÃÂȘte là ; car à présent que vous vous enflammez si vite et si moralement, j'aurais peur que vous ne devinssiez subitement amoureux de votre vieille tante, et que vous ne vous enterrassiez avec elle dans le tombeau oÃÂč vous vivez déjà depuis si longtemps. Je reviens donc. Malgré l'enchantement oÃÂč vous me paraissez ÃÂȘtre de votre petite écoliÚre, je ne peux pas croire qu'elle entre pour quelque chose dans vos projets. Vous l'avez trouvée sous la main, vous l'avez prise à la bonne heure! mais ce ne peut pas ÃÂȘtre là un goût. Ce n'est mÃÂȘme pas, à vrai dire, une entiÚre jouissance vous ne possédez absolument que sa personne! je ne parle pas de son cÅ“ur, dont je me doute bien que vous ne vous souciez guÚre mais vous n'occupez seulement pas sa tÃÂȘte. Je ne sais pas si vous vous en ÃÂȘtes aperçu, mais moi j'en ai la preuve dans la derniÚre Lettre qu'elle m'a écrite [Voyez la Lettre CIX]; je vous l'envoie pour que vous en jugiez. Voyez donc que quand elle y parle de vous, c'est toujours M. de Valmont ; que toutes ses idées, mÃÂȘme celles que vous lui faites naÃtre, n'aboutissent jamais qu'à Danceny; et lui, elle ne l'appelle pas Monsieur, c'est bien toujours Danceny seulement. Par là , elle le distingue de tous les autres; et mÃÂȘme en se livrant à vous, elle ne se familiarise qu'avec lui. Si une telle conquÃÂȘte vous paraÃt séduisante , si les plaisirs qu'elle donne vous attachent , assurément vous ÃÂȘtes modeste et peu difficile! Que vous la gardiez, j'y consens; cela entre mÃÂȘme dans mes projets. Mais il me semble que cela ne vaut pas de se déranger un quart d'heure; qu'il faudrait aussi avoir quelque empire, et ne lui permettre, par exemple, de se rapprocher de Danceny qu'aprÚs le lui avoir fait un peu plus oublier. Avant de cesser de m'occuper de vous, pour venir à moi, je veux encore vous dire que ce moyen de maladie que vous m'annoncez vouloir prendre est bien connu et bien usé. En vérité, Vicomte, vous n'ÃÂȘtes pas inventif! Moi, je me répÚte aussi quelquefois, comme vous allez voir; mais je tùche de me sauver par les détails, et surtout le succÚs me justifie. Je vais encore en tenter un, et courir une nouvelle aventure. Je conviens qu'elle n'aura pas le mérite de la difficulté; mais au moins sera-ce une distraction, et je m'ennuie à périr. Je ne sais pourquoi, depuis l'aventure de Prévan, Belleroche m'est devenu insupportable. Il a tellement redoublé d'attention, de tendresse, de vénération , que je n'y peux plus tenir. Sa colÚre, dans le premier moment, m'avait paru plaisante; il a pourtant bien fallu la calmer, car c'eût été me compromettre que de le laisser faire; et il n'y avait pas moyen de lui faire entendre raison. J'ai donc pris le parti de lui montrer plus d'amour, pour en venir à bout plus facilement mais lui a pris cela au sérieux; et depuis ce temps il m'excÚde par son enchantement éternel. Je remarque surtout l'insultante confiance qu'il prend en moi, et la sécurité avec laquelle il me regarde comme à lui pour toujours. J'en suis vraiment humiliée. Il me prise donc bien peu, s'il croit valoir assez pour me fixer! Ne me disait-il pas derniÚrement que je n'aurais jamais aimé un autre que lui? Oh! pour le coup, j'ai eu besoin de toute ma prudence, pour ne pas le détromper sur-le-champ, en lui disant ce qui en était. Voilà , certes, un plaisant Monsieur, pour avoir un droit exclusif! Je conviens qu'il est bien fait et d'une assez belle figure mais, à tout prendre, ce n'est, au fait, qu'un ManÅ“uvre d'amour. Enfin le moment est venu, il faut nous séparer. J'essaie déjà depuis quinze jours, et j'ai employé, tour à tour, la froideur, le caprice, l'humeur, les querelles; mais le tenace personnage ne quitte pas prise ainsi il faut donc prendre un parti plus violent; en conséquence je l'emmÚne à ma campagne. Nous partons aprÚs-demain. Il n'y aura avec nous que quelques personnes désintéressées et peu clairvoyantes, et nous y aurons presque autant de liberté que si nous y étions seuls. Là , je le surchargerai à tel point d'amour et de caresses, nous y vivrons si bien l'un pour l'autre uniquement, que je parie bien qu'il désirera plus que moi la fin de ce voyage, dont il se fait un si grand bonheur; et s'il n'en revient pas plus ennuyé de moi que je ne le suis de lui, dites, j'y consens, que je n'en sais pas plus que vous. Le prétexte de cette espÚce de retraite est de m'occuper sérieusement de mon grand procÚs, qui en effet se jugera enfin au commencement de l'hiver. J'en suis bien aise; car il est vraiment désagréable d'avoir ainsi toute sa fortune en l'air. Ce n'est pas que je sois inquiÚte de l'événement; d'abord j'ai raison, tous mes Avocats me l'assurent; et quand je ne l'aurais pas! je serais donc bien maladroite, si je ne savais pas gagner un procÚs, oÃÂč je n'ai pour adversaires que des mineures encore en bas ùge, et leur vieux tuteur! Comme il ne faut pourtant rien négliger dans une affaire si importante, j'aurai effectivement avec moi deux Avocats. Ce voyage ne vous paraÃt-il pas gai? cependant s'il me fait gagner mon procÚs et perdre Belleroche, je ne regretterai pas mon temps. A présent, Vicomte, devinez le successeur; je vous le donne en cent. Mais bon! ne sais-je pas que vous ne devinez jamais rien? hé bien, c'est Danceny. Vous ÃÂȘtes étonné, n'est-ce pas? car enfin je ne suis pas encore réduite à l'éducation des enfants! Mais celui-ci mérite d'ÃÂȘtre excepté; il n'a que les grùces de la jeunesse, et non la frivolité. Sa grande réserve dans le cercle est trÚs propre à éloigner tous les soupçons, et on ne l'en trouve que plus aimable, quand il se livre, dans le tÃÂȘte-à -tÃÂȘte. Ce n'est pas que j'en aie déjà eu avec lui pour mon compte, je ne suis encore que sa confidente; mais sous ce voile de l'amitié, je crois lui voir un goût trÚs vif pour moi, et je sens que j'en prends beaucoup pour lui. Ce serait bien dommage que tant d'esprit et de délicatesse allassent se sacrifier et s'abrutir auprÚs de cette petite imbécile de Volanges! J'espÚre qu'il se trompe en croyant l'aimer elle est si loin de le mériter! Ce n'est pas que je sois jalouse d'elle; mais c'est que ce serait un meurtre, et je veux en sauver Danceny. Je vous prie donc, Vicomte, de mettre vos soins à ce qu'il ne puisse se rapprocher de sa Cécile comme il a encore la mauvaise habitude de la nommer. Un premier goût a toujours plus d'empire qu'on ne croit et je ne serais sûre de rien s'il la revoyait à présent; surtout pendant mon absence. A mon retour, je me charge de tout et j'en réponds. J'ai bien songé à emmener le jeune homme avec moi mais j'en ai fait le sacrifice à ma prudence ordinaire; et puis, j'aurais craint qu'il ne s'aperçût de quelque chose entre Belleroche et moi, et je serais au désespoir qu'il eût la moindre idée de ce qui se passe. Je veux au moins m'offrir à son imagination, pure et sans tache; telle enfin qu'il faudrait ÃÂȘtre, pour ÃÂȘtre vraiment digne de lui. Paris, ce 15 octobre 17**. LETTRE CXIV LA PRESIDENTE DE TOURVEL A MADAME DE ROSEMONDE Ma chÚre amie, je cÚde à ma vive inquiétude; et sans savoir si vous serez en état de me répondre, je ne puis m'empÃÂȘcher de vous interroger. L'état de M. de Valmont, que vous me dites sans danger , ne me laisse pas autant de sécurité que vous paraissez en avoir. Il n'est pas rare que la mélancolie et le dégoût du monde soient des symptÎmes avant-coureurs de quelque maladie grave; les souffrances du corps, comme celles de l'esprit, font désirer la solitude; et souvent on reproche de l'humeur à celui dont on devrait seulement plaindre les maux. Il me semble qu'il devrait au moins consulter quelqu'un. Comment, étant malade vous-mÃÂȘme, n'avez-vous pas un Médecin auprÚs de vous? Le mien, que j'ai vu ce matin, et que je ne vous cache pas que j'ai consulté indirectement, est d'avis que, dans les personnes naturellement actives, cette espÚce d'apathie subite n'est jamais à négliger; et, comme il me disait encore, les maladies ne cÚdent plus au traitement, quand elles n'ont pas été prises à temps. Pourquoi faire courir ce risque à quelqu'un qui vous est si cher? Ce qui redouble mon inquiétude, c'est que, depuis quatre jours, je ne reçois plus de nouvelles de lui. Mon Dieu! ne me trompez-vous point sur son état? Pourquoi aurait-il cessé de m'écrire tout à coup? Si c'était seulement l'effet de mon obstination à lui renvoyer ses Lettres, je crois qu'il aurait pris ce parti plus tÎt. Enfin, sans croire aux pressentiments, je suis depuis quelques jours d'une tristesse qui m'effraie. Ah! peut-ÃÂȘtre suis-je à la veille du plus grand des malheurs! Vous ne sauriez croire, et j'ai honte de vous dire, combien je suis peinée de ne plus recevoir ces mÃÂȘmes Lettres, que pourtant je refuserais encore de lire. J'étais sûre au moins qu'il était occupé de moi! et je voyais quelque chose qui venait de lui. Je ne les ouvrais pas, ces Lettres, mais je pleurais en les regardant mes larmes étaient plus douces et plus faciles; et celles-là seules dissipaient en partie l'oppression habituelle que j'éprouve depuis mon retour. Je vous en conjure, mon indulgente amie, écrivez-moi, vous-mÃÂȘme, aussitÎt que vous le pourrez, et en attendant, faites-moi donner chaque jour de vos nouvelles et des siennes. Je m'aperçois qu'à peine je vous ai dit un mot pour vous mais vous connaissez mes sentiments, mon attachement sans réserve, ma tendre reconnaissance pour votre sensible amitié; vous pardonnerez au trouble oÃÂč je suis, à mes peines mortelles, au tourment affreux d'avoir à redouter des maux dont peut-ÃÂȘtre je suis la cause. Grand Dieu! cette idée désespérante me poursuit et déchire mon cÅ“ur; ce malheur me manquait, et je sens que je suis née pour les éprouver tous. Adieu, ma chÚre amie, aimez-moi, plaignez-moi. Aurai-je une Lettre de vous aujourd'hui? Paris, ce 16 octobre 17**. LETTRE CXV LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL C'est une chose inconcevable, ma belle amie, comme aussitÎt qu'on s'éloigne, on cesse facilement de s'entendre. Tant que j'étais auprÚs de vous, nous n'avions jamais qu'un mÃÂȘme sentiment, une mÃÂȘme façon de voir; et parce que, depuis prÚs de trois mois, je ne vous vois plus, nous ne sommes plus du mÃÂȘme avis sur rien. Qui de nous deux a tort? sûrement vous n'hésiteriez pas sur la réponse mais moi, plus sage, ou plus poli, je ne décide pas. Je vais seulement répondre à votre Lettre, et continuer de vous exposer ma conduite. D'abord, je vous remercie de l'avis que vous me donnez des bruits qui courent sur mon compte; mais je ne m'en inquiÚte pas encore je me crois sûr d'avoir bientÎt de quoi les faire cesser. Soyez tranquille, je ne reparaÃtrai dans le monde que plus célÚbre que jamais, et toujours plus digne de vous. J'espÚre qu'on me comptera mÃÂȘme pour quelque chose l'aventure de la petite Volanges, dont vous paraissez faire si peu de cas comme si ce n'était rien que d'enlever en une soirée une jeune fille à son Amant aimé, d'en user ensuite tant qu'on le veut et absolument comme de son bien, et sans plus d'embarras; d'en obtenir ce qu'on n'ose pas mÃÂȘme exiger de toutes les filles dont c'est le métier; et cela, sans la déranger en rien de son tendre amour; sans la rendre inconstante, pas mÃÂȘme infidÚle car, en effet, je n'occupe seulement pas sa tÃÂȘte! en sorte qu'aprÚs ma fantaisie passée, je la remettrai entre les bras de son Amant, pour ainsi dire, sans qu'elle se soit aperçue de rien. Est-ce donc là une marche si ordinaire? et puis croyez-moi, une fois sortie de mes mains, les principes que je lui donne ne s'en développeront pas moins; et je prédis que la timide écoliÚre prendra bientÎt un essor propre à faire honneur à son maÃtre. Si pourtant on aime mieux le genre héroïque, je montrerai la Présidente, ce modÚle cité de toutes les vertus! respectée mÃÂȘme de nos plus libertins! telle enfin qu'on avait perdu jusqu'à l'idée de l'attaquer! je la montrerai, dis-je, oubliant ses devoirs et sa vertu, sacrifiant sa réputation et deux ans de sagesse, pour courir aprÚs le bonheur de me plaire, pour s'enivrer de celui de m'aimer, se trouvant suffisamment dédommagée de tant de sacrifices, par un mot, par un regard qu'encore elle n'obtiendra pas toujours. Je ferai plus, je la quitterai; et je ne connais pas cette femme, ou je n'aurai point de successeur. Elle résistera au besoin de consolation, à l'habitude du plaisir, au désir mÃÂȘme de la vengeance. Enfin, elle n'aura existé que pour moi; et que sa carriÚre soit plus ou moins longue, j'en aurai seul ouvert et fermé la barriÚre. Une fois parvenu à ce triomphe, je dirai à mes rivaux " Voyez mon ouvrage, et cherchez-en dans le siÚcle un second exemple! " Vous allez me demander d'oÃÂč vient aujourd'hui cet excÚs de confiance? c'est que depuis huit jours je suis dans la confidence de ma Belle; elle ne me dit pas ses secrets, mais je les surprends. Deux Lettres d'elle à Madame de Rosemonde m'ont suffisamment instruit, et je ne lirai plus les autres que par curiosité. Je n'ai absolument besoin, pour réussir, que de me rapprocher d'elle, et mes moyens sont trouvés. Je vais incessamment les mettre en usage. Vous ÃÂȘtes curieuse, je crois?... Mais non, pour vous punir de ne pas croire à mes inventions, vous ne les saurez pas. Tout de bon, vous mériteriez que je vous retirasse ma confiance, au moins pour cette aventure; en effet, sans le doux prix attaché par vous à ce succÚs, je ne vous en parlerais plus. Vous voyez que je suis fùché. Cependant, dans l'espoir que vous vous corrigerez, je veux bien m'en tenir à cette punition légÚre; et revenant à l'indulgence, j'oublie un moment mes grands projets, pour raisonner des vÎtres avec vous. Vous voilà donc à la campagne, ennuyeuse comme le sentiment, et triste comme la fidélité! Et ce pauvre Belleroche! vous ne vous contentez pas de lui faire boire l'eau d'oubli, vous lui en donnez la question! Comment s'en trouve- t-il? supporte-t-il bien les nausées de l'amour? Je voudrais pour beaucoup qu'il ne vous en devÃnt que plus attaché; je suis curieux de voir quel remÚde plus efficace vous parviendriez à employer. Je vous plains, en vérité, d'avoir été obligée de recourir à celui-là . Je n'ai fait qu'une fois, dans ma vie, l'amour par procédé. J'avais certainement un grand motif, puisque c'était à la Comtesse de ***; et vingt fois, entre ses bras, j'ai été tenté de lui dire " Madame, je renonce à la place que je sollicite, et permettez-moi de quitter celle que j'occupe. " Aussi, de toutes les femmes que j'ai eues, c'est la seule dont j'ai vraiment plaisir à dire du mal. Pour votre motif à vous, je le trouve, à vrai dire, d'un ridicule rare; et vous aviez raison de croire que je ne devinerais pas le successeur. Quoi! c'est pour Danceny que vous vous donnez toute cette peine-là ! Eh! ma chÚre amie, laissez-le adorer sa vertueuse Cécile , et ne vous compromettez pas dans ces jeux d'enfants. Laissez les écoliers se former auprÚs des Bonnes , ou jouer avec les pensionnaires à de petits jeux innocents . Comment allez- vous vous charger d'un novice qui ne saura ni vous prendre, ni vous quitter, et avec qui il vous faudra tout faire? Je vous le dis sérieusement, je désapprouve ce choix, et quelque secret qu'il restùt, il vous humilierait au moins à mes yeux et dans votre conscience. Vous prenez, dites-vous, beaucoup de goût pour lui allons donc, vous vous trompez sûrement, et je crois mÃÂȘme avoir trouvé la cause de votre erreur. Ce beau dégoût de Belleroche vous est venu dans un temps de disette, et Paris ne vous offrant pas de choix, vos idées, toujours trop vives, se sont portées sur le premier objet que vous avez rencontré. Mais songez qu'à votre retour, vous pourrez choisir entre mille; et si enfin vous redoutez l'inaction dans laquelle vous risquez de tomber en différant, je m'offre à vous pour amuser vos loisirs. D'ici à votre arrivée, mes grandes affaires seront terminées de maniÚre ou d'autre; et sûrement, ni la petite Volanges, ni la Présidente elle-mÃÂȘme, ne m'occuperont pas assez alors pour que je ne sois pas à vous autant que vous le désiriez. Peut-ÃÂȘtre mÃÂȘme, d'ici là , aurai-je déjà remis la petite fille aux mains de son discret Amant. Sans convenir, quoi que vous en disiez, que ce ne soit pas une jouissance attachante , comme j'ai le projet qu'elle garde de moi toute sa vie une idée supérieure à celle de tous les autres hommes, je me suis mis, avec elle, sur un ton que je ne pourrais soutenir longtemps sans altérer ma santé; et dÚs ce moment, je ne tiens plus à elle que par le soin qu'on doit aux affaires de famille... Vous ne m'entendez pas? C'est que j'attends une seconde époque pour confirmer mon espoir, et m'assurer que j'ai pleinement réussi dans mes projets. Oui, ma belle amie, j'ai déjà un premier indice que le mari de mon écoliÚre ne courra pas le risque de mourir sans postérité; et que le Chef de la maison de Gercourt ne sera à l'avenir qu'un Cadet de celle de Valmont. Mais laissez-moi finir, à ma fantaisie, cette aventure que je n'ai entreprise qu'à votre priÚre. Songez que si vous rendez Danceny inconstant, vous Îtez tout le piquant de cette histoire. Considérez enfin que, m'offrant pour le représenter auprÚs de vous, j'ai, ce me semble, quelques droits à la préférence. J'y compte si bien, que je n'ai pas craint de contrarier vos vues, en concourant moi-mÃÂȘme à augmenter la tendre passion du discret Amoureux, pour le premier et digne objet de son choix. Ayant donc trouvé hier votre Pupille occupée à lui écrire, et l'ayant dérangée d'abord de cette douce occupation pour une autre plus douce encore, je lui ai demandé, aprÚs, de voir sa Lettre; et comme je l'ai trouvée froide et contrainte, je lui ai fait sentir que ce n'était pas ainsi qu'elle consolerait son Amant, et je l'ai décidée à en écrire une autre sous ma dictée; oÃÂč, en imitant du mieux que j'ai pu son petit radotage, j'ai tùché de nourrir l'amour du jeune homme par un espoir plus certain. La petite personne était toute ravie, me disait-elle, de se trouver parler si bien; et dorénavant, je serai chargé de la correspondance. Que n'aurai-je pas fait pour ce Danceny? J'aurai été à la fois son ami, son confident, son rival et sa maÃtresse! Encore, en ce moment, je lui rends le service de le sauver de vos liens dangereux; oui, sans doute, dangereux, car vous posséder et vous perdre, c'est acheter un moment de bonheur par une éternité de regrets. Adieu, ma belle amie; ayez le courage de dépÃÂȘcher Belleroche le plus que vous pourrez. Laissez là Danceny, et préparez-vous à retrouver, et à me rendre, les délicieux plaisirs de notre premiÚre liaison. Je vous fais compliment sur le jugement prochain du grand procÚs. Je serai fort aise que cet heureux événement arrive sous mon rÚgne. Du Chùteau de ..., ce 19 octobre 17**. LETTRE CXVI LE CHEVALIER DANCENY A CECILE VOLANGES Madame de Merteuil est partie ce matin pour la campagne; ainsi, ma charmante Cécile, me voilà privé du seul plaisir qui me restait en votre absence, celui de parler de vous à votre amie et à la mienne. Depuis quelque temps, elle m'a permis de lui donner ce titre; et j'en ai profité avec d'autant plus d'empressement, qu'il me semblait, par là , me rapprocher de vous davantage. Mon Dieu! que cette femme est aimable et quel charme flatteur elle sait donner à l'amitié! Il semble que ce doux sentiment s'embellisse et se fortifie chez elle de tout ce qu'elle refuse à l'amour. Si vous saviez comme elle vous aime, comme elle se plaÃt à m'entendre lui parler de vous!... C'est là sans doute ce qui m'attache autant à elle. Quel bonheur de pouvoir vivre uniquement pour vous deux, de passer sans cesse des délices de l'amour aux douceurs de l'amitié, d'y consacrer toute mon existence, d'ÃÂȘtre en quelque sorte le point de réunion de votre attachement réciproque; et de sentir toujours que, m'occupant du bonheur de l'une, je travaillerais également à celui de l'autre! Aimez, aimez beaucoup, ma charmante amie, cette femme adorable. L'attachement que j'ai pour elle, donnez-y plus de prix encore, en le partageant. Depuis que j'ai goûté le charme de l'amitié, je désire que vous l'éprouviez à votre tour. Les plaisirs que je ne partage pas avec vous, il me semble n'en jouir qu'à moitié. Oui, ma Cécile, je voudrais entourer votre cÅ“ur de tous les sentiments les plus doux; que chacun de ses mouvements vous fÃt éprouver une sensation de bonheur; et je croirais encore ne pouvoir jamais vous rendre qu'une partie de la félicité que je tiendrais de vous. Pourquoi faut-il que ces projets charmants ne soient qu'une chimÚre de mon imagination, et que la réalité ne m'offre au contraire que des privations douloureuses et indéfinies? L'espoir que vous m'aviez donné de vous voir à cette campagne, je m'aperçois bien qu'il faut y renoncer. Je n'ai plus de consolation que celle de me persuader qu'en effet cela ne vous est pas possible. Et vous négligez de me le dire, de vous en affliger avec moi! Déjà , deux fois, mes plaintes à ce sujet sont restées sans réponse. Ah! Cécile! Cécile, je crois bien que vous m'aimez de toutes les facultés de votre ùme, mais votre ùme n'est pas brûlante comme la mienne! Que n'est-ce à moi à lever les obstacles? Pourquoi ne sont-ce pas mes intérÃÂȘts qu'il me faille ménager, au lieu des vÎtres? je saurais bientÎt vous prouver que rien n'est impossible à l'amour. Vous ne me mandez pas non plus quand doit finir cette absence cruelle au moins, ici, peut-ÃÂȘtre vous verrais-je. Vos charmants regards ranimeraient mon ùme abattue; leur touchante expression rassurerait mon cÅ“ur, qui quelquefois en a besoin. Pardon, ma Cécile; cette crainte n'est pas un soupçon. Je crois à votre amour, à votre constance. Ah! je serais trop malheureux, si j'en doutais. Mais tant d'obstacles! et toujours renouvelés! Mon amie, je suis triste, bien triste. Il semble que ce départ de Madame de Merteuil ait renouvelé en moi le sentiment de tous mes malheurs. Adieu, ma Cécile; adieu, ma bien-aimée. Songez que votre Amant s'afflige, et que vous pouvez seule lui rendre le bonheur. Paris, ce 17 octobre 17**. LETTRE CXVII CECILE VOLANGES AU CHEVALIER DANCENY DICTEE PAR VALMONT. Croyez-vous donc, mon bon ami, que j'aie besoin d'ÃÂȘtre grondée pour ÃÂȘtre triste, quand je sais que vous vous affligez? et doutez-vous que je ne souffre autant que vous de toutes vos peines? Je partage mÃÂȘme celles que je vous cause volontairement; et j'ai de plus que vous, de voir que vous ne me rendez pas justice. Oh! cela n'est pas bien. Je vois bien ce qui vous fùche; c'est que les deux derniÚres fois que vous m'avez demandé de venir ici je ne vous ai pas répondu à cela mais cette réponse est-elle donc si aisée à faire? Croyez-vous que je ne sache pas que ce que vous voulez est bien mal? Et pourtant, si j'ai déjà tant de peine à vous refuser de loin, que serait-ce donc si vous étiez là ? Et puis pour avoir voulu vous consoler un moment, je resterais affligée toute ma vie. Tenez, je n'ai rien de caché pour vous, moi voilà mes raisons, jugez vous- mÃÂȘme. J'aurais peut-ÃÂȘtre fait ce que vous voulez, sans ce que je vous ai mandé, que ce M. de Gercourt, qui cause tout notre chagrin, n'arrivera pas encore de sitÎt; et comme, depuis quelque temps, Maman me témoigne beaucoup plus d'amitié; comme, de mon cÎté, je la caresse le plus que je peux; qui sait ce que je pourrai obtenir d'elle? Et si nous pouvions ÃÂȘtre heureux sans que j'aie rien à me reprocher, est-ce que cela ne vaudrait pas bien mieux? Si j'en crois ce qu'on m'a dit souvent, les hommes mÃÂȘme n'aiment plus tant leurs femmes, quand elles les ont trop aimés avant de l'ÃÂȘtre. Cette crainte-là me retient encore plus que tout le reste. Mon ami, n'ÃÂȘtes-vous pas sûr de mon cÅ“ur, et ne sera-t-il pas toujours temps? Ecoutez, je vous promets que, si je ne peux pas éviter le malheur d'épouser M. de Gercourt, que je hais déjà tant avant de le connaÃtre, rien ne me retiendra plus pour ÃÂȘtre à vous autant que je pourrai, et mÃÂȘme avant tout. Comme je ne me soucie d'ÃÂȘtre aimée que de vous, et que vous verrez bien si je fais mal, il n'y aura pas de ma faute, le reste me sera bien égal; pourvu que vous me promettiez de m'aimer toujours autant que vous faites. Mais, mon ami, jusque-là , laissez-moi continuer comme je fais; et ne me demandez plus une chose que j'ai de bonnes raisons pour ne pas faire, et que pourtant il me fùche de vous refuser. Je voudrais bien aussi que M. de Valmont ne fût pas si pressant pour vous; cela ne sert qu'à me rendre plus chagrine encore. Oh! vous avez là un bien bon ami, je vous assure! Il fait tout comme vous feriez vous-mÃÂȘme. Mais adieu, mon cher ami; j'ai commencé bien tard à vous écrire, et j'y ai passé une partie de la nuit. Je vas me coucher et réparer le temps perdu. Je vous embrasse, mais ne me grondez plus. Du Chùteau de ..., ce 18 octobre 17**. LETTRE CXVIII LE CHEVALIER DANCENY A LA MARQUISE DE MERTEUIL Si j'en crois mon Almanach, il n'y a, mon adorable amie, que deux jours que vous ÃÂȘtes absente; mais si j'en crois mon cÅ“ur, il y a deux siÚcles. Or, je le tiens de vous-mÃÂȘme, c'est toujours son cÅ“ur qu'il faut croire; il est donc bien temps que vous reveniez, et toutes vos affaires doivent ÃÂȘtre plus que finies. Comment voulez-vous que je m'intéresse à votre procÚs, si, perte ou gain, j'en dois également payer les frais par l'ennui de votre absence? Oh! que j'aurais envie de quereller! et qu'il est triste, avec un si beau sujet d'avoir de l'humeur, de n'avoir pas le droit d'en montrer! N'est-ce pas cependant une véritable infidélité, une noire trahison, que de laisser votre ami loin de vous, aprÚs l'avoir accoutumé à ne pouvoir plus se passer de votre présence? Vous aurez beau consulter vos Avocats, ils ne vous trouveront pas de justification pour ce mauvais procédé et puis, ces gens-là ne disent que des raisons, et des raisons ne suffisent pas pour répondre à des sentiments. Pour moi, vous m'avez tant dit que c'était par raison que vous faisiez ce voyage, que vous m'avez tout à fait brouillé avec elle. Je ne veux plus du tout l'entendre; pas mÃÂȘme quand elle me dit de vous oublier. Cette raison-là est pourtant bien raisonnable; et au fait, cela ne serait pas si difficile que vous pourriez le croire. Il suffirait seulement de perdre l'habitude de penser toujours à vous, et rien ici, je vous assure, ne vous rappellerait à moi. Nos plus jolies femmes, celles qu'on dit les plus aimables, sont encore si loin de vous qu'elles ne pourraient en donner qu'une bien faible idée. Je crois mÃÂȘme qu'avec des yeux exercés, plus on a cru d'abord qu'elles vous ressemblaient, plus on y trouve aprÚs de différence elles ont beau faire, beau y mettre tout ce qu'elles savent, il leur manque toujours d'ÃÂȘtre vous, et c'est positivement là qu'est le charme. Malheureusement, quand les journées sont si longues, et qu'on est désoccupé, on rÃÂȘve, on fait des chùteaux en Espagne, on se crée sa chimÚre; peu à peu l'imagination s'exalte on veut embellir son ouvrage, on rassemble tout ce qui peut plaire, on arrive enfin à la perfection; et dÚs qu'on en est là , le portrait ramÚne au modÚle, et on est tout étonné de voir qu'on n'a fait que songer à vous. Dans ce moment mÃÂȘme, je suis encore la dupe d'une erreur à peu prÚs semblable. Vous croyez peut-ÃÂȘtre que c'était pour m'occuper de vous, que je me suis mis à vous écrire? point du tout c'était pour m'en distraire. J'avais cent choses à vous dire dont vous n'étiez pas l'objet, qui, comme vous savez, m'intéressent bien vivement; et ce sont celles-là pourtant dont j'ai été distrait. Et depuis quand le charme de l'amitié distrait-il donc de celui de l'amour? Ah! si j'y regardais de bien prÚs, peut-ÃÂȘtre aurais-je un petit reproche à me faire! Mais chut! oublions cette légÚre faute de peur d'y retomber; et que mon amie elle-mÃÂȘme l'ignore. Aussi pourquoi n'ÃÂȘtes-vous pas là pour me répondre, pour me ramener si je m'égare; pour me parler de ma Cécile, pour augmenter, s'il est possible, le bonheur que je goûte à l'aimer, par l'idée si douce que c'est votre amie que j'aime? Oui, je l'avoue, l'amour qu'elle m'inspire m'est devenu plus précieux encore, depuis que vous avez bien voulu en recevoir la confidence. J'aime tant à vous ouvrir mon cÅ“ur, à occuper le vÎtre de mes sentiments, à les y déposer sans réserve! il me semble que je les chéris davantage, à mesure que vous daignez les recueillir; et puis, je vous regarde et je me dis C'est en elle qu'est renfermé tout mon bonheur. Je n'ai rien de nouveau à vous apprendre sur ma situation. La derniÚre Lettre que j'ai reçue d'elle augmente et assure mon espoir, mais le retarde encore. Cependant ses motifs sont si tendres et si honnÃÂȘtes que je ne puis l'en blùmer ni m'en plaindre. Peut-ÃÂȘtre n'entendrez-vous pas trop bien ce que je vous dis là ; mais pourquoi n'ÃÂȘtes-vous pas ici? Quoiqu'on dise tout à son amie, on n'ose pas tout écrire. Les secrets de l'amour, surtout, sont si délicats qu'on ne peut les laisser aller ainsi sur leur bonne foi. Si quelquefois on leur permet de sortir, il ne faut pas au moins les perdre de vue; il faut en quelque sorte les voir entrer dans leur nouvel asile. Ah! revenez donc, mon adorable amie; vous voyez bien que votre retour est nécessaire. Oubliez enfin les mille raisons qui vous retiennent oÃÂč vous ÃÂȘtes, ou apprenez-moi à vivre oÃÂč vous n'ÃÂȘtes pas. J'ai l'honneur d'ÃÂȘtre, etc. Paris, ce 19 octobre 17**. LETTRE CXIX MADAME DE ROSEMONDE A LA PRESIDENTE DE TOURVEL Quoique je souffre encore beaucoup, ma chÚre Belle, j'essaie de vous écrire moi-mÃÂȘme, afin de pouvoir vous parler de ce qui vous intéresse. Mon neveu garde toujours sa misanthropie. Il envoie fort réguliÚrement savoir de mes nouvelles tous les jours; mais il n'est pas venu une fois s'en informer lui- mÃÂȘme, quoique je l'en aie fait prier en sorte que je ne le vois pas plus que s'il était à Paris. Je l'ai pourtant rencontré ce matin, oÃÂč je ne l'attendais guÚre. C'est dans ma Chapelle, oÃÂč je suis descendue pour la premiÚre fois depuis ma douloureuse incommodité. J'ai appris aujourd'hui que depuis quatre jours il y va réguliÚrement entendre la Messe. Dieu veuille que cela dure! Quand je suis entrée, il est venu à moi, et m'a félicitée fort affectueusement sur le meilleur état de ma santé. Comme la Messe commençait, j'ai abrégé la conversation, que je comptais bien reprendre aprÚs; mais il a disparu avant que j'aie pu le joindre. Je ne vous cacherai pas que je l'ai trouvé un peu changé. Mais, ma chÚre Belle, ne me faites pas repentir de ma confiance en votre raison, par des inquiétudes trop vives; et surtout soyez sûre que j'aimerais encore mieux vous affliger, que vous tromper. Si mon neveu continue à me tenir rigueur, je prendrai le parti, aussitÎt que je serai mieux, de l'aller voir dans sa chambre; et je tùcherai de pénétrer la cause de cette singuliÚre manie, dans laquelle je crois bien que vous ÃÂȘtes pour quelque chose. Je vous manderai ce que j'aurai appris. Je vous quitte, ne pouvant plus remuer les doigts et puis, si Adélaïde savait que j'ai écrit, elle me gronderait toute la soirée. Adieu, ma chÚre Belle. Du Chùteau de ..., ce 20 octobre 17**. LETTRE CXX LE VICOMTE DE VALMONT AU PERE ANSELME FEUILLANT DU COUVENT DE LA RUE SAINT-HONORE. Je n'ai pas l'honneur d'ÃÂȘtre connu de vous, Monsieur mais je sais la confiance entiÚre qu'a en vous Madame la Présidente de Tourvel, et je sais de plus combien cette confiance est dignement placée. Je crois donc pouvoir sans indiscrétion m'adresser à vous, pour en obtenir un service bien essentiel, vraiment digne de votre saint ministÚre, et oÃÂč l'intérÃÂȘt de Madame de Tourvel se trouve joint au mien. J'ai entre les mains des papiers importants qui la concernent, qui ne peuvent ÃÂȘtre confiés à personne, et que je ne dois ni ne veux remettre qu'entre ses mains. Je n'ai aucun moyen de l'en instruire, parce que des raisons, que peut- ÃÂȘtre vous aurez sues d'elle, mais dont je ne crois pas qu'il me soit permis de vous instruire, lui ont fait prendre le parti de refuser toute correspondance avec moi parti que j'avoue volontiers aujourd'hui ne pouvoir blùmer, puisqu'elle ne pouvait prévoir des événements auxquels j'étais moi-mÃÂȘme bien loin de m'attendre, et qui n'étaient possibles qu'à la force plus qu'humaine qu'on est forcé d'y reconnaÃtre. Je vous prie donc, Monsieur, de vouloir bien l'informer de mes nouvelles résolutions, et de lui demander pour moi une entrevue particuliÚre, oÃÂč je puisse au moins réparer, en partie, mes torts par mes excuses; et, pour dernier sacrifice, anéantir à ses yeux les seules traces existantes d'une erreur ou d'une faute qui m'avait rendu coupable envers elle. Ce ne sera qu'aprÚs cette expiation préliminaire, que j'oserai déposer à vos pieds l'humiliant aveu de mes longs égarements; et implorer votre médiation pour une réconciliation bien plus importante encore, et malheureusement plus difficile. Puis-je espérer, Monsieur, que vous ne me refuserez pas des soins si nécessaires et si précieux? et que vous daignerez soutenir ma faiblesse, et guider mes pas dans un sentier nouveau, que je désire bien ardemment de suivre, mais que j'avoue en rougissant ne pas connaÃtre encore? J'attends votre réponse avec l'impatience du repentir qui désire de réparer, et je vous prie de me croire avec autant de reconnaissance que de vénération. Votre trÚs humble, etc. Je vous autorise, Monsieur, au cas que vous le jugiez convenable, à communiquer cette Lettre en entier à Madame de Tourvel, que je me ferai toute ma vie un devoir de respecter, et en qui je ne cesserai jamais d'honorer celle dont le Ciel s'est servi pour ramener mon ùme à la vertu, par le touchant spectacle de la sienne. Du Chùteau de ..., ce 22 octobre 17** LETTRE CXXI LA MARQUISE DE MERTEUIL AU CHEVALIER DANCENY J'ai reçu votre Lettre, mon trop jeune ami; mais avant de vous remercier, il faut que je vous gronde, et je vous préviens que si vous ne vous corrigez pas, vous n'aurez plus de réponse de moi. Quittez donc, si vous m'en croyez, ce ton de cajolerie, qui n'est plus que du jargon, dÚs qu'il n'est pas l'expression de l'amour. Est-ce donc là le style de l'amitié? non, mon ami, chaque sentiment a son langage qui lui convient; et se servir d'un autre, c'est déguiser la pensée que l'on exprime. Je sais bien que nos petites femmes n'entendent rien de ce qu'on peut leur dire, s'il n'est traduit, en quelque sorte, dans ce jargon d'usage; mais je croyais mériter, je l'avoue, que vous me distinguassiez d'elles. Je suis vraiment fùchée, et peut-ÃÂȘtre plus que je ne devrais l'ÃÂȘtre, que vous m'ayez si mal jugée. Vous ne trouverez donc dans ma Lettre que ce qui manque à la vÎtre, franchise et simplesse. Je vous dirai bien, par exemple, que j'aurais grand plaisir à vous voir, et que je suis contrariée de n'avoir auprÚs de moi que des gens qui m'ennuient, au lieu de gens qui me plaisent; mais vous, cette mÃÂȘme phrase, vous la traduisez ainsi Apprenez-moi à vivre oÃÂč vous n'ÃÂȘtes pas ; en sorte que quand vous serez, je suppose, auprÚs de votre MaÃtresse, vous ne sauriez pas y vivre que je n'y sois en tiers. Quelle pitié! et ces femmes, à qui il manque toujours d'ÃÂȘtre moi , vous trouvez peut-ÃÂȘtre aussi que cela manque à votre Cécile! voilà pourtant oÃÂč conduit un langage qui, par l'abus qu'on en fait aujourd'hui, est encore au-dessous du jargon des compliments, et ne devient plus qu'un simple protocole, auquel on ne croit pas davantage qu'au trÚs humble serviteur! Mon ami, quand vous m'écrivez, que ce soit pour me dire votre façon de penser et de sentir, et non pour m'envoyer des phrases que je trouverai, sans vous, plus ou moins bien dites dans le premier Roman du jour. J'espÚre que vous ne vous fùcherez pas de ce que je vous dis là , quand mÃÂȘme vous y verriez un peu d'humeur; car je ne nie pas d'en avoir mais pour éviter jusqu'à l'air du défaut que je vous reproche, je ne vous dirai pas que cette humeur est peut-ÃÂȘtre un peu augmentée par l'éloignement oÃÂč je suis de vous. Il me semble qu'à tout prendre vous valez mieux qu'un procÚs et deux Avocats, et peut-ÃÂȘtre mÃÂȘme encore que l'attentif Belleroche. Vous voyez qu'au lieu de vous désoler de mon absence, vous devriez vous en féliciter; car jamais je ne vous avais fait un aussi beau compliment. Je crois que l'exemple me gagne, et que je veux vous dire aussi des cajoleries mais non, j'aime mieux m'en tenir à ma franchise; c'est donc elle seule qui vous assure de ma tendre amitié, et de l'intérÃÂȘt qu'elle m'inspire. Il est fort doux d'avoir un jeune ami, dont le cÅ“ur est occupé ailleurs. Ce n'est pas là le systÚme de toutes les femmes; mais c'est le mien. Il me semble qu'on se livre, avec plus de plaisir, à un sentiment dont on ne peut rien avoir à craindre aussi j'ai passé pour vous, d'assez bonne heure peut-ÃÂȘtre, au rÎle de confidente. Mais vous choisissez vos MaÃtresses si jeunes, que vous m'avez fait apercevoir pour la premiÚre fois que je commence à ÃÂȘtre vieille! C'est bien fait à vous de vous préparer ainsi une longue carriÚre de constance, et je vous souhaite de tout mon cÅ“ur qu'elle soit réciproque. Vous avez raison de vous rendre aux motifs tendres et honnÃÂȘtes qui, à ce que vous me mandez, retardent votre bonheur . La longue défense est le seul mérite qui reste à celles qui ne résistent pas toujours; et ce que je trouverais impardonnable à toute autre qu'à un enfant comme la petite Volanges, serait de ne pas savoir fuir un danger dont elle a été suffisamment avertie par l'aveu qu'elle a fait de son amour. Vous autres hommes, vous n'avez pas d'idées de ce qu'est la vertu, et de ce qu'il en coûte pour la sacrifier! Mais pour peu qu'une femme raisonne, elle doit savoir qu'indépendamment de la faute qu'elle commet, une faiblesse est pour elle le plus grand des malheurs; et je ne conçois pas qu'aucune s'y laisse jamais prendre, quand elle peut avoir un moment pour y réfléchir. N'allez pas combattre cette idée, car c'est elle qui m'attache principalement à vous. Vous me sauverez des dangers de l'amour; et quoique j'aie bien su sans vous m'en défendre jusqu'à présent, je consens à en avoir de la reconnaissance, et je vous en aimerai mieux et davantage. Sur ce, mon cher Chevalier, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde. Du Chùteau de ..., ce 22 octobre 17**. LETTRE CXXII MADAME DE ROSEMONDE A LA PRESIDENTE DE TOURVEL J'espérais, mon aimable fille, pouvoir enfin calmer vos inquiétudes, et je vois au contraire avec chagrin que je vais les augmenter encore! Calmez-vous cependant; mon neveu n'est pas en danger on ne peut pas mÃÂȘme dire qu'il soit réellement malade. Mais il se passe sûrement en lui quelque chose d'extraordinaire. Je n'y comprends rien; mais je suis sortie de sa chambre avec un sentiment de tristesse, peut-ÃÂȘtre mÃÂȘme d'effroi, que je me reproche de vous faire partager, et dont cependant je ne puis m'empÃÂȘcher de causer avec vous. Voici le récit de ce qui s'est passé vous pouvez ÃÂȘtre sûre qu'il est fidÚle; car je vivrais quatre-vingts autres années, que je n'oublierais pas l'impression que m'a faite cette triste scÚne. J'ai donc été ce matin chez mon neveu; je l'ai trouvé écrivant, et entouré de différents tas de papiers, qui avaient l'air d'ÃÂȘtre l'objet de son travail. Il s'en occupait au point que j'étais déjà au milieu de sa chambre qu'il n'avait pas encore tourné la tÃÂȘte pour savoir qui entrait. AussitÎt qu'il m'a aperçue, j'ai trÚs bien remarqué qu'en se levant, il s'efforçait de composer sa figure, et peut-ÃÂȘtre mÃÂȘme est-ce là ce qui m'y a fait faire plus d'attention. Il était, à la vérité, sans toilette et sans poudre; mais je l'ai trouvé pùle et défait, et ayant surtout la physionomie altérée. Son regard que nous avons vu si vif et si gai, était triste et abattu; enfin, soit dit entre nous, je n'aurais pas voulu que vous le vissiez ainsi car il avait l'air trÚs touchant et trÚs propre, à ce que je crois, à inspirer cette tendre pitié qui est un des plus dangereux piÚges de l'amour. Quoique frappée de mes remarques, j'ai pourtant commencé la conversation comme si je ne m'étais aperçue de rien. Je lui ai d'abord parlé de sa santé, et sans me dire qu'elle soit bonne, il ne m'a point articulé pourtant qu'elle fût mauvaise. Alors je me suis plainte de sa retraite, qui avait un peu l'air d'une manie, et je tùchais de mÃÂȘler un peu de gaieté à ma petite réprimande; mais lui m'a répondu seulement, d'un ton pénétré " C'est un tort de plus, je l'avoue; mais il sera réparé avec les autres. " Son air, plus encore que ses discours, a un peu dérangé mon enjouement, et je me suis hùtée de lui dire qu'il mettait trop d'importance à un simple reproche de l'amitié. Nous nous sommes donc remis à causer tranquillement. Il m'a dit, peu de temps aprÚs, que peut-ÃÂȘtre une affaire, la plus grande affaire de sa vie, le rappellerait bientÎt à Paris mais comme j'avais peur de la deviner, ma chÚre Belle, et que ce début ne me menùt à une confidence dont je ne voulais pas, je ne lui ai fait aucune question, et je me suis contentée de lui répondre que plus de dissipation serait utile à sa santé. J'ai ajouté que, pour cette fois, je ne lui ferais aucune instance, aimant mes amis pour eux-mÃÂȘmes; c'est à cette phrase si simple, que serrant mes mains, et parlant avec une véhémence que je ne puis vous rendre " Oui, ma tante, m'a-t-il dit, aimez, aimez beaucoup un neveu qui vous respecte et vous chérit; et, comme vous dites, aimez-le pour lui-mÃÂȘme. Ne vous affligez pas de son bonheur, et ne troublez, par aucun regret, l'éternelle tranquillité dont il espÚre jouir bientÎt. Répétez-moi que vous m'aimez, que vous me pardonnez; oui, vous me pardonnerez; je connais votre bonté mais comment espérer la mÃÂȘme indulgence de ceux que j'ai tant offensés? " Alors il s'est baissé sur moi, pour me cacher, je crois, des marques de douleur, que le son de sa voix me décelait malgré lui. Emue plus que je ne puis vous dire, je me suis levée précipitamment; et sans doute il a remarqué mon effroi; car sur-le-champ, se composant davantage " Pardon, a-t-il repris; pardon, Madame, je sens que je m'égare malgré moi. Je vous prie d'oublier mes discours, et de vous souvenir seulement de mon profond respect. Je ne manquerai pas, a-t-il ajouté, d'aller vous en renouveler l'hommage avant mon départ. " Il m'a semblé que cette derniÚre phrase m'engageait à terminer ma visite; et je me suis en allée, en effet. Mais plus j'y réfléchis, et moins je devine ce qu'il a voulu dire. Quelle est cette affaire, la plus grande de sa vie ? à quel sujet me demande-t-il pardon? d'oÃÂč lui est venu cet attendrissement, involontaire en me parlant? Je me suis déjà fait ces questions mille fois, sans pouvoir y répondre. Je ne vois mÃÂȘme rien là qui ait rapport à vous cependant, comme les yeux de l'amour sont plus clairvoyants que ceux de l'amitié, je n'ai voulu vous laisser rien ignorer de ce qui s'est passé entre mon neveu et moi. Je me suis reprise à quatre fois pour écrire cette longue Lettre, que je ferais plus longue encore, sans la fatigue que je ressens. Adieu, ma chÚre Belle. Du Chùteau de ..., ce 25 octobre 17**. LETTRE CXXIII LE PERE ANSELME AU VICOMTE DE VALMONT J'ai reçu, Monsieur le Vicomte, la Lettre dont vous m'avez honoré; et dÚs hier, je me suis transporté, suivant vos désirs, chez la personne en question. Je lui ai exposé l'objet et les motifs de la démarche que vous demandiez de faire auprÚs d'elle. Quelque attachée que je l'aie trouvée au parti sage qu'elle avait pris d'abord, sur ce que je lui ai remontré qu'elle risquait peut-ÃÂȘtre par son refus de mettre obstacle à votre heureux retour, et de s'opposer ainsi, en quelque sorte, aux vues miséricordieuses de la Providence, elle a consenti à recevoir votre visite, à condition toutefois que ce sera la derniÚre, et m'a chargé de vous annoncer qu'elle serait chez elle Jeudi prochain, 28. Si ce jour ne pouvait pas vous convenir, vous voudrez bien l'en informer et lui en indiquer un autre. Votre Lettre sera reçue. Cependant, Monsieur le Vicomte, permettez-moi de vous inviter à ne pas différer sans de fortes raisons, afin de pouvoir vous livrer plus tÎt et plus entiÚrement aux dispositions louables que vous me témoignez. Songez que celui qui tarde à profiter du moment de la grùce s'expose à ce qu'elle lui soit retirée; que si la bonté divine est infinie, l'usage en est pourtant réglé par la justice; et qu'il peut venir un moment oÃÂč le Dieu de miséricorde se change en un Dieu de vengeance. Si vous continuez à m'honorer de votre confiance, je vous prie de croire que tous mes soins vous seront acquis, aussitÎt que vous le désirerez quelques grandes que soient mes occupations, mon affaire la plus importante sera toujours de remplir les devoirs du saint MinistÚre, auquel je me suis particuliÚrement dévoué; et le moment le plus beau de ma vie, celui oÃÂč je verrai mes efforts prospérer par la bénédiction du Tout-Puissant. Faibles pécheurs que nous sommes, nous ne pouvons rien par nous-mÃÂȘmes! Mais le Dieu qui vous rappelle peut tout; et nous devrons également à sa bonté, vous, le désir constant de vous rejoindre à lui, et moi, les moyens de vous y conduire. C'est avec son secours que j'espÚre vous convaincre bientÎt que la Religion sainte peut donner seule, mÃÂȘme en ce monde, le bonheur solide et durable qu'on cherche vainement dans l'aveuglement des passions humaines. J'ai l'honneur d'ÃÂȘtre, avec une respectueuse considération, etc. Paris, ce 25 octobre 17**. LETTRE CXXIV LA PRESIDENTE DE TOURVEL A MADAME DE ROSEMONDE Au milieu de l'étonnement oÃÂč m'a jetée, Madame, la nouvelle que j'ai apprise hier, je n'oublie pas la satisfaction qu'elle doit vous causer, et je me hùte de vous en faire part. M. de Valmont ne s'occupe plus ni de moi ni de son amour; et ne veut plus que réparer, par une vie plus édifiante, les fautes ou plutÎt les erreurs de sa jeunesse. J'ai été informée de ce grand événement par le PÚre Anselme, auquel il s'est adressé pour le diriger à l'avenir, et aussi pour lui ménager une entrevue avec moi, dont je juge que l'objet principal est de me rendre mes Lettres qu'il avait gardées jusqu'ici, malgré la demande contraire que je lui en avais faite. Je ne puis, sans doute, qu'applaudir à cet heureux changement, et m'en féliciter, si, comme il le dit, j'ai pu y concourir en quelque chose. Mais pourquoi fallait-il que j'en fusse l'instrument, et qu'il m'en coûtùt le repos de ma vie? Le bonheur de M. de Valmont ne pouvait-il arriver jamais que par mon infortune? Oh! mon indulgente amie, pardonnez-moi cette plainte. Je sais qu'il ne m'appartient pas de sonder les décrets de Dieu; mais tandis que je lui demande sans cesse, et toujours vainement, la force de vaincre mon malheureux amour, il la prodigue à celui qui ne la lui demandait pas, et me laisse, sans secours, entiÚrement livrée à ma faiblesse. Mais étouffons ce coupable murmure. Ne sais-je pas que l'Enfant prodigue, à son retour, obtint plus de grùces de son pÚre que le fils qui ne s'était jamais absenté? Quel compte avons-nous à demander à celui qui ne nous doit rien? Et quand il serait possible que nous eussions quelques droits auprÚs de lui, quels pourraient ÃÂȘtre les miens? Me vanterais-je d'une sagesse que déjà je ne dois qu'à Valmont? Il m'a sauvée, et j'oserais me plaindre en souffrant pour lui! Non mes souffrances me seront chÚres, si son bonheur en est le prix. Sans doute il fallait qu'il revÃnt à son tour au PÚre commun. Le Dieu qui l'a formé devait chérir son ouvrage. Il n'avait point créé cet ÃÂȘtre charmant, pour n'en faire qu'un réprouvé. C'est à moi de porter la peine de mon audacieuse imprudence; ne devais-je pas sentir que, puisqu'il m'était défendu de l'aimer, je ne devais pas me permettre de le voir? Ma faute ou mon malheur est de m'ÃÂȘtre refusée trop longtemps à cette vérité. Vous m'ÃÂȘtes témoin, ma chÚre et digne amie, que je me suis soumise à ce sacrifice, aussitÎt que j'en ai reconnu la nécessité mais, pour qu'il fût entier, il y manquait que M. de Valmont ne le partageùt point. Vous avouerai-je que cette idée est à présent ce qui me tourmente le plus? Insupportable orgueil, qui adoucit les maux que nous éprouvons par ceux que nous faisons souffrir! Ah! je vaincrai ce cÅ“ur rebelle, je l'accoutumerai aux humiliations. C'est surtout pour y parvenir que j'ai enfin consenti à recevoir Jeudi prochain la pénible visite de M. de Valmont. Là , je l'entendrai me dire lui-mÃÂȘme que je ne lui suis plus rien, que l'impression faible et passagÚre que j'avais faite sur lui est entiÚrement effacée! Je verrai ses regards se porter sur moi, sans émotion, tandis que la crainte de déceler la mienne me fera baisser les yeux. Ces mÃÂȘmes Lettres qu'il refusa si longtemps à mes demandes réitérées, je les recevrai de son indifférence; il me les remettra comme des objets inutiles, et qui ne l'intéressent plus; et mes mains tremblantes, en recevant ce dépÎt honteux, sentiront qu'il leur est remis d'une main ferme et tranquille! Enfin, je le verrai s'éloigner... s'éloigner pour jamais, et mes regards, qui le suivront ne verront pas les siens se retourner sur moi! Et j'étais réservée à tant d'humiliations! Ah! que du moins je me la rende utile, en me pénétrant par elle du sentiment de ma faiblesse. Oui, ces Lettres qu'il ne se soucie plus de garder, je les conserverai précieusement. Je m'imposerai la honte de les relire chaque jour, jusqu'à ce que mes larmes en aient effacé les derniÚres traces; et les siennes, je les brûlerai comme infectées du poison dangereux qui a corrompu mon ùme. Oh! qu'est-ce donc que l'amour, s'il nous fait regretter jusqu'aux dangers auxquels il nous expose; si surtout on peut craindre de le ressentir encore, mÃÂȘme alors qu'on ne l'inspire plus! Fuyons cette passion funeste, qui ne laisse de choix qu'entre la honte et le malheur, et souvent mÃÂȘme les réunit tous deux, et qu'au moins la prudence remplace la vertu. Que ce Jeudi est encore loin! que ne puis-je consommer à l'instant ce douloureux sacrifice, et en oublier à la fois et la cause et l'objet! Cette visite m'importune; je me repens d'avoir promis. Hé! qu'a-t-il besoin de me revoir encore? que sommes-nous à présent l'un à l'autre? S'il m'a offensée, je le lui pardonne. Je le félicite mÃÂȘme de vouloir réparer ses torts; je l'en loue. Je ferai plus, je l'imiterai; et séduite par les mÃÂȘmes erreurs, son exemple me ramÚnera. Mais quand son projet est de me fuir, pourquoi commencer par me chercher? Le plus pressé pour chacun de nous n'est-il pas d'oublier l'autre? Ah! sans doute, et ce sera dorénavant mon unique soin. Si vous le permettez, mon aimable amie, ce sera auprÚs de vous que j'irai m'occuper de ce travail difficile. Si j'ai besoin de secours, peut-ÃÂȘtre mÃÂȘme de consolation, je n'en veux recevoir que de vous. Vous seule savez m'entendre et parler à mon cÅ“ur. Votre précieuse amitié remplira toute mon existence. Rien ne me paraÃtra difficile pour seconder les soins que vous voudrez bien vous donner. Je vous devrai ma tranquillité, mon bonheur, ma vertu; et le fruit de vos bontés pour moi sera de m'en avoir enfin rendue digne. Je me suis, je crois, beaucoup égarée dans cette Lettre; je le présume au moins par le trouble oÃÂč je n'ai pas cessé d'ÃÂȘtre en vous écrivant. S'il s'y trouvait quelques sentiments dont j'aie à rougir, couvrez-les de votre indulgente amitié. Je m'en remets entiÚrement à elle. Ce n'est pas à vous que je veux dérober aucun des mouvements de mon cÅ“ur. Adieu, ma respectable amie. J'espÚre, sous peu de jours, vous annoncer celui de mon arrivée. Paris, ce 25 octobre 17**. QUATRIEME PARTIE LETTRE CXXV LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL La voilà donc vaincue, cette femme superbe qui avait osé croire qu'elle pourrait me résister! Oui, mon amie, elle est à moi, entiÚrement à moi; et depuis hier, elle n'a plus rien à m'accorder. Je suis encore trop plein de mon bonheur, pour pouvoir l'apprécier, mais je m'étonne du charme inconnu que j'ai ressenti. Serait-il donc vrai que la vertu augmentùt le prix d'une femme, jusque dans le moment mÃÂȘme de sa faiblesse? Mais reléguons cette idée puérile avec les contes de bonnes femmes. Ne rencontre-t-on pas presque partout une résistance plus ou moins bien feinte au premier triomphe? et ai-je trouvé nulle part le charme dont je parle? ce n'est pourtant pas non plus celui de l'amour; car enfin, si j'ai eu quelquefois auprÚs de cette femme étonnante des moments de faiblesse qui ressemblaient à cette passion pusillanime, j'ai toujours su les vaincre et revenir à mes principes. Quand mÃÂȘme la scÚne d'hier m'aurait, comme je le crois, emporté un peu plus loin que je ne comptais; quand j'aurais, un moment, partagé le trouble et l'ivresse que je faisais naÃtre cette illusion passagÚre serait dissipée à présent; et cependant le mÃÂȘme charme subsiste. J'aurais mÃÂȘme, je l'avoue, un plaisir assez doux à m'y livrer, s'il ne me causait quelque inquiétude. Serai-je donc, à mon ùge, maÃtrisé comme un écolier, par un sentiment involontaire et inconnu? Non il faut, avant tout, le combattre et l'approfondir. Peut-ÃÂȘtre, au reste, en ai-je déjà entrevu la cause! Je me plais au moins dans cette idée, et je voudrais qu'elle fût vraie. Dans la foule des femmes auprÚs desquelles j'ai rempli jusqu'à ce jour le rÎle et les fonctions d'Amant, je n'en avais encore rencontré aucune qui n'eût, au moins, autant d'envie de se rendre que j'en avais de l'y déterminer; je m'étais mÃÂȘme accoutumé à appeler prudes celles qui ne faisaient que la moitié du chemin, par opposition à tant d'autres, dont la défense provocante ne couvre jamais qu'imparfaitement les premiÚres avances qu'elles ont faites. Ici, au contraire, j'ai trouvé une premiÚre prévention défavorable et fondée depuis sur les conseils et les rapports d'une femme haineuse, mais clairvoyante; une timidité naturelle et extrÃÂȘme, que fortifiait une pudeur éclairée; un attachement à la vertu, que la Religion dirigeait, et qui comptait déjà deux années de triomphe, enfin des démarches éclatantes, inspirées par ces différents motifs et qui toutes n'avaient pour but que de se soustraire à mes poursuites. Ce n'est donc pas, comme dans mes autres aventures, une simple capitulation plus ou moins avantageuse, et dont il est plus facile de profiter que de s'enorgueillir; c'est une victoire complÚte, achetée par une campagne pénible, et décidée par de savantes manÅ“uvres. Il n'est donc pas surprenant que ce succÚs, dû à moi seul, m'en devienne plus précieux; et le surcroÃt de plaisir que j'ai éprouvé dans mon triomphe, et que je ressens encore, n'est que la douce impression du sentiment de la gloire. Je chéris cette façon de voir, qui me sauve l'humiliation de penser que je puisse dépendre en quelque maniÚre de l'esclave mÃÂȘme que je me serais asservie; que je n'aie pas en moi seul la plénitude de mon bonheur; et que la faculté de m'en faire jouir dans toute son énergie soit réservée à telle ou telle femme, exclusivement à toute autre. Ces réflexions sensées régleront ma conduite dans cette importante occasion; et vous pouvez ÃÂȘtre sûre que je ne me laisserai pas tellement enchaÃner, que je ne puisse toujours briser ces nouveaux liens, en me jouant et à ma volonté. Mais déjà je vous parle de ma rupture; et vous ignorez encore par quels moyens j'en ai acquis le droit; lisez donc, et voyez à quoi s'expose la sagesse, en essayant de secourir la folie. J'étudiais si attentivement mes discours et les réponses que j'obtenais, que j'espÚre vous rendre les uns et les autres avec une exactitude dont vous serez contente. Vous verrez par les deux copies des Lettres ci-jointes, quel médiateur j'avais choisi pour me rapprocher de ma Belle, et avec quel zÚle le saint personnage s'est employé pour nous réunir. Ce qu'il faut vous dire encore, et que j'avais appris par une Lettre interceptée suivant l'usage, c'est que la crainte et la petite humiliation d'ÃÂȘtre quittée avaient un peu dérangé la pruderie de l'austÚre Dévote; et avaient rempli son cÅ“ur et sa tÃÂȘte de sentiments et d'idées, qui, pour n'avoir pas le sens commun, n'en étaient pas moins intéressants. C'est aprÚs ces préliminaires, nécessaires à savoir, qu'hier Jeudi 28, jour préfix et donné par l'ingrate, je me suis présenté chez elle en esclave timide et repentant, pour en sortir en vainqueur couronné. Il était six heures du soir quand j'arrivai chez la belle Recluse, car depuis son retour, sa porte était restée fermée à tout le monde. Elle essaya de se lever quand on m'annonça; mais ses genoux tremblants ne lui permirent pas de rester dans cette situation elle se rassit sur-le-champ. Comme le Domestique qui m'avait introduit eut quelque service à faire dans l'appartement, elle en parut impatientée. Nous remplÃmes cet intervalle par les compliments d'usage. Mais pour ne rien perdre d'un temps dont tous les moments étaient précieux, j'examinais soigneusement le local; et dÚs lors, je marquai de l'oeil le théùtre de ma victoire. J'aurais pu en choisir un plus commode car, dans cette mÃÂȘme chambre, il se trouvait une ottomane. Mais je remarquai qu'en face d'elle était un portrait du mari; et j'eus peur, je l'avoue, qu'avec une femme si singuliÚre, un seul regard que le hasard dirigerait de ce cÎté ne détruisÃt en un moment l'ouvrage de tant de soins. Enfin, nous restùmes seuls et j'entrai en matiÚre. AprÚs avoir exposé, en peu de mots, que le PÚre Anselme l'avait dû informer des motifs de ma visite, je me suis plaint du traitement rigoureux que j'avais éprouvé; et j'ai particuliÚrement appuyé sur le mépris qu'on m'avait témoigné. On s'en est défendu, comme je m'y attendais; et, comme vous vous y attendiez bien aussi, j'en ai fondé la preuve sur la méfiance et l'effroi que j'avais inspirés, sur la fuite scandaleuse qui s'en était suivie, le refus de répondre à mes Lettres, celui mÃÂȘme de les recevoir, etc. Comme on commençait une justification qui aurait été bien facile, j'ai cru devoir l'interrompre; et pour me faire pardonner cette maniÚre brusque je l'ai couverte aussitÎt par une cajolerie. - " Si tant de charmes, ai-je donc repris, ont fait sur mon cÅ“ur une impression si profonde, tant de vertus n'en ont pas moins fait sur mon ùme. Séduit, sans doute, par le désir de m'en rapprocher, j'avais osé m'en croire digne. Je ne vous reproche point d'en avoir jugé autrement; mais je me punis de mon erreur. " Comme on gardait le silence de l'embarras, j'ai continué. - " J ai désiré, Madame, ou de me justifier à vos yeux, ou d'obtenir de vous le pardon des torts que vous me supposez; afin de pouvoir au moins terminer, avec quelque tranquillité, des jours auxquels je n'attache plus de prix, depuis que vous avez refusé de les embellir. " Ici, on a pourtant essayé de répondre. - " Mon devoir ne me permettait pas... " - Et la difficulté d'achever le mensonge que le devoir exigeait n'a pas permis de finir la phrase. J'ai donc repris du ton le plus tendre - " Il est donc vrai que c'est moi que vous avez fui? - Ce départ était nécessaire. - Et que vous m'éloignez de vous? - Il le faut. - Et pour toujours? - Je le dois. " Je n'ai pas besoin de vous dire que pendant ce court dialogue, la voix de la tendre Prude était oppressée, et que ses yeux ne s'élevaient pas jusqu'à moi. Je jugeai devoir animer un peu cette scÚne languissante; ainsi, me levant avec l'air du dépit " Votre fermeté, dis-je alors, me rend toute la mienne. Hé bien! oui, Madame, nous serons séparés, séparés mÃÂȘme plus que vous ne pensez et vous vous féliciterez à loisir de votre ouvrage. " Un peu surprise de ce ton de reproche, elle voulut répliquer. - " La résolution que vous avez prise... , dit- elle, - n'est que l'effet de mon désespoir, repris-je avec emportement. Vous avez voulu que je sois malheureux; je vous prouverai que vous avez réussi au-delà de vos souhaits. - Je désire votre bonheur " , répondit-elle. Et le son de sa voix commençait à annoncer une émotion assez forte. Aussi me précipitant à ses genoux, et du ton dramatique que vous me connaissez - " Ah! cruelle, me suis-je écrié, peut-il exister pour moi un bonheur que vous ne partagiez pas? OÃÂč donc le trouver loin de vous? Ah! jamais! jamais! " J'avoue qu'en me livrant à ce point j'avais beaucoup compté sur le secours des larmes mais soit mauvaise disposition, soit peut-ÃÂȘtre seulement l'effet de l'attention pénible et continuelle que je mettais à tout, il me fut impossible de pleurer. Par bonheur je me ressouvins que pour subjuguer une femme tout moyen était également bon; et qu'il suffisait de l'étonner par un grand mouvement, pour que l'impression en restùt profonde et favorable. Je suppléai donc, par la terreur, à la sensibilité qui se trouvait en défaut; et pour cela, changeant seulement l'inflexion de ma voix, et gardant la mÃÂȘme posture - " Oui, continuai-je, j'en fais le serment à vos pieds, vous posséder ou mourir. " En prononçant ces derniÚres paroles, nos regards se rencontrÚrent. Je ne sais ce que la timide personne vit ou crut voir dans les miens, mais elle se leva d'un air effrayé, et s'échappa de mes bras dont je l'avais entourée. Il est vrai que je ne fis rien pour la retenir; car j'avais remarqué plusieurs fois que les scÚnes de désespoir menées trop vivement tombaient dans le ridicule dÚs qu'elles devenaient longues, ou ne laissaient que des ressources vraiment tragiques et que j'étais fort éloigné de vouloir prendre. Cependant, tandis qu'elle se dérobait à moi, j'ajoutai d'un ton bas et sinistre, mais de façon qu'elle pût m'entendre - " Hé bien! la mort! " Je me relevai alors; et gardant un moment le silence, je jetais sur elle, comme au hasard, des regards farouches qui, pour avoir l'air d'ÃÂȘtre égarés, n'en étaient pas moins clairvoyants et observateurs. Le maintien mal assuré, la respiration haute, la contraction de tous les muscles, les bras tremblants, et à demi élevés, tout me prouvait assez que l'effet était tel que j'avais voulu le produire; mais, comme en amour rien ne se finit que de trÚs prÚs, et que nous étions alors assez loin l'un de l'autre, il fallait avant tout se rapprocher. Ce fut pour y parvenir que je passai le plus tÎt possible à une apparente tranquillité, propre à calmer les effets de cet état violent, sans en affaiblir l'impression. Ma transition fut " Je suis bien malheureux. J'ai voulu vivre pour votre bonheur, et je l'ai troublé. Je me dévoue pour votre tranquillité, et je la trouble encore. " Ensuite d'un air composé, mais contraint - " Pardon, Madame; peu accoutumé aux orages des passions, je sais mal en réprimer les mouvements. Si j'ai eu tort de m'y livrer, songez au moins que c'est pour la derniÚre fois. Ah! calmez-vous, calmez-vous, je vous en conjure. " Et pendant ce long discours je me rapprochais insensiblement. - " Si vous voulez que je me calme, répondit la Belle effarouchée, vous-mÃÂȘme soyez donc plus tranquille. - Hé bien! oui, je vous le promets " , lui dis-je. J'ajoutai d'une voix plus faible - " Si l'effort est grand, au moins ne doit-il pas ÃÂȘtre long. Mais, repris-je aussitÎt d'un air égaré, je suis venu, n'est-il pas vrai, pour vous rendre vos Lettres? De grùce, daignez les reprendre. Ce douloureux sacrifice me reste à faire ne me laissez rien qui puisse affaiblir mon courage. " Et tirant de ma poche le précieux recueil - " Le voilà , dis-je, ce dépÎt trompeur des assurances de votre amitié! Il m'attachait à la vie, reprenez-le. Donnez ainsi vous-mÃÂȘme le signal qui doit me séparer de vous pour jamais. " Ici l'Amante craintive céda entiÚrement à sa tendre inquiétude. - " Mais, Monsieur de Valmont, qu'avez-vous, et que voulez-vous dire? la démarche que vous faites aujourd'hui n'est-elle pas volontaire? n'est-ce pas le fruit de vos propres réflexions? et ne sont-ce pas elles qui vous ont fait approuver vous-mÃÂȘme le parti nécessaire que j'ai suivi par devoir? - Hé bien, ai-je repris, ce parti a décidé le mien. - Et quel est-il? - Le seul qui puisse, en me séparant de vous, mettre un terme à mes peines. - Mais, répondez-moi, quel est-il? " Là , je la pressai de mes bras, sans qu'elle se défendÃt aucunement; et jugeant par cet oubli des bienséances combien l'émotion était forte et puissante - " Femme adorable, lui dis-je en risquant l'enthousiasme, vous n'avez pas d'idée de l'amour que vous inspirez; vous ne saurez jamais jusqu'à quel point vous fûtes adorée, et de combien ce sentiment m'était plus cher que l'existence! Puissent tous vos jours ÃÂȘtre fortunés et tranquilles; puissent-ils s'embellir de tout le bonheur dont vous m'avez privé! Payez au moins ce vÅ“u sincÚre par un regret, par une larme; et croyez que le dernier de mes sacrifices ne sera pas le plus pénible à mon cÅ“ur. Adieu. " Tandis que je parlais ainsi, je sentais son cÅ“ur palpiter avec violence; j'observais l'altération de sa figure; je voyais, surtout, les larmes la suffoquer, et ne couler cependant que rares et pénibles. Ce ne fut qu'alors que je pris le parti de feindre de m'éloigner; aussi, me retenant avec force - " Non, écoutez- moi, dit-elle vivement. - Laissez-moi, répondis-je. - Vous m'écouterez, je le veux. - Il faut vous fuir, il le faut! - Non! " s'écria-t-elle... A ce dernier mot, elle se précipita ou plutÎt tomba évanouie entre mes bras. Comme je doutais encore d'un si heureux succÚs, je feignis un grand effroi; mais tout en m'effrayant, je la conduisais, ou la portais vers le lieu précédemment désigné pour le champ de ma gloire; et en effet elle ne revint à elle que soumise et déjà livrée à son heureux vainqueur. Jusque-là , ma belle amie, vous me trouverez, je crois, une pureté de méthode qui vous fera plaisir; et vous verrez que je ne me suis écarté en rien des vrais principes de cette guerre, que nous avons remarqué souvent ÃÂȘtre si semblable à l'autre. Jugez-moi donc comme Turenne ou Frédéric. J'ai forcé à combattre l'ennemi qui ne voulait que temporiser; je me suis donné, par de savantes manÅ“uvres, le choix du terrain et celui des dispositions; j'ai su inspirer la sécurité à l'ennemi, pour le joindre plus facilement dans sa retraite; j'ai su y faire succéder la terreur, avant d'en venir au combat; je n'ai rien mis au hasard, que par la considération d'un grand avantage en cas de succÚs, et la certitude des ressources en cas de défaite; enfin, je n'ai engagé l'action qu'avec une retraite assurée, par oÃÂč je pusse couvrir et conserver tout ce que j'avais conquis précédemment. C'est, je crois, tout ce qu'on peut faire; mais je crains, à présent, de m'ÃÂȘtre amolli comme Annibal dans les délices de Capoue. Voilà ce qui s'est passé depuis. Je m'attendais bien qu'un si grand événement ne se passerait pas sans les larmes et le désespoir d'usage; et si je remarquai d'abord un peu plus de confusion, et une sorte de recueillement, j'attribuai l'un et l'autre à l'état de Prude aussi, sans m'occuper de ces légÚres différences que je croyais purement locales, je suivais simplement la grande route des consolations, bien persuadé que, comme il arrive d'ordinaire, les sensations aideraient le sentiment et qu'une seule action ferait plus que tous les discours, que pourtant je ne négligeais pas. Mais je trouvai une résistance vraiment effrayante, moins encore par son excÚs que par la forme sous laquelle elle se montrait. Figurez-vous une femme assise, d'une raideur immobile, et d'une figure invariable; n'ayant l'air ni de penser, ni d'écouter, ni d'entendre; dont les yeux fixes laissent échapper des larmes assez continues, mais qui coulent sans effort. Telle était Madame de Tourvel, pendant mes discours; mais si j'essayais de ramener son attention vers moi par une caresse, par le geste mÃÂȘme le plus innocent, à cette apparente apathie succédaient aussitÎt la terreur, la suffocation, les convulsions, les sanglots, et quelques cris par intervalles, mais sans un mot articulé. Ces crises revinrent plusieurs fois, et toujours plus fortes; la derniÚre mÃÂȘme fut si violente que j'en fus entiÚrement découragé et craignis un moment d'avoir remporté une victoire inutile. Je me rabattis sur les lieux communs d'usage; et dans le nombre se trouva celui-ci " Et vous ÃÂȘtes dans le désespoir, parce que vous avez fait mon bonheur? " A ce mot, l'adorable femme se tourna vers moi; et sa figure, quoique encore un peu égarée, avait pourtant déjà repris son expression céleste. " Votre bonheur " , me dit-elle. Vous devinez ma réponse. - Vous ÃÂȘtes donc heureux? " Je redoublai les protestations. - " Et heureux par moi! " J'ajoutai les louanges et les tendres propos. Tandis que je parlais, tous ses membres s'assouplirent; elle retomba avec mollesse, appuyée sur son fauteuil; et m'abandonnant une main que j'avais osé prendre - " Je sens, dit-elle, que cette idée me console et me soulage. " Vous jugez qu'ainsi remis sur la voie, je ne la quittai plus; c'était réellement la bonne, et peut-ÃÂȘtre la seule. Aussi quand je voulus tenter un second succÚs, j'éprouvai d'abord quelque résistance, et ce qui s'était passé auparavant me rendait circonspect mais ayant appelé à mon secours cette mÃÂȘme idée de mon bonheur, j'en ressentis bientÎt les favorables effets - " Vous avez raison, me dit la tendre personne et je ne puis plus supporter mon existence qu'autant qu'elle servira à vous rendre heureux. Je m'y consacre tout entiÚre dÚs ce moment je me donne à vous, et vous n'éprouverez de ma part ni refus, ni regrets. " Ce fut avec cette candeur naïve ou sublime qu'elle me livra sa personne et ses charmes, et qu'elle augmenta mon bonheur en le partageant. L'ivresse fut complÚte et réciproque; et, pour la premiÚre fois, la mienne survécut au plaisir. Je ne sortis de ses bras que pour tomber à ses genoux, pour lui jurer un amour éternel; et, il faut tout avouer, je pensais ce que je disais. Enfin, mÃÂȘme aprÚs nous ÃÂȘtre séparés, son idée ne me quittait point, et j'ai eu besoin de me travailler pour m'en distraire. Ah! pourquoi n'ÃÂȘtes-vous pas ici, pour balancer au moins le charme de l'action par celui de la récompense? Mais je ne perdrai rien pour attendre, n'est-il pas vrai? et j'espÚre pouvoir regarder, comme convenu entre nous, l'heureux arrangement que je vous ai proposé dans ma derniÚre Lettre. Vous voyez que je m'exécute, et que, comme je vous l'ai promis, mes affaires seront assez avancées pour pouvoir vous donner une partie de mon temps. DépÃÂȘchez-vous donc de renvoyer votre pesant Belleroche et laissez là le doucereux Danceny, pour ne vous occuper que de moi. Mais que faites-vous donc tant à cette campagne que vous ne me répondez seulement pas? Savez- vous que je vous gronderais volontiers? Mais le bonheur porte à l'indulgence. Et puis je n'oublie pas qu'en me replaçant au nombre de vos soupirants je dois me soumettre, de nouveau, à vos petites fantaisies. Souvenez-vous cependant que le nouvel Amant ne veut rien perdre des anciens droits de l'ami. Adieu, comme autrefois... Oui, adieu, mon Ange! Je t'envoie tous les baisers de l'amour. Savez-vous que Prévan, au bout de son mois de prison, a été obligé de quitter son Corps? C'est aujourd'hui la nouvelle de tout Paris. En vérité, le voilà cruellement puni d'un tort qu'il n'a pas eu, et votre succÚs est complet! Paris, ce 29 octobre 17**. LETTRE CXXVI MADAME DE ROSEMONDE A LA PRESIDENTE DE TOURVEL Je vous aurais répondu plus tÎt, mon aimable Enfant, si la fatigue de ma derniÚre Lettre ne m'avait rendu mes douleurs, ce qui m'a encore privée tous ces jours-ci de l'usage de mon bras. J'étais bien pressée de vous remercier des bonnes nouvelles que vous m'avez données de mon neveu, et je ne l'étais pas moins de vous en faire pour votre compte de sincÚres félicitations. On est forcé de reconnaÃtre véritablement là un coup de la Providence, qui, en touchant l'un, a aussi sauvé l'autre. Oui, ma chÚre Belle, Dieu, qui ne voulait que vous éprouver, vous a secourue au moment oÃÂč vos forces étaient épuisées; et malgré votre petit murmure, vous avez, je crois, quelques actions de grùces à lui rendre. Ce n'est pas que je ne sente fort bien qu'il vous eût été plus agréable que cette résolution vous fût venue la premiÚre, et que celle de Valmont n'en eût été que la suite; il semble mÃÂȘme, humainement parlant, que les droits de notre sexe en eussent été mieux conservés, et nous ne voulons en perdre aucun! Mais qu'est-ce que ces considérations légÚres, auprÚs des objets importants qui se trouvent remplis? Voit-on celui qui se sauve du naufrage se plaindre de n'avoir pas eu le choix des moyens? Vous éprouverez bientÎt, ma chÚre fille, que les peines que vous redoutez s'allégeront d'elles-mÃÂȘmes; et quand elles devraient subsister toujours et dans leur entier, vous n'en sentiriez pas moins qu'elles seraient encore plus faciles à supporter, que les remords du crime et le mépris de soi-mÃÂȘme. Inutilement vous aurais-je parlé plus tÎt avec cette apparente sévérité l'amour est un sentiment indépendant, que la prudence peut faire éviter, mais qu'elle ne saurait vaincre; et qui, une fois né, ne meurt que de sa belle mort ou du défaut absolu d'espoir. C'est ce dernier cas, dans lequel vous ÃÂȘtes, qui me rend le courage et le droit de vous dire librement mon avis. Il est cruel d'effrayer un malade désespéré, qui n'est plus susceptible que de consolations et de palliatifs mais il est sage d'éclairer un convalescent sur les dangers qu'il a courus, pour lui inspirer la prudence dont il a besoin, et la soumission aux conseils qui peuvent encore lui ÃÂȘtre nécessaires. Puisque vous me choisissez pour votre Médecin, c'est comme tel que je vous parle, et que je vous dis que les petites incommodités que vous ressentez à présent, et qui peut-ÃÂȘtre exigent quelques remÚdes, ne sont pourtant rien en comparaison de la maladie effrayante dont voilà la guérison assurée. Ensuite comme votre amie, comme l'amie d'une femme raisonnable et vertueuse, je me permettrai d'ajouter que cette passion, qui vous avait subjuguée, déjà si malheureuse par elle-mÃÂȘme, le devenait encore plus par son objet. Si j'en crois ce qu'on m'en dit, mon neveu, que j'avoue aimer peut-ÃÂȘtre avec faiblesse, et qui réunit en effet beaucoup de qualités louables à beaucoup d'agréments, n'est ni sans danger pour les femmes, ni sans torts vis-à -vis d'elles, et met presque un prix égal à les séduire et à les perdre. Je crois bien que vous l'auriez converti. Jamais personne sans doute n'en fut plus digne mais tant d'autres s'en sont flattées de mÃÂȘme, dont l'espoir a été déçu, que j'aime bien mieux que vous n'en soyez pas réduite à cette ressource. Considérez à présent, ma chÚre Belle, qu'au lieu de tant de dangers que vous auriez eu à courir, vous aurez, outre le repos de votre conscience et votre propre tranquillité, la satisfaction d'avoir été la principale cause de l'heureux retour de Valmont. Pour moi, je ne doute pas que ce ne soit en grande partie l'ouvrage de votre courageuse résistance, et qu'un moment de faiblesse de votre part n'eût peut-ÃÂȘtre laissé mon neveu dans un égarement éternel. J'aime à penser ainsi, et désire vous voir penser de mÃÂȘme; vous y trouverez vos premiÚres consolations, et moi, de nouvelles raisons de vous aimer davantage. Je vous attends ici sous peu de jours, mon aimable fille, comme vous me l'annoncez. Venez retrouver le calme et le bonheur dans les mÃÂȘmes lieux oÃÂč vous l'aviez perdu; venez surtout vous réjouir avec votre tendre mÚre d'avoir si heureusement tenu la parole que vous lui aviez donnée, de ne rien faire qui ne fût digne d'elle et de vous! Du Chùteau de ..., ce 30 octobre 17**. LETTRE CXXVII LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT Si je n'ai pas répondu, Vicomte, à votre Lettre du 19, ce n'est pas que je n'en aie eu le temps; c'est tout simplement qu'elle m'a donné de l'humeur, et que je ne lui ai pas trouvé le sens commun. J'avais donc cru n'avoir rien de mieux à faire que de la laisser dans l'oubli; mais puisque vous revenez sur elle, que vous paraissez tenir aux idées qu'elle contient, et que vous prenez mon silence pour un consentement, il faut vous dire clairement mon avis. J'ai pu avoir quelquefois la prétention de remplacer à moi seule tout un sérail; mais il ne m'a jamais convenu d'en faire partie. Je croyais que vous saviez cela. Au moins à présent que vous ne pouvez plus l'ignorer, vous jugerez facilement combien votre proposition a dû me paraÃtre ridicule. Qui, moi! je sacrifierais un goût, et encore un goût nouveau, pour m'occuper de vous? Et pour m'en occuper comment? en attendant à mon tour, et en esclave soumise, les sublimes faveurs de votre Hautesse . Quand, par exemple, vous voudrez vous distraire un moment de ce charme inconnu que l'adorable, la céleste Madame de Tourvel vous a fait seule éprouver, ou quand vous craindrez de compromettre, auprÚs de l'attachante Cécile , l'idée supérieure que vous ÃÂȘtes bien aise qu'elle conserve de vous alors descendant jusqu'à moi, vous y viendrez chercher des plaisirs, moins vifs à la vérité, mais sans conséquence; et vos précieuses bontés, quoique un peu rares, suffiront de reste à mon bonheur! Certes, vous ÃÂȘtes riche en bonne opinion de vous-mÃÂȘme mais apparemment je ne le suis pas en modestie; car j'ai beau me regarder, je ne peux pas me trouver déchue jusque-là . C'est peut-ÃÂȘtre un tort que j'ai; mais je vous préviens que j'en ai beaucoup d'autres encore. J'ai surtout celui de croire que l'écolier, le doucereux Danceny, uniquement occupé de moi, me sacrifiant, sans s'en faire un mérite, une premiÚre passion, avant mÃÂȘme qu'elle ait été satisfaite, et m'aimant enfin comme on aime à son ùge, pourrait, malgré ses vingt ans, travailler plus efficacement que vous à mon bonheur et à mes plaisirs. Je me permettrai mÃÂȘme d'ajouter que, s'il me venait en fantaisie de lui donner un adjoint, ce ne serait pas vous, au moins pour le moment. Et par quelles raisons, m'allez-vous demander? Mais d'abord il pourrait fort bien n'y en avoir aucune car le caprice qui vous ferait préférer peut également vous faire exclure. Je veux pourtant bien, par politesse, vous motiver mon avis. Il me semble que vous auriez trop de sacrifices à me faire; et moi, au lieu d'en avoir la reconnaissance que vous ne manqueriez pas d'en attendre, je serais capable de croire que vous m'en devriez encore! Vous voyez bien, qu'aussi éloignés l'un de l'autre par notre façon de penser, nous ne pouvons nous rapprocher d'aucune maniÚre; et je crains qu'il ne me faille beaucoup de temps, mais beaucoup, avant de changer de sentiment. Quand je serai corrigée, je vous promets de vous avertir. Jusque-là croyez-moi, faites d'autres arrangements, et gardez vos baisers, vous avez tant à les placer mieux!... Adieu, comme autrefois , dites-vous? Mais autrefois, ce me semble, vous faisiez un peu plus de cas de moi; vous ne m'aviez pas destinée tout à fait aux troisiÚmes RÎles; et surtout vous vouliez bien attendre que j'eusse dit oui, avant d'ÃÂȘtre sûr de mon consentement. Trouvez donc bon qu'au lieu de vous dire aussi adieu comme autrefois, je vous dise adieu comme à présent. Votre servante, Monsieur le Vicomte. Du Chùteau de ..., ce 31 octobre 17**. LETTRE CXXVIII LA PRESIDENTE DE TOURVEL A MADAME DE ROSEMONDE Je n'ai reçu qu'hier, Madame, votre tardive réponse. Elle m'aurait tuée sur-le- champ, si j'avais eu encore mon existence en moi mais un autre en est possesseur, et cet autre est M. de Valmont. Vous voyez que je ne vous cache rien. Si vous devez ne me plus trouver digne de votre amitié, je crains moins encore de la perdre que de la surprendre. Tout ce que je puis vous dire, c'est que, placée par M. de Valmont entre sa mort ou son bonheur, je me suis décidée pour ce dernier parti. Je ne m'en vante, ni ne m'en accuse je dis simplement ce qui est. Vous sentirez aisément, d'aprÚs cela, quelle impression a dû me faire votre Lettre, et les vérités sévÚres qu'elle contient. Ne croyez pas cependant qu'elle ait pu faire naÃtre un regret en moi, ni qu'elle puisse jamais me faire changer de sentiment ni de conduite. Ce n'est pas que je n'aie des moments cruels mais quand mon cÅ“ur est le plus déchiré, quand je crains de ne pouvoir plus supporter mes tourments, je me dis Valmont est heureux; et tout disparaÃt devant cette idée, ou plutÎt elle change tout en plaisirs. C'est donc à votre neveu que je me suis consacrée; c'est pour lui que je me suis perdue. Il est devenu le centre unique de mes pensées, de mes sentiments, de mes actions. Tant que ma vie sera nécessaire à son bonheur, elle me sera précieuse, et je la trouverai fortunée. Si quelque jour il en juge autrement ... , il n'entendra de ma part ni plainte ni reproche. J'ai déjà osé fixer les yeux sur ce moment fatal et mon parti est pris. Vous voyez à présent combien peu doit m'affecter la crainte que vous paraissez avoir, qu'un jour M. de Valmont ne me perde car avant de le vouloir, il aura donc cessé de m'aimer; et que me feront alors de vains reproches que je n'entendrai pas? Seul, il sera mon juge. Comme je n'aurai vécu que pour lui, ce sera en lui que reposera ma mémoire; et s'il est forcé de reconnaÃtre que je l'aimais, je serai suffisamment justifiée. Vous venez, Madame, de lire dans mon cÅ“ur. J'ai préféré le malheur de perdre votre estime par ma franchise, à celui de m'en rendre indigne par l'avilissement du mensonge. J'ai cru devoir cette entiÚre confiance à vos anciennes bontés pour moi. Ajouter un mot de plus pourrait vous faire soupçonner que j'ai l'orgueil d'y compter encore, quand au contraire je me rends justice en cessant d'y prétendre. Je suis avec respect, Madame, votre trÚs humble et trÚs obéissante servante. Paris, ce 1er novembre 17**. LETTRE CXXIX LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Dites-moi donc, ma belle amie, d'oÃÂč peut venir ce ton d'aigreur et de persiflage qui rÚgne dans votre derniÚre Lettre? Quel est donc ce crime que j'ai commis, apparemment sans m'en douter, et qui vous donne tant d'humeur? J'ai eu l'air, me reprochez-vous, de compter sur votre consentement avant de l'avoir obtenu mais je croyais que ce qui pourrait paraÃtre de la présomption pour tout le monde ne pouvait jamais ÃÂȘtre pris, de vous à moi, que pour de la confiance et depuis quand ce sentiment nuit-il à l'amitié ou à l'amour? En réunissant l'espoir au désir, je n'ai fait que céder à l'impulsion naturelle, qui nous fait nous placer toujours le plus prÚs possible du bonheur que nous cherchons; et vous avez pris pour l'effet de l'orgueil ce qui ne l'était que de mon empressement. Je sais fort bien que l'usage a introduit, dans ce cas, un doute respectueux mais vous savez aussi que ce n'est qu'une forme, un simple protocole; et j'étais, ce me semble, autorisé à croire que ces précautions minutieuses n'étaient plus nécessaires entre nous. Il me semble mÃÂȘme que cette marche franche et libre, quand elle est fondée sur une ancienne liaison, est bien préférable à l'insipide cajolerie qui affadit si souvent l'amour. Peut-ÃÂȘtre, au reste, le prix que je trouve à cette maniÚre ne vient-il que de celui que j'attache au bonheur qu'elle me rappelle mais par là mÃÂȘme, il me serait plus pénible encore de vous voir en juger autrement. Voilà pourtant le seul tort que je me connaisse car je n'imagine pas que vous ayez pu penser sérieusement qu'il existùt une femme dans le monde qui me parût préférable à vous; et encore moins que j'aie pu vous apprécier aussi mal que vous feignez de le croire. Vous vous ÃÂȘtes regardée, me dites-vous, à ce sujet, et vous ne vous ÃÂȘtes pas trouvée déchue à ce point. Je le crois bien, et cela prouve seulement que votre miroir est fidÚle. Mais n'auriez-vous pas pu en conclure avec plus de facilité et de justice qu'à coup sûr je n'avais pas jugé ainsi de vous? Je cherche vainement une cause à cette étrange idée. Il me semble pourtant qu'elle tient, de plus ou moins prÚs, aux éloges que je me suis permis de donner à d'autres femmes. Je l'infÚre au moins de votre affectation à relever les épithÚtes d'adorable, de céleste, d'attachante , dont je me suis servi en vous parlant de Madame de Tourvel, ou de la petite Volanges. Mais ne savez- vous pas que ces mots, plus souvent pris au hasard que par réflexion, expriment moins le cas que l'on fait de la personne que la situation dans laquelle on se trouve quand on en parle? Et si, dans le moment mÃÂȘme oÃÂč j'étais si vivement affecté ou par l'une ou par l'autre, je ne vous en désirais pourtant pas moins; si je vous donnais une préférence marquée sur toutes deux, puisque enfin je ne pouvais renouveler notre premiÚre liaison qu'au préjudice des deux autres, je ne crois pas qu'il y ait là si grand sujet de reproche. Il ne me sera pas plus difficile de me justifier sur le charme inconnu dont vous me paraissez aussi un peu choquée car d'abord, de ce qu'il est inconnu, il ne s'ensuit pas qu'il soit plus fort. Hé! qui pourrait l'emporter sur les délicieux plaisirs que vous seule savez rendre toujours nouveaux, comme toujours plus vifs? J'ai donc voulu dire seulement que celui-là était d'un genre que je n'avais pas encore éprouvé; mais sans prétendre lui assigner de classe; et j'avais ajouté, ce que je répÚte aujourd'hui, que, quel qu'il soit, je saurai le combattre et le vaincre. J'y mettrai bien plus de zÚle encore, si je peux voir dans ce léger travail un hommage à vous offrir. Pour la petite Cécile, je crois bien inutile de vous en parler. Vous n'avez pas oublié que c'est à votre demande que je me suis chargé de cette enfant, et je n'attends que votre congé pour m'en défaire. J'ai pu remarquer son ingénuité et sa fraÃcheur; j'ai pu mÃÂȘme la croire un moment attachante , parce que, plus ou moins, on se complaÃt toujours un peu dans son ouvrage mais assurément, elle n'a assez de consistance en aucun genre pour fixer en rien l'attention. A présent, ma belle amie, j'en appelle à votre justice, à vos premiÚres bontés pour moi; à la longue et parfaite amitié, à l'entiÚre confiance qui depuis ont resserré nos liens ai-je mérité le ton rigoureux que vous prenez avec moi? Mais qu'il vous sera facile de m'en dédommager quand vous voudrez! Dites seulement un mot, et vous verrez si tous les charmes et tous les attachements me retiendront ici, non pas un jour mais une minute. Je volerai à vos pieds et dans vos bras, et je vous prouverai, mille fois et de mille maniÚres, que vous ÃÂȘtes, que vous serez toujours, la véritable souveraine de mon cÅ“ur. Adieu, ma belle amie; j'attends votre Réponse avec beaucoup d'empressement. Paris, ce 3 novembre 17**. LETTRE CXXX MADAME DE ROSEMONDE A LA PRESIDENTE DE TOURVEL Et pourquoi, ma chÚre Belle, ne voulez-vous plus ÃÂȘtre ma fille? pourquoi semblez-vous m'annoncer que toute correspondance va ÃÂȘtre rompue entre nous? Est-ce pour me punir de n'avoir pas deviné ce qui était contre toute vraisemblance? ou me soupçonnez-vous de vous avoir affligée volontairement? Non, je connais trop bien votre cÅ“ur, pour croire qu'il pense ainsi du mien. Aussi la peine que m'a faite votre lettre est-elle bien moins relative à moi qu'à vous-mÃÂȘme! Ô ma jeune amie! je vous le dis avec douleur; mais vous ÃÂȘtes bien trop digne d'ÃÂȘtre aimée, pour que jamais l'amour vous rende heureuse. Hé! quelle femme vraiment délicate et sensible n'a pas trouvé l'infortune dans ce mÃÂȘme sentiment qui lui promettait tant de bonheur! Les hommes savent-ils apprécier la femme qu'ils possÚdent? Ce n'est pas que plusieurs ne soient honnÃÂȘtes dans leurs procédés, et constants dans leur affection mais, parmi ceux-là mÃÂȘme, combien peu savent encore se mettre à l'unisson de notre cÅ“ur! Ne croyez pas, ma chÚre Enfant, que leur amour soit semblable au nÎtre. Ils éprouvent bien la mÃÂȘme ivresse; souvent mÃÂȘme ils y mettent plus d'emportement mais ils ne connaissent pas cet empressement inquiet, cette sollicitude délicate, qui produit en nous ces soins tendres et continus, et dont l'unique but est toujours l'objet aimé. L'homme jouit du bonheur qu'il ressent, et la femme de celui qu'elle procure. Cette différence, si essentielle et si peu remarquée, influe pourtant, d'une maniÚre bien sensible, sur la totalité de leur conduite respective. Le plaisir de l'un est de satisfaire des désirs, celui de l'autre est surtout de les faire naÃtre. Plaire n'est pour lui qu'un moyen de succÚs; tandis que pour elle, c'est le succÚs lui-mÃÂȘme. Et la coquetterie, si souvent reprochée aux femmes, n'est autre chose que l'abus de cette façon de sentir, et par là mÃÂȘme en prouve la réalité. Enfin, ce goût exclusif, qui caractérise particuliÚrement l'amour, n'est dans l'homme qu'une préférence, qui sert, au plus, à augmenter un plaisir, qu'un autre objet affaiblirait peut-ÃÂȘtre, mais ne détruirait pas; tandis que dans les femmes, c'est un sentiment profond, qui non seulement anéantit tout désir étranger, mais qui, plus fort que la nature, et soustrait à son empire, ne leur laisse éprouver que répugnance et dégoût, là mÃÂȘme oÃÂč semble devoir naÃtre la volupté. Et n'allez pas croire que des exceptions plus ou moins nombreuses, et qu'on peut citer, puissent s'opposer avec succÚs à ces vérités générales! Elles ont pour garant la voix publique, qui, pour les hommes seulement, a distingué l'infidélité de l'inconstance distinction dont ils se prévalent, quand ils devraient en ÃÂȘtre humiliés; et qui, pour notre sexe, n'a jamais été adoptée que par ces femmes dépravées qui en sont la honte, et à qui tout moyen paraÃt bon, qu'elles espÚrent pouvoir les sauver du sentiment pénible de leur bassesse. J'ai cru, ma chÚre Belle, qu'il pourrait vous ÃÂȘtre utile d'avoir ces réflexions à opposer aux idées chimériques d'un bonheur parfait dont l'amour ne manque jamais d'abuser notre imagination espoir trompeur, auquel on tient encore, mÃÂȘme alors qu'on se voit forcé de l'abandonner, et dont la perte irrite et multiplie les chagrins déjà trop réels, inséparables d'une passion vive! Cet emploi d'adoucir vos peines ou d'en diminuer le nombre est le seul que je veuille, que je puisse remplir en ce moment. Dans les maux sans remÚdes, les conseils ne peuvent plus porter que sur le régime. Ce que je vous demande seulement, c'est de vous souvenir que plaindre un malade, ce n'est pas le blùmer. Eh! qui sommes-nous, pour nous blùmer les uns les autres? Laissons le droit de juger à celui-là seul qui lit dans les cÅ“urs; et j'ose mÃÂȘme croire qu'à ses yeux paternels une foule de vertus peut racheter une faiblesse. Mais, je vous en conjure, ma chÚre amie, défendez-vous surtout de ces résolutions violentes, qui annoncent moins la force qu'un entier découragement n'oubliez pas qu'en rendant un autre possesseur de votre existence pour me servir de votre expression, vous n'avez pas pu cependant frustrer vos amis de ce qu'ils en possédaient à l'avance, et qu'ils ne cesseront jamais de réclamer. Adieu, ma chÚre fille; songez quelquefois à votre tendre mÚre et croyez que vous serez toujours, et par-dessus tout, l'objet de ses plus chÚres pensées. Du Chùteau de ..., ce 4 novembre 17**. LETTRE CXXXI LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT A la bonne heure, Vicomte, et je suis plus contente de vous cette fois-ci que l'autre; mais à présent, causons de bonne amitié et j'espÚre vous convaincre que, pour vous comme pour moi, l'arrangement que vous paraissez désirer serait une véritable folie. N'avez-vous pas encore remarqué que le plaisir, qui est bien en effet l'unique mobile de la réunion des deux sexes, ne suffit pourtant pas pour former une liaison entre eux? et que, s'il est précédé du désir qui rapproche, il n'est pas moins suivi du dégoût qui repousse? C'est une loi de la nature, que l'amour seul peut changer; et de l'amour, en a-t-on quand on veut? Il en faut pourtant toujours et cela serait vraiment fort embarrassant, si on ne s'était pas aperçu qu'heureusement il suffisait qu'il en existùt d'un cÎté. La difficulté est devenue par là de moitié moindre, et mÃÂȘme sans qu'il y ait eu beaucoup à perdre; en effet, l'un jouit du bonheur d'aimer, l'autre de celui de plaire, un peu moins vif à la vérité, mais auquel se joint le plaisir de tromper, ce qui fait équilibre; et tout s'arrange. Mais dites-moi, Vicomte, qui de nous deux se chargera de tromper l'autre? Vous savez l'histoire de ces deux fripons qui se reconnurent en jouant " Nous ne nous ferons rien, se dirent-ils, payons les cartes par moitié " ; et ils quittÚrent la partie. Suivons, croyez-moi, ce prudent exemple, et ne perdons pas ensemble un temps que nous pouvons si bien employer ailleurs. Pour vous prouver qu'ici votre intérÃÂȘt me décide autant que le mien, et que je n'agis ni par humeur, ni par caprice, je ne vous refuse pas le prix convenu entre nous je sens à merveille que pour une seule soirée nous nous suffirons de reste; et je ne doute mÃÂȘme pas que nous ne sachions assez l'embellir pour ne la voir finir qu'à regret. Mais n'oublions pas que ce regret est nécessaire au bonheur; et quelque douce que soit notre illusion, n'allons pas croire qu'elle puisse ÃÂȘtre durable. Vous voyez que je m'exécute à mon tour, et cela, sans que vous vous soyez encore mis en rÚgle avec moi; car enfin je devais avoir la premiÚre Lettre de la céleste Prude; et pourtant, soit que vous y teniez encore, soit que vous ayez oublié les conditions d'un marché qui vous intéresse peut-ÃÂȘtre moins que vous ne voulez me le faire croire, je n'ai rien reçu, absolument rien. Cependant, ou je me trompe, ou la tendre Dévote doit beaucoup écrire car que ferait-elle quand elle est seule? elle n'a sûrement pas le bon esprit de se distraire. J'aurais donc, si je voulais, quelques petits reproches à vous faire; mais je les passe sous silence, en compensation d'un peu d'humeur que j'ai eu peut-ÃÂȘtre dans ma derniÚre Lettre. A présent, Vicomte, il ne me reste plus qu'à vous faire une demande et elle est encore autant pour vous que pour moi c'est de différer un moment que je désire peut-ÃÂȘtre autant que vous, mais dont il me semble que l'époque doit ÃÂȘtre retardée jusqu'à mon retour à la Ville. D'une part, nous n'aurions pas ici la liberté nécessaire; et, de l'autre, j'y aurais quelque risque à courir car il ne faudrait qu'un peu de jalousie, pour me rattacher de plus belle ce triste Belleroche, qui pourtant ne tient plus qu'à un fil. Il en est déjà à se battre les flancs pour m'aimer; c'est au point qu'à présent je mets autant de malice que de prudence dans les caresses dont je le surcharge. Mais, en mÃÂȘme temps, vous voyez bien que ce ne serait pas là un sacrifice à vous faire! une infidélité réciproque rendra le charme bien plus piquant. Savez-vous que je regrette quelquefois que nous en soyons réduits à ces ressources! Dans le temps oÃÂč nous nous aimions, car je crois que c'était de l'amour, j'étais heureuse; et vous, Vicomte?... Mais pourquoi s'occuper encore d'un bonheur qui ne peut revenir? Non, quoi que vous en disiez, c'est un retour impossible. D'abord, j'exigerais des sacrifices que sûrement vous ne pourriez ou ne voudriez pas me faire, et qu'il se peut bien que je ne mérite pas; et puis, comment vous fixer? Oh! non, non, je ne veux seulement pas m'occuper de cette idée; et malgré le plaisir que je trouve en ce moment à vous écrire, j'aime mieux vous quitter brusquement. Adieu, Vicomte. Du Chùteau de ..., ce 6 novembre 17*'*. LETTRE CXXXII LA PRESIDENTE DE TOURVEL A MADAME DE ROSEMONDE Pénétrée, Madame, de vos bontés pour moi, je m'y livrerais tout entiÚre, si je n'étais retenue, en quelque sorte, par la crainte de les profaner en les acceptant. Pourquoi faut-il, quand je les vois si précieuses, que je sente en mÃÂȘme temps que je n'en suis plus digne? Ah! j'oserai du moins vous en témoigner ma reconnaissance; j'admirerai, surtout, cette indulgence de la vertu, qui ne connaÃt nos faiblesses que pour y compatir, et dont le charme puissant conserve sur les cÅ“urs un empire si doux et si fort, mÃÂȘme à cÎté du charme de l'amour. Mais puis-je mériter encore une amitié qui ne suffit plus à mon bonheur? Je dis de mÃÂȘme de vos conseils, j'en sens le prix et ne puis les suivre. Et comment ne croirais-je pas à un bonheur parfait, quand je l'éprouve en ce moment? Oui, si les hommes sont tels que vous le dites, il faut les fuir, ils sont haïssables; mais qu'alors Valmont est loin de leur ressembler! S'il a comme eux cette violence de passion, que vous nommez emportement, combien n'est-elle pas surpassée en lui par l'excÚs de sa délicatesse! Ô mon amie! vous me parlez de partager mes peines, jouissez donc de mon bonheur; je le dois à l'amour, et de combien encore l'objet en augmente le prix! Vous aimez votre neveu, dites-vous, peut-ÃÂȘtre avec faiblesse? ah! si vous le connaissiez comme moi! je l'aime avec idolùtrie, et bien moins encore qu'il ne le mérite. Il a pu sans doute ÃÂȘtre entraÃné dans quelques erreurs, il en convient lui-mÃÂȘme; mais qui jamais connut comme lui le véritable amour? Que puis-je vous dire de plus? il le ressent tel qu'il l'inspire. Vous allez croire que c'est là une de ces idées chimériques dont l'amour ne manque jamais d'abuser notre imagination ; mais dans ce cas, pourquoi serait-il devenu plus tendre, plus empressé, depuis qu'il n'a plus rien à obtenir? Je l'avouerai, je lui trouvais auparavant un air de réflexion, de réserve, qui l'abandonnait rarement et qui souvent me ramenait, malgré moi, aux fausses et cruelles impressions qu'on m'avait données de lui. Mais depuis qu'il peut se livrer sans contrainte aux mouvements de son cÅ“ur, il semble deviner tous les désirs du mien. Qui sait si nous n'étions pas nés l'un pour l'autre, si ce bonheur ne m'était pas réservé, d'ÃÂȘtre nécessaire au sien! Ah! si c'est une illusion, que je meure donc avant qu'elle finisse. Mais non; je veux vivre pour le chérir, pour l'adorer. Pourquoi cesserait-il de m'aimer? Quelle autre femme rendrait-il plus heureuse que moi? Et, je le sens par moi-mÃÂȘme, ce bonheur qu'on fait naÃtre, est le plus fort lien, le seul qui attache véritablement. Oui, c'est ce sentiment délicieux qui ennoblit l'amour, qui le purifie en quelque sorte, et le rend vraiment digne d'une ùme tendre et généreuse, telle que celle de Valmont. Adieu, ma chÚre, ma respectable, mon indulgente amie. Je voudrais en vain vous écrire plus longtemps; voici l'heure oÃÂč il a promis de venir, et toute autre idée m'abandonne. Pardon! mais vous voulez mon bonheur, et il est si grand dans ce moment que je suffis à peine à le sentir. Paris, ce 7 novembre 17**. LETTRE CXXXIII LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Quels sont donc, ma belle amie, ces sacrifices que vous jugez que je ne ferais pas, et dont pourtant le prix serait de vous plaire? Faites-les-moi connaÃtre seulement, et si je balance à vous les offrir, je vous permets d'en refuser l'hommage. Eh! comment me jugez-vous depuis quelque temps, si, mÃÂȘme dans votre indulgence, vous doutez de mes sentiments ou de mon énergie? Des sacrifices que je ne voudrais ou ne pourrais pas faire! Ainsi, vous me croyez amoureux, subjugué? et le prix que j'ai mis au succÚs, vous me soupçonnez de l'attacher à la personne? Ah! grùces au Ciel, je n'en suis pas encore réduit là , et je m'offre à vous le prouver. Oui, je vous le prouverai, quand mÃÂȘme ce devrait ÃÂȘtre envers Madame de Tourvel. Assurément, aprÚs cela, il ne doit pas vous rester de doute. J'ai pu, je crois, sans me compromettre, donner quelque temps à une femme, qui a au moins le mérite d'ÃÂȘtre d'un genre qu'on rencontre rarement. Peut-ÃÂȘtre aussi la saison morte dans laquelle est venue cette aventure m'a fait m'y livrer davantage; et encore à présent, qu'à peine le grand courant commence à reprendre, il n'est pas étonnant qu'elle m'occupe presque en entier. Mais songez donc qu'il n'y a guÚre que huit jours que je jouis du fruit de trois mois de soins. Je me suis si souvent arrÃÂȘté davantage à ce qui valait bien moins, et ne m'avait pas tant coûté!... et jamais vous n'en avez rien conclu contre moi. Et puis, voulez-vous savoir la véritable cause de l'empressement que j'y mets? la voici. Cette femme est naturellement timide; dans les premiers temps, elle doutait sans cesse de son bonheur, et ce doute suffisait pour le troubler en sorte que je commence à peine à pouvoir remarquer jusqu'oÃÂč va ma puissance en ce genre. C'est une chose que j'étais pourtant curieux de savoir; et l'occasion ne s'en trouve pas si facilement qu'on le croit. D'abord, pour beaucoup de femmes, le plaisir est toujours le plaisir et n'est jamais que cela; et auprÚs de celles-là , de quelque titre qu'on nous décore, nous ne sommes jamais que des facteurs, de simples commissionnaires, dont l'activité fait tout le mérite, et parmi lesquels, celui qui fait le plus est toujours celui qui fait le mieux. Dans une autre classe, peut-ÃÂȘtre la plus nombreuse aujourd'hui, la célébrité de l'Amant, le plaisir de l'avoir enlevé à une rivale, la crainte de se le voir enlever à son tour, occupent les femmes presque tout entiÚres nous entrons bien, plus ou moins, pour quelque chose dans l'espÚce de bonheur dont elles jouissent; mais il tient plus aux circonstances qu'à la personne. Il leur vient par nous, et non de nous. Il fallait donc trouver, pour mon observation, une femme délicate et sensible, qui fÃt son unique affaire de l'amour, et qui, dans l'amour mÃÂȘme, ne vÃt que son Amant; dont l'émotion, loin de suivre la route ordinaire, partÃt toujours du cÅ“ur, pour arriver aux sens; que j'ai vue par exemple et je ne parle pas du premier jour sortir du plaisir tout éplorée, et le moment d'aprÚs retrouver la volupté dans un mot qui répondait à son ùme. Enfin, il fallait qu'elle réunÃt encore cette candeur naturelle, devenue insurmontable par l'habitude de s'y livrer, et qui ne lui permet de dissimuler aucun des sentiments de son cÅ“ur. Or, vous en conviendrez, de telles femmes sont rares; et je puis croire que, sans celle-ci, je n'en aurais peut-ÃÂȘtre jamais rencontré. Il ne serait donc pas étonnant qu'elle me fixùt plus longtemps qu'une autre, et si le travail que je veux faire sur elle exige que je la rende heureuse, parfaitement heureuse! pourquoi m'y refuserais-je, surtout quand cela me sert, au lieu de me contrarier? Mais de ce que l'esprit est occupé, s'ensuit-il que le cÅ“ur soit esclave? non, sans doute. Aussi le prix que je ne me défends pas de mettre à cette aventure ne m'empÃÂȘchera pas d'en courir d'autres, ou mÃÂȘme de la sacrifier à de plus agréables. Je suis tellement libre, que je n'ai seulement pas négligé la petite Volanges, à laquelle pourtant je tiens si peu. Sa mÚre la ramÚne à la Ville dans trois jours; et moi, depuis hier, j'ai su assurer mes communications quelque argent au portier et quelques fleurettes à sa femme en ont fait l'affaire. Concevez-vous que Danceny n'ait pas su trouver ce moyen si simple? et puis, qu'on dise que l'amour rend ingénieux! il abrutit au contraire ceux qu'il domine. Et je ne saurais pas m'en défendre! Ah! soyez tranquille. Déjà je vais, sous peu de jours, affaiblir, en la partageant, l'impression peut-ÃÂȘtre trop vive que j'ai éprouvée; et si un simple partage ne suffit pas, je les multiplierai. Je n'en serai pas moins prÃÂȘt à remettre la jeune pensionnaire à son discret Amant, dÚs que vous le jugerez à propos. Il me semble que vous n'avez plus de raison pour l'en empÃÂȘcher; et moi, je consens à rendre ce service signalé au pauvre Danceny. C'est, en vérité, le moins que je lui doive pour tous ceux qu'il m'a rendus. Il est actuellement dans la grande inquiétude de savoir s'il sera reçu chez Madame de Volanges; je le calme le plus que je peux, en l'assurant que, de façon ou d'autre, je ferai son bonheur au premier jour et en attendant, je continue à me charger de la correspondance, qu'il veut reprendre à l'arrivée de sa Cécile . J'ai déjà six Lettres de lui, et j'en aurai bien encore une ou deux avant l'heureux jour. Il faut que ce garçon-là soit bien désÅ“uvré! Mais laissons ce couple enfantin, et revenons à nous; que je puisse m'occuper uniquement de l'espoir si doux que m'a donné votre Lettre. Oui, sans doute vous me fixerez, et je ne vous pardonnerais pas d'en douter. Ai-je donc jamais cessé d'ÃÂȘtre constant pour vous? Nos liens ont été dénoués, et non pas rompus; notre prétendue rupture ne fut qu'une erreur de notre imagination nos sentiments, nos intérÃÂȘts n'en sont pas moins restés unis. Semblable au voyageur, qui revient détrompé, je reconnaÃtrai comme lui que j'avais laissé le bonheur pour courir aprÚs l'espérance et je dirai comme d'Harcourt Plus je vis d'étrangers, plus j'aimai ma patrie [Du Belloi, Tragédie du SiÚge de Calais] Ne combattez donc plus l'idée ou plutÎt le sentiment qui vous ramÚne à moi; et aprÚs avoir essayé de tous les plaisirs dans nos courses différentes, jouissons du bonheur de sentir qu'aucun d'eux n'est comparable à celui que nous avions éprouvé, et que nous retrouverons plus délicieux encore! Adieu, ma charmante amie. Je consens à attendre votre retour mais pressez-le donc, et n'oubliez pas combien je le désire. Paris, ce 8 novembre 17**. LETTRE CXXXIV LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT En vérité, Vicomte, vous ÃÂȘtes bien comme les enfants, devant qui il ne faut rien dire, et à qui on ne peut rien montrer qu'ils ne veuillent s'en emparer aussitÎt! Une simple idée qui me vient, à laquelle mÃÂȘme je vous avertis que je ne veux pas m'arrÃÂȘter, parce que je vous en parle, vous en abusez pour y ramener mon attention; pour m'y fixer, quand je cherche à m'en distraire; et me faire, en quelque sorte, partager malgré moi vos désirs étourdis! Est-il donc généreux à vous de me laisser supporter seule tout le fardeau de la prudence? Je vous le redis, et me le répÚte plus souvent encore, l'arrangement que vous me proposez est réellement impossible. Quand vous y mettriez toute la générosité que vous me montrez en ce moment, croyez-vous que je n'aie pas aussi ma délicatesse, et que je veuille accepter des sacrifices qui nuiraient à votre bonheur? Or, est-il vrai, Vicomte, que vous vous faites illusion sur le sentiment qui vous attache à Madame de Tourvel? C'est de l'amour, ou il n'en exista jamais vous le niez bien de cent façons; mais vous le prouvez de mille. Qu'est-ce, par exemple, que ce subterfuge dont vous vous servez vis-à -vis de vous-mÃÂȘme car je vous crois sincÚre avec moi, qui vous fait rapporter à l'envie d'observer le désir que vous ne pouvez ni cacher ni combattre, de garder cette femme? Ne dirait-on pas que jamais vous n'en avez rendu une autre heureuse, parfaitement heureuse? Ah! si vous en doutez, vous avez bien peu de mémoire! Mais non, ce n'est pas cela. Tout simplement votre cÅ“ur abuse votre esprit, et le fait se payer de mauvaises raisons mais moi, qui ai un grand intérÃÂȘt à ne pas m'y tromper, je ne suis pas si facile à contenter. C'est ainsi qu'en remarquant votre politesse, qui vous a fait supprimer soigneusement tous les mots que vous vous ÃÂȘtes imaginé m'avoir déplu, j'ai vu cependant que, peut-ÃÂȘtre sans vous en apercevoir, vous n'en conserviez pas moins les mÃÂȘmes idées. En effet, ce n'est plus l'adorable, la céleste Madame de Tourvel, mais c'est une femme étonnante, une femme délicate et sensible , et cela, à l'exclusion de toutes les autres; une femme rare enfin , et telle qu'on n'en rencontrerait pas une seconde . Il en est de mÃÂȘme de ce charme inconnu qui n'est pas le plus fort . Hé bien! soit mais puisque vous ne l'aviez jamais trouvé jusque-là , il est bien à croire que vous ne le trouveriez pas davantage à l'avenir, et la perte que vous feriez n'en serait pas moins irréparable. Ou ce sont là , Vicomte, des symptÎmes assurés d'amour, ou il faut renoncer à en trouver aucun. Soyez assuré que, pour cette fois, je vous parle sans humeur. Je me suis promis de n'en plus prendre; j'ai trop bien reconnu qu'elle pouvait devenir un piÚge dangereux. Croyez-moi, ne soyons qu'amis, et restons-en là . Sachez- moi gré seulement de mon courage à me défendre oui, de mon courage; car il en faut quelquefois, mÃÂȘme pour ne pas prendre un parti qu'on sent ÃÂȘtre mauvais. Ce n'est donc plus que pour vous ramener à mon avis par persuasion que je vais répondre à la demande que vous me faites sur les sacrifices que j'exigerais et que vous ne pourriez pas faire. Je me sers à dessein de ce mot exiger , parce que je suis sûre que, dans un moment, vous m'allez en effet trouver trop exigeante; mais tant mieux! Loin de me fùcher de vos refus, je vous en remercierai. Tenez, ce n'est pas avec vous que je veux dissimuler, j'en ai peut-ÃÂȘtre besoin. J'exigerais donc, voyez la cruauté! que cette rare, cette étonnante Madame de Tourvel ne fût plus pour vous qu'une femme ordinaire, une femme telle qu'elle est seulement car il ne faut pas s'y tromper; ce charme qu'on croit trouver dans les autres, c'est en nous qu'il existe; et c'est l'amour seul qui embellit tant l'objet aimé. Ce que je vous demande là , tout impossible que cela soit, vous feriez peut-ÃÂȘtre bien l'effort de me le promettre, de me le jurer mÃÂȘme; mais, je l'avoue, je n'en croirais pas de vains discours. Je ne pourrais ÃÂȘtre persuadée que par l'ensemble de votre conduite. Ce n'est pas tout encore, je serais capricieuse. Ce sacrifice de la petite Cécile, que vous m'offrez de si bonne grùce, je ne m'en soucierais pas du tout. Je vous demanderais au contraire de continuer ce pénible service, jusqu'à nouvel ordre de ma part; soit que j'aimasse à abuser ainsi de mon empire; soit que, plus indulgente ou plus juste, il me suffÃt de disposer de vos sentiments, sans vouloir contrarier vos plaisirs. Quoi qu'il en soit, je voudrais ÃÂȘtre obéie; et mes ordres seraient bien rigoureux! Il est vrai qu'alors je me croirais obligée de vous remercier; que sait-on? peut- ÃÂȘtre mÃÂȘme de vous récompenser. Sûrement, par exemple, j'abrégerais une absence qui me deviendrait insupportable. Je vous reverrais enfin, Vicomte, et je vous reverrais... comment?... Mais vous vous souvenez que ceci n'est plus qu'une conversation, un simple récit d'un projet impossible, et je ne veux pas l'oublier toute seule... Savez-vous que mon procÚs m'inquiÚte un peu? J'ai voulu enfin connaÃtre au juste quels étaient mes moyens; mes Avocats me citent bien quelques Lois, et surtout beaucoup d'autorités , comme ils les appellent mais je n'y vois pas autant de raison et de justice. J'en suis presque à regretter d'avoir refusé l'accommodement. Cependant je me rassure en songeant que le Procureur est adroit, l'Avocat éloquent, et la Plaideuse jolie. Si ces trois moyens devaient ne plus valoir, il faudrait changer tout le train des affaires, et que deviendrait le respect pour les anciens usages? Ce procÚs est actuellement la seule chose qui me retienne ici. Celui de Belleroche est fini hors de Cour, dépens compensés. Il en est à regretter le bal de ce soir; c'est bien le regret d'un désÅ“uvré! Je lui rendrai sa liberté entiÚre, à mon retour à la Ville. Je lui fais ce douloureux sacrifice, et je m'en console par la générosité qu'il y trouve. Adieu, Vicomte, écrivez-moi souvent le détail de vos plaisirs me dédommagera au moins en partie des ennuis que j'éprouve. Du Chùteau de ..., ce 11 novembre 17**. LETTRE CXXXV LA PRESIDENTE DE TOURVEL A MADAME DE ROSEMONDE J'essaie de vous écrire, sans savoir encore si je le pourrai. Ah! Dieu, quand je songe qu'à ma derniÚre Lettre c'était l'excÚs de mon bonheur qui m'empÃÂȘchait de la continuer! C'est celui de mon désespoir qui m'accable à présent; qui ne me laisse de force que pour sentir mes douleurs, et m'Îte celles de les exprimer. Valmont... Valmont ne m'aime plus, il ne m'a jamais aimée. L'amour ne s'en va pas ainsi. Il me trompe, il me trahit, il m'outrage. Tout ce qu'on peut réunir d'infortunes, d'humiliations, je les éprouve, et c'est de lui qu'elles me viennent. Et ne croyez pas que ce soit un simple soupçon j'étais si loin d'en avoir! Je n'ai pas le bonheur de pouvoir douter. Je l'ai vu que pourrait-il me dire pour se justifier?... Mais que lui importe! il ne le tentera seulement pas... Malheureuse! que lui feront tes reproches et tes larmes? c'est bien de toi qu'il s'occupe!... Il est donc vrai qu'il m'a sacrifiée, livrée mÃÂȘme... et à qui?... une vile créature... Mais que dis-je? Ah! j'ai perdu jusqu'au droit de la mépriser. Elle a trahi moins de devoirs, elle est moins coupable que moi. Oh! que la peine est douloureuse quand elle s'appuie sur le remords! Je sens mes tourments qui redoublent. Adieu, ma chÚre amie; quelque indigne que je me sois rendue de votre pitié, vous en aurez cependant pour moi, si vous pouvez vous former l'idée de ce que je souffre. Je viens de relire ma Lettre, et je m'aperçois qu'elle ne peut vous instruire de rien; je vais donc tùcher d'avoir le courage de vous raconter ce cruel événement. C'était hier; je devais pour la premiÚre fois, depuis mon retour, souper hors de chez moi. Valmont vint me voir à cinq heures; jamais il ne m'avait paru si tendre. Il me fit connaÃtre que mon projet de sortir le contrariait, et vous jugez que j'eus bientÎt celui de rester chez moi. Cependant, deux heures aprÚs, et tout à coup, son air et son ton changÚrent sensiblement. Je ne sais s'il me sera échappé quelque chose qui aura pu lui déplaire; quoi qu'il en soit, peu de temps aprÚs, il prétendit se rappeler une affaire qui l'obligeait de me quitter, et il s'en alla ce ne fut pourtant pas sans m'avoir témoigné des regrets trÚs vifs, qui me parurent tendres, et qu'alors je crus sincÚres. Rendue à moi-mÃÂȘme, je jugeai plus convenable de ne pas me dispenser de mes premiers engagements, puisque j'étais libre de les remplir. Je finis ma toilette, et montai en voiture. Malheureusement mon Cocher me fit passer devant l'Opéra, et je me trouvai dans l'embarras de la sortie; j'aperçus à quatre pas devant moi, et dans la file à cÎté de la mienne, la voiture de Valmont. Le cÅ“ur me battit aussitÎt, mais ce n'était pas de crainte; et la seule idée qui m'occupait était le désir que ma voiture avançùt. Au lieu de cela, ce fut la sienne qui fut forcée de reculer, et qui se trouva à cÎté de la mienne. Je m'avançai sur-le-champ quel fut mon étonnement de trouver à ses cÎtés une fille, bien connue pour telle! Je me retirai, comme vous pouvez penser, et c'en était déjà bien assez pour navrer mon cÅ“ur mais ce que vous aurez peine à croire, c'est que cette mÃÂȘme fille apparemment instruite par une odieuse confidence, n'a pas quitté la portiÚre de la voiture, ni cessé de me regarder, avec des éclats de rire à faire scÚne. Dans l'anéantissement oÃÂč j'en fus, je me laissai pourtant conduire dans la maison oÃÂč je devais souper mais il me fut impossible d'y rester; je me sentais, à chaque instant, prÃÂȘte à m'évanouir, et surtout je ne pouvais retenir mes larmes. En rentrant, j'écrivis à M. de Valmont, et lui envoyai ma Lettre aussitÎt; il n'était pas chez lui. Voulant, à quelque prix que ce fût, sortir de cet état de mort, ou le confirmer à jamais, je renvoyai avec ordre de l'attendre mais avant minuit mon Domestique revint, en me disant que le Cocher, qui était de retour, lui avait dit que son MaÃtre ne rentrerait pas de la nuit. J'ai cru ce matin n'avoir plus autre chose à faire qu'à lui redemander mes Lettres, et le prier de ne plus revenir chez moi. J'ai en effet donné des ordres en conséquence; mais sans doute, ils étaient inutiles. Il est prÚs de midi; il ne s'est point encore présenté, et je n'ai pas mÃÂȘme reçu un mot de lui. A présent, ma chÚre amie, je n'ai plus rien à ajouter vous voilà instruite, et vous connaissez mon cÅ“ur. Mon seul espoir est de n'avoir pas longtemps encore à affliger votre sensible amitié. Paris, ce 15 novembre 17**. LETTRE CXXXVI LA PRESIDENTE DE TOURVEL AU VICOMTE DE VALMONT Sans doute, Monsieur, aprÚs ce qui s'est passé hier, vous ne vous attendez plus à ÃÂȘtre reçu chez moi, et sans doute aussi vous le désirez fort peu! Ce billet a donc moins pour objet de vous prier de n'y plus venir, que de vous redemander des Lettres qui n'auraient jamais dû exister; et qui, si elles ont pu vous intéresser un moment, comme des preuves de l'aveuglement que vous aviez fait naÃtre, ne peuvent que vous ÃÂȘtre indifférentes à présent qu'il est dissipé, et qu'elles n'expriment plus qu'un sentiment que vous avez détruit. Je reconnais et j'avoue que j'ai eu tort de prendre en vous une confiance dont tant d'autres avant moi avaient été les victimes; en cela je n'accuse que moi seule mais je croyais au moins n'avoir pas mérité d'ÃÂȘtre livrée, par vous, au mépris et à l'insulte. Je croyais qu'en vous sacrifiant tout, et perdant pour vous seul mes droits à l'estime des autres et à la mienne, je pouvais m'attendre cependant à ne pas ÃÂȘtre jugée par vous plus sévÚrement que par le public, dont l'opinion sépare encore, par un immense intervalle, la femme faible de la femme dépravée. Ces torts, qui seraient ceux de tout le monde, sont les seuls dont je vous parle. Je me tais sur ceux de l'amour; votre cÅ“ur n'entendrait pas le mien. Adieu, Monsieur. Paris, ce 15 novembre 17**. LETTRE CXXXVII LE VICOMTE DE VALMONT A LA PRESIDENTE DE TOURVEL On vient seulement, Madame, de me rendre votre Lettre; j'ai frémi en la lisant, et elle me laisse à peine la force d'y répondre. Quelle affreuse idée avez-vous donc de moi! Ah! sans doute, j'ai des torts; et tels que je ne me les pardonnerai de ma vie, quand mÃÂȘme vous les couvririez de votre indulgence. Mais que ceux que vous me reprochez ont toujours été loin de mon ùme! Qui, moi! vous humilier! vous avilir! quand je vous respecte autant que je vous chéris; quand je n'ai connu l'orgueil que du moment oÃÂč vous m'avez jugé digne de vous. Les apparences vous ont déçue; et je conviens qu'elles ont pu ÃÂȘtre contre moi mais n'aviez-vous donc pas dans votre cÅ“ur ce qu'il fallait pour les combattre? et ne s'est-il pas révolté à la seule idée qu'il pouvait avoir à se plaindre du mien? Vous l'avez cru cependant! Ainsi, non seulement vous m'avez jugé capable de ce délire atroce, mais vous avez mÃÂȘme craint de vous y ÃÂȘtre exposée par vos bontés pour moi. Ah! si vous vous trouvez dégradée à ce point par votre amour, je suis donc moi-mÃÂȘme bien vil à vos yeux? Oppressé par le sentiment douloureux que cette idée me cause, je perds à la repousser le temps que je devrais employer à la détruire. J'avouerai tout; une autre considération me retient encore. Faut-il donc retracer des faits que je voudrais anéantir et fixer votre attention et la mienne sur un moment d'erreur que je voudrais racheter du reste de ma vie, dont je suis encore à concevoir la cause, et dont le souvenir doit faire à jamais mon humiliation et mon désespoir? Ah! si, en m'accusant, je dois exciter votre colÚre, vous n'aurez pas au moins à chercher loin votre vengeance; il vous suffira de me livrer à mes remords. Cependant, qui le croirait? cet événement a pour premiÚre cause le charme tout-puissant que j'éprouve auprÚs de vous. Ce fut lui qui me fit oublier trop longtemps une affaire importante, et qui ne pouvait se remettre. Je vous quittai trop tard, et ne trouvai plus la personne que j'allais chercher. J'espérais la rejoindre à l'Opéra, et ma démarche fut pareillement infructueuse. Emilie que j'y trouvai, que j'ai connue dans un temps oÃÂč j'étais bien loin de connaÃtre ni vous ni l'amour. Emilie n'avait pas sa voiture, et me demanda de la remettre chez elle à quatre pas de là . Je n'y vis aucune conséquence, et j'y consentis. Mais ce fut alors que je vous rencontrai; et je sentis sur-le-champ que vous seriez portée à me juger coupable. La crainte de vous déplaire ou de vous affliger est si puissante sur moi, qu'elle dut ÃÂȘtre et fut en effet bientÎt remarquée. J'avoue mÃÂȘme qu'elle me fit tenter d'engager cette fille à ne pas se montrer; cette précaution de la délicatesse a tourné contre l'amour. Accoutumée, comme toutes celles de son état, à n'ÃÂȘtre sûre d'un empire toujours usurpé que par l'abus qu'elles se permettent d'en faire. Emilie se garda bien d'en laisser échapper une occasion si éclatante. Plus elle voyait mon embarras s'accroÃtre, plus elle affectait de se montrer; et sa folle gaieté, dont je rougis que vous ayez pu un moment vous croire l'objet, n'avait de cause que la peine cruelle que je ressentais, qui elle-mÃÂȘme venait encore de mon respect et de mon amour. Jusque-là , sans doute, je suis plus malheureux que coupable; et ces torts, qui seraient ceux de tout le monde, et les seuls dont vous me parlez, ces torts n'existant pas, ne peuvent m'ÃÂȘtre reprochés. Mais vous vous taisez en vain sur ceux de l'amour je ne garderai pas sur eux le mÃÂȘme silence; un trop grand intérÃÂȘt m'oblige à le rompre. Ce n'est pas que, dans la confusion oÃÂč je suis de cet inconcevable égarement, je puisse, sans une extrÃÂȘme douleur, prendre sur moi d'en rappeler le souvenir. Pénétré de mes torts, je consentirais à en porter la peine, ou j'attendrais mon pardon du temps, de mon éternelle tendresse et de mon repentir. Mais comment pouvoir me taire, quand ce qui me reste à vous dire importe à votre délicatesse? Ne croyez pas que je cherche un détour pour excuser ou pallier ma faute; je m'avoue coupable. Mais je n'avoue point, je n'avouerai jamais que cette erreur humiliante puisse ÃÂȘtre regardée comme un tort de l'amour. Eh! que peut-il y avoir de commun entre une surprise des sens, entre un moment d'oubli de soi-mÃÂȘme, que suivent bientÎt la honte et le regret, et un sentiment pur, qui ne peut naÃtre que dans une ùme délicate et s'y soutenir que par l'estime, et dont enfin le bonheur est le fruit! Ah! ne profanez pas ainsi l'amour. Craignez surtout de vous profaner vous-mÃÂȘme, en réunissant sous un mÃÂȘme point de vue ce qui jamais ne peut se confondre. Laissez les femmes viles et dégradées redouter une rivalité qu'elles sentent malgré elles pouvoir s'établir, et éprouver les tourments d'une jalousie également cruelle et humiliante mais, vous, détournez vos yeux de ces objets qui souilleraient vos regards; et pure comme la Divinité, comme elle aussi punissez l'offense sans la ressentir. Mais quelle peine m'imposerez-vous, qui me soit plus douloureuse que celle que je ressens? qui puisse ÃÂȘtre comparée au regret de vous avoir déplu, au désespoir de vous avoir affligée, à l'idée accablante de m'ÃÂȘtre rendu moins digne de vous? Vous vous occupez de punir! et moi, je vous demande des consolations non que je les mérite; mais parce qu'elles me sont nécessaires, et qu'elles ne peuvent me venir que de vous. Si, tout à coup, oubliant mon amour et le vÎtre, et ne mettant plus de prix à mon bonheur, vous voulez au contraire me livrer à une douleur éternelle, vous en avez le droit frappez; mais si, plus indulgente, ou plus sensible, vous vous rappelez encore ces sentiments si tendres qui unissaient nos cÅ“urs; cette volupté de l'ùme, toujours renaissante et toujours plus vivement sentie; ces jours si doux, si fortunés que chacun de nous devait à l'autre; tous ces biens de l'amour et que lui seul procure! peut-ÃÂȘtre préférerez-vous le pouvoir de les faire renaÃtre à celui de les détruire. Que vous dirai-je enfin? j'ai tout perdu, et tout perdu par ma faute; mais je puis tout recouvrer par vos bienfaits. C'est à vous à décider maintenant. Je n'ajoute plus qu'un mot. Hier encore vous me juriez que mon bonheur était bien sûr tant qu'il dépendrait de vous! Ah! Madame, me livrerez-vous aujourd'hui à un désespoir éternel? Paris, ce 15 novembre 17**. LETTRE CXXXVIII LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Je persiste, ma belle amie non, je ne suis point amoureux; et ce n'est pas ma faute, si les circonstances me forcent d'en jouer le rÎle. Consentez seulement; et revenez; vous verrez bientÎt par vous-mÃÂȘme combien je suis sincÚre. J'ai fait mes preuves hier, et elles ne peuvent ÃÂȘtre détruites par ce qui se passe aujourd'hui. J'étais donc chez la tendre Prude, et j'y étais bien sans aucune autre affaire car la petite Volanges, malgré son état, devait passer toute la nuit au bal précoce de Madame V***. Le désÅ“uvrement m'avait fait désirer d'abord de prolonger cette soirée; et j'avais mÃÂȘme, à ce sujet, exigé un petit sacrifice; mais à peine fut-il accordé, que le plaisir que je me promettais fut troublé par l'idée de cet amour que vous vous obstinez à me croire, ou au moins à me reprocher; en sorte que je n'éprouvai plus d'autre désir que celui de pouvoir à la fois m'assurer et vous convaincre que c'était de votre part pure calomnie. Je pris donc un parti violent; et sous un prétexte assez léger je laissai là ma Belle, toute surprise et sans doute encore plus affligée. Mais moi, j'allai tranquillement joindre Emilie à l'Opéra; et elle pourrait vous rendre compte que, jusqu'à ce matin que nous nous sommes séparés, aucun regret n'a troublé nos plaisirs. J'avais pourtant un assez beau sujet d'inquiétude si ma parfaite indifférence ne m'en avait sauvé car vous saurez que j'étais à peine à quatre maisons de l'Opéra, et ayant Emilie dans ma voiture, que celle de l'austÚre Dévote vint exactement ranger la mienne, et qu'un embarras survenu nous laissa prÚs d'un demi-quart d'heure à cÎté l'un de l'autre. On se voyait comme à midi, et il n'y avait pas moyen d'échapper. Mais ce n'est pas tout; je m'avisai de confier à Emilie que c'était la femme à la Lettre. Vous vous rappellerez peut-ÃÂȘtre cette folie-là , et qu'Emilie était le pupitre [Lettres XLVII et XLVIII]. Elle qui ne l'avait pas oubliée, et qui est rieuse, n'eut de cesse qu'elle n'eût considéré tout à son aise cette vertu , disait-elle, et cela, avec des éclats de rire d'un scandale à en donner de l'humeur. Ce n'est pas tout encore; la jalouse femme n'envoya-t-elle pas, chez moi, dÚs le soir mÃÂȘme? Je n'y étais pas mais, dans son obstination, elle y envoya une seconde fois, avec ordre de m'attendre. Moi, dÚs que j'avais été décidé à rester chez Emilie, j'avais renvoyé ma voiture, sans autre ordre au Cocher que de venir me reprendre ce matin; et comme en arrivant chez moi, il y trouva l'amoureux Messager, il crut tout simple de lui dire que je ne rentrerais pas de la nuit. Vous devinez bien l'effet de cette nouvelle, et qu'à mon retour j'ai trouvé mon congé signifié avec toute la dignité que comportait la circonstance. Ainsi cette aventure, interminable selon vous, aurait pu, comme vous voyez, ÃÂȘtre finie de ce matin; si mÃÂȘme elle ne l'est pas, ce n'est point, comme vous l'allez croire, que je mette du prix à la continuer c'est que, d'une part, je n'ai pas trouvé décent de me laisser quitter; et, de l'autre, que j'ai voulu vous réserver l'honneur de ce sacrifice. J'ai donc répondu au sévÚre billet par une grande épÃtre de sentiments; j'ai donné de longues raisons, et je me suis reposé sur l'amour du soin de les faire trouver bonnes. J'ai déjà réussi. Je viens de recevoir un second billet, toujours bien rigoureux, et qui confirme l'éternelle rupture, comme cela devait ÃÂȘtre; mais dont le ton n'est pourtant plus le mÃÂȘme. Surtout, on ne veut plus me voir ce parti pris y est annoncé quatre fois de la maniÚre la plus irrévocable. J'en ai conclu qu'il n'y avait pas un moment à perdre pour me présenter. J'ai déjà envoyé mon Chasseur, pour s'emparer du Suisse; et dans un moment, j'irai moi-mÃÂȘme faire signer mon pardon car dans les torts de cette espÚce, il n'y a qu'une seule formule qui porte absolution générale, et celle-là ne s'expédie qu'en présence. Adieu, ma charmante amie; je cours tenter ce grand événement. Paris, ce 15 novembre 17**. LETTRE CXXXIX LA PRESIDENTE DE TOURVEL A MADAME DE ROSEMONDE Que je me reproche, ma sensible amie, de vous avoir parlé trop et trop tÎt de mes peines passagÚres! je suis cause que vous vous affligez à présent; ces chagrins qui vous viennent de moi durent encore, et moi, je suis heureuse. Oui, tout est oublié, pardonné; disons mieux, tout est réparé. A cet état de douleur et d'angoisses, ont succédé le calme et les délices. Ô joie de mon cÅ“ur, comment vous exprimer! Valmont est innocent; on n'est point coupable avec autant d'amour. Ces torts graves, offensants que je lui reprochais avec tant d'amertume, il ne les avait pas et si, sur un seul point, j'ai eu besoin d'indulgence, n'avais-je donc pas aussi mes injustices à réparer? Je ne vous ferai point le détail des faits ou des raisons qui le justifient; peut- ÃÂȘtre mÃÂȘme l'esprit les apprécierait mal c'est au cÅ“ur seul qu'il appartient de les sentir. Si pourtant vous deviez me soupçonner de faiblesse, j'appellerais votre jugement à l'appui du mien. Pour les hommes, dites-vous vous-mÃÂȘme, l'infidélité n'est pas l'inconstance. Ce n'est pas que je ne sente que cette distinction, qu'en vain l'opinion autorise, n'en blesse pas moins la délicatesse mais de quoi se plaindrait la mienne, quand celle de Valmont en souffre plus encore? Ce mÃÂȘme tort que j'oublie, ne croyez pas qu'il se le pardonne ou s'en console; et pourtant, combien n'a-t-il pas réparé cette légÚre faute par l'excÚs de son amour et celui de mon bonheur! Ou ma félicité est plus grande, ou j'en sens mieux le prix depuis que j'ai craint de l'avoir perdue mais ce que je puis vous dire, c'est que, si je me sentais la force de supporter encore des chagrins aussi cruels que ceux que je viens d'éprouver, je ne croirais pas en acheter trop cher le surcroÃt de bonheur que j'ai goûté depuis. Ô ma tendre mÚre, grondez votre fille inconsidérée de vous avoir affligée par trop de précipitation; grondez-la d'avoir jugé témérairement et calomnié celui qu'elle ne devait pas cesser d'adorer; mais en la reconnaissant imprudente, voyez-la heureuse, et augmentez sa joie en la partageant. Paris, ce 16 novembre 17**, au soir. LETTRE CXL LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL . Comment donc se fait-il, ma belle amie, que je ne reçoive point de réponse de vous? Ma derniÚre Lettre pourtant me paraissait en mériter une; et depuis trois jours que je devrais l'avoir reçue, je l'attends encore! Je suis fùché au moins; aussi ne vous parlerai-je pas du tout de mes grandes affaires. Que le raccommodement ait eu son plein effet; qu'au lieu de reproches et de méfiance, il n'ait produit que de nouvelles tendresses; que ce soit moi actuellement qui reçoive les excuses et les réparations dues à ma candeur soupçonnée; je ne vous en dirai mot et sans l'événement imprévu de la nuit derniÚre, je ne vous écrirais pas du tout. Mais comme celui-là regarde votre Pupille, et que vraisemblablement elle ne sera pas dans le cas de vous en informer elle-mÃÂȘme, au moins de quelque temps, je me charge de ce soin. Par des raisons que vous devinerez, ou que vous ne devinerez pas, Madame de Tourvel ne m'occupait plus depuis quelques jours, et comme ces raisons-là ne pouvaient exister chez la petite Volanges, j'en étais devenu plus assidu auprÚs d'elle. Grùce à l'obligeant Portier, je n'avais aucun obstacle à vaincre et nous menions, votre Pupille et moi, une vie commode et bien réglée. Mais l'habitude amÚne la négligence les premiers jours nous n'avions jamais pris assez de précautions pour notre sûreté, nous tremblions encore derriÚre les verrous. Hier, une incroyable distraction a causé l'accident dont j'ai à vous instruire; et si, pour mon compte, j'en ai été quitte pour la peur, il en coûte plus cher à la petite fille. Nous ne dormions pas, mais nous étions dans le repos et l'abandon qui suivent la volupté, quand nous avons entendu la porte de la chambre s'ouvrir tout à coup. AussitÎt je saute à mon épée, tant pour ma défense que pour celle de notre commune Pupille; je m'avance et ne vois personne mais en effet la porte était ouverte. Comme nous avions de la lumiÚre, j'ai été à la recherche, et n'ai trouvé ùme qui vive. Alors je me suis rappelé que nous avions oublié nos précautions ordinaires; et sans doute la porte poussée seulement, ou mal fermée, s'était ouverte d'elle-mÃÂȘme. En allant rejoindre ma timide compagne pour la tranquilliser, je ne l'ai plus trouvée dans son lit; elle était tombée, ou s'était sauvée dans sa ruelle enfin, elle y était étendue sans connaissance, et sans autre mouvement que d'assez fortes convulsions. Jugez de mon embarras! Je parvins pourtant à la remettre dans son lit, et mÃÂȘme à la faire revenir; mais elle s'était blessée dans sa chute, et elle ne tarda pas à en ressentir les effets. Des maux de reins, de violentes coliques, des symptÎmes moins équivoques encore, m'ont eu bientÎt éclairé sur son état mais, pour le lui apprendre, il a fallu lui dire d'abord celui oÃÂč elle était auparavant; car elle ne s'en doutait pas. Jamais peut-ÃÂȘtre, jusqu'à elle, on n'avait conservé tant d'innocence, en faisant si bien tout ce qu'il fallait pour s'en défaire! Oh! celle-là ne perd pas son temps à réfléchir! Mais elle en perdait beaucoup à se désoler, et je sentais qu'il fallait prendre un parti. Je suis donc convenu avec elle que j'irais sur-le-champ chez le Médecin et le Chirurgien de la maison, et qu'en les prévenant qu'on allait venir les chercher, je leur confierais le tout, sous le secret; qu'elle, de son cÎté, sonnerait sa Femme de chambre; qu'elle lui ferait ou ne lui ferait pas sa confidence, comme elle voudrait; mais qu'elle enverrait chercher du secours, et défendrait surtout qu'on réveillùt Madame de Volanges attention délicate et naturelle d'une fille qui craint d'inquiéter sa mÚre. J'ai fait mes deux courses et mes deux confessions le plus lestement que j'ai pu, et de là , je suis rentré chez moi, d'oÃÂč je ne suis pas encore sorti; mais le Chirurgien, que je connaissais d'ailleurs, est venu à midi me rendre compte de l'état de la malade. Je ne m'étais pas trompé; mais il espÚre que, s'il ne survient pas d'accident, on ne s'apercevra de rien dans la maison. La Femme de chambre est du secret; le Médecin a donné un nom à la maladie; et cette affaire s'arrangera comme mille autres, à moins que par la suite il ne nous soit utile qu'on en parle. Mais y a-t-il encore quelque intérÃÂȘt commun entre vous et moi? Votre silence m'en ferait douter; je n'y croirais mÃÂȘme plus du tout, si le désir que j'en ai ne me faisait chercher tous les moyens d'en conserver l'espoir. Adieu, ma belle amie; je vous embrasse, rancune tenante. Paris, ce 21 novembre 17**. LETTRE CXLI LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT Mon Dieu, Vicomte, que vous me gÃÂȘnez par votre obstination! Que vous importe mon silence? croyez-vous, si je le garde, que ce soit faute de raisons pour me défendre? Ah! plût à Dieu! Mais non, c'est seulement qu'il m'en coûte de vous les dire. Parlez-moi vrai; vous faites-vous illusion à vous-mÃÂȘme, ou cherchez-vous à me tromper? la différence entre vos discours et vos actions ne me laisse de choix qu'entre ces deux sentiments lequel est le véritable? Que voulez-vous donc que je vous dise, quand moi-mÃÂȘme je ne sais que penser? Vous paraissez vous faire un grand mérite de votre derniÚre scÚne avec la Présidente; mais qu'est-ce donc qu'elle prouve pour votre systÚme, ou contre le mien? Assurément je ne vous ai jamais dit que vous aimiez assez cette femme pour ne pas la tromper, pour n'en pas saisir toutes les occasions qui vous paraÃtraient agréables ou faciles; je ne doutais mÃÂȘme pas qu'il ne vous fût à peu prÚs égal de satisfaire avec une autre avec la premiÚre venue jusqu'aux désirs que celle-ci seule aurait fait naÃtre; et je ne suis pas surprise que, pour un libertinage d'esprit qu'on aurait tort de vous disputer, vous ayez fait une fois par projet ce que vous aviez fait mille autres par occasion. Qui ne sait que c'est là le simple courant du monde, et votre usage à tous, tant que vous ÃÂȘtes, depuis le scélérat jusqu'aux espÚces ? Celui qui s'en abstient aujourd'hui passe pour romanesque, et ce n'est pas là , je crois, le défaut que je vous reproche. Mais ce que j'ai dit, ce que j'ai pensé, ce que je pense encore, c'est que vous n'en avez pas moins de l'amour pour votre Présidente; non pas, à la vérité, de l'amour bien pur ni bien tendre, mais de celui que vous pouvez avoir; de celui, par exemple, qui fait trouver à une femme les agréments ou les qualités qu'elle n'a pas; qui la place dans une classe à part, et met toutes les autres en second ordre; qui vous tient encore attaché à elle, mÃÂȘme alors que vous l'outragez; tel enfin que je conçois qu'un Sultan peut le ressentir pour sa Sultane favorite, ce qui ne l'empÃÂȘche pas de lui préférer souvent une simple Odalisque. Ma comparaison me paraÃt d'autant plus juste que, comme lui, jamais vous n'ÃÂȘtes ni l'Amant ni l'ami d'une femme; mais toujours son tyran ou son esclave. Aussi suis-je bien sûre que vous vous ÃÂȘtes bien humilié, bien avili, pour rentrer en grùce avec ce bel objet! et trop heureux d'y ÃÂȘtre parvenu, dÚs que vous croyez le moment arrivé d'obtenir votre pardon, vous me quittez pour ce grand événement . Encore dans votre derniÚre Lettre, si vous ne m'y parlez pas de cette femme uniquement, c'est que vous ne voulez m'y rien dire de vos grandes affaires ; elles vous semblent si importantes que le silence que vous gardez à ce sujet vous semble une punition pour moi. Et c'est aprÚs ces mille preuves de votre préférence décidée pour une autre que vous me demandez tranquillement s'il y a encore quelque intérÃÂȘt commun entre vous et moi ? Prenez-y garde, Vicomte! si une fois je réponds, ma réponse sera irrévocable; et craindre de la faire en ce moment, c'est peut-ÃÂȘtre déjà en dire trop. Aussi je n'en veux absolument plus parler. Tout ce que je peux faire, c'est de vous raconter une histoire. Peut-ÃÂȘtre n'aurez-vous pas le temps de la lire, ou celui d'y faire assez attention pour la bien entendre? libre à vous. Ce ne sera, au pis aller, qu'une histoire de perdue. Un homme de ma connaissance s'était empÃÂȘtré, comme vous, d'une femme qui lui faisait peu d'honneur. Il avait bien, par intervalles, le bon esprit de sentir que, tÎt ou tard, cette aventure lui ferait tort mais quoiqu'il en rougÃt, il n'avait pas le courage de rompre. Son embarras était d'autant plus grand qu'il s'était vanté à ses amis d'ÃÂȘtre entiÚrement libre; et qu'il n'ignorait pas que le ridicule qu'on a augmente toujours en proportion qu'on s'en défend. Il passait ainsi sa vie, ne cessant de faire des sottises, et ne cessant de dire aprÚs Ce n'est pas ma faute. Cet homme avait une amie qui fut tentée un moment de le livrer au Public en cet état d'ivresse, et de rendre ainsi son ridicule ineffaçable; mais pourtant, plus généreuse que maligne, ou peut-ÃÂȘtre encore par quelque autre motif, elle voulut tenter un dernier moyen, pour ÃÂȘtre, à tout événement, dans le cas de dire comme son ami Ce n'est pas ma faute . Elle lui fit donc parvenir sans aucun autre avis la Lettre qui suit, comme un remÚde dont l'usage pourrait ÃÂȘtre utile à son mal. " On s'ennuie de tout, mon Ange, c'est une Loi de la Nature; ce n'est pas ma faute. " " Si donc je m'ennuie aujourd'hui d'une aventure qui m'a occupé entiÚrement depuis quatre mortels mois, ce n'est pas ma faute. " " Si, par exemple, j'ai eu juste autant d'amour que toi de vertu, et c'est sûrement beaucoup dire, il n'est pas étonnant que l'un ait fini en mÃÂȘme temps que l'autre. Ce n'est pas ma faute. " " Il suit de là que depuis quelque temps je t'ai trompée mais aussi, ton impitoyable tendresse m'y forçait en quelque sorte! Ce n'est pas ma faute. " " Aujourd'hui, une femme que j'aime éperdument exige que je te sacrifie. Ce n'est pas ma faute. " " Je sens bien que voilà une belle occasion de crier au parjure mais si la Nature n'a accordé aux hommes que la constance, tandis qu'elle donnait aux femmes l'obstination, ce n'est pas ma faute. " " Crois-moi, choisis un autre Amant, comme j'ai fait une autre MaÃtresse. Ce conseil est bon, trÚs bon; si tu le trouves mauvais, ce n'est pas ma faute. " " Adieu, mon Ange, je t'ai prise avec plaisir, je te quitte sans regret je te reviendrai peut-ÃÂȘtre. Ainsi va le monde. Ce n'est pas ma faute. " De vous dire, Vicomte, l'effet de cette derniÚre tentative, et ce qui s'en est suivi, ce n'est pas le moment mais je vous promets de vous le dire dans ma premiÚre Lettre. Vous y trouverez aussi mon ultimatum sur le renouvellement du traité que vous me proposez. Jusque-là , adieu tout simplement... A propos, je vous remercie de vos détails sur la petite Volanges; c'est un article à réserver jusqu'au lendemain du mariage, pour la Gazette de médisance. En attendant, je vous fais mon compliment de condoléances sur la perte de votre postérité. Bonsoir, Vicomte. Du Chùteau de ..., ce 24 novembre 17**. LETTRE CXLII LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Ma foi, ma belle amie, je ne sais si j'ai mal lu ou. mal entendu, et votre Lettre, et l'histoire que vous m'y faites, et le petit modÚle épistolaire qui y était compris. Ce que je puis vous dire, c'est que ce dernier m'a paru original et propre à faire de l'effet aussi je l'ai copié tout simplement, et tout simplement encore je l'ai envoyé à la céleste Présidente. Je n'ai pas perdu un moment, car la tendre missive a été expédiée dÚs hier au soir. Je l'ai préféré ainsi, parce que d'abord je lui avais promis de lui écrire hier; et puis aussi, parce que j'ai pensé qu'elle n'aurait pas trop de toute la nuit, pour se recueillir et méditer sur ce grand événement , dussiez-vous une seconde fois me reprocher l'expression. J'espérais pouvoir vous renvoyer ce matin la réponse de ma bien-aimée mais il est prÚs de midi, et je n'ai encore rien reçu. J'attendrai jusqu'à trois heures; et si alors je n'ai pas eu de nouvelles, j'irai en chercher moi-mÃÂȘme; car, surtout en fait de procédés, il n'y a que le premier pas qui coûte. A présent, comme vous pouvez croire, je suis fort empressé d'apprendre la fin de l'histoire de cet homme de votre connaissance, si. véhémentement soupçonné de ne savoir pas, au besoin, sacrifier une femme. Ne se sera-t-il pas corrigé? et sa généreuse amie ne lui aura-t-elle pas fait grùce? Je ne désire pas moins de recevoir votre ultimatum comme vous dites si politiquement! Je suis curieux, surtout, de savoir si, dans cette derniÚre démarche, vous trouverez encore de l'amour. Ah! sans doute, il y en a, et beaucoup! Mais pour qui? Cependant, je ne prétends rien faire valoir, et j'attends tout de vos bontés. Adieu, ma charmante amie, je ne fermerai cette Lettre qu'à deux heures, dans l'espoir de pouvoir y joindre la réponse désirée. A deux heures aprÚs-midi. Toujours rien, l'heure me presse beaucoup; je n'ai pas le temps d'ajouter un mot mais cette fois, refuserez-vous encore les plus tendres baisers de l'amour? Paris, ce 27 novembre 17**. LETTRE CXLIII LA PRESIDENTE DE TOURVEL A MADAME DE ROSEMONDE Le voile est déchiré, Madame, sur lequel était peinte l'illusion de mon bonheur. La funeste vérité m'éclaire, et ne me laisse voir qu'une mort assurée et prochaine, dont la route m'est tracée entre la honte et le remords. Je la suivrai... je chérirai mes tourments s'ils abrÚgent mon existence. Je vous envoie la Lettre que j'ai reçue hier; je n'y joindrai aucune réflexion, elle les porte avec elle. Ce n'est plus le temps de se plaindre, il n'y a plus qu'à souffrir. Ce n'est pas de pitié que j'ai besoin, c'est de force. Recevez, Madame, le seul adieu que je ferai, et exaucez ma derniÚre priÚre; c'est de me laisser à mon sort, de m'oublier entiÚrement, de ne plus me compter sur la terre. Il est un terme dans le malheur, oÃÂč l'amitié mÃÂȘme augmente nos souffrances et ne peut les guérir. Quand les blessures sont mortelles, tout secours devient inhumain. Tout autre sentiment m'est étranger, que celui du désespoir. Rien ne peut plus me convenir que la nuit profonde oÃÂč je vais ensevelir ma honte. J'y pleurerai mes fautes, si je puis pleurer encore! car, depuis hier, je n'ai pas versé une larme. Mon cÅ“ur flétri n'en fournit plus. Adieu, Madame. Ne me répondez point. J'ai fait le serment sur cette Lettre cruelle de n'en plus recevoir aucune. Paris, ce 27 novembre 17**. LETTRE CXLIV LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Hier, à trois heures du soir, ma belle amie, impatienté de n'avoir pas de nouvelles, je me suis présenté chez la belle délaissée; on m'a dit qu'elle était sortie. Je n'ai vu, dans cette phrase, qu'un refus de me recevoir, qui ne m'a ni fùché ni surpris; et je me suis retiré, dans l'espérance que cette démarche engagerait au moins une femme si polie à m'honorer d'un mot de réponse. L'envie que j'avais de la recevoir m'a fait passer exprÚs chez moi vers les neuf heures, et je n'y ai rien trouvé. Etonné de ce silence, auquel je ne m'attendais pas, j'ai chargé mon Chasseur d'aller aux informations, et de savoir si la sensible personne était morte ou mourante. Enfin, quand je suis rentré, il m'a appris que Madame de Tourvel était sortie en effet à onze heures du matin, avec sa Femme de chambre; qu'elle s'était fait conduire au Couvent de... , et qu'à sept heures du soir, elle avait renvoyé sa voiture et ses gens, en faisant dire qu'on ne l'attendÃt pas chez elle. Assurément, c'est se mettre en rÚgle. Le Couvent est le véritable asile d'une veuve; et si elle persiste dans une résolution si louable, je joindrai à toutes les obligations que je lui ai déjà celle de la célébrité que va prendre cette aventure. Je vous le disais bien, il y a quelque temps, que malgré vos inquiétudes je ne reparaÃtrais sur la scÚne du monde que brillant d'un nouvel éclat. Qu'ils se montrent donc, ces Critiques sévÚres, qui m'accusaient d'un amour romanesque et malheureux; qu'ils fassent des ruptures plus promptes et plus brillantes mais non, qu'ils fassent mieux; qu'ils se présentent comme consolateurs, la route leur est tracée. Hé bien! qu'ils osent seulement tenter cette carriÚre que j'ai parcourue en entier; et si l'un d'eux obtient le moindre succÚs, je lui cÚde la premiÚre place. Mais ils éprouveront tous que, quand j'y mets du soin, l'impression que je laisse est ineffaçable. Ah! sans doute, celle- ci le sera; et je compterais pour rien tous mes autres triomphes, si jamais je devais avoir auprÚs de cette femme un rival préféré. Ce parti qu'elle a pris flatte mon amour-propre, j'en conviens mais je suis fùché qu'elle ait trouvé en elle une force suffisante pour se séparer autant de moi. Il y aura donc entre nous deux d'autres obstacles que ceux que j'aurai mis moi-mÃÂȘme! Quoi! si je voulais me rapprocher d'elle, elle pourrait ne le plus vouloir; que dis-je? ne le pas désirer, n'en plus faire son suprÃÂȘme bonheur! Est-ce donc ainsi qu'on aime? et croyez-vous, ma belle amie, que je doive le souffrir? Ne pourrais-je pas par exemple, et ne vaudrait-il pas mieux tenter de ramener cette femme au point de prévoir la possibilité d'un raccommodement, qu'on désire toujours tant qu'on l'espÚre? je pourrais essayer cette démarche sans y mettre d'importance, et par conséquent, sans qu'elle vous donnùt d'ombrage. Au contraire! ce serait un simple essai que nous ferions de concert; et quand mÃÂȘme je réussirais, ce ne serait qu'un moyen de plus de renouveler, à votre volonté, un sacrifice qui a paru vous ÃÂȘtre agréable. A présent, ma belle amie, il me reste à en recevoir le prix, et tous mes vÅ“ux sont pour votre retour. Venez donc vite retrouver votre Amant, vos plaisirs, vos amis, et le courant des aventures. Celle de la petite Volanges a tourné à merveille. Hier, que mon inquiétude ne me permettait pas de rester en place, j'ai été, dans mes courses différentes, jusque chez Madame de Volanges. J'ai trouvé votre Pupille déjà dans le salon, encore dans le costume de malade, mais en pleine convalescence, et n'en étant que plus fraÃche et plus intéressante. Vous autres femmes, en pareil cas, vous seriez restées un mois sur votre chaise longue ma foi, vivent les demoiselles! Celle-ci m'a en vérité donné envie de savoir si la guérison était parfaite. J'ai encore à vous dire que cet accident de la petite fille a pensé rendre fou votre sentimentaire Danceny. D'abord, c'était de chagrin; aujourd'hui c'est de joie. Sa Cécile était malade! Vous jugez que la tÃÂȘte tourne dans un tel malheur. Trois fois par jour il envoyait savoir des nouvelles, et n'en passait aucun sans s'y présenter lui-mÃÂȘme; enfin il a demandé, par une belle EpÃtre à la Maman, la permission d'aller la féliciter sur la convalescence d'un objet si cher et Madame de Volanges y a consenti si bien que j'ai trouvé le jeune homme établi comme par le passé, à un peu de familiarité prÚs qu'il n'osait encore se permettre. C'est de lui-mÃÂȘme que j'ai su ces détails; car je suis sorti en mÃÂȘme temps que lui, et je l'ai fait jaser. Vous n'avez pas d'idée de l'effet que cette visite lui a causé. C'est une joie, ce sont des désirs, des transports impossibles à rendre. Moi qui aime les grands mouvements, j'ai achevé de lui faire perdre la tÃÂȘte, en l'assurant que sous trÚs peu de jours je le mettrais à mÃÂȘme de voir sa belle de plus prÚs encore. En effet, je suis décidé à la lui remettre, aussitÎt aprÚs mon expérience faite. Je veux me consacrer à vous tout entier; et puis, vaudrait-il la peine que votre pupille fût aussi mon élÚve, si elle ne devait tromper que son mari? Le chef- d'Å“uvre est de tromper son Amant et surtout son premier Amant! car pour moi, je n'ai pas à me reprocher d'avoir prononcé le mot d'amour. Adieu, ma belle amie; revenez donc au plus tÎt jouir de votre empire sur moi, en recevoir l'hommage et m'en payer le prix. Paris, ce 28 novembre 17**. LETTRE CXLV LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT Sérieusement, Vicomte, vous avez quitté la Présidente? vous lui avez envoyé la Lettre que je vous avais faite pour elle? En vérité, vous ÃÂȘtes charmant; et vous avez surpassé mon attente! J'avoue de bonne foi que ce triomphe me flatte plus que tous ceux que j'ai pu obtenir jusqu'à présent. Vous allez trouver peut-ÃÂȘtre que j'évalue bien haut cette femme, que naguÚre j'appréciais si peu; point du tout mais c'est que ce n'est pas sur elle que j'ai remporté cet avantage; c'est sur vous voilà le plaisant et ce qui est vraiment délicieux. Oui, Vicomte, vous aimiez beaucoup Madame de Tourvel, et mÃÂȘme vous l'aimez encore; vous l'aimez comme un fou mais parce que je m'amusais à vous en faire honte, vous l'avez bravement sacrifiée. Vous en auriez sacrifié mille, plutÎt que de souffrir une plaisanterie. OÃÂč nous conduit pourtant la vanité! Le Sage a bien raison, quand il dit qu'elle est l'ennemie du bonheur. OÃÂč en seriez-vous à présent, si je n'avais voulu que vous faire une malice? Mais je suis incapable de tromper, vous le savez bien; et dussiez-vous, à mon tour, me réduire au désespoir et au Couvent, j'en cours les risques, et je me rends à mon vainqueur. Cependant si je capitule, c'est en vérité pure faiblesse car si je voulais, que de chicanes n'aurais-je pas encore à faire! et peut-ÃÂȘtre le mériteriez-vous? J'admire, par exemple, avec quelle finesse ou quelle gaucherie vous me proposez en douceur de vous laisser renouer avec la Présidente. Il vous conviendrait beaucoup, n'est-ce pas, de vous donner le mérite de cette rupture sans y perdre les plaisirs de la jouissance? Et comme alors cet apparent sacrifice n'en serait plus un pour vous, vous m'offrez de le renouveler à ma volonté! Par cet arrangement, la céleste Dévote se croirait toujours l'unique choix de votre cÅ“ur, tandis que je m'enorgueillirais d'ÃÂȘtre la rivale préférée; nous serions trompées toutes deux, mais vous seriez content, et qu'importe le reste? C'est dommage qu'avec tant de talent pour les projets vous en ayez si peu pour l'exécution; et que par une seule démarche inconsidérée, vous ayez mis vous-mÃÂȘme un obstacle invincible à ce que vous désirez le plus. Quoi! vous aviez l'idée de renouer, et vous avez pu écrire ma Lettre! Vous m'avez donc crue bien gauche à mon tour! Ah! croyez-moi, Vicomte, quand une femme frappe dans le cÅ“ur d'une autre, elle manque rarement de trouver l'endroit sensible, et la blessure est incurable. Tandis que je frappais celle-ci, ou plutÎt que je dirigeais vos coups, je n'ai pas oublié que cette femme était ma rivale, que vous l'aviez trouvée un moment préférable à moi, et qu'enfin, vous m'aviez placée au-dessous d'elle. Si je me suis trompée dans ma vengeance, je consens à en porter la faute. Ainsi, je trouve bon que vous tentiez tous les moyens je vous y invite mÃÂȘme, et vous promets de ne pas me fùcher de vos succÚs, si vous parvenez à en avoir. Je suis si tranquille sur cet objet que je ne veux plus m'en occuper. Parlons d'autre chose. Par exemple, de la santé de la petite Volanges. Vous m'en direz des nouvelles positives à mon retour, n'est-il pas vrai? Je serai bien aise d'en avoir. AprÚs cela, ce sera à vous de juger s'il vous conviendra mieux de remettre la petite fille à son Amant, ou de tenter de devenir une seconde fois le fondateur d'une nouvelle branche des Valmont, sous le nom de Gercourt. Cette idée m'avait paru assez plaisante, et en vous laissant le choix je vous demande pourtant de ne pas prendre de parti définitif, sans que nous en ayons causé ensemble. Ce n'est pas vous remettre à un terme éloigné, car je serai à Paris incessamment. Je ne peux pas vous dire positivement le jour; mais vous ne doutez pas que, dÚs que je serai arrivée, vous n'en soyez le premier informé. Adieu, Vicomte; malgré mes querelles, mes malices et mes reproches, je vous aime toujours beaucoup, et je me prépare à vous le prouver. Au revoir, mon ami. Du Chùteau de ..., ce 29 novembre 17**. LETTRE CXLVI LA MARQUISE DE MERTEUIL AU CHEVALIER DANCENY Enfin, je pars, mon jeune ami, et demain au soir, je serai de retour à Paris. Au milieu de tous les embarras qu'entraÃne un déplacement, je ne recevrai personne. Cependant, si vous avez quelque confidence bien pressée à me faire, je veux bien vous excepter de la rÚgle générale; mais je n'excepterai que vous ainsi, je vous demande le secret sur mon arrivée. Valmont mÃÂȘme n'en sera pas instruit. Qui m'aurait dit, il y a quelque temps, que bientÎt vous auriez ma confiance exclusive, je ne l'aurais pas cru. Mais la vÎtre a entraÃné la mienne. Je serais tentée de croire que vous y avez mis de l'adresse, peut-ÃÂȘtre mÃÂȘme de la séduction. Cela serait bien mal au moins! Au reste, elle ne serait pas dangereuse à présent; vous avez vraiment bien autre chose à faire! Quand l'Héroïne est en scÚne on ne s'occupe guÚre de la Confidente. Aussi n'avez-vous seulement pas eu le temps de me faire part de vos nouveaux succÚs. Quand votre Cécile était absente, les jours n'étaient pas assez longs pour écouter vos tendres plaintes. Vous les auriez faites aux échos, si je n'avais pas été là pour les entendre. Quand depuis elle a été malade, vous m'avez mÃÂȘme encore honorée du récit de vos inquiétudes; vous aviez besoin de quelqu'un à qui les dire. Mais à présent que celle que vous aimez est à Paris, qu'elle se porte bien, et surtout que vous la voyez quelquefois, elle suffit à tout, et vos amis ne vous sont plus rien. Je ne vous en blùme pas; c'est la faute de vos vingt ans. Depuis Alcibiade jusqu'à vous, ne sait-on pas que les jeunes gens n'ont jamais connu l'amitié que dans leurs chagrins? Le bonheur les rend quelquefois indiscrets, mais jamais confiants. Je dirai bien comme Socrate J'aime que mes amis viennent à moi quand ils sont malheureux [Marmontel, Conte moral d'Alcibiade] ; mais en sa qualité de Philosophe, il se passait bien d'eux quand ils ne venaient pas. En cela, je ne suis pas tout à fait si sage que lui, et j'ai senti votre silence avec toute la faiblesse d'une femme. N'allez pourtant pas me croire exigeante il s'en faut bien que je le sois! Le mÃÂȘme sentiment qui me fait remarquer ces privations me les fait supporter avec courage, quand elles sont la preuve ou la cause du bonheur de mes amis. Je ne compte donc sur vous pour demain au soir, qu'autant que l'amour vous laissera libre et désoccupé, et je vous défends de me faire le moindre sacrifice. Adieu, Chevalier; je me fais une vraie fÃÂȘte de vous revoir viendrez-vous? Du Chùteau de ..., ce 29 novembre 17**. LETTRE CXLVII MADAME DE VOLANGES A MADAME DE ROSEMONDE Vous serez sûrement aussi affligée que je le suis, ma digne amie, en apprenant l'état oÃÂč se trouve Madame de Tourvel; elle est malade depuis hier sa maladie a pris si vivement, et se montre avec des symptÎmes si graves, que j'en suis vraiment alarmée. Une fiÚvre ardente, un transport violent et presque continuel, une soif qu'on ne peut apaiser, voilà tout ce qu'on remarque. Les Médecins disent ne pouvoir rien pronostiquer encore; et le traitement sera d'autant plus difficile que la malade refuse avec obstination toute espÚce de remÚdes c'est au point qu'il a fallu la tenir de force pour la saigner; et il a fallu depuis en user de mÃÂȘme deux autres fois pour lui remettre sa bande, que dans son transport elle veut toujours arracher. Vous qui l'avez vue, comme moi, si peu forte, si timide et si douce, concevez- vous donc que quatre personnes puissent à peine la contenir, et que pour peu qu'on veuille lui représenter quelque chose, elle entre dans des fureurs inexprimables? Pour moi, je crains qu'il n'y ait plus que du délire, et que ce ne soit une vraie aliénation d'esprit. Ce qui augmente ma crainte à ce sujet, c'est ce qui s'est passé avant hier. Ce jour-là , elle arriva vers les onze heures du matin, avec sa Femme de chambre, au Couvent de ... Comme elle a été élevée dans cette Maison, et qu'elle a conservé l'habitude d'y entrer quelquefois, elle y fut reçue comme à l'ordinaire, et elle parut à tout le monde tranquille et bien portante. Environ deux heures aprÚs, elle s'informa si la chambre qu'elle occupait, étant Pensionnaire, était vacante, et sur ce qu'on lui répondit qu'oui, elle demanda d'aller la revoir; la Prieure l'y accompagna avec quelques autres Religieuses. Ce fut alors qu'elle déclara qu'elle revenait s'établir dans cette chambre, que, disait-elle, elle n'aurait jamais dû quitter; et qu'elle ajouta qu'elle n'en sortirait qu'à la mort ce fut son expression. D'abord on ne sut que dire; mais le premier étonnement passé, on lui représenta que sa qualité de femme mariée ne permettait pas de la recevoir sans une permission particuliÚre. Cette raison ni mille autres n'y firent rien; et dÚs ce moment, elle s'obstina, non seulement à ne pas sortir du Couvent, mais mÃÂȘme de sa chambre. Enfin, de guerre lasse à sept heures du soir, on consentit qu'elle y passùt la nuit. On renvoya sa voiture et ses gens, et on remit au lendemain à prendre un parti. On assure que pendant toute la soirée, loin que son air ou son maintien eussent rien d'égaré, l'un et l'autre étaient composés et réfléchis; que seulement elle tomba quatre ou cinq fois dans une rÃÂȘverie si profonde, qu'on ne parvenait pas à l'en tirer en lui parlant; et que, chaque fois, avant d'en sortir, elle portait les deux mains à son front qu'elle avait l'air de serrer avec force sur quoi une des Religieuses qui étaient présentes lui ayant demandé si elle souffrait de la tÃÂȘte, elle la fixa longtemps avant de répondre, et lui dit enfin " Ce n'est pas là qu'est le mal! " Un moment aprÚs, elle demanda qu'on la laissùt seule, et pria qu'à l'avenir on ne lui fÃt plus de question. Tout le monde se retira; hors sa Femme de chambre, qui devait heureusement coucher dans la mÃÂȘme chambre qu'elle, faute d'autre place. Suivant le rapport de cette fille, sa MaÃtresse a été assez tranquille jusqu'à onze heures du soir. Elle a dit alors vouloir se coucher mais, avant d'ÃÂȘtre entiÚrement déshabillée, elle se mit à marcher dans sa chambre, avec beaucoup d'action et de gestes fréquents. Julie, qui avait été témoin de ce qui s'était passé dans la journée, n'osa lui rien dire, et attendit en silence pendant prÚs d'une heure. Enfin, Madame de Tourvel l'appela deux fois coup sur coup; elle n'eut que le temps d'accourir, et sa MaÃtresse tomba dans ses bras, en disant " Je n'en peux plus. " Elle se laissa conduire à son lit, et ne voulut rien prendre, ni qu'on allùt chercher aucun secours. Elle se fit mettre seulement de l'eau auprÚs d'elle, et elle ordonna à Julie de se coucher. Celle-ci assure ÃÂȘtre restée jusqu'à deux heures du matin sans dormir, et n'avoir entendu, pendant ce temps, ni mouvement ni plaintes. Mais elle dit avoir été réveillée à cinq heures par les discours de sa MaÃtresse, qui parlait d'une voix forte et élevée; et qu'alors lui ayant demandé si elle n'avait besoin de rien, et n'obtenant point de réponse, elle prit de la lumiÚre, et alla au lit de Madame de Tourvel, qui ne la reconnut point; mais qui, interrompant tout à coup les propos sans suite qu'elle tenait, s'écria vivement " Qu'on me laisse seule, qu'on me laisse dans les ténÚbres; ce sont les ténÚbres qui me conviennent. " J'ai remarqué hier par moi-mÃÂȘme que cette phrase lui revient souvent. Enfin, Julie profita de cette espÚce d'ordre pour sortir et aller chercher du monde et des secours mais Madame de Tourvel a refusé l'un et l'autre, avec les fureurs et les transports qui sont revenus si souvent depuis. L'embarras oÃÂč cela a mis tout le Couvent a décidé la Prieure à m'envoyer chercher hier à sept heures du matin... Il ne faisait pas jour. Je suis accourue sur-le-champ. Quand on m'a annoncée à Madame de Tourvel, elle a paru reprendre sa connaissance, et a répondu " Ah! oui, qu'elle entre. " Mais quand j'ai été prÚs de son lit, elle m'a regardée fixement, a pris vivement ma main, qu'elle a serrée, et m'a dit d'une voix forte, mais sombre " Je meurs pour ne vous avoir pas crue. " AussitÎt aprÚs, se cachant les yeux, elle est revenue à son discours le plus fréquent " Qu'on me laisse seule, etc. " , et toute connaissance s'est perdue. Ce propos qu'elle m'a tenu et quelques autres échappés dans son délire me font craindre que cette cruelle maladie n'ait une cause plus cruelle encore. Mais respectons les secrets de notre amie, et contentons-nous de plaindre son malheur. Toute la journée d'hier a été également orageuse, et partagée entre des accÚs de transports effrayants et des moments d'un abattement léthargique, les seuls oÃÂč elle prend et donne quelque repos. Je n'ai quitté le chevet de son lit qu'à neuf heures du soir, et je vais y retourner ce matin pour toute la journée. Sûrement je n'abandonnerai pas ma malheureuse amie mais ce qui est désolant, c'est son obstination à refuser tous les soins et tous les secours. Je vous envoie le bulletin de cette nuit que je viens de recevoir, et qui, comme vous le verrez, n'est rien moins que consolant. J'aurai soin de vous les faire passer tous exactement. Adieu, ma digne amie, je vais retrouver la malade. Ma fille, qui heureusement est presque rétablie, vous présente son respect. Paris, 29 novembre 17**. LETTRE CXLVIII LE CHEVALIER DANCENY A LA MARQUISE DE MERTEUIL Ô vous, que j'aime! Î toi, que j'adore! Î vous, qui avez commencé mon bonheur! Î toi, qui l'as comblé! Amie sensible, tendre Amante, pourquoi le souvenir de ta douleur vient-il troubler le charme que j'éprouve? Ah! madame, calmez-vous, c'est l'amitié qui vous le demande. Ô mon amie, sois heureuse, c'est la priÚre de l'amour. Hé! quels reproches avez-vous donc à vous faire? croyez-moi, votre délicatesse vous abuse. Les regrets qu'elle vous cause, les torts dont elle m'accuse, sont également illusoires; et je sens dans mon cÅ“ur qu'il n'y a eu entre nous deux d'autre séducteur que l'amour. Ne crains donc plus de te livrer aux sentiments que tu inspires, de te laisser pénétrer de tous les feux que tu fais naÃtre. Quoi! pour avoir été éclairés plus tard, nos cÅ“urs en seraient-ils moins purs? non, sans doute. C'est au contraire la séduction, qui, n'agissant jamais que par projets, peut combiner sa marche et ses moyens, et prévoir au loin les événements. Mais l'amour véritable ne permet pas ainsi de méditer et de réfléchir il nous distrait de nos pensées par nos sentiments; son empire n'est jamais plus fort que quand il est inconnu; et c'est dans l'ombre et le silence qu'il nous entoure de liens qu'il est également impossible d'apercevoir et de rompre. C'est ainsi qu'hier mÃÂȘme, malgré la vive émotion que me causait l'idée de votre retour, malgré le plaisir extrÃÂȘme que je sentis en vous voyant, je croyais pourtant n'ÃÂȘtre encore appelé ni conduit que par la paisible amitié ou plutÎt, entiÚrement livré aux doux sentiments de mon cÅ“ur, je m'occupais bien peu d'en démÃÂȘler l'origine ou la cause. Ainsi que moi, ma tendre amie, tu éprouvais, sans le connaÃtre, ce charme impérieux qui livrait nos ùmes aux douces impressions de la tendresse et tous deux nous n'avons reconnu l'Amour qu'en sortant de l'ivresse oÃÂč ce Dieu nous avait plongés. Mais cela mÃÂȘme nous justifie au lieu de nous condamner. Non, tu n'as pas trahi l'amitié, et je n'ai pas davantage abusé de ta confiance. Tous deux, il est vrai, nous ignorions nos sentiments; mais cette illusion, nous l'éprouvions seulement sans chercher à la faire naÃtre. Ah! loin de nous en plaindre, ne songeons qu'au bonheur qu'elle nous a procuré; et sans le troubler par d'injustes reproches, ne nous occupons qu'à l'augmenter encore par le charme de la confiance et de la sécurité. Ô mon amie! que cet espoir est cher à mon cÅ“ur! Oui, désormais délivrée de toute crainte, et tout entiÚre à l'amour, tu partageras mes désirs, mes transports, le délire de mes sens, l'ivresse de mon ùme; et chaque instant de nos jours fortunés sera marqué par une volupté nouvelle. Adieu, toi que j'adore! Je te verrai ce soir, mais te trouverai-je seule? Je n'ose l'espérer. Ah! tu ne le désires pas autant que moi. Paris, ce 1er décembre 17**. LETTRE CXLIX MADAME DE VOLANGES A MADAME DE ROSEMONDE J'ai espéré hier, presque toute la journée, ma digne amie, pouvoir vous donner ce matin des nouvelles plus favorables de la santé de notre chÚre malade mais depuis hier au soir cet espoir est détruit, et il ne me reste que le regret de l'avoir perdu. Un événement, bien indifférent en apparence, mais bien cruel par les suites qu'il a eues, a rendu l'état de la malade au moins aussi fùcheux qu'il était auparavant, si mÃÂȘme il n'a pas empiré. Je n'aurais rien compris à cette révolution subite, si je n'avais reçu hier l'entiÚre confidence de notre malheureuse amie. Comme elle ne m'a pas laissé ignorer que vous étiez instruite aussi de toutes ses infortunes, je puis vous parler sans réserve sur sa triste situation. Hier matin, quand je suis arrivée au Couvent, on me dit que la malade dormait depuis plus de trois heures; et son sommeil était si profond et si tranquille que j'eus peur un moment qu'il ne fût léthargique. Quelque temps aprÚs elle se réveilla, et ouvrit elle-mÃÂȘme les rideaux de son lit. Elle nous regarda tous avec l'air de la surprise; et comme je me levais pour aller à elle, elle me reconnut, me nomma, et me pria d'approcher. Elle ne me laissa le temps de lui faire aucune question, et me demanda oÃÂč elle était, ce que nous faisions là , si elle était malade, et pourquoi elle n'était pas chez elle? Je crus d'abord que c'était un nouveau délire, seulement plus tranquille que le précédent mais je m'aperçus qu'elle entendait fort bien mes réponses. Elle avait en effet retrouvé sa tÃÂȘte mais non pas sa mémoire. Elle me questionna, avec beaucoup de détail, sur tout ce qui lui était arrivé depuis qu'elle était au Couvent, oÃÂč elle ne se souvenait pas d'ÃÂȘtre venue. Je lui répondis exactement, en supprimant seulement ce qui aurait pu la trop effrayer et lorsque à mon tour je lui demandai comment elle se trouvait, elle me répondit qu'elle ne souffrait pas dans ce moment; mais qu'elle avait été bien tourmentée pendant son sommeil et qu'elle se sentait fatiguée. Je l'engageai à se tranquilliser et à parler peu; aprÚs quoi, je refermai en partie ses rideaux, que je laissai entrouverts, et je m'assis auprÚs de son lit. Dans le mÃÂȘme temps, on lui proposa un bouillon qu'elle prit et qu'elle trouva bon. Elle resta ainsi environ une demi-heure, durant laquelle elle ne parla que pour me remercier des soins que je lui avais donnés; et elle mit dans ses remerciements l'agrément et la grùce que vous lui connaissez. Ensuite elle garda pendant quelque temps un silence absolu, qu'elle ne rompit que pour dire " Ah! oui, je me ressouviens d'ÃÂȘtre venue ici " , et un moment aprÚs elle s'écria douloureusement " M on amie, mon amie, plaignez-moi; je retrouve tous mes malheurs. " Comme alors je m'avançai vers elle, elle saisit ma main, et s'y appuyant la tÃÂȘte " Grand Dieu! continua-t-elle, ne puis-je donc mourir? " Son expression, plus encore que ses discours, m'attendrit jusqu'aux larmes; elle s'en aperçut à ma voix, et me dit " Vous me plaignez! Ah! si vous connaissiez!... " Et puis s'interrompant " Faites " qu'on nous laisse seules, et je vous dirai tout. " Ainsi que je crois vous l'avoir marqué, j'avais déjà des soupçons sur ce qui devait faire le sujet de cette confidence; et craignant que cette conversation, que je prévoyais devoir ÃÂȘtre longue et triste, ne nuisÃt peut-ÃÂȘtre à l'état de notre malheureuse amie, je m'y refusai d'abord, sous prétexte qu'elle avait besoin de repos mais elle insista, et je me rendis à ses instances. DÚs que nous fûmes seules, elle m'apprit tout ce que déjà vous avez su d'elle, et que par cette raison je ne vous répéterai point. Enfin, en me parlant de la façon cruelle dont elle avait été sacrifiée, elle ajouta " Je me croyais bien sûre d'en mourir, et j'en avais le courage; mais de survivre à mon malheur et à ma honte, c'est ce qui m'est impossible. " Je tentai de combattre ce découragement ou plutÎt ce désespoir, avec les armes de la Religion, jusqu'alors si puissantes sur elle; mais je sentis bientÎt que je n'avais pas assez de force pour ces fonctions augustes et je m'en tins à lui proposer d'appeler le PÚre Anselme, que je sais avoir toute sa confiance. Elle y consentit et parut mÃÂȘme le désirer beaucoup. On l'envoya chercher en effet, et il vint sur-le-champ. Il resta fort longtemps avec la malade, et dit en sortant que si les Médecins en jugeaient comme lui, il croyait qu'on pouvait différer la cérémonie des Sacrements; qu'il reviendrait le lendemain. Il était environ trois heures aprÚs midi, et jusqu'à cinq, notre amie fut assez tranquille en sorte que nous avions tous repris de l'espoir. Par malheur, on apporta alors une Lettre pour elle. Quand on voulut la lui remettre, elle répondit d'abord n'en vouloir recevoir aucune et personne n'insista. Mais de ce moment, elle parut plus agitée. BientÎt aprÚs, elle demanda d'oÃÂč venait cette Lettre? elle n'était pas timbrée qui l'avait apportée? on l'ignorait de quelle part on l'avait remise? on ne l'avait pas dit aux TouriÚres. Ensuite elle garda quelque temps le silence; aprÚs quoi, elle recommença à parler, mais ses propos sans suite nous apprirent seulement que le délire était revenu. Cependant il y eut encore un intervalle tranquille, jusqu'à ce qu'enfin elle demanda qu'on lui remÃt la Lettre qu'on avait apportée pour elle. DÚs qu'elle eut jeté les yeux dessus, elle s'écria " De lui! grand Dieu! " et puis d'une voix forte mais oppressée " Reprenez-la, reprenez-la. " Elle fit sur-le-champ fermer les rideaux de son lit, et défendit que personne approchùt mais presque aussitÎt nous fûmes bien obligés de revenir auprÚs d'elle. Le transport avait repris plus violent que jamais, et il s'y était joint des convulsions vraiment effrayantes. Ces accidents n'ont plus cessé de la soirée; et le bulletin de ce matin m'apprend que la nuit n'a pas été moins orageuse. Enfin, son état est tel que je m'étonne qu'elle n'y ait pas déjà succombé, et je ne vous cache point qu'il ne me reste que bien peu d'espoir. Je suppose que cette malheureuse Lettre est de M. de Valmont; mais que peut-il encore oser lui dire? Pardon, ma chÚre amie, je m'interdis toute réflexion mais il est bien cruel de voir périr si malheureusement une femme, jusqu'alors si heureuse et si digne de l'ÃÂȘtre. Paris, ce 2 décembre 17**. LETTRE CL LE CHEVALIER DANCENY A LA MARQUISE DE MERTEUIL En attendant le bonheur de te voir, je me livre, ma tendre amie, au plaisir de t'écrire; et c'est en m'occupant de toi, que je charme le regret d'en ÃÂȘtre éloigné. Te tracer mes sentiments, me rappeler les tiens est pour mon cÅ“ur une vraie jouissance; et c'est par elle que le temps mÃÂȘme des privations m'offre encore mille biens précieux à mon amour. Cependant, s'il faut t'en croire, je n'obtiendrai point de réponse de toi cette Lettre mÃÂȘme sera la derniÚre; et nous nous priverons d'un commerce qui, selon toi, est dangereux, et dont nous n'avons pas besoin . Sûrement je t'en croirai, si tu persistes car que peux-tu vouloir, que par cette raison mÃÂȘme je ne le veuille aussi? Mais avant de te décider entiÚrement, ne permettras-tu pas que nous en causions ensemble? Sur l'article des dangers, tu dois juger seule je ne puis rien calculer, et je m'en tiens à te prier de veiller à ta sûreté, car je ne puis ÃÂȘtre tranquille quand tu seras inquiÚte. Pour cet objet, ce n'est pas nous deux qui ne sommes qu'un, c'est toi qui es nous deux. Il n'en est pas de mÃÂȘme sur le besoin ; ici nous ne pouvons avoir qu'une mÃÂȘme pensée; et si nous différons d'avis, ce ne peut ÃÂȘtre que faute de nous expliquer ou de nous entendre. Voici donc ce que je crois sentir. Sans doute, une Lettre paraÃt bien peu nécessaire, quand on peut se voir librement. Que dirait-elle, qu'un mot, un regard, ou mÃÂȘme le silence, n'exprimassent cent fois mieux encore? Cela me paraÃt si vrai que, dans le moment oÃÂč tu me parlas de ne plus nous écrire, cette idée glissa facilement sur mon ùme; elle la gÃÂȘna peut-ÃÂȘtre, mais ne l'affecta point. Tel à peu prÚs, quand voulant donner un baiser sur ton cÅ“ur, je rencontre un ruban ou une gaze, je l'écarte seulement, et n'ai cependant pas le sentiment d'un obstacle. Mais depuis, nous nous sommes séparés; et dÚs que tu n'as plus été là , cette idée de Lettre est revenue me tourmenter. Pourquoi, me suis-je dit, cette privation de plus? Quoi! pour ÃÂȘtre éloignés, n'a-t-on plus rien à se dire? Je suppose que, favorisés par les circonstances, on passe ensemble une journée entiÚre; faudra-t-il prendre le temps de causer sur celui de jouir? Oui, de jouir, ma tendre amie; car auprÚs de toi, les moments mÃÂȘme du repos fournissent encore une jouissance délicieuse. Enfin, quel que soit le temps, on finit par se séparer, et puis, on est si seul! C'est alors qu'une Lettre est si précieuse; si on ne la lit pas, du moins on la regarde... Ah! sans doute, on peut regarder une Lettre sans la lire, comme il me semble que la nuit j'aurais encore quelque plaisir à toucher ton portrait... Ton portrait, ai-je dit? Mais une Lettre est le portrait de l'ùme. Elle n'a pas, comme une froide image, cette stagnance si éloignée de l'amour; elle se prÃÂȘte à tous nos mouvements tour à tour elle s'anime, elle jouit, elle se repose... Tes sentiments me sont tous si précieux! me priveras-tu d'un moyen de les recueillir? Es-tu donc sûre que le besoin de m'écrire ne te tourmentera jamais? Si dans la solitude, ton cÅ“ur se dilate ou s'oppresse, si un mouvement de joie passe jusqu'à ton ùme, si une tristesse involontaire vient la troubler un moment; ce ne sera donc pas dans le sein de ton ami que tu répandras ton bonheur ou ta peine? tu auras donc un sentiment qu'il ne partagera pas? tu le laisseras donc, rÃÂȘveur et solitaire, s'égarer loin de toi? Mon amie... ma tendre amie! Mais c'est à toi qu'il appartient de prononcer. J'ai voulu discuter seulement, et non pas te séduire; je ne t'ai dit que des raisons, j'ose croire que j'eusse été plus fort par des priÚres. Je tùcherai donc, si tu persistes, de ne pas m'affliger; je ferai mes efforts pour me dire ce que tu m'aurais écrit, mais tiens, tu le dirais mieux que moi; et j'aurais surtout plus de plaisir à l'entendre. Adieu, ma charmante amie; l'heure approche enfin oÃÂč je pourrai te voir je te quitte bien vite, pour t'aller retrouver plus tÎt. Paris, ce 3 décembre 17**. LETTRE CLI LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Sans doute, Marquise, que vous ne me croyez pas assez peu d'usage pour penser que j'aie pu prendre le change sur le tÃÂȘte-à -tÃÂȘte oÃÂč je vous ai trouvée ce soir, et sur l'étonnant hasard qui avait conduit Danceny chez vous! Ce n'est pas que votre physionomie exercée n'ait su prendre à merveille l'expression du calme et de la sérénité, ni que vous vous soyez trahie par aucune de ces phrases qui quelquefois échappent au trouble ou au repentir. Je conviens mÃÂȘme encore que vos regards dociles vous ont parfaitement servie; et que s'ils avaient su se faire croire aussi bien que se faire entendre, loin que j'eusse pris ou conservé le moindre soupçon, je n'aurais pas douté un moment du chagrin extrÃÂȘme que vous causait ce tiers importun . Mais, pour ne pas déployer en vain d'aussi grands talents, pour en obtenir le succÚs que vous vous en promettiez, pour produire enfin l'illusion que vous cherchiez à faire naÃtre, il fallait donc auparavant former votre Amant novice avec plus de soin. Puisque vous commencez à faire des éducations, apprenez à vos élÚves à ne pas rougir et se déconcerter à la moindre plaisanterie à ne pas nier si vivement, pour une seule femme, les mÃÂȘmes choses dont ils se défendent avec tant de mollesse pour toutes les autres. Apprenez-leur encore à savoir entendre l'éloge de leur MaÃtresse, sans se croire obligés d'en faire les honneurs; et si vous leur permettez de vous regarder dans le cercle, qu'ils sachent au moins auparavant déguiser ce regard de possession si facile à reconnaÃtre, et qu'ils confondent si maladroitement avec celui de l'amour. Alors vous pourrez les faire paraÃtre dans vos exercices publics, sans que leur conduite fasse tort à leur sage institutrice et moi-mÃÂȘme, trop heureux de concourir à votre célébrité, je vous promets de faire et de publier les programmes de ce nouveau collÚge. Mais jusque-là je m'étonne, je l'avoue, que ce soit moi que vous ayez entrepris de traiter comme un écolier. Oh! qu'avec toute autre femme je serais bientÎt vengé! que je m'en ferais de plaisir! et qu'il surpasserait aisément celui qu'elle aurait cru me faire perdre! Oui, c'est bien pour vous seule que je peux préférer la réparation à la vengeance; et ne croyez pas que je sois retenu par le moindre doute, par la moindre incertitude; je sais tout. Vous ÃÂȘtes à Paris depuis quatre jours; et chaque jour vous avez vu Danceny, et vous n'avez vu que lui seul. Aujourd'hui mÃÂȘme votre porte était encore fermée; et il n'a manqué à votre Suisse, pour m'empÃÂȘcher d'arriver jusqu'à vous, qu'une assurance égale à la vÎtre. Cependant je ne devais pas douter, me mandiez-vous, d'ÃÂȘtre le premier informé de votre arrivée; de cette arrivée dont vous ne pouviez pas encore me dire le jour, tandis que vous m'écriviez la veille de votre départ. Nierez-vous ces faits, ou tenterez-vous de vous en excuser? L'un et l'autre sont également impossibles; et pourtant je me contiens encore! Reconnaissez là votre empire; mais croyez-moi, contente de l'avoir éprouvé, n'en abusez pas plus longtemps. Nous nous connaissons tous deux, Marquise; ce mot doit vous suffire. Vous sortez demain toute la journée, m'avez-vous dit? A la bonne heure, si vous sortez en effet; et vous jugez que je le saurai. Mais enfin, vous rentrerez le soir; et pour notre difficile réconciliation nous n'aurons pas trop de temps jusqu'au lendemain. Faites-moi donc savoir si ce sera chez vous, ou là -bas que se feront nos expiations nombreuses et réciproques. Surtout, plus de Danceny. Votre mauvaise tÃÂȘte s'était remplie de son idée; et je peux n'ÃÂȘtre pas jaloux de ce délire de votre imagination mais songez que, de ce moment, ce qui n'était qu'une fantaisie deviendrait une préférence marquée. Je ne me crois pas fait pour cette humiliation, et je ne m'attends pas à la recevoir de vous. J'espÚre mÃÂȘme que ce sacrifice ne vous en paraÃtra pas un. Mais quand il vous coûterait quelque chose, il me semble que je vous ai donné un assez bel exemple! qu'une femme sensible et belle, qui n'existait que pour moi, qui dans ce moment mÃÂȘme meurt peut-ÃÂȘtre d'amour et de regret, peut bien valoir un jeune écolier, qui, si vous voulez, ne manque ni de figure ni d'esprit, mais qui n'a encore ni usage ni consistance. Adieu, Marquise; je ne vous dis rien de mes sentiments pour vous. Tout ce que je puis faire en ce moment, c'est de ne pas scruter mon cÅ“ur. J'attends votre réponse. Songez en la faisant, songez bien que plus il vous est facile de me faire oublier l'offense que vous m'avez faite, plus un refus de votre part, un simple délai, la graverait dans mon cÅ“ur en traits ineffaçables. Paris, ce 3 décembre 17**, au soir. LETTRE CLII LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT Prenez donc garde, Vicomte, et ménagez davantage mon extrÃÂȘme timidité! Comment voulez-vous que je supporte l'idée accablante d'encourir votre indignation, et surtout que je ne succombe pas à la crainte de votre vengeance? d'autant que, comme vous savez, si vous me faisiez une noirceur, il me serait impossible de vous la rendre. J'aurais beau parler, votre existence n'en serait ni moins brillante ni moins paisible. Au fait, qu'auriez-vous à redouter? d'ÃÂȘtre obligé de partir, si on vous en laissait le temps. Mais ne vit-on pas chez l'Étranger comme ici? et à tout prendre, pourvu que la Cour de France vous laissùt tranquille à celle oÃÂč vous vous fixeriez, ce ne serait pour vous que changer le lieu de vos triomphes. AprÚs avoir tenté de vous rendre votre sang-froid par ces considérations morales, revenons à nos affaires. Savez-vous, Vicomte, pourquoi je ne me suis jamais remariée? ce n'est assurément pas faute d'avoir trouvé assez de partis avantageux; c'est uniquement pour que personne n'ait le droit de trouver à redire à mes actions. Ce n'est mÃÂȘme pas que j'aie craint de ne pouvoir plus faire mes volontés, car j'aurais bien toujours fini par là ; mais c'est qu'il m'aurait gÃÂȘnée que quelqu'un eût eu seulement le droit de s'en plaindre; c'est qu'enfin je ne voulais tromper que pour mon plaisir, et non par nécessité. Et voilà que vous m'écrivez la Lettre la plus maritale qu'il soit possible de voir! Vous ne m'y parlez que de torts de mon cÎté, et de grùces du vÎtre! Mais comment donc peut-on manquer à celui à qui on ne doit rien? je ne saurais le concevoir! Voyons; de quoi s'agit-il tant? Vous avez trouvé Danceny chez moi, et cela vous a déplu? à la bonne heure mais qu'avez-vous pu en conclure? ou que c'était l'effet du hasard, comme je vous le disais, ou celui de ma volonté, comme je ne vous le disais pas. Dans le premier cas, votre Lettre est injuste; dans le second, elle est ridicule c'était bien la peine d'écrire! Mais vous ÃÂȘtes jaloux, et la jalousie ne raisonne pas. Hé bien! je vais raisonner pour vous. Ou vous avez un rival, ou vous n'en avez pas. Si vous en avez un, il faut plaire pour lui ÃÂȘtre préféré; si vous n'en avez pas, il faut encore plaire pour éviter d'en avoir. Dans tous les cas, c'est la mÃÂȘme conduite à tenir ainsi, pourquoi vous tourmenter? pourquoi, surtout, me tourmenter moi-mÃÂȘme? Ne savez- vous donc plus ÃÂȘtre le plus aimable? et n'ÃÂȘtes-vous plus sûr de vos succÚs? Allons donc, Vicomte, vous vous faites tort. Mais, ce n'est pas cela; c'est qu'à vos yeux, je ne vaux pas que vous vous donniez tant de peine. Vous désirez moins mes bontés que vous ne voulez abuser de votre empire. Allez, vous ÃÂȘtes un ingrat. Voilà bien, je crois, du sentiment! et pour peu que je continuasse, cette Lettre pourrait devenir fort tendre; mais vous ne le méritez pas. Vous ne méritez pas davantage que je me justifie. Pour vous punir de vos soupçons, vous les garderez ainsi, sur l'époque de mon retour, comme sur les visites de Danceny, je ne vous dirai rien. Vous vous ÃÂȘtes donné bien de la peine pour vous en instruire, n'est-il pas vrai? Hé bien! en ÃÂȘtes-vous plus avancé? Je souhaite que vous y ayez trouvé beaucoup de plaisir; quant à moi, cela n'a pas nui au mien. Tout ce que je peux donc répondre à votre menaçante Lettre, c'est qu'elle n'a eu ni le don de me plaire, ni le pouvoir de m'intimider; et que pour le moment je suis on ne peut pas moins disposée à vous accorder vos demandes. Au vrai, vous accepter tel que vous vous montrez aujourd'hui, ce serait vous faire une infidélité réelle. Ce ne serait pas là renouer avec mon ancien Amant; ce serait en prendre un nouveau, et qui ne vaut pas l'autre à beaucoup prÚs. Je n'ai pas assez oublié le premier pour m'y tromper ainsi. Le Valmont que j'aimais était charmant. Je veux bien convenir mÃÂȘme que je n'ai pas rencontré d'homme plus aimable. Ah! je vous en prie, Vicomte, si vous le retrouvez, amenez-le-moi; celui-là sera toujours bien reçu. Prévenez-le cependant que, dans aucun cas, ce ne serait ni pour aujourd'hui ni pour demain. Son Menechme lui a fait un peu tort; et en me pressant trop, je craindrais de m'y tromper; ou bien, peut-ÃÂȘtre ai-je donné parole à Danceny pour ces deux jours-là ? Et votre Lettre m'a appris que vous ne plaisantiez pas, quand on manquait à sa parole. Vous voyez donc qu'il faut attendre. Mais que vous importe? vous vous vengerez toujours bien de votre rival. Il ne fera pas pis à votre MaÃtresse que vous ferez à la sienne, et aprÚs tout, une femme n'en vaut-elle pas une autre? ce sont vos principes. Celle mÃÂȘme qui serait tendre et sensible, qui n'existerait que pour vous et qui mourrait enfin d'amour et de regret , n'en serait pas moins sacrifiée à la premiÚre fantaisie, à la crainte d'ÃÂȘtre plaisanté un moment; et vous voulez qu'on se gÃÂȘne? Ah! cela n'est pas juste. Adieu, Vicomte; redevenez donc aimable. Tenez, je ne demande pas mieux que de vous trouver charmant; et dÚs que j'en serai sûre, je m'engage à vous le prouver. En vérité, je suis trop bonne. Paris, ce 4 décembre 17**. LETTRE CLIII LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Je réponds sur-le-champ à votre Lettre, et je tùcherai d'ÃÂȘtre clair; ce qui n'est pas facile avec vous, quand une fois vous avez pris le parti de ne pas entendre. De longs discours n'étaient pas nécessaires pour établir que chacun de nous ayant en main tout ce qu'il faut pour perdre l'autre, nous avons un égal intérÃÂȘt à nous ménager mutuellement aussi, ce n'est pas de cela dont il s'agit. Mais encore entre le parti violent de se perdre, et celui, sans doute meilleur, de rester unis comme nous l'avons été, de le devenir davantage encore en reprenant notre premiÚre liaison, entre ces deux partis, dis-je, il y en a mille autres à prendre. Il n'était donc pas ridicule de vous dire, et il ne l'est pas de vous répéter que, de ce jour mÃÂȘme, je serai ou votre Amant ou votre ennemi. Je sens à merveille que ce choix vous gÃÂȘne; qu'il vous conviendrait mieux de tergiverser; et je n'ignore pas que vous n'avez jamais aimé à ÃÂȘtre placée ainsi entre le oui et le non mais vous devez sentir aussi que je ne puis vous laisser sortir de ce cercle étroit sans risquer d'ÃÂȘtre joué; et vous avez dû prévoir que je ne le souffrirais pas. C'est maintenant à vous à décider je peux vous laisser le choix mais non pas rester dans l'incertitude. Je vous préviens seulement que vous ne m'abuserez pas par vos raisonnements, bons ou mauvais; que vous ne me séduirez pas davantage par quelques cajoleries dont vous chercheriez à parer vos refus, et qu'enfin, le moment de la franchise est arrivé. Je ne demande pas mieux que de vous donner l'exemple; et je vous déclare avec plaisir que je préfÚre la paix et l'union mais s'il faut rompre l'une ou l'autre, je crois en avoir le droit et les moyens. J'ajoute donc que le moindre obstacle mis de votre part sera pris de la mienne pour une véritable déclaration de guerre vous voyez que la réponse que je vous demande n'exige ni longues ni belles phrases. Deux mots suffisent. Paris, ce 4 décembre 17**. REPONSE DE LA MARQUISE DE MERTEUIL ECRITE AU BAS DE LA MEME LETTRE. Hé bien! la guerre. LETTRE CLIV MADAME DE VOLANGES A MADAME DE ROSEMONDE Les bulletins vous instruisent mieux que je ne pourrais le faire, ma chÚre amie, du fùcheux état de notre malade. Tout entiÚre aux soins que je lui donne, je ne prends sur eux le temps de vous écrire qu'autant qu'il y a d'autres événements que ceux de la maladie. En voici un, auquel certainement je ne m'attendais pas. C'est une Lettre que j'ai reçue de M. de Valmont, à qui il a plu de me choisir pour sa confidente, et mÃÂȘme pour sa médiatrice auprÚs de Madame de Tourvel, pour qui il avait aussi joint une Lettre à la mienne. J'ai renvoyé l'une en répondant à l'autre. Je vous fais passer cette derniÚre, et je crois que vous jugerez comme moi que je ne pouvais ni ne devais rien faire de ce qu'il me demande. Quand je l'aurais voulu, notre malheureuse amie n'aurait pas été en état de m'entendre. Son délire est continuel. Mais que direz-vous de ce désespoir de M. de Valmont? D'abord faut-il y croire, ou veut-il seulement tromper tout le monde, et jusqu'à la fin [C'est parce qu'on n'a rien trouvé dans la suite de cette Correspondance qui pût résoudre ce doute, qu'on a pris le parti de supprimer la Lettre de M. de Valmont]? Si pour cette fois il est sincÚre, il peut bien dire qu'il a lui-mÃÂȘme fait son malheur. Je crois qu'il sera peu content de ma réponse mais j'avoue que tout ce qui me fixe sur cette malheureuse aventure me soulÚve de plus en plus contre son auteur. Adieu, ma chÚre amie; je retourne à mes tristes soins, qui le deviennent bien davantage encore par le peu d'espoir que j'ai de les voir réussir. Vous connaissez mes sentiments pour vous. Paris, ce 5 décembre 17**. LETTRE CLV LE VICOMTE DE VALMONT AU CHEVALIER DANCENY J'ai passé deux fois chez vous, mon cher Chevalier mais depuis que vous avez quitté le rÎle d'Amant pour celui d'homme à bonnes fortunes, vous ÃÂȘtes, comme de raison, devenu introuvable. Votre Valet de chambre m'a assuré cependant que vous rentreriez chez vous ce soir; qu'il avait ordre de vous attendre mais moi, qui suis instruit de vos projets, j'ai trÚs bien compris que vous ne rentreriez que pour un moment, pour prendre le costume de la chose, et que sur-le-champ vous recommenceriez vos courses victorieuses. A la bonne heure, et je ne puis qu'y applaudir; mais peut-ÃÂȘtre, pour ce soir, allez- vous ÃÂȘtre tenté de changer leur direction. Vous ne savez encore que la moitié de vos affaires; il faut vous mettre au courant de l'autre, et puis, vous vous déciderez. Prenez donc le temps de lire ma Lettre. Ce ne sera pas vous distraire de vos plaisirs, puisque au contraire elle n'a d'autre objet que de vous donner le choix entre eux. Si j'avais eu votre confiance entiÚre, si j'avais su par vous la partie de vos secrets que vous m'avez laissée à deviner, j'aurais été instruit à temps; et mon zÚle, moins gauche, ne gÃÂȘnerait pas aujourd'hui votre marche. Mais partons du point oÃÂč nous sommes. Quelque parti que vous preniez, votre pis aller ferait toujours bien le bonheur d'un autre. Vous avez un rendez-vous pour cette nuit, n'est-il pas vrai? avec une femme charmante et que vous adorez? car à votre ùge, quelle femme n'adore-t-on pas, au moins les huit premiers jours! Le lieu de la scÚne doit encore ajouter à vos plaisirs. Une petite maison délicieuse, et qu'on n'a prise que pour vous , doit embellir la volupté, des charmes de la liberté, et de ceux du mystÚre. Tout est convenu; on vous attend et vous brûlez de vous y rendre! voilà ce que nous savons tous deux, quoique vous ne m'en ayez rien dit. Maintenant, voici ce que vous ne savez pas, et qu'il faut que je vous dise. Depuis mon retour à Paris, je m'occupais des moyens de vous rapprocher de Mademoiselle de Volanges, je vous l'avais promis; et encore la derniÚre fois que je vous en parlai, j'eus lieu de juger par vos réponses, je pourrais dire par vos transports, que c'était m'occuper de votre bonheur. Je ne pouvais pas réussir à moi seul dans cette entreprise assez difficile mais aprÚs avoir préparé les moyens, j'ai remis le reste au zÚle de votre jeune MaÃtresse. Elle a trouvé, dans son amour, des ressources qui avaient manqué à mon expérience enfin votre malheur veut qu'elle ait réussi. Depuis deux jours, m'a-t-elle dit ce soir, tous les obstacles sont surmontés, et votre bonheur ne dépend plus que de vous. Depuis deux jours aussi, elle se flattait de vous apprendre cette nouvelle elle- mÃÂȘme, et malgré l'absence de sa Maman, vous auriez été reçu; mais vous ne vous ÃÂȘtes seulement pas présenté! et pour vous dire tout, soit caprice ou raison, la petite personne m'a paru un peu fùchée de ce manque d'empressement de votre part. Enfin, elle a trouvé le moyen de me faire aussi parvenir jusqu'à elle, et m'a fait promettre de vous rendre le plus tÎt possible la Lettre que je joins ici. A l'empressement qu'elle y a mis, je parierais bien qu'il y est question d'un rendez-vous pour ce soir. Quoi qu'il en soit, j'ai promis sur l'honneur et sur l'amitié que vous auriez la tendre missive dans la journée, et je ne puis ni ne veux manquer à ma parole. A présent, jeune homme, quelle conduite allez-vous tenir? Placé entre la coquetterie et l'amour, entre le plaisir et le bonheur, quel va ÃÂȘtre votre choix? Si je parlais au Danceny d'il y a trois mois, seulement à celui d'il y a huit jours, bien sûr de son cÅ“ur, je le serais de ses démarches mais le Danceny d'aujourd'hui, arraché par les femmes, courant les aventures, et devenu, suivant l'usage, un peu scélérat, préférera-t-il une jeune fille bien timide, qui n'a pour elle que sa beauté, son innocence et son amour, aux agréments d'une femme parfaitement usagée ! Pour moi, mon cher ami, il me semble que, mÃÂȘme dans vos nouveaux principes, que j'avoue bien ÃÂȘtre aussi un peu les miens, les circonstances me décideraient pour la jeune Amante. D'abord, c'en est une de plus, et puis la nouveauté, et encore la crainte de perdre le fruit de vos soins en négligeant de le cueillir; car enfin, de ce cÎté, ce serait véritablement l'occasion manquée, et elle ne revient pas toujours, surtout pour une premiÚre faiblesse souvent, dans ce cas, il ne faut qu'un moment d'humeur, un soupçon jaloux, moins encore, pour empÃÂȘcher le plus beau triomphe. La vertu qui se noie se raccroche quelquefois aux branches; et une fois réchappée, elle se tient sur ses gardes, et n'est plus facile à surprendre. Au contraire, de l'autre cÎté, que risquez-vous? Pas mÃÂȘme une rupture; une brouillerie tout au plus, oÃÂč l'on achÚte de quelques soins le plaisir d'un raccommodement. Quel autre parti reste-t-il à une femme déjà rendue, que celui de l'indulgence? Que gagnerait-elle à la sévérité? la perte de ses plaisirs, sans profit pour sa gloire. Si, comme je le suppose, vous prenez le parti de l'amour, qui me paraÃt aussi celui de la raison, je crois qu'il est de la prudence de ne point vous faire excuser au rendez-vous manqué; laissez-vous attendre tout simplement si vous risquez de donner une raison, on sera peut-ÃÂȘtre tenté de la vérifier. Les femmes sont curieuses et obstinées; tout peut se découvrir je viens, comme vous savez, d'en ÃÂȘtre moi-mÃÂȘme un exemple. Mais si vous laissez l'espoir, comme il sera soutenu par la vanité, il ne sera perdu que longtemps aprÚs l'heure propre aux informations alors demain vous aurez à choisir l'obstacle insurmontable qui vous aura retenu; vous aurez été malade, mort s'il le faut, ou toute autre chose dont vous serez également désespéré, et tout se raccommodera. Au reste, pour quelque cÎté que vous vous décidiez, je vous prie seulement de m'en instruire; et comme je n'y ai pas d'intérÃÂȘt, je trouverai toujours que vous avez bien fait. Adieu, mon cher ami. Ce que j'ajoute encore, c'est que je regrette Madame de Tourvel; c'est que je suis au désespoir d'ÃÂȘtre séparé d'elle; c'est que je paierais de la moitié de ma vie le bonheur de lui consacrer l'autre. Ah! croyez-moi, on n'est heureux que par l'amour. Paris, ce 5 décembre 17**. LETTRE CLVI CECILE VOLANGES AU CHEVALIER DANCENY JOINTE A LA PRECEDENTE. Comment se fait-il, mon cher ami, que je cesse de vous voir, quand je ne cesse pas de le désirer? n'en avez-vous plus autant d'envie que moi? Ah! c'est bien à présent que je suis triste! plus triste que quand nous étions séparés tout à fait. Le chagrin que j'éprouvais par les autres, c'est à présent de vous qu'il me vient, et cela fait bien plus de mal. Depuis quelques jours, Maman n'est jamais chez elle, vous le savez bien; et j'espérais que vous essaieriez de profiter de ce temps de liberté mais vous ne songez seulement pas à moi; je suis bien malheureuse! Vous me disiez tant que c'était moi qui aimais le moins! je savais bien le contraire, et en voilà bien la preuve. Si vous étiez venu pour me voir, vous m'auriez vue en effet car moi, je ne suis pas comme vous; je ne songe qu'à ce qui peut nous réunir. Vous mériteriez bien que je ne vous dise rien de tout ce que j'ai fait pour ça, et qui m'a donné tant de peine mais je vous aime trop, et j'ai tant d'envie de vous voir que je ne peux m'empÃÂȘcher de vous le dire. Et puis, je verrai bien aprÚs si vous m'aimez réellement. J'ai si bien fait que le Portier est dans nos intérÃÂȘts, et qu'il m'a promis que toutes les fois que vous viendriez, il vous laisserait toujours entrer comme s'il ne vous voyait pas et nous pouvons bien nous fier à lui, car c'est un bien honnÃÂȘte homme. Il ne s'agit donc plus que d'empÃÂȘcher qu'on ne vous voie dans la maison; et ça, c'est bien aisé, en n'y venant que le soir, et quand il n'y aura plus rien à craindre du tout. Par exemple, depuis que Maman sort tous les jours, elle se couche tous les soirs à onze heures; ainsi nous aurions bien du temps. Le Portier m'a dit que, quand vous voudriez venir comme ça, au lieu de frapper à la porte, vous n'auriez qu'à frapper à sa fenÃÂȘtre, et qu'il ouvrirait tout de suite; et puis, vous trouverez bien le petit escalier; et comme vous ne pourrez pas avoir de la lumiÚre, je laisserai la porte de ma chambre entrouverte, ce qui vous éclairera toujours un peu. Vous prendrez bien garde de ne pas faire de bruit; surtout en passant auprÚs de la petite porte de Maman. Pour celle de ma Femme de chambre, c'est égal, parce qu'elle m'a promis qu'elle ne se réveillerait pas; c'est aussi une bien bonne fille! Et pour vous en aller, ça sera tout de mÃÂȘme. A présent, nous verrons si vous viendrez. Mon Dieu, pourquoi donc le cÅ“ur me bat-il si fort en vous écrivant? Est-ce qu'il doit m'arriver quelque malheur ou si c'est l'espérance de vous voir qui me trouble comme ça? Ce que je sens bien, c'est que je ne vous ai jamais tant aimé, et que jamais je n'ai tant désiré de vous le dire. Venez donc, mon ami, mon cher ami; que je puisse vous répéter cent fois que je vous aime, que je vous adore, que je n'aimerai jamais que vous. J'ai trouvé moyen de faire dire à M. de Valmont que j'avais quelque chose à lui dire; et lui, comme il est bien bon ami, il viendra sûrement demain, et je le prierai de vous remettre ma Lettre tout de suite. Ainsi je vous attendrai demain au soir, et vous viendrez, sans faute, si vous ne voulez pas que votre Cécile soit bien malheureuse. Adieu, mon cher ami; je vous embrasse de tout mon cÅ“ur. Paris, ce 4 décembre 17**, au soir. LETTRE CLVII LE CHEVALIER DANCENY AU VICOMTE DE VALMONT Ne doutez pas, mon cher Vicomte, ni de mon cÅ“ur, ni de mes démarches comment résisterais-je à un désir de ma Cécile? Ah! c'est bien elle, elle seule que j'aime, que j'aimerai toujours! son ingénuité, sa tendresse ont un charme pour moi, dont j'ai pu avoir la faiblesse de me laisser distraire, mais que rien n'effacera jamais. Engagé dans une autre aventure, pour ainsi dire sans m'en ÃÂȘtre aperçu, souvent le souvenir de Cécile est venu me troubler jusque dans les plus doux plaisirs; et peut-ÃÂȘtre mon cÅ“ur ne lui a-t-il jamais rendu d'hommage plus vrai que dans le moment mÃÂȘme oÃÂč je lui étais infidÚle. Cependant, mon ami, ménageons sa délicatesse et cachons-lui mes torts; non pour la surprendre, mais pour ne pas l'affliger. Le bonheur de Cécile est le vÅ“u le plus ardent que je forme; jamais je ne me pardonnerais une faute qui lui aurait coûté une larme. J'ai mérité, je le sens, la plaisanterie que vous me faites sur ce que vous appelez mes nouveaux principes; mais vous pouvez m'en croire; ce n'est point par eux que je me conduis dans ce moment; et dÚs demain je suis décidé à le prouver. J'irai m'accuser à celle mÃÂȘme qui a causé mon égarement, et qui l'a partagé; je lui dirai " Lisez dans mon cÅ“ur; il a pour vous l'amitié la plus tendre; l'amitié unie au désir ressemble tant à l'amour!... Tous deux nous nous sommes trompés; mais susceptible d'erreur, je ne suis point capable de mauvaise foi. " Je connais mon amie; elle est honnÃÂȘte autant qu'indulgente; elle fera plus que me pardonner, elle m'approuvera. Elle-mÃÂȘme se reprochait souvent d'avoir trahi l'amitié; souvent sa délicatesse effrayait son amour plus sage que moi, elle fortifiera dans mon ùme ces craintes utiles, que je cherchais témérairement à étouffer dans la sienne. Je lui devrai d'ÃÂȘtre meilleur, comme à vous d'ÃÂȘtre plus heureux. Ô mes amis, partagez ma reconnaissance. L'idée de vous devoir mon bonheur en augmente le prix. Adieu, mon cher Vicomte. L'excÚs de ma joie ne m'empÃÂȘche point de songer à vos peines, et d'y prendre part. Que ne puis-je vous ÃÂȘtre utile! Madame de Tourvel reste donc inexorable? On la dit aussi bien malade. Mon Dieu, que je vous plains! Puisse-t-elle reprendre à la fois de la santé et de l'indulgence, et faire à jamais votre bonheur! Ce sont les vÅ“ux de l'amitié; j'ose espérer qu'ils seront exaucés par l'amour. Je voudrais causer plus longtemps avec vous; mais l'heure me presse, et peut- ÃÂȘtre Cécile m'attend déjà . Paris, ce 5 décembre 17**. LETTRE CLVIII LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL A SON REVEIL. Eh bien, Marquise, comment vous trouvez-vous des plaisirs de la nuit derniÚre? n'en ÃÂȘtes-vous pas un peu fatiguée? Convenez donc que Danceny est charmant! Il fait des prodiges, ce garçon-là . Vous n'attendiez pas cela de lui, n'est-il pas vrai? Allons, je me rends justice, un pareil rival méritait bien que je lui fusse sacrifié. Sérieusement, il est plein de bonnes qualités! Mais surtout, que d'amour, de constance, de délicatesse! Ah! si jamais vous ÃÂȘtes aimée de lui comme l'est sa Cécile, vous n'aurez point de rivales à craindre il vous l'a prouvé cette nuit. Peut-ÃÂȘtre à force de coquetterie, une autre femme pourra vous l'enlever un moment; un jeune homme ne sait guÚre se refuser à des agaceries provocantes mais un seul mot de l'objet aimé suffit, comme vous voyez, pour dissiper cette illusion; ainsi il ne vous manque plus que d'ÃÂȘtre cet objet-là pour ÃÂȘtre parfaitement heureuse. Sûrement vous ne vous y tromperez pas; vous avez le tact trop sûr pour qu'on puisse le craindre. Cependant l'amitié qui nous unit, aussi sincÚre de ma part que bien reconnue de la vÎtre, m'a fait désirer pour vous l'épreuve de cette nuit; c'est l'ouvrage de mon zÚle; il a réussi mais point de remerciements; cela n'en vaut pas la peine rien n'était plus facile. Au fait, que m'en a-t-il coûté? un léger sacrifice, et quelque peu d'adresse. J'ai consenti à partager avec le jeune homme les faveurs de sa MaÃtresse mais enfin il y avait bien autant de droit que moi; et je m'en souciais si peu! La Lettre que la jeune personne lui a écrite, c'est bien moi qui l'ai dictée; mais c'était seulement pour gagner du temps, parce que nous avions à l'employer mieux, celle que j'y ai jointe, oh! ce n'était rien, presque rien; quelques réflexions de l'amitié pour guider le choix du nouvel Amant mais en honneur, elles étaient inutiles; il faut dire la vérité, il n'a pas balancé un moment. Et puis, dans sa candeur, il doit aller chez vous aujourd'hui vous raconter tout; et sûrement ce récit-là vous fera grand plaisir! il vous dira Lisez dans mon cour; il me le mande et vous voyez bien que cela raccommode tout. J'espÚre qu'en y lisant ce qu'il voudra, vous y lirez peut-ÃÂȘtre aussi que les Amants si jeunes ont leurs dangers; et encore, qu'il vaut mieux m'avoir pour ami que pour ennemi. Adieu, Marquise; jusqu'à la premiÚre occasion. Paris, ce 6 décembre 17**. LETTRE CLIX LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT BILLET Je n'aime pas qu'on ajoute de mauvaises plaisanteries à de mauvais procédés; ce n'est pas plus ma maniÚre que mon goût. Quand j'ai à me plaindre de quelqu'un, je ne le persifle pas; je fais mieux je me venge. Quelque content de vous que vous puissiez ÃÂȘtre en ce moment, n'oubliez point que ce ne serait pas la premiÚre fois que vous vous seriez applaudi d'avance; et tout seul dans l'espoir d'un triomphe qui vous serait échappé à l'instant mÃÂȘme oÃÂč vous vous en félicitiez. Adieu. Paris, ce 6 décembre 17**. LETTRE CLX MADAME DE VOLANGES A MADAME DE ROSEMONDE Je vous écris de la chambre de notre malheureuse amie, dont l'état est à peu prÚs toujours le mÃÂȘme. Il doit y avoir cet aprÚs-midi une consultation de quatre Médecins. Malheureusement, c'est, comme vous le savez, plus souvent une preuve de danger qu'un moyen de secours. Il paraÃt cependant que la tÃÂȘte est un peu revenue la nuit derniÚre. La Femme de chambre m'a informée ce matin qu'environ vers minuit sa MaÃtresse l'a fait appeler; qu'elle a voulu ÃÂȘtre seule avec elle, et qu'elle lui a dicté une assez longue Lettre. Julie a ajouté que, tandis qu'elle était occupée à en faire l'enveloppe, Madame de Tourvel avait repris le transport en sorte que cette fille, n'a pas su à qui il fallait mettre l'adresse. Je me suis étonnée d'abord que la Lettre elle-mÃÂȘme n'ait pas suffi pour le lui apprendre mais sur ce qu'elle m'a répondu qu'elle craignait de se tromper, et que cependant sa MaÃtresse lui avait bien recommandé de la faire partir sur-le-champ, j'ai pris sur moi d'ouvrir le paquet. J'y ai trouvé l'écrit que je vous envoie, qui en effet ne s'adresse à personne pour s'adresser à trop de monde. Je crois cependant que c'est à M, de Valmont que notre malheureuse amie a voulu écrire d'abord; mais qu'elle a cédé sans s'en apercevoir au désordre de ses idées. Quoi qu'il en soit, j'ai jugé que cette Lettre ne devait ÃÂȘtre rendue à personne. Je vous l'envoie, parce que vous y verrez mieux que je ne pourrais vous le dire quelles sont les pensées qui occupent la tÃÂȘte de notre malade. Tant qu'elle restera aussi vivement affectée, je n'aurai guÚre d'espérance. Le corps se rétablit difficilement, quand l'esprit est si peu tranquille. Adieu, ma chÚre et digne amie. Je vous félicite d'ÃÂȘtre éloignée du triste spectacle que j'ai continuellement sous les yeux. Paris, ce 6 décembre 17**. LETTRE CLXI LA PRESIDENTE DE TOURVEL A ... DICTEE PAR ELLE ET ECRITE PAR SA FEMME DE CHAMBRE. Etre cruel et malfaisant, ne te lasseras-tu point de me persécuter? Ne te suffit- il pas de m'avoir tourmentée, dégradée, avilie, veux-tu me ravir jusqu'à la paix du tombeau? Quoi! dans ce séjour de ténÚbres oÃÂč l'ignominie m'a forcée de m'ensevelir, les peines sont-elles sans relùche, l'espérance est-elle méconnue? Je n'implore point une grùce que je ne mérite point pour souffrir sans me plaindre, il me suffira que mes souffrances n'excÚdent pas mes forces. Mais ne rends pas mes tourments insupportables. En me laissant mes douleurs, Îte-moi le cruel souvenir des biens que j'ai perdus. Quand tu me les as ravis, n'en retrace plus à mes yeux la désolante image. J'étais innocente et tranquille c'est pour t'avoir vu que j'ai perdu le repos; c'est en t'écoutant que je suis devenue criminelle. Auteur de mes fautes, quel droit as-tu de les punir? OÃÂč sont les amis qui me chérissaient, oÃÂč sont-ils? mon infortune les épouvante. Aucun n'ose m'approcher. Je suis opprimée, et ils me laissent sans secours! Je meurs, et personne ne pleure sur moi. Toute consolation m'est refusée. La pitié s'arrÃÂȘte sur les bords de l'abÃme oÃÂč le criminel se plonge. Les remords le déchirent, et ses cris ne sont pas entendus! Et toi, que j'ai outragé; toi, dont l'estime ajoute à mon supplice; toi, qui seul enfin aurais le droit de te venger, que fais-tu loin de moi? Viens punir une femme infidÚle. Que je souffre enfin des tourments mérités. Déjà je me serais soumise à ta vengeance mais le courage m'a manqué pour t'apprendre ta honte. Ce n'était point dissimulation, c'était respect. Que cette Lettre au moins t'apprenne mon repentir. Le Ciel a pris ta cause il te venge d'une injure que tu as ignorée. C'est lui qui a lié ma langue et retenu mes paroles; il a craint que tu ne me remisses une faute qu'il voulait punir. Il m'a soustraite à ton indulgence qui aurait blessé sa justice. Impitoyable dans sa vengeance, il m'a livrée à celui-là mÃÂȘme qui m'a perdue. C'est à la fois pour lui et par lui que je souffre. Je veux le fuir, en vain, il me suit; il est là ; il m'obsÚde sans cesse. Mais qu'il est différent de lui-mÃÂȘme! Ses yeux n'expriment plus que la haine et le mépris. Sa bouche ne profÚre que l'insulte et le reproche. Ses bras ne m'entourent que pour me déchirer. Qui me sauvera de sa barbare fureur? Mais quoi! c'est lui... Je ne me trompe pas; c'est lui que je revois. Oh! mon aimable ami! reçois-moi dans tes bras; cache-moi dans ton sein oui, c'est toi, c'est bien toi! Quelle illusion funeste m'avait fait te méconnaÃtre? combien j'ai souffert dans ton absence! Ne nous séparons plus, ne nous séparons jamais! Laisse-moi respirer. Sens mon cÅ“ur, comme il palpite! Oh! ce n'est plus de crainte, c'est la douce émotion de l'amour. Pourquoi te refuser à mes tendres caresses? Tourne vers moi tes doux regards! Quels sont ces liens que tu cherches à rompre? pour qui prépares-tu cet appareil de mort? qui peut altérer ainsi tes traits? que fais-tu? Laisse-moi je frémis! Dieu! c'est ce monstre encore! Mes amies, ne m'abandonnez pas. Vous qui m'invitiez à le fuir, aidez- moi à le combattre; et vous qui, plus indulgente, me promettiez de diminuer mes peines, venez donc auprÚs de moi. OÃÂč ÃÂȘtes-vous toutes deux? S'il ne m'est plus permis de vous revoir, répondez au moins à cette Lettre; que je sache que vous m'aimez encore. Laisse-moi donc, cruel! quelle nouvelle fureur t'anime? Crains-tu qu'un sentiment doux ne pénÚtre jusqu'à mon ùme? Tu redoubles mes tourments; tu me forces de te haïr. Oh! que la haine est douloureuse! comme elle corrode le cÅ“ur qui la distille! Pourquoi me persécutez-vous? que pouvez-vous encore avoir à me dire? ne m'avez-vous pas mise dans l'impossibilité de vous écouter, comme de vous répondre? N'attendez plus rien de moi. Adieu, Monsieur. Paris, ce 5 décembre 17**. LETTRE CLXII LE CHEVALIER DANCENY AU VICOMTE DE VALMONT Je suis instruit, Monsieur, de vos procédés envers moi. Je sais aussi que, non content de m'avoir indignement joué, vous ne craignez pas de vous en vanter, de vous en applaudir. J'ai vu la preuve de votre trahison écrite de votre main. J'avoue que mon cÅ“ur en a été navré, et que j'ai ressenti quelque honte d'avoir autant aidé moi-mÃÂȘme à l'odieux abus que vous avez fait de mon aveugle confiance; pourtant je ne vous envie pas ce honteux avantage; je suis seulement curieux de savoir si vous les conserverez tous également sur moi. J'en serai instruit, si, comme je l'espÚre, vous voulez bien vous trouver demain, entre huit et neuf heures du matin, à la porte du bois de Vincennes, Village de Saint-Mandé. J'aurai soin d'y faire trouver tout ce qui sera nécessaire pour les éclaircissements qui me restent à prendre avec vous. Le Chevalier Danceny. Paris, ce 6 décembre 17**, au soir. LETTRE CLXIII M. BERTRAND A MADAME DE ROSEMONDE Madame, C'est avec bien du regret que je remplis le triste devoir de vous annoncer une nouvelle qui va vous causer un si cruel chagrin. Permettez-moi de vous inviter d'abord à cette pieuse résignation que chacun a si souvent admirée en vous, et qui peut seule nous faire supporter les maux dont est semée notre misérable vie. M. votre neveu... Mon Dieu! faut-il que j'afflige tant une si respectable dame! M. votre neveu a eu le malheur de succomber dans un combat singulier qu'il a eu ce matin avec M. le Chevalier Danceny. J'ignore entiÚrement le sujet de la querelle; mais il paraÃt par le billet que j'ai trouvé encore dans la poche de M. le Vicomte, et que j'ai l'honneur de vous envoyer; il paraÃt, dis-je, qu'il n'était pas l'agresseur. Et il faut que ce soit lui que le Ciel ait permis qui succombùt! J'étais chez M. le Vicomte à l'attendre, à l'heure mÃÂȘme oÃÂč on l'a ramené à l'HÎtel. Figurez-vous mon effroi, en voyant M. votre neveu porté par deux de ses gens, et tout baigné dans son sang. Il avait deux coups d'épée dans le corps, et il était déjà bien faible. M. Danceny était aussi là , et mÃÂȘme il pleurait. Ah! sans doute, il doit pleurer mais il est bien temps de répandre des larmes, quand on a causé un malheur irréparable! Pour moi, je ne me possédais pas; et malgré le peu que je suis, je ne lui en disais pas moins ma façon de penser. Mais c'est là que M. le Vicomte s'est montré véritablement grand. Il m'a ordonné de me taire; et celui-là mÃÂȘme qui était son meurtrier, il lui a pris la main, l'a appelé son ami, l'a embrassé devant nous tous, et nous a dit; " Je vous ordonne d'avoir pour Monsieur tous les égards qu'on doit à un brave et galant homme. " Il lui a de plus fait remettre, devant moi, des papiers fort volumineux, que je ne connais pas, mais auxquels je sais bien qu'il attachait beaucoup d'importance. Ensuite il a voulu qu'on les laissùt seuls ensemble pendant un moment. Cependant j'avais envoyé chercher tout de suite tous les secours, tant spirituels que temporels mais, hélas! le mal était sans remÚde. Moins d'une demi-heure aprÚs, M. le Vicomte était sans connaissance. Il n'a pu recevoir que l'ExtrÃÂȘme-Onction; et la cérémonie était à peine achevée qu'il a rendu son dernier soupir. Bon Dieu! quand j'ai reçu dans mes bras à sa naissance ce précieux appui d'une maison si illustre, aurais-je pu prévoir que ce serait dans mes bras qu'il expirerait, et que j'aurais à pleurer sa mort? Une mort si précoce et si malheureuse! Mes larmes coulent malgré moi; je vous demande pardon, Madame, d'oser ainsi mÃÂȘler mes douleurs aux vÎtres mais dans tous les états, on a un cÅ“ur et de la sensibilité; et je serais bien ingrat, si je ne pleurais pas toute ma vie un Seigneur qui avait tant de bontés pour moi, et qui m'honorait de tant de confiance. Demain, aprÚs l'enlÚvement du corps, je ferai mettre les scellés partout, et vous pouvez vous en reposer entiÚrement sur mes soins. Vous n'ignorez pas, Madame, que ce malheureux événement finit la substitution, et rend vos dispositions entiÚrement libres. Si je puis vous ÃÂȘtre de quelque utilité, je vous prie de vouloir bien me faire passer vos ordres je mettrai tout mon zÚle à les exécuter ponctuellement. Je suis avec le plus profond respect, Madame, votre trÚs humble, etc. Bertrand. Paris, ce 7 décembre l7**. LETTRE CLXIV MADAME DE ROSEMONDE A M. BERTRAND Je reçois votre lettre à l'instant mÃÂȘme, mon cher Bertrand, et j'apprends par elle l'affreux événement dont mon neveu a été la malheureuse victime. Oui, sans doute j'aurai des ordres à vous donner; et ce n'est que pour eux que je peux m'occuper d'autre chose que de ma mortelle affliction. Le billet de M. Danceny, que vous m'avez envoyé, est une preuve bien convaincante que c'est lui qui a provoqué le duel, et mon intention est que vous en rendiez plainte sur-le-champ, et en mon nom. En pardonnant à son ennemi, à son meurtrier, mon neveu a pu satisfaire à sa générosité naturelle; mais moi, je dois venger à la fois sa mort, l'humanité et la religion. On ne saurait trop exciter la sévérité des Lois contre ce reste de barbarie, qui infecte encore nos mÅ“urs; et je ne crois pas que ce puisse ÃÂȘtre dans ce cas que le pardon des injures nous soit prescrit. J'attends donc que vous suiviez cette affaire avec tout le zÚle et toute l'activité dont je vous connais capable, et que vous devez à la mémoire de mon neveu. Vous aurez soin, avant tout, de voir M. le Président de *** de ma part, et d'en conférer avec lui. Je ne lui écris pas, pressée que je suis de me livrer tout entiÚre à ma douleur. Vous lui ferez mes excuses et lui communiquerez cette Lettre. Adieu, mon cher Bertrand; je vous loue et vous remercie de vos bons sentiments, et suis pour la vie toute à vous. Du Chùteau de ..., ce 8 décembre 17**. LETTRE CLXV MADAME DE VOLANGES A MADAME DE ROSEMONDE Je vous sais déjà instruite, ma chÚre et digne amie, de la perte que vous venez de faire; je connaissais votre tendresse pour M. de Valmont, et je partage bien sincÚrement l'affliction que vous devez ressentir. Je suis vraiment peinée d'avoir à ajouter de nouveaux regrets à ceux que vous éprouvez déjà mais hélas! il ne vous reste non plus que des larmes à donner à notre malheureuse amie. Nous l'avons perdue, hier, à onze heures du soir. Par une fatalité attachée à son sort, et qui semblait se jouer de toute prudence humaine, ce court intervalle qu'elle a survécu à M. de Valmont lui a suffi pour en apprendre la mort; et, comme elle a dÃt elle-mÃÂȘme, pour n'avoir pu succomber sous le poids de ses malheurs qu'aprÚs que la mesure en a été comblée. En effet, vous avez su que depuis plus de deux jours elle était absolument sans connaissance; et encore hier matin, quand son Médecin arriva que nous approchùmes de son lit, elle ne nous reconnut ni l'un ni l'autre, et nous ne pûmes en obtenir ni une parole, ni le moindre signe. Hé bien! à peine étions- nous revenus à la cheminée, et pendant que le Médecin m'apprenait le triste événement de la mort de M. de Valmont, cette femme infortunée a retrouvé toute sa tÃÂȘte, soit que la nature seule ait produit cette révolution, soit qu'elle ait été causée par ces mots répétés de M. de Valmont et de mort , qui ont pu rappeler à la malade les seules idées dont elle s'occupait depuis longtemps. Quoi qu'il en soit, elle ouvrit précipitamment les rideaux de son lit en s'écriant " Quoi! que dites vous? M. de Valmont est mort? " J'espérais lui faire croire qu'elle s'était trompée, et je l'assurai d'abord qu'elle avait mal entendu mais loin de se laisser persuader ainsi, elle exigea du Médecin qu'il recommençùt ce cruel récit; et sur ce que je voulus essayer encore de la dissuader, elle m'appela et me dit à voix basse " Pourquoi vouloir me tromper? n'était-il pas déjà mort pour moi! " Il a donc fallu céder. Notre malheureuse amie a écouté d'abord d'un air assez tranquille, mais bientÎt aprÚs, elle a interrompu le récit, en disant " Assez, j'en ai assez. " Elle a demandé sur-le-champ qu'on fermùt ses rideaux et lorsque le Médecin a voulu s'occuper ensuite des soins de son état, elle n'a jamais voulu souffrir qu'il approchùt d'elle. DÚs qu'il a été sorti, elle a pareillement renvoyé sa garde et sa Femme de chambre; et quand nous avons été seules, elle m'a priée de l'aider à se mettre à genoux sur son lit, et de l'y soutenir. Là , elle est restée quelque temps en silence, et sans autre expression que celle de ses larmes qui coulaient abondamment. Enfin, joignant ses mains et les élevant vers le Ciel " Dieu tout-puissant " , a-t-elle dit d'une voix faible, mais fervente, " je me soumets à ta justice mais pardonne à Valmont. Que mes malheurs, que je reconnais avoir mérités, ne lui soient pas un sujet de reproche, et je bénirai ta miséricorde! " Je me suis permis, ma chÚre et digne amie, d'entrer dans ces détails sur un sujet que je sens bien devoir renouveler et aggraver vos douleurs, parce que je ne doute pas que cette priÚre de Madame de Tourvel ne porte cependant une grande consolation dans votre ùme. AprÚs que notre amie eut proféré ce peu de mots, elle se laissa retomber dans mes bras; et elle était à peine replacée dans son lit, qu'il lui prit une faiblesse qui fut longue, mais qui céda pourtant aux secours ordinaires. AussitÎt qu'elle eut repris connaissance, elle me demanda d'envoyer chercher le PÚre Anselme, et elle ajouta " C'est à présent le seul médecin dont j'aie besoin; je sens que mes maux vont bientÎt finir. " Elle se plaignait de beaucoup d'oppression, et elle parlait difficilement. Peu de temps aprÚs, elle me fit remettre, par sa Femme de chambre, une cassette que je vous envoie, qu'elle me dit contenir des papiers à elle; et qu'elle me chargea de vous faire passer aussitÎt aprÚs sa mort [Cette cassette contenait toutes les Lettres relatives à son aventure avec M. de Valmont]. Ensuite elle me parla de vous, et de votre amitié pour elle, autant que sa situation le lui permettait, et avec beaucoup d'attendrissement. Le PÚre Anselme arriva vers les quatre heures, et resta prÚs d'une heure seul avec elle. Quand nous rentrùmes, la figure de la malade était calme et sereine; mais il était facile de voir que le PÚre Anselme avait beaucoup pleuré. Il resta pour assister aux derniÚres cérémonies de l'Église. Ce spectacle, toujours si imposant et si douloureux, le devenait encore plus par le contraste que formait la tranquille résignation de la malade, avec la douleur profonde de son vénérable Confesseur qui fondait en larmes à cÎté d'elle. L'attendrissement devint général; et celle que tout le monde pleurait fut la seule qui ne se pleura point. Le reste de la journée se passa dans les priÚres usitées, qui ne furent interrompues que par les fréquentes faiblesses de la malade. Enfin, vers les onze heures du soir, elle me parut plus oppressée et plus souffrante. J'avançai ma main pour chercher son bras; elle eut encore la force de la prendre, et la posa sur son cÅ“ur. Je n'en sentis plus le battement; et en effet, notre malheureuse amie expira dans le moment mÃÂȘme. Vous rappelez-vous, ma chÚre amie, qu'à votre dernier voyage ici, il y a moins d'un an, causant ensemble de quelques personnes dont le bonheur nous paraissait plus ou moins assuré, nous nous arrÃÂȘtùmes avec complaisance sur le sort de cette mÃÂȘme femme, dont aujourd'hui nous pleurons à la fois les malheurs et la mort? Tant de vertus, de qualités louables et d'agréments; un caractÚre si doux et si facile; un mari qu'elle aimait, et dont elle était adorée; une société oÃÂč elle se plaisait, et dont elle faisait les délices; de la figure, de la jeunesse, de la fortune; tant d'avantages réunis ont donc été perdus par une seule imprudence! Ô Providence! sans doute il faut adorer tes décrets; mais combien ils sont incompréhensibles! Je m'arrÃÂȘte, je crains d'augmenter votre tristesse, en me livrant à la mienne. Je vous quitte et vais passer chez ma fille, qui est un peu indisposée. En apprenant de moi, ce matin, cette mort si prompte de deux personnes de sa connaissance, elle s'est trouvée mal, et je l'ai fait mettre au lit. J'espÚre cependant que cette légÚre incommodité n'aura pas de suite. A cet ùge-là , on n'a pas encore l'habitude des chagrins, et leur impression en devient plus vive et plus forte. Cette sensibilité si active est, sans doute, une qualité louable; mais combien tout ce qu'on voit chaque jour nous apprend à la craindre! Adieu, ma chÚre et digne amie. Paris, ce 9 décembre 17**. LETTRE CLXVI M. BERTRAND A MADAME DE ROSEMONDE Madame, En conséquence des ordres que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser, j'ai eu celui de voir M. le Président de ***, et je lui ai communiqué votre Lettre, en le prévenant que, suivant vos désirs, je ne ferais rien que par ses conseils. Ce respectable Magistrat m'a chargé de vous observer que la plainte que vous ÃÂȘtes dans l'intention de rendre contre M. le Chevalier Danceny compromettrait également la mémoire de M. votre neveu, et que son honneur se trouverait nécessairement entaché par l'arrÃÂȘt de la Cour, ce qui serait sans doute un grand malheur. Son avis est donc qu'il faut bien se garder de faire aucune démarche; et que s'il y en avait à faire, ce serait au contraire pour tùcher de prévenir que le MinistÚre public ne prÃt connaissance de cette malheureuse aventure, qui n'a déjà que trop éclaté. Ces observations m'ont paru pleines de sagesse, et je prends le parti d'attendre de nouveaux ordres de votre part. Permettez-moi de vous prier, Madame, de vouloir bien, en me les faisant passer, y joindre un mot sur l'état de votre santé pour laquelle je redoute extrÃÂȘmement le triste effet de tant de chagrins. J'espÚre que vous pardonnerez cette liberté à mon attachement et à mon zÚle. Je suis avec respect, Madame, votre, etc. Paris, ce 10 décembre 17**. LETTRE CLXVII ANONYME A M. LE CHEVALIER DANCENY Monsieur, J'ai l'honneur de vous prévenir que ce matin, au parquet de la Cour, il a été question parmi MM. les Gens du Roi de l'affaire que vous avez eue ces jours derniers avec M. le Vicomte de Valmont, et qu'il est à craindre que le MinistÚre public n'en rende plainte. J'ai cru que cet avertissement pourrait vous ÃÂȘtre utile, soit pour que vous fassiez agir vos protections, pour arrÃÂȘter ces suites fùcheuses; soit, au cas que vous n'y puissiez parvenir pour vous mettre dans le cas de prendre vos sûretés personnelles. Si mÃÂȘme vous me permettez un conseil, je crois que vous feriez bien, pendant quelque temps, de vous montrer moins que vous ne l'avez fait depuis quelques jours. Quoique ordinairement on ait de l'indulgence pour ces sortes d'affaires, on doit néanmoins toujours ce respect à la Loi. Cette précaution devient d'autant plus nécessaire, qu'il m'est revenu qu'une madame de Rosemonde, qu'on m'a dite tante de M. de Valmont, voulait rendre plainte contre vous; et qu'alors la Partie publique ne pourrait pas se refuser à sa réquisition. Il serait peut-ÃÂȘtre à propos que vous pussiez faire parler à cette Dame. Des raisons particuliÚres m'empÃÂȘchent de signer cette Lettre. Mais je compte que, pour ne pas savoir de qui elle vous vient, vous n'en rendrez pas moins justice au sentiment qui l'a dictée. J'ai l'honneur d'ÃÂȘtre, etc. Paris, ce 10 décembre 17**. LETTRE CLXVIII MADAME DE VOLANGES A MADAME DE ROSEMONDE Il se répand ici, ma chÚre et digne amie, sur le compte de Madame de Merteuil, des bruits bien étonnants et bien fùcheux. Assurément, je suis loin d'y croire, et je parierais bien que ce n'est qu'une affreuse calomnie mais je sais trop combien les méchancetés, mÃÂȘme les moins vraisemblables, prennent aisément consistance; et combien l'impression qu'elles laissent s'efface difficilement, pour ne pas ÃÂȘtre trÚs alarmée de celles-ci, toutes faciles que je les crois à détruire. Je désirerais, surtout, qu'elles pussent ÃÂȘtre arrÃÂȘtées de bonne heure, et avant d'ÃÂȘtre plus répandues. Mais je n'ai su qu'hier, fort tard, ces horreurs qu'on commence seulement à débiter; et quand j'ai envoyé ce matin chez Madame de Merteuil, elle venait de partir pour la campagne oÃÂč elle doit passer deux jours. On n'a pas pu me dire chez qui elle était allée. Sa seconde Femme, que j'ai fait venir me parler, m'a dit que sa MaÃtresse lui avait seulement donné ordre de l'attendre Jeudi prochain; et aucun des Gens qu'elle a laissés ici n'en sait davantage. Moi-mÃÂȘme, je ne présume pas oÃÂč elle peut ÃÂȘtre; je ne me rappelle personne de sa connaissance qui reste aussi tard à la campagne. Quoi qu'il en soit, vous pourrez, à ce que j'espÚre, me procurer, d'ici à son retour, des éclaircissements qui peuvent lui ÃÂȘtre utiles, car on fonde ces odieuses histoires sur des circonstances de la mort de M. de Valmont, dont apparemment vous aurez été instruite si elles sont vraies, ou dont au moins il vous sera facile de vous faire informer, ce que je vous demande en grùce. Voici ce qu'on publie, ou, pour mieux dire, ce qu'on murmure encore, mais qui ne tardera sûrement pas à éclater davantage. On dit donc que la querelle survenue entre M. de Valmont et le Chevalier Danceny est l'ouvrage de Madame de Merteuil, qui les trompait également tous deux; que, comme il arrive presque toujours, les deux rivaux ont commencé par se battre, et ne sont venus qu'aprÚs aux éclaircissements; que ceux-ci ont produit une réconciliation sincÚre; et que, pour achever de faire connaÃtre Madame de Merteuil au Chevalier Danceny, et aussi pour se justifier entiÚrement, M. de Valmont a joint à ses discours une foule de Lettres, formant une correspondance réguliÚre qu'il entretenait avec elle, et oÃÂč celle-ci raconte sur elle-mÃÂȘme, et dans le style le plus libre, les anecdotes les plus scandaleuses. On ajoute que Danceny, dans sa premiÚre indignation, a livré ces Lettres à qui a voulu les voir, et qu'à présent, elles courent Paris. On en cite particuliÚrement deux [Lettres LXXXI et LXXXV de ce Recueil] l'une oÃÂč elle fait l'histoire entiÚre de sa vie et de ses principes, et qu'on dit le comble de l'horreur; l'autre qui justifie entiÚrement M. de Prévan, dont vous vous rappelez l'histoire, par la preuve qui s'y trouve qu'il n'a fait au contraire que céder aux avances les plus marquées de Madame de Merteuil et que le rendez-vous était convenu avec elle. J'ai heureusement les plus fortes raisons de croire que ces imputations sont aussi fausses qu'odieuses. D'abord, nous savons toutes deux que M. de Valmont n'était sûrement pas occupé de Madame de Merteuil, et j'ai tout lieu de croire que Danceny ne s'en occupait pas davantage; ainsi, il me paraÃt démontré qu'elle n'a pu ÃÂȘtre, ni le sujet, ni l'auteur de la querelle. Je ne comprends pas non plus quel intérÃÂȘt aurait eu Madame de Merteuil, que l'on suppose d'accord avec M. de Prévan, à faire une scÚne qui ne pouvait jamais ÃÂȘtre que désagréable par son éclat, et qui pouvait devenir trÚs dangereuse pour elle, puisqu'elle se faisait par là un ennemi irréconciliable, d'un homme qui se trouvait maÃtre d'une partie de son secret, et qui avait alors beaucoup de partisans. Cependant, il est à remarquer que, depuis cette aventure, il ne s'est pas élevé une seule voix en faveur de Prévan, et que, mÃÂȘme de sa part, il n'y a eu aucune réclamation. Ces réflexions me porteraient à le soupçonner l'auteur des bruits qui courent aujourd'hui, et à regarder ces noirceurs comme l'ouvrage de la haine et de la vengeance d'un homme qui, se voyant perdu, espÚre par ce moyen répandre au moins des doutes, et causer peut-ÃÂȘtre une diversion utile. Mais de quelque part que viennent ces méchancetés, le plus pressé est de les détruire. Elles tomberaient d'elles-mÃÂȘmes, s'il se trouvait, comme il est vraisemblable, que MM. de Valmont et Danceny ne se fussent point parlé depuis leur malheureuse affaire, et qu'il n'y eût pas eu de papiers remis. Dans mon impatience de vérifier ces faits, j'ai envoyé ce matin chez M. Danceny; il n'est pas non plus à Paris. Ses Gens ont dit à mon Valet de chambre qu'il était parti cette nuit, sur un avis qu'il avait reçu hier, et que le lieu de son séjour était un secret. Apparemment il craint les suites de son affaire. Ce n'est donc que par vous, ma chÚre et digne amie, que je puis avoir les détails qui m'intéressent, et qui peuvent devenir si nécessaires à Madame de Merteuil. Je vous renouvelle ma priÚre de me les faire parvenir le plus tÎt possible. L'indisposition de ma fille n'a eu aucune suite; elle vous présente son respect. Paris, ce 11 décembre 17**. LETTRE CLXIX LE CHEVALIER DANCENY A MADAME DE ROSEMONDE Madame, Peut-ÃÂȘtre trouverez-vous la démarche que je fais aujourd'hui, bien étrange mais je vous en supplie, écoutez-moi avant de me juger, et ne voyez ni audace ni témérité, oÃÂč il n'y a que respect et confiance. Je ne me dissimule pas les torts que j'ai vis-à -vis de vous; et je ne me les pardonnerais de ma vie, si je pouvais penser un moment qu'il m'eût été possible d'éviter de les avoir. Soyez mÃÂȘme bien persuadée, Madame, que pour me trouver exempt de reproches, je ne le suis pas de regrets; et je peux ajouter encore avec sincérité que ceux que je vous cause entrent pour beaucoup dans ceux que je ressens. Pour croire à ces sentiments dont j'ose vous assurer, il doit vous suffire de vous rendre justice, et de savoir que, sans avoir l'honneur d'ÃÂȘtre connu de vous, j'ai pourtant celui de vous connaÃtre. Cependant, quand je gémis de la fatalité qui a causé à la fois vos chagrins et mes malheurs, on veut me faire craindre que, tout entiÚre à votre vengeance, vous ne cherchiez les moyens de la satisfaire, jusque dans la sévérité des lois. Permettez-moi d'abord de vous observer à ce sujet, qu'ici votre douleur vous abuse, puisque mon intérÃÂȘt sur ce point est essentiellement lié à celui de M. de Valmont, et qu'il se trouverait enveloppé lui-mÃÂȘme dans la condamnation que vous auriez provoquée contre moi. Je croirais donc, Madame, pouvoir au contraire compter plutÎt de votre part sur des secours que sur des obstacles, dans les soins que je pourrais ÃÂȘtre obligé de prendre pour que ce malheureux événement restùt enseveli dans le silence. Mais cette ressource de complicité, qui convient également au coupable et à l'innocent, ne peut suffire à ma délicatesse en désirant de vous écarter comme partie, je vous réclame comme mon Juge. L'estime des personnes qu'on respecte est trop précieuse pour que je me laisse ravir la vÎtre sans la défendre, et je crois en avoir les moyens. En effet, si vous convenez que la vengeance est permise, disons mieux, qu'on se la doit, quand on a été trahi dans son amour, dans son amitié, et surtout, dans sa confiance; si vous en convenez, mes torts vont disparaÃtre à vos yeux. N'en croyez pas mes discours mais lisez, si vous en avez le courage, la correspondance que je dépose entre vos mains [C'est de cette correspondance, de celle remise pareillement à la mort de Madame de Tourvel, et des Lettres confiées aussi à Madame de Rosemonde par Madame de Volanges qu'on a formé le présent Recueil, dont les originaux subsistent entre les mains des héritiers de Madame de Rosemonde.]. La quantité de Lettres qui s'y trouvent en original paraÃt rendre authentiques celles dont il n'existe que des copies. Au reste, j'ai reçu ces papiers, tels que j'ai l'honneur de vous les adresser, de M. de Valmont lui-mÃÂȘme. Je n'y ai rien ajouté, et je n'en ai distrait que deux Lettres que je me suis permis de publier. L'une était nécessaire à la vengeance commune de M. de Valmont et de moi, à laquelle nous avions droit tous deux, et dont il m'avait expressément chargé. J'ai cru de plus que c'était rendre service à la société que de démasquer une femme aussi réellement dangereuse que l'est Madame de Merteuil, et qui, comme vous pourrez le voir, est la seule, la véritable cause de tout ce qui s'est passé entre M. de Valmont et moi. Un sentiment de justice m'a porté aussi à publier la seconde pour la justification de M. de Prévan, que je connais à peine, mais qui n'avait aucunement mérité le traitement rigoureux qu'il vient d'éprouver, ni la sévérité des jugements du public, plus redoutable encore, et sous laquelle il gémit depuis ce temps, sans avoir rien pour s'en défendre. Vous ne trouverez donc que la copie de ces deux Lettres, dont je me dois de garder les originaux. Pour tout le reste, je ne crois pas pouvoir remettre en de plus sûres mains un dépÎt qu'il m'importe peut-ÃÂȘtre qui ne soit pas détruit, mais dont je rougirais d'abuser. Je crois, Madame, en vous confiant ces papiers, servir aussi bien les personnes qu'ils intéressent, qu'en les leur remettant à elles-mÃÂȘmes; et je leur sauve l'embarras de les recevoir de moi, et de me savoir instruit d'aventures, que sans doute elles désirent que tout le monde ignore. Je crois devoir vous prévenir à ce sujet que cette correspondance ci-jointe n'est qu'une partie d'une collection bien plus volumineuse, dont M. de Valmont l'a tirée en ma présence, et que vous devez retrouver à la levée des scellés, sous le titre, que j'ai vu, de Compte ouvert entre la Marquise de Merteuil et le Vicomte de Valmont . Vous prendrez, sur cet objet, le parti que vous suggérera votre prudence. Je suis avec respect, Madame, etc. Quelques avis que j'ai reçus, et les conseils de mes amis m'ont décidé à m'absenter de Paris pour quelque temps mais le lieu de ma retraite, tenu secret pour tout le monde, ne le sera pas pour vous. Si vous m'honorez d'une réponse, je vous prie de l'adresser à la Commanderie de ... , par P ... , et sous le couvert de M. le Commandeur de ***. C'est de chez lui que j'ai l'honneur de vous écrire. Paris, ce 12 décembre 17**. LETTRE CLXX MADAME DE VOLANGES A MADAME DE ROSEMONDE Je marche, ma chÚre amie, de surprise en surprise, et de chagrin en chagrin. Il faut ÃÂȘtre mÚre, pour avoir l'idée de ce que j'ai souffert hier toute la matinée; et si mes plus cruelles inquiétudes ont été calmées depuis, il me reste encore une vive affliction, et dont je ne prévois pas la fin. Hier, vers dix heures du matin, étonnée de ne pas avoir encore vu ma fille, j'envoyai ma Femme de chambre pour savoir ce qui pouvait occasionner ce retard. Elle revint le moment d'aprÚs fort effrayée, et m'effraya bien davantage, en m'annonçant que ma fille n'était pas dans son appartement; et que depuis le matin sa Femme de chambre ne l'y avait pas trouvée. Jugez de ma situation! Je fis venir tous mes Gens, et surtout mon Portier tous me jurÚrent ne rien savoir et ne pouvoir rien m'apprendre sur cet événement. Je passai aussitÎt dans la chambre de ma fille. Le désordre qui y régnait m'apprit bien qu'apparemment elle n'était sortie que le matin mais je n'y trouvai d'ailleurs aucun éclaircissement. Je visitai ses armoires, son secrétaire; je trouvai tout à sa place et toutes ses hardes, à la réserve de la robe avec laquelle elle était sortie. Elle n'avait seulement pas pris le peu d'argent qu'elle avait chez elle. Comme elle n'avait appris qu'hier tout ce qu'on dit de Madame de Merteuil, qu'elle lui est fort attachée, et au point mÃÂȘme qu'elle n'avait fait que pleurer toute la soirée; comme je me rappelais aussi qu'elle ne savait pas que Madame de Merteuil était à la campagne, ma premiÚre idée fut qu'elle avait voulu voir son amie, et qu'elle avait fait l'étourderie d'y aller seule. Mais le temps qui s'écoulait sans qu'elle revÃnt me rendit toutes mes inquiétudes. Chaque moment augmentait ma peine, et tout en brûlant de m'instruire, je n'osais pourtant prendre aucune information, dans la crainte de donner de l'éclat à une démarche, que peut-ÃÂȘtre je voudrais aprÚs pouvoir cacher à tout le monde. Non, de ma vie je n'ai tant souffert! Enfin, ce ne fut qu'à deux heures passées que je reçus à la fois une Lettre de ma fille, et une de la Supérieure du Couvent de ... La Lettre de ma fille disait seulement qu'elle avait craint que je ne m'opposasse à la vocation qu'elle avait de se faire Religieuse, et qu'elle n'avait pas osé m'en parler le reste n'était que des excuses sur ce qu'elle avait pris, sans ma permission, ce parti, que je ne désapprouverais sûrement pas, ajoutait-elle, si je connaissais ses motifs, que pourtant elle me priait de ne pas lui demander. La Supérieure me mandait qu'ayant vu arriver une jeune personne seule, elle avait d'abord refusé de la recevoir; mais que l'ayant interrogée, et ayant appris qui elle était, elle avait cru me rendre service, en commençant par donner asile à ma fille, pour ne pas l'exposer à de nouvelles courses, auxquelles elle paraissait déterminée. La Supérieure, en m'offrant comme de raison de me remettre ma fille, si je la redemandais, m'invite, suivant son état, à ne pas m'opposer à une vocation qu'elle appelle si décidée elle me disait encore n'avoir pas pu m'informer plus tÎt de cet événement, par la peine qu'elle avait eue à me faire écrire par ma fille, dont le projet était que tout le monde ignorùt oÃÂč elle s'était retirée. C'est une cruelle chose que la déraison des enfants! J'ai été sur-le-champ à ce Couvent; et aprÚs avoir vu la Supérieure, je lui ai demandé de voir ma fille; celle-ci n'est venue qu'avec peine, et bien tremblante. Je lui ai parlé devant les Religieuses et je lui ai parlé seule; tout ce que j'en ai pu tirer au milieu de beaucoup de larmes est qu'elle ne pouvait ÃÂȘtre heureuse qu'au Couvent; j'ai pris le parti de lui permettre d'y rester, mais sans ÃÂȘtre encore au rang des Postulantes, comme elle le demandait. Je crains que la mort de Madame de Tourvel et celle de M. de Valmont n'aient trop affecté cette jeune tÃÂȘte. Quelque respect que j'aie pour la vocation religieuse, je ne verrais pas sans peine, et mÃÂȘme sans crainte, ma fille embrasser cet état. Il me semble que nous avons déjà assez de devoirs à remplir sans nous en créer de nouveaux; et encore, que ce n'est guÚre à cet ùge que nous savons ce qui nous convient. Ce qui redouble mon embarras, c'est le retour trÚs prochain de M. de Gercourt; faudra-t-il rompre ce mariage si avantageux? Comment donc faire le bonheur de ses enfants, s'il ne suffit pas d'en avoir le désir et d'y donner tous ses soins? Vous m'obligerez beaucoup de me dire ce que vous feriez à ma place; je ne peux m'arrÃÂȘter à aucun parti; je ne trouve rien de si effrayant que d'avoir à décider du sort des autres, et je crains également de mettre dans cette occasion-ci la sévérité d'un juge ou la faiblesse d'une mÚre. Je me reproche sans cesse d'augmenter vos chagrins, en vous parlant des miens; mais je connais votre cÅ“ur la consolation que vous pourriez donner aux autres deviendrait pour vous la plus grande que vous pussiez recevoir. Adieu, ma chÚre et digne amie j'attends vos deux réponses avec bien de l'impatience. Paris, ce 13 décembre 17**. LETTRE CLXXI MADAME DE ROSEMONDE AU CHEVALIER DANCENY AprÚs ce que vous m'avez fait connaÃtre, Monsieur, il ne reste qu'à pleurer et qu'à se taire. On regrette de vivre encore, quand on apprend de pareilles horreurs; on rougit d'ÃÂȘtre femme, quand on en voit une capable de semblables excÚs. Je me prÃÂȘterai volontiers, Monsieur, pour ce qui me concerne, à laisser dans le silence et l'oubli tout ce qui pourrait avoir trait et donner suite à ces tristes événements. Je souhaite mÃÂȘme qu'ils ne vous causent jamais d'autres chagrins que ceux inséparables du malheureux avantage que vous avez remporté sur mon neveu. Malgré ses torts, que je suis forcée de reconnaÃtre, je sens que je ne me consolerai jamais de sa perte mais mon éternelle affliction sera la seule vengeance que je me permettrai de tirer de vous; c'est à votre cÅ“ur à en apprécier l'étendue. Si vous permettez à mon ùge une réflexion qu'on ne fait guÚre au vÎtre, c'est que, si on était éclairé sur son véritable bonheur, on ne le chercherait jamais hors des bornes prescrites par les Lois et la Religion. Vous pouvez ÃÂȘtre sûr que je garderai fidÚlement et volontiers le dépÎt que vous m'avez confié; mais je vous demande de m'autoriser à ne le remettre à personne, pas mÃÂȘme à vous, Monsieur, à moins qu'il ne devienne nécessaire à votre justification. J'ose croire que vous ne vous refuserez pas à cette priÚre et que vous n'ÃÂȘtes plus à sentir qu'on gémit souvent de s'ÃÂȘtre livré mÃÂȘme à la plus juste vengeance. Je ne m'arrÃÂȘte pas dans mes demandes, persuadée que je suis de votre générosité et de votre délicatesse; il serait bien digne de toutes deux de remettre aussi entre mes mains les Lettres de Mademoiselle de Volanges, qu'apparemment vous avez conservées, et qui sans doute ne vous intéressent plus. Je sais que cette jeune personne a de grands torts avec vous mais je ne pense pas que vous songiez à l'en punir; et ne fût-ce que par respect pour vous-mÃÂȘme, vous n'avilirez pas l'objet que vous avez tant aimé. Je n'ai donc pas besoin d'ajouter que les égards que la fille ne mérite pas sont au moins bien dus à la mÚre, à cette femme respectable, vis-à -vis de qui vous n'ÃÂȘtes pas sans avoir beaucoup à réparer car enfin, quelque illusion qu'on cherche à se faire par une prétendue délicatesse de sentiments, celui qui le premier tente de séduire un cÅ“ur encore honnÃÂȘte et simple se rend par là mÃÂȘme le premier fauteur de sa corruption, et doit ÃÂȘtre à jamais comptable des excÚs et des égarements qui la suivent. Ne vous étonnez pas, Monsieur, de tant de sévérité de ma part; elle est la plus grande preuve que je puisse vous donner de ma parfaite estime. Vous y acquerrez de nouveaux droits encore, en vous prÃÂȘtant, comme je le désire, à la sûreté d'un secret, dont la publicité vous ferait tort à vous-mÃÂȘme, et porterait la mort dans un cÅ“ur maternel, que déjà vous avez blessé. Enfin, Monsieur, je désire de rendre ce service à mon amie; et si je pouvais craindre que vous me refusassiez cette consolation, je vous demanderais de songer auparavant que c'est la seule que vous m'ayez laissée. J'ai l'honneur d'ÃÂȘtre, etc. Du Chùteau de ..., ce 15 décembre 17**. LETTRE CLXXII MADAME DE ROSEMONDE A MADAME DE VOLANGES Si j'avais été obligée, ma chÚre amie, de faire venir et d'attendre de Paris les éclaircissements que vous me demandez concernant Madame de Merteuil, il ne me serait pas possible de vous les donner encore; et sans doute, je n'en aurais reçu que de vagues et d'incertains mais il m'en est venu que je n'attendais pas, que je n'avais pas lieu d'attendre; et ceux-là n'ont que trop de certitude. Ô mon amie, combien cette femme vous a trompée! Je répugne à entrer dans aucun détail sur cet amas d'horreurs; mais quelque chose qu'on en débite, assurez-vous qu'on est encore au-dessous de la vérité. J'espÚre, ma chÚre amie, que vous me connaissez assez pour me croire sur ma parole, et que vous n'exigerez de moi aucune preuve. Qu'il vous suffise de savoir qu'il en existe une foule, que j'ai dans ce moment mÃÂȘme entre les mains. Ce n'est pas sans une peine extrÃÂȘme que je vous fais la mÃÂȘme priÚre de ne pas m'obliger à motiver le conseil que vous me demandez, relativement à Mademoiselle de Volanges. Je vous invite à ne pas vous opposer à la vocation qu'elle montre. Sûrement nulle raison ne peut autoriser à forcer de prendre cet état, quand le sujet n'y est pas appelé; mais quelquefois c'est un grand bonheur qu'il le soit; et vous voyez que votre fille elle-mÃÂȘme vous dit que vous ne la désapprouveriez pas, si vous connaissiez ses motifs. Celui qui nous inspire nos sentiments sait mieux que notre vaine sagesse ce qui convient à chacun; et souvent, ce qui paraÃt un acte de sa sévérité en est au contraire un de sa clémence. Enfin, mon avis, que je sens bien qui vous affligera, et que par là mÃÂȘme vous devez croire que je ne vous donne pas sans y avoir beaucoup réfléchi, est que vous laissiez Mademoiselle de Volanges au Couvent, puisque ce parti est de son choix; que vous encouragiez, plutÎt que de contrarier, le projet qu'elle paraÃt avoir formé; et que dans l'attente de son exécution, vous n'hésitiez pas à rompre le mariage que vous aviez arrÃÂȘté. AprÚs avoir rempli ces pénibles devoirs de l'amitié, et dans l'impuissance oÃÂč je suis d'y joindre aucune consolation, la grùce qui me reste à vous demander, ma chÚre amie, est de ne plus m'interroger sur rien qui ait rapport à ces tristes événements laissons-les dans l'oubli qui leur convient; et sans chercher d'inutiles et d'affligeantes lumiÚres, soumettons-nous aux décrets de la Providence, et croyons à la sagesse de ses vues, lors mÃÂȘme qu'elle ne nous permet pas de les comprendre. Adieu, ma chÚre amie. Du Chùteau de ..., ce 15 décembre 17**. LETTRE CLXXIII MADAME DE VOLANGES A MADAME DE ROSEMONDE Oh! mon amie! de quel voile effrayant vous enveloppez le sort de ma fille! et vous paraissez craindre que je ne tente de le soulever! Que me cache-t-il donc qui puisse affliger davantage le cÅ“ur d'une mÚre, que les affreux soupçons auxquels vous me livrez? Plus je connais votre amitié, votre indulgence, et plus mes tourments redoublent vingt fois, depuis hier, j'ai voulu sortir de ces cruelles incertitudes, et vous demander de m'instruire sans ménagement et sans détour; et chaque fois j'ai frémi de crainte, en songeant à la priÚre que vous me faites de ne pas vous interroger. Enfin, je m'arrÃÂȘte à un parti qui me laisse encore quelque espoir; et j'attends de votre amitié que vous ne vous refuserez pas à ce que je désire c'est de me répondre si j'ai à peu prÚs compris ce que vous pouviez avoir à me dire; de ne pas craindre de m'apprendre tout ce que l'indulgence maternelle peut couvrir, et qui n'est pas impossible à réparer. Si mes malheurs excÚdent cette mesure, alors je consens à vous laisser en effet ne vous expliquer que par votre silence voici donc ce que j'ai su déjà , et jusqu'oÃÂč mes craintes peuvent s'étendre. Ma fille a montré avoir quelque goût pour le Chevalier Danceny, et j'ai été informée qu'elle a été jusqu'à recevoir des Lettres de lui, et mÃÂȘme jusqu'à lui répondre; mais je croyais ÃÂȘtre parvenue à empÃÂȘcher que cette erreur d'un enfant n'eût aucune suite dangereuse aujourd'hui que je crains tout, je conçois qu'il serait possible que ma surveillance eût été trompée, et je redoute que ma fille, séduite, n'ait mis le comble à ses égarements. Je me rappelle encore plusieurs circonstances qui peuvent fortifier cette crainte. Je vous ai mandé que ma fille s'était trouvée mal à la nouvelle du malheur arrivé à M. de Valmont; peut-ÃÂȘtre cette sensibilité avait-elle seulement pour objet l'idée des risques que M. Danceny avait courus dans ce combat. Quand depuis elle a tant pleuré en apprenant tout ce qu'on disait de Madame de Merteuil, peut-ÃÂȘtre ce que j'ai cru la douleur et l'amitié n'était que l'effet de la jalousie, ou du regret de trouver son Amant infidÚle. Sa derniÚre démarche peut encore, ce me semble, s'expliquer par le mÃÂȘme motif. Souvent on se croit appelée à Dieu, par cela seul qu'on se sent révoltée contre les hommes. Enfin, en supposant que ces faits soient vrais, et que vous en soyez instruite, vous aurez pu, sans doute, les trouver suffisants pour autoriser le conseil rigoureux que vous me donnez. Cependant, s'il était ainsi, en blùmant ma fille, je croirais pourtant lui devoir encore de tenter tous les moyens de lui sauver les tourments et les dangers d'une vocation illusoire et passagÚre. Si M. Danceny n'a pas perdu tout sentiment d'honnÃÂȘteté, il ne se refusera pas à réparer un tort dont lui seul est l'auteur, et je peux croire enfin que le mariage de ma fille est assez avantageux, pour qu'il puisse en ÃÂȘtre flatté, ainsi que sa famille. Voilà , ma chÚre et digne amie, le seul espoir qui me reste; hùtez-vous de le confirmer, si cela vous est possible. Vous jugez combien je désire que vous me répondiez, et quel coup affreux me porterait votre silence [Cette Lettre est restée sans réponse] J'allais fermer ma Lettre, quand un homme de ma connaissance est venu me voir, et m'a raconté la cruelle scÚne que Madame de Merteuil a essuyée avant- hier. Comme je n'ai vu personne tous ces jours derniers, je n'avais rien su de cette aventure; en voilà le récit, tel que je le tiens d'un témoin oculaire. Madame de Merteuil, en arrivant de la campagne, avant-hier Jeudi, s'est fait descendre à la Comédie Italienne, oÃÂč elle avait sa loge; elle y était seule, et, ce qui dut lui paraÃtre extraordinaire, aucun homme ne s'y présenta pendant tout le spectacle. A la sortie, elle entra, suivant son usage, au petit salon, qui était déjà rempli de monde; sur-le-champ il s'éleva une rumeur, mais dont apparemment elle ne se crut pas l'objet. Elle aperçut une place vide sur l'une des banquettes, et elle alla s'y asseoir; mais aussitÎt toutes les femmes qui y étaient déjà se levÚrent comme de concert, et l'y laissÚrent absolument seule. Ce mouvement marqué d'indignation générale fut applaudi de tous les hommes, et fit redoubler les murmures, qui, dit-on, allÚrent jusqu'aux huées. Pour que rien ne manquùt à son humiliation, son malheur voulut que M. de Prévan, qui ne s'était montré nulle part depuis son aventure, entrùt dans le mÃÂȘme moment dans le petit salon. DÚs qu'on l'aperçut, tout le monde, hommes et femmes, l'entoura et l'applaudit; et il se trouva, pour ainsi dire, porté devant Madame de Merteuil, par le public qui faisait cercle autour d'eux. On assure que celle-ci a conservé l'air de ne rien voir et de ne rien entendre, et qu'elle n'a pas changé de figure! mais je. crois ce fait exagéré. Quoi qu'il en soit, cette situation, vraiment ignominieuse pour elle, a duré jusqu'au moment oÃÂč on a annoncé sa voiture; et à son départ, les huées scandaleuses ont encore redoublé. Il est affreux de se trouver parente de cette femme. M. de Prévan a été, le mÃÂȘme soir, fort accueilli de tous ceux des Officiers de son Corps qui se trouvaient là , et on ne doute pas qu'on ne lui rende bientÎt son emploi et son rang. La mÃÂȘme personne qui m'a fait ce détail m'a dit que Madame de Merteuil avait pris la nuit suivante une trÚs forte fiÚvre, qu'on avait cru d'abord ÃÂȘtre l'effet de la situation violente oÃÂč elle s'était trouvée; mais qu'on sait depuis hier au soir, que la petite vérole s'est déclarée, confluente et d'un trÚs mauvais caractÚre. En vérité, ce serait, je crois, un bonheur pour elle d'en mourir. On dit encore que toute cette aventure lui fera peut-ÃÂȘtre beaucoup de tort pour son procÚs, qui est prÚs d'ÃÂȘtre jugé, et dans lequel on prétend qu'elle avait besoin de beaucoup de faveur. Adieu, ma chÚre et digne amie. Je vois bien dans tout cela les méchants punis; mais je n'y trouve nulle consolation pour leurs malheureuses victimes. Paris, ce 18 décembre 17**. LETTRE CLXXIV LE CHEVALIER DANCENY A MADAME DE ROSEMONDE Vous avez raison, Madame, et sûrement je ne vous refuserai rien de ce qui dépendra de moi, et à quoi vous paraÃtrez attacher quelque prix. Le paquet que j'ai l'honneur de vous adresser contient toutes les Lettres de Mademoiselle de Volanges. Si vous les lisez, vous ne verrez peut-ÃÂȘtre pas sans étonnement qu'on puisse réunir tant d'ingénuité et tant de perfidie. C'est, au moins, ce qui m'a frappé le plus dans la derniÚre lecture que je viens d'en faire. Mais surtout, peut-on se défendre de la plus vive indignation contre Madame de Merteuil, quand on se rappelle avec quel affreux plaisir elle a mis tous ses soins à abuser de tant d'innocence et de candeur? Non, je n'ai plus d'amour. Je ne conserve rien d'un sentiment si indignement trahi; et ce n'est pas lui qui me fait chercher à justifier Mademoiselle de Volanges. Mais cependant, ce cÅ“ur si simple, ce caractÚre si doux et si facile, ne se seraient-ils pas portés au bien, plus aisément encore qu'ils ne se sont laissés entraÃner vers le mal? Quelle jeune personne, sortant de mÃÂȘme du Couvent, sans expérience et presque sans idées, et ne portant dans le monde, comme il arrive presque toujours alors, qu'une égale ignorance du bien et du mal; quelle jeune personne, dis-je, aurait pu résister davantage à de si coupables artifices? Ah! pour ÃÂȘtre indulgent, il suffit de réfléchir à combien de circonstances indépendantes de nous tient l'alternative effrayante de la délicatesse, ou de la dépravation de nos sentiments. Vous me rendiez donc justice, Madame, en pensant que les torts de Mademoiselle de Volanges, que j'ai sentis bien vivement ne m'inspirent pourtant aucune idée de vengeance. C'est bien assez d'ÃÂȘtre obligé de renoncer à l'aimer! il m'en coûterait trop de la haïr. Je n'ai eu besoin d'aucune réflexion pour désirer que tout ce qui la concerne, et qui pourrait lui nuire, restùt à jamais ignoré de tout le monde. Si j'ai paru différer quelque temps de remplir vos désirs à cet égard, je crois pouvoir ne pas vous en cacher le motif; j'ai voulu auparavant ÃÂȘtre sûr que je ne serais point inquiété sur les suites de ma malheureuse affaire. Dans un temps oÃÂč je demandais votre indulgence, oÃÂč j'osais mÃÂȘme croire y avoir quelques droits, j'aurais craint d'avoir l'air de l'acheter en quelque sorte par cette condescendance de ma part; et, sûr de la pureté de mes motifs, j'ai eu, je l'avoue, l'orgueil de vouloir que vous ne pussiez en douter. J'espÚre que vous pardonnerez cette délicatesse, peut-ÃÂȘtre trop susceptible, à la vénération que vous m'inspirez, au cas que je fais de votre estime. Le mÃÂȘme sentiment me fait vous demander, pour derniÚre grùce, de vouloir bien me faire savoir si vous jugez que j'aie rempli tous les devoirs qu'ont pu m'imposer les malheureuses circonstances dans lesquelles je me suis trouvé. Une fois tranquille sur ce point; mon parti est pris; je pars pour Malte j'irai y faire avec plaisir, et y garder religieusement, des vÅ“ux qui me sépareront d'un monde dont, si jeune encore, j'ai déjà eu tant à me plaindre; j'irai enfin chercher à perdre, sous un ciel étranger, l'idée de tant d'horreurs accumulées, et dont le souvenir ne pourrait qu'attrister et flétrir mon ùme. Je suis avec respect, Madame, votre trÚs humble, etc. Paris, ce 26 décembre 17**. LETTRE CLXXV MADAME DE VOLANGES A MADAME DE ROSEMONDE Le sort de Madame de Merteuil paraÃt enfin rempli, ma chÚre et digne amie, et il est tel que ses plus grands ennemis sont partagés entre l'indignation qu'elle mérite, et la pitié qu'elle inspire. J'avais bien raison de dire que ce serait peut- ÃÂȘtre un bonheur pour elle de mourir de sa petite vérole. Elle en est revenue, il est vrai, mais affreusement défigurée; et elle y a particuliÚrement perdu un oeil. Vous jugez bien que je ne l'ai pas revue mais on m'a dit qu'elle était vraiment hideuse. Le Marquis de ***, qui ne perd pas l'occasion de dire une méchanceté, disait hier, en parlant d'elle, que la maladie l'avait retournée, et qu'à présent son ùme était sur sa figure. Malheureusement tout le monde trouva que l'expression était juste. Un autre événement vient d'ajouter encore à ses disgrùces et à ses torts. Son procÚs a été jugé avant-hier, et elle l'a perdu tout d'une voix. Dépens, dommages et intérÃÂȘts, restitution des fruits, tout a été adjugé aux mineurs en sorte que le peu de sa fortune qui n'était pas compromis dans ce procÚs est absorbé, et au-delà , par les frais. AussitÎt qu'elle a appris cette nouvelle, quoique malade encore, elle a fait ses arrangements, et est partie seule dans la nuit et en poste. Ses Gens disent, aujourd'hui, qu'aucun d'eux n'a voulu la suivre. On croit qu'elle a pris la route de la Hollande. Ce départ fait plus crier encore que tout le reste; en ce qu'elle a emporté ses diamants, objet trÚs considérable, et qui devait rentrer dans la succession de son mari; son argenterie, ses bijoux; enfin, tout ce qu'elle a pu; et qu'elle laisse aprÚs elle pour prÚs de 50000 livres de dettes. C'est une véritable banqueroute. La famille doit s'assembler demain pour voir à prendre des arrangements avec les créanciers. Quoique parente bien éloignée, j'ai offert d'y concourir mais je ne me trouverai pas à cette assemblée, devant assister à une cérémonie plus triste encore. Ma fille prend demain l'habit de Postulante. J'espÚre que vous n'oubliez pas, ma chÚre amie, que dans ce grand sacrifice que je fais, je n'ai d'autre motif, pour m'y croire obligée, que le silence que vous avez gardé vis- à -vis de moi. M. Danceny a quitté Paris, il y a prÚs de quinze jours. On dit qu'il va passer à Malte, et qu'il a le projet de s'y fixer. Il serait peut-ÃÂȘtre encore temps de le retenir?... Mon amie!... ma fille est donc bien coupable?... Vous pardonnerez sans doute à une mÚre de ne céder que difficilement à cette affreuse certitude. Quelle fatalité s'est donc répandue autour de moi depuis quelque temps, et m'a frappée dans les objets les plus chers! Ma fille, et mon amie! Qui pourrait ne pas frémir en songeant aux malheurs que peut causer une seule liaison dangereuse! et quelles peines ne s'éviterait-on point en y réfléchissant davantage! Quelle femme ne fuirait pas au premier propos d'un séducteur? Quelle mÚre pourrait, sans trembler, voir une autre personne qu'elle parler à sa fille? Mais ces réflexions tardives n'arrivent jamais qu'aprÚs l'événement; et l'une des plus importantes vérités, comme aussi peut-ÃÂȘtre des plus généralement reconnues, reste étouffée et sans usage dans le tourbillon de nos mÅ“urs inconséquentes. Adieu, ma chÚre et digne amie; j'éprouve en ce moment que notre raison, déjà si insuffisante pour prévenir nos malheurs, l'est encore davantage pour nous en consoler. Paris, ce 14 janvier 17**. [Des raisons particuliÚres et des considérations que nous nous ferons toujours un devoir de respecter nous forcent de nous arrÃÂȘter ici. Nous ne pouvons, dans ce moment, ni donner au Lecteur la suite des aventures de Mademoiselle de Volanges, ni lui faire connaÃtre les sinistres événements qui ont comblé les malheurs ou achevé la punition de Madame de Merteuil. Peut-ÃÂȘtre quelque jour nous sera-t-il permis de compléter cet Ouvrage; mais nous ne pouvons prendre aucun engagement à ce sujet et quand nous le pouvons, nous croirions encore devoir auparavant consulter le goût du Public, qui n'a pas les mÃÂȘmes raisons que nous de s'intéresser à cette lecture. Note de l'éditeur] Affichepour rendez vous non honorĂ© JULIE - SMS : CrĂ©ation rappel RDV « Elle dit Oui puis non » Ă©cris lui CE SMS [ÉTUDE DE CAS] 2 008 Rendez vous; Live Demo Chirurgiens La confirmation d'un rendez-vous peut s'avĂ©rer trĂšs importante car elle valide une date d'entretien. Ce modĂšle de lettre pour confirmer un rendez-vous vous permettra de prĂ©venir votre interlocuteur et ainsi donner Ă  cette entrevue un caractĂšre dĂ©finitif. La confirmation d'un rendez-vous peut ĂȘtre effectuĂ©e par courrier ou par mail. Si aujourd'hui peu de personne l'utilise, elle permet Ă  l'ensemble des participants d'une rĂ©union ou d'un simple rendez-vous de renseigner prĂ©cisĂ©ment leurs agendas et ainsi bloquer les dates et heures. Il s'agit par ce courrier de valider une demande de rendez-vous, les participants sont donc avertis que le rendez-vous aura bien lieu. Ce modĂšle de confirmation de rendez-vous est Ă  tĂ©lĂ©charger au format PDF et Word. Ce document est Ă  utiliser si vous avez fixĂ© un rendez-vous avec une ou plusieurs personnes et que vous souhaitez confirmer celui-ci. Nous vous proposons Ă©galement de tĂ©lĂ©charger notre lettre pour annuler une rĂ©union ou un rendez-vous. Paris, le 17 aoĂ»t 2022. Objet confirmation du rendez-vous [PrĂ©cisez la date et l'heure du rendez-vous] Madame, Monsieur, Par la prĂ©sente, je fais suite Ă  notre [entretien / conversation tĂ©lĂ©phonique/ Ă©change d'emails] durant lequel nous avions Ă©voquĂ© une future rencontre pour [indiquez le motif du rendez-vous]. Ainsi, je vous confirme que ce rendez-vous peut avoir lieu le [Indiquez la date et l'heure du rendez-vous] au [indiquez prĂ©cisĂ©ment l'adresse]. Cette rencontre permettra de [Indiquez l'objet exact de la rĂ©union, de l'entretien, du rendez-vous]. Je reste Ă  votre disposition pour tout renseignement complĂ©mentaire concernant cette entrevue / ce rendez-vous. Dans cette attente, je vous prie de recevoir, Madame, Monsieur, nos respectueuses salutations. Notre modĂšle de lettre Lettre pour confirmer un rendez-vous » vous est proposĂ© gratuitement sur ! Modifiez ou utilisez gratuitement ce modĂšle de lettre pour rĂ©diger votre courrier. Vous pouvez aussi tĂ©lĂ©charger et imprimer la lettre Lettre pour confirmer un rendez-vous » Rendezvous non honorĂ©. Mon rendez-vous de ce matin pour installation de ma ligne internet n’a pas Ă©tĂ© honorĂ©. Les conseillers par chat n’ont Ă©tĂ© d’aucune aide toute la journĂ©e, avez vous un numĂ©ro de tĂ©lĂ©phone pour que je puisse au moins prendre un nouveau rendez-vous ? En vous remerciant !
ï»żUne consultation non honorĂ©e doit ĂȘtre elle lĂ©galement payĂ©e ? Merci de vos rĂ©ponses Quelle est votre rĂ©ponse ? RĂ©ponse envoyĂ©e Nous validerons bientĂŽt votre rĂ©ponse pour ensuite la publier Une erreur s'est produite Merci de rĂ©essayer plus tard Meilleure rĂ©ponse 23 NOV. 2016 Cette rĂ©ponse a Ă©tĂ© utile Ă  57 personnesBonjour. On ne doit que ce qu'on consomme. On ne doit qu'une sĂ©ance effectuĂ©e. AprĂšs, il est vrai que ne pas venir sans prĂ©venir fait perdredu temps au thĂ©rapeute. Mais c'est un des risque de son mĂ©tier. LĂ©galement, une sĂ©ance non honorĂ©e n'est pas due, c'est une strategie mercantile inventĂ© par Lacan est reprise par tout le monde psychanalytique voire plus large...comme si ne pas venir Ă©tait aussi un travail "psy". Soit, mais la sĂ©ance n'est pas consommĂ©e et la thĂ©rapeute doit analyser ce qui se passe pour lui. Cordialement. ThierryBunas Sexologue Cela vous a Ă©tĂ© utile ? Merci d'avoir donnĂ© votre avis ! 16 rĂ©ponses 26 JUIN 2019 Cette rĂ©ponse a Ă©tĂ© utile Ă  15 personnesBonjour, Je pense qu'une consultation chez un psychologue, n'est pas du mĂȘme ordre qu'un produit de consommation,ce n'est pas une sociĂ©tĂ© de service, Ă  rĂ©flĂ©chir.... Cela vous a Ă©tĂ© utile ? Merci d'avoir donnĂ© votre avis ! 18 JUIN 2019 Cette rĂ©ponse a Ă©tĂ© utile Ă  6 personnesBonjour Mathilde , Il faut savoir que l'argent n'a pas qu'une fonction sociale ,elle a aussi une valeur psychologique . Si vous ne venez pas chez votre psy et que la raison est "lĂ©gĂšre" comme un petit rhume ou une migraine ,il faut payer la consultation manquĂ©e . Il y a certainement une cause inconsciente qui vous fait rĂ©sister Ă  votre venue chez le ou la psy . Ne pas beaucoup parler fait dire Ă©galement que c'est un mĂ©tier facile que tout le monde pourrait effectuer .de plus ,la gratuitĂ© du domaine de la santĂ© n'existe pas non plus . Etre remboursĂ© par la sĂ©curitĂ© sociale fait participer beaucoup de français . Cordialement Ă  vous Catherine Pourtein Psy sur Buxerolles 582 rĂ©ponses 304 J'aime RĂ©alisez une thĂ©rapie en ligne Contacter Cela vous a Ă©tĂ© utile ? Merci d'avoir donnĂ© votre avis ! 29 NOV. 2016 Cette rĂ©ponse a Ă©tĂ© utile Ă  9 personnesBonjour Madame Il faut saisir ce qui se passe dans une sĂ©ance non rĂ©alisĂ©e oubli, Ă©vitement, ou empĂȘchement. La plupart des psychanalystes font ces diffĂ©rences car il s'agit de se saisir de tout ce qui se passe dans le transfert vous occupez auprĂšs de votre analyste une place symbolique qui est celle qui s'attache Ă  votre nom et oĂč vous ĂȘtes appelĂ©e Ă  rĂ©pondre. En revanche, une sĂ©ance due Ă  un empĂȘchement rĂ©el professionnel ou de santĂ© grave pas un rhume... ne me semble pas devoir ĂȘtre due si l'analyste est prĂ©venu et qu'elle ne peut ĂȘtre remplacĂ©e. De mĂȘme vos vacances, auxquelles vous avez pleinement droit... TrĂšs cordialement Isabelle Thomas Psychologue psychanalyste Cela vous a Ă©tĂ© utile ? Merci d'avoir donnĂ© votre avis ! 23 NOV. 2016 Cette rĂ©ponse a Ă©tĂ© utile Ă  14 personnesBonjour Mathilde, Je ne comprends pas vraiment ce que la lois vient faire dans une situation qui engage d'habitude "verbalement" la responsabilitĂ© de deux personnes qui n'ont pas signĂ© un contrat Ă©crit... Le "psy" travaillant en libĂ©ral vit de l'argent payĂ© par ses patients..., et il s'engage Ă  ĂȘtre disponible pour chacun d'entre eux Ă  un moment bien prĂ©cis de la journĂ©e/semaine. En principe tout praticien de la psycho-thĂ©rapie quelle que soit son obĂ©dience, technique, etc considĂšre comme due toute sĂ©ance prĂ©vue qui n'a pas Ă©tĂ© dĂ©commandĂ©e minimum 48 heures Ă  l'avance, sauf cas de "force majeure", bien entendu. Par ailleurs, dans les institutions qui pratiquent des thĂ©rapies prises en charge les consultations ont aussi un coĂ»t non nĂ©gligeable en rĂ©alitĂ© bien plus important que ceux pratiquĂ©s en libĂ©ral, coĂ»t qui est payĂ© par le contribuable... qu'il est bon de faire connaĂźtre aux utilisateurs. Il faut avoir Ă  l'eprit que l'absence Ă  une sĂ©ance prĂ©vue prive d'aide d'autres personnes en souffrance. "Une consultation prĂ©vue et non honorĂ©e" est aussi une question de responsabilitĂ© vis Ă  vis de soi d'abord et de respect rĂ©ciproque. Mais..., quand la question de la "lĂ©galitĂ©" se pose..., c'est que probablement il y a un conflit/un non dit/ une relation instaurĂ©e qui mĂ©rite d'ĂȘtre analysĂ©e et discutĂ©e avec son psy, mĂȘme et surtout s'il y a un malĂȘtre ou un malentendu, voire l'intention de mettre fin Ă  la thĂ©rapie ou changer de psy. J'espĂšre que toutes nos rĂ©ponses vous ont aidĂ© Ă  ... trouver la votre ! sp Silvia Podani Psy sur Issy-les-Moulineaux 2616 rĂ©ponses 7183 J'aime RĂ©alisez une thĂ©rapie en ligne Contacter Cela vous a Ă©tĂ© utile ? Merci d'avoir donnĂ© votre avis ! 23 NOV. 2016 Cette rĂ©ponse a Ă©tĂ© utile Ă  6 personnesBonjour Mathilde Une consultation non honorĂ©e par qui? VoilĂ  comment, je procĂšde gĂ©nĂ©ralement, pour ma part si je ne peux pas honorer une de mes consultations, je propose un nouveau rendez-vous Ă  mon patient et bien entendu qu'il ne doit pas rĂ©gler la sĂ©ance que j'ai annulĂ© de mon propre chef. En ce qui concerne le patient, il existe un contrat thĂ©rapeutique verbal qui stipule que toute sĂ©ance doit ĂȘtre annulĂ©e 48 heures Ă  l'avance sinon elle est dĂ» mais bien entendu que je prends en compte le cas de force majeure, par exemple j'ai un patient qui a eu une panne de vĂ©hicule, il s'est fait remarquer et m'avait apportĂ© sa facture de remorquage bien que je le croyais sur parole. Car la confiance est un point important dans un travail psychique Ă  deux. Cependant, je m'interroge sur le mot lĂ©gal? Est-ce que cela veut dire que votre psy ne vous a pas annoncĂ© la couleur du contrat thĂ©rapeutique dĂšs le dĂ©part? Dans ce cas lĂ  demandez lui de prĂ©ciser les choses!!! Ensuite pour quoi ne pas travailler avec lui cette sĂ©ance que vous devez payer et qui pour vous, vous semble injuste, puisque vous questionnez la lĂ©galitĂ© la loi? Cordialement, Psychanalyste Rodrigo Perinetti Psy sur Saint-Yzan-de-Soudiac 246 rĂ©ponses 1610 J'aime RĂ©alisez une thĂ©rapie en ligne Contacter Cela vous a Ă©tĂ© utile ? Merci d'avoir donnĂ© votre avis ! 23 NOV. 2016 Cette rĂ©ponse a Ă©tĂ© utile Ă  13 personnesJe crois qu il vaut mieux laisser la lĂ©gislation, dĂ©jĂ  trĂšs contraignante Ă  bien des Ă©gards, en dehors de ces aspects. Faites en votre Ăąme et conscience !. Pour ma part, quand une personne ne vient pas, elle m appelle, souci de derniĂšre minute, et je peux humainement le comprendre, puisque je suis soumise aux mĂȘmes alĂ©as. Demander un rĂšglement dans ces circonstances, pour ma part, peut ĂȘtre mal reçu et je prĂ©fĂšre garder le lien de confiance avec mon consultant. C'est bien plus pĂ©renne et constructif. L indulgence Ă  mon sens fait partie intĂ©grante de l'alliance thĂ©rapeutique, dĂšslors qu il n y a pas d'abus ou d'exagĂ©ration. C'est juste normal. Cela vous a Ă©tĂ© utile ? Merci d'avoir donnĂ© votre avis ! 23 NOV. 2016 Cette rĂ©ponse a Ă©tĂ© utile Ă  6 personnesA l'attention de Thierry Bunas, Vous ĂȘtes donc le seul Ă  procĂ©der ainsi, vu toutes les autres rĂ©ponses qui se rejoignent. Maintenant vous ĂȘtes libre d'appliquer ces conditions, tout comme les autres... Il n'y a pas de lĂ©galitĂ©, la seule responsabilitĂ© du praticien est d'annoncer les rĂšgles de fonctionnement dĂšs le dĂ©part Ă  son patient, c'est ce qui fait partie du code dĂ©ontologique. Cela vous a Ă©tĂ© utile ? Merci d'avoir donnĂ© votre avis ! 23 NOV. 2016 Cette rĂ©ponse a Ă©tĂ© utile Ă  11 personnesBonjour, Tous rendez vous pris pour un consultation est due, mĂȘme si l'on ne vient pas Ă  celle ci ! Il faut prĂ©venir 48 heures Ă  l'avance ou si un cas de force majeur se prĂ©sente. un vrai cas de force majeur pas un prĂ©texte bidon Cela fait partie de la thĂ©rapie. C'est valable aussi bien pour un psychologue qu'un psychanalyste. Cordialement Cela vous a Ă©tĂ© utile ? Merci d'avoir donnĂ© votre avis ! 23 NOV. 2016 Cette rĂ©ponse a Ă©tĂ© utile Ă  7 personnesBonsoir Mathilde. Est ce vous qui n'avez pas honorĂ© votre rendez vous? C'est ce que je pense car vous ne devez Ă©videmment rien en cas de "manquement du professionnel. Alors sachez qu'il est d'usage qu'un rendez vous non dĂ©commandĂ© 48h Ă  l'avance donne lieu Ă  un rĂšglement. Cela fait partie du cadre thĂ©rapeutique prĂ©sentĂ© par le praticien en dĂ©but de thĂ©rapie et qu'il est possible de refuser. Si ce cadre n'a pas Ă©tĂ© Ă©noncĂ© alors vous ne devez rien. Cordialement. Catherine Vidal. Cela vous a Ă©tĂ© utile ? Merci d'avoir donnĂ© votre avis ! 23 NOV. 2016 Cette rĂ©ponse a Ă©tĂ© utile Ă  4 personnesBonsoir Mathilde. Est-ce vous qui ne vous ĂȘtes pas prĂ©sentĂ©e au rendez vous ? C'est ce que je dĂ©duis car vous ne devez bien sĂ»r rien si c'est le professionnel. Alors sachez qu'il est d'usage qu'un rendez vous "ratĂ©" non dĂ©commandĂ© 48h Ă  l'avance donne lieu au rĂšglement de la consultation. Cela fait partie du cadre thĂ©rapeutique qui est prĂ©sentĂ© par le praticien en dĂ©but de thĂ©rapie. Évidemment une souplesse de ce cadre existe en cas d'accident, de maladie,... Cordialement. Catherine Vidal. Cela vous a Ă©tĂ© utile ? Merci d'avoir donnĂ© votre avis ! 23 NOV. 2016 Cette rĂ©ponse a Ă©tĂ© utile Ă  5 personnesBonjour Mathilde, En dĂ©but de thĂ©rapie, le psy et le patient, s'accordent sur certains points, dont le paiement ou pas d'une consultation si la personne ne vient pas au rdv, ou / et si elle ne prĂ©vient pas. Tout est donc dĂ©cidĂ© verbalement, c'est la parole de la personne qui compte et ce qui est convenu. Cela est plus pratiquĂ© et dĂ©fendu par les approches psychanalytiques, la plupart de mes collĂšgues ici le font, c'est un choix personnel. Personnellement je n'applique pas cette mĂ©thode, et j'ai un trĂšs bon retour, on me prĂ©vient toujours en cas d'empĂȘchement. Cela vous a Ă©tĂ© utile ? Merci d'avoir donnĂ© votre avis ! 23 NOV. 2016 Cette rĂ©ponse a Ă©tĂ© utile Ă  6 personnesBonjour, Une sĂ©ance non honorĂ©e par le praticien ne peut faire l'objet d'un rĂšglement par le patient, ça me parait Ă©vident. Quant Ă  la sĂ©ance non honorĂ©e par le patient, lĂ  ça dĂ©pend des conditions Ă©tablies dĂšs le dĂ©part avec le praticien. Pour ma part, tous RDV annulĂ©s ou reportĂ©s doivent ĂȘtre signalĂ©s 48h00 avant le RDV, dans le cas contraire, le prix de la sĂ©ance est due. Toutefois, je propose dans la mesure du possible, un autre RDV, dans la mĂȘme semaine, si le patient refuse, la sĂ©ance est due. Mais il n'y a pas de rĂšglement lĂ©gal, chaque praticien doit simplement signaler les conditions de paiement et d'annulation dĂšs le 1er contact. Cela vous a Ă©tĂ© utile ? Merci d'avoir donnĂ© votre avis ! 23 NOV. 2016 Cette rĂ©ponse a Ă©tĂ© utile Ă  3 personnesBonjour Mathilde, C' est une convention thĂ©rapeute patient, tout dĂ©pend de la raison du dĂ©sistement. et si le thĂ©rapeute est suffisamment prĂ©venu en avance. Comme le dit ma collĂšgue c'est une question de respect et de confiance mutuelle. Cordialement Philippe Nappey Psy sur Saint-AvĂ© 100 rĂ©ponses 186 J'aime RĂ©alisez une thĂ©rapie en ligne Contacter Cela vous a Ă©tĂ© utile ? Merci d'avoir donnĂ© votre avis ! 23 NOV. 2016 Cette rĂ©ponse a Ă©tĂ© utile Ă  2 personnesBonjour Mathilde, Effectivement on ne parle pas de lĂ©galitĂ©.... Mais il est vrai que beaucoup de thĂ©rapeutes, pour fixer un rythme de sĂ©ances que le patient se doit de respecter, peut imposer cette 'regle' de rdv manquĂ©. C'est un accord thĂ©rapeutique souvent fixĂ© lors de la premiĂšre sĂ©ance. Il arrive Ă  un patient d'avoir des imprĂ©vus ou indisponibilitĂ©s, dans ce cas la sĂ©ance peut ĂȘtre dĂ©placĂ©e, mais dans le cas oĂč le patient ne prĂ©vient pas le thĂ©rapeute et manque Ă  son rdv, il peut ĂȘtre effectivement du! J'espĂšre avoir pu vous Ă©clairer.... Vanessa Haguel Psy sur Aix-en-Provence 52 rĂ©ponses 240 J'aime Contacter Cela vous a Ă©tĂ© utile ? Merci d'avoir donnĂ© votre avis ! 22 NOV. 2016 Cette rĂ©ponse a Ă©tĂ© utile Ă  7 personnesBonsoir, C'est plutĂŽt une condition de certains thĂ©rapeutes et un accord implicite entre patient - thĂ©rapeute. Ceci, afin d'amener les patients Ă  respecter les RDV et sĂ©ances prĂ©vues. Il s'agit davantage du respect de ses engagements que de lĂ©galitĂ©. Cordialement Cela vous a Ă©tĂ© utile ? Merci d'avoir donnĂ© votre avis ! 22 NOV. 2016 Cette rĂ©ponse a Ă©tĂ© utile Ă  7 personnesBonjour Non honorĂ©e ? c’est Ă  dire c’est le psy ou le patient qui n’a pas honorĂ© de sa prĂ©sence ? Il n’y a pas de fondement lĂ©gal » au fait de payer ou non un absence. Absences ou prĂ©sences doivent ĂȘtre abordĂ©es en dĂ©but de suivi. Cela dĂ©pend du praticien, de sa discipline, et s’appuie sur une entente verbale tout au plus. Quant Ă  savoir ce qui justifie le fait de payer ou non les absences, cela a donnĂ© et donne encore lieu Ă  d’interminables dĂ©bats oĂč on ne sait plus trĂšs bien ce qui relĂšve de l’efficacitĂ© thĂ©rapeutique et ce qui relĂšve des avantages financiers du praticien ! Cordialement Ă  vous. Cela vous a Ă©tĂ© utile ? Merci d'avoir donnĂ© votre avis !
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Vous ĂȘtes ici Par F. Na le 09-07-2013 La CSMF avait dĂ©jĂ  alertĂ© l’opinion publique sur l’ampleur des lapins des patients, ces rendez-vous non honorĂ©s. Le syndicat lance maintenant une campagne de sensibilisation avec des affiches Ă  tĂ©lĂ©charger et Ă  afficher dans les cabinets. "Si vous ne pouvez pas venir Ă  un rendez-vous, prĂ©venez votre mĂ©decin ! C’est simple comme un coup de fil !", rappelle l’affiche, qui souligne aussi que les rendez-vous non honorĂ©s auraient pu rendre service Ă  d’autres patients. Une Ă©tude rĂ©alisĂ©e par l’URPS-ML de Franche-ComtĂ© avait permis de mettre des chiffres sur un problĂšme... L’accĂšs Ă  la totalitĂ© de l’article est rĂ©servĂ© aux professionnels de santĂ©. Vous ĂȘtes professionnel de santĂ© ? Rejoignez-nous ! DĂ©cryptez Inscrivez-vousgratuitement CrĂ©er un compte SystĂšme d'authentification des professionnels de santĂ© Site d’informations mĂ©dicales et professionnelles, s’adresse aux mĂ©decins, Ă©tudiants des facultĂ©s de mĂ©decine et professionnels de santĂ© infirmier, kinĂ©, dentiste
. Nous traitons des sujets qui font le quotidien des mĂ©decins gĂ©nĂ©ralistes dĂ©mographie mĂ©dicale, consultation, rĂ©munĂ©ration, charges, relations avec la CPAM, FMC, remplacement, annonces et plus largement de tout ce qui concerne l’actualitĂ© santĂ© pathologies, mĂ©dicaments, hĂŽpital, recherche, sciences

\n\n\n \n \naffiche pour rendez vous non honoré
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SONDAGE - La quasi-totalitĂ© des soignants ont des patients qui ne viennent pas Ă  un rendez-vous sans prĂ©venir. Des dĂ©fections qui ne sont pas sans consĂ©quences sur leur organisation de travail. Sur Twitter, ils s’en agacent, s’en amusent et s’en dĂ©solent. Alors que les professionnels manquent et qu’obtenir un rendez-vous dans la journĂ©e relĂšve parfois de la gageure, les mĂ©decins comptent moins leurs heures de travail que
 les lapins. Ces rendez-vous pris et non honorĂ©s, sans prĂ©venir ni mĂȘme s’en excuser Ă  la visite suivante. Presque tous les mĂ©decins y sont confrontĂ©s, selon un sondage Odoxa rĂ©alisĂ© par Odoxa pour la Mutuelle Nationale des Hospitaliers * 97% des professionnels de santĂ© exerçant en ville dĂ©clarent avoir dĂ©jĂ  subi une semblable dĂ©fection ; et ce n’est pas beaucoup mieux Ă  l’hĂŽpital, oĂč 90% des soignants ont dĂ©jĂ  eu une consultation non honorĂ©e par un patient. Mais si cela concerne une majoritĂ© de mĂ©decins, les lapins semblent cependant ĂȘtre la spĂ©cialitĂ© d’un petit nombre de malades Ă  moins que ces derniers ne se voilent la face
 ils ne sont que» 15% mais 31% des 25-34 ans! Ă  avoir dĂ©jĂ  posĂ© un lapin» Ă  un professionnel de santĂ©, dont les deux cinquiĂšme plus d’une fois. » LIRE AUSSI - MĂ©decins le dĂ©lai d’attente pour obtenir un rendez-vous rĂ©gion par rĂ©gion Bien sĂ»r, il y a les impondĂ©rables une urgence qui vous empĂȘche de venir 17% des sondĂ©s ayant manquĂ© un rendez-vous, un imprĂ©vu qui vous retarde sans possibilitĂ© de prĂ©venir 14%... Mais la moitiĂ© des patients qui ont dĂ©jĂ  fait dĂ©faut en conviennent ils ont tout simplement... oubliĂ© le rendez-vous. Et les victimes de ces dĂ©fections ne sont pas dupes, ils ont mĂȘme la dent dure contre les indĂ©licats pour 80% des soignants, les patients qui ne sont pas venus s’en fichaient, n’ayant plus besoin de rendez-vous et n’ayant pas jugĂ© utile de prĂ©venir 43%, ou ont oubliĂ© le rendez-vous 37% Est-ce un problĂšme? Oui, sans aucun doute possible, car cela reprĂ©sente un manque Ă  gagner pour les soignants et a des rĂ©percussions importantes sur l’organisation du travail de 70% d’entre eux. Ils pourront au moins se consoler en sachant que 88% des Français sondĂ©s conviennent que ne pas venir sans prĂ©venir a des consĂ©quences, en particulier parce que cela dĂ©sorganise le mĂ©decin et prive quelqu’un d’autre de rendez-vous».28 millions de rendez-vous ratĂ©s par an Dans une enquĂȘte menĂ©e en 2015 auprĂšs de prĂšs de mĂ©decins par l’Union rĂ©gionale des professionnels de santĂ© URPS Ile-de-France, ces rendez-vous non honorĂ©s reprĂ©sentaient la bagatelle de
 40 minutes de consultation perdue en moyenne par jour et par mĂ©decin. Une autre Ă©tude menĂ©e en Franche-ComtĂ© par l’URPS, en 2013, aboutissait au chiffre vertigineux de quelque consultations non honorĂ©es par les patients dans la rĂ©gion; un chiffre qui, extrapolĂ© Ă  la France entiĂšre, reviendrait Ă ... 28 millions de rendez-vous ratĂ©s chaque annĂ©e! L’une des solutions rĂ©side-t-elle dans les plates-formes de prises de rendez-vous en ligne? Pour une majoritĂ© de français 72% et de professionnels de santĂ© 60%, celles-ci incitent les patients Ă  mieux respecter leurs rendez-vous, notamment en le leur rappelant par SMS ou mail. Certaines offrent mĂȘme de bloquer» les patients habituĂ©s des lapins, en les forçant Ă  passer par le secrĂ©tariat tĂ©lĂ©phonique. À l’Assistance publique - HĂŽpitaux de Paris AP-HP, la prise de rendez-vous par le leader du secteur, Doctolib, aurait facilitĂ© la chasse aux lapins», avec une baisse de 8% des rendez-vous non honorĂ©s au bout d’un mois, et 60% des annulations converties en nouveaux rendez-vous, selon une Ă©tude de la chaire Hospinnomics AP-HP et École d’économie de Paris. Patients, sachez-le si vous prenez la mauvaise habitude de ne pas venir sans prĂ©venir, les mĂ©decins pourraient vous sanctionner. Le code de la santĂ© publique indique clairement que les honoraires ne peuvent ĂȘtre rĂ©clamĂ©s qu’à l’occasion d’actes rĂ©ellement effectuĂ©s». Mais il prĂ©cise aussi que hors le cas d’urgence et celui oĂč il manquerait Ă  ses devoirs d’humanitĂ©, un mĂ©decin a le droit de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles». * Sondage rĂ©alisĂ© auprĂšs de 1003 personnes reprĂ©sentatives de la population française ĂągĂ©e de 18 ans et plus, et de 1267 professionnels de santĂ© dont 1 065 exerçant Ă  l’hĂŽpital.

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COEUR DE PIRATE Spectacle musicalCALUIRE ET CUIRE 69300Le 17/09/2022 Ă  2030Le concert de CŒUR DE PIRATE initialement prĂ©vu le 23 mars 2021 Ă  20h30 est reportĂ© au mercredi 15 dĂ©cembre 2021 Ă  20h30, est Ă  nouveau reportĂ© au 17/09/2022 Ă  20h30. Les billets initiaux restent valables pour la nouvelle date. Douze ans aprĂšs la sor tie de son rafraĂźchissant premier opus, Cœur de Pirate occupe toujours une place majeure dans la pop francophone. A l'Ă©poque, le refrain de Comme des enfants», premiĂšre pĂ©pite piano- voix de l'ar tiste canadienne, Ă©tait sur toutes les lĂšvres. Blonde» 2011 et Roses» 2014 ont confirmĂ© un talent brut touchant au sublime avec son quatriĂšme opus, En cas de tempĂȘte, ce jardin sera fermé», publiĂ© en 2018. DĂšs le premier morceau Somnambule», on est transpor tĂ© par la vibrante mĂ©lodie et la sincĂ©ritĂ© des mots de BĂ©atrice Mar tin. Toujours aussi Ă©corchĂ©e vive, la trentenaire est une fidĂšle habituĂ©e du Radiant-Bellevue. AprĂšs avoir sor ti MontrĂ©al de sa torpeur indie-rock, Cœur de Pirate nous rĂ©ser ve un nouveau show enivrant Ă  souhaitLes Escales Musicales Troiad ar C'herdin Musique, ConcertPerros-Guirec 22700Le 18/09/2022"Les Escales Musicales" c'est une sĂ©rie de 7 concerts organisĂ©s en extĂ©rieur du 26 juin au 18 septembre 2022. Venez apprĂ©cier une programmation musicale variĂ©e, pleine de dĂ©couvertes et de rencontres dans diffĂ©rents lieux de Perros-Guirec. Une occasion de se rĂ©inventer pour stimuler notre imaginaire et ouvrir le champ des possibles. Profitez, partager
 La culture est une fois de plus au rendez-vous pour vous Ă©merveiller et voir la vie en Roz ! DIMANCHE 04 SEPTEMBRE Rendez-vous square Pierre Geffroy derriĂšre l'Ă©glise Concert de Musiques Trad' de 16h Ă  17h30 GRATUITExposition de poupĂ©es anciennes ExpositionPlouĂ©nan 29420Du 05/07/2022 au 08/09/2022DĂ©couvrez la riche exposition de poupĂ©es anciennes en costumes de Haute et Basse Bretagne. Tous les mardis, mercredis et jeudis. L'Association IJIN HA SPERED AR VRO savoir-faire et esprit du pays, propose les mardis, mercredis et jeudis de 14 Ă  18 heures - Le fond habituel Les coiffes en filet nouĂ©, brodĂ©, en tulle brodĂ©, en dentelles, authentiques ou recrĂ©es Ă  l'identique, les costumes traditionnels du dĂ©but du siĂšcle, dont cette annĂ©e 5 robes de baptĂȘme d'Ă©poque en tulle et filet. Les piĂšces anciennes en filet, linge de maison, art religieux, etc. Les Ă©tudes sur 29 coiffes, en collaboration avec les services du patrimoine culturel rĂ©gional. et - Une exposition temporaire de poupĂ©es en costumes traditionnels, de 20 Ă  60 cm, dont d'authentiques poupĂ©es LE MINOR. La Maison Le Minor a Ă©tĂ© fondĂ©e par Marie-Anne Le Minor en 1936 Ă  Pont L’AbbĂ© L’idĂ©e lui vint au dĂ©part de dĂ©velopper les PoupĂ©es de Bretagne », sa premiĂšre crĂ©ation, en s’inspirant des habits bretons et du savoir-faire local, pour en faire de vĂ©ritable poupĂ©es de collection. EntourĂ©e d’une main-d’Ɠuvre fĂ©minine abondante dans le Pays Bigouden, elle dĂ©cida de crĂ©er des emplois dans un atelier[...]Kermesse Bretonne Gou'Mikel Chorale - Chant, Vie associativeMoĂ«lan-sur-Mer 29350Le 18/09/2022Dans le cadre des journĂ©es du patrimoine, kermesse bretonne Gou’Mikel » Saint Michel organisĂ©e par l’association Pregomp Asambles, place Lindenfelds Ă  MoĂ«lan sur Mer. Jeux traditionnels bretons en libre service, exposition de costumes moĂ«lanais, concert des enfants chants en bretons, mini Fest Deiz, dĂ©monstrations de danse bretonne, petite restauration, animations diverses autour de la langue et de la culture bretonnes. AccĂšs libre. Avec la participation des associations MoĂ«lan Patrimoine et Tradition, Lagadenn, Molan Douar ar Mor, FEA, BleunioĂč Lann an AvenLe vinyle et la musique bretonne Musique, Musique traditionnellePaimpol 22500Du 06/09/2022 au 01/10/2022Bien connu des acteurs culturels de Bretagne et notamment du TrĂ©gor-GoĂ«lo Julien Cornic Ti Ar VRo, DASTUM, etc. a rĂ©uni une collection impressionnante de vinyles de musique bretonne. Avec cette collection, c’est une grande partie de l’histoire de la musique bretonne qui est retracĂ©e. AccompagnĂ©e de panneaux explicatifs 4, cette exposition met aussi en lumiĂšre l’incroyable production et Ă©dition de la musique bretonne des annĂ©e 60 Ă  nos des Arts Exposition, SculptureChĂąteaubourg 35220Du 01/05/2022 au 15/09/2022Une nouvelle fois, pour ses 20 ans, le parc d'Ar Milin, somptueux Ă©crin de verdure se transforme en galerie Ă  ciel ouvert, peuplĂ©e d'imposantes sculptures. Un parcours semĂ© d'imprĂ©vus pour curieux et rĂȘveurs, Ă  dĂ©couvrir de jour comme de nuit !Exposition Les saints celtiques ExpositionClĂ©den-Cap-Sizun 29770Du 01/07/2022 au 15/09/2022Les saints bretons Entre Histoire, lĂ©gendes & mythologie Sur les pas des saints panceltiques Les saints les plus vĂ©nĂ©rĂ©s Ă©taient les vieux saints ar zent koz, venus Ă©vangĂ©liser l'Armorique au VĂšme siĂšcle. Ces saints de l'Ă©migration bretonne Ă©taient nĂ©s en Galles, Cornwall ou Irlande et sont toujours honorĂ©s des deux cĂŽtĂ©s de la / Serveuse de restaurantEmploi SĂ©nĂ©, 56, Morbihan, BretagneL'Ă©tablissement AR GOUELENN recherche un serveur / une serveuse pour la saison L'Ă©tablissement est ouvert du mardi au dimanche Poste Ă  pourvoir dĂšs que possible. Premier contact par tĂ©lĂ©phone. N'hĂ©sitez pas Ă  laisser un message tĂ©lĂ©phonique. Vous pouvez Ă©galement nous rencontrer Ă  l'Ă©tablissement 4 Place de l'Ă©glise SĂ©nĂ©EmployĂ© polyvalent / EmployĂ©e polyvalente de libre-serviceEmploi Ars-sur-Moselle, 57, Moselle, Grand EstAvec PROXI, rĂ©vĂ©lez vos talents... Nous rejoindre, c'est rejoindre une entreprise qui agit au quotidien avec l'ensemble de ses Ă©quipes, pour rĂ©inventer un commerce plus Humain au travers de la PROXI'mitĂ©. Nous vous apportons un mĂ©tier qui a du sens, un management de proximitĂ©, une responsabilisation partagĂ©e et l'opportunitĂ© d'Ă©voluer parmi nos 1400 supĂ©rettes de proximitĂ©. Nous recherchons un EmployĂ© Polyvalent N1 F/H pour notre hypermarchĂ© d'Ars-sur-Moselle en contrat d'apprentissage en CAP Vendeur Conseil. En dĂ©tails, ça donne quoi ? Vous contribuez Ă  la disponibilitĂ© des produits pour les clients. Vous assurez les flux de marchandises des zones de rĂ©ception au magasin. Vous disposez et prĂ©sentez les articles ou produits et vous vous assurez que les prix affichĂ©s soient corrects. Vous maintenez un environnement accueillant et sĂ©curisant pour les clients et les collaborateurs. Vous rĂ©alisez des opĂ©rations de montage, de nettoyage, de rangement du magasin et des zones de rĂ©ception / de rĂ©serve. Vous veillez Ă  la qualitĂ© des produits vendus. Vous repĂ©rez les marchandises non vendables, vous les enlevez, les triez et les enregistrez. Parce que votre[...]EmployĂ© polyvalent / EmployĂ©e polyvalente de libre-serviceEmploi Ars-sur-Moselle, 57, Moselle, Grand EstAvec PROXI, rĂ©vĂ©lez vos talents... Nous rejoindre, c'est rejoindre une entreprise qui agit au quotidien avec l'ensemble de ses Ă©quipes, pour rĂ©inventer un commerce plus Humain au travers de la PROXI'mitĂ©. Nous vous apportons un mĂ©tier qui a du sens, un management de proximitĂ©, une responsabilisation partagĂ©e et l'opportunitĂ© d'Ă©voluer parmi nos 1400 supĂ©rettes de proximitĂ©. Nous recherchons un EmployĂ© Polyvalent N1 F/H pour notre hypermarchĂ© d'ARS SUR MOSELLE. En dĂ©tails, ça donne quoi ? Vous contribuez Ă  la disponibilitĂ© des produits pour les clients. Vous assurez les flux de marchandises des zones de rĂ©ception au magasin. Vous disposez et prĂ©sentez les articles ou produits et vous vous assurez que les prix affichĂ©s soient corrects. Vous maintenez un environnement accueillant et sĂ©curisant pour les clients et les collaborateurs. 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Vous devrez conduire la machine Ă  vendanger sur plusieurs parcelles de nos adhĂ©rents. Heures supplĂ©mentaires, salaire en fonction de la grille de la convention nationale agricole et votre expĂ©rience. Une premiĂšre expĂ©rience est OBLIGATOIREAssistant / Assistante de service socialEmploi Nancy, 54, Meurthe-et-Moselle, Grand EstDans le cadre des activitĂ©s de la Structure de Premier Accueil des Demandeurs d'Asile SPADA, l'association ARS recrute un intervenant social en CDD. ModalitĂ©s Missions gĂ©nĂ©rales - PrĂ©-accueil des personnes primo-arrivantes sur le territoire français, - Accompagnement social et administratif des demandeurs d'asile, - Assurer l'accueil, l'orientation, l'accompagnement social et administratif de personnes ayant obtenu un statut. ActivitĂ©s spĂ©cifiques - Accompagner les usagers domiciliĂ©s Ă  la SPADA dans la dĂ©marche de demande d'asile, rĂ©examen et de recours, - Expliquer les courriers et avancĂ©es dans les dĂ©marches, - Orienter les personnes primo-arrivantes vers les structures susceptibles de rĂ©pondre Ă  leurs besoins, - Travail en lien avec des partenaires tels l'OFII, l'OFPRA, les services de ma prĂ©fecture, Profil - exigences - Etre titulaire d'un diplĂŽme de travail social ES/AS ou Ă©quivalent, - Savoir analyser les situations sociales, - Être rĂ©actif et dynamique en lien avec l'Ă©volution du service, - CapacitĂ© Ă  communiquer et Ă  travailler en Ă©quipe, - Pouvoir apprĂ©hender la barriĂšre de la langue en utilisant des outils adaptĂ©s, - MaĂźtriser les techniques d'entretien, -[...]Enseignant / Enseignante des Ă©colesEmploi Saint-Brieuc, 22, CĂŽtes-d'Armor, BretagneL'EPSMS Ar Goued, Etablissement Public MĂ©dico-Social autonome, recherche pour son DISPOSITIF intĂ©grĂ© Service de Soutien Ă  l'Education Familiale et Ă  la Scolarisation SSEFS et Institut d'Education Sensorielle IES accompagnant 250 enfants et adolescents ĂągĂ©s de 3 Ă  25 ans prĂ©sentant une dĂ©ficience auditive ou des troubles de la communication ou spĂ©cifiques des apprentissages avec ou sans troubles associĂ©s Un/Une Enseignante SpĂ©cialisĂ©e Ă  100%. Il/elle a pour missions principales - Participer en Ă©quipe transdisciplinaire Ă  l'Ă©laboration, Ă  la mise en Ɠuvre et Ă  l'Ă©valuation des compĂ©tences du socle commun de l'Éducation Nationale et des projets personnalisĂ©s des enfants et adolescents accompagnĂ©s en lien avec leurs parents et les partenaires, et dans ce cadre, assurer les missions de rĂ©fĂ©rent pĂ©dagogique, - Assurer un soutien spĂ©cialisĂ© auprĂšs des enfants accompagnĂ©s, des actions d'enseignement et de remĂ©diation pĂ©dagogique, prĂ©venir les difficultĂ©s et tenter d'y remĂ©dier en adaptant son enseignement, les situations d'apprentissage et les supports de communication Ă  leurs besoins, en lien avec les enseignants des Ă©coles d'accueil, - Assurer des sĂ©ances d'enseignement[...]Responsable de boutique h/fEmploi AgroalimentaireArs-en-RĂ©, 17, Charente-Maritime, Nouvelle-AquitaineNous recherchons pour l'un de nos clients basĂ© Ă  ARS en RĂ© , un ou une Responsable de boutique Vos missions Vente des produits de la CoopĂ©rative Accueil des clients. PrĂ©sentation des produits, explications de notre mĂ©tier marais salants, production de sel Gestion des stocks du point de vente Approvisionnement des produits et commande auprĂšs des autres fournisseurs. RĂ©alisation des inventaires, tenue de la caisse, gestion des tarifs et des marges. GĂ©rer la communication et le site internet vente par internet. En collaboration avec notre comptable Etablir la comptabilitĂ©, gĂ©rer la trĂ©sorerie, recruter votre collaborateur en Ă©tĂ© d'avril Ă  octobre. Communication Participer aux actions de communication expositions, marchĂ©s, salons locaux avec la commissions communication ReprĂ©senter la coopĂ©rative lors de certains Ă©vĂ©nements. Tenir en bon Ă©tat les locaux, ĂȘtre force de proposition des amĂ©nagements d'accueil En collaboration avec notre maintenance, ĂȘtre garant du bon Ă©tat des locaux. CompĂ©tences informatique Logiciel de caisse, Word, Excel, Power PointAdjoint responsable d'exploitation h/fEmploi AgroalimentaireArs-en-RĂ©, 17, Charente-Maritime, Nouvelle-AquitainePour l'un de nos clients , basĂ© a Ars en RĂ©, nous recherchons un ou une adjointe d'exploitation Vos missions AprĂšs une pĂ©riode de formation Ă  nos produits et Ă  nos procĂ©dĂ©s, les missions seront les suivantes - Suivi des plannings et ordonnancement des productions - Approvisionnement en emballages et ingrĂ©dients - Suivi du documentaire qualitĂ© - Suivi des indicateurs production, qualitĂ© et sĂ©curitĂ© - Optimisation du fonctionnement des outils de production conditionnement du sel. - Sous la responsabilitĂ© du chef d'exploitation, management des Ă©quipes 8 personnesAssistant qualitĂ© h/fEmploi AgroalimentaireArs-en-RĂ©, 17, Charente-Maritime, Nouvelle-AquitainePour l'un de nos client basĂ© Ă  ARS en RĂ©, nous recherchons un Assistante QualitĂ© Vos missions - Seconder la responsable du service QualitĂ©-SĂ©curitĂ© - RĂ©aliser les audits internes et participer Ă  la prĂ©paration des audits IFS et audits clients - Traiter les non-conformitĂ©s - Participer aux groupes de rĂ©flexion et aux prises de dĂ©cisions - Participer Ă  la mise en place des certifications BIO, IGP et FAIR FOR LIFE Commerce EquitableAgent / Agente d'entretien/propretĂ© de locauxEmploi Ars, 16, Charente, Nouvelle-AquitaineDans le cadre de l'entretien des locaux pour un de nos clients basĂ© sur la commune de ARS, nous recherchons un-e agent-e ayant la possibilitĂ© de rĂ©alisĂ© les prestations de 17h30 Ă  21h00 du lundi au vendredi. En fonction de vos rĂ©sultats, un poste en CDI peux ĂȘtre envisagĂ© dans les mois comme un chef mets et vin d'Alsace - Les Fromages Visites et circuitsKaysersberg Vignoble 68240Le 06/10/2022Apprenez Ă  marier mets et vins selon les thĂšmes variĂ©s, puis dĂ©gustez les produits du jour en suivant, avec un conseiller de la ConfrĂ©rie Saint-Etienne, les meilleurs accords de vins d'Alsace. Comme le peintre qui assemble les formes et les couleurs, le fromage assemble les goĂ»ts et les saveurs. Jacky Quesnot vous fera dĂ©couvrir des arĂŽmes issus de terroirs par une sĂ©lection rigoureuse des ses fromages associĂ©s aux meilleurs flacons de vins d'Alsace sĂ©lectionnĂ©s par les conseillers de la ConfrĂ©rie. Avec Jacky Quesnot de la Fromagerie Saint-Nicolas Ă  Colmar. RĂ©servation obligatoire. Concert - FlorilĂšge vocal Musique, Concert, Chorale - Chant, Lecture - Conte - PoĂ©siePontarlier 25300Du 30/09/2022 au 02/10/2022ProposĂ© par l'Ensemble vocal Ars Nova et Renata CĂŽte-Szopny, avec la complicitĂ© de StĂ©phane Ganard au piano. Au programme Negra spirituals et poĂ©sies chantĂ©es qui seront interprĂ©tĂ©s par des solistes, duos en petite formation et grand choeur. Billets Ă  retirer Ă  l'Office de Tourisme de "Sur la route de Youenn Gwernig" de la compagnie Ar vro Bagan Théùtre, Musique, Chorale - ChantDouarnenez 29100Le 07/10/2022Un nouveau spectacle mĂȘlant chants, musique, théùtre et vidĂ©o. ÉbĂ©niste et sculpteur, musicien et chanteur, Youenn Gwernig Ă©migre aux États-Unis en 1957, oĂč il fait la connaissance de Jack Kerouac. De retour en Bretagne en 1969, il participe par le chant et l’écriture aux luttes sociales et culturelles. Son oeuvre breton, français, anglais et son existence, pĂ©tries de valeurs humanistes et universelles, illustrent bien cette identitĂ© bretonne ouverte au de danse & spectacle Danse - Bal - CabaretLe FaouĂ«t 22290Le 01/10/2022L'association Avel ar Ch'oat vous propose un week-end de danse avec le samedi un stage de hip-hop 2h animĂ© par Teddy Dacalor de Studiodanse Guingamp suivi d'une prestation chorĂ©graphiĂ©e pour 1 chorĂ©graphe et 6 danseurs. A noter le dimanche 2 octobre, dans l'enclos de la chapelle de Kergrist, la Compagnie LĂ©gendanse prĂ©sentera une performance d'improvisation pour 4 danseuses durĂ©e 35 min.Week-end danse Danse - Bal - Cabaret, FĂȘte, Vie associativeLe FaouĂ«t 22290Du 01/10/2022 au 02/10/2022L'association Avel ar Ch'oat vous propose un week-end de danse. Samedi 1er octobre, Ă  la salle des fĂȘtes, stage de hip-hop 2h animĂ© par Teddy Dacalor de Studiodanse Guingamp et prestation chorĂ©graphiĂ©e pour 1 chorĂ©graphe et 6 danseurs. Dimanche 2 octobre, dans l'enclos de la chapelle de Kergrist, la Compagnie LĂ©gendanse prĂ©sentera une performance d'improvisation pour 4 danseuses durĂ©e 35 min.Spectacle de danse - Compagnie Legendanse Danse - Bal - Cabaret, Vie associativeLe FaouĂ«t 22290Le 02/10/2022L'association Avel ar Ch'oat vous propose un week-end de danse la Compagnie LĂ©gendanse prĂ©sentera une performance d'improvisation pour 4 danseuses durĂ©e 35 min. Horaire Ă  de la gestion et des services gĂ©nĂ©rauxEmploi -, 973, Guyane, GuyanePilotage au cĂŽtĂ© du secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du projet de modernisation de l'ARS de Guyane Organisation et planification de la mise en Ɠuvre des schĂ©mas directeurs de l'agence dans leur phase de dĂ©ploiement en s'appuyant sur les ressources internes et la coopĂ©ration avec d'autres agences de santĂ© Participation Ă  la dĂ©finition et au suivi du pilotage global et accompagnement des personnes impliquĂ©es, et accĂ©lĂ©rateur des projets innovants portĂ©s par les agents Organisation et pilotage du recours Ă  des fonctions d'appui dans un cadre mutualisĂ© avec d'autres ARS ou acteurs externes en lien avec le SecrĂ©taire GĂ©nĂ©ral Contribution directe Ă  la mise en Ɠuvre de certaines actions prĂ©vues dans les schĂ©mas directeurs dont celui des ressources humaines visant Ă  IntĂ©grer - valoriser les collaborateurs PrĂ©server et amĂ©liorer les conditions de travail Diffuser une culture managĂ©riale Adapter la gestion des ressources humaines et logistiques aux Ă©volutions Ă  venir Donner de la lisibilitĂ© Ă  la politique des ressources humaines. Garant de la cohĂ©rence d'ensemble de la dĂ©marche et du reporting effectuĂ© au SecrĂ©taire GĂ©nĂ©ral Organisation, planification et gestion des diffĂ©rentes activitĂ©s d'appui[...]IngĂ©nieur / IngĂ©nieure achatsEmploi -, 972, Martinique, Martinique- Appliquer les stratĂ©gies d'achat en cohĂ©rence avec les choix budgĂ©taires - Piloter des projets d'achat calendrier, moyens, risques, dĂ©finition du juste besoin... de la publication Ă  la notification du marchĂ© - Conseiller et assister les services prescripteurs dans l'Ă©laboration des Ă©lĂ©ments du dossier de consultation relatif Ă  l'expression du besoin et du choix du fournisseur. Elaborer et rĂ©diger les piĂšces du marchĂ©. - Assister les services dans l'analyse, la nĂ©gociation et la sĂ©lection des offres - RĂ©diger les actes administratifs de la commande publique reconductions, avenants, courrier de pĂ©nalitĂ©s, courrier de rĂ©siliation. - Suivre l'exĂ©cution des contrats et des marchĂ©s tableaux de bord, relations fournisseurs, traitement des rĂ©clamations, rĂ©visions de prix, respect des conditions d'exĂ©cution du marchĂ©, suivi financier... - GĂ©rer le prĂ© contentieux - Animer et professionnaliser les acteurs de la politique achat - Mener la veille juridique et notamment la veille relative Ă  la commande publique - Mener la veille Ă©conomique notamment en analysant les marchĂ©s fournisseurs - RĂ©aliser le sourcing fournisseur - [...]Gestionnaire administratifve ressources humainesEmploi -, 75, Paris, Île-de-FranceCe poste est Ă  pourvoir au sein de la Direction de l'appui au pilotage de l'offre DAPO et au sein du PĂŽle prĂ©vention et appui Ă  la transformation de la CNSA. En renfort de la Responsable de projets investissement immobilier, vos missions seront les suivantes - Appuyer le Plan d'Aide Ă  l'investissement PAI PAI du quotidien aide Ă  la rĂ©ussite de l'Audit - Stabiliser la liste des 3 000 EHPAD cibles par le contrĂŽle de la cohĂ©rence des dossiers, le contrĂŽle de la prĂ©sence des conventions, des paiements, des trop perçus et des piĂšces justificatives, les FINESS - Relancer des ARS et les EHPAD si nĂ©cessaires - GĂ©rer les rĂ©unions collectives et individuelles avec les ARS Fonds PAI - Aider Ă  l'objectif de solder les anciens PAI gĂ©rĂ©s Ă  la CNSA relance auprĂšs des ARS, transmission des paiements Ă  la Direction Comptable, vĂ©rification des avenants Ă©ventuels, mise Ă  jour de GALIS outil de suivi des subventions - Aider Ă  l'objectif de rĂ©cupĂ©ration des crĂ©dits de paiement non consommĂ©s suite Ă  la dĂ©concentration du PAI PAI immobilier - Saisir des dossiers 2022 dans GALIS - VĂ©rifier la cohĂ©rence[...]Raid Raozh Rance Courses Ă  pied, Nature - EnvironnementLe Minihic-sur-Rance 35870Le 09/10/2022Raid Rozh Rance est un Ă©vĂ©nement solidaire organisĂ© par Rance Sport SantĂ© 35 qui s’inscrit dans la dynamique d’octobre rose ». L’équipe organisatrice a le plaisir de vous proposer 2 raids en duo ainsi qu'une marche nature. Les fonds seront transformĂ©s en coupons sport au bĂ©nĂ©fice de patients atteints ou en rĂ©mission de cancer, Ă  utiliser auprĂšs d'une association malouine l'association Sport Mer SantĂ© agréée Maison Sport SantĂ© par l'ARS sauvetage sportif, natation, longe-cĂŽte, aquagym en mer etc... le tout, adaptĂ© Ă  la pathologie de chaque adhĂ©rent Tous les bĂ©nĂ©fices sont reversĂ©s Ă  l’association Sport Mer SantĂ© qui anime des sĂ©ances d’activitĂ©s physiques adaptĂ©es pour les personnes touchĂ©es par un cancer. Au programme 9h15 Parcours Rance de 9 km en DUO associant Trail en Orientation 4km, Laser Run 6 sĂ©quences de tirs et 6 boucles de 100 m, Trail 1km , Paddle 2 boucles de 500 m, Trail 1km 9h15 Parcours Raid de 15 km en DUO associant Trail 4km, Trail en Orientation 4km, Laser Run 6 sĂ©quences de tirs et 6 boucles de 300 m, Trail 1km , Paddle 6 boucles de 500 m, Trail 1km A partir de 10h00 Marche nature de 7 km allure libre Ces Ă©preuves[...]Infirmier H/FEmploi Autres services aux entreprisesAmnĂ©ville, 57, Moselle, Grand EstAdecco Medical est le leader EuropĂ©en des ressources humaines dans la SantĂ© spĂ©cialisĂ© dans l’intĂ©rim mĂ©dical et paramĂ©dical et le recrutement en CDI et en CDD. Ses 90 agences en France vous accueillent pour vous aider Ă  piloter votre carriĂšre au travers de ses marques dĂ©diĂ©es Adecco Medical, Adecco Pharmacie et Recherche, PmS et RH SantĂ©. Nous recherchons une Infirmiere DiplĂŽmĂ©e d'Etat H/F pour un CDD Ă  temps pleind'une durĂ©e d'un mois minimum. Vous intervenez en EHPAD. Planning Ă  dĂ©finir selon le candidat. Contactez-nous pour tout renseignement au 0387211320. Aptitudes - Vous ĂȘtes impĂ©rativement DiplĂŽmĂ©e d'Etat et inscrit Ă  l'ARS. Vous justifiez d'une prĂ©cĂ©dente expĂ©rience en EHPAD et ĂȘtes Ă  l'aise avec l'outil informatique....Medecin Generaliste H/FEmploi Social - Services Ă  la personneLens, 62, Pas-de-Calais, Hauts-de-FranceL'Appel MĂ©dical est le n°1 de l'intĂ©rim et du recrutement mĂ©dical, paramĂ©dical, mĂ©dico-social et pharmaceutique en France et compte prĂšs de 95 agences forcĂ©ment proches de chez vous + d'infos sur IntĂ©rim, libĂ©ral, vacation, CDD, CDI... l'Appel MĂ©dical est le vĂ©ritable partenaire emploi des professionnels de santĂ©, des cadres de santĂ© et des mĂ©decins. Nos consultants CDI-CDD vous proposent d'Ă©valuer ensemble vos compĂ©tences et de trouver l'emploi qui rĂ©ponde Ă  vos objectifs personnels et professionnels. Du recrutement Ă  l'intĂ©gration dans votre future Ă©quipe de soins ou d'encadrement, l'Appel MĂ©dical s'occupe de vous !La maison de santĂ© est ouverte depuis mars 2015, les locaux sont neufs et prĂšs Ă  ĂȘtre investi par de nouveaux collaborateurs. La structure est situĂ©e prĂšs d'une zone commerciale Ă  environ Ă  20 minutes de BĂ©thune. Elle est au coeur d'une population en demande de soins. Le logiciel utilisĂ© est Weda mis Ă  votre dispositionVous collaborez avec une Ă©quipe pluridisciplinaire composĂ©e de Un mĂ©decin gĂ©nĂ©raliste, une secrĂ©taire mĂ©dicale en charge de l'accueil patient et de la gestion des RDV, un chirurgien-dentiste implantologue, deux orthophonistes,[...]Medecin Pneumologue H/FEmploi Social - Services Ă  la personneVence, 6, Alpes-Maritimes, Provence-Alpes-CĂŽte d'AzurRejoignez les 30 000 collaborateurs de l'Appel MĂ©dical et bĂ©nĂ©ficiez de nombreuses missions et emplois les plus adaptĂ©s Ă  vos envies et compĂ©tences tout en profitant des nombreux services et avantages exclusifs. Les fonctions ou intitulĂ©s se dĂ©clinent au fĂ©minin comme au recherchons pour le compte de notre client...Etablissement situĂ© dans le var, un mĂ©decin Pneumologue H/F pour un remplacement pour le mois de juillet 2020Centre de RĂ©adaptation Fonctionnelle Cardiologique et Pneumologique est un Ă©tablissement sanitaire privĂ© Ă  but non lucratif, Ă©tablissement de santĂ© privĂ© d'intĂ©rĂȘt collectif ESPIC depuis 1977. L'Ă©tablissement spĂ©cialisĂ© dans les affections cardiovasculaires et les affections respiratoires agréées chacune par l'ARS assure une prise en charge pluridisciplinaire concourant Ă  la rĂ©cupĂ©ration d'un Ă©tat de SantĂ© le meilleur possible et Ă  la prĂ©vention des risques de rechute. L'Ă©tablissement accueille en hospitalisation complĂšte au sein de deux services - 42 chambres en SSR cardiologique. - 42 chambres en SSR pneumologique. Logementprise en charge des repas et des frais de transport. La rĂ©munĂ©ration est de 500€ net la journĂ©e....Apprenti en IngĂ©nierie PĂ©dagogique H/FEmploi AĂ©ronautique - SpatialBourges, 18, Cher, Centre-Val de LoireMBDA, au coeur de notre dĂ©fense... Rejoignez notre groupe, leader europĂ©en dans la conception, la fabrication et la commercialisation de missiles et de systĂšmes d'armes qui rĂ©pondent aux besoins prĂ©sents et futurs des armĂ©es europĂ©ennes et alliĂ©es ! AuprĂšs de nos 10 000 collaborateurs, venez prendre part Ă  nos projets, en service opĂ©rationnel ou en dĂ©veloppement, dans un contexte multiculturel favorable Ă  l'innovation et Ă  l'excellence technique ! Rejoindre notre site de Bourges, c'est bĂ©nĂ©ficier d'un panel d'opportunitĂ©s professionnelles dans diffĂ©rents mĂ©tiers production, ingĂ©nierie, support client.... Au sein de la Direction Programme support clients, vous ĂȘtes intĂ©grĂ©e le service Formation Clients. Objectif de l'apprentissage Accompagner le service dans la transformation de la formation client industrialiser la conception et la production des formations et optimiser les phases de validation des supports de formation. GrĂące Ă  vos compĂ©tences, vous - Identifiez des objectifs pĂ©dagogiques gĂ©nĂ©riques applicables du catalogue de formations clients MBDA. - Effectuez une analyse DIF DifficultĂ©, Importance, FrĂ©quence associĂ©e Ă  ces objectifs. - Analysez les options[...]ChargĂ© d'Affaires H/FEmploi Auto-Moto-CyclesVillefranche-sur-SaĂŽne, 69, RhĂŽne, Auvergne-RhĂŽne-AlpesFed IngĂ©nierie, cabinet de recrutement spĂ©cialisĂ©, recherche pour son client expert en mĂ©canique de haute prĂ©cision, un ChargĂ© d'Affaires / Deviseur H/F. Poste Ă  pourvoir dĂšs que possible en CDI. Vous intĂ©grez une PME d'une cinquantaine de personnes, dans un environnement de travail agrĂ©able. Vos principales missions seront les suivantes - RĂ©pondre aux demandes de prix des clients et prospects et les relancez en vue d'obtenir les commandes. - Enregistrer les commandes, prĂ©senter les dossiers en production ou au BE. - Effectuer le suivi des commandes envoi des AR, communication sur le planning.... - DĂ©velopper le portefeuille clients. - Assurer l'interface entre les clients et la production en transfĂ©rant les informations prĂ©cises et utiles. - Assurer un bon relationnel avec le client en instaurant des Ă©changes frĂ©quents, riches et constructifs. - Suivre les rentabilitĂ©s de vos commandes....INSPECTRICE/INSPECTEUR DES INSTALLATIONS CLASSEES POUR LA PROTECTION DE L'ENVIRONNEMENTEmploi CollectivitĂ©s locales - Territorialesï„‹Ă‰vry, 91, Essonne, Île-de-FrancePlace de l'emploi public recherche pour Direction RĂ©gionale et InterdĂ©partementale de l'Environnement et de l'Energie d'Ile-de-France DRIEE un Inspecteur ICPE 3ESP Evry Etampes Eau Sites PolluĂ©s A H/FDirection RĂ©gionale et InterdĂ©partementale de l'Environnement et de l'Energie d'Ile-de-France DRIEE Le titulaire du poste exerce l'ensemble des tĂąches liĂ©es Ă  la fonction d'inspecteur des ICPE instruction de dossiers, suivi et contrĂŽle des installations 
 pour les Ă©tablissements attachĂ©s Ă  sa cellule. Le titulaire du poste peut se voir confier des missions transverses au sein de l'unitĂ© dĂ©partementale en lien avec le mĂ©tier d'inspecteur ou entrant dans le cadre du fonctionnement gĂ©nĂ©ral de l'UD. La cellule comprend deux ingĂ©nieurs, un technicien et une assistante. Le titulaire du poste est placĂ© sous l'autoritĂ© hiĂ©rarchique du chef d'UD et de son adjoint. Le poste conduit Ă  avoir des Ă©changes avec une grande diversitĂ© d’interlocuteurs tant en interne qu'en externe. Ces Ă©changes s’opĂšrent avec ‱ les agents de l'unitĂ© territoriale ‱ les exploitants des installations classĂ©es ‱ les agents de la prĂ©fecture et des autres services de l’État DDT, ARS ‱ les agents de la DRIEE ‱[...]CHARGEE/CHARGE DE CONCEPTION ET DEVELOPPEMENTEmploi CollectivitĂ©s locales - TerritorialesParis, 75, Paris, Île-de-FrancePlace de l'emploi public recherche pour Centre national de gestion des praticiens hospitaliers de la FPH un CHARGE DE MISSION INFORMATIQUE LOGIMEDhCentre national de gestion des praticiens hospitaliers de la FPH Poste et activitĂ©s Vous ĂȘtes placĂ© auprĂšs du responsable du systĂšme d’information-chef de bureau des SI. Vous ĂȘtes chargĂ© de participer au dĂ©veloppement du projet LOGIMEDh en lien avec l’équipe projet dĂ©jĂ  constituĂ©e. LOGIMEDh est un logiciel national en dĂ©veloppement pour la gestion et le suivi des postes mĂ©dicaux et des praticiens hospitaliers exerçant dans les Ă©tablissements publics de santĂ©. Vous devez notamment participer Ă  la conception fonctionnelle de l’application; rĂ©diger des demandes d’évolutions au prestataire de la TMA de l’application en charge de la rĂ©alisation des dĂ©veloppements informatiques; rĂ©aliser les tests et la recette des nouvelles versions de l’application; veiller Ă  la conformitĂ© des livrables; assister les utilisateurs dans la prise en main de l’application et Ă©ventuellement les former localement Ă©tablissement de santĂ© et ARS; en fonction des prioritĂ©s, participer aux travaux sur les autres applications du bureau La mise en Ɠuvre[...]CHARGEE/CHARGE DE PROMOTION DE SANTE PUBLIQUE OU DE COHESION SOCIALEEmploi CollectivitĂ©s locales - TerritorialesVesoul, 70, Haute-SaĂŽne, Bourgogne-Franche-ComtĂ©Place de l'emploi public recherche pour Agence rĂ©gionale de santĂ© Bourgogne - Franche ComtĂ© un ChargĂ©e de mission DĂ©veloppement territorial en santĂ© »Agence rĂ©gionale de santĂ© Bourgogne - Franche ComtĂ© Le/la chargĂ©e de mission DĂ©veloppement territorial en santĂ© » mobilise l'ensemble des ressources des territoires concernĂ©s, et de l’ARS pour mettre en oeuvre, dans le cadre du projet rĂ©gional de santĂ©, des actions d’accĂšs aux soins, de prĂ©vention et promotion de la santĂ© et de rĂ©duction des inĂ©galitĂ©s territoriales de santĂ©. Missions gĂ©nĂ©rales Mobiliser l'ensemble des ressources du territoire concernĂ©, favorise le repĂ©rage des bonnes pratiques et les Ă©changes d'expĂ©riences, pour inscrire la santĂ© dans un projet global de dĂ©veloppement du territoire, en lien avec les acteurs institutionnels, politiques, de santĂ© et les usagers. Il s’agit ainsi de - Promouvoir auprĂšs des partenaires, les orientations des politiques de santĂ© nationale et rĂ©gionale, formalisĂ©es dans le Projet rĂ©gional de SantĂ© PRS2 et les dispositifs du plan d’égal accĂšs aux soins et de ma santĂ© 2022 - DĂ©cliner sur son territoire les politiques de l’Agence dans les domaines de la PrĂ©vention, Promotion[...]CHARGEE/CHARGE DE PROMOTION DE SANTE PUBLIQUE OU DE COHESION SOCIALEEmploi CollectivitĂ©s locales - TerritorialesLons-le-Saunier, 39, Jura, Bourgogne-Franche-ComtĂ©Place de l'emploi public recherche pour Agence rĂ©gionale de santĂ© Bourgogne - Franche ComtĂ© un ChargĂ©e de mission DĂ©veloppement territorial en santĂ© » Dpt 39 H/FAgence rĂ©gionale de santĂ© Bourgogne - Franche ComtĂ© Le/la chargĂ©e de mission DĂ©veloppement territorial en santĂ© » mobilise l'ensemble des ressources des territoires concernĂ©s, et de l’ARS pour mettre en Ɠuvre, dans le cadre du projet rĂ©gional de santĂ©, des actions d’accĂšs aux soins, de prĂ©vention et promotion de la santĂ© et de rĂ©duction des inĂ©galitĂ©s territoriales de santĂ©. Mobilise l'ensemble des ressources du territoire concernĂ©, favorise le repĂ©rage des bonnes pratiques et les Ă©changes d'expĂ©riences, pour inscrire la santĂ© dans un projet global de dĂ©veloppement du territoire, en lien avec les acteurs institutionnels, politiques, de santĂ© et les usagers. Il s’agit ainsi de Promouvoir auprĂšs des partenaires, les orientations des politiques de santĂ© nationale et rĂ©gionale, formalisĂ©es dans le Projet rĂ©gional de SantĂ© PRS2 et les dispositifs du plan d’égal accĂšs aux soins et de ma santĂ© 2022 - DĂ©cliner sur son territoire les politiques de l’Agence dans les domaines de la PrĂ©vention, Promotion[...]ChargĂ© d'opĂ©rationsEmploi CollectivitĂ©s locales - TerritorialesChĂąlons-en-Champagne, 51, Marne, Grand EstPlace de l'emploi public recherche pour Agence de l'eau Seine Normandie un ChargĂ© d'opĂ©rationsAgence de l'eau Seine Normandie En matiĂšre d’investissement des collectivitĂ©s locales et de l’industrie volet artisanat dans le domaine de l’eau potable et de l’assainissement, le chargĂ© d’opĂ©ration contribue Ă  l'Ă©laboration, Ă  la mise en Ɠuvre et au suivi des prioritĂ©s territoriales d’action de l’Agence dĂ©clinĂ© par unitĂ© hydrographique. Dans ce cadre, et sur son territoire d’intervention - Il est responsable du dĂ©veloppement et de la mise en Ɠuvre de projets d'assainissement des eaux usĂ©es, d'eau potable et de protection de la ressource en eau ; ainsi que pour les projets de mise en conformitĂ© des activitĂ©s Ă©conomiques liĂ©es Ă  l’artisanat ; - Il est l'interlocuteur privilĂ©giĂ© des collectivitĂ©s, maitres d'ouvrages et industriels pour les domaines liĂ©s Ă  l'eau ; - Il contribue Ă  l'Ă©valuation et au suivi des interactions possibles entre les projets et la ressource en eau ainsi que leurs impacts et consĂ©quences ; - Il participe Ă  la dĂ©finition des prioritĂ©s des actions Ă  mener au vu des documents de programmation de chaque partenaire SDAGE, programme de mesures, PAOT, SAGE,[...]ChargĂ© d'opĂ©rations spĂ©cialisĂ©Emploi CollectivitĂ©s locales - TerritorialesChĂąlons-en-Champagne, 51, Marne, Grand EstPlace de l'emploi public recherche pour Agence de l'eau Seine Normandie un ChargĂ© d'opĂ©rations spĂ©cialisĂ©Agence de l'eau Seine Normandie En matiĂšre d’investissement des collectivitĂ©s locales et de l’industrie volet artisanat dans le domaine de l’eau potable et de l’assainissement, le chargĂ© d’opĂ©ration contribue Ă  l'Ă©laboration, Ă  la mise en Ɠuvre et au suivi des prioritĂ©s territoriales d’action de l’Agence dĂ©clinĂ© par unitĂ© hydrographique. Dans ce cadre, et sur son territoire d’intervention - Il est responsable du dĂ©veloppement et de la mise en Ɠuvre de projets d'assainissement des eaux usĂ©es schĂ©mas, zonages, rĂ©seaux, Ă©puration, d'eau potable et de protection de la ressource en eau ; - Il est l'interlocuteur privilĂ©giĂ© des collectivitĂ©s, maitres d'ouvrages et industriels pour les domaines liĂ©s Ă  l'eau ; - Il contribue Ă  l'Ă©valuation et au suivi des interactions possibles entre les projets et la ressource en eau ainsi que leurs impacts et consĂ©quences ; - Il participe Ă  la dĂ©finition des prioritĂ©s des actions Ă  mener au vu des documents de programmation de chaque partenaire SDAGE, XIe programme, masses d'eaux, SAGE, schĂ©mas directeurs, 
 ; - En prenant en compte[...]CHARGEE/CHARGE DE PROMOTION DE SANTE PUBLIQUE OU DE COHESION SOCIALEEmploi CollectivitĂ©s locales - TerritorialesAuxerre, 89, Yonne, Bourgogne-Franche-ComtĂ©Place de l'emploi public recherche pour Agence rĂ©gionale de santĂ© Bourgogne - Franche ComtĂ© un ChargĂ©e de mission DĂ©veloppement territorial en santĂ© »Agence rĂ©gionale de santĂ© Bourgogne - Franche ComtĂ© Le/la chargĂ©e de mission DĂ©veloppement territorial en santĂ© » mobilise l'ensemble des ressources des territoires concernĂ©s, et de l’ARS pour mettre en oeuvre, dans le cadre du projet rĂ©gional de santĂ©, des actions d’accĂšs aux soins, de prĂ©vention et promotion de la santĂ© et de rĂ©duction des inĂ©galitĂ©s territoriales de santĂ©. Missions gĂ©nĂ©rales Mobiliser l'ensemble des ressources du territoire concernĂ©, favorise le repĂ©rage des bonnes pratiques et les Ă©changes d'expĂ©riences, pour inscrire la santĂ© dans un projet global de dĂ©veloppement du territoire, en lien avec les acteurs institutionnels, politiques, de santĂ© et les usagers. Il s’agit ainsi de - Promouvoir auprĂšs des partenaires, les orientations des politiques de santĂ© nationale et rĂ©gionale, formalisĂ©es dans le Projet rĂ©gional de SantĂ© PRS2 et les dispositifs du plan d’égal accĂšs aux soins et de ma santĂ© 2022 - DĂ©cliner sur son territoire les politiques de l’Agence dans les domaines de la PrĂ©vention, Promotion[...]ChargĂ© d'opĂ©ration spĂ©cialisĂ©Emploi CollectivitĂ©s locales - TerritorialesChĂąlons-en-Champagne, 51, Marne, Grand EstPlace de l'emploi public recherche pour Agence de l'eau Seine Normandie un ChargĂ© d'opĂ©ration spĂ©cialisĂ©Agence de l'eau Seine Normandie En matiĂšre d’investissement des collectivitĂ©s locales et de l’industrie volets agro-alimentaire et artisanat dans le domaine de l’eau potable et de l’assainissement, le chargĂ© d’opĂ©ration contribue Ă  l'Ă©laboration, Ă  la mise en Ɠuvre et au suivi des prioritĂ©s territoriales d’action de l’Agence dĂ©clinĂ© par unitĂ© hydrographique. Dans ce cadre, et sur son territoire d’intervention - Il est responsable du dĂ©veloppement et de la mise en Ɠuvre de projets d'assainissement des eaux usĂ©es schĂ©mas, zonages, rĂ©seaux, Ă©puration, d'eau potable et de protection de la ressource en eau ; - Il est l'interlocuteur privilĂ©giĂ© des collectivitĂ©s, maitres d'ouvrages et industriels pour les domaines liĂ©s Ă  l'eau ; - Il contribue Ă  l'Ă©valuation et au suivi des interactions possibles entre les projets et la ressource en eau ainsi que leurs impacts et consĂ©quences ; - Il participe Ă  la dĂ©finition des prioritĂ©s des actions Ă  mener au vu des documents de programmation de chaque partenaire SDAGE, XIe programme, masses d'eaux, SAGE, schĂ©mas directeurs, 
 ; -[...]Formateur des professionnels de santĂ©Emploi HĂŽpitaux - MĂ©decineParis, 75, Paris, Île-de-FrancePlace de l'emploi public recherche pour Assistance publique - hĂŽpitaux de Paris AP-HP un Cadre de santĂ© formateur 2019-235Assistance publique - hĂŽpitaux de Paris AP-HP Missions gĂ©nĂ©rales ‱ Collabore Ă  la stratĂ©gie impulsĂ©e et au pilotage du projet de l’institut, ‱ Assure la formation initiale des Ă©tudiants en soins infirmiers ainsi que l’évaluation des connaissances tout au long de la formation, ‱ Participe Ă  la formation des aides-soignants et aux Ă©valuations thĂ©oriques et cliniques. Missions permanentes ‱ Assure la responsabilitĂ© d’unitĂ©s d’enseignement organisation, coordination et planification des sĂ©quences d’enseignement cours magistraux, travaux dirigĂ©s, travaux pratiques, travaux personnels guidĂ©s en relation avec les universitaires et les intervenants extĂ©rieurs, ‱ Participe Ă  l’élaboration des projets de formation, assure le suivi de leur mise en Ɠuvre et participe Ă  leur Ă©valuation, ‱ Utilise des mĂ©thodes pĂ©dagogiques innovantes en lien avec les technologies de l’information et de la communication, ‱ Participe Ă  l’accompagnement des Ă©tudiants en stage, auprĂšs des tuteurs et des professionnels, ‱ Organise des temps d’analyse de pratiques et de suivi[...]-Assistant Responsable QualitĂ© Fournisseurs- Bac +3- 87 H/FEmploi Energie - PĂ©troleLimoges, 87, Haute-Vienne, Nouvelle-AquitaineChez Schneider Electric, nous croyons que l'accĂšs Ă  l'Ă©nergie et au digital est un droit fondamental. A chaque instant, nous donnons Ă  chacun le pouvoir d'utiliser au mieux son Ă©nergie et ses ressources, partout dans le monde. Life is On. Nous dĂ©veloppons des solutions numĂ©riques combinant Ă©nergie et automatismes, pour plus d'efficacitĂ©, au service d'un monde plus durable. GrĂące Ă  nos technologies uniques de gestion de l'Ă©nergie, d'automatismes en temps rĂ©el, de logiciels et de services, nous proposons des solutions intĂ©grĂ©es pour l'habitat rĂ©sidentiel, les bĂątiments tertiaires, les data centers, les infrastructures et les industries. Cette vision partagĂ©e, ce dĂ©sir permanent d'innover au service de notre mission, sont au coeur de nos valeurs et rassemblent notre communautĂ© de par le monde. Mission IntĂ©grĂ©e au sein du Service QualitĂ© d'un site industriel situĂ© Ă  Limoges, vous accompagnerez le Responsable QualitĂ© Fournisseur sur le sujet suivant Parts Robustness 2018-2020, projet de qualification des fournisseurs et des piĂšces critiques de l'usine. Vous serez intĂ©grĂ© Ă  l'Ă©quipe de 4 personnes Ă  l'Inspection d'EntrĂ©e, une composante du service qualitĂ©[...]Technicien de Maintenance de Lignes de Production H/FEmploi MultimĂ©dia - Internet - SSIIChamp-sur-Drac, 38, IsĂšre, Auvergne-RhĂŽne-AlpesOubliez les sociĂ©tĂ©s d'ingĂ©nierie qui ne font matcher qu'une compĂ©tence avec un cahier des charges. Chez STEP UP, nous recherchons Ă©galement l'adĂ©quation entre la personnalitĂ© de nos collaborateurs et la culture d'entreprise de nos clients. Et ça, ça fait toute la diffĂ©rence !!! PrĂ©curseur dans ce domaine, STEP UP est un cabinet d'ingĂ©nierie industriel et informatique en forte croissance 50% en 2018 plaçant le dĂ©veloppement du potentiel humain comme premier vecteur d'excellence en entreprise. Dans le cadre d'un de nos projets, nous recherchons un Technicien de Maintenance de lignes de production H/F Votre mission sera de garantir le maintien des Ă©quipements en Ă©tat de bon fonctionnement et rĂ©aliser des interventions spĂ©cifiques sur l'ensemble du site dans le respect des rĂšgles de sĂ©curitĂ©, de qualitĂ©, de service et de maĂźtrise des coĂ»ts. RattachĂ© au coordinateur de maintenance, vous aurez en charge de PrĂ©parer - Prendre connaissance des consignes des Ă©quipiers prĂ©cĂ©dents, historique des interventions dans la GMAO et ARS. - Prendre connaissance des interventions programmĂ©es dans la GMAO. - RĂ©aliser le tour des Ă©quipements pour en vĂ©rifier le bon fonctionnement. RĂ©aliser[...]Approvisionneur H/FEmploi Equipement industrielBelfort, 90, Territoire de Belfort, Bourgogne-Franche-ComtĂ©Page Personnel Achats-Logistique est leader dans le recrutement et l'intĂ©rim spĂ©cialisĂ©s d'employĂ©s, d'Agents de MaĂźtrise et de Cadres de premier niveau. Experts sur les mĂ©tiers des achats et de la logistique, nous accompagnons nos clients dans le recrutement de leurs futurs talents au travers de notre rĂ©seau national et d'une Ă©quipe de Consultants spĂ©cialisĂ©s. Notre client, Groupe industriel Ă  dimension internationale, recrute un Approvisionneur, dans le cadre d'une mission d'intĂ©rim de 18 mois. RattachĂ© au Service Approvisionnements, vos missions sont les suivantes - Traiter les propositions d'ordres d'achat issues de l'ERP, les transformer en ordres d'achat aprĂšs avoir confirmĂ© dĂ©lais et quantitĂ©s. - Effectuer les demandes de prix aux achats pour les nouveaux articles. - Surveiller l'avancement des dossiers d'achats et les demandes de prix. - Suivre les commandes, enregistrer les AR. - Assurer la coordination des transports. - Traiter les anomalies de rĂ©ception et de facturation....Ash H/FEmploi Autres services aux entreprisesBrienon-sur-Armançon, 89, Yonne, Bourgogne-Franche-ComtĂ©Adecco Medical recherche rĂ©guliĂšrement pour l'un de nos clients, un ASH H/F pour intervenir sur un EHPAD sur le secteur nord de Brienon sur Armançon, via des missions d'interim rĂ©guliĂšres Vos missions - Etre responsable de la propretĂ© de l'ensemble des locaux salles, couloirs, lingerie.... - Nettoyer les chambres, entretenir et dĂ©sinfecter les sols, murs, toilettes et salles de bains. - Participer au nettoyage de la vaisselle aprĂšs le repas des rĂ©sidents. Remboursement d'1 AR par jour selon le bĂąrĂšme ACCOSS Cette offre vous intĂ©resse, contactez-nous Ă  ********.** ou **.**.**.**.** Aptitudes - Vous ĂȘtes dynamique, rigoureuxpossĂ©dez une expĂ©rience sur un poste similaire....Infirmier H/FEmploi Autres services aux entreprisesAuxerre, 89, Yonne, Bourgogne-Franche-ComtĂ©Nous recherchons rĂ©guliĂšrement un infirmier H/F sur le secteur d'Auxerre pour effectuer des missions ponctuelles de remplacement en interim, en gĂ©riatrie. Vous serez en charge des soins, auprĂšs de rĂ©sidents ĂągĂ©s, dĂ©pendants, semi-dĂ©pendants ou autonomes, atteints d'infections aigĂŒes ou d'autres problĂšmes de santĂ© gĂ©rontologiques, somatiques comme cognitifs - Soins de base Pansements, simples et complexes, prĂ©lĂšvements, prise et - analyse de constantes et injections, prĂ©paration, administration, traçabilitĂ© de la prise de mĂ©dicaments et traitements spĂ©cifiques et surveillance d'Ă©ventuels effets secondaires. - Soins d'hygiĂšne et confort. Vous surveillerez quotidiennement l'Ă©tat de santĂ© des rĂ©sidents, en tenant compte des rĂšgles d'hygiĂšne et d'asepsie, et, en fonction des diffĂ©rentes pathologies et besoins individuels - RepĂ©rage des risques de dĂ©shydratation, d'Ă©touffement et infectieux. - Mesure des capacitĂ©s, physiques, sociales et relationnels, et besoins du resident. Vous aurez une mission d'information et de prĂ©vention auprĂšs du rĂ©sident, ainsi que de son entourage - Accueil, accompagnement et Ă©coute des familles. - Ergonomie, mobilisation adaptĂ©e des patients,[...]Consultant SAP Fi - Co H/FEmploi NĂ©goce - Commerce grosCourbevoie, 92, Hauts-de-Seine, Île-de-FranceAu sein de l'entitĂ© Digital Consulting du PĂŽle MatĂ©riaux Innovants de Saint-Gobain, nous recherchons une consultante FI/CO pour renforcer l'Ă©quipe existante. Vous devrez vous imprĂ©gner des processus mĂ©tier et travailler en collaboration avec les utilisateurs opĂ©rationnels afin de comprendre leurs besoins et de proposer des solutions adaptĂ©es. Vous travaillerez sur un paysage systĂšmes intĂ©grant plusieurs Business Unit du pĂŽle et plus prĂ©cisĂ©ment sur les modules FI CO de SAP. Vous aurez notamment pour mission de - Participer au dĂ©ploiement des Core solutions sur un pĂ©rimĂštre international. - Participer au support des utilisateurs en assurant la maintenance de ces applications. - Participer Ă  l'Ă©volution des fonctionnalitĂ©s financiĂšres de nos systĂšmes ERP. - Participer Ă  notre rĂ©flexion de transformation digitale des mĂ©tiers financiers RPA, IA, S/4 HANA... pour notre pĂŽle. Vous pourrez acquĂ©rir de nouvelles compĂ©tences techniques, mĂ©thodologiques et fonctionnelles Ă  travers nos parcours de formation. Ce poste offre ensuite de rĂ©elles perspectives d'Ă©volution vers la gestion de projet, l'encadrement d'Ă©quipe et la prise de responsabilitĂ©s au sein de l'entitĂ© IM Digital[...]Responsable Approvisionnement H/FEmploi NĂ©goce - Commerce grosPont-d'Ain, 1, Ain, Auvergne-RhĂŽne-AlpesFed Supply, cabinet de recrutement spĂ©cialisĂ©, recherche pour un de ses clients, un Responsable Approvisionnement H/F . Ce poste est Ă  pourvoir en immĂ©diatement. Vous rencontrerez Soufiane El majdoubi dans un premier temps lors d'un entretien, suivi d'une rencontre avec notre client. Vous encadrez un Ă  deux gestionnaires d'approvisionnement et ĂȘtes responsable des rĂ©sultats de l'ensemble de l'enseigne. Vous assurez sur l'ensemble du pĂ©rimĂštre produit les missions suivantes - Analyse des ruptures et des surstocks, optimisation de la marge plateforme. - ParamĂ©trage de l'outil d'approvisionnement gestion des Ă©vĂ©nements, ajustement des prĂ©visions, gestion des ventes exceptionnelles, gestion des paramĂštres d'appro. - Evaluation de la performance logistique des fournisseurs et mise en place de plans de progrĂšs. - FiabilitĂ© et pertinence des donnĂ©es d'approvisionnement paliers d'achat, conditionnements, franco, etc. - Analyse de la qualitĂ© des stocks avec la direction de mĂ©tier et mise en place d'actions correctives. - Coordination avec le service comptabilitĂ© pour la gestion des litiges fournisseurs. - Mise en place et suivi du reporting. Vous ĂȘtes vous-mĂȘme[...]Responsable Approvisionnement H/FEmploi NĂ©goce - Commerce grosPont-d'Ain, 1, Ain, Auvergne-RhĂŽne-AlpesNous recherchons pour l'un de nos clients, une Responsable Approvisionnement » H/F pour un CDI, basĂ© Ă  Pont d'Ain. La fourchette de rĂ©munĂ©ration varie entre 30'000€ - 37000€ selon le profil. WALTERS PEOPLE est une agence de Travail Temporaire spĂ©cialisĂ©e et privilĂ©giĂ©e des candidats et des entreprises du secteur de la Supply chain. Nos consultants sont hyper spĂ©cialisĂ©s dans leurs mĂ©tiers et rĂ©pondent avec justesse Ă  vos attentes, que ce soit en IntĂ©rim, CDD et CDI. Nous sommes prĂ©sents avec vous Ă  Paris, Saint-Quentin-en-Yvelines, Lyon et Ă  Nantes. Nous accompagnons tout type de clients, de la PME aux grands groupes. En tant que responsable des rĂ©sultats, vous assurez sur l'ensemble du pĂ©rimĂštre produit les missions suivantes - Analyser les ruptures/surstocks, et optimiser de la marge plateforme, et mise en place d'actions correctives. - Assurer le paramĂ©trage de l'outil d'approvisionnement. - Evaluer la performance logistique des fournisseurs, proposer des plans de progrĂšs, gĂ©rer les litiges. - Mettre en place et suivi une activitĂ© de reporting. Vous ĂȘtes Ă©galement vous-mĂȘme responsable d'approvisionner un portefeuille de produits et assurez Ă  ce titre les[...]Radiologue H/FEmploi Social - Services Ă  la personneColmar, 68, Haut-Rhin, Grand EstRejoignez les 30 000 collaborateurs de l'Appel MĂ©dical et bĂ©nĂ©ficiez de nombreuses missions et emplois les plus adaptĂ©s Ă  vos envies et compĂ©tences tout en profitant des nombreux services et avantages exclusifs. Les fonctions ou intitulĂ©s se dĂ©clinent au fĂ©minin comme au client, un Ă©tablissement public de rĂ©fĂ©rence en Alsace, dispose d'une capacitĂ© d'accueil de 1200 lits et places avec un plateau technique complet et performant. Une partie de l'Ă©tablissement a Ă©tĂ© rĂ©novĂ© et vous bĂ©nĂ©ficiez de tous les atouts d'un CHU expertise, matĂ©riel et temps dĂ©diĂ© Ă  la recherche. Le PĂŽle d'Imagerie Diagnostique et Interventionnelle est composĂ© de plusieurs Ă©quipements performants 2 scanners, 2 IRM 1, 5 et des salles de radiologie interventionnelles, hybride, d'angiographie, d'Ă©chographies, radiologie conventionnelles, sĂ©nologie diagnostique et interventionnelle. SystĂšme d'information radiologique XPLORE avec dictĂ©e numĂ©rique et PACS TELEMIS Renouvellement d'un IRM prĂ©vu en 2019 et implantation d'un 3e IRM autorisĂ© par l' de la radiologie gĂ©nĂ©rale diagnostique et interventionnelle, multi modalitĂ©s radiologie de projection, scanner, Ă©chographie, IRM. Vous[...]

Uneprise de rendez-vous en ligne simple et intuitive. Le module de prise de rendez-vous Imminant est accessible directement depuis votre site Internet. Vos visiteurs peuvent donc rĂ©server un rendez-vous en ligne 24h/24 et 7j/7. Le jour J, votre visiteur se prĂ©sente Ă  la borne et s’identifie grĂące Ă  son nom ou son numĂ©ro de rendez-vous.
PrĂšs de dix ans aprĂšs sa crĂ©ation, iDGarages, comparateur de devis automobiles, s’offre un relooking. L’interface rĂ©servĂ©e aux rĂ©parateurs a Ă©galement Ă©tĂ© refondue et propose de nouveaux dĂ©voile sa nouvelle identitĂ© de fait peau neuve. Depuis le 5 juillet 2022, le comparateur de devis automobiles affiche une nouvelle identitĂ© visuelle plus Ă©purĂ©e, faisant rĂ©fĂ©rence au pictogramme de localisation Google Map. Le design du portail a Ă©tĂ© Ă©galement repensĂ© pour faciliter l’expĂ©rience utilisateur et le "rassurer sur le prix et la qualitĂ© des prestations avec un engagement mutuel sur un tarif et un rendez-vous". Autrefois baptisĂ© MyiDGarages, l’espace de ses 4300 rĂ©parateurs partenaires a, en outre, Ă©tĂ© revu pour devenir L’interface offre plus de fluiditĂ© et d’intuitivitĂ©, tout permettant de garder un contrĂŽle total sur le paramĂ©trage de ses prix et de son activitĂ©. Les devis complets continuent d’ĂȘtre calculĂ©s automatiquement 24h/ 7j, en rĂ©duisant le nombre de rendez-vous non honorĂ©s et les appels inutiles. Plus de 40 prestations sont activables Ă  la carte et les avis clients sont toujours au cƓur du dispositif. iDGarages prĂ©cise que sa hotline dĂ©diĂ©e a Ă©tĂ© renforcĂ©e pour garantir un accompagnement personnalisĂ©. De nouveaux services pour les garagistes Ce n’est pas tout a Ă©tĂ© enrichi de nouveaux services pour les garagistes, Ă  l’instar d’une fonctionnalitĂ© d’envoi de SMS de fin d’intervention pour les clients, ou encore d’une application mobile pour simplifier la prise en charge des vĂ©hicules. "Notre mission est d’aider les automobilistes Ă  trouver les bons garagistes au prix juste, nous souhaitons que cette recherche soit la plus simple possible sur notre site. Cette simplicitĂ© et cette fluiditĂ© sont mises en avant sur notre nouveau site et au travers de notre nouvelle identitĂ©", dĂ©clare Jonathan Bloch, CEO d’ A lire aussi iDGarages lĂšve 8 millions d’euros pour appuyer sa croissance Créé dans le giron du groupe Autodistribution, le comparateur de devis automobiles compte aujourd’hui 7 millions de visiteurs uniques pour 30 millions de devis calculĂ©s. Le comparateur de devis a affichĂ© une croissance de 35 % en 2021.
Laffiche de Roland-Garros 2018 a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e par la Française Fabienne Verdier. Elle est la quatriĂšme femme Ă  signer l’affiche du tournoi parisien aprĂšs Jane Hammond (en 2003), Kate Shepherd (en 2007) et Nalini Malani (en 2010). Pour cette affiche 2018, Fabienne Verdier a choisi de mettre en avant le rebond d’une balle de tennis, immortalisant cet instant
Besoin d'aide ? À quoi correspond la fonctionnalitĂ© “Multi-prestation” et comment l’utiliser ? Comment crĂ©er des Prestations multiples ? Comment m'assurer que mon application Booksy est Ă  jour ? Comment fonctionne Booksy ? Quelle application me correspond ? Booksy Biz Pro mobile vs tablette Dois-je confirmer les rĂ©servations effectuĂ©es par les clients ? Comment puis-je dĂ©finir un temps libre entre deux rendez-vous ? Je souhaite programmer un jour de fermeture ou des vacances. Comment puis-je l’indiquer dans mon agenda ? Les clients reçoivent-ils des rappels de Booksy pour les rendez-vous Ă  venir ? Les clients peuvent-ils annuler ou reprogrammer un rendez-vous quand ils le veulent ? Comment se dĂ©roule le passage Ă  la caisse ? Comment configurer mes journĂ©es de caisse ? En quoi consiste les paiements mobiles ? Comment configurer mes paiements mobiles ? Pouvez-vous m’en dire plus Ă  propos du traitement des paiements ? Que faire si mon paiement est annulĂ© ? Comment puis-je savoir quand les paiements seront versĂ©s sur mon compte en banque ? Pourquoi mes donnĂ©es doivent-elles ĂȘtre vĂ©rifiĂ©es ? De quoi ai-je besoin pour obtenir la vĂ©rification de mon compte ? Quel type de relevĂ© bancaire est acceptĂ© pour la vĂ©rification KYC ? Que faire si je rencontre des problĂšmes lors de la vĂ©rification de mon compte bancaire ? Comment modifier les informations relatives Ă  mon compte bancaire ? Comment puis-je contacter mes clients ? Comment ajouter et/ou inviter mes clients Ă  utiliser Booksy ? Qu’est-ce qu’un client bloquĂ© ? Comment ajouter des produits ? Comment vendre en ligne mes produits avec Booksy ? Comment utiliser les messages marketing ? Comment configurer et utiliser les promotions ? Comment ajouter et inviter des clients ? Comment crĂ©er une publication sur les rĂ©seaux sociaux ? Comment ajuster les prix pour certains jours ? Activer la rĂ©servation en ligne Comment ajouter un bouton Prendre rendez-vous sur Facebook ? Comment crĂ©er/vendre des cartes cadeaux ? Comment crĂ©er/vendre des cures ? Comment crĂ©er/vendre les cartes d’abonnement ? Quelle est la diffĂ©rence entre les prĂ©-paiements et les frais d’annulation ? En quoi consiste la facturation automatique des frais d’annulation ? Comment configurer ma protection contre les rendez-vous non honorĂ©s ? Comment mes frais d’annulation interagissent-ils avec ma politique d’annulation dans mes paramĂštres Booksy ? Qu’est-ce qu’un client de confiance ? Comment procĂ©der au remboursement d’un prĂ©-paiement ou de frais d’annulation ? Puis-je choisir de renoncer aux frais d’annulation si je le souhaite ? Comment exporter des rapports depuis Booksy ? Est-il possible de voir toutes mes transactions grĂące aux statistiques et aux rapports de Booksy ? Comment copier mes horaires dans d’autres semaines ? Comment modifier les horaires pour un seul collaborateur ? Comment indiquer la fermeture de mon entreprise pour un jour spĂ©cifique ? Comment ajuster mes heures d’ouverture pour un jour spĂ©cifique ? Comment ajouter un collaborateur ? Comment ajuster les heures de travail de mes collaborateurs ? Comment ajouter un Ă©quipement ? Mes collaborateurs peuvent-ils gĂ©rer leurs propres agendas sur Booksy ? Comment gĂ©rer les accĂšs ? Puis-je attribuer une prestation ou une catĂ©gorie particuliĂšre Ă  un collaborateur ? Comment puis-je accĂ©der au lien de mon profil Booksy afin de le partager avec mes clients ? Comment vendre en ligne mes produits avec Booksy ? Comment configurer une entreprise avec deux adresses ? Comment modifier les informations de mon Ă©tablissement ? Comment dĂ©finir mes heures d’ouverture habituelles ? Comment indiquer la fermeture de mon Ă©tablissement pour un jour spĂ©cifique ? Comment ajuster mes heures d’ouverture pour un jour spĂ©cifique ? Puis-je choisir plus d’une catĂ©gorie professionnelle ? DĂ©finir vos paramĂštres de rĂ©servation Comment configurer les prestations ? Comment regrouper des prestations en catĂ©gories ? Comment crĂ©er des prestations avec des tarifs et des durĂ©es variables ? Mon salon propose des prestations avec des options, comment les mettre en avant ? Une option peut-elle faire varier le prix de la prestation globale ? Est-ce que ces options sont disponibles en-dehors de la prestation ? Comment supprimer mon compte ? Comment contacter le service support ? Your search for “Flying Bisons” didn’t return any results... Vous avez encore des questions ? Contactez-nous Quoi de neuf ? GĂ©nĂ©ral Agenda et rendez-vous Caisse et paiements Clients Inventaire Marketing RĂ©servation en ligne Cartes cadeaux et cures Protection contre les rendez-vous non honorĂ©s Rapports Horaires Gestion du personnel et Ă©quipements Profil Configuration de votre Ă©tablissement Aide Quoi de neuf ? À quoi correspond la fonctionnalitĂ© “Multi-prestation” et comment l’utiliser ? 1. La fonctionnalitĂ© “Multi-prestation” vous permet de regrouper plusieurs prestations existantes en un seul RDV. En plus de rĂ©duire votre temps de gestion, la fonctionnalitĂ© “Multi-prestation” vous permet de vous dĂ©marquer de la concurrence et d’offrir une expĂ©rience client personnalisĂ©e. Organisez vos RDV Ă  prestations multiples directement depuis votre Agenda ; vos clients pourront alors effectuer leurs rĂ©servations via l’application mobile Booksy Client ou sur Prestations multiples peuvent ĂȘtre proposĂ©es sous deux options - En SĂ©rie Prestation multi-Ă©tapes prestations qui s'enchaĂźnent successivement. Des temps de pause entre chaque Ă©tape peuvent ĂȘtre En SimultanĂ© Prestation duo prestations effectuĂ©es en mĂȘme temps, les crĂ©neaux horaires de plusieurs employĂ©s peuvent ĂȘtre bloquĂ© en mĂȘme temps. Comment crĂ©er des Prestations multiples ? Pour paramĂ©trer la fonctionnalitĂ© “multi-prestation”, au minimum deux prestations existantes doivent ĂȘtre paramĂ©trĂ©es au prĂ©alable. 1. Cliquez sur la page Configuration Profil > Configuration2. Dans Configuration des prestations, choisissez Multi-prestation 3. Cliquez ensuite sur l’icĂŽne + »Note pour crĂ©er une prestation multi-Ă©tapes, deux prestations au minimum doivent ĂȘtre prĂ©alablement paramĂ©trĂ©es. SĂ©lectionnez ensuite votre option de prestation multiple a. En SĂ©rie les prestations sont effectuĂ©es successivement, libre Ă  vous de dĂ©finir le temps de pause entre les diffĂ©rents En SimultanĂ© les prestations sont effectuĂ©es en mĂȘme temps, ce qui implique la prĂ©sence de plusieurs membres de votre Associer les prestations Ă  une multi-prestation5. DĂ©finir la tarification a. Tarification de baseb. Tarification personnalisĂ©e Comment m'assurer que mon application Booksy est Ă  jour ? Chaque semaine, nous mettons Ă  jour votre application pour ajouter des fonctionnalitĂ©s, corriger des anomalies et amĂ©liorer de maniĂšre gĂ©nĂ©rale les performances du logiciel. Si votre application Booksy Biz ne fonctionne pas comme vous le souhaitez, elle a probablement besoin d'une mise Ă  jour. Recherchez Booksy Biz » dans l'App Store d'Apple ou Google Play pour vĂ©rifier que l'application soit bien Ă  jour. GĂ©nĂ©ral Comment fonctionne Booksy ? Booksy est principalement un agenda en ligne, mais notre application offre bien plus que la prise de rendez-vous. Sa plateforme vous aide Ă  gĂ©rer votre activitĂ©, selon vos vous vous inscrivez sur Booksy, vous profitez de Booksy Biz Pro une solution complĂšte disponible sur mobile, tablette et desktop. Bien que seules les fonctionnalitĂ©s de base soient accessibles sur mobile, si vous vous connectez sur votre tablette ou sur votre ordinateur, vous accĂ©derez Ă  plus de fonctionnalitĂ©s avancĂ©es, telles que les rapports, les inventaires, les horaires, les forfaits et les cartes d’ pour les clients une application pratique et intuitive oĂč les nouveaux clients peuvent dĂ©couvrir vos prestations, et oĂč l’ensemble de vos clients, nouveaux ou existants, peuvent prendre rendez-vous directement depuis leur tĂ©lĂ©phone 24h/24, 7j/7. Quelle application me correspond ? Booksy est la solution tout-en-un pour gĂ©rer vos rĂ©servations, promouvoir votre activitĂ©, simplifier votre quotidien, et dĂ©velopper votre communautĂ©. C’est aussi l’application sur laquelle les clients peuvent trouver leurs prestataires prĂ©fĂ©rĂ©s, et dĂ©couvrir de nouveaux professionnels grĂące Ă  notre Booksy pour les professionnelsBooksy BizCouleur gris foncĂ©Aperçu Booksy Biz est notre solution mobile conçue pour gĂ©rer les fonctionnalitĂ©s de base de votre Ă©tablissement – en dĂ©placement. Si vous avez besoin de fonctionnalitĂ©s plus avancĂ©es – optez pour Booksy Biz Pro et connectez-vous sur votre tablette ou sur votre ordinateur pour gĂ©rer les horaires, suivre les inventaires, gĂ©nĂ©rer des rapports, proposer des cartes d’abonnement et accĂ©der Ă  toutes nos fonctionnalitĂ©s concernant vos prestations et qui cela s’adresse-t-il aux gĂ©rants d’établissements indĂ©pendants, mais cette version convient Ă©galement aux Ă©quipes Ă  la recherche d’une solution mobile simple d’ l’utiliser sur mobileComment y accĂ©der l’application Booksy Biz est tĂ©lĂ©chargeable depuis Google Play ou Apple Biz ProCouleur gris clairAperçu Booksy Biz Pro est une solution complĂšte conçue pour vous aider Ă  gĂ©rer les besoins grandissants de votre Ă©tablissement depuis votre ordinateur. Booksy Biz Pro fonctionne en parallĂšle de l’application mobile Booksy Biz afin que vous et votre personnel puissiez rester connectĂ©s – mĂȘme lorsque vous ĂȘtes en qui cela s’adresse-t-il aux Ă©quipes Ă  l’activitĂ© chargĂ©e et aux indĂ©pendants ambitieux Ă  la recherche d’une solution complĂšte pour gĂ©rer leur l’utiliser sur tablette, sur ordinateurComment y accĂ©der l’application Booksy Biz Pro est tĂ©lĂ©chargeable depuis Google Play ou Apple Store, ou accessible via le site Web Booksy pour les clients BooksyCouleur bleu turquoiseAperçu Booksy facilite la prise de rendez-vous pour vos clients Ă  tout moment, oĂč qu’ils soient. Vos clients peuvent rechercher des prestations de beautĂ©, de bien-ĂȘtre et de santĂ© pour trouver des prestataires locaux, comparer les tarifs, et consulter les crĂ©neaux qui cela s’adresse-t-il aux clientsOĂč l’utiliser sur mobile, sur le site Web y accĂ©der l’application Booksy est tĂ©lĂ©chargeable depuis Google Play ou Apple Store. Booksy Biz Pro mobile vs tablette Notre service disponible sur tablette ou sur le Web est conçu pour vous aider Ă  gĂ©rer vos activitĂ©s directement depuis votre salon. Nous avons conscience que lorsque vous ĂȘtes en rendez-vous, il peut se passer beaucoup de choses alors que vous ĂȘtes en dĂ©placement. Booksy Biz Pro s’intĂšgre Ă  l’application mobile Booksy Biz pour vous permettre, Ă  vous et Ă  votre personnel, d’accĂ©der aux fonctions de base de l’entreprise tout en vous dĂ©plaçant d’un rendez-vous Ă  un nombreuses fonctionnalitĂ©s sur mobile fonctionnent de la mĂȘme maniĂšre que celles disponibles sur tablette ou sur le Web, mais dans certains cas, elles peuvent ĂȘtre diffĂ©rentes. Retrouvez la comparaison complĂšte ci-dessous Agenda et rendez-vous* Caisse les caisses doivent ĂȘtre gĂ©rĂ©es sur tablette ou sur le Web. La caisse ne prend pas en charge les paiements en plusieurs fois sur mobile. Gestion des clients* Outils de marketing* Cartes cadeaux et cures les cartes cadeaux peuvent ĂȘtre encaissĂ©es sur mobile. La caisse ne prend pas en charge la vente de nouvelles cartes cadeaux, de forfaits ou de cartes d’abonnement sur mobile. Profil professionnel* Niveau de maĂźtrise* Horaires fonctionnalitĂ© indisponible sur mobile Collaborateurs et Ă©quipements le personnel peut ĂȘtre ajoutĂ© sur mobile, mais les commissions et les horaires sont uniquement disponibles sur tablette sur le Web. Inventaire fonctionnalitĂ© indisponible sur mobile Statistiques et rapports sur mobile, les gĂ©rants ont un aperçu de la performance de l’entreprise. Les collaborateurs peuvent avoir accĂšs Ă  leurs propres statistiques de performance. Aide en ligne** mĂȘme fonctionnalitĂ© sur mobile et sur tablette ou sur le Web Agenda et rendez-vous Dois-je confirmer les rĂ©servations effectuĂ©es par les clients ? Non. Si vous n’avez changĂ© aucun de vos paramĂštres de rĂ©servation, les rĂ©servations rĂ©alisĂ©es par les clients sont automatiquement confirmĂ©es et gĂ©rĂ©es par Booksy. Si vous souhaitez modifier ce paramĂštre et confirmer vous-mĂȘmes les rĂ©servations, allez dans la section Configuration de votre Ă©tablissement > Options avancĂ©es > ParamĂštres de rĂ©servation. Comment puis-je dĂ©finir un temps libre entre deux rendez-vous ? Il existe deux maniĂšres de vous assurer que vous disposerez du temps dont vous avez besoin entre deux vous aimez faire une pause aprĂšs certaines prestations, utilisez la fonctionnalitĂ© Temps supplĂ©mentaire. Allez dans Configuration > Configuration des prestations, choisissez une prestation, puis sĂ©lectionnez ParamĂštres > Temps supplĂ©mentaire. Pour chaque prestation, vous pouvez dĂ©finir le temps libre dont vous avez besoin avant et aprĂšs le rendez-vous. Cette option vous permet de prendre une pause, prĂ©parer votre prochain rendez-vous ou nettoyer votre Ă©tablissement. Si vous avez besoin de bloquer du temps pour une rĂ©union, un rendez-vous, ou encore votre pause dĂ©jeuner, vous pouvez rĂ©server ce temps dans votre agenda tout comme vous le feriez pour programmer un rendez-vous. Lorsque vous indiquez un crĂ©neau comme Ă©tant indisponible, vos clients ne peuvent pas prendre rendez-vous Ă  ce moment-lĂ . Je souhaite programmer un jour de fermeture ou des vacances. Comment puis-je l’indiquer dans mon agenda ? Booksy vous permet de dĂ©finir des jours de congĂ© complets pour vous ou vos Biz Lite Si vous avez besoin de bloquer du temps pour une rĂ©union, un rendez-vous, un dĂ©jeuner ou toute autre raison, vous pouvez rĂ©server ce crĂ©neau dans votre agenda comme vous le feriez pour un rendez-vous. Le fait d’indiquer un crĂ©neau comme Ă©tant indisponible empĂȘche les clients de rĂ©server pendant cette pĂ©riode. Pour ajouter des vacances ou un congĂ© dans votre agenda, allez sur Profil > Configuration > Gestion des horaires > Agenda des ouvertures et horaires. Dans cette section, vous pouvez modifier les heures d’ouverture pour un jour en particulier, indiquer certains jours comme fermĂ©s, ou ajouter des congĂ©s pour les Biz Pro Allez dans Collaborateurs et Ă©quipements > Horaires. Si vous avez besoin d’ajouter un congĂ©, allez dans le coin infĂ©rieur droit et cliquez sur Ajouter un congĂ© ». Dans cette section, vous pourrez choisir un seul ou plusieurs collaborateurs et modifier les jours et les heures oĂč ils seront absents. Vous pouvez Ă©galement sĂ©lectionner le motif et indiquer si le congĂ© a Ă©tĂ© approuvĂ© ou non. Si ce n'est pas le cas, il sera dĂ©duit de leurs heures de travail. Les clients reçoivent-ils des rappels de Booksy pour les rendez-vous Ă  venir ? Booksy envoie des rappels par SMS 24 heures avant le rendez-vous. Ces messages sont envoyĂ©s sans frais aux prestataires Booksy. Les clients peuvent-ils annuler ou reprogrammer un rendez-vous quand ils le veulent ? Oui, vos clients peuvent annuler ou reprogrammer leur rendez-vous en sĂ©lectionnant leur rĂ©servation programmĂ©e dans l’application. Dans ce cas, vous recevrez une notification de la modification du rendez-vous et le crĂ©neau horaire sera Ă  nouveau disponible dans votre agenda. Pour modifier votre politique d'annulation, rendez-vous sur ParamĂštres > Protection contre les absences > DĂ©finir la politique de protection contre les absences. Caisse et paiements Comment se dĂ©roule le passage Ă  la caisse ? Booksy permet un passage Ă  la caisse simple et rapide pour vos clients depuis votre mobile, votre tablette et vos applications Web. Vous pouvez le faire directement depuis n’importe quel rendez-vous existant, ou en accĂ©dant Ă  la section Caisse du menu principal. Comment configurer mes journĂ©es de caisse ? Cette rĂ©ponse ne s’applique qu’à Booksy Biz Pro. Si vous souhaitez obtenir de l’aide avec d’autres produits Booksy, veuillez consulter la FAQ ci-dessus ou contactez-nous Ă  la section Caisse, cliquez sur JournĂ©es de caisse et sĂ©lectionnez Ouvrir. Ajoutez le montant de votre fonds de caisse d’ouverture. Chaque collaborateur peut ouvrir sa propre caisse Ă  l’aide de l’application. N’oubliez pas de fermer votre caisse Ă  la fin de la journĂ©e. Pour fermer votre caisse, allez simplement dans Caisse > JournĂ©es de caisse > Cliquez sur la journĂ©e > ClĂŽturer. En quoi consiste les paiements mobiles ? Les paiements mobiles vous permettent de traiter les paiements directement depuis l’application Booksy. Ils permettent Ă©galement de simplifier le processus de paiement pour vos clients. Une fois les paiements mobiles activĂ©s, vos clients ont la possibilitĂ© d’entrer les coordonnĂ©es de leur carte de crĂ©dit directement dans l’application pour pouvoir payer rapidement, en toute simplicitĂ©. Les paiements mobiles vous permettent d’accepter toutes les cartes de crĂ©dit habituelles Visa, MasterCard, American Express, Diners, Discover ainsi que les portefeuilles Ă©lectroniques Apple Pay, Google Pay.Comment cela fonctionne-t-il ?GrĂące Ă  la plateforme Adyen, Booksy retire les fonds de la carte du client et les transmet au professionnel. Cela peut se faire n'importe oĂč, n'importe quand et aucune carte physique n'est nĂ©cessaire. Comment configurer mes paiements mobiles ? Si vous utilisez un ordinateur ou une tablette, allez dans Configuration > Paiements client. Si vous utilisez un smartphone, allez dans Profil > Configuration > Paiements vous choisissez d’activer les paiements mobiles pour votre compte, vous devez fournir des informations telles que le nom de votre entreprise ou vos coordonnĂ©es personnelles en tant que personne physique, votre adresse, votre numĂ©ro d’identification fiscale et votre numĂ©ro de compte en banque. Toutes ces donnĂ©es sont sĂ©curisĂ©es et utilisĂ©es par notre prestataire de services de paiement uniquement Ă  des fins de vĂ©rification pour pouvoir traiter vos transactions en toute lĂ©galitĂ©. Ces informations ne sont pas fois la vĂ©rification terminĂ©e, vous pouvez traiter les paiements lors du passage en caisse et configurer votre protection contre les rendez-vous non honorĂ©s. Pouvez-vous m’en dire plus Ă  propos du traitement des paiements ? Une fois que votre compte a Ă©tĂ© vĂ©rifiĂ©, vous pouvez recevoir des paiements. Ils seront gĂ©nĂ©ralement versĂ©s sur votre compte 2 Ă  3 jours ouvrables aprĂšs la transaction. Pour les paiements mobiles, notre solution de paiements rapides vous garantit que tous les paiements vous sont envoyĂ©s le jour qui suit le montant du paiement que vous recevrez Ă©quivaut au total de toutes les transactions, moins les frais de traitement. Lorsque les fonds sont transfĂ©rĂ©s avec succĂšs sur votre compte, nous vous envoyons un email. Vous pouvez aussi vĂ©rifier l'Ă©tat de vos paiements en consultant vos lots de paiements et le rĂ©sumĂ© des transactions des paiements mobiles dans la section Statistiques et rapports. Que faire si mon paiement est annulĂ© ? Si vous rencontrez une incohĂ©rence dans vos paiements, contactez-nous Ă  Comment puis-je savoir quand les paiements seront versĂ©s sur mon compte en banque ? Nous effectuons des paiements sur les comptes bancaires chaque jour ouvrable, et il faut compter 2 Ă  4 jours ouvrables pour que l'argent soit versĂ© sur votre compte. Lorsqu'un paiement est envoyĂ©, vous recevez un rapport de paiement dĂ©taillĂ© par email. Pourquoi mes donnĂ©es doivent-elles ĂȘtre vĂ©rifiĂ©es ? La vĂ©rification que nous vous demandons d'effectuer est requise par nos partenaires de traitement et vise Ă  garantir que votre argent soit versĂ© en toute sĂ©curitĂ© sur votre compte bancaire. Les paiements mobiles et le lecteur de cartes Booksy nĂ©cessitent tous deux une vĂ©rification, qui doit ĂȘtre effectuĂ©e sĂ©parĂ©ment. De quoi ai-je besoin pour obtenir la vĂ©rification de mon compte ? Pour vĂ©rifier votre compte, voici ce dont vous avez besoin - Un compte bancaire et un IBAN- Un numĂ©ro d’identification fiscale valable- Une copie de votre photo d’identitĂ©- Une copie d’un relevĂ© bancaire rĂ©centUne fois que vous avez tous les documents requis Ă  portĂ©e de main, le processus de vĂ©rification est trĂšs simple. Vous commencerez Ă  percevoir des paiements en un ou deux jours. Quel type de relevĂ© bancaire est acceptĂ© pour la vĂ©rification KYC ? Lorsque vous chargez votre relevĂ© bancaire, voici ce que vous devez vĂ©rifier - Le logo et le nom de la banque ainsi que votre numĂ©ro de compte sont Le format de fichier suit l’une des options autorisĂ©es JPEG, JPG, PNG, La taille du fichier ne dĂ©passe pas 4 Le fichier est d'au moins 1 Ko s'il s'agit d'un PDF et d'au moins 100 Ko pour les autres Le relevĂ© a Ă©tĂ© dĂ©livrĂ© au cours des 12 derniers mois. - Le relevĂ© a Ă©tĂ© dĂ©livrĂ© par votre banque et non créé par Ne modifiez pas le Ne chargez pas une photo de votre carte de crĂ©dit. Que faire si je rencontre des problĂšmes lors de la vĂ©rification de mon compte bancaire ? Allez dans les Configuration > Paiements client > VĂ©rification du compte et vĂ©rifiez les informations suivantes. Type de compte personnelAssurez-vous que vos coordonnĂ©es personnelles nom, date de naissance, numĂ©ro de sĂ©curitĂ© sociale correspondent exactement Ă  votre piĂšce d’ que vous avez entrĂ© correctement les informations relatives Ă  votre compte bancaire numĂ©ro de compte, IBAN, titulaire du compte, type de compte exactement comme elles apparaissent sur votre relevĂ© bancaire. Les coordonnĂ©es personnelles fournies pour la vĂ©rification de votre identitĂ© doivent correspondre Ă  celles du titulaire du compte une photo de votre permis de conduire, votre piĂšce d’identitĂ© nationale ou votre une photo de votre relevĂ© bancaire qui montre clairement votre nom en tant que titulaire du compte, votre numĂ©ro de compte et le logo de votre banque. Type de compte professionnelAssurez-vous que vos coordonnĂ©es professionnelles nom lĂ©gal de l’entreprise, NIF ou EIN, adresse correspondent Ă  l’immatriculation de votre entreprise de l’ Ă  ce que vos coordonnĂ©es personnelles en tant que propriĂ©taire d’entreprise nom, date de naissance, numĂ©ro de sĂ©curitĂ© sociale correspondent exactement Ă  votre piĂšce d’ que les informations relatives Ă  votre compte bancaire numĂ©ro de compte, IBAN, titulaire du compte, type de compte correspondent exactement Ă  celles qui apparaissent sur votre relevĂ© une photo de votre permis de conduire, votre piĂšce d’identitĂ© nationale ou votre une photo de votre relevĂ© bancaire qui montre clairement le nom de votre entreprise, votre numĂ©ro de compte et le logo de votre vous rencontrez des problĂšmes lors de la vĂ©rification de votre compte, essayez de charger les documents d’immatriculation de votre entreprise. Pour ce faire, allez dans les Configuration > Paiements client > VĂ©rification du compte > CoordonnĂ©es de l’ vous souhaitez obtenir plus d’aide, contactez notre service client via le bouton Aide dans votre application Booksy. Comment modifier les informations relatives Ă  mon compte bancaire ? Vous pouvez modifier les informations relatives Ă  votre compte bancaire sous la section Configuration > Paiements client. Clients Comment puis-je contacter mes clients ? Booksy vous permet de contacter vos clients directement depuis l’application. Vous pouvez accĂ©der aux coordonnĂ©es de vos clients Ă  tout moment en consultant la fiche client. Vous pouvez Ă©galement envoyer un message Ă  un client concernant un rendez-vous spĂ©cifique directement Ă  partir de la rĂ©servation dans votre agenda. Comment ajouter et/ou inviter mes clients Ă  utiliser Booksy ? Comment ajouter un client ?Booksy est lĂ  pour vous aider Ă  gĂ©rer votre base de donnĂ©es clients en toute simplicitĂ©. Pour ajouter un client, sĂ©lectionnez l’icĂŽne Clients du menu principal, puis sĂ©lectionnez l’icĂŽne + » en bas de la page. Pour ajouter un client, vous devez entrer un numĂ©ro de tĂ©lĂ©phone ou bien un email. Cliquez ensuite sur inviter un client Ă  prendre rendez-vous en ligne ?Notre application grand public est l’option la plus simple pour que vos clients puissent prendre rendez-vous, 24h/24, 7j/7. Tout ce que vous avez Ă  faire, c’est les inviter. Pour ce faire, allez dans la section Clients du menu principal. SĂ©lectionnez le client que vous souhaitez inviter et Ă  partir de la fiche client, sĂ©lectionnez Inviter. Si vous souhaitez inviter plusieurs clients, allez dans Marketing > Importer et inviter des importer plusieurs clients ?Dans notre suite marketing ou Ă  partir du menu Clients, vous avez la possibilitĂ© d'importer et d'inviter des clients. Cette option est utile si vous souhaitez importer l'ensemble de votre base de donnĂ©es clients plutĂŽt que d'ajouter des clients un par un. Selon l'appareil que vous utilisez, vous pouvez 1. SĂ©lectionner et importer des contacts de votre smartphone ou votre tablette – en supposant que tous vos clients soient enregistrĂ©s dans la liste de contact de votre tĂ©lĂ©phone ou de votre tablette. Vous aurez alors la possibilitĂ© de sĂ©lectionner des contacts et de les inviter Ă  prendre rendez-vous sur TĂ©lĂ©charger un fichier Excel contenant toutes les coordonnĂ©es de vos clients. Afin de vous assurer que tout soit importĂ© correctement, commencez par tĂ©lĂ©charger notre modĂšle. Cette option n’est disponible que sur le Web Booksy Biz Pro. Qu’est-ce qu’un client bloquĂ© ? Un client bloquĂ© est un client qui ne pourra plus prendre rendez-vous avec vous Ă  l’aide de l’application Booksy. Pour prendre rendez-vous, il devra vous appeler. Vous pouvez bloquer la rĂ©servation en ligne pour un client en vous rendant sur sa fiche client et en utilisant le bouton bascule en haut Ă  droite pour activer ou dĂ©sactiver la rĂ©servation en ligne. Inventaire Comment ajouter des produits ? Cette rĂ©ponse ne s’applique qu’à Booksy Biz Pro. Si vous souhaitez obtenir de l’aide avec d’autres produits Booksy, veuillez consulter la FAQ ci-dessus ou contactez-nous Ă  simplifie la gestion de vos inventaires afin que vous ne soyez jamais Ă  court de vos produits proposĂ©s en vente additionnelle ou que vous utilisez lors de vos prestations. Pour ajouter des produits, cliquez sur l’icĂŽne Inventaire situĂ© dans le menu de gauche, puis sĂ©lectionnez l’icĂŽne noir + » dans le coin en bas Ă  droite de la section Tous les produits. Vous devez remplir au minimum les champs obligatoires tels que le nom du produit, le prix, l’UGS, etc. En outre, vous avez la possibilitĂ© d’attribuer un nom de catalogue, une marque, et d’inclure des photos, une description, et les informations du fournisseur. Comment vendre en ligne mes produits avec Booksy ? Cette rĂ©ponse ne s’applique qu’à Booksy Biz Pro sur tablette ou ordinateur. Si vous souhaitez obtenir de l’aide avec d’autres produits Booksy, veuillez consulter la FAQ ci-dessus ou contactez-nous Ă  vous souhaitez vendre en ligne des produits, vous pouvez associer votre boutique en ligne Ă  votre page Booksy. Pour cela, allez dans les Configuration > DĂ©tails de l’entreprise > Fiche de l’ les produits ajoutĂ©s Ă  votre inventaire Booksy sont disponibles uniquement Ă  la vente sur place et ne seront pas visibles par les clients Ă  partir de votre page Booksy. Les ajouter sur Booksy vous permet de contrĂŽler votre stock et d’ajouter les produits au panier de votre client lors de son passage en caisse. Marketing Comment utiliser les messages marketing ? Attirez l'attention de vos clients et mettez en avant vos prestations grĂące aux messages marketing. Configurez des messages automatisĂ©s qui travaillent pour vous en coulisse, ou crĂ©ez vos propres messages en fonction de vos besoins. DĂ©couvrez toutes les options en vous rendant sur Marketing > Messages messages sont activĂ©s par dĂ©faut. Si vous souhaitez modifier l'un d'entre eux, il vous suffit de cliquer sur le titre et vous pouvez le rĂ©gler sur actif/inactif. Vous pouvez Ă©galement modifier l'image et le texte de l'en-tĂȘte. Comment configurer et utiliser les promotions ? Les promotions sont un excellent moyen d'encourager les rĂ©servations et de stimuler votre activitĂ©. Avec Booksy, vous avez accĂšs Ă  des promotions telles que les remises de derniĂšre minute, les happy hours et les ventes flash pour inciter les clients Ă  prendre leur prochain rendez-vous avec vous. Pour accĂ©der aux promotions, allez dans Marketing > Promotions et sĂ©lectionnez la ou les offres que vous souhaitez activer. Dans cette section, dĂ©finissez vos paramĂštres, appliquez-les Ă  toutes les prestations ou Ă  certains d'entre elles, puis sĂ©lectionnez DĂ©marrer la promotion. Comment ajouter et inviter des clients ? Allez dans la section Marketing > Importer et inviter des clients. Cette fonctionnalitĂ© vous permet d’importer et inviter des clients directement depuis la liste de contacts de votre tĂ©lĂ©phone ou Ă  partir d’une feuille de calcul prĂ©alablement pouvez aussi inviter des clients individuellement en vous rendant sur la fiche d’un client spĂ©cifique et en sĂ©lectionnant l’icĂŽne Inviter. Comment crĂ©er une publication sur les rĂ©seaux sociaux ? Plus besoin de passer des heures sur votre stratĂ©gie de rĂ©seaux sociaux. GrĂące Ă  nos contenus de rĂ©seaux sociaux, promouvoir votre activitĂ© est plus simple que jamais. Pour commencer, allez dans Marketing > Contenus sur vos rĂ©seaux sociaux. Choisissez une catĂ©gorie de publication et un modĂšle ou crĂ©ez votre propre publication. Dans cette section, vous pouvez personnaliser la publication pour qu’elle corresponde Ă  vos envies et lorsque vous avez terminĂ©, cliquez simplement sur TĂ©lĂ©charger. Ou, si vous utilisez une application sur mobile ou sur tablette, vous pouvez la partager directement sur votre rĂ©seau social. Comment ajuster les prix pour certains jours ? Cette rĂ©ponse ne s’applique qu’à Booksy Biz Pro. Si vous souhaitez obtenir de l’aide avec d’autres produits Booksy, veuillez consulter la FAQ ci-dessus ou contactez-nous Ă  souhaitez peut-ĂȘtre proposer une offre spĂ©ciale pour les vacances, ou augmenter vos prix pour les jours de forte demande. Si vous avez besoin d’ajuster vos prix Ă  certaines pĂ©riodes, voici comment vous pouvez vous y prendre sur Booksy Baisse temporaire des tarifs lancer une vente flash1. Allez sur Marketing > Promotions > Vente flash2. Choisissez le montant de la remise3. SĂ©lectionnez les prestations auxquelles cette remise s’applique4. DĂ©finissez une pĂ©riode de vente pour la remise de la vente flash5. DĂ©finissez une ou des dates pour bĂ©nĂ©ficier de la remise. S’il s’agit d’une vente d’un jour, les dates de dĂ©but et de fin doivent ĂȘtre les Cliquez sur DĂ©marrer la promotionAugmentation temporaire des tarifs utilisation des Ă©quipementsAllez dans Configuration > Configuration des prestations et ajoutez une nouvelle prestation. Donnez-lui un nom, ajoutez des informations Ă  propos de l’augmentation de vos tarifs dans la description et n’oubliez pas d’ajouter un dans Collaborateurs et Ă©quipements > Équipements et ajoutez un nouvel la prestation que vous venez d’ajouter Ă  l’ les heures de travail pour que l’équipement corresponde au jour de la semaine oĂč vos prix augmenteront p. ex. si le 24 dĂ©cembre 2020 est un jeudi, ne sĂ©lectionnez que le jeudi et enregistrez. Ajoutez un CongĂ© pour l’équipement afin de dĂ©terminer combien de temps le tarif spĂ©cial sera appliquĂ©. Par exemple, si vous voulez augmenter vos tarifs le 24 dĂ©cembre uniquement, vous ajouterez un congĂ© Ă  partir de la date actuelle jusqu’au 23 dĂ©cembre, puis Ă  partir du 25 dĂ©cembre. RĂ©servation en ligne Activer la rĂ©servation en ligne En permettant Ă  vos clients de prendre rendez-vous en ligne, vous vous simplifiez la vie ainsi que la leur. Pour activer ou dĂ©sactiver la rĂ©servation en ligne, Ă  partir de l’application Web ou sur tablette, allez dans Configuration de votre Ă©tablissement > RĂ©servation en ligne. À partir de l’application mobile, allez dans Profil > Configuration > RĂ©servation en ligne. Comment ajouter un bouton Prendre rendez-vous sur Facebook ? Offrez la possibilitĂ© Ă  vos clients de prendre rendez-vous directement sur Facebook ! Pour mettre en place la rĂ©servation par Facebook, commencez par vous connecter sur votre application Booksy Biz et allez dans vos Configuration > RĂ©servation en ligne > Facebook. AprĂšs avoir sĂ©lectionnĂ© Facebook, choisissez Se connecter Ă  by Step Guided by FacebookOnce you click Connect with Facebook you’ll be routed to Facebook to complete the necessary steps, which start with an overview of the permissions you are there, you’ll be taken to a menu summarizing all of the Facebook solutions you’ll need to have set up in order to secure your Book Now button. It’s possible that you’ll already have some of these set up, but Facebook will guide you through up or connect the appropriate Business Manager account. What is this? It's a centralized place for managing business information on Facebook. Connect to the appropriate Facebook page, or set one up to represent your business. Select or create the appropriate catalog. What is this? It's a central place to house all of the information associated with the products or services you are promoting on Facebook. For Booksy, this will be a service or create an Ad Account. What is this? It's an account for hosting all of your advertising campaigns on Facebook think Boosted posts. It doesn’t cost money to have a Book Now button, but you do have to have an active Ad the appropriate Facebook Pixel or create a new one. What is this? A Pixel accessible via Facebook Business Manager that you can use to track specific actions or results. From the Booksy standpoint, this Pixel will be added to your Booksy profile for tracking availability and the like. Confirm all settings are correct. You’re almost all steps are complete, you’ll need to give Facebook the appropriate permissions to manage your catalogs and your business extension bookings through Booksy. Please refer to Facebook documentation or support if you need further information. Cartes cadeaux et cures Comment crĂ©er/vendre des cartes cadeaux ? Cette section ne s’applique qu’à Booksy Biz Pro. Si vous souhaitez obtenir de l’aide pour d’autres produits Booksy, veuillez consulter la FAQ ci-dessus ou contactez-nous Ă  Les cartes cadeaux sont un excellent moyen d’augmenter vos revenus et d’attirer de nouveaux clients. Vous avez la possibilitĂ© de crĂ©er, gĂ©rer et encaisser des cartes cadeaux depuis tous vos appareils, mais vous ne pourrez vendre des cartes cadeaux via Booksy Biz Pro que sur une tablette ou un ordinateur. Pour crĂ©er une nouvelle carte cadeau, allez dans le menu de gauche et sĂ©lectionnez Cartes cadeaux et prestations groupĂ©es > Cartes cadeaux > GĂ©rer les cartes cadeaux puis sĂ©lectionnez l'icĂŽne + » dans le coin infĂ©rieur droit. Comment crĂ©er/vendre des cures ? Cette section ne s’applique qu’à Booksy Biz Pro. Si vous souhaitez obtenir de l’aide pour d’autres produits Booksy, veuillez consulter la FAQ ci-dessus ou contactez-nous Ă  CrĂ©ez des cures personnalisĂ©es pour encourager les rendez-vous rĂ©currents ou combiner plusieurs prestations en une seule expĂ©rience. Vous pourrez vendre et Ă©changer des cures lors du passage Ă  la caisse en utilisant Booksy Biz Pro sur une tablette ou un ordinateur. Pour crĂ©er une cure, allez dans le menu de gauche et sĂ©lectionnez Cartes cadeaux et prestations groupĂ©es > Cures > GĂ©rer les cures puis sĂ©lectionnez l'icĂŽne + » dans le coin infĂ©rieur droit. Comment crĂ©er/vendre les cartes d’abonnement ? Cette section ne s’applique qu’à Booksy Biz Pro. Si vous souhaitez obtenir de l’aide pour d’autres produits Booksy, veuillez consulter la FAQ ci-dessus ou contactez-nous Ă  Vous voulez permettre Ă  vos clients d'aller et venir Ă  leur guise ? Les abonnements sont la solution. Fixez le prix, sĂ©lectionnez les prestations que vous souhaitez inclure, puis attendez avec impatience de voir vos clients rĂ©guliĂšrement. Vous pourrez vendre et utiliser des abonnements lors du passage Ă  la caisse en utilisant Booksy Biz Pro sur une tablette ou un ordinateur. Pour crĂ©er un abonnement, allez dans le menu de gauche et sĂ©lectionnez Cartes cadeaux et prestations groupĂ©es > Cartes d'abonnement > GĂ©rer les cartes d'abonnement, puis sĂ©lectionnez l'icĂŽne + » dans le coin infĂ©rieur droit. Protection contre les rendez-vous non honorĂ©s Quelle est la diffĂ©rence entre les prĂ©-paiements et les frais d’annulation ? Les prĂ©-paiements au moment de la rĂ©servation, il est demandĂ© au client de prĂ©payer une partie ou la totalitĂ© de sa prestation. AprĂšs le rendez-vous, le prĂ©-paiement est dĂ©duit du total Ă  la caisse. Si le client ne se prĂ©sente pas au rendez-vous, vous conservez les fonds qui ont Ă©tĂ© payĂ©s Ă  l'avance. Les frais d’annulation au moment de la rĂ©servation, vos clients sont informĂ©s de votre politique de frais d'annulation et il leur est demandĂ© de renseigner une carte sur leur fiche. Une fois la carte vĂ©rifiĂ©e, la rĂ©servation est confirmĂ©e. S'ils annulent Ă  la derniĂšre minute ou s'ils ne se prĂ©sentent pas au rendez-vous, vous pouvez choisir de leur facturer les frais ou d'y renoncer. Si vous souhaitez facturer les frais automatiquement, allez dans vos Configuration > Protection contre les absences. En quoi consiste la facturation automatique des frais d’annulation ? Vous avez la possibilitĂ© de facturer automatiquement un client s’il ne se prĂ©sente pas au rendez-vous. Pour ce faire, ajoutez des frais d’annulation facturĂ©s automatiquement dans les Configuration > Protection contre les absences > Facturer des frais d'annulation automatiquement. N’oubliez pas d’indiquer directement le rendez-vous du client comme non honorĂ©. Comment configurer ma protection contre les rendez-vous non honorĂ©s ? Sur votre tablette ou votre ordinateur, allez dans les Configuration > Protection contre les absences. Vous pouvez alors activer la protection contre les rendez-vous non honorĂ©s et rĂ©gler les paramĂštres pour cette possibilitĂ©s s’offrent Ă  vous Les prĂ©paiements au moment de la rĂ©servation, le client rĂšgle une partie ou la totalitĂ© du montant de la prestation Ă  l’avance. Ce montant est dĂ©duit du total lors du passage en frais d’annulation au moment de la rĂ©servation, il sera demandĂ© au client de fournir les informations relatives Ă  sa carte de crĂ©dit. S’il annule Ă  la derniĂšre minute ou ne se prĂ©sente pas au rendez-vous, vous pourrez dĂ©biter sa carte pour les frais d’ avez le choix entre utiliser une seule de ces possibilitĂ©s ou bien les deux. Vous pouvez aussi choisir d’appliquer la protection contre les rendez-vous non honorĂ©s uniquement pour des prestations spĂ©cifiques. Remarque vous devrez activer les paiements mobiles pour pouvoir utiliser la protection contre les rendez-vous non honorĂ©s. Comment mes frais d’annulation interagissent-ils avec ma politique d’annulation dans mes paramĂštres Booksy ? Les frais d’annulation sont exĂ©cutĂ©s en fonction de vos paramĂštres. Vous pouvez crĂ©er votre propre politique d’annulation pour expliquer Ă  vos clients le fonctionnement exact de votre politique et ce Ă  quoi ils peuvent s’attendre. Veillez Ă  dĂ©crire clairement le processus des frais d’annulation et de la protection contre les rendez-vous non honorĂ©s. Qu’est-ce qu’un client de confiance ? Lorsque vous indiquez un client comme client de confiance, celui-ci ne sera pas tenu de fournir les informations relatives Ă  sa carte de crĂ©dit comme le requiĂšrent les prĂ©-paiements ou les frais d’annulation. Pour dĂ©signer un client de confiance, allez dans la section Clients > SĂ©lectionnez le client > Modifier > Client de confiance. Comment procĂ©der au remboursement d’un prĂ©-paiement ou de frais d’annulation ? Peu importe la raison pour laquelle vous devez rembourser un client, Booksy souhaite vous faciliter la tĂąche au rembourser un client depuis une tablette ou un ordinateur, allez dans Caisse > Transactions > recherchez la transaction que vous souhaitez rembourser et cliquez pour accĂ©der aux partir d'un tĂ©lĂ©phone mobile, allez dans Profil > faites dĂ©filer jusqu'Ă  la section Paiements et sĂ©lectionnez Plus ou Afficher le rĂ©sumĂ© de la transaction. Si un remboursement peut ĂȘtre effectuĂ©, un bouton de remboursement apparaĂźt sur le reçu. Cliquez sur ce bouton et confirmez le remboursement. Une fois confirmĂ©, le remboursement sera il n’est possible de procĂ©der Ă  un remboursement que dans les 30 jours suivant la transaction initiale. Booksy ne peut pas effectuer de remboursements pour les paiements versĂ©s par l’intermĂ©diaire de Square. Puis-je choisir de renoncer aux frais d’annulation si je le souhaite ? Oui, nous vous encourageons toutefois Ă  prendre le temps de la rĂ©flexion. Ces outils sont conçus pour vous aider Ă  sĂ©curiser votre chiffre d’affaires car nous savons que votre rĂ©ussite en dĂ©coule. Si vous souhaitez tout de mĂȘme renoncer Ă  des frais d’annulation, l’application vous permet de le faire dans l’une des trois situations suivantes Il s’agit d’un client de confianceLe client est venu au salon plus que le nombre de fois dĂ©fini et s’est vu attribuer automatiquement le statut de client de confiance pour modifier le nombre de rendez-vous Ă  effectuer, allez dans les Configuration > Protection contre les absences > Clients de confianceSi vous rĂ©glez les paramĂštres d’annulation sur manuel au lieu d’automatique. Une fois encore, rĂ©flĂ©chissez-y Ă  deux fois car cela s’appliquera Ă  TOUS les rendez-vous, et pas seulement au rendez-vous de ce client en particulier. Rapports Comment exporter des rapports depuis Booksy ? Booksy Biz ProPour commencer, allez dans la section Rapports. Vous pouvez y choisir la plage de dates que vous souhaitez visualiser. Une fois que votre plage de dates est appliquĂ©e, utilisez la navigation en haut pour choisir la catĂ©gorie de rapport graphiques offrent un excellent aperçu, vous permettant d'identifier les tendances sans perdre du temps Ă  faisant dĂ©filer la page vers le bas, vous trouverez des informations plus dĂ©taillĂ©es. Celles-ci varient en fonction de la catĂ©gorie de la barre latĂ©rale droite, cliquez sur le titre du rapport pour l'afficher. Une fois celui-ci affichĂ©, vous pouvez cliquer sur le bouton TĂ©lĂ©charger » dans le coin supĂ©rieur droit si vous souhaitez enregistrer une copie pour vos dossiers. Cela vous permet Ă©galement d'analyser les donnĂ©es de maniĂšre plus Biz LiteVous pouvez exporter un ensemble de rapports dĂ©taillĂ©s en accĂ©dant Ă  votre profil et en faisant dĂ©filer l'Ă©cran jusqu'au rĂ©sumĂ© de vos performances. Cliquez sur le bouton Rapport dĂ©taillĂ© et sĂ©lectionnez la pĂ©riode pour laquelle vous souhaitez gĂ©nĂ©rer un rapport. Un fichier Excel contenant un ensemble de rapports pour cette pĂ©riode sera envoyĂ© Ă  l'adresse email associĂ©e Ă  votre compte Booksy. Est-il possible de voir toutes mes transactions grĂące aux statistiques et aux rapports de Booksy ? Oui, si vous utilisez Booksy Biz Pro. Allez simplement dans Rapports > TrĂ©sorerie pour consulter les rapports dĂ©taillĂ©s des paiements. Si vous souhaitez avoir accĂšs Ă  toutes les transactions, allez dans la section Caisse > utilisateurs de Booksy Biz Lite recevront les informations de paiement par email. En tant que propriĂ©taire/gĂ©rant, vous pouvez Ă©galement consulter les transactions en allant dans la section Profil > Afficher le rĂ©sumĂ© des transactions. Horaires Comment copier mes horaires dans d’autres semaines ? Cette section ne s’applique qu’à Booksy Biz Pro. Si vous souhaitez obtenir de l’aide pour d’autres produits Booksy, veuillez consulter la FAQ ci-dessus ou contactez-nous Ă  Allez dans Collaborateurs et Ă©quipements > Horaires > pouvez copier un jour ou une semaine entiĂšre, puis appliquer les mĂȘmes horaires Ă  des dates ultĂ©rieures. Vous avez la possibilitĂ© de copier les horaires de tous les collaborateurs ou seulement de certains d'entre eux. Comment modifier les horaires pour un seul collaborateur ? Si vous utilisez Booksy Biz Lite ou Pro sur votre appareil mobile, allez dans Profil > Configuration > Gestion des horaires > Heures de travail des collaborateurs. SĂ©lectionnez un collaborateur et modifiez ses heures de travail habituelles si vous utilisez Booksy Biz Pro sur votre tablette ou votre ordinateur, allez dans Collaborateurs et Ă©quipements > Horaires. Sur la gauche est affichĂ©e une liste de tous vos collaborateurs ainsi que le nombre de leurs heures de travail programmĂ©es. Pour modifier un horaire en particulier, allez dans la cellule appropriĂ©e et cliquez sur l’icĂŽne en forme de crayon pour Modifier l’horaire. Vous pouvez alors effectuer les modifications et cliquer sur enregistrer. Vous pouvez Ă©galement passer Ă  la vue hebdomadaire. Continuez Ă  modifier les horaires jusqu’à ce que votre horaire pour la semaine soit terminĂ©. Comment indiquer la fermeture de mon entreprise pour un jour spĂ©cifique ? Booksy Biz Pro sur tablette ou sur le WebDepuis votre tablette ou votre ordinateur, allez d’abord dans Collaborateurs et Ă©quipements > jusqu'Ă  la date oĂč vous devez fermer en utilisant le bouton > pour faire dĂ©filer les jours les uns aprĂšs les autres, ou en cliquant directement sur la date actuelle pour obtenir une vue complĂšte du mois. Vous verrez une icĂŽne en forme de crayon en haut Ă  gauche, Ă  cĂŽtĂ© des heures d'ouverture, et une autre en haut Ă  gauche, Ă  cĂŽtĂ© des heures d'ouverture programmĂ©es pour cette date. Cliquez sur l'icĂŽne en forme crayon Ă  cĂŽtĂ© des heures programmĂ©es. Cliquez sur le bouton de dĂ©sactivation. L'icĂŽne s'affiche en vert lorsqu'elle est activĂ©e et en blanc lorsqu'elle est dĂ©sactivĂ©e. Cliquez sur Enregistrer Si des collaborateurs sont programmĂ©s ce jour-lĂ , il vous sera demandĂ© si vous souhaitez Ă©galement appliquer ces modifications Ă  leur emploi du temps. Si vous avez des rendez-vous avec des clients prĂ©vus ce jour-lĂ , il vous sera demandĂ© si vous souhaitez les annuler ou les Biz Lite et Pro sur mobileDans l’application mobile, allez dans Profil > Configuration > Gestion des horaires > Agenda des ouvertures et vous fermez votre Ă©tablissement pour une date spĂ©cifique, cliquez sur l’icĂŽne Vacances dans le coin en bas Ă  droite et sĂ©lectionnez Ajouter un ou des jours complets de congĂ©. Ensuite, dĂ©finissez la plage de dates pour laquelle vous souhaitez fermer temporairement votre entreprise. N’oubliez pas d’ certains de vos collaborateurs devaient travailler Ă  ces dates, il vous sera demandĂ© si vous souhaitez Ă©galement appliquer les modifications Ă  leur emploi du vous avez des rendez-vous prĂ©vus avec des clients pour ce jour-lĂ , il vous sera demandĂ© si vous souhaitez annuler ou reprogrammer le rendez-vous. Comment ajuster mes heures d’ouverture pour un jour spĂ©cifique ? Booksy Biz Pro sur tablette ou sur le WebPour commencer, aller dans Collaborateurs et Ă©quipements > jusqu'Ă  la date oĂč vous devez fermer en utilisant le bouton > pour faire dĂ©filer les jours les uns aprĂšs les autres, ou en cliquant directement sur la date actuelle pour obtenir une vue complĂšte du mois. Vous verrez une icĂŽne en forme de crayon en haut Ă  gauche, Ă  cĂŽtĂ© des heures d'ouverture, et une autre en haut Ă  gauche, Ă  cĂŽtĂ© des heures d'ouverture programmĂ©es pour cette date. Cliquez sur l'icĂŽne en forme crayon Ă  cĂŽtĂ© des heures programmĂ©es. Ajustez les heures si nĂ©cessaire pour reflĂ©ter le changement temporaire de votre horaire d’ouverture Cliquez sur Enregistrer Si des collaborateurs sont programmĂ©s ce jour-lĂ , il vous sera demandĂ© si vous souhaitez Ă©galement appliquer ces modifications Ă  leur emploi du temps. Si vous avez des rendez-vous avec des clients prĂ©vus ce jour-lĂ , il vous sera demandĂ© si vous souhaitez les annuler ou les Biz Lite et Pro sur mobilePour changer temporairement vos heures d’ouverture pour un/des jours en particulier, allez dans Profil > Configuration > Gestion des horaires > Agenda des la date pour laquelle vous souhaitez ajuster les heures. Les heures prĂ©alablement programmĂ©es pour cette date devraient apparaĂźtre dans la banniĂšre sous l’agenda. Cliquez sur la banniĂšre. Ajustez vos heures d'ouverture et de fermeture, ajoutez une pause, ou bien prĂ©cisez si vous ĂȘtes ouvert ou fermĂ© ce jour-lĂ  dans le coin supĂ©rieur droit. Lorsque vous avez terminĂ©, cliquez sur d'autres collaborateurs doivent travailler ce jour-lĂ  et que vos nouvelles heures concernent leur emploi du temps, vous recevrez une notification vous demandant si vous souhaitez appliquer les heures modifiĂ©es Ă  leur emploi du temps vous avez des rendez-vous prĂ©vus avec des clients pour ce jour-lĂ  qui sont concernĂ©s par la modification des heures, il vous sera demandĂ© si vous souhaitez les annuler ou les reprogrammer. Gestion du personnel et Ă©quipements Comment ajouter un collaborateur ? Constituez votre Ă©quipe. CrĂ©ez un profil pour chacun de vos collaborateurs afin de leur attribuer des prestations, dĂ©finir leurs heures de travail, ajouter des accĂšs, et les inviter Ă  utiliser l’application Biz LitePour ajouter un collaborateur, allez dans Profil > Configuration > DĂ©tails de l'entreprise > Collaborateurs, puis sĂ©lectionnez l'icĂŽne + » dans le coin infĂ©rieur droit. Vous pouvez alors ajouter des dĂ©tails tels que son nom, ses coordonnĂ©es et sa fonction. Vous pouvez Ă©galement lui attribuer un niveau d’accĂšs, sĂ©lectionner les prestations qu’il effectue, dĂ©finir ses heures de travail et, bien sĂ»r, l'inviter Ă  crĂ©er un compte Biz ProSi vous utilisez Booksy Biz Pro Ă  partir d'une tablette ou d'un ordinateur, pour ajouter un collaborateur, sĂ©lectionnez Collaborateurs et Ă©quipements dans le menu latĂ©ral gauche et sĂ©lectionnez l'icĂŽne + » en bas de la page. Vous pouvez alors ajouter des dĂ©tails tels que son nom, sa photo, ses coordonnĂ©es et sa fonction. Vous pouvez Ă©galement lui attribuer un niveau d’accĂšs, sĂ©lectionner les prestations qu’il effectue et, bien sĂ»r, l'inviter Ă  crĂ©er un compte Booksy. Une fois que vous avez ajoutĂ© les dĂ©tails de votre collaborateur, passez Ă  l'onglet Horaires pour dĂ©finir ses heures de travail, ajouter des congĂ©s et ajuster les heures d'ouverture. Comment ajuster les heures de travail de mes collaborateurs ? Une fois que vous avez ajoutĂ© vos collaborateurs dans Booksy, l'Ă©tape suivante consiste Ă  dĂ©finir leurs horaires de travail, afin que les clients puissent prendre rendez-vous avec eux en ligne. Par dĂ©faut, les horaires du personnel sont dĂ©finis pour correspondre Ă  vos heures d'ouverture. Vous pouvez les mettre Ă  jour pour reflĂ©ter la disponibilitĂ© de votre Ă©quipe. Vous pouvez Ă©galement ajouter des pauses pour chaque journĂ©e de travail et des Biz LitePour modifier les heures de travail de votre personnel, allez dans Profil > Configuration > DĂ©tails de l’entreprise > Collaborateurs, sĂ©lectionnez le collaborateur que vous souhaitez modifier, puis sous Plus, sĂ©lectionnez Heures de Biz ProSi vous utilisez Booksy Biz Pro depuis une tablette ou un ordinateur, dans le menu latĂ©ral gauche, allez dans Collaborateurs et Ă©quipements > Horaires. Vous pourrez alors modifier les heures de travail, ajouter des congĂ©s, ainsi qu’ajuster les heures d’ouverture. Comment ajouter un Ă©quipement ? Cette section ne s’applique qu’à Booksy Biz Pro. Si vous souhaitez obtenir de l’aide pour d’autres produits Booksy, veuillez consulter la FAQ ci-dessus ou contactez-nous Ă  Attribuez des Ă©quipements limitĂ©s aux prestations, comme vous le feriez pour un collaborateur. La section Équipements est un excellent outil pour rĂ©server des salles et assurer que les Ă©quipements dont vous avez besoin sont disponibles, quand vous en avez besoin. Si vous utilisez Booksy Biz pro depuis une tablette ou un ordinateur, pour ajouter un Ă©quipement, sĂ©lectionnez Gestion du personnel et Ă©quipements dans le menu latĂ©ral gauche. Allez dans Équipements en haut de la page, puis sĂ©lectionnez l’icĂŽne + » en bas de la page. Mes collaborateurs peuvent-ils gĂ©rer leurs propres agendas sur Booksy ? Oui. En tant que propriĂ©taire d’un compte Booksy, vous pouvez inviter votre personnel Ă  tĂ©lĂ©charger l’application sur leur appareil mobile. GrĂące Ă  l’application, ils peuvent gĂ©rer les rendez-vous, accĂ©der aux coordonnĂ©es des clients, afficher leur agenda, gĂ©rer la caisse, et plus encore. Tout cela du bout des doigts. Comment gĂ©rer les accĂšs ? Booksy a 5 types de niveaux d’accĂšs. Notez que seul un propriĂ©taire ou un gĂ©rant peut inviter un collaborateur sur le compte et dĂ©finir les niveaux d’accĂšs correspondants. Les niveaux d'accĂšs du personnel peuvent ĂȘtre modifiĂ©s dans les paramĂštres des Biz LitePour modifier les accĂšs d’un collaborateur, allez dans Profil > Configuration > DĂ©tails de l’entreprise > Collaborateurs. SĂ©lectionnez le collaborateur, puis choisissez quel niveau vous souhaitez lui attribuer sous Niveau de permission. Booksy Biz ProSi vous utilisez Booksy Biz Pro depuis une tablette ou un ordinateur, dans le menu latĂ©ral gauche, allez dans Collaborateurs et Ă©quipements, sĂ©lectionnez le collaborateur, puis cliquez sur l’icĂŽne en forme de crayon. Ouvrez le menu Niveau de permission et sĂ©lectionnez le niveau que vous souhaitez attribuer. Puis-je attribuer une prestation ou une catĂ©gorie particuliĂšre Ă  un collaborateur ? Oui, vous pouvez attribuer Ă  chaque employĂ© des prestations particuliĂšres ou toutes les prestations proposĂ©es par votre entreprise. Pour effectuer des modifications, allez dans les paramĂštres des collaborateurs. Profil Comment puis-je accĂ©der au lien de mon profil Booksy afin de le partager avec mes clients ? Pour partager votre profil Booksy, allez dans Profil > Partager Ă  cĂŽtĂ© de l’icĂŽne en forme d’Ɠil dans le coin en haut Ă  droite de votre photo de couverture. Vous serez alors invitĂ© Ă  partager le lien de votre profil. Vous pouvez Ă©galement trouver votre profil sous Marketing > Boost > Partagez votre lien. Comment vendre en ligne mes produits avec Booksy ? Cette rĂ©ponse ne s’applique qu’à Booksy Biz Pro sur tablette ou ordinateur. Si vous souhaitez obtenir de l’aide avec d’autres produits Booksy, veuillez consulter la FAQ ci-dessus ou contactez-nous Ă  vous souhaitez vendre en ligne des produits, vous pouvez associer votre boutique en ligne Ă  votre page Booksy. Pour cela, allez dans les Configuration > DĂ©tails de l’entreprise > Fiche de l’ les produits ajoutĂ©s Ă  votre inventaire Booksy sont disponibles uniquement Ă  la vente sur place et ne seront pas visibles par les clients Ă  partir de votre page Booksy. Les ajouter sur Booksy vous permet de contrĂŽler votre stock et d’ajouter les produits au panier de votre client lors de son passage en caisse. Comment configurer une entreprise avec deux adresses ? Il existe deux moyens de configurer cela. Vous pouvez crĂ©er deux comptes distincts pour chacun de vos Ă©tablissements et permettre Ă  vos clients de sĂ©lectionner une adresse spĂ©cifique. Vous avez aussi la possibilitĂ© de fusionner ces deux comptes, ce qui vous permet de passer d’un Ă©tablissement Ă  l’autre Ă  partir d’un seul identifiant. Si vous souhaitez fusionner plusieurs comptes, contactez-nous Ă  Configuration de votre Ă©tablissement Comment modifier les informations de mon Ă©tablissement ? Lorsque vous crĂ©ez un compte dans Booksy, vous devez ajouter les informations essentielles de votre Ă©tablissement, telles que le nom et les coordonnĂ©es. Vous pouvez Ă©galement les mettre Ă  jour ultĂ©rieurement dans Configuration > DĂ©tails de l'entreprise, et d'autres informations, tels que vos informations fiscales et les liens vers vos pages de rĂ©seaux sociaux. Comment dĂ©finir mes heures d’ouverture habituelles ? Lors de la crĂ©ation de votre compte Booksy, il vous sera demandĂ© de dĂ©finir vos heures d'ouverture. Vous pouvez les modifier Ă  tout moment dans l'application. Pour modifier vos horaires sur l'application mobile, allez dans Configuration > Gestion des horaires > Heures d'ouverture. Sur tablette ou le Web, allez dans Configuration de votre Ă©tablissement > DĂ©tails de l’entreprise > Heures d’ouverture. Comment indiquer la fermeture de mon Ă©tablissement pour un jour spĂ©cifique ? Booksy Biz Pro sur tablette ou sur le WebDepuis votre tablette ou votre ordinateur, allez d’abord dans Collaborateurs et Ă©quipements > jusqu'Ă  la date oĂč vous devez fermer en utilisant le bouton > pour faire dĂ©filer les jours les uns aprĂšs les autres, ou en cliquant directement sur la date actuelle pour obtenir une vue complĂšte du verrez une icĂŽne en forme de crayon en haut Ă  gauche, Ă  cĂŽtĂ© des heures d'ouverture, et une autre en haut Ă  gauche, Ă  cĂŽtĂ© des heures d'ouverture programmĂ©es pour cette date. Cliquez sur l'icĂŽne en forme crayon Ă  cĂŽtĂ© des heures sur le bouton de dĂ©sactivation. L'icĂŽne s'affiche en vert lorsqu'elle est activĂ©e et en blanc lorsqu'elle est sur EnregistrerSi des collaborateurs sont programmĂ©s ce jour-lĂ , il vous sera demandĂ© si vous souhaitez Ă©galement appliquer ces modifications Ă  leur emploi du vous avez des rendez-vous avec des clients prĂ©vus ce jour-lĂ , il vous sera demandĂ© si vous souhaitez les annuler ou les Biz Pro sur mobileDans l’application mobile, allez dans Profil > Configuration > Gestion des horaires > Agenda des ouvertures et vous fermez votre Ă©tablissement pour une date spĂ©cifique, cliquez sur l’icĂŽne Vacances dans le coin en bas Ă  droite et sĂ©lectionnez Ajouter un ou des jours complets de congĂ©. Ensuite, dĂ©finissez la plage de dates pour laquelle vous souhaitez fermer temporairement votre Ă©tablissement. N’oubliez pas d’ certains de vos collaborateurs devaient travailler Ă  ces dates, il vous sera demandĂ© si vous souhaitez Ă©galement appliquer les modifications Ă  leur emploi du vous avez des rendez-vous prĂ©vus avec des clients ce jour-lĂ , il vous sera demandĂ© si vous souhaitez annuler ou reprogrammer le rendez-vous. Comment ajuster mes heures d’ouverture pour un jour spĂ©cifique ? Booksy Biz Pro sur tablette ou sur le WebPour commencer, aller dans Collaborateurs et Ă©quipements > jusqu'Ă  la date oĂč vous devez fermer en utilisant le bouton > pour faire dĂ©filer les jours les uns aprĂšs les autres, ou en cliquant directement sur la date actuelle pour obtenir une vue complĂšte du verrez une icĂŽne en forme de crayon en haut Ă  gauche, Ă  cĂŽtĂ© des heures d'ouverture, et une autre en haut Ă  gauche, Ă  cĂŽtĂ© des heures d'ouverture programmĂ©es pour cette date. Cliquez sur l'icĂŽne en forme crayon Ă  cĂŽtĂ© des heures les heures si nĂ©cessaire pour reflĂ©ter le changement temporaire de votre horaire d’ouvertureCliquez sur EnregistrerSi des collaborateurs sont programmĂ©s ce jour-lĂ , il vous sera demandĂ© si vous souhaitez Ă©galement appliquer ces modifications Ă  leur emploi du vous avez des rendez-vous avec des clients prĂ©vus ce jour-lĂ , il vous sera demandĂ© si vous souhaitez les annuler ou les Biz Pro sur mobilePour changer temporairement vos heures d’ouverture pour un/des jours en particulier, allez dans Profil > Configuration > Gestion des horaires > Agenda des la date pour laquelle vous souhaitez ajuster les heures. Les heures prĂ©alablement programmĂ©es pour cette date devraient apparaĂźtre dans la banniĂšre sous l’agenda. Cliquez sur la banniĂšre. Ajustez vos heures d'ouverture et de fermeture, ajoutez une pause, ou bien prĂ©cisez si vous ĂȘtes ouvert ou fermĂ© ce jour-lĂ  dans le coin supĂ©rieur droit. Lorsque vous avez terminĂ©, cliquez sur d'autres collaborateurs doivent travailler ce jour-lĂ  et que vos nouvelles heures concernent leur emploi du temps, vous recevrez une notification vous demandant si vous souhaitez appliquer les heures modifiĂ©es Ă  leur emploi du temps vous avez des rendez-vous prĂ©vus avec des clients ce jour-lĂ  qui sont concernĂ©s par le changement d’horaire, il vous sera demandĂ© si vous souhaitez les annuler ou les reprogrammer. Puis-je choisir plus d’une catĂ©gorie professionnelle ? Vous ne pouvez sĂ©lectionner qu'une seule catĂ©gorie principale, mais vous pouvez sĂ©lectionner plusieurs sous-catĂ©gories. Si vous ĂȘtes sur une tablette ou sur le Web, allez dans Configuration de votre Ă©tablissement > DĂ©tails de l'entreprise > CatĂ©gorie professionnelle pour sĂ©lectionner toutes les catĂ©gories qui s'appliquent Ă  votre entreprise. Si vous ĂȘtes sur un appareil mobile, accĂ©dez Ă  Profil > Configuration > DĂ©tails de l'entreprise > CatĂ©gorie professionnelle. DĂ©finir vos paramĂštres de rĂ©servation Booksy vous permet de dĂ©finir vos propres rĂšgles de rĂ©servation, afin que vous puissiez contrĂŽler votre planning et Ă©liminer tout rendez-vous surprise. L'Ă©tablissement de rĂšgles vous permettra d'optimiser vos paramĂštres de rĂ©servation afin de vous assurer que votre agenda se remplit pendant que vous ĂȘtes occupĂ© Ă  travailler. Pour modifier vos paramĂštres de rĂ©servation, allez dans Configuration > Options avancĂ©es > ParamĂštres de rĂ©servation. Comment configurer les prestations ? Avant de commencer Ă  gĂ©rer votre agenda et vos rĂ©servations dans Booksy, vous devez vous assurer que votre liste de prestations est configurĂ©e. Pour vous aider Ă  dĂ©marrer, les prestations ont Ă©tĂ© créées automatiquement en fonction de la catĂ©gorie professionnelle que vous avez sĂ©lectionnĂ©e lors de la crĂ©ation de votre compte. Vous pouvez les modifier, en ajouter de nouvelles et les classer par catĂ©gorie dĂšs que vous ĂȘtes prĂȘt, mais nous vous recommandons de le faire dĂšs que configurer ou modifier vos prestations, allez dans Configuration de votre Ă©tablissement > Configuration des prestations > Prestations. Vous pouvez alors ajouter une nouvelle catĂ©gorie, organiser et modifier les prestations existantes. Pour ajouter une nouvelle prestation, sĂ©lectionnez l'icĂŽne + » dans le coin infĂ©rieur droit. Comment regrouper des prestations en catĂ©gories ? Booksy Biz LiteVous pouvez organiser et catĂ©goriser vos prestations en allant dans Configuration > Configuration des prestations > Prestations. SĂ©lectionnez Ajouter une catĂ©gorie dans le coin supĂ©rieur droit pour commencer Ă  Ă©tablir votre liste. Une fois cette Ă©tape terminĂ©e, cliquez pour modifier n’importe quelle prestation et vous pourrez l'attribuer Ă  une catĂ©gorie Ă  l'aide du menu dĂ©roulant des Biz ProVous pouvez organiser et catĂ©goriser vos prestations en allant dans Configuration de votre Ă©tablissement > Configuration des prestations > Prestations. Cliquez sur l’icĂŽne + » et sĂ©lectionnez Ajouter une catĂ©gorie pour commencer Ă  Ă©tablir votre liste. Une fois cette Ă©tape terminĂ©e, cliquez pour modifier n’importe quelle prestation et vous pourrez l'attribuer Ă  une catĂ©gorie Ă  l'aide du menu dĂ©roulant des catĂ©gories. Comment crĂ©er des prestations avec des tarifs et des durĂ©es variables ? Prestation dont le tarif varie si vous souhaitez dĂ©finir une tarification variable pour une prestation spĂ©cifique, dĂ©finissez le tarif de la prestation comme Varie. Si vous souhaitez proposer diffĂ©rentes versions d'une mĂȘme prestation, chacune avec un tarif diffĂ©rent, vous pouvez le faire sous Options de dont la durĂ©e varie si vous souhaitez dĂ©finir plusieurs durĂ©es pour un mĂȘme type de prestation, vous pouvez le faire sous Options de prestations. Par exemple, vous pouvez proposer une prestation de coupe pour cheveux longs 1 heure et cheveux courts 30 minutes. Mon salon propose des prestations avec des options, comment les mettre en avant ? Vous utilisez Booksy Biz/Booksy Biz Pro ? Bonne nouvelle ! Vous pouvez lister toutes vos options. Pour ce faire Allez dans les Configuration sur smartphone Profil → ConfigurationChoisissez Configuration des prestationsAppuyez sur Options pour crĂ©er et gĂ©rer les services que vous souhaitez avez dĂ©sormais la capacitĂ© d’étendre vos prestations en y ajoutant des services optionnels. Vos clients seront ainsi en mesure de personnaliser leurs rendez-vous Ă  volontĂ©. Une fois vos options ajoutĂ©es, autorisez-les via le bouton dĂ©diĂ© puis assignez-les Ă  vos prestations. Vos clients pourront alors procĂ©der Ă  la personnalisation de leurs rĂ©servations. Une option peut-elle faire varier le prix de la prestation globale ? Les options ont Ă©tĂ© conçues pour ĂȘtre variables. Elles peuvent ĂȘtre gratuites ou modifier la durĂ©e d’une prestation et vice-et-versa. En fonction, lorsqu’une prestation avec options sera rĂ©servĂ©e, le prix, mais aussi la durĂ©e du rendez-vous seront automatiquement mis Ă  jour. Est-ce que ces options sont disponibles en-dehors de la prestation ? Non. Les options sont exclusivement rĂ©servĂ©es aux prestations proposant ces services additionnels. Aide Booksy est reconnu comme le leader mondial de la rĂ©servation en ligne pour les professionnels de la beautĂ©. Ils parlent de nous
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Bonjour,J'avais rendez vous avec un technicien pour installer la fibre chez moi le 10/08/2022 entre 14H30 et Ă©tĂ© bombardĂ© de messages pour prĂ©parer cette visite, ĂȘtre sur que je sois prĂ©sent, etc ...Bien Ă©videmment, j'ai tout prĂ©parĂ©, et attendu tout l'aprĂšs midi pour n'est venuPersonne ne m'a nous sommes le 11/08/2022 et j'ai toujours mon RDV de planifiĂ© pour le 10/08 Visiblement je ne suis pas le premier Ă  qui cela de vous a t'il trouvĂ© comment les contacter ou comment planifier un nouveau RDV ?Bonne fin d'Ă©tĂ© Ă  RĂ©duisezles appels et les rendez-vous non honorĂ©s de 50%. Rappel des RDV par SMS et mail ; Rendez-vous en ligne connectĂ© Ă  votre planning; Moteur de propositions intelligent pour combler les trous dans l’agenda; Management du personnel et du matĂ©riel. AccĂ©dez et agissez sur les agendas de vos employĂ©s en temps rĂ©el. Vous pouvez Ă©galement gĂ©rer l’utilisation du Il existe certaines rĂšgles Ă  respecter pour rĂ©diger un courrier professionnel, et il en va de mĂȘme pour convenir d'un rendez-vous par e-mail. Aujourd'hui, l'emailing est devenu l'outil le plus utilisĂ© dans les Ă©changes avec les clients, prospects ou fournisseurs, mais il ne faut pas se lancer au hasard pour se donner toutes les chances d'ĂȘtre lu. Conseils pour convenir d'un rendez-vous par mail facilement Afin de convenir d'un rendez-vous par mail facilement, l'expĂ©diteur doit tout d'abord personnaliser son Ă©crit. Pour ce faire, il utilise une adresse d'envoi personnalisĂ©e et cohĂ©rente. Il appose Ă©galement sa signature, prĂ©cisant ainsi en fin de message son prĂ©nom, son nom, le nom de l'entreprise qu'il reprĂ©sente et ses coordonnĂ©es. Aujourd'hui, de maniĂšre gĂ©nĂ©rale, de nombreux outils existent pour ajouter une signature personnalisĂ©e Ă  la fin de chaque e-mail. L'expĂ©diteur doit Ă©galement envoyer le mail Ă  un seul destinataire Ă  la fois, en ajoutant Ă©ventuellement un ou deux autres destinataires en copie. Il doit personnaliser son Ă©crit en prĂ©cisant le nom du client dans le corps du message. En effet, des e-mails en masse crĂ©ent en gĂ©nĂ©ral moins d'impact chez les prospects et les clients, mais sont aussi mal perçus par les routeurs qui peuvent les classer automatiquement en spams. L'objet du mail doit ĂȘtre percutant, explicite et efficace. En effet, cet Ă©lĂ©ment est la premiĂšre chose lue par le destinataire, mais Ă©galement le seul texte qui apparaĂźt Ă  l'ouverture de la messagerie. Il doit permettre de comprendre tout de suite de quoi il sera question. L'objet consistera en une phrase nominale, sans article, et sans mot de liaison, de 5 Ă  6 mots. Le corps du texte fait gĂ©nĂ©ralement 15 lignes maximum avec idĂ©alement 5 phrases. Il faut savoir que la premiĂšre phrase est lue plus attentivement que les suivantes. L'expĂ©diteur doit donc suivre le principe de la pyramide inversĂ©e dans sa rĂ©daction aller droit au but, mettre l'essentiel dĂšs le dĂ©but pour ensuite aborder les dĂ©tails. Le contenu doit aussi ĂȘtre clair et synthĂ©tique. L'expĂ©diteur doit Ă©crire clairement l'action qu'il attend du destinataire. Dans notre cas, l'objectif est de prendre un rendez-vous et non de vendre un produit. Pour inciter Ă  l'action, l'expĂ©diteur peut clĂŽturer l'e-mail avec un bouton de call-to-action afin, par exemple, de proposer des horaires de rendez-vous Ă  valider via un logiciel de prise de rendez-vous en ligne. Une attention particuliĂšre doit ĂȘtre apportĂ©e Ă  l'orthographe et Ă  la syntaxe des e-mails. Vous ne devez pas souligner de mots, mise en forme rĂ©servĂ©e aux liens hypertext. Il faut Ă©galement Ă©viter de rĂ©diger en majuscules. Les points d'exclamation, d'interrogation et de suspension doivent ĂȘtre utilisĂ©s selon les rĂšgles de la ponctuation classique, Ă©vitez toutes figures de style ou Ă©moticĂŽnes pour plus de professionnalisme. Enfin, l'expĂ©diteur doit vĂ©rifier l'adresse des destinataires et bien relire ses e-mails avant de les envoyer. 1 - Exemple d'e-mail Ă  froid Bonjour Monsieur Martin, Je me suis rendu sur votre site web que j'ai trouvĂ© trĂšs agrĂ©able et dont les contenus m'ont paru trĂšs pertinents et cependant remarquĂ© quelques points Ă  amĂ©liorer en matiĂšre de SEO pour rendre votre site plus visible auprĂšs de votre cible, notamment sur Google. Nous proposons des prestations de rĂ©fĂ©rencement naturel qui vous permettraient d'augmenter le trafic vers votre site cela vous intĂ©resse, je peux vous proposer un rendez-vous pour vous expliquer nos diffĂ©rentes offres plus en dĂ©tail. Cordialement, Pierre DUPONT[Nom de l'entreprise][CoordonnĂ©es] Dans le cadre de son activitĂ© de rĂ©fĂ©renceur SEO, notre expĂ©diteur cherche des entreprises sur internet. Il a trouvĂ© le site web de Monsieur Martin. Il lui Ă©crit donc et commence son e-mail par un compliment pour ensuite soulever la problĂ©matique. Pour finir, il apporte la solution et propose une rencontre. Enfin, il a pensĂ© Ă  personnaliser son e-mail. 2 - Exemple d'e-mail Ă  la suite d'un entretien tĂ©lĂ©phonique Bonjour Monsieur Martin, Je vous recontacte comme convenu suite Ă  notre entretien tĂ©lĂ©phonique. Vous trouverez en piĂšce jointe les documents qui prĂ©sentent notre entreprise et les offres qui pourraient rĂ©pondre Ă  votre problĂ©matique. Je vous laisse prendre connaissance de ces documents et vous propose de me recontacter afin d'Ă©changer plus longuement sur l'offre la plus adaptĂ©e Ă  vos besoins. Voici un lien vers mon agenda [lien vers agenda], n'hĂ©sitez pas Ă  fixer un rendez-vous selon vos disponibilitĂ©s. Vous pouvez Ă©galement me joindre par tĂ©lĂ©phone au [numĂ©ro de tĂ©lĂ©phone]. Nous pourrons alors discuter plus en dĂ©tail de votre projet et je rĂ©pondrai Ă  toutes vos questions. Je vous souhaite une excellente journĂ©e. Bien cordialement, Pierre Dupont L'expĂ©diteur de l'e-mail a d'abord eu ce prospect au tĂ©lĂ©phone, mais il Ă©tait encore hĂ©sitant pour prendre un rendez-vous. Il lui a donc adressĂ© une documentation de prĂ©sentation des produits de son entreprise. Il a personnalisĂ© l'e-mail et a proposĂ© de prendre un rendez-vous physique ou tĂ©lĂ©phonique. 3 - Exemple d'e-mail Ă  la suite d'un Ă©vĂ©nement Bonjour Monsieur Martin, Je tiens Ă  vous fĂ©liciter pour votre intervention Ă  la confĂ©rence [Nom de la confĂ©rence] du [Date] durant laquelle vous avez prĂ©sentĂ© votre projet innovant [Nom du projet]. Seriez-vous disponible pour un rendez-vous afin de vous exposer les moyens que nous pourrions mettre en place pour vous aider Ă  concrĂ©tiser votre projet ? Bien Ă  vous, Pierre Dupont Le destinataire du mail a prĂ©sentĂ© son projet Ă  une confĂ©rence et l'expĂ©diteur serait intĂ©ressĂ© pour une collaboration. Il pose le contexte et complimente son interlocuteur, puis, il propose un rendez-vous pour mettre en avant ses services. 4 - Exemple d'e-mail Ă  un contact LinkedIn Bonjour Monsieur Martin, J'ai consultĂ© votre profil LinkedIn et visitĂ© votre site web. Les contenus sont trĂšs intĂ©ressants et le design trĂšs cependant remarquĂ© que l'accessibilitĂ© et la navigation sur smartphone Ă©taient limitĂ©es. Pourrions-nous nous rencontrer afin de vous prĂ©senter les diffĂ©rentes solutions possibles pour optimiser votre site internet et le rendre responsive ? Bien Ă  vous, Pierre Dupont Dans ce cas, l'expĂ©diteur souhaite prendre contact avec un membre de la communautĂ© LinkedIn. En consultant son site web, il a vu que ses services pourraient ĂȘtre utiles. Il place donc le contexte, commence par les points positifs, puis pose la problĂ©matique. Enfin, il lui apporte la solution en proposant un rendez-vous. 5 - Exemple d'e-mail entre services d'une mĂȘme entreprise Bonjour Paul, Nos Ă©quipes vont avoir Ă  travailler sur le projet [nom du projet] et un Ă©change en amont pourrait ĂȘtre intĂ©ressant pour envisager son dĂ©roulement. Si cela te convient, je te propose un rendez-vous pour faire un premier point d'Ă©tape le mardi 15 fĂ©vrier 2022 Ă  11h ou Ă  une autre date selon tes disponibilitĂ©s. Nous pourrons ainsi prĂ©senter rapidement les activitĂ©s et l'organisation de nos deux services, afin d'optimiser le dĂ©veloppement de notre projet commun. Bonne journĂ©e, Jacques[Fonction et nom du service] Cet e-mail prĂ©sente le contexte de la situation, la demande de rendez-vous et prĂ©cise l'objectif. Pour aller plus loin, tĂ©lĂ©chargez ces modĂšles d'e-mails de prise de rendez-vous commerciaux gratuits pour rĂ©diger des e-mails rĂ©ussis, percutants et originale le 16 mars 2022, mise Ă  jour le 12 juillet 2022
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Bonjour Fabien , Je vous rassure votre dossier a Ă©tĂ© pris en charge par la cellule dĂ©diĂ©e. Vous serez recontactĂ© par celui-ci. Je constate sur votre dossier que vous avez contactĂ© notre service client concernant le rendez-vous non honorĂ© par le technicien. Une remontĂ©e a Ă©tĂ© faite en ce sens. Je suis dĂ©solĂ©e de la gĂȘne occasionnĂ©e. Je vous souhaite une bonne journĂ©e et Ă  bientĂŽt sur l'Assistance Mobile. Sarah, ConseillĂšre Assistance Mobile -TĂ©lĂ©chargez Ă©galement l'application CrĂ©dit Mutuel Mobile pour suivre vos consommations 24H/24 depuis votre mobile.
Prendrerendez-vous pour un patient. DĂ©finition : pour prendre rendez-vous pour un patient, deux mĂ©thodes sont possibles. Lorsque vous visualisez rapidement des crĂ©neaux disponibles, vous pouvez prendre directement rendez-vous sur l'agenda. L a seconde mĂ©thode permet de trouver une disponibilitĂ© trĂšs rapidement lorsque votre agenda est Qui sont les psys rĂ©fĂ©rencĂ©s sur MonPsy Les organismes de rĂ©fĂ©rence de MonPsy Oui Non. 23 NOV. 2016 · Cette rĂ©ponse a Ă©tĂ© utile Ă  6 personnes. Bonjour, Une sĂ©ance non honorĂ©e par le praticien ne peut faire l'objet d'un rĂšglement par le patient, ça me Les kinĂ©sithĂ©rapeutes comme tout autre professionnel de santĂ© est souvent confrontĂ© aux retards et oublis des patients lors d’un rendez-vous. Les rendez-vous non honorĂ©s sont prĂ©judiciables aussi bien pour le masseur kinĂ©sithĂ©rapeute que pour le patient dans la rĂ©gularitĂ© de ses soins. Si Ă  l’échelle du patient, un rendez-vous non honorĂ© peut paraĂźtre anodin, Ă  l’échelle du praticien, un rendez-vous non honorĂ© par jour reprĂ©sente une perte financiĂšre entre 5 et 10% du chiffre d’affaire mensuel soit Ă  minima 250€/mois. Les absences portent Ă©galement prĂ©judices aux autres patients qui subissent un allongement des dĂ©lais pour obtenir un rendez-vous. En consĂ©quence, l’accĂšs aux soins se prĂ©carise et les praticiens perdent en qualitĂ© de vie. Si lĂ©galement il est interdit de compter la sĂ©ance manquĂ©e, le praticien peut demander au patient de payer une compensation de sa poche. La majoritĂ© des kinĂ©sithĂ©rapeutes ne souhaitent pas jouer ce rĂŽle. Alors que faire ? À cause des rendez-vous non honorĂ©s, l’accĂšs aux soins se prĂ©carise Un aperçu du problĂšme D’aprĂšs une enquĂȘte rĂ©alisĂ©e auprĂšs des mĂ©decins libĂ©raux de Franche-ComtĂ©, on peut avoir un aperçu de l’impact des rendez-vous non honorĂ©s sur un cabinet. Sur la semaine, en moyenne 6% des rendez-vous ne sont pas honorĂ©s. Pour les patients inconnus, ils sont en moyenne par semaine Ă  ne pas honorer leur premier rendez-vous et 2% des patients le font rĂ©guliĂšrement. Dans plus de 88% des cas, l’annulation se fait le jour mĂȘme. Les principaux motifs d’annulation sont l’oubli, aucune excuse, l’impossibilitĂ© de se dĂ©placer ou une erreur de date. Seul un praticien sur cinq a optĂ© pour une solution de rappel des rendez-vous En rĂ©ponse, pour sensibiliser le patient Ă  l’impact d’un rendez-vous non honorĂ©, certains praticiens proposent des sanctions financiĂšres ou un allongement des dĂ©lais pour ces personnes. MalgrĂ© l’impact nĂ©gatif sur le cabinet, on constate que seul un praticien sur cinq a optĂ© pour une solution de rappel des rendez-vous et seulement 6% d’entre eux choisissent le SMS. La plupart choisissent le rappel tĂ©lĂ©phonique. Comment amĂ©liorer l’accĂšs au soin au cabinet ? Si vous optez pour la solution d’agenda en ligne de MonRdvKinĂ©, vous aurez Ă  votre disposition un arsenal simple mais efficace pour lutter contre les rendez-vous non honorĂ©s. Avec trĂšs peu d’effort de la part du praticien ou du patient, les rĂ©sultats seront au rendez-vous. Le mail rĂ©capitulatif Une fois les rendez-vous pris avec vos patients, vous aurez la possibilitĂ© de leur envoyer en un clic la liste des rendez-vous Ă  venir par mail. Cela ne prend pas plus de 2 secondes depuis la fiche patient. Le patient, quant Ă  lui, pourra toujours se rĂ©fĂ©rer au mail en cas d’oubli. De plus, ce dernier contiendra un fichier permettant au patient d’ajouter les rendez-vous dans le calendrier de son tĂ©lĂ©phone avec un rappel automatique une heure avant le rendez-vous. Il suffit que le tĂ©lĂ©phone soit allumĂ© et il sonnera mĂȘme sans rĂ©seau. Pour vos patients qui n’ont pas d’adresse mail, vous aurez toujours la possibilitĂ© d’imprimer les rendez-vous depuis leur fiche. Les rappels SMS Ces SMS informatifs sont jugĂ©s utiles et sont accueillis positivement Simple Ă  mettre en Ɠuvre, les rappels SMS permettent de rĂ©duire par 4 en moyenne les rendez-vous manquĂ©s. 95% d’entre eux sont lus les rendant plus efficaces que les rappels par mail ou par tĂ©lĂ©phone. Ces SMS informatifs sont jugĂ©s utiles et sont accueillis positivement par la majoritĂ© des patients renforçant le lien avec le praticien. MonRdvKinĂ© propose plusieurs solutions de rappel SMS. Ils peuvent se faire via la plateforme ou, sans supplĂ©ment, via l’application mobile manuellement ou automatiquement. Quel que soit la solution choisie, les patients pourront vous rĂ©pondre. Pour plus de dĂ©tails sur les rappels SMS, vous pouvez consulter cet article. Certaines annulations sont inĂ©vitables Il existe des situations oĂč le patient n’a rĂ©ellement pas d’autre choix que d’annuler son rendez-vous. Pas de panique ! MĂȘme en derniĂšre minute, vous avez une solution. Tout d’abord, grĂące Ă  son compte en ligne ou en rĂ©pondant Ă  un SMS de rappel, le patient peut annuler au plus tĂŽt mĂȘme la nuit pour que vous puissiez agir en consĂ©quence. Ensuite, en quelques clics, vous pouvez remettre un crĂ©neau libre et le proposer Ă  un autre patient par mail et/ou SMS. Ce dernier pourra confirmer la proposition soit en rĂ©pondant au SMS et vous aurez la rĂ©ponse directement dans votre compte, soit en ligne grĂące Ă  un lien dans le mail et ce mĂȘme sans compte ! Voici quelques-uns des bienfaits de l’agenda en ligne MonRdvKinĂ© conçu pour les kinĂ©sithĂ©rapeutes. Ouvrez votre compte immĂ©diatement et sans engagement ! Lestarifs sont affichĂ©s dans la salle d'attente et disponibles sur le site web ci-dessous. Une facture vous sera remise pour un remboursement par votre mutuelle si besoin. La prise de rendez-vous pour les cours de prĂ©paration Ă  la naissance ou les demandes d'interruption volontaire de grossesse (IVG) se font par tĂ©lĂ©phone suite aux nombreux rendez-vous non Rejoignez la communautĂ© Sosh ! Pour poser vos questions, proposer votre aide, participer aux ateliers... Pas encore membre ? Je m'inscris Retour sur le Meet'up Sosh 30 Equipes Sosh et Top Contributeurs se sont retrouvĂ©s Ă  Paris les 4 et 5 juillet pour parler RSE et revenir sur les derniĂšres Ă©volutions des offres Sosh. DĂ©couvrez cette rencontre en images Marquer comme nouveau Marquer comme favori S'abonner Sourdine S'abonner au fil RSS Surligner Imprimer Envoyer Ă  un ami Signaler un contenu inappropriĂ© Bonjour,Mon rendez-vous de ce matin pour installation de ma ligne internet n’a pas Ă©tĂ© honorĂ©. Les conseillers par chat n’ont Ă©tĂ© d’aucune aide toute la journĂ©e, avez vous un numĂ©ro de tĂ©lĂ©phone pour que je puisse au moins prendre un nouveau rendez-vous ?En vous remerciant ! Aspirant sosheur ‎20-06-2022 1625 Tous les sujets du forum Sujet prĂ©cĂ©dent Sujet suivant 1 rĂ©ponse1 MU4UVh1.